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der grüne Affe - Page 70

  • Le Singe Vert 07

    COLLIGNON

    LE SINGE VERT

    Numéros 70 à 77

    TOME VII

    //Singevert.free.fr

    courriel colber1@wanadoo.fr

    70

     

    Grand décalage entre la composition de mes petits numéros et leur date de publication, vu le budget inexistant dont à propos duquel je dispose (une retraite d'éducation nationale pour deux personnes et demie ne te plains pas y en a qui couchent dans des cartons, et ceux-là aussi feraient mieux de fermer leurs grandes gueules parce qu'il y en a qui sont morts, par-fai-te-ment, morts, et tant que t'es pas macchabée tu fermes ta gueule), et vu le peu de timbres dont vous me gratifiez, à 70 c s'il vous plaît, à l'exception de M. Coste de La Ciotat que je remercie vivement, je ne risque pas de rentrer dans mes frais.

    A part ça, nous aurons un nouveau président, j'aurai voté Ségolène deux fois, mais du bout des lèvres. Miss Gnangnan de la Pâte à Modeler. Qui disait (s'habituer à l'imparfait...) “moi je moi je moi je” au moins aussi souvent que le Sarko (“moi je veux que moi je veux que”). Cantat Sarko, maintenant qu'on l'l'a, ça va être des chômedus plein les rues comme en 29 à l'Os en Gelée (“Los Angeles”, merci Jean Yanne) ; l'autre jour comme ça j'ai un mec qui rentre chez moi qui s'introduit par-derrière le nez en l'air sans avoir sonné frappé ni quoi que ce soit et qui me demande si je n'ai pas des petits travaux à effectuer chez moi pour la modique somme de 300 euros ! Où est-ce que j'aurais pu prendre 300 €, sur mes 800 de découvert peut-être ? Ce que je veux dire c'est que trois ou quatre fois par jour je vais me faire emmerder par des semi-mendigots qui vont me demander si je n'ai rien à repeindre ou du bois à scier ou une grand-mère à achever (pour les talibans : à scier) sous prétexte qu'ils sont au chômage.

    Ça, c'est l'économie selon Sarko. Côté Ségo, le programme consiste à maintenir les postes dans les zones rurales : putain là je m'enthousiasme ! Quel programme ! Quelle audace, quelle exaltation ! Ce que j'aurai pu me faire chier dans cette campagne... A la télé dans les débats J'ai vu des politiciens le nez dans le guidon qui ne voient pas plus loin que leurs quatre tours de roues sans avoir au grand jamais ouvert un livre d'histoire d'avant 1920 et surtout rien, rien du tout sur la chute de l'Empire romain, il est vrai qu'ils parlaient le latin qu'est une langue fasciste Mme Dupoireau, parfaitement, fasciste ! (l'insulte suivante ce sera “pédophile” : “Ah ! pédophilie de merde ! V'là-t-il pas qu'y pleut !”)

    Des arguments, des arguments, mais j'en ai plein les intestins des arguments. Des raisonnements économiques je t'en fais tant que tu veux accoudé sur mon comptoir en zingue-zingue. Dès qu'on touche à quelque chose en économie, ça se déglingue de l'autre côté, tout le monde a raison et tout le monde a tort. Vous savez pour quoi l'on vote ? Vous croyez que c'est pour des arguments économiques ? je vais vous le dire pourquoi on vote : d'une part, on vote comme sa famille, ou son groupe social, prof avec les profs, rugbyman avec les rugbymen, mais pas comme le club d'en face parce que c'est le club d'en face mon pote, moi je vote socialo pour avoir la paix au bureau, avant c'était en salle des profs ; et deuxièmement aussi, mais ça tout le monde l'a oublié, on se bouche les oreilles, on se fout la main devant les yeux avec les doigts écartés devant la femme à poil , on vote pour l'irrationnel, parfaitement, pour l'émotionnel, pour celui avec lequel on va le moins s'emmerder.

    Avec le Bayrou on se serait fait chier, on se serait rendormi le nez dans not' caca qui sent bon. Je rote donc socialo parce que mon père rotait coco, il n'a jamais vu un seul de ses candidats accéder à quoi que ce soit. Et puis les gens de droite ils ont des sales gueules, prétentieux et tout. Cette façon de vous regarder de haut comme juste avant de lâcher un mollard. Mitterrand était paraît-il un escroc (jamais eu cette impression, d'ailleurs), mais il avait la classe, tandis que Chirac il nous a enculés sans la classe. Quand j'ai entendu le meeting de Sarko à Bercy, là j'ai vibré. Là on ne s'emmerdait pas. Exactement le même degré d'émotion à la con que dans un stade de rugby l'émotion de la foule Allez les petits ! royal,articles,dérision

    Il te chauffait tout ça, il te refaisait croire en la France, il parlait le langage de l'épicier ou du tenancier d'hôtel sans étoile, c'était mon langage, c'était la bible à Poujade (le Pierre, de St-Céré). Le “populo”. Celui qui ne comprend pas que l'on se mette systématiquement contre la police parce que c'est la police. Celui qui ne comprend pas pourquoi on fait autant d'histoire pour un contrôle de ticket. Et qu'est-ce que je vois sur le blog d'un pote ? Que Sarko est “violent” ? Mais qu'est-ce que tu vas dire d'Ahmadinedjaz qui veut rayer Israël de la carte ? Saint Chirac dixit : “A la première velléité de l'Iran, Israël vitrifie Téhéran ! “ et le pote du pote de s'indigner “Tu te rends compte ce con ? parler comme ça de réduire à néant une agglomération de six millions d'habitants!” - apparemment que démolir tout Tel-Aviv avec les juifs dedans ça ne semblait pas l'indigner plus que ça, les juifs, ça a l'habitude, non ? “Il ne le fera pas c'est du bluff, c'est du bluff !” - on disait déjà ça en 38 - manque de pot, Adolf a osé.

    C'est cela voyez-vous qui a décrédibilisé la gauche aux yeux de pas mal de gens : cette tendresse plus ou moins avouée qu'ils entretiennent tous avec le “révolté”, le “gavroche”, le “rebelle” à deux balles (dans la gueule) - en fait avec toutes les tyrannies, quand on a bien pu se barbouiller les mains avec du sang de bourgeois, ou de banquier, ou d'Israélien... Après, ça joue les

    offensés, “mais pas du tout, que crûtes-vous, nous sommes contre le terrorisme, very against very much, pour son éradication totale, il faut les comprendre vous savez ces gens-là”, et de sous-entendre que ce seraient p'têt'bien les Ricains qui lancent les bombes dans Bagdad, les Ricains qui enlèvent les Occidentaux (puisque ce sont eux qui ont suscité les talibans, DONC talibans = Américains), eux encore qui lancent leurs propres avions contre le Pentagone, tout comme c'étaient les Bosniaques qui se bombardaient leurs propres marchés aux heures d'affluence ou le gouvernement algérien qui assassinait sa propre population pour faire croire que c'étaient les islamistes, quant aux femmes qui se font violer, putain, elles l'ont bien cherché, c'est comme les juifs en 40, merde ils avaient exagéré aussi, les pauvres nazis, il y avait tout de même de quoi être exaspérés, il faut comprendre avant de condamner...

    C'est cette connivence avec toutes les tyrannies qui a fini par faire prendre la gauche pour du pipeau baveux. J'aimerais bien trouver le parti qui serait à la fois pour le maintien des écoles rurales et des droits du travailleur TOUT EN combattant le terrorisme en vrai, ou d'une droite qui combattrait les bombomanes TOUT EN considérant les ouvriers comme des humains à part entière, et je me suis toujours demandé pourquoi il n'y avait jamais moyen de trouver des gens qui jouissent de tout leur bon sens, de leur pur et simple bon sens humanitaire et humaniste dans les deux directions à la fois, c'est vraiment si contradictoire que ça ? Nom de Zeus ! “Comprendre” l'humiliation et la révolte des talibans qui découpent les cous à la scie ! (pendant qu'on y est, des Français ont décapité de la même manière des Viets révoltés en 1930, et ils ont été acquittés... Malraux s'en étrangla d'indignation)(“les bienfaits de la colonisation”, on vous dit...)

    ...Comprendre le hamas libanais qui joue les victimes, alors que depuis la guerre du Liban ben mon vieux ya plus de roquettes qu'on se demande comment ça se fait. Israël, perdu la guerre ? mais il n'en a rien à foutre de “gagner” ou de “perdre” quoi que ce soit, tout ce qu'il veut, c'est qu'on arrête de bâtir des fortins sur la frontière à un millimètre près pour tout espionner aux jumelles afin d'envoyer quelques roquetttes de carnaval. Et elles se sont arrêtées. Ah bien sûr il y a eu des morts. Et on a bombardé une usine de lait en poudre, c'est malin. Quelques usines aussi à Hiroshima. Alors Sarko, violent ? Si tu veux voir de la violence mon vieux, va en Colombie ! Ce qui me plaît chez Sarko me plaît parce qu'il est du côté des Américains. C'est le titre de ce Singe Vert : “les Américains”. Qui nous ont sauvés deux fois. Ah ça on n'aime pas s'en souvenir... C'est comme à treize ans, on n'aime pas se souvenir que ce sont les parents qui vous ont nourris, supportés, qui se sont coltiné les petits merdeux en pleine crise de puberté. Ben y en a beaucoup qui en sont resté là, à treize ans, et qui n'auront jamais treize ans et demi. En 17, on était vaincu sans les Ricains. En 44, itou. Mais en 2003 ils se sont trompé de pays : c'était la Syrie qu'il fallait pilonner, pas l'Irak. Bon. Tout le monde peut se gourer. Il fallait sans doute continuer à soutenir Saddam, n'est-ce pas, et ses massacres de Kurdes. On met tous les Kurdes dans un grand trou et on appelle ça le Trou du Kurde. Fin, non ? Et il fallait laisser croupir les femmes en Afghanistan. “Ah mais ce sont eux, les Ricains, qui ont fomenté la révolte des talibans.” Et alors ? Tous les attentats, c'est la faute aux Américains ! Ben voyons ! Qu'est-ce que vous auriez voulu qu'ils fissent, les Américains, quand on leur a bouzillé leurs tours : “Pardon, pardon, on ne le fera plus, il y a d'autres tours par derrière, pourriez-vous nous en descendre encore deux ou trois” ? la grosse réponse astucieuse, on la connaît par cœur, consiste à désolidariser “l'Amérique de Bush” et “l'autre Amérique” : mais avec Clinton, personne n'était content non plus. Avec personne d'ailleurs : que voulez-vous, les Américains son tassez cons pour ne pas élire un Français... Qu'est-ce que vous voulez donc, à la fin, des Américains ? Qu'ils agissent contre leurs intérêts mais en faveur des vôtres ?

    Quel Etat ferait cela au monde ? N'est-il pasnormal que chacun essaye de tirer le mieux possible son épingle du jeu ? Tout le monde n'est pas aussi masochiste que les Français. Je me souviendrai toujours de ce petit con de reporter, lors de la réélection de George Bush, qui se demandait pourquoi “les USA vot[ai]ent contre leurs inérêts” - c'est toi, petit merdeux, qui donne des leçons à toi tout seul au peuple américain ? Je ne suis pas pour l'abolition de la liberté de la presse. Mais il y a tout de même des coups de pieds au cul qui se perdent. En particulier pour tous ceux qui estiment que le mal incarné s'écrit “Etats-Unis”, de la grippe aviaire au tsunami, des attentats en Algérie à la mort de leur clebs.

    ... Vous voudriez donc retirer les troupes d'Irak ? Il y a même des Américains qui voudraient le faire ? Ils ne se souviennent donc plus de ce qui s'est passé au Viêt-nam ? puisqu'on veut comparer l'Irak et le Viêt-nam – sans tenir compte de la disproportion du nombre des morts : dix fois moins à Bagdad que chez les Viets tout de même... La “vietnamisation” du conflit ? Total quatre millions de génocidés au Cambodge ; c'est ça que vous voulez avec les chiites, bande d'irresponsables ? Ces pacifistes plus sanglants que les guerriers ! ”Fallait pas y aller” - oui mais maintenant on y est ! Alors ? On se retire ? On dit aux islamistes – pardon aux barbares, je ne veux même plus qu'il y ait le radical “islam” dans leur dénomination – aux barbares, donc, on leur dirait “Allez-y, voie libre” ? J'entends nos grands généreux dire : “Nous devons aider nos amis les musulmans démocrates, autrement c'est du racisme” - ça y est, le grand mot est lâché, l' Argument suprême (de volaille), “eux aussi ont droit Allah démocratie” - eh bande de nazes, je ne doute pas un seul instant que les musulmans sont parfaitement capables d'être démocrates. Dans vingt ans. Pour l'instant, tout ce que certains trouvent à faire quand ils sont en désaccord à Gaza, c'est de se tirer dessus.

    On fait quoi ? Là, maintenant, concrètement ? On accuse Israël ? ou les Américains ? Je ne suis pas d'acord avec tout ce que fait Israël” - “on s'en fout de ton avis”, me dira-t-on, “tu n'es qu'un tout petit anus qui n'y connaît que dalle” - attends, qui s'y connaît ? Voire, s'y reconnaît ? Je suis Monsieur Machin moi, j'ai des opinions sur tout, non seulement c'est mon droit mais je ne peux pas m'en empêcher, c'est ma caractéristique d'être humain, c'est même pour ça qu'on a inventé la démocratie, et s'il n'y avait que les “spécialistes” (autoproclamés) qui pouvaient s'exprimer, personne ne dirait plus rien sur rien, relisez le Protagoras de Platon et toc, j'ai de l'instruction Môssieur ça vous la cloue (c'est de l'autofoutage de gueule pour ceux qui n'ont rien compris).

    J'essaye de comprendre, moi ; quand je vois Israël accusé de terrorisme, je me prends la tête dans les mains, Israël ne fait ni terrorisme ni génocide, arrêtez, il n'y a pas de camps d'extermination en Israël ça se saurait -”oui, mais on finira bien par en trouver un” - ouais l'argument, ouais, vas-y ! Ça n'existe pas donc ça existe ! On est en plein Da Vinvi Code ! Ce que pratique Israël, c'est l'apartheid, ce n'est déjà pas rien, il me semble, comme crime, ça suffit à l'indignation, non ? Ce n'est pas la peine de rajouter “génocide” ! Qui osera par exemple faire le pari énorme d'ouvrir les frontières internes pour que chaque Israélien puisse voir de ses yeux la misère des territoires occupés ? Mais il n'y a pas de terrorisme “d'Etat” perpétré par les Israéliens ! “Qui est terroriste?” interroge un tract bien connu - la réponse est toute simple : ceux qui faisaient sauter des gosses dans les bus... J'emploie le mot “terrorisme” au sens propre, pas au sens métaphorique. Voyez le mur... On en aura dit sur ce mur... Vous avez des mots comme ça : “mur” ; “fasciste” ; “pédophile” ; des mots qui font perdre leur sang-froid aux prétendus “journalistes”. Alors à propos de mur - vous n'auriez rien remarqué par hasard? rien de rien ? Eh bien depuis qu'il est construit il n'y a plus d'attentats palestiniens... Avant, c'était tous les trois jours que les Israéliens sautaient dans les buS et dans les dancings par paquets de dix ; c'était bien fait pour leur gueule évidemment. Regardez à Belfast depuis qu'il y a des murs : la haine de chaque côté, soit, mais plus d'affrontements ! A présent “on” critique les Américains parce qu'ils érigent des murs dans Bagdad - “Ça empêche de circuler”, “Tout ce qu'ils savent faire c'est des murs” (Berlin, le ghetto de Varsovie, et allez donc, encore une petite louche) “C'est une entrave à la liberté”... vous ne voyez donc pas que ce qu'ils réclament, tous ces râleurs, c'est la liberté de se massacrer ?

    Oui, dans vingt ans, les chiites et les sunnites (prononcé “seunnites” pour faire plus english) s'entendront, et à la fin des temps les lions viendront laper le lait dans les mêmes écuelles que les gazelles, mais pour l'instant, là, tout de suite, qu'est-ce qu'on fait? On grimpe sur des tabourets en faisant de beaux discours avec moulinets de bras sous les bombes, en attendant la fraternité universelle ? On prie ? On chie dans les violons ? Il pleut c'est la faute aux Américains, qui ne respectent pas les accords de Kyoto ! Il ne pleut pas c'est la faute aux Américains qui ne respectent pas les accords de Kyoto ! J'ai pété c'est la faute aux Américains qui ne respectent pas les accords de Kyoto !

    Merde à la fin ! Quand ce n'est pas la faute d'Israël ! Ah pardon : l' “Israël d'Olmert”, qui n'est pas “l'autre Israël” ! Mais qu'est-ce que vous voulez qu'ils fassent, en Israël ? Qu'ils retirent leurs troupes de partout pour se faire massacrer ? “Excusez-nous d'être juifs, pourriez-vous nous massacrer un peu plus s'il vous plaît, ça fera pleurer dans les chaumières” ? Je l'ai entendu dire, cela, “les Israéliens sont devenus un Etat militaire, ce serait tellement plus noble de se laisser faire noblement sous le regard de l'opinion internationale, ça provoquerait une extraordinaire admiration, et tout le monde les secourrait” - et l'Arabe à qui s'adressait ce discours en avait presque la larme à l'œil tellement il compatissait avec la souffrance du peuple palestinien...

    La prochaine fois, je vous parleai de la souffrance du peuple allemand brimé les juifs... Voyez-vous, il y a des choses qu'on ne peut pas comparer. Par pure et simple décence. N'importe quel gouvernement israélien ou américain ferait ce qu'a fait le précédent, sur le plan extérieur du moins. Dernièrement un humoriste palestinien (si si ça existe) suggérait aux dirigeants israéliens et palestiniens d'échanger leurs places, pour qu'ils voient l'effet que ça fait, de l'autre côté... Pas bête ! Alors à côté de ça, la France, elle fait popote et paquet de nouilles moi je vous le dis. On est bien

    en Franfrance. “Tant qu'ils se tuent entre eux”, n'est-ce pas ? “Mais avec Sarko, la France va redevenir une terre d'attentats !” Pauvres loques, vous ne voyez pas que Sarko ou pas Sarko, ils n'ont pas besoin de prétexte pour taper n'importe où ? “les terroristes ne sont pas organisés militairement” - vous attendez qu'ils le soient ?

    Qu'il y ait 51% de cellules cancéreuses dans l'organisme pour commencer le traitement ? J'aurais bien dit la chimio, mais on va me dire “la chimie, c'est les gaz, vous voulez employer les gaz c'est raciste” - ça c'est du raisonnement la petite dame. Et quand al Qaïda sera installée dans le Maghreb pour nous envoyer des commandos, vous ferez quoi, tas de lâches ? Tas de Daladier ? Sarkozy n'est pas parfait. Mais il nous parle de nous, de nos indignations, il ne fait pas de discours creux, enfin pas toujours, il est le seul à pouvoir discipliner les tendances totalitaires de certains imams. Hélas, dans le débat Sarko-Ségo, pas un mot ou presque sur le Grand Effondrement de l'Occident.

    Pas un mot sur la Barbarie. Rien que des chiffrrrres sur la petite économie, le petit nombril de la Franfrance, les statistiques sur l'emploi, un chipotage permanent, une atmosphère parfois de cour de maternelle ou de L'Arène de France. Il faudra tout de même bien qu'un jour on se retrousse les manches jusqu'aux couilles pour aller la défendre, notre civilisation ! Et s'il y a un jour des attentats en France, peut-être que certaines autruches des deux sexes vont arrêter de se foutre la tête dans le sable avec le cul à l'air ! Les choses seront bien nettes ! Ah ! nos fameux démocrates musulmans ! Qui seront au pouvoir ans vingt ans, promis juré ! En attendant, nos braves modérés chrétiens se font tout simplement les complices objectifs du plus abject terrorisme...

    Il faut toujours ête cool avec les gens de gosh, ne jamais s'énerver, toujours jouer la finesse et la diplomatie, ne pas rentrer dans le tas, et pendant qu'ils font la morale, eh bien ce sont toujours les mêmes qui se font gruger, en se laissant tartiner le cul avec la morale à papa. La bonne

    grosse vieille droite bien dégueulasse, c'est bien franc, mais les cafards de sacristie marxiste ou autre qui vous défendent par devant et qui font grimper tous les petits copains par derrière pour vous la mettre jusqu'à l'os quand même, je commence à ne plus tellement pouvoir la blairer, la vie m'a mis dans le cul jusqu'à en avoir des renvois de gland, excusez-moi si je suis vulgaire. Je me suis laissé aller à l' “engagement politique”. Malheur à toi Philippe, tu as pensé au bonheur de l'humanité. “Lorenzaccio”, de Musset. Moi je – ET MOI ET MOI ET MOI - suis simplement devenu con, et Dieu sait si je m'en suis foutu, de l'humanité, au moins autant qu'elle de moi-même. C'est tout mon destin raté qui me remonte à la gueule. Certains deviennent sages en prenant de l'âge.

    Moi non. Des efforts, des efforts, je n'ai pas arrêté d'en faire, des efforts. Maintenant j'en ai marre, et je vous salue bien tous, avec la totalité de ma courte connerie.

     

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    786 – D'abord on pèche peut-être par faiblesse (hélas ! car ta faiblesse c'était la force même du désir; du penchant, de la passion et du péché) ; mais alors on en est si désespéré qu'on pèche une seconde fois peut-être, et cette fois c'est de désespoir.

    Soeren Kierkegaard “Journal” Avril 1848

    Amis lecteurs, et vous tous inconnus à qui j'ai forcé la main, j'ai aujourd'hui le cœur plein d'amertume, de rancune et d'apitoiement sur soi-même, ce n'est pas propre et ça salit tout ce que ça touche. Sommaire : Federer – l'Yeaune, Reaume, Eûdipe, la messe en latin, et Rolft, celui qui se prend pour un présentateur de journal télévisé.

     

    FEDERER

    Il est bien gentil Federer. Il a une bonne tête. Il est le champion et il se la pète pas. Il est bien brave aussi. Jamais ça ne lui est venu à l'idée de protester avec véhémence contre le massacre de son prénom. ROGER. Ça se prononce RO-JÉ. A la française. A la franco-suisse. En italien, c'est Ruggiero, ROU-DJIÉ- RO, comme Raimondi ; en allemand, RÜDIGER, RU-DI-GUEUR. Mais quele est le foutu con, quel est le bâtard inculte, en un mot quel est le journaliste, car il n'y a qu'un journaliste pour avoir inventé ça, qui s'est mis en tête, n'ayant jamais lu ce prénom ailleurs que dans ces insipides bandes dessinées sur les as de l'aviation dans les Spirou de 1950 (moi aussi, comme tous les petits garçons de l'époque, je me demandais ce que venait bien foutre ce “roger” dans toutes les conversations - “Roger” pour “Ready” - qu'est-ce qui lui a pris, à ce Premier Plouc, de prononcer cela A L'ANGLAISE, WO-DJEUW ?

    ...Et tous d'enchaîner ! Wodjeuw, wodjeuw, wodjeuw ! Le ridicule ! Le ridicule ! anglais de mes couilles ! Of my balls ! Parfois une Schönberg, un Poivre d'Arvor qui rectifient, sans conviction, et passent le relais radiophonique à un de ces connards analphabètes qui te renvoient illico du Wodjeuw comme une balle de match en revers croisé ! Putain ! Vous le savez que je suis grossier ! Bordel ! Damned brothel ! Et Roger-jéjéjéjé qui s'en fout ! Qui trouve que ça fait mieux si ça tombe ! Et si je laissais prononcer mon nom à l'espagnole ? “Collignon”, “Koyi-Guenonn” !

    YEAUNE, REAUME, VIVE LA BRETAGNE

    Ah ! La promotion canapé ! La promotion insolence ! La promotion ignorance ! Les présentatrices qui parlent du département de l'Yeaune ! De “notre envoyé spécial à Reaume !” Attends, plus fort de chez Plusfort : “la température à KIMMPER ! Vous avez bien lu, amis Bretons, bien entendu : à Kimm-per ! Dites-moi, écrivez-moi vite par retour du courrier, je vous en supplie à genoux, au nom

    de la Sainte Vierge, comment on dit Putain d'enculé de bordel de merde en breton, d'urgence, d'urgence !

     

    FASCISME, SAUCE ANTIQUE

    Quant à Œdipe prononcé Eûûûûûdipe à la place d'Édipe, j'y renonce, on me répond “l'usage”, moi je réponds “le BON usage” ; à ma dernière “formation pédagogique, sur les douze professeuses de français ici présentes, douze prononçaient Eûûûdipe, c'est moi qui ai dû le faire remarquer ; toutes alors de se tourner vers l'inspectrice ! “Mais comment doit-on prononcer ?” Et elle, humblement : “Édipe”. Mais toute petite, la voix, pour ne pas vexer, parce que c'est facho, n'est-ce pas, de rectifier la prononciation... Elle avait peur, l'Inspectrice, la Supérieure Hiérarchique, ça fait facho, d'être chef. On me dira que je lutte pour des conneries, pour “des causes perdues d'avance” - la vie aussi, c'est une cause perdue d'avance. Mais je me bats, je me bats, je me bats ! ...mon pote Cyrano...

     

    LA MESSE EN LATIN

    Et à propos de fascisme : la messe en latin. Ah ! voilà bien le comble du fascisme, commentateurs de mes glaouis. La messe en latin ! Si The Pope avait dit : “la messe en anglais !” - alors là, c'eût été un immense bavochement de congratulèchieunne, ouais ! enfin de l'eûûûûûûcuménime (voir plus haut), enfin de l'universel, enfin l'anglais, la fameuse langue qui apporte la paix au monde ! Especially in Irak. Et si ç'avait été LA MESSE EN ARABE, alors là, l'enthousiasme ! Des rugissements de délire ! La paix universelle ! Le juif et l'arabe autour du même rôti de porc ! HAHAHAHA ! (le Singe indique toujours l'endroit où il faut rire : laugh, comme chez Fogiel, comme chez Ruquier).

    Pierre Coffe gueule bien sur les jambons à l'eau et les produits salopés, je ne vois pas pourquoi je ne gueulerais pas contre nos massacreurs de langues. Vous savez pourquoi les sections littéraires se vident ? Parce que ce qu'on y enseigne n'a plus rien à voir avec le plaisir de lire. Parce que les inspecteurs inspirateurs de programmes font tout ce qu'ils peuvent pour dégoûter les candidates (il n'y a plus d'hommes : un homme, un vrai, ça rote, ça pète, ça pousse la brouette)(Le vide de leur cerveau leur meuble les couilles, c'est de Simone) (de Beauvoir évidemment)(notez que la Badinter n'est pas mauvaise non plus). Et comme dit Abadie, parolier de Bedos : L'enseignement du français est à la littérature ce que la gynécologie est à l'érotisme.

     

    MOI JE

    JE LE SAIS QUE JE RADOTE MAIS AUJOURD'HUI JE M'EMMERDE JE NE PENSE QU'A MOI Y A DES JOURS COMME ÇA alors on y va :

    JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE

    ME ME ME ME ME ME ME ME ME ME ME ME ME ME ME ME ME ME ME ME

    MOI MOI MOI MOI MOI MO I MOI MOI MOI MOI MOI MOI MOI MOI MOI MOI

    Voilà qui est fait. Il faudrait aussi une ligne de merde, une de bordel, une de putain, une de couilles, une de diarrhée. L'une dans l'autre. On vous l'épargne. Qui c'est qui dit merci ? C'est le

    lecteur – le quoi ? Bon. Alors je vais vous proposer quelque chose de vachement sérieux. De lit-té-raire. C'est ce que j'écris maintenant. Ça s'appelle GASTON-DRAGON. C'est l'histoire de mon grand-père Gaston, le père de ma mère. Quand il s'est fait écrabouiller par un camion le 10 décembre 45, ma mère a failli devenir folle. Et ce qui s'en est suivi, c'est dans les pages qui suivent.Je vous ai donné l'explication tout de suite, parce que sinon c'était difficile à comprendre, et je ne veux pas vous la jouer Faulkner, on s'emmerde déjà assez comme ça. Bonne lecture, et envoyez des timbres, y a pas de raison que ce soient toujours les mêmes qui s'y collent, merci ! Juste encore une remarque : c'est inachevé. Tout dans la recherche coco...

     

    G A S T O N - D R A G O N

     

    EXERGUE : Les exploits d'Ulysse, accomplis par la ruse et l'intelligence, me semblent méprisables ; car je sais très bien, moi, je suis largement payé pour savoir, que l'intelligence sans la force ne mène absolument nulle part.

     

    AU LECTEUR

    Lisez lentement. Lisez successivement. Ne cherchez pas à tout prix l'enchaînement. Tout se constituera en son temps, à son rythme. Formons une alliance et ne craignons rien l'un de l'autre;

     

     

    PERE HISTOIRE

    Père Histoire ayant expédié Gérard P., gravé par son nom sur le monument aux morts, dans les camps du même nom, fut condamné au peloton. Puis écroué par nos libérateurs atlantiques en forteresse à Laon : commutation de peine en droit commun. Quand la cité fut bombardée, Père Histoire déblaya ces corps, dont une fillette à bout de bras. Il m'a dit que rien ne peut rendre l'odeur de la mort. Que rien n'en peut approcher. Odeur sui generis, dont rien ne donne l'équivalent. J'en suis venu à penser que cette odeur donne faim ; les pisse-presse, après l'incendie parlent immanquablrement d'une « ignoble odeur de brûlé ». Les plus précis risquent « sucrée ».

     

    PARTURITION

    Mes trois prénoms chrétiens sont Gaston, Lucien, André. Dieu dessécha mon âme, et purifia mes lèvres par un charbon ardent; et Isaiae labra carbone ardenti purificavit. Ma cathédrale catholique présente en bas-relief sous le buffet d'orgues les Douze Travaux païens d'Hercule ; aucune notice n'en fait mention. Mon dernier prénom, André, l'Homme, est celui de mon second père, le médecin accoucheur. "Boucher !" criait ma mère , « boucher ! » - le sang giclait! giclait partout ! - sur les murs, le sol, les cuisses ouvertes de ma mère et la table aux pattes torses où la famille a mangé jusqu'à mes treize ans

    GASTON-DRAGON PREMIERE PARTIE …

    "Me voici. Mes yeux sont d'azur baignés."

    Valéry, "L'Enfance de Sophocle"

     

    Sans souvenir encore de rien. Pourtant passé le meurtre des serpents, d'autres monstres se lèvent à l'horizon d'une mémoire antérieure. Je vois au loin d'immenses jambes nues franchir en déchirant les brumes de longues étendues d'eau pâle, terre et mer enlaçant leurs courbes indécises, où mon âme et le monde se créent. Je ferme un instant les yeux, je m'aperçois en les rouvrant que la vision s'estompe. Je suis l'enfant portant sur le sommet du crâne l'ombilic de mes vies antérieures. Mère avant moi vivante. Boute-en-train – pour étrange que soit l'origine du terme - « étalon » - un numéro - définition de cirque – après moi Gorgone, rictus, serpents. Trône à seize ans ma mère en costume d'Esther sur un cliché sépia parmi les jeunes pensionnaires entorchonnées de châles. "Un jour en classe » dit ma mère « à la question "qui fut le roi de la Lorraine en 1738 ? j'ai crié : Stanislas Leszczynski !"

    Ma vie est le monde ; son histoire, ma cosmogonie.

     

    LA MORT DU DRAGON

    Histoire de la mort du père d'Alcmène, Gaston-Dragon. Gaston, de « Vaast », prononcé [vâ], (« la gare St-Vaast », à Soissons), la terre déserte (« Terre Guaste »), dé-vastée. Die Wüste.

    Jour de verglas, 8 h 12. Gaston-Dragon meurt écrasé par un camion-benne à betteraves de faible tonnage, vide, la tête écrasée, plate comme un fromage au sang ; lui, l'ancien Chien du patron (le contremaître, celui qui aboie sur les ouvriers : « Plus vite fainéants ! » Dur-à-lui-même-et-aux- autres, universellement détesté à la sucrerie d'Aguilcourt arrête-toi ! tu viens d'écraser le père Liénard ! (là-bas dans le nord, on ne dit pas « Monsieur, Madame », on dit « le père », « la mère » ; et «Liénard », c'est son nom) - je lui parlais y a pas une minute a glissé sous tes roues.

    Quinze jours avant la retraite. Je reconstruirai la cabane à lapins quinze jours à Noël. « Quand j'ai vu » dit Frida la veuve « arriver de loin le Maire l'Adjoint le Patron tous en noir chapeaux bas j'ai su tout de suite qu'il était arrivé quelque chose." Notables de campagne phrases convenues sues par cœur du fond du cœur, il se retirait toujours avant pour que j'aie pas d'enfant Tu les préfèrerais à ma fille cette fille était ma mère absente ce jour-là, où la Seconde Epouse de Gaston-Dragon prenait debout recevait la mort en pleine face. Et si éloignée que fût ma mère, à dix

    kilomètres de là en ces temps si lointains où le bout du monde commençait aux frontières du canton, le téléphone chez le Maire en cas d'urgence, elle apprit par son rêve - il est sans tête criait-elle je ne vois pas la tête mon père mon père – il portait un bandeau ? du sang (...) - je ne sais plus répondait-elle plus de tête un souvenir comme coagulé comme à bout de mémoire et jusqu'à sa mort j'ignorais le séisme et et si ma mère avait pleuré crié je ne connaissais pas le tréfonds de ma mère.

    (En vérité sur son lit de mort lit d'exposition Gaston-Dragon portait de larges bandes étanches et propres sur ce même lit où je devais plus tard enfant rejoindre Frieda de sept à huit heures, mes deux parents dormant encore, au signal doucement frappé sur les conduits d'eau chaude. Je rejoignais la veuve pour ces voluptés enfantines, si profondes et si peu génitales et adultes, au sein de ce lit chaud tout imprégné de femme et de bergamote - il faut un odorat longuement imprégné, affiné de dévotions, pour percevoir dans l'odeur de femme le plus quintessencié des parfums ; et si je prétendis un jour en être incommodé, ce fut avec l'impudence à claque du plus parfait petit morveux : « Comment » dit la Veuve « peux-tu donc savoir cela ? » - ainsi donc les femmes loin d'en faire mystère ne contestaient rien, admettaient, reprenaient à leurs compte et maléfices cette puanteur dont on les faisait dévolutaires... Alcmène prétendit que j'avais dû flairer parmi les jambes ouvertes de quelque employée logeant alors chez sa mère, et qui se fût contre toute vraisemblance assoupie sur sa chaise en position propice - or je ne me souvins d'aucune

    exploration ni reptation de cette espèce.)

    FIGURES DU PERE

    Un père tout embarrassé, contaminé, de son entrave charnelle. Amfortas ou Roi Pêcheur atteint, mehaigné d'un coup de lance enmi les hanches entendez non pas claudiquant mais oui bien dévergé, lacéré et castré, à lui tout miel et résurrection selon son rite, lorsque la terre gaste reprend couleurs de fleur et d'herbes, rameaux et bourgeons. Je consolerai ce père et oindrai telles de ses parties du corps de ce miel de natron dont on conserve les momies car il est plus grand mort que vivan ; c'est Arthus Roi d'Echecs Arcturus encore se déplaçant d'une seule case, lui dont la seule, ultime et funeste campagne ne put s'engendrer que de l'usurpation de son propre fils, qui le trancha de son épée, si bien dit la vulgate que l'on vit le ciel au fond de son corps entre les lèvres de sa plaie Arthus figé en son château de Camaalot dans une éternelle festivité d'Ascension ou de Pentecôte, premier célébrateur, Dêmiourgos de la Gnôse, crée ce monde où nous sommes entre ciel et terre) ; n'incitant ni aventure ni quête qui vaille, mais bien les ordonnant, les proposant. Tout ce qui part de lui est fondé, lui revient, en bon garant : la quête s'est effectivement déroulée puis accomplie, c'est lui qui l'authentifie, qui l'estampille. Il s'apparente en cela au dieu romain : quoi que fît en effet un citoyen de Rome, c'était sous le regard d'un dieu, trouvant pour chacun de ses gestes sa répercussion à l'échelle du firmament, où il s'inscrivait, où il se portait en ombre. Voilà donc tout ce que c'était qu'un Père : aussi bien Wotan, amoureux dépité de la race des Walsung, héros et vaincus - ou Encelade le Titan sous le poids de l'Etna, plus grand ô combien que tout dieu, ou Prométhée.

    Je fus adoré de mon père. Il fonda sur moi ses espoirs de rédemption. Ainsi les mortels sauvaient-ils les dieux ligotés de sagesse. Tout homme est en attente du Messie. Toute femme emmure et garantit le temps, de l'insititution de lanaissance au grand scellement de la mort. Or je ne fus ni le Christ ni Oreste, vengeur de son père, ni le fils dAbraham qu'il épargna, ni même Siegfried au petit pied, un Siegfriedchen. Juste, mon père et moi : deux hommes.

     

    PREMIERE APPARITION DES EURYSTHEES

    Sur l'écran qui me tient lieu de ciel et de toute réalité m'apparurent les sœurs Eurysthée.

    L'une me dit : « Tu es notre frère. » L'autre ajouta : « Dans la soumission à Dieu se trouve quelque chose de plus sacré que toute Révolte, car elle procède de la nature même de Dieu ; il y a dans la rébellion, la convulsion de mort et de défaite plus de sacré que dans la soumission, car le cri du rat

    sous la serre de la chouette s'inscrit à tout jamais dans le temps, dimension de l'homme dont le dieu, tout éternel qu'il soit, est à tout jamais privé. » Lorsque Gaston-Dragon mourut, la terre s'arrêta. Seul celui qui meurt a besoin d'un nom sur sa tombe. Qui se soucie du nom d'une divinité ? «Ô Zeus, ou quel que soit le nom que l'on te donne... »

    Innombrable est le compte de ceux qui doivent mourir.

    Père décédé, disait le télégramme. Un certain Evguéni passa pour le mort ; père de mon père pour l'anecdote, buveur, pourri d'asthme, bassiné d'eucalyptus. Le tampon de la poste indiquait '"GVIGNICOVRT". En cette époque les époux naissaient à trois lieues l'un de l'autre. Les cousinages étaient légion. Les types humains, appelés races, n'étaient que des familles : Dragon, Evgueni, un village, quel père ?

     

    PAROLES RAPPORTEES

    De la bouche de Sinne, Wisigothe : A Guignicourt, la guigne y court. 

    - Pour être satisfait de ton destin, regarde toujours au-dessous de toi.

    Proverbe : "Le vin d'Arbois, plus on en boit, plus on va droit". La carte représente un Incoyable vacillant sur son gourdin tordu. Ajouter à l'arbois le pastis (Evguéni), le guignolet pour Alphonsine. Je n'ai disait-elle jamais éprouvé le moindre plaisir avec mon mari. 

    De la bouche de mon père : J'ai assisté à des scènes, mon fils, dont tu n'as pas idée.

     

    LE ¨PETIT HOMME DANS LE LIT DE LA VEUVE

    Il parlait avec elle à sept ans, à sept heures au matin, d'une usine d'armements sous la glace d'Arkhangelsk, où luttaient les espions. C'était l'an 4004 de notre ère ; la naissance du Christ passait juste entre nous et la Création du monde. Les Martiens, disait Veuve Dragon, possèdent deux mille et cinquante ans d'avance.  Leurs soucoupes apparaissaient cette année dans le ciel.

     

    DEUXIEME APPARITION DES EURYSTHEES.

    Deux déesses blondes. Ce chapitre, où se précise la mission d'Hercule, présente des similitudes avec les indication des jeux vidéo. Gardez à l'esprit ces données fournies par le game boy, afin de ne pas céder aux désorientations. Les Jumelles Blondes empruntent leur nom à celui du commanditaire,

    beau-frère d'Héraklès, afin qu'il accomplît ses Douze Travaux. L'écran montre leur char de feu sur

    fond d'étoiles, et leur immense chevelure blonde tombe sur leurs reins : telle Yseut, ou tout autre

    princesse digne d'amour. La voix des Eurysthées offre le sensuel métallisme des reconstitutions téléphoniques, même structure hachée, voix gazées (mirliton, papier à cigarettes ?). Les Eurysthées lovées naguère dans la même poche utérine, incurvées yin et yang, deux souffles retournés aux mêmes bouches.

    Quelque chose de doux et de confus ; comme une nasse de cheveux, étouffant un peu, sur les narines. Mission : purger le Continent de ses fauves et de ses reptiles (plus tard je conclus, hâtivement, qu'il me fallait me concilier ma propre mère, en m'assimilant au père même de cette dernière, un certain Gaston ou Vaast, celui-là même qui jadis catéchisa Clovis, et périt au vingtième siècle sous les roues d'un véhicule utilitaire) (ces confusions ne s'éclaireront pas en leur temps). Pour l'instant les Eurysthées se tiennent toujours dans le ciel, sur un nuage en forme de char : cela ressemble aux chances, potion magique, nunchakus, dont on se pourvoit au début d'un de jeu ; les voici :

    1°) les armes de mes adversaires ne seront ni la peur ni la force, mais l'envoûtement, la fascination (charme, pitié, langueur...) : les compagnons d'Ulysse ayant consommé les fruits du lotus refusèrent de rembarquer, oubliant Ithaque leur patrie.

    2°) étant l'offensé, j'aurai toujours le choix des armes - les autres seront toujours dans leur tort.

    J'éprouvai une grande volupté à ces voix, contournant de l'œil ces profils sinueux ; j'aurais enfin le droit sur mon lit de mort, puisqu'il s'agirait enfin de moi seul, de crier "Assassins, assassins", jusqu'à mille fois, à tous ceux qui me soigneraient, qui resteraient vivants quand je mourrais, infirmières décolletées aux blouses transparentes révélant les slips (dans What de Polanski, l'héroïne chevauche un vieillard en relevant sa jupe : Porte du monde au seuil de laquelle retombe foudroyé l'agonisant aux yeux brisés d'extase, murmurant "Que c'est beau").

     

    MISSION (SUITE)

     

     

    - Tu feras, dirent-elles (et l'alternance de leurs voix vibra comme un écho, à la façon des anges d'Abraham) l'amour aussi souvent que nécessaire, en effet, poursuivait la seconde, loin de nous l'idée que l'abstinence confère quelque pouvoir à quelque homme.. - ...ou femme... - ... que ce

    soit". Tel Antée reprenant vigueur sitôt qu'il touchait du pied la Terre, je recouvrerais mes forces sitôt que je baiserais, non pas avec l'une d'elles mais suivant les indications qui sur un phylactère me furent données : un parchemin roulé que je trouvai passé dans ma ceinture. Mais j'espérai ne pas

    me battre : il n'est pas indispensable de recourir à la totalité des armes pour la quête, à supposer qu'il soit avantageux d'y parvenir - mais n'anticipons pas.

    Muni de ces précieux viatiques je m'apprête à combattre la terre entière, évoquant ces souvenirs dont on m'avait livré la clé, dans ces ténèbres d'avant ma naissance; réseau toutefois suffisamment précis pour que je puisse reconstituer sur ces pilotis de mémoire ma cité lacustre, popularisées par les livres d'histoire, n'ayant paraît-il jamais existé ; je me rappelais d'abord d'immenses salles de mariage, de grandes gueules de grands hommes et de femmes enjambant l'espace.

     

    COMBAT

    Puis les Eurysthées me convièrent à une lutte à trois, gréco-romaine, dont je me dépêtrai, bien qu'une fois descendues de leur char elles se fussent révélées plus musculeuses et souples que je ne pensais, et plus d'une fois leurs prises m'ôtèrent le souffle. L'Ange ayant plusieurs fois touché terre demeura vainqueur, laissant au fils d'Isaac une boiterie de la hanche en signe d'appartenance ; les Muses me tordirent à ras du sol soufflant dans le sable, et reprenant leur vol m'assurèrent que je porterais à jamais la marque d'une extrême vulnérabilité : un point particulier, peut-être du corps, talon d'Achille, ou ce point dans le dos "qu'on n'atteint jamais", que le traître Hagen transperça de l'épieu ; il n'était pas inéluctable cependant que je dusse périr un jour de la sorte.

    Je me relevai horrifié, fortifié : il se dégageait de mes épaules une pénétrante odeur de tilleul, dont la feuille marquait la fragilité de Siegfried, mal baigné dans le sang du Dragon – sexe de femme entre les épaules ? je n'avais ni massue ni glaive. Dans mes vies antérieures affleurant peu à peu je ne combattais qu'à mains nues, craignant à juste titre que l'adversaire ne retournât mon arme contre moi ; je recherchais le corps à corps et la morsure : "il se bat comme une fille", disait on ; j'en étais fier. Mais je refusai d'être une femme, afin de ne pas échanger une prison contre une autre. Les Eurysthées en songe m'approuvèrent : la confrérie des femmes exige en effet des contraintes bien plus fortes que celle des Héros.

    Je ne saurais ici poursuivre la relation des entrevues que j'eus souvent avec mes Eurysthées ; elles me visitèrent tant qu'elles flottaient pour ainsi dire et flottent encore autour de moi comme une cape d'invisibilité, die Tarnkappe.

     

    MA VOCATION DE PRETRE

    C'était une bien belle église à GVIGNICOVRT. Enfant, bigot, bien coiffé, j'escaladai par l'abside la pente argileuse et couverte de ronces d'où tombaient, pressés, impérieux, les premier, deuxième coups de la messe ; je dérapais dans mes souliers dominicaux, serrant dans mon poing une image pieuse où l'on avait cousu - c'était un scapulaire - un vrai coupon de la robe à

    Marie, un carré brun de bure. Je priais en pestant contre la boue, l'âme pure et les pieds sales. Et franchissant enfin le porche, par la grande entrée de tout le monde, je constatai que pas un putain de

    paroissien ne s'était encore déplacé. Déception, mais fierté : j'étais le premier de l'ekklésia. A la fin de l'office j'ai attendu le prêtre dans la sacristie ; les enfants de chœur passaient par-dessus leurs têtes de ploucs leurs soutanelles rouges à dentelles sans mesurer un seul instant l'honneur insigne qu'ils avaient eu de servir la messe, au plus près du Seigneur.

    Avec quel orgueil n'ai-je pas déclaré à l'homme de Dieu :

    «  Je veux devenir prêtre ! » Il ne m'écouta pas. Au lieu de s'extasier, de m'accueillir en son giron comme un exemple à suivre ("Voyez ce jeune garçon! il n'est pas comme vous ! il sera

    prêtre !") avait grommelé je ne sais quoi, impatienté par mes souliers sales, et mon odeur de brillantine.

     

    MA MERE EN DELEGATION

    Il me revint de racheter les pleurs de ma mère : toute jeune en effet à GVIGNICOVRT ma propre mère, privée en son temps des funérailles de sa propre mère, fut déléguée en rattrapage aux inhumation paroissiales, son père Gaston Dragon manquant de temps, Fernande, la seconde épouse souffrant de mélancolie.

     

    MA MERE EN REPRESENTATION

    ...Me faudra-t-il un jour, et pour le peu de temps qu'il me reste à vivre, revenir à GVIGNICOVRT (telle était l'orthographe au fronton de la mairie) me placer à l'endroit précis où branlaient, perchés sur leurs tréteaux, les cercueils pleins accompagnés par ma mère, afin d' y flairer cette amorce de macération - sentie le lendemain même de son propre enterrement – espace

    que rigoureusement ma mère

    m'interdit de nommer ici -

    plus tard occupé par la boîte obscène et définitive cette fois d'Alcmène ma mère en cours de sournoise décongélation, ayant refusé l'immortalité proposée par Zeus, dont j'avais encore en moi l'image fraîche et d'un rose malsain [il manque un bout d'oreille - chuchotait ma fille

    épouvantée - papa, regarde] drapée dans la robe de chambre à ramages orange déjà collant sur ses chairs suspectes – lieu suspendu à 120 cm du sol où je sentis, physiquement, le lendemain de

    la cérémonie, les vibration, substance et subsistance d'une masse exactement coïncidant avec cette figure volumique de chêne verni fantôme dont mon instituteur de père m'avait bien auparavant transmis la dénomination magique : parallépipède rectangle.

    Ma mère désirait ; désirait des obsèques qui fussent religieuses. Sur son corps le prêtre agita le goupillon – "si nous n'attendions pas, mes frères, la résurrection, nous ne serions pas ici réunis autour de ce cercueil" - et je reconnus bien là une réplique à cette exaspérante faconde de mon père qui cabotina sans doute en secret avec ce prêtre - "je ne crois pas lui dit-il à toutes ces

    histoires de résurrection, de Bon Dieu, de jugement" - du ton faraud de celui qui suça le lait sûri de l'Ecole Normale et républicaine.

     

    DE MA MISSION, ET DERECHEF

    "Tue le Dragon » dit mon père ; « délivre-nous toi et moi en atteignant Gaston où qu'il

    se trouve, Enfer ou Ciel. Jamais, mon fils, jamais en effet ta mère, telle que tu l'as connue, n'a pu admettre que je fusse équivalent en quoi que ce soit de son père des Terres Guastes. Si tu t'assimiles

    Gaston-Dragon, que tu te baignes dans son sang, il te révèlera son règne et sa longévité - car il survit n'en doute pas malgré son crâne écrasée. Tu deviendras lui, et il deviendra toi, et vous ne serez plus qu'un, moins maléfique pour moi car je sais que tu m'aimes. Pour toi tout bénéfice ; pourvu de toute supériorité tu consoleras, tu valoriseras ta propre mère la tête haute, ton père désormais plein d'estime, et toi-même seras Fondateur.

    "Il n'est pas exclu que le cycle se reforme parmi ta descendance - que t'importe ? » Il n'ajouta pas que j'aurais enfin dénoué les générations, devenant ainsi père de mon père et de ma mère. Je ne promis rien et fis bien ; mais il me défendit de l'imiter, voire de me soucier de lui ; ce qui fut impossible.

     

    ENQUETE

    Consultant alors les Eurysthées j'appris :

    que Gaston, fervent joueur d'échecs, initia son gendre mon père à ce jeu pendant neuf mois d'état de

    grâce après les noces ; mais que jamais du vivant du Dragon, je veux dire avant que la roue du Grand Véhicule n'eût fait éclater son crâne matériel, mon père ne l'avait vaincu - la diagonale de l'Evêque ( Bischof , le fou en allemand) surgissant de l'angle adverse sans qu'il eût jamais pu parer la Tenaille de la Mort...

    chose ignorée de tous les acteurs de cette histoire, que l'Homme des Terres-Guastes ne pouvait se fléchir que par le recours à la Femme ; à tout homme il ne laisserait nulle chance, et le combattrait à mort, spirituelle s'entend, après quoi rien ne subsiste ; mais la chose tourna d'une autre manière.

    En ce temps-là je consultai beaucoup sur Gaston-Dragon seul témoin, seul pilier, fondateur, destructeur. Ma mère s'écria : "Jamais mon père ne m'a manqué de respect" - hélas Lotharingienne Alcmène il est tant d'autres façons de manquer de respect à son enfant.

     

    LES EBRANLEURS DU MONDE - ENOSICHTHONES

    Mes investigations menées à bien (dans ce lieu idéal où l'on ne mange ni ne dort, où l'on

    demeure sans cesse éveillé sans éprouver la moindre fatigue, où le temps lui-même obéit à des lois inconnues) j'eus à nouveau la vision des ébranleurs du monde : Héraklès encore parut en ses dimensions véritables, torse nu de trois-quarts, tête, épaules - moi spectateur effaré contemplant cette expression massive, dominant de la barbe et des bras musculeux (je le revois encore) la plaine brumeuse où fuyaient les foules en chariots, traînant leur exode éperdu sous les cuisses mêmes du monstre (de Francisco Goya y Lucientes ?) - je le vivais en ma vision, ce tableau, de toute ma frayeur ; si le monstrum (latin : signe des dieux, qui proprement démonstre leur puissance) se retournait ? de quelle rage sanguinaire...

    Devais-je en vérité m'affronter à cet homme, à ce Colosse, afin de refonder l'Harmonie de leur Monde, en recousant leurs lèvres et les miennes ? je réfléchis à tout cela.

     

    DIEU EN SOI

     

    Rien ne garantit que l'intuition, ou la raison seules, m'eussent mené sur des voies

    assurées. Car l'ignorance et la malédiction humaine l'emporteront toujours. Merde aux prédicateurs et aux maudits, donneurs de leçons. De Gilgamesh à Faust, la seule chose qui compte c'est de me garantir, moi seul animal dit-on qui sait que je dois mourir, contre toute mortalité : "Si vous goûtez de cet arbre de vie, qui est au milieu du jardin, vous mourrez". Nous avons goûté, nous sommes morts. « Vous connaîtrez le bien et le mal » nous sommes bouffés par Différence. Et vous serez « comme des Dieux » : contradiction – tout dieu fusionne toute différence. Ou bien : toutes contradictions poussées à l'extrême et cependant fondues ; aussi toutes découvertes de sont à la fois plus grand blasphème et mort du dieu, car il n'est plus de Dieu, car il n'est plus de mort. Abrotoï, dit le grec, privés de nourriture, privés de Brot, le pain.

    Que dit Alcmène, mère mythologique véritable d'Héraklès : : "Ne me parle pas de ne pas mourir tant qu'il y restera un légume immortel" (à Zeus, Amphitryon 38" Acte II Scène 3), car s'il n'y a plus de mort, tenant compte des infinités possibilités de l'infini des temps, toutes les virtualités successives de l'homme, voire concomittantes, se réaliseraient, il n'y aurait plus besoin de plusieurs hommes, et je serais homme-dieu - peu importerait alors qui je suis, peut importerait mon nom. J'aime donc qui je suis maintenant, ici, nommé, dans ma mort, mon corps et ses déplacements, et je saurai ce qu'on met sur ma tombe : Ci gît Héraklès, homme de lettres - les deux dates et le trait d'union. C'est donc pour l'épitaphe seule que je relate les obsèques, pour le nom, et non l'immortalité, son exact contraire.

     

    LA MORT DU JUSTE

    Gaston-Gustave Le Dragon (1885-1945) mort sans que je l'aie frappé. Rentrait du bistrot en faisant gueuler tous les chiens attachés du village et tous les hommes qui gueulaient ce con de Dragon. L'affliction ne s'applique pas à l'injuste qui dit Si ça ne me fait pas de bien, ça ne me fera toujours pas de mal en parlant des derniers sacrements de l'Eglise. L'affliction vole à Gaston maître-chien contremaître de chiourme haï de tous crâne broyé sous le camion-benne comme tous ceux de son espèce dur à soi-même dur aux autres. Je suis tendre à moi-même. Que de la dureté pour moi les autres se chargent.

     

    LA TUNIQUE DU MORT

    Sa mort me ronge à la façon de la tunique de Nessus enduite de poison ; corrosion de la chair ; incorporation ; fusion tel tissu synthétique repassé sur le bras brûlant. Revêtu, investi désormais de la Chair de Dragon, front, mâchoire, jusqu'à l'étreinte de la taille – rivalisant avec un mort ce qui est tout autre chose que ces modèles Arthur ou Cophétua le Méhaigné - dont la lance cisailla le sexe –

    celui de mon père était l'harmonie même - il est beau de donner dans un premier temps les Oracles à déchiffrer (Paroles de Dragon), objets qu'ils sont depuis des lustres de vénération. Or ces formules, communes à tous les gens de terre du pays lotharingien depuis maintes générations, témoignent en second lieu d'une inanité tyrannique.

     

    D'UNE MISSION PEUT-ETRE DERISOIRE

    Vantardises. Admirations irraisonnées dont ma Mère nimba les moindres proférations du Dragon son père ; imitations en vérité religieuses, pour autant que la barrière des sexes en laisse percevoir ; mais : s'apercevoir en définitive que tout cela se soubasse, ne trouve son substrat, que sur un amoncellement, sur un ciment d'atavique et soupçonnée sottise. Voilà toute une vie brûlée. Sotte prérogative de la mort.Trop tard. Comme si Mort tendait à bout de bars son flambeau à Vie.

     

    DE LA FRATERNITE - DE LA TRANSMISSION

    L'homme vit seul. Sa seule vie, sa seule existence est de se contempler. De s'envoyer l'un à l'autre, de s'échanger d'ineffables signaux. Ineffables : qui ne peuvent se dire ; ici, voici un homme ; ici, je suis un homme ; regarde-moi, interprète-moi. Cri du corbeua, cri de l'outarde en compagnies, avant qu'elle s'envole ou se repose. Cris d'identité, valeur phatique, emphatique, empathique, de la proclamation. C'est ainsi, ici, un homme - ici, un homme - regardez-moi, je vous regarde - d'une ignorance à l'autre, d'une fraternité perdue à quelque pressentiment d'espèce, tels ces appels d'oiseaux fondus parmi les brumes en vue d'une destination commune, que s'établissent les liens sociaux, et quelle immense déception lorsqu'on découvre, en son âge tendre, la cruauté.

    Le corollaire de ces conditions est qu'il ne sert à rien, en vérité, de connaître un homme. Connaître un homme ne sert à rien, n'apprend rien.

    DU MAGNETISME – DES PÔLES

    Gog et Magog : dans les littératures juive, chrétienne e tmusulmane, personificaiton des forces du mal. Précisons que les Ecritures les peignent sous les formes d'une double montagne.

    Rappelons que les forces juvéniles d'Héraklès défirent au berceau les Deux serpents d'Héra. Que l'adolescent s'il veut vivre écrase la tête de son père et de sa mère. Que les émanations du Dragon mort ici pestilencisent et faussent les vibrations courant de l'un à l'autre entre Gog et Magog le père et la Mère, les adultèrent et les frelatent. C'est à l'enfant de déjouer au-delà, en deçà des magnétismes parentaux les frémissements antérieurs, la menace antérieure et diffuse du Dragon,instillée, renforcée par les antagonismes de Gog et Magog.

    Père et Mère transmettent leurs conflits je demeure couvé sous la menace immense où nous avons vécu. Vastes orages (Saint Vaast des Terres-Guastes), mous et inéclatés, brumes infiltrées au sein des chairs. L'esprit méphitique de Gaston-Dragon, non tout à fait mort ni dissous, sans absolution ni reçue ni donnée – règne un grésillement à la fois pesant et délétère, dissolution de nerfs ; poursuivant ma voie je parviens au pied des monts jumeaux dans le pli organique et chancreux nommé Guignicourt - à Guignicourt la guigne y court.

    UNE VILLE ETRANGERE ET DETRUITE

    Plus tard je vis dans une ville étrangère et détruite où toits et terrasses abondent de ces herbes au suc jaune, l'herbe aux mendiants, qu'ils appliquaient sur leurs plaies pour les ulcérer. Voilà ce qui se cache en vérité dans les contrées d'arrière-gorge : une telle cité aux crépis gris et jaunes, parfois vieux rose, échappée aux combats et tapis de bombes, souffrant sur son asphalte une

    irruption de vieux hommes niant les exactions qu'ils avaient prodiguées : aux Polonais, aux Hébreux : "Les prisonniers marchaient sur deux colonnes ; peut-être y avait-il des exécutions sommaires (Hinrichtungen) dans l'autre colonne. J'entendais bien des coups de feu. De mon côtéje n'ai rien remarqué."

    Vienne. Décor de fantômes, dédale concentrique et poudreux où survivaient vieux hommes et vieilles femmes terroristes aux yeux vides cachant sous leurs cabans des armes enrayées, non point tant enrayées toutefois qu'elles n'exécutassent de loin en loin quelque cibles choisies pour leur jeunesse, pour leur beauté ; je me souviens de certains noms abandonnés, Arrigo, Nadia. Martino, des territoires irrédentistes. Autant de morts sans traces ; mais c'est de Roswitha, de son deux pièces ouvert été comme hiver sur les deux voies d'un pont autoroutier tout vibrant de vapeurs délétères, que partaient les ordres de liquidation. Roswitha portait une perruque rousse et

    bouffant sur le crâne, dont ses volutes sales couvraient à peine la calvitie. Je la surnommais "Robespierre", dont certains affirment sans preuves qu'il s'agissait de ma propre mère ; l'Hôpital Général (Allgemeines Krankenhaus) vantait encore le souvenir de son extrême compétence d'infirmière lorsqu'elle officiait, jadis, dans la section des grands vieillards. De retour en France j'écrivis à ma mère une carte postale, où je disais que son prénom ferait l'objet d'une imagination en cours, un roman, dont elle porterait le titre : Roswitha. Je ne reçus pas de réponse : depuis quand les Sibylles répondent-elles à ceux qui les consultent ?

     

    DE GOG ET DE MAGOG

    Ce sont les monts jumeaux de tous les maux ; partout sur mes chemins extérieurs ou secrets il m'incombe de recenser, de débusquer sur Gog et Magog, féconds en ravins, les taureaux et les hydres – ces deux montagnes en vérité s'enlevaient d'un coup sur la plaine comme deux seins, aiguisés, ravinés. En vérité j'œuvrais pour la civilisation même. Dans le réseau d'étroites tranchées unissant Gog et Magog, je rencontrai souvent deux créatures malheureuses et méphitiques, Père et Mère, s'efforçant en vain de me retenir : la fascination de l'enfance et du malheur passé - "Eh oui", gémissaient-ils, sans fin, d'une longue intonation fascinante.

    Ce fut entre Gog et Magog, symbolisant le Mal dans les mythologies hébréo-chrétiennes, que s'étaient déroulées ces tortures dont je fus l'objet; sous les yeux ronds cerclés d'or, sous les phares chromés du tracteur "Masey-Ferguson", image au mur, sous cellophane, Calendrier Perpétuel.

     

    LA VEUVE EN SA CUISINE

    Etait aussi présente à ces tortures la Veuve de Gaston-Dragon, Seconde Epouse, Survivante, les traits carrés d'une calandre, jamais ne se départissant de la solennité du rôle :

    indélébiles contusions qu'imprime un décès violent sur les traits mous d'une vieille grosse ; le sceau de l'Epreuve sur la face. Seule justification d'être (les enfants compatisssent peu – cet âge est sans pitié). Dans sa maison de GVIGNICOVRT gisait la cuisine, entre quatre murs gluants d'épais badigeon vert, très cru, jurant, parois sur lesquelles, faisant maigre pendant à la cuisinière qui ronflait à plein régime en plein été – à peine achevé le repas de midi nous devions préciser ce que nous voulions pour le soir, afin que tout se déroulât d'une mangeaille à l'autre dans l'orthodoxie ménagère - se détachait une pendule carrée, d'un vert plus pâle.

    Il en tombait en cliquetant secondes et minutes, tac, tac, tac, lentes saccades,

    mitraillette à vieux. Tout vivait encore au temps du disparu

     

    L'ENFANT, LE TEMPS

    J'ignorais qu'il fût si proche, qu'il m'eût tenu dans ses bras : le temps commence à ma venue au monde. L'atelier du Dragon demeure maniaquement rangé. Gouges, poinçons, chignoles

    par ordre de taille sur le mur. Et l'établi couvert de cicatrices. Couturé. Gaston-Dragon mort voici huit ans, l'éternité ! laisse en héritage une meule verticale. Que je lance et fais tourner, accélérer, s'éteindre à la façon d'une rame de métro – j'ai visité Paris dont la vie souterraine m'a pénétré de ravissement : je pouvais donc enfin m'échapper - mes souterrains s'étendaient à l'infini, perdus à l'extrémité clignotante de longues lignes perdues - j'annonce devant la meule mes stations à haute voix.

     

    L'ENFANT, LE PECHE

    Le temps de la question sous les yeux cerclés d'or du Masey-Ferguson survient deux ans plus tard – le temps est immobile - quand je crois bon d'avouer à ma mère - n'est-ce pas dans ce gros volume d'Histoire Sainte – comme ça tu nous foutras la paix - que je découvre entre deux gravures - Massacre des Macchabées / Daniel dans la fosse aux lions - l'assertion sans réplique les bons enfants n'ont aucun secret pour leurs parents - de confier à ma mère dis-je l'étrange chose que nous commettions cousine Berthe et moi dans cet autre village - ah ! ce sont là de bien étranges époques pour vous autres, vous - mais de quel droit, comment pouvez-vous dire sans frémir "et le vert paradis des amours enfantines" ...? Cousine F. - qu''elle soit bénie, et à jamais - se branlait au-dessus de moi, loin, très loin, très longuement et vigoureusement, comme font les filles seules, sans révéler jamais, sans croire bon jamais de m'expliquer ce qu'elle accomplit là, tandis qu'en elle-même j'attends qu'elle s'achève, sans jamais révéler à l'enfant quel plaisir elle se donne. On me cachait des choses. Forcément, à un gosse.

    Juste avant je faisais mes prières, "Notre-Père qui êtes aux cieux" disait Gaston-Dragon (« ...des fois si fatigué qu'il avait juste le temps de dire : "Notre Père » et plouf ! il s'endormait.") - on les recommencera les cochonneries d'hier soir ? - Tais-toi, tais-toi si tu veux qu'on puisse continuer - toutes mes prières, toutes les prières que je savais je les récitais Confiteor compris me vidant, me vidant l'esprit pour m'étanchéifier; pour me dédoubler; pour me dédouaner,

    m'insensibiliser. Juste après l' « acte de contrition ». C'était bien. C'était merveilleux. C'était extraordinaire. Bien que je ne connusse pas l'éjaculation. Ou puisque. Puisque je ne connaissais pas

    l'éjaculation.

    Sous le Calendrier Masey-Ferguson aux phares cerclés d'or jumeau ma mère feignit d'étouffer devant la Veuve en se couvrant les yeux de son mouchoir : "Mon Dieu !" - quel Dieu ? - mon père écœuré m'évita. Toute information épargnée. Lorsque j'apprends un jour qu'ainsi se font les enfants jene veux jamais croire que je suis né au prix de cette ignominie, j'ai été assurément le

    seul de toute la terre seul suffisamment dépravé pour imaginer semblable saleté, d'introduire son sexe dans le sexe d'une fille, fille du frère de son père – la chose est en vérité si lointaine que j'ai

    grand tort, promis à de si hautes destinées, de m'y attarder aussi sottement.

    72

     

    MÔSSIEU PUJADAS

     

    C'était pendant la préhistoire ; lors d'une certaine campagne présidentielle. M. Pujadas présidait avec sa petite tête de Playmobil et sa perruque Groland. Vint à s'annoncer le résultat de la commune alsacienne appelée Ringelsdorf. Ce fut le boyautage sur le plateau. Quoi ! Etait-il possible, grand Dieu, ma chèèère, qu'un village pût s'affubler d'un nom si ridicule ! Et notre Pujadas de se contorsionner, de tordre en tous sens son sphincter buccal, pour articuler “Rinn ! Gueulsse ! Dorfff !” “Eh bien, ajouta-t-il finement, ça sert, les élections ! Au moins, on apprend sa géographie !” - ce dernier mot prononcé sur un tel ton de mépris, avec des grimaces du plus beau simiesque, en se tortillant le cou et les deux épaules à la Jean Gabin-Gueulard, que tout téléspectateur avait bien compris : non, décidément, un bled au nom aussi con que Ringelsdorf n'avait pas sa place dans une quelconque géographie, et que de tels ploucs ne représentaient assurément pas la Race Française...

    On accordait vraiment le droit de vote à n'importe qui... Ma fille s'appelle Sonia. Une élève s'exclama “SoGNA ColliGNON, ça fait moche.” Il lui fut répliqué en pleine poire : “Quand on s'appelle Raton, on ferme sa gueule.” Très juste. Ou Tartempion. Ou Dupont-Durand. Ou Collignon.

    Ou Pujadas.

    Tu pues, jadas. Wawawawawa !

    ...Le même qui nous a informé plus tard que les cendres de Béjart seraient dispersées sur la plage d'Ostinde, parfaitement, Ostinde... N'a-t-il donc jamais entendu parler du fameux proverbe belge “Pour l'Anvers, il faut que mon os tende” ? Et c'est pas tout : on découvre dans les Côtes-de-Poivre-d'Armor un trésor gaulois “datant de la Guerre des Gaules, en 70 avant Jésus-Christ” ! Non, Dugland : en 52. Marignan 1497 qu'est-ce que vous en dites ? Evidemment le commun des rappeurs n'en a rien à foutre ; comme on dit au Congo, on Sambalek. Avec mes exigences de trouduculture générale pour les présentateurs, je fais Supervieuxcon. Eh ben parfaitement. Et j'te merde. ...Ecoute, écoute (Robert Lamoureux) ça n'a pas de fin : Pujadas vient de recevoir le prix récompensant le journaliste usant de la meilleure langue française... Au pays des aveugles...

    A LA DEMANDE GENERALE DE MONSIEUR JDLGSEDGPSGDA, voici quelques impressions de mes petites errances de fauché-voyageur, qu' “aimerait bien avoir l'air, m'ais qu'a pas l'air du tout”.

     

    PETITES ERRANCES

    BURGOS 2003

    C'est bien ici, à Burgos, que j'ai préféré siroter du vin vieux avec des vieux, contre un tonneau debout, plutôt que d'aller m'en jeter un dans le troquet d'à côté avec des Mickeys de vingt berges. Même chose à Sagonte (« Sagunt » en “valencien” : ces langues prétenduments vernaculaires m'ont toujours profondément agacé ; à Bilbao, capitale du Pays Basque, je n'en ai pas entendu un traître mot, bien que tous les panneaux fussent scrupuleusement bilingues) ; jusqu'à Bergerac, en Périgord, qui s'est crue obligée d'y aller de son petit panneau « Brageira », alors que le dernier petit vieux susceptible de jargonner le patois s'est éteint depuis plusieurs dizaines d'an-nées, comme ils disent...

    A Sagunt, d'où partit Hannibal, je vis donc ce soir-là une immense place envahie par toute une tribu, sortie d'on ne sait où, plus de mille jeunes campés sur leurs deux pieds mains dans les poches de leurs vestons trop clairs et cacardant à qui mieux mieux (le castillan, si noble, si courtois, si empesé, devient, manié en foule, un véritable bruissement de basse-cour, famille des anatidés : autant de nasillards canards). Je l'avais déjà constaté, au grand détriment de mes tympans, au pied de ces affreux immeubles directement empilés sur le sable de plage, d'où s'échappaient par les fenêtres empestées de fritures et de chorizo de véritables bourrasques d'oies en partance ou reprenant des forces sur quelque banc de marée basse ; les immeubles assurément s'apprêtaient à battre des ailes avant de s'enfoncer à-haut dans le ciel bleu.

    L'industrie du bâtiment là-bas s'envole encore comme en 90 : pesants balcons sur quatre côtés sur douze étages. Mais pou ren revenir à Sagonte, j'ai ce jour-là le tif trop long, la démarche trop souple. J'ai fui cet infini quadrilatère où caquetaient les insolents de tous sexes. Et à Burgos, ils étaient deux seulement, à s'être simplement poussés du coude, puisque je ressemblais exactement à ces mannequins mâles des Soixante-Dix, avec pat' d'eph et crinière dégoulinante – vous suivez là ? Burgos – Sagonte- la plage – Sagonte- Burgos ; comme dans les récits emboîtés du Quijote. Re-Bergerac à présent. Pas trop perdus ? je vas-et-vient. C'est le thème du Décalé aujourd'hui. A Bergerac (bis) je me suis croisé avec mon double. Un revenant vêtu d'un jean en plein cagnard, mains dans les poches, l'air piteux et le bassin chaloupé. Décalage d'époque. Jumeau. Erreur d'époque. C'était si dingue comme ressemblance que j'ai eu envie de l'inviter mais nous avons baissé les yeux tous les deux pour ne pas s'aborder, parler de nous et finir ensemble au pieu, on ne sait jamais. Avec l'attendrissement. Voilà ce que ça m'inspire, Burgos, où je viens de me prendre un P-V de 60 € pour stationnement interdit... Ils me le feront suivre en France, ces enfoirés. Vive l'Europe.

    Allez on reste en France. LA CHAISE-DIEU, juin 2005. Moi j'aimerais bien voyager tout le temps. Mais je veux le confort. Et avec ma paye, c'est râpé. Je tiens le journal du voyage. Pour y aller, puis ça s'arrête en plein milieu, parce que j'ai la flemme d'aller jusqu'au bout. Douillet, Flemmard et Fauché Associated. So it is. C'est comme ça. Le six juin deux mille cinq, je suis parti le matin (tin-tin-tin, Renaud). Une ligne de bus conduit directement de chez moi à la gare. C'est ça qui fait monter le prix des terrains. Je ne me souviens plus de ce trajet. Pas la moindre exaltation. Avant de prendre le train, j'ai acheté « Marianne », qui portait en titre « Rébellion », en grosses lettres rouges, sur le triomphe des adversaires à la constitution européenne. J'ai voté oui. L'Europe doit avoir une police, une armée, pour foutre dehors les bougnoules. Ça c'est de la motivation. Eviter le choc des civilisations ? Mais ça fait longtemps qu'il a commencé mon con. Dépiaute ta cataracte tu verras mieux. Dans mon wagon, une fille à petite poitrine occupe le siège à côté du mien, contre la vitre. Le nombre de jeunes filles que je rencontre dans mes déplacements tient du prodige. Il y en a partout. C'est comme les immigrés ya plus que de ça (humour) (quoique).

    Celle-ci s'est enfoncé un écouteur dans l'oreille et je n'ai rien dit. Elle se fout complètement de moi, normal, j'ai 60 ans. Vers Périgouille, arrivée d'une jeune femme, ving-cinq ans cette fois, dépucelée celle-là. Tout à fait décidée à choper la place de ma voisine, qui occupe le 13 au lieu du 23. Elle émigre en face et je lui succède, sur l'empreinte de son cul. La vieille jeune déclare en effet : « Je vais encore être désagréable, mais le côté fenêtre, je ne peux pas. » Qu'à cela ne tienne, je me colle à la fenêtre. Et surtout je ne la regarde pas. C'est qu'attention, 60 ans ou 25, on ne les regarde pas comme ça, les femmes. C'est pas des objets.

    Du coup comme elles respectent aussi les hommes, elles ne les regarde pas non plus. Comme ça tout le monde se fait la gueule et on est tous civilisés. C'est vrai ça, les voyages c'est fait pour faire des rencontres. Peau de zob, oui. Ma nouvelle voisine se plonge dans des articles de revue sur le chômage. Les deux gonzesses antagonistes descendront à Limoges. Je n'ai rien de définitif à dire sur les gonzesses de Limoges en général. Mais jusque là je me serai toujours bien occupé l'esprit – enfin l'esprit : à quoi elles pensent ; de quoi elles ont l'air à poil, au-dessus de l'échancrures des manches, en dessous de l'élastique du slip. Avec de blanches étendues de chair et le cratère aplati qui leur tient lieu de sexe. Le mien serait d'ailleurs plutôt du genre lapilli (“projections volcaniques de petites dimensions, entre 2 et 64 mm” - enfin 2, tout de même pas...) Plus tard vers Clermont (c'est long, c'est plein d'arrêts) je ne détrompe surtout pas ceux qui pensent que tout est réservé. Je me sors mon petit jeu d'échecs à pièces magnétiques, qui intrigue une autre jeune fille. Tiens, je devrais bien draguer avec mon jeu d'échec ; sûr, ça marcherait d'enfer. Elle racontera cela le soir en arrivant ; et comme j'attire son attention, la voilà qui se pose du vernis à ongle, une âcre odeur se répand. Un partout. Il paraît que tout le monde veut faire l'intéressant en train. C'est Daninos qui a remarqué ça dans les Touristocrates je crois.

    Putain même plus dans le dictionnaire le Daninos... Moi je l'aurais bien fait en 58, l'intéressant, lorsque je partais avec papa-maman pour Tanger. Hélas, une bande d'excités juste à côté se tiraient encore plus loin, à Fez, tout le wagon était au courant. Je n'avais plus qu'à fermer ma gueule. Aujourd'hui je monte dans la navette St-Germain-Clermont. Encore une femme, en face, la quarantaine bien engloutie. Avec les femmes, c'est facile : tu leur demande la permission de les prendre par les épaules et tu les serres très fort ; ensuite elles t'emmènent chez elles et leurs étreintes sont torrides. Surtout à 50 ans. C'est plein de volcans près de Clermont. Mais moi, je pousse à Brioude. Je ne vais tout de même pas foutre mon évasion en l'air pour me prendre une gamelle... D'ailleurs la petite ligne de Brioude est super-équipée, bien mieux que moi ça c'est sûr, un vrai petit bijou de navette (c'est de la rame que je parle, imbéciles). Le contrôleur me dit quelque chose que je ne comprends pas.

    Je fais le signe du sourd autour de mon oreille mais ça devait être du genre "Vous occupez deux places et vous n'en payez qu'une" – bien vu - je me rectifie. Deux très jeunes filles de dos devant moi. La ligne de leur nuque, sans cédille (“la nuc”); cet espace infiniment velouté, infiniment émouvant, juste sous l'angle de la mâchoire, où l'on voudrait poser sans fin les lèvres. Une troisième, en face. Fille, pas lèvre. Les deux invisibles s'écoutent un baladeur à écouteurs jumeaux – douze, treize ans ? la plus jeune montre à sa copine (sa sœur ?) une carte d'anniversaire

    avec dessins d'enfants et petits cœurs. Elle croit encore que tout le monde est gentil, surtout les garçons : “Tu penses que ça lui fera plaisir ?” Descendues en cours de route, elle s'assoient sur un bord de ciment au pied d'un transformateur.

    D'heureuses parents viendront les chercher, les enfermer dans leurs petites familles – Nabokov, Nabokov ! - je déteste Nabokov : surfait, mal traduit, plat. A Brioude, chargé de mes deux

    valoches, je bêche l'hôtel miteux très cher juste en face de la gare. Je vais au centre, les poings serrés sur les poignées comme leur nom l'indique. Chambre au deuxième, tourner la clef deux fois à l'envers. Une salle à manger au premier, toute raide, le couvert mis depuis des semaines style Bal du Comte d'Orgel – coucou Pujadas ! Alors pour faire peuple (épapipeul), je demande au bar si le repas a lieu "là-haut" ou "ici". - Ici". J'ai bien fait. Malgré l'étonnement poli du garçon (38 ans, petit brun), je demande à être servi à l'intérieur.

    Pour la vue sur flanc de bagnole je suis aussi bien dedans c'est claiaiair. Bouffe honnête, “routiers”, j'en ai derrière moi justement, qui parlent métier avec des intonations d'enfants ou de braves gens : conditions de travail et de revenus, sans aigreur. Merci patron. Je suis allé me promener après le repas, d'abord sous la pluie. Ce que j'ai remarqué : Brioude est une ville mal foutue, sans plan d'urbanisation, gros bourg grossi par les siècles. Rien de pittoresque, une basilique Saint-Julien fermée, et mon bourdonnement intérieur : "Je vais réussir à me perdre à Brioude, et il faut le faire". Une espèce de demi-fou m'entend par derrière, croit que je lui adressais la parole, je le détrompe avec des mines effrayées : avec mes airs naïfs pour ne pas dire couillon, gare aux abordages pédés pique-assiette. Je ne veux plus entendre parler d'homos, d'originaux, de drogués, j'ai assez avec moi-même, dès que tu leur parles ça devient tout de suite revendicatif. Une deuxième silhouette du même acabitte - faux soixante-dizards et faux clodos doivent pulluler ici, en été. Il faudrait ne pas bouger de chez soi tout juillet-août.

    Comme je n'ai pas de télévision, et que je dois me lever aux aurores, je me suis contenté de ma petite radio ; la patronne serait debout dès cinq heures et demie, et les routiers m'avaient bien expliqué tous les horaires de car, avec leurs arrêts, "là derrière, pas loin". Mais je ne suis pas d'ici. Je me fixe un petit 6 h à la gare même. Donc à 5 h ½, j'aide moi-même la patronne à descendre les chaises des tables ("vous permettez ?"- ça fait peuple, serviable), et je me mets en route à travers la petite ville aux premiers passants parmi les poubelles. Je demande au boulanger en short sur le pas de son fournil si je dois prendre à gauche ou à droite d'un chantier, avec ses échafaudages. Je dois

    progresser juste devant ses yeux en gardant l'air naturel, lui dire par exemple, sans qu'il m'ait rien demandé, que je prends le car vers Le Puy. A l'horaire qu'il m'indique, le car est déjà parti. Mais je ne me presse pas. Ou j'ai mal compris. Le chauffeur a 40 ans, brun, mince, portant beau. Les passagères sont des dix-sept/ dix-huitenaires qui le tutoient avec une familiarité titillante. Il m'est demandé si j'ai une réduction, je dis que je ne sais pas, le chauffeur me répond que ce n'est pas lui qui va me le dire. Elles sont si jeunes que je n'ose exciper de mon âge pour demander une réduction-de-vieux. Tout le long du trajet, les conversations vont se succéder, où l'on ne parle que de cul sans en parler. Disons directement. Le chauffeur s'appelle Tonio. Les filles le houspillent, lui parlent de ses nuits blanches, de sa petite amie, de leurs petits amis, de la pluis et du beau temps aussi, bien des sottises d'adultes se seront échangées, bien des insipidités.

    Telles qu'elles en diront plus tard, quand elles seront devenues dures et âpres au gain, comme le laisse deviner certain profil de mâchoire. Mais je sais de quoi l'on parle avec des jeunes filles : "ce ne sont que des copineries", mais je sais bien, moi, pour l'avoir pratiqué des années durant pendant ma carrière de prof, que l'on parle de cul, de cul, et exclusivement de cul. De branlette. De la vitesse et de la précision dans le doigté (der Fuch, enrichissez votre vocabulaire. Mais juste la pluie et le beau temps - c'est la voix qui fait tout, c'est les agaceries vellaves (“du Velay”, salut Pujadas !) J'ai aimé un nombre incalculable de jeunes filles.

    Je leur ai imaginé à toutes le sexe et la technique. Celles-ci se rendent aux exams, au bac peut-être, un bac marchand, un bac de montagne. Ou de secrétariat. Je repense à ces filles agglutinées chacune avec son mec sous les porches d'Oloron-Sainte-Marie, le dimanche soir avant le retour au pensionnat. Le soir ce serait chacune sa chacune... J'ai toujours trouvé ça vachement bien d'être une fille... Une toute petite avec du rouge dans les habits monte dans le car, elle me sourit, comme quoi il y a des vieux qu'on trouve sympa, même et surtout sans coucher. Mes seuls succès féminin, à tout âge d'ailleurs. N'empêche que j'étais bien satisfait en arrivant à la gare du Puy. Les bavardages devenaient un peu passe-partout. Des garçons aussi étaient montés puis redescendus; plus jeunes, plus ternes, balourds. Comme engoncés. Considérant leur sexualité comme sale.

    Et j'ai dit au revoir au chauffeur, arrivé là trois bons quarts d'heure d'avance sur la correspondance de train. Consigne inefficace (les fentes à pièces encore en francs, inutilisables). Puis vers huit heures est venu vers moi un employé, jeune et nettement maghrébin, qui m'a emmené

    non loin de là pour signer le contrat de location de voiture. Etrange spectacle au bureau. Le petit Marocain remplissant des papiers, me réclamant obséquieusement documents et garanties, fébrile sous le regard de son petit singe de petite entreprise qui paradait au téléphone, le ventre en avant, le verbe haut : plus un véhicule disponible jusqu'à Brive, et de pérorer sans fin ni trêve. Une secrétaire toute grise et toute briméee. Je me souviens pourtant que le petit Arabe m'avait dit, avant d'arriver, que de "La Chaise-Dieu", j'aurais vite fait le tour", parce qu'il n'y avait "pas grand-chose à voir". Et la prière, connard ? et la campagne, et moi-même et - bon... pas brillant tout ça... Tous papiers signés, je me dirige vers un parking centre ville (après un fourvoiement dans une cour gravilllonnée), hoquetant par ignorance des passages de vitesses. Passée une zone de travaux bien bruyante, et parqué enfin, je suis monté vers la cathédrale ; c'est juste en face du Grand Séminaire.

    Figurez-vous que l'on célèbre, de temps en temps, au Puy, un jubilé, chaque fois que le jeudi de l'Annonciation coïncide avec la veille du Vendredi Saint (ça va toujours, Pujadas ?) : du début à la fin, saisissant raccourci de la mission du Christ... Du vrai Léon Bloy... J'ai vu trois prêtres se suivre en grand apparat d'aubes et d'étoles. Je ne me souviens plus de cette visite du vieux Puy. Des rues qui descendaient, du pittoresque assez convenu sans doute. Je m'attarderai davantage sur un incident prouvant ma stupidité, car j'en raffole. Sur la place du Puy face à l'Hôtel de Ville, après avoir évité un gitan roumain qui en voulait évidemment à mon pognon avec un journal à la main, je fais vraiment connaissance avec ma voiture de location.

    C'est la première fois que je possède des vitres à ouverture automatique. Mais je ne sais pas les refermer. Il faut éviter le gitan, qui ne manquera pas de me reharceler. J'avise un quinquagénaire avantageux, avec moustache blanche, très séducteur, homme à femmes. Et puis je l'ai déjà vu quelque part, à la télé, au cinéma, sûr. Il me montre le mécanisme avec étonnement. J'appuyais au mauvais endroit. Il croyait peut-être se faire draguer. Je m'imagine toujours environné d'homos. Il faut croire que ça me rassure. Et me voilà parti vers La Chaise Dieu, ça monte, forêt de sapins, forêt de sapins. Ma seule émotion est de m'imaginer apercevoir, au sommet d'un pli de terrain, le petit bourg dominocathédrain (“de La Chaise-Dieu ?” là c'est moi, le Pujadas.) L'hôtel ridiculement intitulé "du Monastère et Terminus" se présente à moi dès le premier virage. Toute sa devanture, à l'extérieur, est occupée par des sculptures de champignons en bois, d'environ 60 cm de haut. Puéril. Je me dirige à la réception, où une femme interrompt une conversation pour me recevoir. Je dis avoir réservé quatre chambres - je rectifie aussitôt : une chambre pour quatre jours.

    Je m'aperçois que la chambre en question, comme les autres, vides, du couloir, ne correspond pas au label deux étoiles : pas de fenêtre, une simple tabatière avec vue sur le ciel, une dimension riquiqui (mais je m'y attendais). Le site internet s'était bien gardé de me préciser cette absence de normes. Mais je suis si content malgré tout d''atterrir dans une petite boîte blanche très lumineuse, rien qu'à moi, que j'acquiesce. Les prix sont d'ailleurs triplés pour la durée du festival, fin août. Des musiciens ont dû se branler là, dans le lit à deux places, et plus si affinités. J'ai dû m'étendre d'abord, puis me suis promené vers l'abbatiale, en prenant par le haut, par la nationale. Nous étions le 7 juin, je consulte le carnet. Voici ce que j'y ai noté : le hall de l'hôtel-restaurant est couvert d'inscriptions comminatoires et discriminatoires. Les chambres sont à prix réduit pour ceux qui passent ici au moins trois jours et qui acceptent de dîner au restaurant. On est prié de ne pas faire trop de bruit après 22 h. Et ceci, et cela. Surtout, deux articles affichés là sont lus par moi in extenso. Il s'agit de la carafe ou du verre d'eau fournis à la demande par le restaurateur en sus du caé ou du repas. Ce verre d'eau n'est pas obligatoire, nous prévient-on. Il s'agit là d'une coutume italienne, qui n'a pas lieu d'être ici. Certains ont même facturé la carafe 5 francs ! Le tout accompagné de rappels de jurisprudences à propos de procès engagés à ce sujet.

    Eh bien ça ne donne pas envie de manger ici, bien qu'il soit précisé que l'eau est fournie gratuitement ; on rappelle simplement que ce n'est pas obligatoire. Et qu'il ne faut pas prendre les hôteliers pour des esclaves. Et que dans un restaurant gastronomique, le service ne peut pas être aussi rapide qu'ailleurs, qu'on y est débordé, qu'on doit fermer tôt parce qu'on ne peut pas ranimer le feu de toute une cuisine juste pour une table de bouffe-tard, etc. Je ne sais pas les ennuis qu'ils ont dû avoir avec les clients ici, mais ça devait être pittoresque. A la Chaise-Dieu, il faut saper pour assister au festival ; disons qu'une tenue de ville plus que correcte est vivement recommandée, voire des tenues de soirée.

    Alors quelques snobs de Paris ou de Londres ont dû se prendre pour des V.I.P. à larbins... A l'abbaye donc, visite payante, examen minutieux de toutes les tapisseries, forme d'art que je n'apprécie pas particulièrement, mais j'ai suivi scrupuleusement la description du prospectus. Bon, une église, c'est une église. Toujours aucune émotion. L'âge. La Danse Macabre est dans un état de délavement inquiétant, aucun éclairage, cela semble au-dessous du médiocre et du convenu. Enfin j'aurai fait mon boulot. Au retour, passant devant la caserne des pompiers, je monte en marmonnant (je parle seul) la pente vers le Signal Saint-Claude, sous le soleil. Je me sens âgé,

    fatigué. Le sommet n'existe pas, c'est un sous-bois clairsemé de fougères détrempées, je m'assois sur un banc. Je m'étends sans doute, comme je fais souvent en voyage, comme ma femme le fait en temps ordinaire chez elle. Je lui envie de pouvoir s'étendre ainsi à tout bout de champ pour "faire le point". Et je veux faire quelques provisions au supermarché d'Arlanc, Puy-de-Dôme, en bas de la pente, comme y invite un panneau publicitaire.

    Un bled quelconque, fourmillant de panneaux annonciateurs de ce fameux supermarché, mais tellement mal conçus que l'on rate sans cesse la bonne rue. Je tourne dans le village. Et comme j'ai eu plus que la flemme de continuer, cette errance s'arrête là.

     

    VERS GAVARNIE 09 08 2055

    Ces dates sonnent faux. Depuis l'an 2000, leur énoncé ne m'évoque plus qu'un quelconque jeu stérile de nature mathématique. Une espèce de répertoire téléphonique. Et non plus cette substance vitale, cette épaisseur qu'on ne palpera plus deux fois : 09 08 55, 05 02 52, cela sonne irrémédiablement faux. Jusqu'en 1999, c'était encore l'ancienne vie, la vieille succession des mois et des années, il y avait un avant, un après, un plus tard encore – désormais le temps est devenu arbitraire. Ce sens-là pourrait aussi bien être l'autre, cette succession-là n'est pas plus nécessaire que cet ordre-ci. "Zéro cinq", c'est aussi bien le mois que l'année, cela ne veut plus rien dire. “Quatre-vingt dix-huit”, c'était bien net, cela ne pouvait en aucun cas désigner un mois.

    C'est d'abord une longue traversée des Landes, sur une route à quatre voies, sans rien qui vienne agrémenter la monotonie du voyage, malgré le plaisir de la compagnie, car il s'agit d'atteindre un but : Bussunaritz, lieu de résidence de G. L. Le véritable but du voyage, qui est jele répète solitude et moi-même, ne commence qu'après libération de politesses, de conventions. Nous n'avons jamais voulu lui et moi véritablement discuter, cela nous mènerait trop loin, sur des terrains bien plus conflictuels et douloureux que nous n'imaginions peut-être, il ne nous reste plus qu'une vingtaine d'années à louvoyer. Le plus dur est fait. Nous resterons sans doute indifférents jusqu'à la mort.

    Bref, le 7 à 13 heures (j'avais vu du coin de l'œil la table mise mais je n'étais pas (heureusement) invité), j'atteignais, parole de châtaignier, le dessous du col d'Osquich, où j'avais déjà passé la nuit deux ans auparavant. Puis Musculdy, Mauléon (je n'ai jamais repéré "Licharre"). Grosse chaleur et fatigue. Je lis à l'ombre sur un banc, un banc de pierre au grain très raide, puis m'y

    allonge à la clocharde, un bras par-dessus tête. Un banc moins ombragé que les six autres, occupés par des scootéristes. Mes cheveux longs me font éviter les gens. Il n'y a plus personne ou presque à en porter aujourd'hui, les hommes arborant d'affligeantes tenues de facho à hurler de laideur. Je ne veux passer ni pour homo ni pour pédophile, ce qui est difficile : face à moi, derrière une clôture symbolique, se trouve un jardin d'enfants, avec tout ce qu'un enfant normalement constitué peut souhaiter en tant que jeux ! Petits sièges à ressorts en forme de canards, toboggan, filet à grimper... Il y avait là un petit garçon à voix stridente, comme tous les petits garçons. Ecris mon ami, conjure le sort, le petit chat est mort, mon tendre bouffon aux muscles si tendus, il a sauté de nuit dans le jardin d'autrui, flèche d'or, il a sauté pour ne plus jamais retomber, je ne l'ai plus revu, il est désormais suspendu dans le ciel où il règne parmi tous les chats perdus, je poursuis : le petit garçon progressait, le grand-père chronomètre en main disait "Tu peux mieux faire", il faut encourager les garçons à être compétitifs, et je ne pouvais pas dormir à cause des cris, j'ai regagné mon véhicule, constatant à proximité la présence de policiers municipaux : avertis ?

    Je suis reparti, il fallait que je prenne un bain froid, comme l'écrivait quelque auteur caricaturé. Moi aussi je tombe plein pot dans le travers autobiographique. Je suis (ici manque le mot "certain", à même le manuscrit) d'avoir perdu mon chat, si bondissant, si souple (retrouvé depuis, vivant). A quoi servent tant de vies gaspillées, où s'accumulent-elles ? Où sont les piles, les batteries, rechargeant incessamment les sources de vie ? Arrivant à Tardets-Sorholus, j'ai constaté une fois de plus à quel point ce n'étaient que maisons jetées au hasard, en ces temps de villages anarchiques. J'escaladai le calvaire local, tout en haut d'une pente raide, véritable chemin de croix. Et j'ai poursuivi, montant plus tard vers Ste Engrâce, craignant d'essouffler mon moteur, que mes petits budgets ne permettent point de bichonner.

    Demi-tour à mi-pente, après ces encombrements de touristes autour d'une église excessivement signalée, ôtant l'occasion de tout recueillement, fût-il de commande. Je suis redescendu vers Montory et trouvai à Lannes-en-Barétous une chambre cubique et bleue passé pleine de mouches et d'odeurs suspectes ou bovines, c'est tout un. La patronne ce soir avait l'œil tout exophtalmé, d'alcool sans doute, et je la soupçonnais d'obsession sexuelle. Je me suis trouvé beau et je l'ai montré, elle me guidant vers ma chambre après avoir ôté son tablier, « Il faut bien tout faire n'est-ce pas Monsieur ? » - je ne sus trop que répondre à cela. J'ai consommé de la garbure et d'autres mets en abondance.

    Une autre femme aux traits sévères et pathétiques me servit sur fond d'exaspérante boucle musicale, de six ou sept morceaux, où revenaient sans cesse de braves gars alternant en leurs chants basque, espagnol et français, sur accompagnement de vieux bal de campagne. Et je lisais du Frédéric Vitoux, L'Ami de mon père, prenant soin de bien m'interrompre au moment de goûter, pour démontrer à quel point j'appréciais le repas. Mes convives furent d'indifférents Flamands, aux deux enfants très blonds et très bruyants. Du flamand de Belgique, tout édulcoré tout morne. Et quand ils sont partis, ce fut un jeune marié, tout brun, à boucles brunes, qui tourna son index en l'air en imitant le bruit de la mouche qui vole. Il était beau et le savait, lui aussi, je reconnais les hommes qui me plaisent, même flanqués d'une épouse, d'un bébé silencieux enfoui sous les linges et le cercueil technique de ces poussettes d'internautes vendues à présent. Il y avait aussi trois vieux : le père Samuel, à un bout de table, et Myriam, la mère. Le jeune père, Jeannot, m'a souhaité dehors une bonne fin de soirée. Je suis allé me promener la nuit tombée dans le village, m'efforçant de ne point parler haut, m'étant cependant fait surprendre à commenter (à haute voix) le nombre des morts gravés sur les faces, en hauts trapèzes, du monument aux morts. Il y a toujours, en ces circonstances, méfiez-vous, soliloqueurs, deux ombres assises dans l'ombre, qui vous entendent, et vous jugent, dans leur désœuvrement, hautement ridicules.

    (Ici, changement de style) “Or ce qui importait, ce soir-là, c'était qu'Annie me rappelât, lui ayant appris que le 27 juillet son propre oncle Janot (lui aussi) était mort, et qu'on l'avait incinéré le 31, alors que nous n'avions été prévenus (moi seul) que le lundi 7 août. Cela s'était passé dans la plus stricte intimité, une incinération, comme on tire une chasse, puisqu'à présent la mort n'existe plus, certains se faisant même disperser en mer. Les cendres de l'oncle étaient conservées par sa femme, attendant leur transfert au Bouscat dans le cimetière de famille. Annie à l'autre bout du fil s'exclamait « Oh non... Oh non... », quoiqu'elle dût s'y attendre, le cœur de l'oncle peintre, et musicien, battant depuis longtemps la chamade.

    “Il avait les mains déformées, ne pouvait plus ni peindre ni jouer. Mais la Simone depuis bien longtemps l'avait contraint de ne plus peindre, parce que c'était trop salissant... Et je me suis renfermé dans ma chambre d'hôtel, « avec le sentiment du devoir accompli ». Mon Iris ! Mon Iris ! Je ne dois pas pleurer pour un chat, je voudrais lire le journal de Léautaud, mais je n'en aurai plus le temps. J'avais averti Annie comme il fallait, lui laissant le temps de revenir de S. où elle séjournait avec son amie. Elle n'eût pas apprécié, me dit-elle au téléphone, que je différasse davantage la nouvelle de la mort de son oncle et parrain, qui favorisa l'éclosion de sa vocation picturale : elle proposait ses dessins, il l'épinglait sur ses défauts techniques. Le lendemain matin, après le petit déjeuner de l'hôtel, j'ai annoncé que je laissais « un de mes livres » sur la table de nuit. L'hôtelière aux yeux rougis d'alcool m'a remercié d'une esquisse de révérence, ayant bien compris que j'en étais l'auteur. Arette. Achat de dentifrice - « qui est-ce qui va vouloir acheter ça ? » - n'achetez rien, volez, lisez. Lourdios-Ichère col d'Ichère, promenade en descente et remontée, quelques nuages atténuant le soleil, quantité de petits incidents sans relief, quelques photos, pointe jusqu'à Accous. Je m'arrête devant l'église, que je pollue de ma silhouette automobile garée tout du long. Les employés de mairie viennent reprendre leurs véhicules, je traduis, de l'allemand, un texte à moi confié par Anne T.

    Puis je cherche un certain obélisque de Despourins. La carte, pourtant précise, ne saurait me tenir lieu de plan. Je demande mon chemin à une jeune fille toute fraîche, portant une gamine de deux ans sur le cou. Elle me prie de la suivre, ce qui m'embarrasse. Je l'entretiens donc, chemin faisant, de toutes sortes de choses, prenant garde que son fardeau déjà lui coupe le souffle. Une de mes questions l'interloque : « Vous êtes d'ici ? » Elle répond : « J'habite ici à l'année ». Je me suis rendu compte ensuite que ma demande correspondait exactement à la première phrase d'un dragueur de bal de bled. Nous nous sommes trouvés très agréables. Elle m'a indiqué « une grimpette » pour laquelle elle n'était pas équipée. Et de fait, le long du sentier encore horizontal, des torsades de papier métal figuraient sur le sol une silhouette déjetée ; plus loin c'étaient des bouts de verre fumés, qui évoquaient des sortes de daguerréotypes. Puis le chemin butait sur l'entrée bien barbelé d'une prairie : « Défense d'entrer », avec panneau de sens interdit, e tutti quanti.

    ...Comme le sentier se poursuivait sur main gauche, à peine perceptible mais bien raide, je me suis hissé là-dedans, lentement, par chance à couvert du soleil. Parfois le terrain s'effondrait sur ma droite, vers la prairie que masquaient les broussailles, parfois je pataugeais dans un écoulement. Longtemps après, le sentier s'acheva d'un coup contre un tronc d'arbre, comme un frayement d'ours perclus de démangeaisons. Du coup je craignis d'en rencontrer un vrai. Je fis pour le retour un long détour, postai deux cartes, et redémarrai au sein d'un gros dégagement de vapeurs bleues puantes. Sarrance. Excellente église. Annonces de spectacles inégaux, tantôt de grands solistes dignes de St-Bertrand-de-Comminges, tantôt de chorales patoisantes. J'entre. Pénombre bienfaitrice, propice à la méditation molle. Pour éclairer et sonoriser les fresques, introduire 1 € dans la fente. Dans ton cul, curé. Les gens de l'époque n'avaient pas besoin de projos. Les ombres célestes et dorées veillaient sur eux du fond de leur cul-de-four comme des silhouettes de bovins réchauffeurs. Je prends en photo un naïf berger en jaquette XVIIIe car ce siècle présenté comme libertin fut très croyant, dans les campagnes où la foi résista, jusque dans les années 1950. A partir de cette date, et plus encore après 68, la croyance fut assimilée au fascisme, et nul n'osa plus. Quand je sors, trois touristes, ignares en famille, se fendent d'un euro dans la fente. Horreur ! Trois fois ! La fresque est éclairée, mais se déverse dans les oreilles une chorale béarnaise à mélodie médiocre, aux voix appliquées, niaise et démago. Alors qu'il eût été si congruent de miser sur quelque bon vieux Bach ou Haendel, ponctuant un beau commentaire gravement émis. Je ressors en pestant à part moi, ayant appris pour me consoler que Ma Grosse Bite de Navarre, sœur d'Anchois Pommier, avait ici séjourné, rédigeant plans et brouillons pour son Heptaméron (12/20 en licence, ma femme sortie avant la fin). Avant cette visite, j'écoutais Goering dans le texte ; il exposait sur France Culture les projets du parti nazi, tandis que je mâchais des biscuits secs. « Mon père », dit Vitoux, « rédigea des milliers de pages de journal ». Quelle infime partie de ceci franchira l'avenir ? J'arrive à Escot, déterminé à franchir, faute de mieux, le col de la Marie-Blanque. J'y avais renoncé l'an dernier pour automobile toussoteuse, en est-ouest. Aujourd'hui, en ouest-est ! How exciting ! Au sommet, véritable tapis de touristes, ça saucissonne tous azimuts : le col forme clairière, des petits malins s'engagent dans un sentier montant, car ce n'est rien d'avoir franchi un col, si l'on n'a pas tant soit peu piqué sa canne sur les pentes avoisinantes. Se dresse là une stèle, vague et grandiloquente, inaugurée en juin dernier, sur l'aide apportée à la Rrrrrésistance par « les glorieux débris de l'armée espagnole » (Bossuet), des vaincus cette fois. Y eut-il donc à la Marie-Blanque de glorieux combats, à tout le moins des parachutages ? Que nenni. L'on a dû ériger cette stèle en cet endroit parce que ça culmine, et pour complaire à toute une brochette d'élus ci-gravés, qui ont bien dû se faire chier à grimper là-haut dans leur costume-cravate pendant que le vent leur soulevait les basques.

    Et comme je suis encore le moins con, je me retape assis sur un talus un bon exercice d'échecs. En revenant, je détourne les yeux sur la gauche, pour ne pas voir juste au-dessus de moi un gosse de dix ans qui me pisserait bientôt dessus à travers fougères et rameaux, en faisant bien briller la pisse dans le soleil. Autres touristes à Notre-Dame de Houndaas, arrêt à Bielle : un monument aux morts qui serait si poignant pour peu que le sculpteur eût possédé le quart d'une idée

    subversive : la mère Patrie, endeuillée, qui tend au-dessus du casque une couronne de laurier. Je prends des photos, un peu déçu tout de même : c'eût été tellement plus cinglant si ç'avait été une mère qui rajustait un cache-nez à son fils : « Et ne prends pas froid dans les tranchées!  - Ne t'en fais pas la vieille, ça chauffe là-haut.

    Peu d'humour en ce temps-là. Je me paye un cours d'hébreu en plein air, sans parler trop fort, pendant qu'un blaireau s'aère l'habite -acle toutes portes ouvertes sans descendre de son coussin de cul. Puis Louvie-Juzon, Mifaget, Asson et Nay. Me voici dans une chambre d'hôtel à Nay (prononcer "Naÿ"), face à la glace de l'armoire. Je me trouve beau, plein, noble, intéressant, et j'aimerais me prendre en photo, mais si je vise à bout de bras, au hasard, je risque de m'estropier, ou pis, de me décapiter (ce qui s'est produit en effet). Je vis encore sous la sentence extraordinaire de Max, un ami, qui n'a point fait d'études et me juge souvent insupportablement pédant. "Tu vis", m'a-t-il dit, "dans l'atmosphère, le projet, la permanence justification d'un regard sur toi. Il faut que tu sois regardé, non pas " - il se reprenait – "à la façon d'un cabotin, ou d'un bouffon, mais en ce sens que tu ne peux te retrouver, te trouver, que dans le regard d'autrui." Il ajoutait que c'était là bien moins du narcissisme qu'une constante marque de manque de sûreté de soi.

    Depuis que Max m'a dit cela, je me sens justifié, car la question pour moi ne se pose plus de savoir (à l'instant je me photographie, de biais) s'il est bien ou mal de me soucier ainsi de moi et de mon image, mais de la façon dont je puis mettre le mieux en pratique cette perspective constituante ; imagine-t-on un Rembrandt s'interrogeant sur sa vanité, au moment de tracer l'un de ses étonnants 63 ou 64 autoportraits ? et y renonçant, crainte de ridicule ? Me voici donc libre de me trouver suprêmement intéressant, et d'y fouiller à fond. Je suis déjà venu à Nay. Mon compagnon d'internat Esquerré venait de là, "ce doit être à présent un pépé comme moi". Je suis arrivé ici, Hôtel du Béarn, suite aux indications hautaines ("Ce n'est pas un hôtel, plutôt une" (un temps) "une pension") d'une bistrotière dont l'établissement, sur le foirail, portait encore l'inscription défraîchie "HÔTEL". Visiblement, elle ne me recommande pas trop cet "Hôtel du Béarn", "ici à Naÿ" (on prononce donc "Naÿ") ; "mais autrement", s'empresse-t-elle d'ajouter, "il vous faudra descendre sur Bétharram et Lourdes" – plût au ciel ! se faire écorcher dans les cités de la Vierge ! Dieu merci, après le pont, dans un tournant, j'avise l' "Hôtel du Béarn", qui en effet ne paye pas de mine. Une charmante vieille dame sèche, ce qui signifie d'à peine plus de quinze ans que moi, m'accueille et m'informe que oui, je peux profiter d'une chambre ce soir.

    La bistrotière quadra snob n'avait pas menti : c'est en effet une pension, nombre de vieux y séjournent, eux aussi, “à l'année”, dans un confort antique. C'est vaste, haut de plafond, j'affecte la rondeur pour annoncer l'arrivée de mes valises portées par moi-même depuis le parking de l'hôtel, de l'autre côté d'une rue bien passante. Heureusement, ma chambre donne sur les arrières, sur une cour à galerie interne, dans une petite chambre sans télé - malgré tout : hélas ! – d'où me parviennent du rez-de-chaussée des voix séniles et appliquées, parlant des inconvénients du déambulateur. Sans oublier ceux des neuroleptiques... J'espère simplement que les parois de ma chambre sont assez épaisses pour absorber ces répugnants ronflements de vieux.

    Ils vont bien devoir me devenir familiers, d'ici très peu, car j'espère bien devenir l'un d'eux, et que l'émoussement des agressivités pourra me faciliter, enfin, in extremis, quelque insertion sociale - ne rêvons pas. Et tous ces préambules formulés, venons-en aux commencements : au commencement était la jeunesse, ma fille de 33 ans, et son grand fils de 16. L'angoisse de la mort. Plus tard, pas si tard que cela, j'aurai une surabondante compagnie féminine, qui ne pourra plus rien faire, à qui je ne pourrai plus rien faire, mais pleine d'attentions et de tendresses. Ce sera chouette, ce sera dérisoire, ce sera trop tard. Allant pour passer la porte (j'adore les déambulations crépusculaires dans ces trous provinciaux, je me ravise : je préfère le menu de l'hôtel.

    Dans la salle à manger, telle quelle depuis 1960, je vois arriver la femme à la diction ralentie, et son vieux que je ne verrai que de dos. Ce repas sera silencieux, non pas sépulcral mais recueilli, très propre, sans bruits de bouches. On entend absolument tout. Le couple ancien sait que tous les mots qu'il pourra prononcer sont entendus par moi, qui suis à l'affût le nez dans ma soupe (j'en reprends). Peut-être n'ont ils aussi plus grand-chose à se dire. Qu'est-ce que j'en sais ? La patronne, plus jeune qu'eux, les appelle devant moi "mes petits pensionnaires". On est toujours les petits vieux de quelqu'un. Et même s'il n'y a que du croque-monsieur réchauffé au micro-onde et une glace en cornet de plastique visiblement rescapée du congélateur (le menu ne me sera facture que 10 €), je me régale dans une ambiance absolument surréelle, car silencieuse, et respectueuse. Ce n'est qu'ensuite que je passe le pont à pied, mes clefs en poche, et que j'erre lentement dans les rues de Nay, Béarn. Cette fois-ci je ne descends pas au bord du gave, où je lisais l'an dernier je crois bien l'histoire bien compliquée de Clotaire II, roi de France. Je m'assieds seulement sous un projecteur, au pied du clocher de Saint-Vincent. Il s'agit d'un ouvrage en gros caractères, pour vieux, emprunté à la bibliothèque municipale de Mérignac. Mon Dieu, qui est-ce qui va bien vouloir acheter ça ?

    L'histoire me passionne, car elle parle d'un père plus ou moins collaborateur, et de son fils, qiu a mon âge. Ce fils, en 1961, âgé de 16 ans, fait connaissance d'une petite salope d'allumeuse américaine du même âge. Ce jeune homme, plus tard ce sexagénaire qui recontemple son passé, c'est moi. Puis je me promène, sans conviction, très lentement. Ce n'est que depuis peu que je me promène si lentement. Je rumine sans trop savoir quoi. Je jouis de chaque pas. Et en rentrant, coincé entre le transistor et L'ami de mon père de Frédéric Vitoux, je m'achemine vers le sommeil. Auparavant, j'aurai eu le plaisir d'entendre, au rez-de-chaussée, une Italienne demander une chambre, se la faire montrer (elle donne sur le balcon de la cour intérieure), et se faire rejoindre par son motard de mec ; dommage. Et la nuit, ils n'ont pas baisé : trop épuisé par un voyage à moto. Ça ne tient pas sa langue, un vieux.

    Ça commente tout, et la cour raisonne. Le matin, j'ai laissé mon roman Omma sur la table de nuit, au cas où des petites vieilles y jetteraient un œil. Extraordinaire étape, où je me familiarise avec ma vieillesse à venir, où je m'apprivoise à une proximité de la mort qui ne semble pas affecter outre mesure (que sais-je après tout de la vieille à diction ralentie) les personnages qui déambulent et vivent là. J'en trouverai de sympathiques, et nous nous parleront à peu près spontanément, de même que des enfants s'abordent volontiers autour des bacs à sable et que se nouent de puériles idylles... Et j em'en vais, pas très loin, le matin, à Coarraze, épaté comme tous les touristes de surprendre ainsi le quotidien d'animaux si exotiques, les habitants de Coarraze, dont le château (berceau d'Henri IV) n'ouvre que l'après-midi (je m'en aperçois en cheminant aller-retour par la grand-rue fâcheusement dépourvue de trottoir, mais l'espace manque ; il faudrait tout démolir ; mais alors, pourquoi marcherait-on ?).

    Et comme je suis un peu blaireau moi aussi, j'obéis à l'injonction d'un panneau de pub : tel grand magasin, Arudy. C'est là finalement que je la fais, ma leçon d'hébreu, à l'ombre d'une de ces poubelles à tri de bouteilles ; et je pouvais articuler bien à l'aise. Avant de trouver ce refuge à l'ombre, j'avais abondamment compissé un montant de tôle à l'arrière du supermarché, tandis que dans mon dos, sans oser intervenir contre le pisseur, une gardienne à chien-loup passait bien raide en vitesse. Honte. Et bouffe bien lourde, comme j'aime : bananes, Yoplait, Buzy (rate le dolmen), Buziet, Ogeu dont j'ignore s'il se prononce Ogeux ou bien Oju. Et comme il fait bien chaud, et que l'heure avoisine les 15, je me fixe d'office la première église venue, à condition de la chercher. Il n'y a rien de plus beau que de bouffer comme un malade, le coude gauche dans une jardinière de géraniums, les yeux fixés à travers le pare-brise sur un portail typique Napoléon III soit parfaitement atypique, et d'écouter Dieu sait quelle musique classique de remplissage pour la bonne conscience. Demi-tour devant la colonne « Marquisa ».

    73

    ARAGON SANS CASTILLE, NAVARRE et autres lieux

    823. LE CORPS HUMAIN EST LE PLUS HAUT SYMBOLE DE LA BEAUTE

    ISADORA DUNCAN

     

     

    Ce soir, Halloween. Je n'ai eu que des soucis d'ordres mineurs ; comme un sous-diacre. Ainsi à Saint-Jean-Pied-de-Port, les supermarchés n'ouvrent qu'à deux heures trente, afin que tous les restos puissent bien bourrer à roter tous les amateurs de cuisine basque. Saint-Etienne-de-Baïgorry. Rue étroite, très longue, tortueuse. Il m'a bien semblé au mouvement des lèvres qu'une autochtone conductrice a murmuré « Qu'est-ce qu'il fout celui-là ? » - malgré mon pas ralenti, mon absence de regards en l'air (si caractéristiques des touristes, je fais bien attention ; prendre l'air indifférent, éventuellement assimilable) ; mais d'autres habitants m'ont souri. J'ai acheté des confiseries.

    Poussé jusqu'à l'église : magnifique intérieur à trois rangs de galeries en bois, jusqu'en haut. Accès interdit. J'y suis monté quand même et les planches ont cédé, les trois étages se sont effondrés de chaque côté, dans un affreux enchevêtrement, où Dieu sait quel court-circuit a déclenché l'incendie où j'ai péri coincé. ...Pour visiter, j'ai remisé mes cacahuètes au fond de mon sac d'épaule. Des panneaux sur un pilier de bois : « Veuillez respecter le silence dans cette église » : les Basques tiennent leur langue ; pas les touristes. « Interdit de monter les trois marches de l'autel » – introibo ad altareDei. Je suis revenu de là-bas très lentement, cou tendu comme une tortue sur mes épaules disproportionnées.

    A présent un parking de supermarché (contraste ! vu ?). La vendeuse m'aide à trouver un triangle (pas le sien) réglementaire et le gilet, la caissière me confirme que je suis le premier client (les seules rencontres de mes voyages sont, qu'on ne s'y trompe pas, les commerçants, seuls recours des « troisième âge » même sédentaires ; je ne parle, ne désire parler à personne d'autre ; ça ne m'intéresse pas, de parler. Col d'Ispéguy. Je fais un effort pour commenter ces grands pans d'ocre où se faufile une route de flanc, comme un tracé de bête dans les fougères basses. Flânerie à 40 kmh. Des Français redescendent vers leurs gîtes. Côté espagnol, la route devient mieux entretenues, plus larges, mieux liserée de blanc.

    J'arrive à Elbete. Petite église au soleil, mangée d'ombre. Accueil bruyant d'un chien enfermé. Je tourne avec mon appareil numérique, ignorant si je photographie, ou non, pas de déclics, ces maniements contemporains me passent au-dessus de la tête. « Madame, je fais la même

    chose que vous mais ça ne marche pas » - réflexion la plus courante, et de loin, dans les stages d'informatique... Ça ne doit donc pas être si « logique » que ça, comme ils s'en vantent tous avec des mines gourmandes. Et méprisantes. Pour le connard qui débute. Elbete n'ouvre pas sa porte, vernissée, d'église. Un banc de pierre suit l'intérieur d'une courette abritée. Ils se mettaient là côte à côte et cul à cul, estimant leurs biens, leurs filles. Photos. Photos. Très, très lent. Un trinquet peut-être : « passe » et « manque » (falta) sur le fronton - rebond à gauche, rebond à droite ? pas de joueurs...

    Je m'assieds sur un banc de bois pour lire Nicolas Bouvier, lui-même sur le Turkestan... A l'intérieur d'un voyage, un autre en abyme ; voir de près banalise ; d'où la nécessité d'un redépaysement. Repartant d'Elbete je m'aperçois soudain à l'entrée d'un tunnel routier (je pense à Charles VIII, roi con, qui franchit une porte basse au grand galop : mort en plein front) - que mon compteur (enlevez le m, reste « copteur » - imaginez : toutes les indications de mon tableau de bord en copte... - d'essence est à zéro : comment se peut-ce ? Merak ediyorum : « je faisétonnement », « je m'étonne » (ça, c'est du turc). Les routes en descente sont particulièrement traîtresses : on se retrouve en survitesse, dans un vertige endormeur. Qui débraye se fend la gueule dans le décor. Après un demi-tour en entourloupe sur une route camionneuse, je reprend malgré moi la direction de Pampelune ; parviens à un hôtel tout délabré, fermé, en aperçois un autre en face. Encore des risques. Le barman, jeune brun charmant, recopie mes trois prénoms sur ma carte d'identité ; je lui signale obligeamment mon vrai nom de famille. Ma chambre me plaît bien, le mec aussi, je lui fais greffer le téléphone sur ma chambre, il tambourine peu après à ma porte, je ne puis croire que ce soit ma propre porte, mais si, « Formez le zéro pour sortir de l'hôtel ! ». Je lui dis que je le savais.

    Il me dit en se frappent le front qu'il savait que je le savais, était-il bête. Il n'est donc monté que pour moi. Il me sourit. On s'encule. Mais non, c'est pour rire. Simplement je décrypte très bien les codes de séduction masculins. Pour les femmes, je n'a jamais décrypté rien de rien de rien. Une véritable calamité. (Comment voyais-je d'ailleurs, moi-même, à 23 ans, les sexagénaires ? certainement pas en tout cas comme des proies de plumard.) Après avoir fait je ne sais quelle leçon d'hébreu (toujours à faire l'intéressant ; « voyage dans le voyage », si l'on y tient ; à Carthagène déjà, en 93, par 41°, je chantais dans la rue déserte en faux « israélien » ; et à Reinosa, en 63, j'apprenais le portugais), ici donc, aujourd'hui, je suis allé demander el indicativo telefonico para Francia. Cette fois-ci à des vieux, de mon âge.

    Avec la lenteur sereine des rhumatisants, l'un d'eux m'a montré, sur l'annuaire : « 00-33 ». Ne pas composer après cela le « zéro » du numéro interne : j'ai la France, et ma femme au bout du fil. J'ai surtout parlé de moi. Un écho métallique m'a permis de m'écouter parler, au sens propre. Anne aima bien que je l'appelasse, et que je raccrochasse : trois jours loin de l'autre nous feront le plus grand bien. Tant de dizaines d'années pour devenir enfin ce que je suis... banal, mais c'est comme pour mourir : quand c'est pour soi, c'est toujours la première fois. J'étais, donc, un foutu flemmard Vous avez mis au point un sacré putain de moyen de ne pas en foutre une secousse, me disait Scherer, et ça doit remonter ! ... à vraiment longtemps... Oui, Scherer. Fin de la première journée, explicit primus dies.

    J'en profite pour insulter grossièrement les enculés du cul d'inspecteurs qui imposent jusque dans les bouquins scolaires le terme  excipit pour désigner la dernière phrase d'un livre, en opposition avec l'incipit, connement prononcé «  innkipitt », comme si on disait « un alboum », « un aquarioum ».  Excipit veut dire « il extrait », « il choisit ». C'est explicit, le verbe exact. Quand on ne sait pas le latin, qui ne sert à rien, qui fait facho, eh bien on ferme sa gueule. Claudatur suum cuique os.

     

    Premier novembre 2054

    A la demande générale de Jean de Bourges, tenons notre journal de bord. Sortant de ma chambre 103 virgule, je descends prendre un petit-déjeuner. Les serveuses empilent les coucoupes, sans contrepet ; cela forme des pyramides quinconcées très élaborées. Lorsque j'entre dans un lieu public, je suis toujours embarrassé sur l'attitude à adopter. Il paraît, c'est dans les livres (Guérir de la timidité en vingt leçons) que tout le monde, absolument tout le monde, se contrefout d'un inconnu parfaitement indifférent. Mais je sais bien, moi, foutus idiots, que si mon maintien ou ma grimace faciale diffèrent par trop de la norme, on ne regardera, on ne détaillera plus que moi. Avec vos conseils à la con. Donc je me présente au bar pour commander, malgré l'accumulation de tâches ménagères auxquelles semblent soudain soumises les donzelles de service. L'une d'elle enfin me dévisage sous le nez avec une attention respectueuse et soutenue : juste ce que j'imagine d'une mère, imaginaire, que j'aurais eue... Je comprends mal, on me suggère une tostada, « muy grande » (geste) (comme si j'étais crétin).

    Puis je demande une carafe d'eau ; la fille se fait aussitôt plus distante : un fauché... Pour l'enculer, ce sera une autre fois. Ayant constaté que mon réservoir ne fuyait pas trop, mais pas moins, j'ai pris la direction de Pampelune : de bons souvenirs de cathédrale – 88 ? 98 ? c'est lorsque les dizaines se mélangent qu'on est certain d'avoir atteint le vieux... - bref ! garé place Sarasate, violoniste oublié, après avoir ma foi presque raté la ville tant le réseau de contournement est efficace – je confirme, vous pouvez passer Pampelune sans vous en apercevoir) – du calme, du calme : tout restera inachevé – je marche à pied autour du Catedral (masculin, mas viril, mas macho), et après avoir bien tourné, viré partout, bien reconnu le cours au pied des arènes, bien tout vérifié, force me fut de constater que la cathédrale, et tant qu'à faire le musée aux Vierges, étaient fermés, parce que tout de même, c'était la Toussaint...

    Sans doute que pour Noël, pour Pâques, la Cathédrale de Pampelune est bouclée à double tour – sans parler de la Pentecôte : normal, c'est congé. Il fait 5°, bon nombre d'Espagnols se promènent au bout de leurs chiens, es la paseada de los perros. Sur un banc, je lis « Chroniques italiennes » de Stendhal (de même, je n'avais rien trouvé de mieux que L'Assommoir pour visiter Lisbonne en 2000, par 38° centigrades). Soudain voilà qu'un jeune bouledogue bien gras me bondit affectueusement sur les genoux. J'éclate de rire, la jeune femme à l'autre extrémité de la laisse me demande bien pardon, je suis écroulé, elle me quitte confuse puis se ravise et me tend la main, très inquiète, pour vérifier que je ne suis pas en train de sangloter de douleur ; ma foi je lui aurais bien claqué dans la paume, à la sportive, sperme inclus, mais l'inévitable mec moche est là, plus loin, avec le jumeau du chien.

    En repassant, il tourne la tête pour cracher, comme un clebs qui marque son territoire de la longueur de sa bite ; même pas peur. Après une brève incursion dans une église, où les confessionnaux tournent plein pot (cabines aux verres opacifiés où l'on se tient face à face ; en parler à ma psy), je repars vers l'est, je cherche le soleil en pleine poire. Je m'enquiers, avec un s, de la route dans un bled envahi d'enfants endimanchés (il se concocte Dieu sait quelle fête de patronage), enfin j'arrive route d'Urroz. Nadine Urroz est la petite fille de Monségur 47, en vente dans toutes les librairies si mes éditeurs avaient fait leur boulot (ce n'est plus la peine de me presser ; où que j'en sois la mort m'interrompra) (Il faut être Wagner pour se dire : Je peux mourir ; j'ai achevé mon œuvre ; la mort n'attendit pas trop longtemps. Il laissa tomber sa montre en murmurant : Meine Uhr !) ; à présent le monastère de Leyre domine la retenue de Yesa. J'y parviens par une pente bien raide. Et c'est là que je l'ai bien bichonnée, ma petite voiture, sans la forcer, d'une vitesse à l'autre. Arrivée sur parking, certes, mais « belle bâtisse belle vue ». Prédominance écrasante de véhicules espingouins - c'est qu'ils visiteraient leur pays, ces cons. Avec bébés, poussettes et débonarité bourgeoise. Mais pour visiter, makache, sauf à passer par la case restau, pour atteindre l'heure d'ouverture. Je me rabats donc sur la Fontaine des Vierges en contrebas. Et sur le panneau de signalisation je lis y de los gays - vierges de femmes, pas d'hommes, on rigole ! ...Labite – pardon ladite fontaine se compose d'un abreuvoir surmonté d'un robinet coulant tout triste et tout courbé. Pas gâtées, les vierges. Partout autour de moi j'entends la langue espagnole, pas mal canardière. Et je peux vous garantir qu'il s'en dit, des conneries. L'église « ne se visite pas », nous dit sur le seuil du bâtiment une charmante brune, à faire péter un moine. Et de nous refermer le porche sous le nez avec un sourire à claque. Côté recuerdos, même fermeture, même fille, qui a traversé le bâtiment, et monte dans la guinde à son inévitable mec moche. Mais le paysage est à tout le monde. Derrière la grille de clôture une belle tire de moine (de Père Supérieur ?), un chat qui miaule et m'apitoie : ne pas s'exciter ; le restau n'est pas loin. Un panneau multilingue invite les visiteurs à prendre garde, en ce lieu tout monacal, aux façons de se vêtir et de s'exprimer... Alors ma foi, dit l'incroyant, comme tout ici n'ouvre qu' à 16 ou 17 h, je renonce à gravir la pente vers la fontaine de San Virila (il en faut pour tous les goûts) et je me reconvoie tout doucement vers la retenue de Yesa ; sur un mur : ¡Yesa no ! Eh bien, Yesa que si... Le barrage fut bel et bien construit, le val ennoyé, le lac magnifique, d'un bleu terreux quasi méditerranéen.

    Tant pis tas de ploucs... J'aimerais admirer, ça défile, ça défile, je ne vois que de brefs remblais de dernière seconde, et lorsque je peux enfin me garer, je ne peux même plus contempler le lac disparu à tribord ni les cimes enneigées à (babord), c'est très exactement là où fleurit le plus de mocheté : une station service, où je me gave de sucreries (brûlant la politesse, pour le paiement, à un authentique automobiliste qui venait vraiment de faire le plein) ; plus : un abribus démoli, quelques végétations souffreteuses où je pisse d'une pine souffreteuse, plus : une sorte de cimenterie miteuse interdite aux personnes ajenas (étrangères) al servicio. Ce lieu idyllique s'appelle, retenez bien, Puente de la Reina de Jaca. Mais je n'ai pas poussé jusqu'à Jaca même, jadis dragué là-bas par une bigote (trop long à expliquer, je n'ai pas su en profiter ; la sainte confite a regagné bredouille son autocar).

    Par une petite route fraîchement aménagée, je me hisse vers San Juan de la Pena. Vitesse limite 40 kmh - à 41, il serait impossible de contrôler dans des virages lacets pareils. Les pointillés, précisent les panneaux, ne font que signaler l'axe (el eje) (de la carretera). Le Monastère Vieux se visite, mais l'accès au parking, exigu, en contrebas, ne m'est pas accordé par le Divin Discernement... Ménageant donc toujours ma monture, grimpant de courbe en courbe, je surgis en surrégime le long d'une muraille magnifiquement ensoleillée sur la gauche, Monastère Neuf du XVIIe, tandis qu'à droite se déroule une prairie bourrée de gens qui bouffent sur des tables à pique-nique. Sous les arbres le Seigneur m'accorde un miracle : parking gratuit.

    Honte pendant que j'y suis aux 3 € de parking de la ville de Q. en France, avec chiottes de chantier, les glaces à 4€ en agglomération ; ou au bourg de W. en C. où l'on rançonne le visiteur, qui bien entendu ne peut se rendre à pinces dans le village... Je suis déjà venu ici, mes années s'accumulent. M'étant garé, revenant à pied vers la façade sinistre du monastère, je me ressouviens à présent de cette bande de gamins de huit ans qui se trémoussait sur Dieu sait quelle horrible bande de rock, tandis que des curés branchés tendaient de long en large le coton de leurs soutanes, l'air de dire « voilà comme il faut désormais appâter nos recrues ». Avec du rock. On n'arrête pas le progrès, surtout celui de la connerie. A preuve ce tortillon artistique d'énorme ferraille au beau milieu de la cour d'honneur, déjà vu dans les avenues de Bordeaux (j'ai bien fait de voyager). J'entre à gauche. Inscriptions espagnoles qui ne me permettent pas de comprendre à quoi j'ai droit en achetant mon ticket ; je ne demande rien - flemme, timidité, indifférence, qu'importe.

    La boutique souvenirs me présente des ours sur plaquette, semblables aux animaux de ferme que ma vieille rapportait de Paris. Puis elle est passé de la ferme au zoo, et du zoo au cimetière. Patience. Je n'achète rien, mais je fais le tour d'un cloître fort laidement couvert et vitré, aux murs duquel pendouillent maintes toiles contemporaines. Le droit ou pas, j'en flashe quelques-uns (déformations à la Bacon). Il sera donc dit que je n'aurai jamais rien vu ici de médiéval ni de baroque. Je rejoins ma voiture au parking arboré. Un jeune con m'éclate de rire sous le nez : en effet, penché-tordu avec ma tignasse et l'air paumé du type qui ne retrouve pas sa guinde, j'avais dû me payer d'un seul coup une de ces gueules de clown qui me tombent dessus sans crier gare. J'ai gueulé en français : « Tu t'es vu ? » - mais ce connard ne comprend pas ma langue ; l'expression y suppléera...

    Il m'aura gâché toute ma redescente vers Bernuès, ce cabrón, où je reprends à fond mon antienne sur la saloperie du genre humain, toujours prêt à se foutre de la gueule des nègres, des boiteux et de tous ceux qui ont l'air con (réflexions qui m'avaient déjà accompagné la veille à pied, hors de propos cette fois, entre Espérua et Yarmoz : tronçon offrant de belles vues latérales vers Zabalegui, mais complètement massacré par des rambardes et du marquage blanc. Et marchant dans moi-même (du pied gauche, je ne vous le fais pas dire), je prenais l'exact contrepied du voyageur obsédant, Bouvier Nicolas, mort en 98 ; ils nous disent tous, ces braves bougres d'errants, qu'il faut se vider, se rincer de soi-même, pour aller vers les Aûûûûtres, qui sont de si bonne compagnie. Eh ien non. Pas du tout. S'il y a quelque chose que j'évite en voyage comme la peste, ce sont bien, très précisément, les autres. A quoi bon en effet récolter d'un pôle à l'autre, comme un vulgaire reporter de « Thalassa », ces exaspérantes doléances stéréotypées sur la misère, de la bouche de pauvres hères ou héressses dont le seul rêve semble d'acquérir un jour suffisamment de fric pour laisser choir enfin cette putain d'existence pittoresque, si exotique et (sanglots) menacée d'extinction, pour enfin, enfin, vivre et bouffer à l'américaine ? A quoi bon (dans mon cas) tomber sur des abrutis qui me zyeuteraient de travers parce que j'ai une gueule de fou ? les yeux surtout. Fixes et paniqués. Surtout quand je suis fatigué. « Arrête de me regarder avec ces yeux-là, Bernard, autrement ça va mal finir », comme disait un Arabe qui m'avait dragué toute la soirée à Manzanarès del Rey...

    Bref, si je voyage, c'est pour me trouver, puisque c'est de cela qu'il s'agit, et les vagabonds en demeurent d'accord ; mais au lieu de « se perdre pour mieux se retrouver gnagnagnère, se retrouver « autre », disent-ils, « totalement imprévisible », j'entends et prétends qu'il faut bien au contraire resserrer autour de son vide les maigres et disent-ils méprisables faisceaux de sa propre gerbe, que les autres, à domicile, ces fameux Aûûûûtres, tentent sans relâche de vous arracher pour y substituer Ce-Qu'ils-Sont-Eux-Mêmes. Sûr que si je les avais laissés faire, il ne me serait plus rien resté, tant ils sont persuadés de marcher dans le Vrai comme on marche dans la merde : c'est qu'ils ne me laisseraient ni une minute de libre, ces cons-là (do that ; and do that) – ni la moindre conviction debout, (« ah c'que c'est bête c'que tu penses, tandis que nous... »)- ils ne me laisseraient pas pierre sur pierre de moi-même !

    Voilà pourquoi j'ai toujours nié toute possibilité de transmission sacrée de bouche de maître à oreille d'âne de disciple. En voyage donc, loin de me perdre, eh bien je me retrouve, je rassemble autour de moi mes conneries comme un mourant qui ragrippe ses draps. Mes opinions débiles, mes préjugés, tout ce que je sens et pense, conforme à Bouddha ou non, je me le ressasse, tout en me répétant cette phrase sublime de Vipère au poing : « J'ai raison, parce que c'est moi. » Tandis que les autres, les Nicolas Bouvier (que j'adore, que j'admire), une fois lavés-vidés-rincés, n'ont finalement

    rien d'autre à me proposer que l'éternelle sérénité des Bouddhas de tout poil, la sempiternelle ouverture à autrui et à tous les vents, le sempiternel reliement (Bouvier relie encore la « religion » à religare) à l'éternel, au Silence, à la Nuit, à Dieu si l'on y tient – mais ce reliement, pour moi, est reniement : oui, un jour, je serai relié au grand Tout, impersonnellement, je ne souffrirai plus, au cœur du bonheur, de l'Etre-Néant voir plus haut, mais ce Grand Jour-là, mes braves prêcheurs, voyageurs, moines ou philatélistes, Narzissen ou Goldmünde, figurez-vous que je l'ai déjà vécu et le vivrai, mille ans devant, mille ans derrière : alors plutôt que de m'unir au grand Tout, ce qui à Nicolas Bouvier faillit coûter la raison, je me vautre dans l'imperfection, j'aime ma merde et je la justifie à l'infini, je fais tout ce qu'il ne faut pas faire, surtout si cela constitue la preuve des plus abjectes connerie, vieillesse et débilitation – Céline d'ailleurs (entre autres) se contredit, puisqu'il affirme aussi que la plus grande défaite et décomposition serait d'oublier, en particulier ce qui vous a fait crever...

    Après quoi je descends sur Huesca, m'arrête en plein virage pour photographier de mon siège Los Malles, qui sont d'énormes mils de grès rouge, lorsque les ultimes rosâtreries du couchant les effleurent encore. Et je me suis ainsi retrouvé à Murillo, où je fus déjà, été 92, pour une nuit. Le patron louchon, torse, cagneux, me tend un grand rond de bois marqué « 6 », après 50 kilomètres d'impatiente descente, si magnifique, si déserte. A présent dans ma chambre j'admire les poutres, sentant peu à peu la bonne chaleur du radiateur en fonte. La seule véritable fraternité, je la ressens devant la télévision, ou bien le transistor collé à l'oreille. Ces voix déformées venues d'outre-agonie de piles ne parlent alors que de moi, ne chantent que pour moi. Elles ont fait un effort pour venir jusqu'à moi. C'est un monde où les femmes sont amoureuses des hommes, le leur chantent, le leur crient, et chaque parole devient un conseil, une déclaration personnelle, une chaîne universelle, dont cette extraordinaire présentatrice chinoise polissant depuis le bout du monde son accent italien avec une telle volupté qu'elle en devenait l'incarnation, la féminité-telle-qu'on-l'imagine, mièvre, sucrée, souple ; plus caricaturale partant plus vraie, carément pédé, noyant, étirant la guimauve, la plus fascinante des italianités jaunes – delle gialle italianità. Puis la radio s'éteint, les ombres colorées de l'écran s'effacent, et je me retrouve dans le monde dur où les hommes se dérobent et font toujours des choses inattendues, ou pour me nuire, ou profiter de moi – some of them want to use you / some of them want to abuse you. A Murillo, je renonce à explorer le village aux rues étroites et rouges – en 92 déjà, la nette impression (toutes les vieilles sur leurs chaises) de violer une cour privée indéfiniment ramifiée ; le touriste, l'Intrus du Cul. En bas dans l'auberge, ça crie, ça cancane, à l'espagnole. Je redescends bouffer. La jeune et la vieille me servent.

    La jeune rubiconde et pataude, je lui demande une gigantesque et rectangulaire ensalada aragonese, dont je mange à même les tomates fermes et crues. Il n'y a qu'en voyage que j'aime les tomates crues, ce qui est de la plus haute importance pour vous, lecteurs. Puis un lomo de cerdo bien sec con batatas fritas. Deux euros l'eau minérale bande de porcs, et une noix de coco directo du congélo avec sa mouche toute gelée, pattes en l'air – les patrons croient si bien faire ! je ne dis rien ! Il y a un couple d'amoureux qui jacasse contre un mur dans mon dos. Je m'en vais sans rafler l'eau minérale - deux euros, ¡ maricones de mierda ! Programmes télé infects dans ma chambre. Où je me rends compte, scandale ! que le personnage important, de ce côté des Pyrénees, ce n'est pas Sarkozy, mais Zapatero.

    Ce sont les pilotes espagnols retenus au Tchad qui tiennent la vedette, et non pas les Français, bassement acusés de pédophilie. Le lendemain au petit-déjeuner plus que succinct les clients disent bonjour, on ne fait pas ça en France, sinon ils vous regardent comme des bovins puis tournent le dos en faisant : « Pffff... » - ça oui, ça, c'est bien la France ; et quand on vous croise, on vous toise du haut de son petit volant. Dans le Heraldo, pareil : personne n'a entendu parler de Christine Boutin. Ah comme les infos françaises deviennent petites ! province ! Et à la radio, des torrents de paroles, sur tous sujets, un débat permanent, la démocratie verbeuse, trente-neuf ans de franquisme pas encore guéris peut-être, mais « le dialogue », « le djalogue » comme diisait Djamel - ça va vite, je comprends apenas.

    ...Nous sommes le deux novembre 2007 au matin, Jour des Morts, anniversaire de Barbey d'Aurevilly – mort le jour de Pâques en plus le con. A Murillo ce matin, hôtel de los Malles, le patron ne se souvient pas de moi – c'est un comble ! « En 1992 ! ¡ noventa y dos ! - « ¡ Pero hay tantos anos ! » 17 années en effet. Il était déjà là. Je ne me souviens pas qu'il était aussi moche, vous voyez... Revenu sur mes pneus une journée entière pour fouiller ma chambre où je croyais , avoir paumé un appareil photo – à peine remonté que je retrouvais mon appareil coincé sous le siège... Voilà comment on rate Lisbonne... Avant de partir, je reviens de justesse rendre la clef à l'hôtelier : « ¡ No ès un recuerdo ! » Il a ri, reprenant figure humaine. Au lieu de sa bonne bouille rose d'enfant battu.

    Je ne peux pas aller plus loin : évasion calculée... Huesca se passera de ma visite. Mais pas le château de Loarre. Sans rapport évidemment avec Azay-le-Rideau. En 92 (car je reviens toujours sur mes traces), c'était fermé ; j'en avais fait le tour par l'extérieur, en chantant très fort, en faux français. Des mots, comme ça, hurlés, qui avaient l'air français, mais qui ne l'étaient pas. J'étais tombé par surprise, au détour du mur, sur un couple hilare et bienveillant - espagnol ? français ? Jamais su. Aujourd'hui j'y monte, en vrai. La pente est raide, je ménage ma monture : 40 à l'heure, l'œil sur l'indicatif de surchauffe, et le parquage à l'ombre. Encore fermé. Rien ne se visite ici avant onze heures. Je refais donc le tour du château. Des Français que je dépasse ne répondent pas à mon ¡ olà ! typiquement espagnol. Le Français a tout lu, tout vu, se blase de tout, parle du château d'un air entendu, commente l'accessibilité du chemin, avec l'air, mon Dieu, de ne pas avoir sous les yeux le plus extraordinaire château chrétien du XIe siècle, mais quelque chose de «pas mal... » Je grimpe en tirant sur les touffes d'herbe, comme un chimpanzé. Parvenu au sommet du ressaut, je m'aperçois que ce n'est pas mes poumons qui se sont essoufflés, mais, bien plus alarmant, mon cœur.

    Arrêt. Considération du versant ouest, parmi des éboulis buissonneux. Je dis : « Si j'avais vingt ans de moins, je le ferais ». Après un petit repos respiratoire, je monte à la porte de la chapelle, bien close au cadenas, puis une rampe redescend vers l'est à l'intérieur de la porte d'enceinte : je suis tout simplement en train de frauder le Ministère du Tourisme. Mes Français sont loin, échangent leurs réflexions de bon ton. Le petit doigt en l'air dans le cerveau. J'admire les tours « ouvertes à la gorge » (merci M. Eydoux, Les châteaux fantastiques ; celui de Loarre n'y figure pas). Quand je rejoins ma voiture par l'extérieur, à pas lents,

    « Après un long détour évitateur de vache »

    qu'est-ce qu'elle fout là - je consulte le panneau historique : une mule me dit-on, porte-reliques, a eu les yeux crevés, puis s'étant avancée au petit bonheur, perdant son sang, elle s'est effondrée en un certain endroit où Dieu voulut qu'on érigeât une église – il n'en était pas à une cruauté près. Les yeux intacts, j'hésité à mon tour ; c'est décidé : je reviens sur mes pneus par Ayerbe, et bifurque vers Santa Eulalia, Fuencalderas, Biel. Bourgades impénétrables aux voitures, serrées sur leurs châteaux ruinés. Des habitants qui ne le sont pas moins. Des chiens. Des bas-côtés le temps d'une photo, par-ci, par-là. Mes calculs : s'arrêter dans (tant ) de minutes, pas si évident sur des routes étroites. Je photographie “Luna, 25 km”, je ne m'en croyais pas si près.

    Enfin, je repère un buisson (le soleil espagnol, même en novembre, est redoutable) et je fais quelques pas sur les traces d'un tracteur, pas trop boueuses. C'est le silence, les feuilles dorées des peupliers se détachent en froissant. Du silence, surtout, par pitié. Rien d'autre à voir que les contours d'un champ, les ruines d'une ferme au travers des feuillages, et je m'arrête pour ne plus même entendre le bruit de mes pas. Je murmure “ici, je communie avec l'univers » - si je me tais, qui me dira à quoi je joue ? c'est bon pour ma pantoufle dans le cerveau. Je sors du champ pour surprendre ce chemin de la ferme écroulée, en vain. Je ne m'astreins jamais à rien, qu'à être bien moi-même, au mieux de ma mollesse. Il ne s'est rien passé comme toujours, j'ai lu l'avant-propos à Stendhal, vérifié l'eau et l'huile, n'ai pensé à rien, l'apaisement, malgré la soif, un peu, la faim, un peu. Uncastillo : “Un-Château” ? “Non -Château” ? (“Unburg”) ; la route m'indique, à angle aigu Sos del Rey Catolico. Au pas de l'homme je traverse toute l'agglomération d'Uncastillo, avec des enfants qu'on protège peureusement : il ne s'en fait plus beaucoup en Espagne. Et personne pour observer ma tête. Ça aussi, ça fait du bien. Sur cette route vers le N-N-O, me voici longeant une grande série d'éoliennes : les petites qui tournent, les grandes qui s'ébranlent plus lourdement – tandis que pour les femmes, la taille ne joue pas. Je roule ainsi dans un décor propice aux rencontres du troisième type, où règne une merveilleuse sensation de dépaysement, de vie mécanique, douce, bienveillante, familière, étrangement maternelle. Rien qui soit plus euphorisant, plus protecteur, que ces vastes trios de pales. Partout les divines éoliennes, discrètes, métalliques, tutélaires, paisibles, silencieuses, poétiques, soulignant si heureusement ces mamelonnements secs si souvent vus dans ces contrées, éoliennes hors d'espace et futuristes, douces, souples, suspendues, ce qui fait, pour 8 lignes, 25 adjectifs.

    Je fais halte à Sos del Rey Catolico, perché, resserré “comme un poing”, d'abord au parador. Le “parador”, en Espagne, c'est un hôtel de grand luxe, perché, moderne, en hauteur, somptueux par ses salles de réception, ses chiottes de moines fortunés (j'y pisse), ses ascenseurs où l'on croise des Ibériques rupins, qui ne m'accordent pas un regard (j'aime cet incognito). Tout est démesurément vaste, et je suppose, à considérer la cafeteria, immensément cher. Quant à l'escalier, il ne mène qu'à une plate-forme crayeuse, vue sur la campagne environnante, sans issue ; essoufflé, râlant, je redescends, je gagne plus loin une pizzeria et prends mon élan pour

    commander en castillan sans bafouiller un crujillo tropic y un Coca-Cola. C'est un établissement plus à ma portée. Je n'attends que huit minutes. On me sert une sorte de lasagne que l'on tranche soi-même au sortir du four avec un fer recourbé, sur une arête de gril. Le patron, Javier, me recommande de ne pas me brûler ¡ Cuidado, que se quéma ! Il souffle dans ses doigts, mais je comprends parfaitement quemarse. Peu après s'installe un couple fort laid pourvu d'une gamine fort grosse, pour qui l'on sent que la table restera la seule volupté à tout jamais, par son contentement naïf et goinfre. Mon cœur absent se serre un peu. Les parents bâfrent à l'unisson. On rajouter une table. Je lis un peu de Stendhal. Non loin, des Français populo se répètent en boucle abondance de propos crétins sur ce qu'ils bouffent, aux oignons ; les conversations cons sonnent finelament mieux en espagnol. Mes Français se croient drôles.

    En revanche, dans les rues escarpées du bourg, les gagateries papapapapapa m'exaspèpèpèpèrent, pauvre gosse, entre sa mère et sa grand-mère gâteuses à hurler. PAPAPAPAPA. Jamais je n'ai parlé si sottement à ma fille, même à moins d'un an. Jamais. Toujours comme à une adulte, en égalité. “Et qui c'est ça ? Et qui c'est celui-là ? Y quién es ese ? » Deuxième gosse, deuxième accès de conneries. Cette fois ils m'auront bien tapé sur le système. Je ne monte pas à la Juderia, aux pentes à péter l'oreillette, les juifs dominent le monde, c'est bien connu. Je photographie dans les ruines des chats noirs jumeaux. Ruines souvent trouvées, si mystérieuses, au sein des petites villes espagnoles, seuls espaces libres dans la chair des murs... Tout s'achève au franchissement d'une muraille, et je retrouve ma bagnolette noire.

    Pour sortir de Sos del Rey Catoloco, un carrefour évasé, j'explique : à droite, une balise peinte au sol ; à gauche, un accès pour les entrants ; tout droit, un stop. Je prends gauche toute et tac, la flicaille. Un magnifique olivâtre d'opérette m'enjoint martialement de descendre. Il est flanqué d'une fliquette fausse blonde à queue de jument, qui se tape un rictus à faire avorter une guenon. Et où je vais. Et d'où je viens. Et pourquoi je n'ai pas l'immatriculation européenne (“quoi ! pas encore ! ¡ aùn no !”) - ben non mon con, pas obligé en France. “Où avez-vous couché ? - A Murillo.” J'ajoute le numéro de la chambre, je mentionne la visite du château de “Loarre”, trébuchant sur le mot. L'homme de l'art me tend un piège : alors comme ça, j'ai couché dans le village même ? - Non, à Murillo.” Et de fouiller mon linge, mon carnet d'adresses (“pas une en Espagne”). La fliquette se fait ouvrir la boîte à gants, ouvre un petit sac de plastique blanc : bingo, c'est le papier-cul, voilà du flair. Je dis “Il ya du désordre”.

    Elle répond No importa. Là j'ai touché la fibre ménagère, de la verdadera mujer espanola : une flique. Pas peu fier. Ils me disent que je peux circuler, me recommandant d'être prudent, parce que là, tout de même, j'empruntais le sens interdit, carrément. Ensuite, en roulant, je me marre comme un bossu. Mais je n'en ai pas mené large. Ils ne m'ont même pas demandé mes papiers, ni ceux du véhicule. J'ai joué le touriste couillon, c'est ce que je suis, massacrant la langue, écarquillant les yeux et plein de bonne volonté. Le contrôle de flics procure le même soulagement que confesse autrefois ; j'ai toujours adoré prouver ma bonne foi, mon infantilisme. Et je me répète le dialogue, je corrige mes fautes, j'invente d'autres questions-réponses, très fier de tant de soupçons, de tant d'acquittement.

    J'aime les flics. L'uniforme, l'air grave, les sourcils de Guignol. Absous de frais, je fais mes courses à Sangüesa, dont une indispensable brozadàn. “Yo soy el Senor de Brozadàn” : je hurle de rire au volant, et maintenant, une heure avant l'hôtel, il s'agit cette fois de contourner vraiment Pampelun, je quitte la rocade à contretemps et finis par me paumer dans les cités à 30 km/h (je savais bien que j'aurais dû tourner vers Huarte), et pour finir, de ronds-points en gendarmes couchés, j'aperçois le panneau salvateur Roncesvalles (Roncevaux”, tout sur les moines, que dalle sur Charlemagne). Dix-sept heures cinq pile : prochain hôtel à droite, c'est la règle. Zubiri. Hosteria. Muy caro. L'hôtesse me montre le prix sur un panneau : mais si, j'ai de l'argent, mais non, je ne suis pas si marginal que mes godasses et mon air gland, je vais rassembler mes bagages, et je monte au 213- putain pas de télé ; belles poutres, mais rien à foutre, et le plus fort prix de ma virée : Euskadi touristique mon pote...

    J'alterne donc, sur mon lit basque, lecture (Stendhal, Chroniques italiennes, particulièrement confuses), récit de voyage, écoute du transistor. Vers 19h 15 je sors dans l'obscurité, car le téléphone de ce fameux hôtel si cher ne fonctionne qu'avec des monedas. Je parviens enfin, dans une cabine publique, à joindre Annie. Puis je vais voir le “pont moyenâgeux”, qui bombe très fort dans le noir au-dessus de l'eau. Au retour, trois enfants ; le premier me dit “ola”, le second “hello”, le troisième, je ne sais, visiblement pour se foutre de ma gueule (rien que je haïsse plus que les enfants : cruels, hargneux, sûrs de l'impunité), railler mon cou de tortue sortant de mes grosses épaules - tu veux mes vertèbres, hijo de puta ? je devrais dire “va chier”, comme aux Gitanes de Granada qui voulaient me fourguer du mimosa à 4 euros le brin ; c’est fou ce que c’est polyglotte, ces peuples errants. J'entre acheter des gâteaux étouffe-Basques et me paye à fond de train tout un étalage intérieur : ¡Tranquilo ! me dit le patron - en vérité, je sue, traqué, par accès, comme ça, partout. A nouveau de nuit dans la cabine téléphonique, j'essaye de joindre X., en France, chez qui séjournent Y. et Z. Pour un euro j’arrive juste à dire “J'espère que” - coupé. Le froid, les sales morpions qui traînent dans la rue noire en braillant, pas un mot d'euskara, comme partout d'ailleurs y compris en plein Bilbao, ici la rue glaciale n’est qu’un conduit de poids lourds. La 213 chez moi c‘est la chaîne porno, ici c'est ma chambre, je me gave de biscuits bourratifs, c'est tout dans l'aorte. Le lendemain je reprends la route de Roncevaux, quand un de ces fringants petits Basques en béret rouge m'informe, sixième de la queue de bagnoles, de l’obstruction par éboulement (desmoronamiento) du chemin de Roncesvalles - « je passerai par la route de Baigorri » - ça lui semble au diable.

    Adieu donc les clopes de Z., car il n'existe par là-bas aucune agglomération digne de Cenon. Je décide en forêt de me payer une de ces balades qui font mes délices, des feuillages dorés, une montée qui serpente ou un serpent qui monte, le désert. Au fond du ravin c'est l'Arga qui sinue en bouillonnant, ou qui bouillonne en sinuant, à droite, à gauche, d’un petit pont l’autre ; des ruines de je ne sais quel moulin ou octroi, et le rebrousse-chemin au premier toit vu de loin : Olaberri ? Bien sûr, à peine redescendu après quarante minutes de pur bonheur que j’aborde, sur mon siège et sur mes traces, un de ces « trajets pittoresques » de cartographe, simplement distingué par une route plus large, plus propre, et un parking d'excursionnistes... Passé le magnifique Collado de Urquiaga, je reçois sur mon cœur la première vibration du portable : Annie, la voix pleine de tendresse orientée, me rappelle ces fameuses cigarettes espagnoles, dont il faudra bien que Z. se passe.

    Dans la redescente vers Esnazu, c'est à quelques détails (poteaux, piquets de prairies)que je m’aperçois de mon retour en France. Une borne, puis deux, me le confirment. Et mon petit moi de bifurquer vers Urepel (sans le H initial de je ne sais plus quel reître) - je suis en France ; sur un dégagement près d’une benne à déchets, je puis à présent répondre longuement aux mamours téléphoniques. Urepel possède, signalée sur carte, une église ne payant pas de mine, mais dont l'intérieur présente ces fameuses tribunes superposées où se séparaient garçons et filles, face à face ; combien d'adolescents bridés (pas des yeux, des braguettes) ont dû s'échanger là de menus signes de connivence, sous le regard des bilieux du cru ! J’y monte, et comme il n'y a rien de plus désagréable que ces planches qui décidément cèdent sous les pieds comme une coupée de péniche pourrie, je redescends prudemment.

    Sur le parvis je photographie le poilu sur son monument aux morts, j'erre dans le cimetière aux tombes à touche-touche, avec leurs chrysanthèmes et leurs épitaphes en basque. Langue opaque, dalles de même. Aux Aldudes, même église, mêmes tribunes. A l’extérieur une chienne boiteuse et décrépite feint de m'accompagner, toréant les bagnoles qui déboulent du virage. Et comme il me reste à flâner, mon rendez-vous n'étant qu'à deux heures trente, je m'égare sur les pentes de Banca/Banka, sans transcription un Basque se serait perdu. On ne dira jamais assez les bienfaits des panneaux bilingues. Banca/ka, célèbre par ses truites (pauvres bêtes), puis retour à St-

    Etienne de Baïgorry, en basque Baïgorry tout court. Le magasin “Spar” encore ouvert me vend des boîtes à chat (les téléphones sont des mitraillettes à corvées). Le caissier largement sexa récapitule en basque la liste des emplettes qu’il encaisse, tandis qu'une paire de clientes de vingt ans se regardent l’une l’autre en souriant bien emmerdées de ne pas comprendre, du moins ne faut-il pas désobliger le bascophone. Pour moi, ce sera du français, tout aussi impeccable, je suppose. Ma dernière étape sera pour St-Jean-Pied-de-Port, Donibane Garazi, où je suis censé dénicher quelque canne typique, bernique, sauf les non pas bernacles mais coquilles saint Jacques à profusion gravées sur le gros bout, ou cette ridicule tête de jeu de petits chevaux ou ce non moins risible ensellement chevalin peinturluré de vif en guise de prise de paume. J'ai monté le raidillon vers la Citadelle, je me suis épuisé, affalé sur un banc de pierre en feignant de ronfler comme un vieux perclus qui s'endort, on me prend en photo : vieux basque typique effondré sur banc typique. Pour terminer ce récit de voyage sur une note fraîche et pittoresque, j'ai vu, en pissant, un mec le cul tourné vers le mur et pantalon bas : c'était une urgence, en l'occurrence une vieille giclée de diarrhée : amusant, non? ça, c'est la chute.

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    SARKOLÂTRIE

     

    AVANT-PROPOS

    ...Que les choses soient bien claires : ce numéro du Singe Vert se veut résolument PRO-SARKO. Que voulez-vous il me fait marrer ce type-là. Il me remonte le moral. Il a des visions, des convictions, il arrive à m'entraîner. Les autres -TOUS LES AUTRES – me font irrésistiblement penser à des petits épiciers qui voient l'avenir à l'aune de leur calculette. DONC SI VOUS ETES “ANTI”, NE ME LISEZ PAS. Parce que moi je ne crois pas un instant qu'on puisse persuader ou convaincre qui que ce soit de quoi que ce soit, contrairement à ce que tentent d'enfourner les vaseux de l'IUFM (à bas ! à bas !) dans les crânes de nos progénitures. Parce que les opinions, c'est irrationnel, et que tout ce qui me fait aimer Sarkozy EST EXACTEMENT CE QUI LE FAIT DETESTER PAR LES AUTRES.

    Comme disait Gaston-Dragon : “T'as raison, et moi j'ai pas tort.” Pour l'excellente raison que la raison, justement, la cervelle humaine, c'est tout petit de chez Tout Petit. Alors au lieu de m'emmerder avec votre courrier fleuri (style Moi je suis de goche et je t'emmerde) (je cite, hélas) ou de m'envoyer des rats crevés par paquet recommandé, vous n'avez qu'à balancer ma saloperie pourrie à la poubelle et qu'on n'en parle plus... OK ?

     

    Citation

    La réalité est une hallucination due au manque d'alcool

    (proverbe irlandais lu sur un tee-shirt, à Ganges – Hérault)

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    Les journalistes ne vivent pas dans le même monde que nous. Ils vivent dans leur monde à eux, qu'ils se racontent à eux tout seuls, où ils décident entre eux, en comités fermés, à grands renforts de ricanement péremptoires, ce qui doit nécessairement nous intéresser vous et moi dans les jours qui viennent (d'ailleurs ils sont bien emmerdés pour l'Irak, parce qu'il n'y a (presque) plus de cadavres... parce que les Américains, figurez-vous, ont gagné la guerre : les journaux reparaissent, les chiites sont au bout du rouleau – alors les Petits Malins, dont la seule analyse politique tient en une seule formule dont vous apprécierez la finesse J'ai pété c'est la faute aux Américains, ça pue, c'est la faute à Israël, ben ça ne leur plaît pas, mais alors pas du tout.

    ...Ils disent que les attentats continuent, qu'on ne nous dit pas tout, et que la preuve qu'ils existent, c'est qu'on n'en parle pas – comme si les ennemis de Washington ne trouvaient pas toujours le moyen de se faufiler à travers toutes les censures, à l'affût du moindre doigt cassé, pour le mettre au compte des saligauds d'Occidentaux... “Faut pas croire ce qu'on dit dans les journaux” - mais oui ! mais oui mes braves ! Vous êtes les seuls à pouvoir démêler le vrai du faux, ce qu'il est bon de croire et ce qu'il est bon de ne pas croire, ah ! quelle sublime clairvoyance ! Et c'est pourquoi, tout muselage mis à part, ce ne serait ma foi pas tellement volé par les journalistes de se recevoir quelques coups de pied au cul de remise au point déontologique – ne serait-ce déjà, pour commencer, que de ne pas s'adresser au Président de la République française sur le ton d'un garde-champêtre qui engueule un voleur de pommes, style “Combien faut-il d'arrestations pour obtenir un expulsé ?” - le genre de question qui ne font pas avancer le débat, mais qui ressassent en boucle “Sépabo Sarko, Sépabo Sarko” en excitant bien le populo – qu'est-ce que ça peut bien nous foutre, rationnellement parlant, de savoir “combien d'arrestations” etc...

    Ah mais c'est qu'on est insolents, nous aut' journalistes – vous n'avez pas répondu à ma question – et compétents – vous n'avez pas répondu à ma question – et 'achement pertinents - VOUS N'AVEZ TOUJOURS PAS REPONDU A MA QUESTIANANANAN ! Je me souviendrai toujours de la première réunion du maire de Machinchose-sur-Seine, élu de gauche grâce à la dissension de la droite (une sombre histoire de cul...); ne voilà-t-il pas qu'un énergumène se lève et se met à te lui adresser la parole d'un ton à se faire mordre par le premier clebs venu. Insolent, hargneux et tout. A un moment donné, un petit mec mal fringué, style artisan vieilli sous le harnais, se dresse à son tour dans l'assistance, toute indignation dehors : “Votre ton est inadmissible ! Ce n'est pas à Monsieur X. que vous parlez en ce moment, mais à Monsieur le Maire ! Parfaitement ! À l'Elu du Peuple ! Et que vous soyez d'accord ou non avec lui, vous n'avez pas à lui parler comme vous le faites, parce que c'est votre Maire aussi bien qu'à celui de n'importe lequel d'entre nous ! Et tenez-vous le pour dit !”

    Le malotru se l'est tenu pour dit, il a baissé d'un tétrarcorde, et a fini par la fermer. Car je voudrais tout de même faie observer que si nous avons beaucoup, beaucoup entendu parler du “Casse-toi pauvre con”, c'est à peine si l'on a mentionné l'incroyable grossièreté de la première réplique : “Touche-moi pas tu vas me salir”. C'est d'une incorrection inqualifiable. Moi j'appelle cela “outrage à chef de 'Etat”. Voulez-vous que je vous dise pourquoi la gauche et les intellectuels de gauche se font zapper au profit de la pub (Amora au moins, “ça relève le plat”) ? Parce que la gauche n'a cessé de s'aplatir devant les plus écœurants des totalitarismes. Deux et deux, ça faisait cinq, et c'était é-vi-dent parce que c'était comme ça et c'était comme ça parce que c'était pas autrement et situmecroipaje fépipisurletapi éjemrouldedan.

    ...Tout a foiré à partir du moment je ne dis pas où l'on s'est “engagé” - quoique... - mais à partir du moment où les intellectuels de gauche se sont proclamés seuls intellectuels, la droite étant automatiquement vouée à la bêtise la plus épaisse, que dis-je, MATHEMATIQUEMENT IDENTIFIEE A LA BETISE; ce qui permet encore aujourd'hui à une clique de foireux de se demander comment les Américains ont pu élire deux fois de suite un président aussi Khon. Alors pour faire bien, les mêmes se mettent à présent à vanter Cli(n)to(n) (pourquoi tant de “n” ?) - et Reagan, mais je me souviens bien de tout, quand même : à l'époque des dessusdits, tout ce qu'ils faisaient (J'ai pété,...voir plus haut) c'était automatiquement nul de nul à chier. Quand Obama aura viré les troupes américaines d'Irak vite fait (à supposer qu'il le fasse), et que tout le monde se tapera sur la gueule, on le portera peut-être moins aux nues. Je donne 6 mois pour que Barak devienne la bête noire – suis-je drôle ! - de tous les altermondialistes... Pour Israël, même jeu ! BHL (un jouèf) a tout à fait raison, même s'il s'est énervé un peu, d'assimiler antiaméricanisme et antisémitisme. “Assimiler”, pas “identifier” - mais à quoi bon préciser : BHL n'a pas été lu, et le seul argumet qu'on ait su trouver c'est l'ampleur de ses cols de chemise – pardon, pardon : une fois, un collègue m'a déclaré “Ah oui mais alors à ce moment-là tu comprends...” - que dire ? j'ai rendu les armes.

    ...Que répondre en effet, comment imaginer pouvoir s'opposer tant soit peu à un argument aussi foudroyant, aussi ratatinant, que “ah oui mais alors à ce moment-là tu comprends...” - que dire? qu'objecter ? Merde trop fort le mec, il faut graver cela en lettres d'or sur le manteau de la cheminée : AH OUI MAIS ALORS A CE MOMENT-LA TU COMPRENDS...BREF !... Si on en revenait aux journalistes ? parce que mon discours n'est pas fini, ça ne fait même que commencer: le sujeet, le grand must des journalistes, c'est de casser du Sarkozy. Quoi qu'il fasse, quoi qu'il ne fasse pas, il faut qu'il ait tort. Qu'il ait eu tort, de toute éternité. Son nez, sa taille, sa voix, ses slips, tout, on vous dit, absolument tout. D'abord. D'emblée. Dans un premier temps. Et puis, pas de deuxième temps.

    J'ai même lu que Si Sarkozy marchait sur les eaux, l'opposition lui reprocherait de ne pas savoir courir sur les eaux... Enfin, les pisse-bave s'interrogèrent : ça ne faisait pas très sérieux, tout ça, pas très productif. Alors ils ont observé les actes. Les actes politiques, parfaitement. Or en France, dès que tu touches à quoi que ce soit, le diamètre des boutons, la hauteur des furoncles, la loi du 12 juillet 1763 modifiée par l'arrêté du 30 février 1874 et annulée par l'amendement du 14 octobre un quart 1985, tu as 40 000 personnes dans la rue selon la police, 400 000 selon les syndicats, soit 2% de la population selon la police et 2% selon moi. Et qui font chier. Carrément, cubiquement chier.

    Or ce qu'il y a d'absolument himalayen, chez les politiciens de tout poil, c'es tleur ignorance historique, vertigineuse. Everestienne. Dès qu'on remonte au-delà de 1900, c'est le désert. Et avant la Révolution française, alors là on débarque très exactement sur la face cachée de la lune. Je ne parle pas tant ici de la connaissance des faits que d'une attitude, d'une perspective, d'un recul historiques. Notre époque, voyez-vous chers ignares, se situe ni plus ni moins dans la continuité des autres époques. Eux aussi, en 1715 (mort de Louis XIV), en 1815 (Waterloo), ils se sont crus en “rupture” totale avec l'époque précédente, à la fin du monde (la “rupture” de Sarko, c'est uniquement avec l'immobilisme de Chirac – parce que, tout arrive ! j'ai entendu regretter Chirac ! (on a bien regretté Saddam Hussein...) - mais sous Chirac, bande de nazes, on ne faisait rien, de rien, de rien ! on lui entendait par les oreilles le bourdonnement de la mouche qui lui servait de cerveau sous son crâne ! c'est vraiment Les grenouilles qui demandent un roi ! relisez votre La Fontaine, je ne vais tout de même pas passer mon temps à tout expliquer – ces gens-là, dis-je, ils s'imaginaient que c'était l'effondrement de tout, la Fin du Monde, ils tremblaient d'espérance et de panique.

    Et ils gueulaient : “Tout est foutu ! Je vais mourir !” - juste comme nous. Et une fois que tout le monde de ce pays-là, 1610, 1515, a fini par mourir, eh bien tous les suivants les ont, comme c'est bizarre, oubliés, avec tous leurs problèmes : à la trappe, à la fosse ! Ça vous passionne encore, vous, les histoires de catholiques et de protestants ? les droits du roi de France sur la Navarre et de son frère sur Jérusalem ? Qu'est-ce qu'on se croit donc tous, avec notre XXIe siècle, qu'est-ce qu'elle a donc de si particulier, notre époque de merde semblable à toutes les époques de merde et qui crèvera comme toutes les époques de merde ? Dans 500 ans personne ne s'en souviendra plus, surtout s'il ne reste que les fourmis ; et rien que de l'évoquer ça fera bâiller tout le monde jusqu'à sa glotte de fourmi – le pouvoir d'achat en 1440, ça vous intéresse encore ?

    Ça ne vous est jamais venu à l'éponge, pardon, à l'esprit, que, toutes proportions gardées, tout est resté absolument pareil ? Vous avez déjà vu le coût de la vie diminuer, vous, depuis que vous êtes nés ? Vous avez déjà vu les pauvres devenir riches, hop, comme ça ? révolutions et guerres mises à part bien sûr ; mais vous ne voulez pas qu'on change le sens de brossage de vos pantoufles, n'est-ce pas... Et vous vous êtes imaginé qu'on allait vous donner d'un seul coup 30 ou 40% de fric en plus ? Vous avez vu ça où ? vous avez vu ça quand ? Moi je ne suis pas là pour faire l'original : c'est la pub à la télé, parfaitement, qui répand “jusque dans les campagnes les plus reculées” que tout le monde il est riche et que tout le monde il a droit à tout. C'est ça et uniquement ça, votre “baisse du pouvoir d'achat”. Quand j'étais jeune – agagahh...- j'étais toujours fourré au cinéma, toujours en voyages – oh, de tout petits voyages... Maintenant je regarde ma télévision et je suis bien content quand je peux me payer dix jours par an dans ma petite pension de papy-mamy près de Montpellier, sachant qu'il me faudra bien trois moi après ça pour sortir mon compte du déficit. La publicité vous rend cons, la publicité vous prend pour des cons – vous ne vous rappelez pas ? c'était un slogan de 68.

    ...Sarko veut supprimer la pub à la télé : toujours pas content, la goche ? C'est Sarkozy qui veut le faire, DONC c'est mauvais ! Je m'en fous complètement, moi, que TF1 ou M6 récoltent tout le blé de la pub. Leurs films entrecoupés, leurs émissions dans leur snesmble, deviendront tellement nuls que personne ne voudra plus les regarder. Et admettons que 150 chaînes soient obligées de mettre la clef sous la porte, vu les conneries qu'elles diffusent, ce ne sera pas une grande perte – au temps de l'ORTF, il paraît que c'était la dictature – ah bon ? mais au moins il y avait des émissions publiques de qualité. Allez on change. Les suppressions de postes à l'Education Nationale.

    Depuis le temps que les profs nous rasent avec leurs cours à chier debout. Promenez-vus voir dans les couloirs à l'heure des cours, et vous entendrez à travers les portes les élèves ronfler, ou bien déconner. Tant qu'il y aura neuf profs sur dix qui feront des cours comme ça, les élèves se feront caguer. Quelle que soit la méthode. Quel que soit le nombre de profs, ou d'élèves, ce seront les bons qui donneront envie de travailler ou de vivre, or, la plupart du temps, un bon cours, c'est non en classe mais dans un bouquin que je l'ai trouvé. Qu'est-ce que 11 000 profs en moins sur trois cent mille ? C'est quoi cette plaisanterie ? De toute façon pour moi l'enseignement est sinistré depuis belle lurette.

    Je me fous que l'Enseignement Public crève ou non. Il a déjà coulé au Cinquième Siècle et il s'en est remis. Grâce à l'élite. Et grâce aux initiatives privées. Parfaitement, privées. Vouloir enseigner à toute force le peuple entier par paquets de cent mille est une hérésie sociologique, une idiotie. Les gens se contrefoutent de l'enseignement. Ce qu'ils veulent, c'est un métier et du FRIC. (Pas plus à notre époque, ne me faites pas rigoler, ceux qui dénoncent l'omniprésence de l'oseille le font depuis la nuit des temps avec le même refrain “c'était mieux avant” ; petits rigolos...) Les gensses, Richard (justement) Wagner ou Balzac, ils n'en ont RIEN A FOUTRE. Revenons donc sur la mort annoncée des IUFM (Institut de Formation des Maîtres, une trouvaille de la goche bénie de saint Jospin) : béni soit Sarkozy de nous débarrasser de cettemerde, qui fout entre les mains des latinistes débutants du Tacite, directement, allez rrrran, pour leur faire sélectionner les subjonctifs...

    ...Qui a failli remplacer les cours d'histoire par des interviews du boucher-charcutier ; qui a démoli les victimes de la méthode globale, appliquée bel et bien malgré les dénégations, que je ne crois pas ; qui a interdit d'apprendre quoi que ce soit aux élèves afin qu'ils conservent leur spontanéité, ce qui transforme les explications de textes en banalités, malgré les farouches dénégations, que je ne crois pas. Tel élève n'a-t-il pas proclamé dans un silence religieux que tel paysage de forêt présentait une dominante horizontale, parfaitement, horizontale au lieu de verticale, sans la moindre rectification, il ne faut pas traumatiser l'élève... Voir aussi Florent P. devant les gosses...

    Ils disaient des conneries, forcément, Jacques Brel n'est pas à la portée du premier CM2 venu. Vous croyez qu'il les aurait contredits, qu'il aurait amélioré quoi que ce fût ? Que nenni. Il rigolait, DEMAGOGIQUEMENT. Apprendre quelque chose à l'enfant, c'est l'inférioriser n'est-ce pas. Bravo la gauche. “Le retour du par cœur” ai-je lu : ben oui, parfois. Je lace mes godasses par cœur. Je me torche par cœur. Je sais ma table de multiplication par cœur. Le “par cœur” n'est pas synonyme de connerie. Alors l'IUFM, cet apprentissage de méthodes d'apprentissage alors qu'on a la tête vide, AUX CHIOTTES... Ça fait bien quarante ans que je vois l'école couler, avec tous les ministres qui s'appuient sur la tête des profs pour bien les maintenir sous l'eau, afin que le peuple EVITE d'apprendre, parce qu'il faut que les gens SOYENT cons et qu'ils ZACHETENT, ZACHETENT, ZACHETENT. Et ça, quel que soit le gouvernement. Même socialiste. Même avec Jack Lang. Il ne fallait plus choisir le grec, le décourager, par tous les moyens. Parce que ça fait bourge, élitiste. Merci les populo. Attends attends, j'ai pas fini, une sorte de raGe me tient lieu de verVe : la co-lo-ni-sa-tion ! Les bienfaits de la colonisation ! Ah que c'est pas beau, la colonisation, c'est horrible ! Le christianisme non plus c'est pas beau : ça allait de pair, d'ailleurs. Déculturation, massacres, massacres, massacres – salut les Indiens.

    Le communisme aussi : massacres, massacres, massacres. Toujours des massacres, alors, dès que l'homme veut faire quelque chose pour l'homme – eeeeh oui tas de puceaux. La colonisation a éradiqué l'anthropophagie, les guerres de tribu à tribu, le trafic des esclaves (nous l'avions arrêté, les Africains l'ont continué ; et les Arabes, donc...) - et l'Algérie ? Ça ne vous est jamais venu à l'idée qu'avant la colonisation française, on ne pouvait pas circuler en Méditerranée à cause des pirates ? Chacun défend son bifteck, ce n'est pas la peine de verser dans le sentiment glauque et grandiose... Le-bif-teck on vous dit. Le colonialisme est aussi ignoble que le reste. Mais pas plus.

    Pas moins mauvais que le reste, çà non ! mais pas plus... Pour tous les idéaux humains, c'est comme ça : parce que la cupidité, le désir de dominer, détruisent tout. Ça s'appelle “péché originel”. Comme quoi c'est pas forcément des conneries. La connerie, la vraie, c'est le baratin sur la rédemption. L'espérance de la rédemption, d'accord ; ça ne mange pas de pain. Mais à part ça, les humains, nous sommes tous pourris. Regardez le féminisme : au début c'était libératoire. Maintenant ces salopes, si on les laissait faire, elles nous couperaient les couilles. Déjà on ne peut presque plus baiser – quand elles veulent, et si elles veulent - autant dire : presque plus ; la prostitution a de l'avenir, moi je vous le dis. La pornographie, aussi... Je dirais bien la pédophillie, mais je vais me faire flinguer... “Tu mélanges tout !” - vous vous souvenez, les vieux, en 6/8, dès qu'un individu voulait discuter un peu, sortir de la Vulgate (non, ce n'est pas une obscénité) on lui fermait la gueule en répétant “Tu mélanges tout” - et aussi : “D'où tu parles, toi ? d'où tu parles ?” - si tu étais fils de militaire, ou fonctionnaire, tu pouvais la boucler ; sauf si tu étais noir, toutefois. Non, je ne suis pas raciste ; et pour les connards, non, je ne fais pas de propagande (voir plus haut) pour la pédophilie, ça va pas non ? Alors évidemment, je pourrais discuter, peser le pour et le contre, fendre les cheveux en quatre - “ah oui mais”, “ah neuf juin”, “si l'on veut”, “ce n'est pas tout à fait faux”, mais vous avez déjà le Nouvel Obs pour ça, qui donne l'impression à le lire qu'on se fait chier dans la poussière et qu'on s'en fout partout (de la poussière, et de la merde). Et en avant pour la sagesse à l'eau tiède, style christianisme, bouddhisme, théosophisme, la secte Moon, Albert Cassartre et Jean-Paul µ (“Mu”), l' “honnêteté intellectuelle” e tutti quanti. Seulement

    vous savez ce qui vous arrive, quand vous donnez là-dedans tête baissée couilles rabattues ? Eh bien les beaux prêchi-prêcheurs vous passent devant et vous la mettent bien profond (il faut le faire, d'ailleurs ; des acrobates...)- et vous expliquent que pour eux “ce n'est pas la même chooooose”, que vous n'avez rien compris et que vous... “mélangez tout”. Fin finale de toutes les sagesses, “continuez à faire ce que vous faites, faut pas se prendre la tête, Dieu pour tous et que le meilleur gagne, cool Raoul relax Max tranquille Emile tout doux Abdou, de toute façon tu crèves quand même et n'oublie pas d'être con Léon” - la loi du plus fort, ou du plus malin, les baiseurs et les baisés, paradis ou enfer. Sauce droitière amère, ou sauce gaucho-jésuite. Et pour ce qui est d'essayer d'être le plus fort, ou celui qui prie le mieux; si ça n'était pas inscrit dans ta destinée, eh bien tu l'auras dans ton cul. On ne se refait pas. Comme Céline Dion (Duvillage), On ne change paaaas / On devient juste un peu plus con et voilàààà – bon ce n'est pas les paroles ? Depuis le début, l'histoire ce n'est que ça : des peuples qui se recouvrent, qui se conquièrent et qui fusionnent... ou s'éliminent. “Oui, mais nous allons changer tout cela. C'est qu'on est en 2008, coco... Allez, encore deux sujets et je vous lâche. L'héritage. “L'héritation” comme il dit Sarko, il n'y a pas que la bravitude... Qu'est-ce qu'on nous aura bassiné avec le méchant Sarko, qui favorise les fils à papa ! Mais quand ma femme a hérité de sa grand-mère et de sa mère, les frais d'héritage accumulés on les a bien sentis passer, il a fallu revendre tout, à perte.

    Alors ma fille, qui est repasseuse à mi-temps et qui roule sur l'or, si le sale Sarko n'avait pas réduit les frais de 95%, elle devrait tout brader ou traîner la misère. Et quand j'hériterai de ma femme, ou vice-versa, le/la survivant(e) ne donnera plus un sou au notaire... Vous vous rendez compte ? Des droits à payer pour le legs au dernier vivant ? Quelle honte ?! Donc, merci Sarko pour les lois sur l'héri-tage ou -tation, merci pour la suppression de la pub, merci pour la mise aux poubelles de l'IUFM et sa pédagogie de merde qui fout l'école en l'air, merci pour rassembler autour d'une même table au moins certains Arabes et Israël. Oui, cent fois oui, Sarko fait des conneries, en démolissant le système des hopitaux en particulier.

    Mais ceux d'avant les avaient bien enclenchées aussi. A la limite je me trouve un point commun avec Flaubert – et ça s'arrête là, hélas : il adorait Napoléon III parce que, disait-il, ces cons de Français ne méritaient pas mieux. Moi c'est exactement ce que je pense, non seulement des Français mais du monde entier : les humains sont des cons, à 95% (même pourcentage que les femmes qui s'emmerdent en baisant) et ne méritent qu'une chose (les humains) : de lécher le cul des 5% qui restent, et qu'on appelle Elite, parfaitement, le gros mot, élite-élite-élite, prout prout prout. En espérant qu'elle ne leur fera pas de mal, voire, qu'elle saura les mener petit à petit sur le chemin de la sagesse. Mais il n'y a pas le feu au lac. Et ça ne dépend pas de nous. Depuis perpète la politique galope après l'évolution de l'humanité, en tirant la langue. J'ai même trouvé une métaphore fleurie, dont je suis très fier : les hommes politiques se débattent dans le tourbillon, l'Histoire tire la chasse. Je suis pour le despotisme éclairé. Ça a toujours échoué ? Et alors ? Le reste aussi... C'est toujours une oligarchie qui a gouverné. L'évolution de l'homme, que certains placent dans la main de Dieu, disons “X” pour n'énerver personne, “l'inconnue” de l'équation, ce n'est pas demain la veille que je verrai sur le point de naître le premier hurluberlu, de droite ou de gauche ou du centre du trou de mon cul, qui sera capable de me la révéler. Révélation, ça se dit Apocalypse. Après moi le déluge. Vive Sarko.

    75

    LE MENAGE ET LA VAISSELLE

    Citation 847 : « ...et il ajouta encore qu'à ce qu'il croyait d'une foi plus forte qu'aucune croyance, plus noble et plus dangereuse, Dieu maudissait certains êtres parce qu'il les préférait aux autres et qu'il savait que, quoi qu'il leur advînt, ces êtres-là seraient toujours pour lui les enfants de son coeur puisqu'ils avaient été assez dignes, assez généreux pour accepter qu'il les outrageât en les précipitant dans la malédiction. « Et, au jour du Jugement, Dieu pleurera sur les maudits, et les maudits pardonneront à Dieu ».

    ALEXANDRE KALDA « Le désir » ch. 8

    Chez moi, c'est dégueulasse. Tout est dégueulasse. Un vrai bouge de chez Bouge. Amoureux du ménage bien fait, passez votre chemin. Ceux qui viennent chez moi et qui ne veulent pas revenir, Des épluchures par terre. Des moutons sous le lit : carrément l'Australie (grande victoire napoléonienne : La bataille d'Australie). Les poussières, pas faites. Le lit, large ouvert. Les chiottes, crado. Les chemises sans boutons, les braguettes coincées, les semelles carbonisées. Alors les ceusses qui reviennent (la plupart ne reviennent pas - ils sont jugés : Mané, Thécel, Pharès - je n'ai pas perdu grand monde) ils me disent : “Je ne sais pas, moi” - excellent début, ils devraient se borner là, hélas ils continuent - “pourquoi qu'vous n'changeriez pas un p'tit quequ'chose tous les jours ? Juste un petit coup, le lundi ci, le mardi ça ? Ça vous prendrait, quoi, deux minutes !” C'est leur mot : ça vous prendrait, quoi, deux minutes. L'ennui, braves gens, c'est – indépendamment du fait que sitôt arrivé au bas de la Tour Eiffel, il faut tout recommencer du haut – que deux minutes plus deux minutes plus deux minutes, on arrive au bout de la journée sans avoir rien foutu d'intelligent, et ça donne Ma Mère avec son caractère exécrable et ses intarissables râleries.

    Elle est morte, Dieu ait son âme. Mais l'interloque, huteur, précise sa... comment dire ? “...”pensée”...? - Tiens tu vois, la baignoire, tu la rinces, un peu de produit (faut pas attendre que ça

    soit sale) et hop ! trente secondes ! ...et là, tu vois, le sol de la zinecui, tu balayes les miettes, même pas une minute !” - le lit à faire, deux minutes ; se brosser les dents (eh oui), trois fois par jour pour ne pas finir comme Ma Mère avec son Dentier du Haut et son Dentier du Bas... Sans oublier de débarrasser la table et de faire la vaisselle (“Evidemment, faut pas attendre que l'évier soit plein, tu lave juste ce qui a servi au repas : 2 assiettes, 2 fourchettes, 2 couteaux, vite-vite, tu rinces l'évier – trois minutes !”) (plus quatre, parce qu'avec ce rythme-là tu t'es ouvert le pouce avec le schlâsse, Synthol-Sparadrap...).

    L'écran de la télé aussi, régulièrement, une minute ; les godasses, dix coups de brosse chacune, avant de sortir. Les vitres une fois mettons tous les dix-quinze jours, et l'aspirateur dans la voiture (“il est en panne” “T'as qu'à l'racheter”) - j'oubliais : une machine, au moins une fois par semaine. Parce qu'il ne faut pas exagérer, on n'est pas des maniaques, non plus, certaines choses ne se font que tous les deux ou trois jours, on fait un roulement (in french : a turn-over) – comme les médocs des alzheimer dans les petits casiers, pilules-sachets-gouttes-ampoules - “et deux biscottes” ajoutait Jacques Faizant – je ne quitte pas le sujet : c'est quand même lui, Jacques Faizant, qui devant le public, interrogé sur la raison qui permet aux femmes d'en mettre plein la gueule aux hommes de dix années de longévité, a répondu avec finesse entre les bouffées de pipe : “C'est normal ! Les femmes ont leurs soucis...” Murmures d'attendrissement féminin dans la salle. Quel brave homme, ce Jacques Faizant. Il va sûrement ajouter que les femmes ont bien le droit au rab de vie, après s'être tant de fois décarcassées pour leurs ingrats de maris et leurs salopiauds de morveux. Or le grand Jacques poursuit : “Les hommes ont aussi leurs soucis... plus ceux de leur femme.” Hurlement féroce d'allégresse masculine, applaudissements prolongés... Parce que les femmes qui geignent sur leur “double journée” (“boulot/ménage), c'est bien fait pour leur tronche. Elles n'avaient qu'à m'épouser, Moi. Quand je rentre le soir en effet, le lit bâille sur ses taches obscènes – les oreillers froissés en plein milieu ; la poubelle, j'ai dû la rentrer moi-même en descendant de ma Poubelle-Opel ; le p'tit-dej est resté intact sur la table avec les fonds de bol au thé froid, les pots de conf tout ouverts grouillants de mouche (c'est l'été) plus les miettes soigneusement positionnées sur la nappe en ordre alphabétique. Ma femme est au lit, elle se repose de ses coups de téléphone. Quant au chat, il miaule comme un dératé à côté de sa merde à côté de sa litière qui déborde et réclame sa pâtée (le chat) pour pouvoir en rechier une truelle...Vous avez compris : mon épouse est une Phéministe.

    Il paraît – il paraît – que les hommes à présent font un peu plus le ménage – 10 % au lieu de 5 % - eh, le double, tout de même ! Et femmes de concéder – les hommes cons, ça fait longtemps qu'ils ont cédé - “Oui c'est vrai, ils en font ; plutôt mal, mais enfin, un peu.” On le fait mâle ? Mais enfin, Mesdames, qui est-ce qui vous force à tout frotter-briquer-récurer impec-nickel dans votre appartement de mes deux ? Est-il si indispensable d'astiquer la chambre une demi-heure chaque matin, d'aspirer la moquette six fois par semaine plus le dimanche à l'heure de Télé-Foot ? (à donf, l'aspirateur...) A chaque mauvaise fois qu'on veut “aider”, on se fait jeter : “Non ça tu laisses j'ai l'habitude toi tu vas tout saloper”- OK, OK ! Mais ne vous plaignez pas ! »

    ...et une fois que vous avez fini tout ça, et que votre femme s'est bien recouchée jusqu'à midi, vous vous apercevez que ça fait bien deux heures que vous êtes en train de courir, entre la toilette, la vaisselle et le petit-dèj, et franchement, deux heures de corvées non-stop dès le lever ça vous met dans une pêche d'enfer et une envie exaltante d'envoyer votre poing dans la gueule à tout ce qui bouge. Même à ce qui ne bouge pas d'ailleurs. Comme me disait un pote à moi : « Mais enfin, quand tu rentres du boulot, et qu'il te reste mettons vingt minutes avant de manger, tu pourraisje ne sais pas moi faire un peu de ménage, un peu de rangement ? Ça ne te prendrait pas grand-chose, et ça ne te ferait pas plaisir d'avoir autour de toi une maison, un intérieur bien propre, bien ordonné ? - Excuse moi not'Glaude, mais ces vingt minutes-là, c'est le seul moment que j'aie dans la journée pour écrire. »

    Ah pour le coup ça lui a tout coupé à not' plouc. Il ne s'y attendait pas,à celle-là : écrire ! Je te demande un peu ! Pourquoi pas lire, tant qu'on y est ? Parce que « ces gens-là », ceux qui «font le ménage », ça ne leur vient pas à l'idée qu'on puisse écrire ou lire ou faire quoi que ce soit d'autre que le ménage ou la télé. Ça les dépasse. Ça n'est pas de leur monde. Ça ne fait pas partie de leur paysage. Ils ne voient même pas de quoi il peut bien être question. Seul un vague souvenir, un vague respect résiduel, les empêche de vous éclater de rire à la gueule (« qu'est-ce que c'est que ces conneries ? » »). Et ceux qui lisent, qui écrivent, qui peignent, les vivants, quoi, ils t'assènent parfois: « Mais regarde, MOI, j'y arrive, à lire, à écrire, à jouer du piano, et pourtant tout est bien rangé chez moi, ce n'est pas le bordel comme chez toi. »

    Ben jene sais pas comment ils font. A vrai dire je ne sais même pas comment ils font pour conserver leur puissance créatrice, leur sincérité, leur AME. Parce que vou ssavez, on peut très bien consacrer toute sa vie au Ménage, à la Sécurité sociale, aux Procès, au Torchage de Mômes, on trouvera toujours quelque chose à faire 18 heures par jour, quitte à se relever la nuit pour en refaire. Après c'est la grande litanie : « j'ai pas le temps j'ai pas le temps »... On se crée le temps, mais oui, bien entendu, vous le saviez ! (de Marseille...) La grande découverte de la Sagesse aussi Con que Temporaine, c'est que le corps et l'esprit sont liés, que le bien et le mal sont liés, que tout se vaut et s'interpénètre.

    OKK – KKKAY ! Mais je sais bien, moi, qu'il y a le corps et l'esprit, le muscle et l'âme, c'est ma modeste petite expérience comme ça, je ne suis pas Sage, je ne suis pas un Exemple, je ressens comme ça qu'est-ce que vous voulez que j'y foute... Je faisais de la peinture près du plafond, mon co-peintre (pas mon copain) me dit : « Qu'est-ce que c'est que ce gâchis ? Regarde, c'est comme ça qu'il faut faire. » Il faisait, très exactement, comme moi. Je refais après lui, très exactement comme lui, c'est-à-dire comme moi. Il me redit : « Mais non, pas comme ça, comme ça » - et il refait exactement la même chose que moi qui faisais très exactement comme lui. A la fin ça a fini par le pot de peinture sur sa gueule. Même chose pour enrouler les vrilles de la vigne autour du fil de fer (travail vigneron...) (autre copain (c'était un vrai un ami, celui-là) est mort depuis d'un cancer aux couilles ; il avait dû mal se les tortiller - ah ça m'a emmerdé quand même... -il me disait, 17 ans avant sa mort : « Mais enfin tu ne comprends pas ? Comme ça je te dis ! Mais non, pas comme ça, comme ça ! » - je refaisais très exactement le même geste, même torsion, même enroulement, au quart de millimètre près, mais c'était la même chose. Non moi ce que je crois, mai ssincèrement, c'est qu'une personne qui possède une certaine connaissance, un ruc purement technique, comme d'ouvrir une capsule de bière avec un manche de fourchette ou autre talent de société, vu qu'il ne sait rien faire d'autre, surtout pas sur le plan intellectuel (car ne venez pas me faire croire que de savoir gratter son allumette sur sa semelle fait partie e la vie intellectuelle), il se sent tellement fier (et humilié aussi de ne pas savoir faire autre chose) qu'il n'a qu'une envie, c'est de vous HUMILIER.

    C'est comme le nettoyage de ma bagnole : tout juste si je ne me faisais pas dire que c'était encore plus dégueulasse qu'avant. Alors je suis allé dire, innocemment, devant le reste de la famille dans une autre pièce, que c'était un truc pour se faire mousser, et que ça me faisait bien rigoler. Là-dessus je fais semblant de me remettre au nettoyage, le mec se repointe, et dit : « Ah, ben cette fois, c'est parfait ! Tu vois quand tu veux ! » Et le coup du frein à main bloqué, ou du pot de confiture (ou du pneu) trop vissé, que le garagiste te débloquait dans le temps d'un coup de vilebrequin, avec un air faussement modeste, tu crois qu'il te dirait, ce petit prodige, qu'il faut FORCER pour redévisser, et que (tout à fait illogiquement d'ailleurs, parce que chez moi, quand on aggrave une situation, elle reste aggravée) c'est justement ce forçage qui débloque tout ? Non, il ne te le dit surotut pas, c'est é-vi-dent, c'est sa marque de fabrique, c'est son petit truc à lui de bricolo MATERIEL, il m'a fallu quarante ans pour le découvrir tout seul, ce truc paraît-il si logique, si évident...

    Et quand vous venez de faire le ménage, c'est toujours à ce moment-là que quelqu'un arrive : « Oh, mais c'est dégueulasse ici ! » Tu réponds : « Tu fais bien de me le faire observer, mon con, parce que c'est justement à l'instant que je viens de nettoyer. » Tentez l'expérience, tenez, faites donc les poussières, pour voir, juste avant l'arivée de votre belle-mère : elle trouvera toujours un petit coin que vous avez oublié d'astiquer. Alors vous répondez : « Astique ton cul . » C'est ainsi que nous avons reçu deux lettres d'insultes méprisantes, sortant d'un appartement de Bordeaux, d'un autre de Nice, après avoir tout soigneusement nettoyé, frotté, briqué, parce que nous avions tout laissé dans un état vomitif, et qu'on allait nous retenir la caution, non mais, ces intellos, qu'est-ce qu'ils se croient, même pas foutus de laisser tout propre derrière eux ! Quant aux letttres reçues, elles étaient quasiment illisibles tant elles grouillaient de fautes d'orthographe et de constructions : des griffonnages sans suite... Moi je n'ai rien contre les pauvres, les prolos, les gens qui n'ont pas les moyens. Je vote toujours pour eux. A gauche, parfaitement. Mais qu'ils ne viennent pas la ramener avec leur courte science de maniement du chiffon et du balai-brosse. Parce que les prolos de l'esprit, ça je ne supporte pas. Et je suis désolé, celui qui passe tout son temps à tout nettoyer, ou à bricoler,

    et qui veut par-dessus le marché me donner des leçons, non seulement de bricolage, mais de façon de vivre, je ne dis pas que c'est le roi des cons, parce que c'est peut-être bien moi aussi, le roi des cons, mais je ne trouve rien à leur dire. Rien. Rien de rien de rien...

    Ah les ménagères ! Avec au fond des cieux l'image en grand de la Parfaite Maman Femme de Ménage, qui vous espionne et vous félicite du haut de son nuage, comme dit Simone de Bavoir... Le matin ? Ça donne : sykonomai, plinomai, dynomai – c'est du grec à 6000 : “je me réveille, je me lave, je m'habille”. Toilette 3 mn, douche 10 mn, rasage 3 mn. Ouvrir les volets 2mn, nourrir le chat (et non pas “nourrir les volets” et “ouvrir le chat”)(putain la vieille envie qui me tenaille). Demander d'un ton suave à la forme sous les draps Bonjour MINOU ! Tu veux bien déjeuner avec moi MINOU ? Et la forme répond Arghblouglouglou et j'entrouvre le volet. Je mets la table , bols, beurre, trois pots de confiture (s'il en manque un, c'est le troisième qu'elle voudra) (la forme dans le lit, ma femme), les 2 beurres (chacun le sien), les quatre cuillers les deux couteaux qui coupent et les deux qui tartinent, puis 2e appel : MINOU ! (etc.) - vaisselle en partie, 3e appel MINOU ! - et parfois elle se lève. Fin de la vaisselle, petit-déjeuner. Couverts dans le bac - “Il est bon qu'une femme ait ses deux bacs : un pour l'eau froide, un pour l'eau chaude”, mdr, putain je ne m'en lasse pas – d'accord, j'arrête. Mpfff...

    UNE NOUVELLE ERE DE LIBERTE

     

    Bernard COLLIGNON, Singe Vert,

     

    Ton admiration sans borne pour tsarkonazi aurait-elle l'obligeance de tirer un certain Philippe d'un très mauvais pas ?

    Comme tu le liras dans l'article de la Dépêche du Midi, un journaleux se mouille et prend des risques dans son article concernant une simple histoire de carte postale mail art, laquelle ose dévoiler un nichon pincé à linge ... 

    Suite : Perquisition, saisie des collages et de l'ordinateur de P, qui a décidé de prendre un avocat à 2500 euros. Comme il n'a pas de fric, il va essayer l'aide jurifictionnelle... 

    Mais ma proposition tient toujours : tu écris à ton copain Chef de l'Etat et l'affaire est close... 

    Sinon tu ne m'envoies plus ta revue, que je lisais ma foi avec un certain plaisir...

     

    Jean-Pierre

    ici j'envoie un petit courriel modérateur...  

    « Ce qui t'arrive (et qui pourrait arriver à bien d'autres) est gerbant au dernier degré. Mais je ne vois pas le rapport avec Sarkozy, que je suis loin d'admirer "sans bornes". Ta réaction est la preuve par neuf de ce que je pense : "J'ai pété, c'est la faute à Sarkozy, ça pue, c'est la faute à Fillon." Est-ce que tu t'imagines que la France a attendu Sarkozy pour être parfaitement conne ? Non, la preuve, c'est tout de même bien elle qui l'a élu. Pourquoi ? Parce qu'il correspondait à l'évolution, à la lepénisation dans un sens, des esprits. Est-ce que tu t'imagines par hasard que l'élection de Ségolène Royal aurait changé quoi que ce soit ? Avec une féministe comme elle, tu aurais autant morflé, car elle est très remontée contre tout ce qui ressemble de près ou de loin à une érection. On aurait gueulé à la "dévalorisation du corps de la femme", à l' "atteinte aux organes sacrés de l'allaitement maternel", etc... Il est ignoble de s'acharner ainsi contre toi. Mais je ne suis pas "le copain" de Sarkozy, qui me renverrait aux pelotes et aux instances judiciaires.
    Moi aussi, figure-toi, je peux me faire arrêter et menotter d'un jour à l'autre, pour peu que dans le climat d'hystérie antisexe actuel une de mes élèves se mette en tête de déclarer, vingt ou trente ans après, que je l'ai tripotée. Et je serais livré aux journalistes. Nous vivons dans une ère de suspicion généralisée, en plein Procès de Kafka. Et je ne vois pas ce que Sarkozy ou Ségolène Royal, ou les Américains, ou les Israéliens, ou qui que ce soit, viennent faire là-dedans. C'est l'époque et le pays qui sont devenus cons. Quant aux   flics, ils le sont par définition depuis la nuit des temps. Je ferai circuler ta lettre pour que ce procès scandaleux soit connu du plus grand nombre. Et si tu as envie de me tenir au courant, ce sera avec la plus grande attention de ma part. Bernard

    Réponse:

    Pour ne point t'embrouillaminer, j'espère que tu as compris que c'est moi, Jean- Pierre ESPIL (adresse "Maison Campots, 40180 YZOSSE"), qui t'ai envoyé le

    message ci-dessous, au sujet des ennuis que subit Philippe PISSIER actuellement... Philippe PISSIER n'est d'ailleurs pas au courant de ce message...

    De quoi je me mêle ? De ce qui ne me regarde pas, comme toujours... Je connais

    Philippe depuis si longtemps...  

    Philippe PISSIER, si j'ai bien compris, porte plainte pour diffamation contre La Poste et veut monter un comité de soutien avec un avocat parisien anti-sarko (paraît que ça existe à 2500 euros)... 

    Ta revue pro-sarko est forcément pour quelque chose à ma réaction épidermique... EN FAIT JE HAIS LES POLITICARDS DE TOUS BORDS, ET PLUS PARTICULIÈREMENT LES DÉCIDEURS, CEUX QUI SE LA JOUENT GRANDS, MOYENS ET PETITS CHEFS... 

    Tu as été prof, j'ai été instit, et à 60 balais je suis retraité... 

    Comme toi je détruirais sans remords les IUFM, mais aussi les RASED (tu sais le truc avec un pissecologue scolaire qui fait dessiner un gamin 10 minutes pour le placer en famille d'accueil selon la couleur de ses rêves)... MAIS AUSSI LES KAPOS DE LA HIÉRARCHIE  (DU MINISTRE A L'IEN) QUI FONT CHIER LES BESOGNEUX D'ENSEIGNANTS JUSQU'AU SUICIDE... CES SALAUDS PLANQUÉS QUI NE SAVENT PLUS (OU N'ONT JAMAIS SU) CE QU'EST UNE CLASSE, (ALORS QU'ILS NOTENT EN FAIT DES OUVRIERS SPÉCIALISÉS), JE LES PLACERAIS D'OFFICE 6 MOIS EN FORMATION CONTINUE CHARGÉS DE COURS, EN CLASSE UNIQUE, EN ZEP, EN CHAUDE BANLIEUE... CONDITION SINE QUA NON POUR POSTULER AU PORTEFEUILLE MINISTÉRIEL SI CONVOITÉ... Jean-Pierre ESPIL

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    L'EDUCATION NATIONALE

    EXERGUE

    863.- Lorsqu'on se fait brebis, le loup vous croque.

     

    Qu'elle crève. Une bonne fois pour toutes. Personne n'en a plus rien à foutre de la Culture et des Programmes. Qu'elle éclate, six élèves par-ci, trente-trois par-là, avec à leur tête qui on veut, qui les embrigade comme on veut, dans le sens du bien. 10 000 petites structures de bonne volonté. Tout ce qu'on veut, mais plus ce gros machin qui ne digère plus rien. Je ne vois rien d'autre qu'une foultitude d'initiatives personnelles et dispersées pour constituer un remède. Au Ve siècle n'existaient plus que des cours privés. C'était le bon temps. Les Barbares barbarisaient, les curés instruisaient, chacun à se place dans la société, la loi du plus fort, c'était clair et net. Nous voici revenus au temps des Grandes Invasions, mais bien plus internes qu'externes : celles de la connerie, de la démagogie et de l'idéologie libertaire.

    On finasse, on atermoie, on n'enseigne plus l'orthographe mais on place toutes les fautes de la classe au tableau et on fait discuter les élèves pour choisir. A six ans. On ne brutalise pas les pauvres petits nélèves qui ont droit au respect, prout-prout, et puis on les lâche dans la jungle (ils appellent ça « la vie », « le bac à sable »), et v'lan, et poum, et chtonkkk ! Je t'en foutrais moi de la démocratie, c'est tout hypocrisie et jésuitisme, et à la fin, c'est comme aux temps préhistoriques, les meurtres en moins (du moins cheux nous), toujours eul' plus costaud qui gagne. Ou le plus intelligent, le plus rusé, le plus social, le plus, quoi ! … Mais avant, pour affaiblir les plus faibles, on te les aura bien enduits de vaseline morale, pour qu'ils glissent mieux dans la gueule du gobeur, sans trop souffrir, et en se répétant avant de crever : « J'suis été l'meilleur, sur le plan moral, sur le plan éthique ! » et colégram.

    Ah, le bon vieux temps du Ve siècle (j'y reviens), où on pouvait massacrer à tour de bras, piller, violer, puis une confession au curé le plus proche (avant de le trucider) – et à l'assaut ! Au feu les nonnes ! (bon, fin du délire) (c'étaient eux tout de même, les religieux, les clercs, qui dispensaient l'enseignement, qui transmettaient Virgile et Horace (j'aime pas Horace), bien que ces

    derniers fussent païens... Donc, au Ve siècle, d'un côté les puissants, de l'autre ceux qui [...tiens, une coupure ; ce que c'est tout de même que le progrès de l'électronique : on perd des phrases...]- l'Apennin Ligure, au pied duquel j'ai couché sans savoir encore que c'était Bobbio, où s'étaient conservés des centaines de manuscrits antiques. Mais il est vain de vouloir apporter au Peuple la sagesse, le savoir, que sais-je... 98,5% des gens se contrefoutent de la culture, des bouquins, des tableaux, des sculptures – les maths, direz-vous ? Les sciences, la technique ? Pardon, ce n'est pas de la culture : c'est l'autre partie du cerveau.

    De la spécialisation. Vous me voyez, franchement, discutant équations ou intégrales pendant le repas de Noël ? Notez qu'il y en a bien pour parler octets ou megabits : ce sont des mufles. Parlez-moi de Pascal, de Montaigne, du Clézio, mais ne m'embrenez pas les tympans avec votre informatique ou vos tubulures de Yamaha. Chaque fois qu'on a voulu instruire le Po-heuple, ç'a été en vain ; je le souviendrai éternellement de la phrase la plus puissante que j'aie entendue : « Qu'est-ce que j'en ai à foutre de vos passés simples, moi ce que je veux plus tard c'est conduire des camions. » Ben oui mon con, toi yen a prendre le volant, et toi déchiffrer les panoroutié. Ça te suffira pauvre tache.

    Les prolos n'accèdent pas à la culture : ce n'est pourtant pas faute de la leur proposer. Il y a peu de fils d'ouvriers dans les études supérieures ? Évidemment, ils n'en voient pas l'intérêt. « Oh moi les études, ça ne m'intéressait pas trop » - dis plutôt que t'y comprenais rien, analphabète, et va remettre tes pognes dans le cambouis. Comme disait l'autre : « Eh, personne ne leur a demandé de faire des études. » Authentique. « Ah mais permettez, c'est intolérable, il y a des tas de choses à savoir pour devenir camionneur, techniquement, intuitivement (« Ça passe ou ça ne passe pas ? - Une pipe si ça passe !...eh merde il a passé – pttt', pttt', putain de camion – garçononon ! UNE BIERE ! ») - et la réalisation d'un camionneur vaut bien celle d'un prof de fac, puisqu'on va tous mourir à la fin » - désolé, désolé : il y a plus, infiniment plus de sensibilité, plus de raffinement, de culture en un mot que ça vous plaise ou non, à s'y connaître en Mozart ou en Vivaldi qu'en moteurs de Trente Tonnes.

    Or nous avons tout fait pour les garnir, les gaver de culture, les prolos ; et ils n'en ont pas voulu. « Lire ? Avoir des ailes ? Ça va pas non ? Nous ON PREFERE RAMPER ! Se cultiver ? Bon pour les pédés ! » Et c'est ainsi que le prolo se ramène dans la vie avec trois idées qui se battent en duel, alors que l'intello en aura une vingtaine... Il faut avoir vu des classes entières de prolos, Parfaitement, de fils d'ouvrier, fils de chômeurs, fils d'immigrés, taper le bordel, empêcher le prof de parler, jacasser, tonitruer Ça n'sert à rien en grasseyant bien les deux r ça serh à rhien avec la torsion méprisante de la gueule et de la gorge style "un poil près et je lâche le mollard" – le latin, le dessin, la musique ça serh à rhien ce qui sert c'est le Code de la Route et de remplir un Chèque et de s'acheter un bon Frigo pour conserver la Bouffe. Ce qui a foutu en l'air l'Education Nationale voyez-vous ce sont une fois de plus eh oui les jjjournalistes : il ne se passe pas de semaine, il ne se passe pas de jour sans que paraisse un article, une "enquête" démolissant l'Education Nationale, et soulignant à l'envi le fait que je ne sais combien pour cent des élèves sortent de l'école sans diplôme.

    Voulez-vous que je vous dise pourquoi ils n'ont pas de diplôme ? Ce n'est pourtant pas sorcier : les études, ça n'intéresse personne. 98,5% des élèves et des gens je le répète n'en ont strictement rien à foutre de la lecture, de l'écriture, des beaux-arts ou de la musique : ça serh à rhien on vous dit. Ceux qui déconnent en classe, ce sont les enfants de prolos, parfaitement, ceux pour qui on se décarcasse, parce que, tout simplement, ils n'en ont rien à cirer. Les journaleux prétendent avoir entendu en conseil de classe des profs orienter leurs élèves en fonction du milieu social où ils vivent. Or j'ai assisté, en personne, 39 ans durant soit trois fois plus multiplié par 4 classes, dans les 468 conseils de classe et jamais, vous m'entendez, jamais, je n'ai entendu l'ombre d'un commentaire désobligeant sur l'origine sociale d'un élève ("ouais, euh, vu le milieu d'où il vient, personne ne va pouvoir l'aider ou le soutenir", allez hop, section courte") – JAMAIS.

    C'est une honte. Une ignominie. Une calomnie – "calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose" – et j'oubliais les sociologues : j'ai lu ceci, parfaitement, de mes yeux lu : "Le but de l'école demeure la sélection des élites, le maintient à tout prix de la hiérarchie existante, et non l'ambition d'amener tout le monde à la connaissance" – dans un grand hebdomadaire de télévision suivez mon regard – et ce sont des "constatations", des vomissures idéologiques de cet ordre, et rien d'autre, qui ont enlisé l'Education Nationale dans ce bourbier. Depuis plus de quarante ans chacun vient taper sur l'E.N. à bras raccourcis en l'accusant de tous les maux. Les parents lisent cela, les enfants aussi, comment voulez-vous que s'établisse la moindre confiance entre les gens et l'école ? "Tout se passe comme si", à la rigueur ; mais dire que c'est fait exprès, que ce soit UN BUT ! vous vous rendez compte de ce que vous dites, sociologues de chiottes ? SON BUT ! Venez donc les voir, les fils de prolos, transformer la classe en souk, faire chialer les débutantes, emmerder à mort celui qui veut travailler (celle, plutôt), lui cacher son cartable, lui barbouiller ses bouquins, lui saloper les classeurs, le traiter d'intello ou de pédé (pour les filles, c'est "collabo"). Venez, enquêteurs-sociologues, faire cours dans une classe du peuple fermement décidée grâce à vous à transformer le cours en bordel et le prof en bourrique ("Celle-là, on va voir en combien de temps on la vire", je vous dis le nom de la prof et de l'établissement quand vous voulez, souteneurs de Staline, à présent de l'islamisme) – venez gueuler contre l'élitisme et dénoncer "la panne de l'ascenseur social" – TIENS DONC !

    ...Il y a des professions inférieures, et des positions supérieures ? MESSIEURS LES EGALITAIRES ??? Parce que les élèves qui ne suivent pas, soutien scolaire ou pas (tu parles, embryonnaire), quel va être leur premier souci, à votre avis ? De semer la zone ; putain je pige que dalle, pas question que les autres puissent comprendre quoi que ce soit. Ce ne sont pas les fils de bourgeois qui déconnent, je peux vous le certifier. Alors cessons de nous apitoyer ou de nous indigner vertueusement : gonflés à bloc par les calomniateurs, la plupart des élèves à présent veulent bien prendre l'ascenseur social, mais surtout, sans en foutre une rame, et surtout, ah ! surtout, sans être sélectionéns. "L'école est ennuyeuse" - mais depuis la nuit des temps, nande d'ignares !

    J'ai donc pris ma plume pour écrire à l'hebdomadaire en question voir plus haut, et poliment, si si. Vous croyez peut-être qu'on m'a publié, qu'on m'a répondu ? Que dalle ! mêmepas d'accusé de réception ! Ah mais ! "On n'est pas des fachos par cheux nous". Voyez-vous, si les journalistes un beau jour décident d'attaquer les boulangers, en répandant le bruit que leur pain est dégueulasse, avec des traces de fioul dans la pâte, sans compter qu'ils pissent dans le pétrin pour délier la farine, tout ça pour 100% trop cher – mais on trouve des cafards cuits dans les baguettes – je ne donne pas cinq ans à la profession pour s'effondrer. Présenter la police comme un ramassis de poivrots qui multiplie les contrôle au faciès et les matraquages en arrière-salles de commissariat – bavures, viols collectifs en uniforme, fausses contraventions payables en liquide et complicité de réseaux de prostitution : je préfère ne pas vous dire ce qu'ils vont penser de leur police, les Français.

    D'ailleurs sur ce plan-là ils ont déjà fait très fort, les journalistes. Il ne leur a plus manqué que les nounous qui tripotent les gamins du côté d'Outreau, d'ailleurs ils ne sont pas passés loin. Il y aurait une série de vigoureux coups de pied au cul à donner à ces diviseurs de société, qui montent les classes les unes contre les autres, et qui transforment le Vingt Heures en statistiques des Pompes

    Funèbres Internationales. Jamais rien qui va bien, jamais rien sur les programmes de relance économique ou les luttes victorieuses contre la corruption en Afrique – "On ne parle pas des trains qui arrivent à l'heure ! - Et vos prétendus reportages sur les départs en vacances, la neige en décembre et le soleil en été, c'est quoi ? Le bac, la rentrée, les voisins de l'assassin qui le trouvaient "si poli, si tranquille" ? - je t'en foutrais moi des "soutiens aux élèves en difficulté", qu'est-ce que vous voulez que je fasse d'une grande conne de seconde qui ne sait toujours pas conjuguer un imparfait ? "Derrière un guichet de poste elle n'aura pas besoin de conjuguer l'imparfait" putain l'argument !

    Le drame voyez-vous c'est quand Jules Ferry a décrété l'enseignement laïque – ouf !! - gratuit – très bien ! - et, malheureusement... obligatoire ! Extraordinaire, dans les années 1890 ! Mais à présent, orientez-les, par pitié, le plus vite possible ! "Il ne faut pas sélectionner" – non mon brave, orienter, ça revient au même et ça sonne mieux. "Autrefois, il y avait plus d'ouvriers dans l'enseignement supérieur" – oui, mon brave, mais il n'y avait pas une meute de feuilles de chou pour leur bourrer le crâne avec l'inutilité de l'éducation, ârce que les profs c'est tous des guignols juste capables de foutre des bafs et de tripoter leurs élèves dans les vestiaires ! Je me souviens du fils R., qui emmerdait toute la classe à lui tout seul, dont les parents étaient venus gueuler "Vous voyez que notre fils se casse la gueule et vous ne faites rien pour lui – pardon, pardon : c'était LUI qui faisait se casser la gueule à toute la classe.

    Le plus beau est à venir : "S'il commençait par se taire en classe... - Et vous ne voyez pas que ce bavardage perpétuel est un appel au secours ?!" Mais au but de la quinzième observation sans résultat, le prof moyen voudrait bien commencer son cours, comme beaucoup d'élèves aussi d'ailleurs. Qui n'ont pas du tout, mais alors pas du tout l'impression que le prof les "brime" parce qu'il en sait plus qu'eux. Mettez les cancres au boulot ! Et si plus tard, à 19 ans, à 27 ans, à 58 ans, ils veulent reprendre leurs études, se recycler, acceptez-les en classe ! Il y a des gens comme ça qui ne se rendent compte qu'il faut travailler en classe qu'après 10, 20 ans de vache enragée. Alors, une remise à niveau.

    Sans aller aussitôt penser "mise en contact adultes-enfants égale pédophilie" c'est quoi ce délire ? S'il y avait ne fût-ce que deux ou trois adultes par classe, vous verriez s'ils ne se tiendraient pas tranquilles, les mômes... Au premier déconnage, il entendrait ceci : "Ecoute morveux, moi je suis là pour étudier OK ? Alors tu vas pas emmerder le peuple." Et les morpions se calmeraient fissa, je vous le jure. L'avenir de l'Education Nationale est dans sa disparition, dans son éclatement en une multitude de petits établissements privés, autonomes, délivrant leurs propres diplômes, professionnels surtout. Tout se ferait comme aux Etats-Unis, vous savez, cette nation de tyrans obèses qui bouffent un Irakien au repas et un enfant afghan au dessert) – c'est-à-dire qu'on vous jugerait sur votre compétence (et non pas sur votre "expertise", assassins de la langue française) : "Vous savez travailler sur "excell" ? ...fabriquer de la saucisse ? ...lancer des fusées ? OK, just show to us... Vous ne savez pas ? ...foutez de notre gueule ? Fuck off." Evidemment il y aurait le piston social : Un tel connaît Un tel connaît Un tel...

    De plus, "que l'on sélectionne par le diplôme, le piston ou le canapé, il y aura toujours la même proportion d'incompétents" – mais pour décrocher un boulot : sans recommandations, vous ne trouverez rien. Et surtout pas à l'ANPE ("Avec Nous Plus d'Espoir", variante : "Arabe N'a Pas d'Emploi") – je vous en foutrais moi de l"autonomie de la recherche", de la "réflexion personnelle". Mais toutes ces vastes réformes obligatoires, toute cette systématique démolition de l'enseignement par des pignoufs qui n'ont jamais foutu les pieds dans une classe (Pivot : "Ah tiens ce srait bien ça : si toutes les classes faisaient leur journal au lieu de s'emmerder avec la littérature" – tu en as lu des journaux de classes, Bébert ? Entre les vannes niveau Grosses Têtes et règlements de comptes censurés par Môssieu le Proviseur...) - en vérité je vous le dis : placez vos enfants dans des petites structures vissées à mort, passez des uniformes à tout le monde – les Anglais qui le font ne sont pas plus dégénérés que les autres, il est vrai que là-bas c'est souvent la racaille qui fait la loi dans les classes) et AVEC LE NOM sur l'uniforme SVP pour apprendre à nos enfants lz responsabilité de leurs actes et non pas la lâcheté de l'insulte dane le dos par groupe de cinq... Et surtout, aux profs, foutez-leur la paix, vous entendez ? la paix.

    La paix. Peace. Frieden. Páz. Pace. Journalistes, philosophes de comptois en zinc, allez-y donc voir ! Faites-les, ces fameuses 18 heures par semaine ! Qui pour la tension nerveuse vous en font 36 ! je sais, il existe des chirurgiens qui font 34 heures par jour. Il y a toujours plus malheureux que soi. Qu'ils ne plaignent pas, ces fameux chirurgiens, ça pourrait être pire; ils pourraient être morts. C'était notre passage "démolition des arguments à la con". Evidemment que je les admire, les chirurgiens. Tiens, digressons donc : l'IUFM ("Institut Universitaire de Formation des Maîtres") est une crétinerie ridicule qui vise à donner aux élèves une autonomie dans l'acquisition de son savoir : PARFAIT ! MAIS EN MÊME TEMPS il désapprouve toute tenttative d'enseigner aux élèves quoi que ce soit, parce que ce serait une intolérable brimade. Comme disait le Directeur des Beaux-Arts de Bordeaux à tel éminent technicien en dessin et gravire : "Monsieur P., n'oubliez pas que vous n'êtes pas ici pour apprendre aux élèves de façon directive, mais pour les aider à s'exprimer !" Il en avait les larmes aux yeux à nous raconter ça. Paix à son âme ! Un facho de moins, n'est-ce pas... Alors, on les laisse s'exprimer, les grands nélèves, et ils s'apprennent entre eux tout ce qu'ils ne savent pas.

    Et comme ils y sont vivement encouragés, ils pataugent dans l'ignorance, et se vautrent dans le prétentieux et le péremptoire. C'est nous, les profs, qui sommes les bourreaux, les déconnectés de la Réalité (qu'ès aco ?) - les Feignants, les Ringards ! Total ce n'est même plus l'orthographe qui est en cause ("la science des ânes", bien sûr) mais la compréhension même des textes produits par des élèves. J'ai lu des phrases comme "le chat sont noir", en seconde ! L'élève avait confondu tenez-vous bien le singulier et le pluriel du verbe être ! Et ne venez pas me dire que c'est une exception, les copies à corriger sont un véritable supplice, on ne comprends plus ce que l'élève a voulu dire! Et le lui faire remarquer, c'est une brimade !

    Une brimade raciste, si l'élève est noir. J'ai vu, moi qui vous parle, un élève lire, en seconde, en suivant les lignes avec sa règle ! Des jeunes me déclarer qu'ils n'aimaient pas lire, parce qu'arrivés à la fin de la page ils avaient oublié de quoi parlait le texte au début ! La seule façon d'apprendre à enseigner, c'est comme au théâtre : hop, sur les planches ! Ou la nage : on se jette à l'eau ! L'IUFM apprenait à nager sur le sable. J'ai sauté de joie quand j'ai appris qu"il allait être supprimé. Nous allons donc peut-être enfin enseigner sans nous faire soupçonner de fascisme – apprendre le français, c'est ni plus ni moins que du fascisme. Exactement comme pour la Marseillaise.

    Maintenant, pour faire taire M. Lang, c'est difficile. Même Zemmour y a échoué. J'en ai marre d'entendre ricaner de tout son nez à chaque fois qu'on parle de la ruine de la langue française, autrement dit de la ruine de l'expression et de la pensée des élèves. Ces derniers se mettent désormais à écrire dans une espèce de gloubiboulga qu'ils ne parviennent même pas à relire en compreant ce qu'ils avaient voulu dire – sauf les fils de bourges : bizarre, non ? En plus je suis prof de LATIN et de GREC, vous voyez si c'est fasciste (la messe en latin, Benoît XVI, les Jeunesses Hitlériennes, allez-y dans la connerie, allez-y !) ...Un jour je serai fusillé. A bas les démagogues qui n'ont jamais fait cours dans une classe où les fils de pauvres, parfaitement, sèment le bordel avec une grande fierté, parce qu'ils sont "modernes", eux ! À bas Mozart, vive le rap ! A bas Hugo, vive le Journal de Classe -désolé : vive la langue française, vive le respect du savoir, vive la civilisation occidentale qui n'est pas la seule mais qui est la mienne, excusez-moi d'exister. Seulement les gens sans instruction, DEPOURVUS DE TOUTE CULTURE CULTIVEE, qu'on leur donne donc juste à bouffer, et qu'ils restent à leur place, qu'ils ferment leurs gueules.

    Qu'on cesse de leur donner la parole à travers tous les micro-trottoir – à eux qui ont toujours tout lu, tout vu, tout su. Moins on en sait plus on se vante, c'est couru. Avec une opinion sur tout. Irrévocable. Pas la peine de se documenter sur les ho-mo-se-xuels, c'est des pédés pis c'est tout ! Rhâ rhâ rhâ – rire gras). Car, à quoi pense-t-on en définitive, quand on n'a pas fait d'études - "personne ne leur a demandé de faire des études" (authentique !) - j'espère tout de même que si un jour tu te fais opérer, le chirurgien aura fait des études de chirurgie, et pas de charcuterie appliquée . Quand on ne sait même pas qui était Cosette, ni Wagner ! ("Ouagné"...) - et je peux vous dire exactement de qui je parle, j'ai les noms, les adresses, je n'invente rien.

    Quel peut bien être le paysage mental d'un bac moins dix ? De quoi peut-on bien se rendre compte ? Qu'est-ce qu'on a dans la tête, du brouillard ? De la purée de pois ? Le menu de la prochaine bouffe, la caravane à louer au bord de la mer ? Des – comment déjà – des opinions, voilà, sur les juifs, les Arabes, les Anglais, les Belges, les blondes, des opinions cons puisque c'est pas les miennes, paradoxe allemand. Et à 40 ans, s'il y en a une minorité qui veut reprendre "des études" pour apprendre à quoi que ça ressemble un cerveau qui fonctionne, eh bien soit, d'accord, O.K., plutôt trois fois qu'une, j'applaudis des quatre mains. "Ah que les discours du Singe Vert c'est portnaouak" – et qu'est-ce que j'en ai à foutre, moi, de la cohérence ?

    Je mets la balle en touche, ce qui vaut mieux que de mettre la chatte en boule – non, définitivement non, je ne sais pas répondre aux zob jections. Seulement, les autres non plus. Car on peut sans fin opposer les objections aux objections : nos cerveaux sont débiles, c'est-à-dire, étymologiquement, "faibles". Ecoutez-les, nos braves philosophes : au moins aussi cons que les économistes et les astrologues réunis. Ah, on peut bien se foutre de la gueule des joueurs de foot. Ecoutez-les vos sociopsychomachinologues aligner leurs "cas limites" et autres tortillonnements. A la fin des fins, "au final" comme disent nos fins stylistes (genre "cerise sur le gâteau", "en fait" et autres "réponse du berger à la bergère"), vous savez ce qu'ils nous radotent ? "Il ne faut pas s'en faire", "avec de la volonté on arrive à tout" – même à cesser de fumer, connard ? - "nous sommes libres, mais en même temps nous ne sommes pas libres" – et réciproquement, "coupables mais en même temps non coupables" ("Je ne suis pas coupable !" criait Louis XVI; "C'est ce qu'on va voir" dit le bourreau) ou bien (et c'est encore le moins con) "Démerdez-vous et que le meilleur gagne", quand ce n'est pas "Ayez confiance en Dieu et pétez un grand coup" – eh, c'est 25 euros mon bouquin, vous n'allez pas vous en tirer comme ça...

    Alors à la fin ! à la fin des fins ! Vous savez ce qu'il y a de plus cohérent ? Que plus cohérent tu meurs ? LA MORT AU BOUT ÇA C'EST LE TRUC COHERENT, le seul truc logique de chez Logique, et le plus con de chez Ducon. Et il faut les voir tous s'évertuer, s'époumoner, pour surtout ne pas plonger au fin fond du puits de la vérité – ils s'arrêtent tous soigneusement aux étages intermédiaires : la vérité politique, la vérité économique, la vérité morale, la vérité religieuse, mais personne ou presque ne descend au dernier sous-sol. Et ceux qui concèdent une seconde le désespoir absolu, l'épouvante, il faut ensuite les voir se battre les flancs et se trifouiller l'anus pour vous sortir leurs bobards ("nous sommes les maîtres de notre Ddddestinée", "nous sommes les rois du monde", "Si tout allait bien tout irait mieux – et si tout allait mieux tout irait bien", "allez on se secoue on rigole", et tous les trucs de la méthode Coué dont tout le monde se fout parce que personne ne l'a lue (moi non plus mais yaksakimarch) – ah je t'en foutrais moi de la Pensée Humaine ; dans le qualificatif, l'ornemental et la fioriture, alors là, oui, nous sommes imbattables.

    Mais pour ce qui est de l'ontologie, de la quiddité, nous sommes nuls comme nous le disait l'autre jour l'ancien ambassadeur d'Arménie Archichian. Et puis je n'ai rien inventé je sais, c'est leur grand argument à tous ("Il n'a rien inventé ! - Ta gueule.") La vie c'est pas marrant. Tu ne peux jamais t'éclater. "L'ennuyeux avec la morale, c'est qu'il s'agit toujours de la morale des autres" (Oscar Wilde). Toujours en face de toi tu trouves un con en face pour te dire "Interdit ! Verboten ! C'est pas beau ! Nilzia !" - au nom de la FRA-TER-NI-TE comme dit l'autre cruche. "Oublier l'ego " - c'est c'là, ouiiii... Dès que vous pensez aux autres, dès que vous vous intéressez à l'autre, dès que vosu montrez la moindre trace de commisération, de pitié, de charité, aussitôt c'est "Tu m'fais ci ? Tu m'fais ça ? T'as pas un euro ? Ou deux? T'as pas dix minutes ? Une heure ?" - total il faut les envoyer braire urgent, se réserver son petit soi-même, sinon tu es bouffé, jusqu'aux vertèbres, carrément piranhisé.

    Alors qu'on ne vienne pas me dire « Il faut renoncer au moi » : cela ne veut strictement, rigoureusement rien dire. Nous y renoncerons bien assez tôt, à notre moi, et ce sera suffisamment poignant. Mais ce qu'il faut dire, ô mes sages abrutis, c'est « Bien gérer le moi, et les autres – bien délimiter son territoire : Père, gardez-vous à droite, père, gardez-vous à gauche, comme disait Jean le Bon, 16 ans, à la bataille de Poitiers (1356) – ça ne dit plus rien à personne, n'est-ce pas tas d'ignares. On n'apprend plus ça à 'école, ça ne serh à rhien – mais non je n'ai pas dit qu'il fallait rester égoïstes ! Mais garder ses frontières. Bien étanches. Même les psy ça ferme la porte pour chier.

    Enfin j'espère. Et tout le monde savait tout ça d'instinct, et toutes vos leçons de Fraternité, de Solidarité, c'est de la DAUBE - Tous engsemgbleu tous engsemgbleu GNOUF ! GNOUF ! et puis la mort au bout. Evidemment que ça fait mal la haine, évidemment que ça salit de partout. Evidemment que j'aime ma famille et des tas de gens Seulement j'en ai plein le rondibet du radada (San-A) d'entendre jacter partout la même chose, tempêtes, assassinats, cours du pétrole et chauffage solaire (qu'on ne sait pas comment recycler pis les capteurs coûtent la peau des fesses et pis faut les changer tous les quinze ans ça on ne vous le dit pas), les éoliennes (une tonne de ciment dans le sol par moulinette à fromage et ça on ne vous le dit pas non plus), les pédophiles par-ci et les « dangereux schizophrènes » par-là, ce qui se fait et ce qui ne se fait pas, faut pas vexer les cons c'est pas leur faute et si tu penses comme ci tu DOIS agir comme ça et si tu ne fais pas ci tu ne DOIS pas faire ça, pis sois adulte, sois raisonnable, sois affable et DISCUTE SI SI SI DISCUTE avec les autres (leur connerie j'ai la même à la maison il faut il faut il faut MUSZ ES SEIN ES MUSZ SEIN alors Scheisse, wieder Scheissen dreimal Scheisse, nochmal une noch immer Scheisse, dazu Scheisse und DARÜBER SCHEISSE – mais c'est qu'il mordrait ce con-là. Liberté de l'un qui s'arrête où commence la liberté de l'autre – coups de massue, Ve siècle, coup de massue dans la gueule- c'est pas vrai parole je tiendrais pas le coup je ne saurais pas faire pourrais pas suporter même l'idée.

    N'empêche que Sidoine a fait tout ce qu'il pouvait pour maintenir l'amour des lettres dans son Auvergne et son Lyonnais. Un joour nous aussi nous serons clandestins comme les Hellènes sous occupation ottomane qui enseignaient à leurs enfants, la nuit, la Culture et la Langue grecques interdites par les conquérants SIGNE LE SINGE VERT UN CON PETANT - putain je rêve pas moyen de discuter cinq minutes avec ce taré...

     

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    885 .- C'est un travail gigantesque que de varier l'ennui. N'est-ce pas ce qui peut expliquer la création du monde ? A la longue, l'infini devait être bien ennuyeux.HONORE DE BALZAC – Lettre sur Sainte-Beuve


    PREMIER ARTICLE

    "au-delà de cette limite..."


    Les avisés complèteront d'eux-mêmes : "...votre ticket n'est plus valable". Sacré Gary. Son nom est celui du lieu de naissance de Michaël Jackson, Michel fils de jacques . c'est bien leur seul point commun. Gary s'est suicidé. Le fils de Jacques fut expédié d'une sale surdose. Gary ne pouvait plus bander ; Michaël n'aurait guère été plus performant sur ce point que notre regretté Napoléon , à peu près aussi bien monté, dirent les indiscrètes, qu'un enfant de dix ans... Bref (c'est le cas de le dire), ce n'est guère avec ces deux-là que notre Ministre des finances eût pu renflouer les caisses de l'Etat : ne lui prête—t-on pas l'intention d'établir impôt sur l'érection ? intensité, dureté...

    ²Ainsi, - ainsi, seuls les riches auraient le droit de bander. Ce qui réduirait d'autant la prolifération de ces cons de pauvres, dont tous les sous-sartriens ("Nous sommes responsables de tout ! Ceux qui s'abstiennent sont aussi responsables que ceux qui ont agi ! Chômeur, c'est bien fait pour ta gueule !" - non, ça, il ne l'a pas dit, c'est Sarko) ("De Sartre à Sarko" : il nous manque un brillant essayiste – tiens, BHL par exemple - nous vont répétant – prout - qu'ils ont CHOISI leur destin – que NOUS avons choisi notre destin.

    N'oubliez pas en effet, lecteurs et trices, que nous avons toujours le choix. Un peu de Palmade : "Qu'est-ce que tu choisis ? Des dents en bois, ou des jambes en laine?" et quand vous avez choisi entre la peste et le choléra, les sous-sartro-sarkozistes vous vont cornant aux oreilles AH MAIS NE VIENS PAS TE PLAINDRE ! TU AS CHOISI ! Je n'ai rien choisi du tout, mon con.

    Le choix, c'est quand on le fait exprès. Un enfant de cinq ans te le dirait. Si l'on s'aperçoit longtemps plus tard que "dans le fond", on a tout fait pour que "ça" arrive, eh bien désolé, c'était inconscient, personne ne peut vous balancer à la gueule qu'on "l'a fait exprès". Les enfants sont très sensibles à cette notion de "exprès/pas exprès"; la justice également, qui distingue les "homicides par imprudence" et les "homicides volontaires". Je ne vois pas pourquoi les "philosophes" iraient faire les malins. Groddeck disait à peu près "Quand on ne sait plus quoi faire de sa vie, on se "fait" un beau cancer". Mais il ne s'agit que d'une boutade. Exacte, et inexacte. Permettant de se retenir de tomber malade, assurément. Mis dans la vie courante : il est bien joli de remplacer l' "inconscient" par la "mauvaise foi", n'est-ce pas, Sartre, ô Eternelle Cible ; mais c'est transformer l'humanité, par systématisme, en un troupeau de coupables. Ou alors, on distingue soigneusement "responsabilité" de "culpabilité", ce qui donne un non moins beau troupeau de cyniques...

    Sartre et les volontaristes occidentaux nous opposent la notion de "moindre mal", le "moins douloureux", donc tu as CHOISI. Tu parles... Tous ces cons qui applique la logique mathématique à l'âme humaine...

    X


    Où en étais-je, dit Montaigne... Euh... A Gary. Romain. Au-delà de cette

    limite, votre ticket n'est plus valable – vous "n'avez plus le ticket" (avec les femmes). Pour les femmes, c'est dès 50 ans qu'on ne les regarde plus disent-elles ; alors là, c'est bien fait pour leurs gueules. Comme ça, elles voient l'effet que ça fait d'être un homme, jamais regardé, jamais désiré. Puisqu'il paraît que c'est si avantageux, d'être un homme. Et Romain Gary (Kacew) s'est suicidé de ne plus bander. C'est vulgaire, n'est-ce pas... Dans son roman, le personnage louait un beau sabreur du Bois de Boulogne et le regardait BESOGNER sa femme ("il la besogna séance tenante", comme on disait) en se tripotant le mou. C'est encore le riche qui en profite : parce qu'un MAC ça se paye, infiniment plus qu'une pute, qui ma fois n'a quà se laisser faire. Pour les pauvres - Veuve Poignet ! Ou le cancer de la prostate, pour éjaculations insuffisantes.

    J'en connais qui en sont là. Enfin, pas loin. Et qui ne se suicident pas. Comme disait Clemenceau, enterré debout près de son père enterré debout (depuis longtemps le crâne dans les talons) : "Je ne connais rien de plus inutile qu'une prostate, si ce n'est une Chambre des Dix putains" – euh, "des Députés". Plus désirs plus rien. Le bouddhisme, quoi, le vrai. Et ce n'est pas cette indifférence qui dérange : non, c'est le fait que ça ne dérange pas – qui ME dérange.

    X

    Et pas question de compter sur une femme pour se sauver la mise en sensualité. C'est pur, les femmes. C'est chaste. Quand ça désire, c'est noble, ça tire des larmes. Si c'est un homme, ce monsieur est un pur salaud, un violeur en puissance ; il peut crever les couilles en bataille et la bouche ouverte. Mais s'il n'y arrive pas, alors c'est un minable. Cherchez pas de logique, y en a pas.

    On peut coucher (pardon : faire l'amour) avec une femme. Il n'y a rien de plus facile. Surtout

    d'après les femmes. Ce qui est difficile, ce sont les conditions qu'elles y mettent : un véritable parcours du combattant. Surtout, surtout, ne pas s'engager dans la discussion, dans la négociation. Toujours, toujours, la femme trouvera un moyen de prolonger le délai jusqu'à l'infini : ses besoins sont très faibles, et la majeure partie de sa sexualité consiste en une pratique assidue de la masturbation. Après quoi, elle prodigue à tire larigo, comme il se doigt, des leçons de Morale. De Sentiment. Choses de quoi nous autres, les hommes, nous trouvons totalement dépourvus. Et n'allez pas dire que vous devenez impuissants ("non-assistance à zizi en danger" !) - qu'il vous serait tellement rassurant de pouvoir donner à une femme (j'oubliais : pour les femmes, ce sont elles, qui donnent ; un homme, ça prend, ça déchire, ça défonce ; qu'un homme puisse avoir envie de "donner", ça les dépasse ; ça leur troue la comprenette). L'amour, direz-vous ? toi, l'homme, tu n'aimes pas assez, pas de la façon qu'il faut – à moins que tu n'aimes trop : là, tu es ridicule, et putain, qu'est-ce que tu es mal venu, vulgaire ma chère, d'insister à ce point-là pour une chose qui a si peu d'importance.

    La femme ne fait l'amour que lorsqu'elle est amoureuse. Autrement dit tous les dix ans, parce que l'amour, ce n'est pas si fréquent : on ne vit pas dans un film, ni dans un roman – mais dans la vie de tous les jours. La femme ne désire jamais un homme, directement, comme ça. Je ne m'indigne pas, je ne me plains pas : c'est comme ça. Il fait chaud l'été, il fait froid l'hiver. Simplement j'aurai mis la vie à m'en apercevoir. Et je suis d'accord avec vous : tout ira mieux dans 150 ans, comme dirait le Parti Communiste.

    Mais dans 150 ans, il ne me restera plus rien à mettre en arc-de-cercle pour soulever le couvercle, comme dans la chanson de Bali-Balo. Oui, ceux qui me connaissent me trouvent monotone ; ça tombe bien, je les trouve chiants. Ceux qui ne me connaissent pas, c'est parce que personne jamais n'a écrit ça. On édite les fachos, les navets. Mais ça, la misérable condition sexuelle des hommes, je parle des sincères, pas de ceux qui la ramènent avec leurs baises par paquets de dix, on ne l'édite pas. Pauvres femmes victimes. La caractéristique de la masculinité ? C'est la solitude sexuelle. Oui, bon, sauf dans le mariage, OK, avec le trois-pièces cuisine, etc. Mais le sexe, pour les hommes, c'est OU BIEN interdit, OU BIEN obligatoire. L'amour ? Je vous l'ai dit : ne vous laissez jamais entraîner sur ce terrain-là. Vous aurez vite TORT. Vous n'aimerez pas assez. Tous les prétextes seront bons pour NE PAS. La femme est le sexe du NE PAS. En alchimie, la Lune, la Passivité. Elle est libre. Oui, de NE PAS faire l'amour. Ou avec qui elle veut. En général ses doigts. Ou son mari. Qui vire vite impuissant, évidemment, par fidélité. Nous allons changer de sujet, avec l'Académie française (où les hommes ne doivent plus guère tendre leur petit arc pustuleux).

     

    DEUXIEME ARTICLE

    DECLARATION DE L'ACADEMIE FRANÇAISE

     

    L'Académie a appris par la presse l'existence d'une Commission de terminologie, créée à l'initiative du Gouvernement (décret du 29 février 1984), "chargée d'étudier la féminisation des titres et des fonctions et, d'une manière générale, le vocabulaire concernant les actitivités des femmes."

    Le décret précise que "la féminisation des noms des professions et des titres vise à combler certaines lacunes de l'usage de la langue française".

    On peut craindre que, ainsi définie, la tâche assignée à cette Commission ne procède d'un contresens sur la notion du genre grammatical, et qu'elle ne débouche sur des propositions contraires à l'esprit de la langue.

    Il convient, en effet, de rappeler qu'en français comme dans les autres langues indo-européennes, aucun rapport d'équivalence n'existe entre le genre grammatical et le genre naturel.

    Le français connaît deux genres, traditionnellement dénommés masculin et féminin. Ces vocables hérités de l'ancienne grammaire sont impropres. Le seul moyen satisfaisant de définir les genres du français eu égard à leur fonctionnement réel consiste à les distinguer en genres respectivement marqué et non marqué.

    Le genre dit couramment masculin est le genre non marqué, qu'on peut appeler aussi extensif en ce sens qu'il a capacité à représenter à lui seul les éléments relevant de l'un et l'autre genre. Quand on dit "tous les hommes sont mortels", "cette ville compte 20 000 habitants", "tous les candidats ont été reçus à l'examen", etc., le genre non marqué désigne indifféremment des hommes ou des femmes. Son emploi signifie que, dans le cas considéré, l'opposition des sexes n'est pas pertinente et qu'on peut donc les confondre.

    En revanche, le genre dit couramment féminin est le genre marqué, ou intensif. Or, la marque est privative. Elle affecte le terme marqué d'une limitation dont l'autre seul est exempt. À la différence du genre non marqué, le genre marqué, appliqué aux êtres animés, institue entre les sexes une ségrégation.

    Il en résulte que pour réformer le vocabulaire des métiers et mettre les hommes et les femmes sur un pied de complète égalité, on devrait recommander que, dans tous les cas non consacrés par l'usage, les termes du genre dit féminin – en français, genre discriminatoire au premier chef – soient évités ; et que, chaque fois que le choix reste ouvert, on préfère pour les dénominations professionnelles le genre non marqué.

    Seul maître en la matière, l'usage ne s'y est d'ailleurs pas trompé. Quand on a maladroitement forgé des noms de métier au féminin, parce qu'on s'imaginait qu'ils manquaient, leur faible rendement (dû au fait que le cas non marqué contenait déjà dans ses emplois ceux du cas marqué) les a très vite empreints d'une nuance dépréciative : cheffesse" – jamais entendu ça... "la chef(fe)", oui – "doctoresse" – pas du tout : ce nom, comme ceux de "mairesse" et de "factrice", je l'ai entendu toute mon enfance, aucun n'avait de nuance "dépréciative" – "poétesse" – non plus, Messieurs les vieux croûtons – je m'adresse aussi aux "féministes" de style viragos revanchardes ("Ouah ! Ouah !...") "On peut s'attendre à ce que d'autres créations non moins artificielles subissent le même sort, et que le résultat aille directement à l'encontre du but visé" – je n'ai jamais compris par exemple, moi Singe Vert, que l'on tolère l'ignoble auteurE alors qu'on dit acteur/actrice (cela vient du même mot fasciste, pardon, latin : actor) – nous pourrions dire "autrice", facteur/factrice (voir plus haut). Il faut vraiment méconnaître le sens (je n'ose dire le génie, on me taxerait encore de lepénisme) de la langue française pour tenter d'imposer de telles monstruosités. Il faut, Mesdames, avoir perdu tout sentiment du ridicule, que dis-je, de dignité, pour oser appeler la première magistrate d'une ville sa "maire". Nous avions déjà l'homonymie "mère" – "mer", que vient foutre ici, en bon français ("LE français", parfaitement) cette intrusion grotesquement administrative ? ...pléonasme...

    "Il convient enfin de rappeler qu'en français la marque du féminin ne sert qu'accessoirement à rendre la distinction entre mâle et femelle. La distribution des substantifs en deux genres institue, dans la totalité du lexique, un principe de classification, permettant éventuellement de distinguer des homonymes" – "le mousse" et "la mousse" – encore ce féminin désigne-t-il deux choses très différentes, sur une écorce ou dans un verre – "de souligner des orthographes différentes, de classer des suffixes, d'indiquer des grandeurs relatives, des rapports de dérivation, et favorisant, par le jeu de l'accord des adjectifs, la variété des constructions nominales... Tous ces emplois du genre grammatical constituent un réseau complexe, où la désignation contrastée des sexes ne joue qu'un rôle mineur. Des changements, faits de propos délibérés" basques "dans un secteur, peuvent avoir sur les autres des répercussions insoupçonnées. Ils risquent de mettre la confusion et le désordre dans un équilibre subtil né de l'usage, et qu'il paraîtrait mieux avisé de laisser à l'usage le soin de modifier."

    Déclaration faite par l'Académie française en séance du 14 juin 1984.

    ...Messieurs et désormais Dames, si on laissait faire l'usage, comme vous dites, ça fait belle lurette que nous parlerions un jargon anglais. Il faut parler non de "l'usage", qui parle de la "gente féminine" – imbéciles : la gent ! - mais, avec Vaugelas, du BON usage, celui de la cour ; de nos jours, des fascistes – pardon : des gens cultivés.

     

    TROISIEME ARTICLE

    Une fois de plus, et de façon fort banale – comme dit Péguy "On se plaint que je répète toujours la même chose – mais c'est parce que C'EST TOUJOUR LA MÊME CHOSE." - je proteste furieusement, furibardement, contre la formulation de certaines louanges. Imaginez en effet un champion de basket, qui d'un seul coup, par accident, vire tétraplégique. A force de courage, de volonté, il s'entraîne comme un malade, et collectionne les médailles aux Jeux Parolympiques, scandaleusement occultés par les médias. Eh bien on ne dit pas (je cite) "La volonté d'une personne engendre le succès, tout dépend de son état d'esprit". C'est ridicule. On est en pleine méthode Coué, en pleine magie.

    Alors comme ça, il suffit de se persuader qu'on va gagner, et on gagne ? Et si on perd, alors, c'est qu'on ne n'est pas assez autopersuadé ? C'est vraiment n'importe quoi. "Si vous pensez que vous êtes battu, vous l'êtes"("le poète Walter D. Wintle – poète, ou marchand de merguez ?) - là c'est n'importe quoi, c'est révoltant, c'est carrément à gerber. D'abord, si je me sens battu, si je le pense, je ne fais pas exprès de penser cela. "On ne fait pas exprès de penser ce qu'on pense". Je ne sais pas où Simone de Beauvoir a écrit cela, mais je le retrouverai. Ensuite, je le connais, ce raisonnement : il fait carrément passer celui qui se décourage pour un pauvre con, qui n'a pas su bander suffisamment. Je salue le courage du basketteur tétraplégique, je l'admire, mais permettez : tout le monde ne peut pas l'imiter, c'est une tromperie d'affirmer cela. Il avait déjà des antécédents sportifs de haut niveau. Moi, si je deviens tétra, je reste tétra, et je me désespère ? Désolé. Je suis une couille molle. Ce genre d' "exemple", ce genre de "commentaire" à la Monsieur Tout-le-Monde renfonce dans leur merde tous ceux qui "n'y sont pas arrivés".

    Ce genre d'aphorismes stupides va à l'encontre du but recherché, plonge dans la culpabilité tous ceux qui ne se sont pas haussés à la hauteur du grand homme, dont il n'est nullement question de diminuer les mérites. Il est à noter que tous les heureux surmonteurs d'épreuves, tous ceux qui ont vaincu d'énormes obstacles, s'ils s'expriment à ce sujet, ne parlent nullement de leurs découragements. Ils ne feront qu'insister sur leur détermination, leurs sursauts de volontté. Mais qui leur a donné ces sursauts ? Le hasard, Dieu, X, le déterminisme psychique, appelez ça comme vous voudres. Mais ne me parlez pas de l'action décisive et déterminante de l'homme seul. J'enrage (du moins, j'enrageais : c'est loin, la vie) d'entendre d'autres ratés me répéter que non, ma foi, je n'ai pas suffisamment VOULU décrocher l'agrégation (10 ans d'études, 4 admissibilités, tout de même), je n'ai pas suffisamment VOULU éditer mes modestes ouvrages (126 ventes en librairie) ; ils me disent : "Si tu as échoué, c'est qu'il y a bien une raison". Certes. Certes. De plus, "on" (ne me demandez pas les noms, ce sont des gens que vous ne connaissez pas, mais vous en connaissez tous de semblables dans votre entourage) – me dit : "Ton esprit n'a pas fait SON BOULOT de reconnaître le désir des femmes" – stupidité inimaginable. "Tout de même, ajoute la même femme" – c'est une femme ; faut pas demander, aussi... le désir de l'homme, elles le voient tout de suite... celui de la femme, tiens, essaye donc de le repérer... - "tu aurais bien pu te douter, vu la répétition des mêmes situations" – me doute de quoi ? qu'il fallait que je changeasse de connduite ?

    Mais il ne t'est donc jamais venu à l'esprit qu'un être humain, pénétré d'une certaine erreur de jugement, et constatant que les choses se déroulent toujours de la même façon, c'est-à-dire à son désavantage, trouvera tout simplement que les faits ne cessent de confirmer son erreur, son opinion, et de consolider ses (plus ou moins) fausses certitudes ? Il recommencera donc toujours les mêmes choses, et constatera qu'il a, lui, de plus en plus raison. Car l'être humain n'obéit pas à la logique : ce n'est pas parce que ta femme te trompe que tu la quittes, ce n'est pas parce que ton homme te bat que tu vas porter plainte. Je ne m'appelle pas Michel Onfray, à qui un pote avait dit : "Mais alors, compte tenu des opinions que tu professes, en toute logique, tu devrais te suicider", et qui, comme ça, dans la nuit, du jour au lendemain, avait changé de système philosophique, que dis-je, d'opinion générale sur la vie, de Weltanschauung, allez hop, on tourne la manette, et arrière toute ? J'ai beau me dire qu'il faut assumer ses erreurs, se faire un étendard des choses que l'on vous reproche, et prétendre qu'on les a choisies... Je n'y arrive pas, ou si imparfaitement que c'est misère, et je ne peux ainsi renier tout mon passé, tout ce sur quoi s'est bâti ma vie, se sont édifiés ces colonnades d'échecs constituant ma vie...

    L'âme humaine, le cœur humain, ce n'est pas ax + b... On ne change pas de "vérité" comme une girouette. Celui qui aura le plus tort du monde se trouvera toujours une multitude de raisons. ("Anche tu hai le tue buone ragioni", "toi aussi tu as tes bonnes raisons", comme disait Corto Maltese avant de vider le chargeur de sa mitraillette dans le ventre d'un espion gênant ; voir aussi le Tigre, alias Kinski, répondant à une femme qui lui demandait s'il n'avait pas honte de liquier les hors-la-loi, et en particulier son propre fils : "Il faut bien que chacun gagne sa vie..." Et pour en revenir à des choses moins tragiques, je me charge, moi, de trouver des candidats, des écrivains, exactement de mon genre, du même modèle, qui ont réussi, eux. "Oui, mais pour eux ce n'était pas la même chôôôôse" – ah tiens donc.

    Et tes échecs à toi, mon pote, tu te les tranformes bien entendu en volontés explicites, n'est-ce pas, tu n'as pas réussi parce que tu étais trop fier, que tu ne voulais pas te compromettre, e tutti quanti. Alors je vais te dire, vous dire une bonne chose : "des" raisons, le petit esprit humain en trouvera toujours, quitte à se contredire outrageusement. Mais la petite cervelle d'ici-bas échoue lamentablement à trouver LA seule Raison qui vaille, et qui est une volonté qui nous dépasse, ou une absence de volonté totale. Ainsi soit le monde", proclame une inscription à l'entrée d'un temple japonais si j'ai bonne mémoire. "Amen", et "Aman" ; telles sont en défionitive – euh, définitive – pulcherrimus lapsus ordinatoris - les deux seules méditations qui s'offrent à l'esprit humain, ce cloporte : aman, "octroi de la vie sauve à un ennemi vaincu". "Aman ! " criaient les vaincus sur le champ de bataille : "Pitié !" Vous avez aussi, côté chrétien : "Que ta volonté soit faite" et "'Prends pitié de nous" – en grec, avec plus fière allure : "Kyrie éléïsson". Mais qu'est-ce qu'on s'emmerde... Et mieux vaut une mauvaise foi, même politique (voyez comme on fustige le personnalisme de Sarkozy, alors que deux phrases sur trois de Ségolène Royal commencent par "Moi je veux...") - que pas de foi du tout. Et voilà pourquoi le peuple (vous et moi) préférera toujours quelqu'un qui le fera rêver, même cauchemarder, à toutes ces braves bonnes volontés qui vous expliquent : "Eh oui ! Nous n'y pouvons rien, on ne fait pas ce qu'on veut, soyons réalistes et lissons nos pantoufles dans le même sens..." Et c'est encore pourquoi le petit juif à qui Dieu du haut de sa puissance avait demandé s'il préférait la Gloire et l'Eternité pour tout de suite, ou bien le journal du matin, répondit humblement, la tête basse et la bouche pleine de croissant : "...Adonaï, je t'en supplie, que ce soit le journal du matin..." Les théories de la liberté m'inspirent ceci : nous allons enlever tous les panneaux indicateurs dans un département, mettons, au nom de la "liberté et de la "responsabilité", et du contact humain, parce qu'il faut alors sans cesse demander son chemin, ce qui crée des liens.

    Peut-être. Mais pendant ce temps-là, dans les départements d'à côté, les gros ploucs et blaireaux ils auront fait du chemin, ceux-là, au lieu de tourner en rond avec leur petite fierté...  Je préfère les livres stupides "comment se comporter en telle, telle, telle circonstance". "Les hommes viennent de Mars, les femmes de Vénus". "Apprenez à parler en public". "Réussissez à faire adopter vos points de vue en entreprise". C'est peut-être couillon, je ne les achète pas, mais ça te donne au moins des indications précises. FACTUELLES. Je préfère réussir dans les "chaînes" (???) que de m'enliser dans je ne sais quels marécages au nom de ma "liberté" de mon cul. Et je reçois la réponse suivante : ?----ta comparaison est facile et tout a fait innadaptée----mais bon ça te permet de faire semblant de n'avoir rien compris et de rediffuser a l'infini le meme message----

    Eh bien non ma chère. "Faire semblant de ne pas comprendre", c'eest une de ces expressions qui ne veulent strictement rien dire, avec "il faut savoir s'en donner les moyens". Quand tu n'as pas les moyens... eh bien tu n'as pas les moyens, point barre. Tu ne vas tout de même pas cambrioler une banque pour financer ton expédition au Pôle, ni divorcer parce que ta femme t'emmerde, yop là boum, poru décrocher une agrégation... Et quand tu ne comprends pas, eh bien c'est que tu ne comprends pas, point barre. C'est à celui qui explique de se faire comprendre. C'est une phrase que même le plus mauvais des instituteurs n'aura jamais à la bouche, que dis-je, à l'esprit. C'est ridicule. Je ne com:prends pas, parce que c'est faux, ou inexactement expliqué. Tout ce que je comprends, c'est que l'autre veut absolument qu'on se mette à sa place, de son point de vue à lui, en étant lui, en ayant eu très exactement la même expérience, dans l'abdication la plus béate, en lui donnant raison à quatre pattes la queue dans la poussière. Non. Et non. Et merde. Je n'ai pas de solution, moi. Si, mais pour moi, et j'ai mis toute la vie à la décrocher. A savoir dormir dans les faux plis du drap. Et ce n'est pas maintenant, aux portes de la vieillesse (elles me passent au-dessus en ce moment, comme un maudit portail) que je vais me mettre à remettre le drap d'aplomb, ou à changer de jument et à tout démolir, sous prétexte que "je fais semblant de ne pas comprendre"... ("Abracadabra...") Je ne vais pas dire avec Halimi (Gisèle) : "Ne vous résignez pas !" Personne n'a d'ordre ou de conseil à donner à personne, cet impératif est tout à fait hors de saison.

    La résignation, ça vient comme ça, d'un coup, ou insidieusement, mais quand ça vient, ça vient, et puis c'est venu, et puis rien à faire malgré tous les exercices "de volonté". C'est à toi de te les trouver, tes exercices. Et puis ça repart, ou bien ça ne part pas. Mais les autres ne pourront rien, absolument rien t'apporter. Et surtout pas te faire prendre pour un con à tes propres yeux parce que tu n'auras pas su y faire, alors que "c'est si simple", n'est-ce pas, "moi j'y suis bien arrivé." Oui, ben toi, c'est toi, et moi, c'est moi. Je ne dis pas "Faites ceci, comme moi", ou "Faites cela, comme Moâ", Je dis : "Voilà, j'ai fait comme ça, je pense telle et telle chose, pour moi, tel truc marche, tel truc ne marche pas, mais vous avez parfaitement le droit de faire autre chose, et ce qui est bon pour moi n'est pas forcément bon pour vous." Chacun pour soi, et démerdez-vous.

    Certains trouvent ce qu'ils veulent dans tel livre, d'autres ne l'y trouvent pas. C'est toujours la même morale, vous savez, Messieurs les Volontaristes Occidentaux : "Restez cool, et DEHMERDEN SIE SICH." La loi du plus fort, peut-être. Il y en a qui appellent ça comme ça. Et si vous êtes dans le camp des vingt culs, je vous parie tout ce que vous voulez contre n'importe quoi (c'est du San Antonio) pour vous concocter une bonne petite justification des familles qui vous donne un petit air de héros. L'essentiel (moi je vous dis ça, vous en faites ce que vous voulez), c'est de pouvoir encore se cligner de l'œil en se regardant au miroir. Ce n'est pas donné à tout le monde ? Eh ! démerdez-vous, un jour, vous verrez ! vous finirez bien par crever...

     

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    TRENTE--SEPT ARTICLES -

    TOUS PLUS CONS LES UNS QUE LES AUTRES

     

    VOUS RECEVEZ UN MESSAGE NON SOLLICITE.

    AU LIEU DE LE « SIGNALER » A DIEU SAIT QUELLE « AUTORITE » INQUISITORIALE DE TYPE STALINIEN, POURRIEZ-VOUS, TOUT SIMPLEMENT, LE CAS ECHEANT, L'IGNORER ET LE SUPPRIMER ?? MERCI.

     

    901. « Je suis un anarchiste modéré »

     

    propos de Pierre Roy

     

    rapporté par Jean COCTEAU

     

    in « La difficulté d'être » - « Du rire »

     

    1. Shoah, bis

    Un jour la bombe tombera sur Tel-Aviv : jour béni ! La France entière, drapée d'épouvante et de douleur, pourra défiler par escadrons entiers à ras bord des avenues, braillant Ils étaient des milliers, ils étaient vingt et cent, de Jean Tenenbaum, La Marseillaise, de Rouget de l'Isle,

     

    2. Parenthèse sur la Marseillaise

    .(sans comprendre que le sang « impur » n'est pas, n'est pas du tout « incitation implicite au massacre raciste » comme le brame, comme le bêle un lecteur con de Télérama ; juste l'indication d'un mélange («et de leur sang au nôtre fait d'horribles mélanges »),

     

    3. et un p'tit coup de patte sur les francs-Maçons, un

    et autres chants hurlés, tous Francs-Maçons défilant barbe haute et tabliers au vent, s'arrêtant de temps à autre pour bloquer de leurs dos le cortège en barrage et permettre l'immense et formidable exhibition de leur indignation.

     

    4. Et un petit coup de griffe à BHL

    Pendant ce temps, une vingtaine d'irréductibles, juchés sur quelque bâtiment, tiendra haut et raide un panneau Qu'avez-vous fait pour la Bosnie ? Rien

     

    5. Et une grosse claque sur ma gueule à moi

    et lorsque tant d'esprits hagardisés par la terreur tolèreront que l'on entonne Prendre un Arabe par la main / Pour le balancer sous l'train, il me faudra prendre la tangente, la fuite, les rues adjacentes,

    pour ne pas voir qu'après avoir mis à sac le restau chez Jenny où se fêtent bon an mal an les anniversaires d'Hitler (20 avril) ils s'en prendront à la Mosquée en gueulant A mort les bicots, et m'enfermer pour ne rien voir,

     

    6. Digression sur les éoliennes, faut c'qui faut...

    avec dans les oreilles autant de ciment qu'un socle d'éolienne

    (100 tonnes, tout de même) (une énergie propre !) - et la petite éolienne qui tourne toute seule à côté des grandes immobiles, « pour montrer comment ça fait », alimentée par la bonne vieille électricité nucléaire...

     

    Vive le commerce

    Pendant ce temps, des petits malins, ayant le sens du commerce (des juifs, peut-être ?) vendront tout au long du chemin des quantités de masques de crocodiles. Et mes larmes de modéré, mes larmes de chez moi, couleront-elles d'yeux de lapin ou de cloporte (les cloportes ont-ils des yeux ?) - avant que mon corps ne cède au grand anéantissement de la mystique – Seigneur prends pitié

     

    9. Conclusion anticipée

    Kyrié éléisonn - botte en touche mais quoi d'autre – seulement voilà, c'est bien dommage, ce grand jour-là ne viendra pas, tant pis pour les jouissances hystériques et autres jets jaculatoires de bonne conscience.

     

    10. L'Afghanistan, y a qu'à

    Il n'y aura pas même, en ce moment de mi-novembre, 40 000 hommes de troupes supplémentaires en pays pachtoun, alors qu'il en faudrait 400 000 une bonne fois, pour transformer Kandahar en parking surmonté d'une bouteille à Coca (¡ refresca mejor !),avec déclaration de guerre et tout le toutim, Rambo par paquets de mille débarquant des ventres sous pales (des hélicos).

     

    11. Le Moyen-Orient, question réglée en 4 lignes, ouaouh !

    Les uns comme Enderlin affirmant que le Terrorisme Fourbit ses Armes, les autres comme un Nouvel Obs et comme un seul homme affirmant sans preuves (eux non plus) que al Qaïda est aux abois (c'est ça l'inconvénient d'une démocratie : chacun dit ce qu'il veut en même temps, c'est à Toi

    Auditeur de prendre ton parti tout seul.) Ce que je propose est pourtant simple : Rien. Rien non de Dieu, m'exclamassè-je en frappant du chausson sur la table.

     

    12. La chatte en boule – pardon, la balle en touche

    Vous savez bien que je fais ici, au double sens du mot « faire », une œuvre littéraire, ce qui me permet de ne pas me perdre de vue (définition, but unique même de toute œuvre littéraire) et de me fondre dans la masse, laquelle ?

    13. Le petit prof héroïque, ta mère

    Au lendemain du 11 Septembre, j'ai tenu ma classe debout, sortant un discours mou, contradictoire et convaincu, d'où il ressortait que nul même après et malgré tout cela ne devait désespérer de l'excellence et de la bonté humaines. La classe qui ne m'aimait pas attendit que j'eusse fini, puis reprit son existence morne et molle, entre deux bavardages et quelque insipide explication de texte.

     

    14. Les salauds d'ELEVES

    Ce sont les seuls à m'avoir reproché en juin de ne pas leur avoir enseigné « les procédés pour bien réussir le bac » : l'acoustique de la salle était déplorable, on ne m'entendait pas, et puis il n'y avait que des garçons, ou presque - le moyen d'aimer travailler ?

     

    15. M'sieur, C'EST PAS MA FAUTE...

    Ça je l'ai fait, oui, j'en suis sûr, mais ce que j'aurais pu faire, je ne l'ai jamais su. Vous non plus. Et ce jour n'arrivera pas.

     

    16. Les sans -papiers, fast-thinking, avec un zeste de racisme

    Puisque les sans papiers nous font pitié, commençons, d'abord, par en héberger un chez nous. Ce ne

    sera pas facile. Chez moi comme c'est bizarre c'est trop petit. Aménager un camp digne de ce nom ? Tout une ville, même, tant qu'on y est : avec une mosquée, tant qu'à faire, et l'application de la charia islamique (je rappelle que « charia » veut dire simplement « loi » ; il existe une « charia » française, anglaise, etc...). Il faut que ces immigrants retrouvent ici les mêmes conditions que là-bas ; comme dit Guy Bedos, si nous accueillons des cannibales, pas de problème, c'est leur nourriture, c'est leur culture, ils doivent pouvoir les suivre ici. Quant au Néo-Sangatte, il n'aura plus qu'à faire sa fusion avec la ville de Roubaix, qui comporte plus de musulmans que d'autres croyants. Marseille fera bientôt sécession. « Les valeurs musulmanes » : mais ce sont celles de tous les gens de bonne volonté. De même que les « Droits de l'homme ».

    17. Tiens, si on tapait sur les Droits de l'homme

    Cependant, errant ainsi d'un sujet à l'autre, en tout bon montanéen qui se respecte, je rapporte cette histoire : un Occidental disant à un Chinois que chez lui, on ne respectait pas beaucoup les Droits de l'homme, s'entendit répondre : « Oui, et lorsque je suis allé moi-même à Paris, j'ai observé qu'on n'y respectait pas tellement les préceptes de Bouddha ».

    18. Sur la Chine, aussi, un point partout

    Oui mais, Bouddha recommandait-il les exécutions publiques pour sabotage par exemple lorsqu'un paysan avait dérobé huit vaches (le con...) à la coopérative ? Parce que si l'on devait appliquer la peine de mort à la connerie... « et on tuera tous les affreux », n'est-ce pas...

     

    19. Afghanistan, Afghanistan – pubis repetita placenta

    Et puis aussi : retirons nos troupes d'Afghanistan, du Pakistan, et lorsque les prétendus « talibans » (étudiants de Dieu, warf warf !) se seront bien répandus partout, avec la bénédiction du nain de Téhéran, nous seront à deux doigts d'une belle petite attaque militaire bien méritée. Ce ne sont pas 40 000 soldats qu'il faudrait amener là-bas, mais 400 000, tout le paquet, mobilisation générale, mais je dis des conneries, peut-être ?

     

    20. Doutes existentiels

    Que c'est agaçant de ne pas pouvoir se maintenir en colère permanente, de ne pas pouvoir devenir

    fanatique en dépit de tous ses efforts, d'avoir toujours à côté de soi cette espèce de putain de conscience poil à gratter style Jiminy Criquet, ah, volupté du mal, Schadenfreude, non pas « joie sournoise » comme faussement traduit dans le Larousse, mais « jouissance de mal faire » - faudra-t-il que tu nous abandonnes ?

     

    21. Sociologie express, et Moyen Orient (bis)

    Voilà pourquoi les films où l'on se fout sur la gueule (Alexandre, 1492, et même Le seigneur des anneaux) rencontrent un tel succès. Alors, j'ai trouvé une solution, avec Obama, qui m'a copié, de même que le President of the United States a imité Ségolène Royal (c'est évident) : noyer la population sous les bienfaits matériels, ôter la misère du sein des peuples, l'afghan par exemple, reloger les Palestiniens par paquets de villas comportant piscine et baignoire pour égorger le mouton (mais non, c'est une plaisanterie, là, on se calme, on se calme...) - et ils seront aux anges, pleins de pognon et d'emplois, pas dans la bande de Gaza, mais « ailleurs, il y a de la place » (c' est vrai, entre parenthèses...).

     

    22. Souvenirs, souvenirs : Guerre d'Algérie

    Cela ressemble à ce qu'avait essayé de faire l'armée française sur les Plateaux algériens, distribuant du lait et des bombons, ouvrant (tiens, comme c'était urgent tout à coup !) des écoles indigènes et des centres de secours infirmier, ce qui était un peu tard (on était en guerre – pardon : en « opérations de maintien de l'ordre ; on débroussaillait, on faisait même des corvées de bois – c'est de l'humour, prière de se renseigner auprès des anciens combattants...) - parce que voyez-vous, depuis 1830, personne n'y avait encore pensé, sauf ce tyran de Napoléon III, parfaitement, qui avait voulu donner la citoyenneté française et le droit de vote aux « indigènes » - mais les Céfrans de Cheussou s'y était vigoureusement et racistement opposés...

    Alors vous pensez, les soldats américains, le P.-M dans une main et les doses de lait dans l'autre, c'est fou ce qu'on va leur faire confiance... Mais que c'est

    chiant de réfléchir, ce que c'est chiant...

     

    23. Bourka Caouët

    Tenez, la bourka... Il n'y en aurait « que » 800 et quelques... Alors on ne va pas l'interdire n'est-ce

    pas, elles sont si peu... Et quant elles seront 8000, ou 80 000, qu'est-ce qu'on fera ? On va leur lâcher la troupe ? Avec droit de viol, pour se marrer un peu le temps de soulever les voiles ? (mais non putain c'est de l'humour, merde, c'est dingue, ça...). J'ai une idée ! dit Jiminy : les femmes en bourka, ou en nikba (vous voyez qu'on accroît son vocabulaire, au lieu de leur gueuler « à poil » par la vitre de la portière avant d'accélérer (on ne sait jamais, les maris sont juste derrière avec des couteaux) (des couteaux arabes) - eh bien, draguez-les. Si ça tombe, vous allez emballer comme des bêtes. Gentils, polis – vous verrez, ce sont des femmes comme les autres, elles se savent bien plus mystérieuses et attirantes comme ça ; vachement élégantes et tout.

    Et chez elles si ça se trouve, c'est elles qui commande, le mari par le bout du nez – bon, tu idéalises, Jiminy ; à propos de nez justement (Pinocchio, pour les relous).

     

    24.  Quiconque se méprise se sait toujours un peu de gré de ce mépris » (Nietzsche)

    Je ne sais pas. Je ne sais rien. J'ai peur. J'ai confiance.

     

    25. Petit couplet humaniste

    Les humains ne sont pas si cons. Ce n'est pas possible.

    Dans mes premiers numéros, je faisais mon numéro de pousse-au-crime, pour casser du sucre sur tout et n'importe quoi, les femmes en particulier, les Arabes j'osais pas trop. Et vous savez ce qui m'est arrivé ? La diminution de ma testostérone (je ne vais tout de même pas attribuer ça Allah grâce de Dieu (mais je plaisante, MERDE !) - m'a permis de constater, de mars à juin 2008, le développement d'un phénomène stupéfiant : au lieu de regarder les femmes dans la rue comme autant de frustrations, de trous que je ne boucherais pas, je me suis mis à les considérer comme des êtres humains, sans blague (où donc allais-je chercher tout cela), qui avaient leurs problèmes, leurs tourments, pas seulement sexuels, mais aussi bien sentimentaux, ce qui revient au même d'ailleurs pour elles, avec des projets d'avenir, des rêves d'amour – et chaque femme qui passait devenait une histoire d'amour à côté de moi, une somme de déceptions, d'espoirs ou de désespoirs, un homme enfin, au sens de Mensch, d' « humain ».

     

    26 Le Singe lèche les imams

    et je comprenait les imams (c'est un comble) assurant aux femmes voilées qu'elles ne

    seraient plus considérées comme des femmes, mais comme des êtres humains, entendez non

    plus comme des tas de viande à tripoter, mais comme des personnes à part entière, dont on ne regarderait plus uniquement les nichons et le cul.

     

    27 « J'aime les filles... »

    Où ai-je lu ce témoignage d'une femme forte en poitrine, magnifique et intelligente, qui s'était trouvée à pleurer la première fois qu'un homme, pour lui adresser la parole, s'était mis à la regarder dans les yeux au lieu de commencer par lui reluquer les seins ?

     

    28. Lucidisique et métaphyqué ATTENTION IL Y A 31 ARTICLES ET NON 32 ALLER DABOROBOU

    Je fais le tour de toute ma parole (sans jeu de mots cette fois). Attends, attends, c'est pas tout : pour Dieu (le « x » des équations), j'ai réfléchi à ceci : nous sommes de la poussière d'étoiles, n'est-ce pas? Quoi de plus logique que de vouloir se sentir en unité avec l'univers, en harmonie ? Pourquoi ne pas prier ? Pourquoi ne pas supposer une « conscience » de l'univers ? haha, j'aimerais dire « je plaisante », là – mais non, je vieillis, je blettis, je me pourris, je voudrais bien trouver le sens, mourir, soit (dans 100 ans, les riches pourront être immortels) – mais je ne veux pas mourir absurde.

     

    29. Le Singe retourne à son vomi

    Parce que toutes les théories courageuses de la liberté individuelle, de la fraternité envers les aûûûtres – eh patate, à partir du moment où tu dois en éliminer 99% qui t'indiffèrent ou qui t'emmerdent, qu'est-ce que tu viens me les casser avec ton « amour des autres », de 1% des autres, et encore ! - toutes ces théories mises en application avec courage et détermination, elles me gonflent : Proudhon disait « Me contraindre au dévouement, c'est m'assassiner ».

     

    30. « Le porc, il nous surprend encore et encore » (ou : « QUE JE M'AIME QUE JE M'AIMEUUUUH... »)

    Vous voyez où ça mène, le pamphlet? À la morale... A l'amour de la justice. A l'horreur du plus grand qui tape sur le plus petit (non non les Palestiniens, ne prenez pas ça pour vous...) ; du pauvre con qui force l'ivrogne à boire pour bien rigoler, ou l'idiot du village à se ridiculiser pour bien se marrer, ou qui se moque de celui qui a l'air con, ou qui traite son voisin de juif ou de pédé – mais tout ça, je le pensais dès le début, et je n'étais pas le seul heureusement, nous sommes des millions à le trouver juste.

     

    31. Ce n'est plus le ras des pâquerettes, là ; on creuse des tranchées, carrément.

    Et puis à force de forcer ma force à faire effort (Johnny, authentique), je suis devenu amoureux. Manquait plus que ça. J'ai l'air de quoi ? Ridicule. D'une femme, parfaitement. Et réciproquement. D'où l'immense schproum, parce que chacun de nous tient à conserver le partenaire précédent. Mais ceci – ne vous regarde pas. C'est donc ça, vieillir : s'apercevoir que certaines choses étaient fausses (mais ont été vécues comme vraies), et que d'autres, que l'on croyait fausses, ont bénéficié d'une fidélité sans faille. Ah ben merde.

     

    32. Thomas Mann et John Lennon

    Ça me rappelle tel personnage des « Buddenbrook », perpétuellement perplexe, qui se répétait sans cesse: « Curieux... curieux... » ; et qui mourut, en pleine conscience, murmurant toujours : « Curieux... Curieux... » Puisque nous sommes en pleines références, rappelons-nous évidemment le mot de John Lennon : « La vie, c'est ce qui arrive quand on avait prévu autre chose. »

    33. Durchbruch (auf französisch : « diarrhée »)

    ÇA REVIENDRA, LA PARANO, ÇA REVIENDRA, ÇA REVIENDRAAAA... - chassez le nucléaire, il revient au Gaillot... « Excusez-moi d'être banal. - Mais mon vieux tu es tout excusé » - la vieillesse est un naufrage, je vous dis (eh je vanne, là, je vanne...). Je suis plus vieux, même par temps sec...

    34. Du cul

    Et ce que je regretterais le plus en crevant – ce sera les femmes - je vous jure : les femmes... J'espère trouver une infirmière suffisamment exhibo pour se mettre sur mon ventre et retrousser sa jupe - « Que c'est beau... » dit le vieillard – et il retombe en arrière, en plein sourire, mort. C'est dans What ? De Polanski. D'aucuns prétendent que si ce n'était pas Polanski, personne n'aurait protesté contre son emprisonnement – permettez, permettez : si ç'avait été un autre, il aurait bénéficié de la prescription. Tout simplement.

     

    35. De Polanski (logique...)

    C'est justement parce qu'il est Polanski qu'on s'acharne sur lui ; et lorsque sa victime, qui supplie la justice d'arrêter tout ce cirque, se sera suicidée, alors là, tout le monde sera content : les uns diront « C'est la preuve qu'elle était détruite par Polanski », les autres « C'est la faute de ces salauds de juges. » Ce qu'il y a d'emmerdant en démocratie voyez-vous, c'est que même les cons ont le droit de s'exprimer. Que moi aussi je suis le con de quelqu'un. Que tout se perd en discutailleries. « Finasser, toujours finasser... » (Astérix et les Normands, évidemment).

     

    36. Eugénisme (« Eugénisme »)

    Tenez, un exemple : la surpopulation. Sujet tabou. Un Palestinien (tout à fait au hasard, mon exemple) se plaint d'être obligé de travailler clandestinement de l'autre côté du mur de séparation pour nourrir ses sept enfants : sept enfants ! Mais tu penses à quoi en tirant ton coup ? Ce n'est pas de l'irresponsabilité absolue, ça ? Aussitôt, le tollé : « Ouais, euh... Racisme, eugénisme, onanisme... » Ben oui. Faites moins de gosses. Comme en Chine (les Chinois sont des racistes antichinois, c'est bien connu). Ça y est ? Vous l'avez bien eu, votre chargement de conneries ?

     

    36 BIS, j'oubliais : «Des logements pour les Roms – oui, mais pas dans mon immeuble.

    « La scolarité pour les Roms – oui, mais pas dans mon établissement.

    « Du boulot pour les Roms – oui, mais pas dans mon entreprise.

     

    37. RIDEAU

    Allez rideau.

     

  • Le Singe Vert IV

    Chapitre unique

    COLLIGNON HARDT VANDEKEEN

    LE SINGE VERT -

    DER GRÜNE AFFE

    T. IV

     

    s 41 à 52

    “Quelle admirable invention du Diable que les rapports sociaux !

    FLAUBERT

    Lettre à Louise Colet du 22-7-1852

     

     

    Dans un lointain numéro Treize, en vente nulle part, j'émettais la vile hypothèse de tenir les conférences sur l'enseignement du latin – carrément – en anglais. Eh bien c'est presque fait . J'ai reçu une convocation en langue anglaise pour le concours général – du coup, d'indignation, j'en ai oublié d'inscrire ma championne de latin – trois fois de suite les mêmes références, toutes enrobées d'anglais par l'inévitable internet. Or, qui défend paraît-il le latin en France ? Un vieux club de vieilles filles geignardes qui vont bataillant dans leurs oripeaux déglingués – mais s'y prenant de façon tellement ringarde et revendicative qu'elles font chier tout le monde du haut en bas du ministère, et je retrouve là-dedans une espèce de faune vieillotte et plaintive, qui demande des rendez-vous chez des sous-fifres qui les leur refusent ou le leur repoussent sans cesse : « Quand serons-nous enfin débarrassés de ces vieilles peaux ? » Et face à toutes ces tronches de chiens battus, j'avais envie de crier d'une part qu'il faut se révolter au lieu de la jouer profil bas et légaliste, et que ça faisait belle lurette que je donnais des cours de grec clandestins sans passer par les fourches caudines de Dieu sait quelles administrations qui forcément se foutront de notre gueule à nous autres hellénistes et amants de la vieille Rome.

    J'avais été d'autre part sur le point de les traiter toutes et tous (quelques hommes égarés parmi ces bouilles d'obstruées de la chatte) de ringards et de croûtons moisis : « Vous ne voyez donc pas que pour faire moderne, up to date, vous devriez faire toute la conf' en anglais ? » Seulement comme l'humour n'est pas la première qualité de toutes ces vieilles, je suis sûr qu'elles se seraient toutes entreregardées d'un air navré en disant : « Ma foi it's true ! Qu'est-ce qu'on est con-connes! Let's begin ! » Promouvoir la culture latine à travers la langue qui y est la plus hostile, la plus imprononçable, la plus rebelle aux sons de la romanité !

    McDonald au secours du latin, help ! help ! Je me suis sali la glotte avec un Big Mac à la merde molle ! Ah bêêêrk ! Ces salauds nous confisqueront tout, de Blanche-Neige à Notre-Dame de Paris en passant par le Mardi-Gras halloweenized Unlimited ! Est-ce qu'il va falloir que tout passe par this fucking english moulinette ? Déjà, sans anglais, plis un seul ouvrage sérieux en médecine, en physique, en chimie, ni en biologie ! Mais my dear Monsieur Ducercueil, vous ne voudriez tout de même pas qu'on traduise ! Si vous voulez faire des études, apprenez l'anglais, l'anglais, l'anglais ! Même pour faire du latin, c'est dire ! Consultez voir la bibliographie de – je ne sais pas, moi - La Nature, De Natura rerum, par Lucrèce, vous ne trouvez plus que des ouvrages in english, des thèses in english, printed in Oxford, printed in Chicago ! Les Ricains nous rattrapent et ils nous retournent !

    Ah, ce sont des ignares : bien sûr, même qu'ils nous ont confisqué les lettres classiques... Style Chin-Tock au Tibet, tiens... Ou les Japs avec les Aïnous du Hokkaïdo : fini les autochtones ! The natives ! Nous nous laissons bouffer par excès de scrupules, de respect des lois. Sans transition, voir Vivendi qui promeut paraît-il des films contestataires, au rayon conntestéisheun, de même que les Etats-Uniens relèguent Proust en section gay books ! - le « reste » de Proust, à dégager... Je m'étrangle ! Des points de suspension partout, et je n'imite pas Cilaïne you fucked bastards ! Dans l' Atlas juif, admirez la transition : que des titres en anglais dans la bibliographie, édités en Amérique, sous prétexte que la plupart des juifs de nos jours sint de langue anglaise, dehors le français !

    Sans parler de l'hébreu, certes, mais ces ouvrages hébraïsants ne pourraient-ils pas avoir été traduits en français et non pas encore et toujours dans ce putain de bordel de Jéhovah d'anglais ! Ça-ne-sert-à-rien-d'être-grossier – Mais si ! Si ! Il n'y a plus qu'en cassant des abribus et en caillassant des cognes que tu obtiens des crédits ! au prix où sont payés les traducteurs, ça ne va ruiner personne... Vous avez déjà vu des réformes urgentes votées par des assemblées démocratiquement élues, vous ? Alors p... d'enc... de b... de m... pubis repetata placenta, que ceux qui ont des oreilles entendent, il faut être latiniste pour comprendre, bien fait pour vos leugueux – métallurgie, hellénisme, hébraïsme, tout en anglais !

    Vous savez ce que c'est, vous, que la revue Néïtcheure ? Eh bien c'est «Nature » à la télé ! Sans oublier les magasins « Saint-George's », qui n'ont pas fait long feu dans notre beau pays, parce qu'il dépouillait les pauvres à tant par mois, des télés à crédit à dix fois leur prix : une speakerine - oups, la main dans le sac : une présentatrice – y est allée de son oxfordianisme en prononçant sèyinnt Djiourjizzz ! On dirait du géorgien, tiens... Voilà comment qu'c'est-y qu'y faut prononcer l'english, bande of ploucs, je vais vous montrer à bien dire les montres Sssssitizen, et même (plutôt allemand cette fois) le GURONZAN !! SCHEISSE !! Je ne penZe pas que RonZard serait d'accord ! La propriété du capitaine Haddock : MoulinZart, sacrilèges of my ass !et la GZARA pour XSARA tas d'abrutis ? Il y a un « X », il y a un « S » qui suit, eh bien non ! Il faut que ce soient ces enfoirés de constructeurs, ces trous du cul de pharmaciens analphabètes, qui nous apprennent à prononcer notre propre langue ! Être behahu le franké, au nom de la libertt' !

    On ne touche pas au français, compris ? VERSTANDEN ? VERBOTEN ! HODFERDAM ! (pour les flamingants)... Que les autres pays, sans Académie (tous des vieux cons facho, n'est-ce pas) laissent donc leur langue se pourrir comme ils l'entendent, allez-y les français, allez-y, démolissez ! Destroy it ! Toujours cette manie des Français (« Et maintenant, allons voir comment font nos voisins », antienne télévisée (anthi-enne svp, tas d'ignares) de vouloir automatiquement imiter tout ce qui ne va pas à l'étranger, c'est toquard la France, regardez la rapidité des actions de justice en Chine ! ...Ça ne vous vient donc jamais à l'idée que le français est une langue plus fine, plus fragile, plus friable que les autres et qu'elle nécessite plus de soins, de précautions que les autres ?

    Je suis allé à Lisbonne (quel exploit...) - et là-bas, que voulez-vous, ils parlent portugais, normal : une langue magnifique, chantante, chuintante, on en a plein la bouche comme du loukoum, c'est d'une douceur, d'un voluptueux inégalable ; les touristes espagnols, eux, vachement vivaces, et tant mieux. Les Italiens, tu les entends de l'autre bout de la rue, c'est un ensoleillement impérial de tout le palais et de tout le tympan – et le français ? À quoi reconnaissais-je le touriste français ? ...à sa langue mince, gracile, flûtée, distinguée, déliée, bimbelotière et presque mièvre, cassable, fragile, que même en jurant bordel de Dieu d'enculé de merde, le français a toujours plus ou moins l'air de sucer des bonbons acidulés...

    Oh putaing cong qu'il faut le préserver le français, une langue d'intellos même en santiags ou en short – oh la honte des conférences tout en anglais à l'intérieur de notre beau pays !
    Criminels, criminels, vous qui faites l'entretien d'embauche en anglais, ce qui est ILLEGAL ! Braves connards trop justement tatanés qui viennent de se faire bananer d'une amende de 4000 F pour avoir tenu leur conférence en anglais et qu'il n'y avait pas un seul anglophone dans la salle ! Et

    qui se montraient tout surpris ! Ben ça alors ! Oui, oui, Toubon eut des tas de défauts, il envoya de l'hélicoptère dans l'Himalaya pour arranger à l'amiable une jolie petite affaire politico-judiciaire, à chacun sa connerie, seuelement, le Toubon, je lui baise les pieds, parce que sans sa loi sur la langue française, notre chanson, notre ciné, seraient tout entiers en anglais ! Gloire, gloire à Toubon, parfaitement ! Il y eut des cardiologues à Strasbourg qui tinrent leur symposium en français ! se sont fait foutre de leur gueule, mais vive eux ! En vérité je vous le dis, l'anglais est le cancer linguistique de la planète, on en crèvera tous ! Dernièrement, à la télé, nous avons découvert que 66% des Français ne connaissaient que leur propre langue : je ne les félicite pas ; seulement, savez-vous comment les reporters (les enquêteurs, soit...) formulaient leur question dans leur infect micro-trottoir ? Est-ce que vous savez l'anglais ? Ô sublimes connards, savez-vous que l'anglais n'est pas la seule langue étrangère ?

    Que ces gens interrogés pouvaient aussi bien savoir l'allemand, le tchèque, l'occitan, ce qu'il ne serait jamais venu à l'idée de vos gueules de courges de le demander ? C'était vraiment utile de tourner le film Amen en anglais ? Sans vouloir me rappeler le nom de l'autre abruti, auteur d' Eyes Wide shut, qui interdit – de quel droit ? - que l'on appelle son film « Les Yeux grand fermés », cette clause figurant dans le contrat d'exploitation même ? Il n'y a donc que l'anglais pour traduire la poésie, l'absurde, l'imaginaire ? Afin de ridiculiser les anglomanes, remplacez « challenge », avec un bel accent anglais, par le mot « défi », prononcé à l'anglaise : « dea-fee », presque pas ridicule, « sleeping partner » devient « pawtenaew dowmantt » - t'as pas l'air d'un gland. Week-end disparaît pour laisser la place à « fin de semaine, ce qu'une préface de grammaire qui vient de paraître jugeait «impensable et  ridicule ».

    Nulle part vous ne trouverez plus « WC », mais « toilettes », même à Duras, Lot-et-Garonne ! Et bravo à ces éditions du Bord de l'Eau qui viennent de se doter non pas d'une adresse « e-mail » (essayer, ce « l » rétroflexe est imprononçable, mais d'un « courriel », la classe ! Ah, je me fous pas mal de l'équilibre de l'awguioumenntèïcheun ! « Les langues sont des organismes qui croissent, qui vivent et qui meurent », ma grand-mère aussi, est-ce que je dois la laisser crever ? Quand tu as un bobo, grand savant, même si tu es destiné à crever, est-ce que tu ne cours pas dare-dare chez le docteur ? La mort du français est inélouctèbeul, est-ce à nous de l'accélérer ? Est-ce à moi, professeur de langue française, est-ce à toi, Bernard Pivot, de décréter que le combat est perdu d'avance, et de traiter les défenseurs de la langue française d'aimables fantaisistes ? Et quand elle va crever, ta vieille peau, comme une vulgaire langue vivante, tu ne seras pas content peut-être (j'y reviens) de courir chez un chirurgien qui te la retape et te la prolonge de dix ans, d'un an, d'un souffle ? Je suis ce chirurgien, I'm that surgeon, je me bats contre la mort, jusqu'au bout, même programmée, même indéprogrammable, vive le vie, jusqu'au bout ! « Il n'y a pas de décadence, ni d'effondrement, mais évolution et transformation, et celui qui se dresse contre l'évolution se dresse contre la vie », hey, Ducon, quand tu sera bouffé aux asticots, la vie va continuer mais la tienne fils de pute, you son of a bitch ? Faudrait p'têt' ben voir à distinguer ce qui relève de l'évolution et ce qui relève de la décomposition, de la Mort !

    Mon rôle à moi, en tant que médecin, c'est de prolonger, le plus possible, l'individu appelé « Langue française » - vu ? Autre « argument » : nous sommes furieux que notre impérialisme s'en aille déclinant – et alors ? est-ce à moi, Français, de lutter contre le prestige de ma propre langue, moi qui suis sans haine, sans sectarisme, sans expansionnite, mais plein de respect ? Est-ce que je ne pourrais pas décliner tranquillement, dignement, me défendant jusqu'au bout, sans recevoir sarcasmes, outrages ou crachats ? Autre mauvais argument : la « bêêêêle langue française »: ni plus « belle », ni plus « claire » qu'une autre... « Il a vu son frère », le frère de qui ? « Nous portions des portions », « Les poules du couvent couvent », c'est clair, ça, pour la prononciation ?

    Et « les filles des villes » ? J'en passe. Nous trouverons tout autant d'obscurités dans la langue française que dans n'importe quelle autre. L'allemand précise toujours bien plus que le français les phénomènes de mouvement grâce à ses particules hin, auf, hinauf, herab, herbei, usw. Jan Neruda, poète tchèque : Ta langue est à la fois la plus ingrate et la plus belle du monde. » Dans mon numéro Treize je gueulais contre la prononciation fautive « Heûûûdipe » ; un correspondant m'a fait observer qu'il valait mieux prononcer mal que de ne plus en parler du tout, eh bé t'as qu'à prononcer Youdaïpe et qu'on n'en parle plus ! Barbares ! Analphabètes ! Puisque même Laurent Teurzieuff s'y met ! « Heudipe », qu'y susurre, « Heudipe » !

    ...Combat dépassé ? « Tout le monde s'y met », « Il faut vivre avec son temps » - c'était quoi, Monsieur Papon, « vivre avec son temps » ? « Ça ne sert à rien ce que tu fais » ? Je sais. Mais je crois encore en l'individu nom de Dieu, et les foules ne sont jamais que des sommes d'individiews, poil au mildew. Nous ne laisserons jamais des journaleux faire la loi, et malheureusement, tout le monde s'est laissé contaminer par le Poivre d'Arvor, qui parsème toutes ses phrases de « qui » parfaitement inutiles : « Les Américains qui... », « les Afghans qui... », « la Turquie qui... » - sans oublier les liaisons à la Chirac : « Ecoutééézzz eueuh... ». Mais je me battrai, je pisserai dans mon violon et je m'en fous, pas question de laisser l'amérangliche récupérer tous les éléments de notre culture pour la répandre aux quatre coins de l'hexagone et de la planète. Même si la résistance est désespérée. Luttez, Russes, luttez, Gaulois, la mort au bout pour tout le monde, mais l'honneur, Messieurs, l'Honneur ! Fors l'honneur ! Et vive Anchois Pommier !

     

    Aaaaaaaaaa

     

    ...Pour finir, un beau coup de gueule d'un ancien élève, germanophone de naissance recalé par des Français au Concours de langue allemande s'il vous plaît, parce qu'il avait trop l'accent autrichien – Marseillais, sachez-le, aux yeux des Allemands, vous ne parlez pas le vrai français – je t'engcule povre bagasse ! Tel quel :

    Nicolas KOVACS (alias Kiki NOVAK)

    1 rue Saint-Barthélémy 34000 MONTPELLIER

    04 67 92 04 91 (lui, il met son téléphone ; moi non, pas fou)

     

    Alfred R.

    Président du Jury

    CAPES externe d'allemand

    34, rue de Chateaudun

    75436 Paris-cedex 09

     

     

    Montpellier, le 23 juillet 2001

     

    Monsieur le Président,

     

    Le Monde a Internet, la Frane a le Minitel, et ce dernier vient de m'apprendre à raison de 0,152 euros la minute que j'ai l'honneur d'être nommé Ségrégé d'Allemand par le Jury que vous présidez. Fort de ce nouveau statut, j'ai décidé de vous adresser ce courrier, et de vous l'adresser en français.

    Certes, j'aurais plus de facilité à vous écrire dans ma langue maternelle, mais la décision de votre Jury vient de confirmer un soupçon que je rumine depuis longtemps. En effet, mon professeur principal, Monsieur Q.X., lui-même Directeur de la Section Germanique à l'Université N. III et membre de votre Jury, ne se lassait pas de me répéter que les Autrichiens ne parlaient pas un allemand correct, contrairement par exemple aux Alsaciens de sa trempe. Cette théorie ethnolinguistique a ensuite été étayée par un autre membre de votre Jury, un inspecteur académique et anonyme, qui me faisait savoir qu'avec mon accent il était clair que je ne venais pas de Lübeck; ho ho ho. J'ai décidé d'en rire un coup avec lui, par politesse, tout en gardant mes objections pour moi.

     

    Dans un premier temps, il en résultait certes pour moi un désarroi considérable dans le maniement de ma propre langue natale, mais soyez rassuré. Celui-ci s'est dissipé brusquement avec l'obtention de la ségrégation. Car ce titre fatidique permet de se rendre compte que ce que les universitaires français désignent par le terme de « langue allemande » n'est en fait qu'une espèce d'eurobabil stérilisé avec zéro pour cent de matière grasse, et qui ressemble autant à ma langue maternelle qu'une brique de tofu à une escalope viennoise.

     

    Mais je tarde à entrer dans le vif du sujet. Alors voilà. J'ai cru remarquer que selon un consensus tacite, le corpus des textes au programme prévoyait toujours un certain quota d'auteurs autrichiens, même si les critères de sélection dans le choix des textes m'échappent quelque peu. Rien à redire sur les auteurs Fin de Siècle comme Schnitzler, Freud ou Hoffmannstahl, dont la valeur est incontestée, et qui figurent tout en haut dans la liste de mes préférences personnelles. Mais pour ce qui est des textes plus modernes, la part de mes compatriotes chute considérablement, et que penser par exemple d'un examen portant sur un texte de Peter Sichrovsky ? Ce monsieur est certes autrichien et romancier, mais aussi secrétaire général de le la FPÖ, le parti d'extrême droite de l'Autriche. Ce dérapage ne concernait certes pas votre Jury, mais je pense que vu la situation politique actuelle en Autriche, il faudrait se montrer plus circonspect dans le choix des textes, ne serait-ce que pour rassurer Monsieur X., qui ne cessait de répéter à qui voulait l'entendre que de toute façon les Autrichiens n'ont jamais rien compris. Je trouve le comportement de ce membre du Jury d'autant plus incompréhensible qu'à en juger d'après ses commentaires durant l'année, la correction de mes copies de dissertation lui procurait des érections d'une violence rare. Bref.

    Je vous propose donc en toute simplicité un auteur autrichien à faire découvrir aux étudiants des années à venir, et je prends l'initiative de vous envoyer Rythm and Blue, mon premier roman, dont j'ai moi-même effectué la traduction en français, avec l'aimable participation de mon amie germaniste et austrophile Mlle Eulalie Mousil, elle aussi Ségrégée d'allemand tout comme moi. Le roman en question vient de paraître chez l'éditeur parisien iDLivre, et si j'ai décidé de vous l'envoyer, c'est non seulement pour faire la promotion d'un auteur autrichien vivant en France et réjouir par là le service marketing de mon éditeur, mais aussi pour éviter aux malheureux étudiants germanistes en France de toujours se voir confronter aux mêmes raseurs de service comme Heinrich Böll ou Christa Wolf, écrivains dont l'orientation politique a cessé depuis des lustres d'excuser le manque de talent.

     

    Ceci étant dit, soyez assuré que je suis bien conscient des risques que comporte mon nouveau statut de Ségrégé : il s'agit de rester humble. Là, votre Jury m'a bien fait comprendre – par son zéro Mention Eliminatoire – que malgré la promotion dont il allait me gratifier, il ne fallait jamais perdre de vue le fait que je n'ai pas le cerveau assez sec pour trouver ma place dans l'Enseignement Secondaire ou Supérieur, déficit auquel une expérience de cinq ans dans l'enseignement privé ne changeait évidemment rien. Il est vrai que lors de mon exposé, j'ai commis l'imprudence de m'aventurer hors des sentiers battus de la culture générale du Jury, mais celui-ci 'a pas été dupe. J'accepte la leçon en toute humilité, et me contenterai désormais de produire la matière première pour votre profession.

     

    A ce propos, le Ministère de la Culture a doté mon deuxième projet de roman, Austrian Psycho, d'une bourse assez substantielle pour me permettre de payer quelques factures en retard. Je ne manquerai pas de vous en faire parvenir un exemplaire dès la parution, et qui sait : si la critique universitaire décide de concentrer ses efforts sur autre chose que des nombrils qui écrivent comme des pieds, peut-être que cela lui permettra un jour de trouver suffisamment de lecteurs pour que l'Etat ne soit plus obligé de la subventionner pour assurer sa survie. Je vous prie d'agréer, Monsieur, l'expression de mes sentiments distingués. Et je vous souhaite bonne lecture.

     

    Nicolas KOVACS

    (alias Kiki NOVAK)

     

    ...ex-élève du Singe, qui voit avec jubilation repris par un Autrichien le panache même de Cyrano – quelque vengeance posthume de « l'Aiglon », sans doute... parce que la roue tourne pour tout le monde. Et que les regards des vaincus de la vie, des anonymes du soir, dans la rue et dans le métro, nous emplissent d'une rage froide, eux que la télé ne voit pas, dont elle ne parle pas. Et c'est à eux que nous pensons, quand viennent pleurer de vieilles gloires qui furent choyées par la déesse télé.

    Alain REMOND « Mon œil » - « Meilleure est la chute » Télérama n° 2624 du 26 avril 2000

     

    ...Voilà c'est dit je lis Télérama, et j'espère ne pas avoir un procès, ou des droits exorbitants à payer parce que je cite Alain Rémond, merci.

    N° 42 – LE PETAGE DE PLOMBS DU CON DE PROF (SUITE ET PAS FIN) 42 - 11

     

    Le prochain qui me critique la fonction d'enseignant je lui fous mon poing sur la gueule. Depuis le temps. Depuis le temps que j'ai envie. Depuis le temps qu'on se crève le cul à leur expliquer que ce n'est pas du tout comme ça que ça se passe. Et qu'ils ne comprennent rien. Et qu'ils ne veulent surtout rien comprendre. Depuis le temps que j'ai envie de leur balancer mon poing sur la l-e le. Comme dit Camus « Il faut bien frapper quand on ne peut plus convaincre ». Et que je te raconte toujours les mêmes bobards.

    ...Les fameuses dix-huit heures : « Les profs ne font que dix-huit heures par semaine. » Pauvres cons. Je t'en foutras moi des 18 heures. Plus les corrections. Plus les préparations de cours. Plus la documentation. Parce que je lis, moi, Monsieur, je lis, j'écris, je lis, j'écris, je lis, j'écris, sans arrêt, et pas de l'Irène Frain, pas du Florence Chapsal, pas de la littérature de gare, pas les Pueds Nickelés, pas du San Antonio, pas du Bécassine chez les Pourris, et encore, même si je lisais cela ce serait pour les analyser têtes de nœuds, pour en tirer des enseignements avec ma classe, même avec du Konsalik (le Guy des Cars germanique), même avec du roman-photo que je leur ai rapproché (ou éloigné) de Corneille, parfaitement, de Corneille, pour leur permettre, à mes élèves, de dominer la situation, d'émettre des jugements pas forcément défavorables au contraire – mais en général des ouvrages que rien qu'à lire le titre t'arrives pas à comprendre, vive Coluche.

    Des auteurs qui te font hausser les épaules et que moi je suis obligé de lire, de relire, de rerelire – je me souviens encore de ce con de pompier populaire qui demandait à un collègue « Oh

    qu'est-ce que c'est que tout ce tintouin autour du théâtre ? Qui c'est-y donc qui vient aujourd'hui ? » - et l'autre con, dédaigneux, mais alors ! sur un ton ! à claquer ! lui répond, le mollard au bord des lèvres : « Bof tu parles ! c'est des scolaires ! pour Molière ! » - avec une de ces intonations à vomir (Ce n'était que Molière) - et le premier de renchérir « Oh ben alors... » - je hais le peuple je hais le peuple je n'ai rien contre les pompiers et je-se-rai-bien-con-tent-quand-ils-vien-dront-me-sau-ver mais je hais le peuple – parce que je suis bien imprégné de toute cette culture-là qui permet de sauver (puisqu'il faut bien, paraît-il, du fric) les théâtres à la dérive, parce que je la dégorge, je la régurgite bien enveloppée, précuite, prémâchée, prédigérée, pour que tes gosses de merde, Ô Peuple, puissent comprendre de quoi ça cause, La Bruyère, Proust, Montaigne (« Ah moi ça ne rentre pas, Montaigne, je ne le suis pas du tout ») - évidemment pour lire Montaigne ou Rabelais il faut être tombé dedans depuis tout petit, quinze seize dix-sept ans, dix lignes par jour, puis on s'habitue, puis on goûte toutes les finesses du langage, même chose pour Chrétien de Troyes, au bout de vingt ans à patauger tu arrives à lire l'ancien français dans le texte ce qui ne sert à rien et je t'emmerde, et encore, seulement la langue d'oïl, parce que Ventadour en limousin tu peux toujours te la brosser, Hugo, tous ces cons-là qui ne servent à rien, parce que l'alpinisme ça sert à quelque chose peut-être, et traverser l'Atlantique à la rame ça sert à quelque chose aussi, parce que n'importe quoi y compris ta tronche d'analphabète tu crois que ça sert à quelque chose je t'en foutrais du respect de l'interlocuteur.

    Tiens, voilà du Ionesco, attrape au vol, et apprends par cœur : L'homme modèle, universel, c'est l'homme pressé, il n'a pas le temps, il est prisonnier de la nécessité, il ne comprend pas qu'une chose puisse ne pas être utile ; il ne comprend pas non plus que, dans le fond, c'est l'utile qui peut être un poids inutile, accablant. Si on ne comprend pas l'utilité de l'inutile, l'inutilité de l'utile, on ne comprend pas l'art ; et un pays où on ne comprend pas l'art est un pays d'esclaves et de robots, un pays de gens malheureux, un pays de gens qui ne rient pas ni ne sourient, un pays sans esprit ; où il n'y a pas l'humour, où il n'y a pas le rire, il y a la colère et la haine. Car ces gens affairés, anxieux, courant vers un but qui n'est pas un but humain ou qui est un mirage, peuvent tout à coup, aux sons de je ne sais quels clairons, à l'appel de je ne sais quel fou ou démon se laisser aller par un fanatisme délirant, une rage collective quelconque, une hystérie populaire. Les rhinocérites, à droite, à gauche, les plus diverses, constituent les menaces qui pèsent sur l'humanité qui n'a pas le temps de réfléchir, de reprendre ses esprits ou son esprit, elles guettent les hommes

    d'aujourd'hui qui ont perdu le sens et le goût de la solitude. »

    C'est moi qui souligne, comme disait Berbérova. Parce que je suis lourd, parce que je suis prof, parce que j'ai tellement peur que les autres deviennent cons que je les prends pour des cons mais c'est pour leur bien, parce que dès que j'ouvre les yeux je suis prof, dès que je respire je suis prof, dès que j'ouvre un bouquin, une revue, je suis prof, dès que je respire je suis prof, je ne suis pas profileur de pare-choc chez Renault moi, il n'y a pas de sots métiers, mais quand je sors de mon boulot je ne suis pas en train de pêcher à la ligne, je ne pourrais pas. J'utilise toute ma vie comme matériel pédagogique, même si je lis Tintin je me demande ce que je pourrais dire sur Tintin à mes élèves, même si je vois un navet à la télé, c'est pas une profession d'être prof, c'est une vocation, ça te dit quelque chose ça une vocation ?

    On demandait à Mgr Marty quand il trouvait le temps de dire ses prières, il a répliqué : « Mais je suis toujours en prières, en ce moment même sous les sunlights de la télé je dis mes prières » - pour un prof c'est pareil, si tu fais ton cours et que tu t'en vas t'es pas un vrai prof, tu es prof 24h sur 24 y compris dans ta tête y compris dans ta manière d'appréhender le monde, et quand tu vois un spectacle tu t'y vois avec tes élèves parce que tu aimerais leur montrer ce que c'est et le commenter, ils sont dans ta tête alors tes « 18 heures » que tu nous jettes haineusement à la gueule tu peux te les foutre où je pense. « Oui ben y sont pas tous comme ça, j'en connais qui foutent pas une rame » - bien sûr cher mai, tu trouveras des merles blancs, des putes heureuses de vivre, des drogués au comble de la félicité voire des Gitans heureux mais moi je te parle de ce que ça devrait être, un prof idéal, et je te réponds comme Sénèque : « Même si je ne suis pas au sommet » dit-il à peu près, « même si je suis encore en train de ramper dans la boue, du moins j'ai les yeux tournés vers le Sommet » - même si neuf profs sur dix (j'écoute aux portes dans les couloirs - et je vais encore me faire bien voir – ne sont que d'épouvantable raseurs, qu'est-ce que vous voulez que j'y fasse si personne ne leur a encore appris qu'il est plus important de déconner de temps en temps avec ses élèves ou de leur raconter sa vie que de finir le programme.

    ...Et un comédien alors ? Il ne joue que deux heures par jour et encore sans compter les soirs de relâche. Et un footballeur ? Ça ne joue que deux heures tous les trois jours et ça se plaint. OUI MAIS UN FOOTBALLEUR ET UN COMEDIEN ÇA S'ENTRAÎNE ÇA REPETE eh bien moi aussi connard, si je ne lis pas, comment veux-tu que mon cours ait du liant, comment veux-tu que je passe sans cesse d'une idée à l'autre, que j'établisse des interconnexions passionnantes et des digressions sans fin, comment veux-tu que je sois capable comme ça au débotté de te pondre un cours d'une heure sur l'histoire de la langue française ou celle de la persécution des juifs ou sur l'histoire de la folie, sans notes, tu crois qu'un cours ça se prépare en claquant des doigts, pour tels et tels cour j'ai passé vingt minutes de préparation PLUS des années de lecture et d'imprégnation forcenée, ce n'est pas comme avec l'internet où il te suffit de taper n'importe quoi mon cul.com pour avoir « un renseignement », espèce de con si ce renseignement n'est pas connecté dans ta tête avec toutes tes lectures antérieures sédimentées sur des dizaines d'années qu'est-ce que tu vas en faire de ton « renseignement Hûtile » isolé ?

    Qu'est-ce que c'est qu'un sportif qui ne passe pas plusieurs heures par jour à s'entraîner (mais ça on le sait: il n'y a plus que du sport à la télé, quant aux émission culturelles beaucoup s'imaginent encore que c'est « Questions pour un champion » ou « Le jeu des mille-z-euros » - ah ! les cours professoraux, magistraux, parfaitement, sur Rimbaud, sur Péguy, à 23h sur les chaînes câblées, qu'on est obligé de rechercher dans les archives de l'INA parce que ces choses-là n'intéresseraient plus personne mon pauvre Monsieur – qu'est-ce que c'est qu'un danseur qui ne s'esquinte pas plusieurs heures par jour sur une barre fixée au mur, les profs, c'est pareil, la lecture, l'écriture, la lecture, l'écriture, quand j'écris je délie ma plume pour être plus à même d'apprécier les travaux écrits de ta progéniture ô Peuple, c'est pour découvrir des « trucs » d'écriture et les leur communiquer pour leur apprendre à ne pas écrire comme des abrutis, « pygane » pour « pyjama » parole d'honneur je l'ai vu écrit ça, j'apprends l'hébreu, et le portugais, c'est pour découvrir les secrets des langues et l'universalité de l'âme humaine à travers l'infinie diversité des langages, chaque langue nouvelle est un nouvel espace de liberté c'est du Steiner, tu me les comptes les heures que je passe à essayer de déchiffrer du breton ou du polonais « qui ne servent à rien », ça fait partie des heures de travail que tu m'imagines face de rat ?

    Sans oublier les conseils de classe, les introductions de notes sur ordinateur, les contacts avec les parents et j'en passe, elles sont où tes 18 heures de démago haineux ? J't'encule avec mes vacances mon pote, si tu t'imagines que c'est ça qui a déterminé ma vocation (« Il y a trois raisons qui ont motivé mon choix de l'Education Nationale, le premier mois de vacances, le deuxième mois de vacances, le troisième mois de vacances ») ben tu te fourres le doigt dans l'œil mon con, d'abord je te signale que mes impôts me reprennent très exactement deux mois de ces vacances-là, en plus elles ne sont pas payées mes vacances connard, et d'autre part tu sais ce que j'en fais de mes vacances mes couilles ? Eh bien je lis, j 'écris, pas du Pierrette Fleutiau mais du solide, du gargouillique, que même le titre ça te fait tomber les bras, parce que tu vois mon con si je reste sans m'entraîner c'est comme le sportif parfaitement, mon cours, sans entraînement, je peux me le mettre quelque part, l'autre jour j'ai pu improviser une heure et demie sur l'Histoire de la Folie de l'Antiquité à nos jours, sans un poil de notes, et pourquoi j'insiste ? parce que j'avais lu depuis trente ans je ne sais combien de bouquins chiants sur la question ça m'a pris 30 ans ce cours-là, parce que je m'étais assimilé je ne sais combien de livres, c'est autre chose qu'internet et c'est ça mes vacances, j'apprends des langues et quand je t'engueule je fais encore de la polémique et du journalisme, et je m'exerce, comme un sportif, exactement.

    Deuxième grief : il paraît qu'on est une profession « sans responsabilités ». Premièrement regarde bien la gueule des collègues, je ne parle pas pour moi qui suis un décontracté dès le début, j'ai compris que c'était un métier de guignol, je suis prof-clown parfaitement, j'ai monté sur les chaises bien avant Le cercle des poètes disparus – jette un œil je te dis sur leur anxiété, leurs scrupules pour mettre 8 ou 8 ½, leur hantise de l'injuste alors que tout est injuste bien que ce ne soit pas la peine d'en rajouter, leurs souffrances quand un élève ne « marche » pas et qu'on vient leur claironner à la gueule que c'est leur faute, alors que c'est l'élève qui ne veut rien foutre mais que c'est la faute des profs, c'est leur faute, c'est leur faute, c'est leur très grande faute, l'élève entend ça toute la journée à la maison, et tu ne dirais plus que nous nous sentons toujours irresponsables.

    Qu'est-ce que tu veux, citoyen ? Que nous soyons rétribués au mérite ? O.K., je bloque toute ma classe à 18, et je l'aurai, ma prime au mérite. Il y en avait un comme ça au Lycée de Vienne, il foutait toute la classe à 5, puis au deuxième trimestre tout le monde à 9, et au troisième, à 15, il se recevait des cadeaux que c'était une honte, il les revendait après sur une grande table dans la salle des profs – bon, il s'est fait virer. Pas responsables les profs. Pas de risques. Leur paye à la fin du mois. Va voir dans les asiles ce que c'est que les risques du prof, que la paye du prof. Va voir s'ils ne préfèreraient pas les « Risques Phynanciers » dont tu te gargarises.

    Alors qu'ils les aiment, leurs gosses, et pas au sens pédophile pauvre type, qu'ils les bichonnent, qu'ils les font travailler de leur mieux, mais comment voulez-vous faire si toute une partie de la classe a compris et pas l'autre ? Tu veux recommencer jusqu'à ce que tout le monde ait compris ? Trois fois, dix fois, vingt fois, jusqu'à ce que le dernier des derniers, celui qui ne veut rien comprendre, ait compris ? Et qu'est-ce que tu fais de ceux qui ont compris et qui voudraient avancer, ô conseilleur de mes deux ? Ça ne vous est pas venu à l'idée que les autres vont se mettre à régresser et à déconner ? Des classes à un élève ou deux, ça marche, mais à 20 ? Et bé ça ne marche pas Herr Dükon.

    Et pourquoi Machin passe de 4 à 16 ? parce que ton cours a été bon ? Non, parce qu'il s'est mis à travailler. Je suis spectateur de mes élèves, je me propose à eux et je les voir progresser, ou non, quand je note c'est souvent au petit bonheur, d'ailleurs essaye d'avoir les notes de tes élèves au bac, c'est la croix et la bannière, sans parler de ce qu'ils deviennent après, je te signale que tous s'en sortent, quand je rédige des appréciations trimestrielles j'ai souvent l'impression de diriger une rubrique astrologique. Maiaiaiais je comprends très bien ce que vous voulez dire avec votre « responsabilité » : c'est que réussite ou pas, nous touchons notre paye, notre sale paye que tout le monde nous envie.

    Voilà à quoi vous jugez le monde, tas de fielleux, voilà votre aune : ceux qui reçoivent leur paye, et ceux qui doivent se la gagner. « Si je ne vais pas au boulot, je ne suis pas payé » - et moi, alors, pourquoi j'y vais, à mon boulot ? Puisqu'en restant chez moi je serais payé quand même ! C'est pour une chose dont tu n'as même pas idée, pour un mot qui te fait ricaner (« Ouah, l'honneur, ça ne nourrit pas son homme ! ») - oui l'Honneur, parfaitement, la conscience professionnelle si tu préfères, la Nation, parfaitement, le Peuple, qui me confie ses enfants, tes enfants, et j'ai l'honneur de les éduquer, et c'est pour l'honneur que j'y vais, parce que je ne veux pas avoir volé cet argent que tu me reproches.

    Toi tu travailles pour le fric, et nous pour le fric et pour l'honneur, tu ne sais même plus ce que ça veut dire dans ton entreprise dont tu fais sonner les deux « r » comme un racle-mollards et qui fonctionne au lèche-cul et à la délation style Lauzier ça tu ne peux pas le comprendre ça dépasse ton cerveau de primate articulé, ne t'en fais pas mon pote même si ton entreprise ferme ses portes tu ne crèveras pas de faim vu le niveau des alloc' chômage qui sont prises mon Dieu comme c'est bizarre sur les impôts de ces flemmards de fonctionnaires. Tu as vu Deux ou trois choses que je sais d'elle de Godard ? ...nous sommes tous des putes sur notre lieu de travail; et toi t'es toujours en train de mendier, de mendigoter, de gagner tant par mois et de demander : « Pardon Missié moi fabwiqué chaussuwes, moi monté la pièce le théâtwe, tu pouwais pas donner soussou j'ai produit des biens qui serrvent à quelque chose t'aurais pas deux euros sious plaît ? t'aurais pas une subvention avec le pèze des contribuables pour ma troupe qui bat de l'aile Missié Fonctionnaiwe que j'ai twaîné dans la boue, pour mon théâtre qui bat de l'aile » c'est pas du racisme tas d'analphabètes c'est pour faire association d'idées avec « esclavage » si t'as pas compris tu vas faire du rap.

    En quoi est-ce plus honorable ? Pourquoi veux-tu que je risque quelque chose pour vivre comme un mendiant au lieu de vivre comme une vache à l'engrais ? En quoi ça te donne une dignité supplémentaire de courir après l'argent dans la poche des autres au lieu de l'attendre de l'Etat ? D'être une pute de trottoir au lieu d'une pute d'intérieur ou une femme mariée ? Ça me rappelle cet éleveur de moutonss qui vivait dans la misère et qui nous engueulait parce que « nous autres, on avait la paye à la fin du mois », eh mon con je ne t'ai pas forcé à élever des moutons tu as choisi maintenant t'assumes, qu'est-ce que c'est que ces manières de vouloir que tout le monde adopte TES façons de vivre à toi, j'ai le droit d'exister non ?

    Au nom de quoi qui que ce soit voudrait-il m'imposer son mode d'existence ? C'est incroyable cette réaction des gens maintenant, dès qu'ils se font enculer ils exigent que les autres écartent l'anus au lieu de vouloir libérer tout le monde, bravo le civisme, c'est donc ça votre idéal de

    « vraie vie » ? se battre comme des hommes préhistoriques ou des gamins dans une cour de maternelle pour défendre son bifteck ? Lécher le chef, magouiller, dénoncer les collègues ? Ben merde alors, moi j'estime que le prof et l'ado ont seul l'accès à la vraie vie, la vie où on pense, ensuite on fait rien qu'à régresser, mais je ne l'impose à personne.

    C'est quoi cette manie de toujours vouloir dresser une partie de la population contre l'autre, tous ceux qui ne foutent rien tandis que Monsieur Eric Vourachon, lui, travaille ? Les profs sont restés toujours adolescents ? Et alors ? Est-ce qu'il ne faut pas des adolescents pour s'occuper d'autres adolescents ? C'est toi avec ton air con et ta vue basse qui vas t'occuper des ados ? « Des profs qui n'ont pas vu la réalité », c'est quoi notre vie c'est pas la réalité ? « Des profs qui se racontent des histoires de profs dans des salles de profs », en quoi c'est pire que des informaticiens qui racontent des histoires d'informaticiens avec d'autres informaticiens, des bouchers qui racontent des histoires de bouchers avec d'autres histoires de bouchers, des chasseurs qui racontent des histoires de chasse – en quoi est-ce plus « ouvert », plus «adulte », qu'un prof qui raconte des histoires de prof avec d'autres profs ? Chaque métier, tu m'as bien entendu, chaque métier t'enferme dans un ghetto professionnel, pourquoi le mien serait-il plus bas, inférieur au tien ?

    Tu me reproches d'être demeuré enfant, c'est comme si tu étais assez con pour reprocher à un basketteur d'avoir 2m 10, ou à une infirmière d'être trop « nounou », et alors ? Je ne suis jamais sorti de l'école, jamais sorti de l'enfance ? Et comment je fais pour leur parler, aux ados ? Je me souviens de ce con de proviseur qui voulait rétablir la discipline dans la cour de son établissement, et qui voyait l' « emploi jeunes » discuter avec les casseurs, et parvenir à les calmer, et qui l'a convoqué : « Monsieur, je n'aime pas la façon dont vous semblez établir une complicité avec les élèves, vous allez me faie le plaisir de rétablir un peu les distances SVP, rompez. » - total, tout est redevenu comme avant, la violence, les mollards et tout.

    Et le flic alors, qui en est resté « aux gendarmes et aux voleurs » ? et l'infirmière, qui « joue au docteur » à longueur de vie ? Et l'informaticien qui joue au game boy ? Et le chef d'entreprise, qui joue à la marchande ? Et le chauffeur de bus qui fait vroum-vroum? Pourquoi serions-nous les seuls à être restés des enfants ? Tout travail d'adulte, toute vocation, tout métier, a pris ses racines dans l'enfance. Pourquoi ce qui est louable chez les autres serait-il blâmable chez nous ? chacun voit une partie de la réalité, la nôtre existe aussi, nous ne risquons rien pour l'argent, mais nous risquons notre santé mentale - est-ce que je les critique, moi, les routiers, est-ce que je les traite de cons, les boulangers, les électriciens ? Et puis ne me raconte pas d'histoires, tu en trouveras toujours de l'argent, avec toutes les indemnités que les petits malins de ton genre finissent toujours par se dégotter. Et les trois mois de vacances, dont un mois revient en impôts dans les caisses de l'Etat pour te payer tes allocs, tes subventions, tes primes et autres indemnités ? Tu crois vraiment que c'est pour avoir des vacances qu'on devient enseignant ? Elles ne sont pas payées. Et mon Dieu comme c'est bizarre tout le monde prend ses vacances en même temps et « s'aligne sur les vacances scolaires », encore un peu on nous accuserait d'entraver la bonne marche de l' « Hântreprise » - l'autre jour je discutais avec mon dentiste invité au Canada par des amis, « Ah je ne sais pas, le Canada, je vais me les geler en hiver, et si c'est en été je me ferai bouffer par les maringouins » - eh Ducom-Dentcreuse, t'as bien de la veine de pouvoir te payer le voyage au Canada comme ça, moi je vais à la plage à 60 km de chez moi, une fois j'ai voulu me payer trois jours vers La Rochelle, premier hôtel 400 balles, j'ai dit à Jacqueline « On referme les valises et on rentre » - curieux non tous ces profs qui encombrent les routes les jours de vacances à la neige, vous croyez qu'ils ont de quoi se les payer les vacances à la neige tas de connards – tous les bouchons des autoroutes et aux péages c'est que des profs tout ça dis c'est que des profs ? mais mon pauvre vieux y a plus que les couillons qui ne prennent pas de vacances en même temps que les profs !

    Moi maintenant je réponds merde à tous ceux qui me les cassent question vacances, c'est vrai quoi ils sont tous là à gagner moins que moi en travaillant plus, faudrait que je les croie en plus ? C'est comme quand tu te plaine le mec en face il est toujours plus malheureux plus fauché alors maintenant quand on me cherche je me mets à gueuler « Moi je bosse 26 heures par jour et je gagne 6 briques par mois et je t'emmerde, et si t'es pas heureux t'avais qu'à faire bac + 7, les médecins qui gagnent le smig je les emmerde parce qu'au bout de dix ans c'est bizarre ils ont les deux voitures et les deux baraques ».

    Autre chose : la privatisation – je ne sais pas faire les transitions – modèle Berlusconi, « anglais, informatique, entreprise », voilà les trois mamelles de l'Italy, Michel-Ange ? poubelle ! « S'il veut s'intéresser à l'art et à la culture plus tard il le fera » - connard ! connard ! Plus tard il n'aura plus envie de rien ! C'est très facile de transformer un gosse en petit vieux ! Alors que si tu lui avais ouvert l'éventail de la curiosité, il serait devenu d'autant plus curieux plus tard ! Des évidences pareilles, être obligé de les répéter ! On va être gâtés, comme disait Madelin qui voudrait couper la France en 13 républiques bananières bouffées par les USA, vous en faites pas les gars; il n'y a pas d'échec scolaire, il y a seulement l'échec de la démocratisation de l'enseignement, je n'ose même pas dire de la culture, les gens n'en ont rien à foutre de la littérature, on les a déjà vidangés de la musique et des arts plastiques, alors vous pensez, le latin, la poésie ! Tes gosses ratent leurs études parce qu'ils entendent toute la journée à la télé plus chez toi-même que les profs sont tous des cons, rengaine qu'ils ont tous envie d'entendre depuis l'Antiquité – ouais oh cong, c'est vieux ça l'Antiquité – t'en fais pas mon vieux, t'en fais pas : l'enseignement professionnel ! Y a que ça de vrai ! L'entreprise on vous dit ! L'Entrrrreprrrrise ! Un jour un employé de chez Danone viendra vous expliquer en anglais la façon de fabriquer un yaourt, un mec de Firestone vous expliquera en anglais comment fabriquer un pneu, et on sera enfin débarrassés de ces putains de rapports humains, j'oubliais l'autre con qui viendra vous raconter l'histoire du pétrole (plus besoin d'histoire, ces gens-là sont tous morts, qu'est-ce qu'on en a à foutre, nous on est vivants on sort en boîte et on t'emmerde, alors plus rien avant 1930 vu ?

    C'est l'histoire de la décadence romaine qu'il faudrait étudier à fond, ça fait longtemps peut-être mais on est revenus en plein dedans, plus de géographie, avec les agences de voyage tu vas où tu veux les yeux fermés, « Où c'est Le Puy ? - ben on n'en a rien à foutre – ah oui ! On y est allés en vacances ! - ben t'as intérêt à vivre longtemps si tu veux arriver au 90 (« Territoire de Belfort » - l'histoire et la géo ce sera les cours de la Bourse, en avant pour la crétinisation il faut que ça SERVE que ça SERVE du latin « servus », « esclave », tas de race d'esclaves ! Tu crois que ça ne fait pas gerber d'entendre mon petit-fils me demander « A quoi ÇA SERT l'espagnol » - je lui ai parlé Culture que dalle, puis j'ai trouvé le bon tuyau : « Tu te présentes à une place tu ne sais que l'anglais ; il y en a un autre qui sait l'anglais ET l'espagnol il te prend ta place » voilà le genre d'arguments qu'on est obligés d'employer à présent bande d'enfoirés, ah le peuple, putain que je hais le peuple, c'est inimaginable, les gens, je ne peux pas les blairer, ça bougera, on les aura, je ne fais que répéter ce que disent les autres ? ça en fera un de plus toujours ça de gagné, merde aux réformateurs, comme dit Sallenave « du moment que l'école est malade de réformes eh bien qu'on fasse encore plus de réformes », en cas d'hémorragie faites une saignée, je vais vous dire moi pourquoi l'enseignement résiste et résistera toujours : les élèves s'en sortent dans la mesure exacte, je dis bien très précisément exacte, où nous autres à la base prenons le contre-pied systématique de toutes les réformes imposées d'en haut par tous les connards de démagogues de ministres de mes couilles.

    Je fais des cours de grec clandestins dans les classes, parfaitement, nous ne céderons pas aux Madelin, Jack Lang et compagnie, parce que nos sommes éternels, entendez-vous dans nos campagnes, éternels, et je continuerai toujours à préférer un chômeur cultivé, aigri et révolutionnaire à n'importe quel plouc bien payé roulant dans une grosse bagnole et incapable de distinguer Vivaldi de Stockhausen, Botticelli de Kandinsky, aux chiottes la réussite à l'occidentale, vive la culture, et pas Vivendi. Ma foi si qu'on fait avancer les choses en jurant, depuis le temps qu'on est poli et que rien n'avance ! Maintenant tu fais une manif, trois Abribus en l'air et tu obtiens ce que tu veux, tandis que par les voies légales, que dalle ! alors tiens je t'en rajoute une ligne : enculé d'enfoiré de mes glandes, etc. (ça fatigue, c'est vrai).

    Oh ! bien sûr, Monsieur Tout-le-Monde ne va pas crier au scandale ! pas si fou ! trop peur de passer pour ringard ! Alors il te dira « C'est banal », « dépassé », mais en réalité tu l'aurais vraiment choqué. - « et à quoi ça sert ? » - O.K., mais à quoi ça sert de ne pas le faire ? chacun sa fonction, la mienne c'est de faire « ça », comme celle du navet d'être navet, de Napoléon d'être Napoléon, ô spécialistes ignarissimes de mes couilles, et vive le Père Duchesne !

    COLLIGNON HARDT VANDEKEEN LE SINGE VERT T. IV 42 - 21

    MARCEL COSTE - « SOLLICITUDE ABUSIVE »

    Et une page de Marcel Coste, une :

     

    Sollicitude abusive

    D'un pas qui se voulait alerte, je déambulais sur le quai de la gare jusqu'au wagon numéro six.

    J'allais voir des amis à Paris et m'en réjouissais.

     

    °

     

    De nature précautionneuse j'avais un bon quart d'heure d'avance ce qui m'avait permis de trouver mon magazine habituel et de choisir un épais quotidien parisien.

    Traînant sans peine apparente ma valise à roulettes (en français moderne : « trolley »), j'arrivai enfin devant cette voiture six. Je m'y hissai d'un coup de rein hardi.

    Après une minute de récupération, je repérai ma place « côté-couloir », celle qui permet d'aller aisément au bar, voire aux toilettes, en toute impunité et discrétion. Celle qui évite aussi de regarder un paysage fugitif et inintéressant.

     

    °

     

    Par chance ma voisine placée près de la fenêtre m'apparut particulièrement agréable. La trentaine visiblement épanouie, élégamment habillée, discrètement fardée.

    Alors que j'extrayais ma lecture de la poche extérieure du « trolley » elle se leva, prit ma valise et, sans effort, la plaça en souriant sur l'étagère.

    Je balbutiai un remerciement en forme de grognement.

     

    °

     

    Effondré mentalement, je me calai dans mon siège et ruminai sur mon apparence décatie, vieillotte et impuissante.

    Que cette haridelle, perchée sur ses hauts sabots, se permît de m'aider à placer cette valise ! Que cette amazone s'autorisât à suppléer mon hypothétique débilité physique ! Sûrement quelque cheftaine prolongée en manque de B.A. !

    Moi, qui suis plutôt du genre amène, affable, sociable, je m'enfermai face à cette probable péronnelle, dans un mutisme total, méditant sur une politesse surfaite de nos jours et attentatoire à notre autonomie. Je pensais aux aveugles que l'on assiste de gré ou de force pour traverser les carrefours... aux sourds que l'on tourmente avec des mimiques et des signes approximatifs... aux anorexiques que l'on alimente autoritairement à l'aide d'une sonde... bref à toute cette contre-euthanasie rampante.

     

    °

     

    Je me plongeai ensuite dans une lecture exagérément attentive de mon quotidien favori puis dans celle de mon mensuel apprécié pour ses renseignements précis et indispensables : placements monétaires et boursiers, maisons de retraite, centres pour invalides, assurance-vie et capital-décès, convention-obsèques... sans oublier les « trucs » qui garantiront votre succession contre une administration fiscale insatiable.

     

    °

     

    Brusquement, je m'arrêtai de lire ayant surpris ma voisine lorgnant ma revue d'un œil présumé ironique mais plus sûrement compatissant.

    D'un pas hésitant, la démarche titubante, j'allai jusqu'au wagon-bar... d'où je pus admirer la monotonie du paysage et compter les vaches sages bourguignonnes.

     

    °

    Vingt minutes avant l'arrivée en gare je retournai à ma place, saisis ma valise d'un geste douloureux mais précis et m'installai dans le sas de sortie. Je n'avais eu aucun regard pour cette perspicace voisine m'ayant signifié d'ostentatoire façon que j'avais un âge un peu trop septuagénaire.

     

     

     

    Comble de sollicitude, à l'arrivée, pour m'éviter d'espérer trop longuement un taxi, mes amis m'attendaient sur le quai.

     

    °

     

    Convenez avec moi que la « bonne éducation » devrait aussi avoir ses limites.

     

    Le 18 septembre 2001

    COLLIGNON HARDT VANDEKEEN LE SINGE VERT T. IV 43 - 24

    BLOCKHAUS B

     

     

     

    A mon arrière-petite-fille

    Qui ne saura plus lire et

    Qui ne parlera plus ma langue

     

     

    « La pluie m'emprisonne. Je ne peux plus atteindre les arbres. »

    Il y a son nom sur l'enveloppe.

    « La prairie est détrempée, jusqu'au cœur de la terre. »

    Les oiseaux croassaient de toutes leurs forces.

    « Il pleut depuis le premier du mois. Si j'avais de bonnes bottes, je pourrais rendre la lettre : c'est mon nom sur l'enveloppe, mais ce n'est pas moi. »

    S'il traverse la prairie – le champ de boue, le cloaque - il deviendra une masse informe. Au mieux, le vent l'encroûtera. Et puis, de l'autre côté des arbres, il y a le fleuve...

    « Celui qui porte mon nom a besoin de cette lettre. Plus que moi. Celle-ci, à moi, n'apportera que des tourments. »

    Il habite loin, au sec, dans son dos :

    « Formán Tikhonovith Biédrinine

    « Blockhaus B ».

    Je ne suis pas cet homme.

    Les corbeaux dans le ciel font et défont des cercles noirs. Il tend le bras comme un fusil.

    « Pan ! Pan !

    Sans s'émouvoir, les oiseaux s'engouffrent dans une énorme boule d'arbre malade, au bord du marécage, puis, l'homme commence la traversée.

    A chaque pas la boue montait jusqu'aux genoux. Il regarda sa montre : quatre heures avant la tombée du jour. Il tâta le message, dans la poche de chemise : il pouvait aussi bien tout laisser derrière soi. Les choses au pire, il trouverait au bourg une chambre sèche, un pantalon neuf.

    De trou en trou, il se déhanche.

    Le soleil perça les nuages, réveillant des nuées de moucherons acides. Il eut le souvenir d'heures paisibles, de soirées à l'air libre, sur le banc, le jardin fait. De ce côté-ci du marais, donc derrière lui, c'était Bostrovitza, un gros village plein d'enfants placides.

    Et devant, il y avait Gréménovo, où il n'avait jamais mis le pied depuis la destruction du pont ; plus exactement, l'édifice branlait de toutes parts après l'attaque des Stukas. Ils avaient bombardé les réfugiés. Les autorités l'avaient déclaré dangereux. Il avait sauté, le pont, par ordre du voïvode.

    Il fallait prendre le sentier. La boue, après la crue, avait tout recouvert.

    Les anciennes photos du Pont d'Aval le montraient aux jours de foire, grouillant comme une fourmilière : bateleurs, charrettes, marmaille... C'était avant la naissance d'Endrick. C'était avant la mort du grand-père. Avant le bombardement.

    L'homme avança, leva les bras, tira sur ses cuisses. Il laissa échapper un tonnerre de jurons. L'eau touchait le ventre. Les sous-vêtements se trempèrent d'un coup. Il prendrait froid. Désormais coûte que coûte il fallait un docteur, celui de Gréménovo. Pourquoi lui, Formán, douillet, grincheux, avait-il entrepris cette folie de vouloir à tout prix remettre cette lettre à son destinataire, dont il ne connaissait foutre Dieu que le nom, le sien ?

    La vase remonta sous ses pieds. Bientôt la partie de son corps au-dessus des genoux se trouva hors de l'eau. Il souffla un instant. Ses mains, demeurées sèches, vérifièrent encore sous la chemise que le message n'avait pas bougé. De l'autre côté de la digue il apercevait, sur le ciel gris, les premiers toits pointus de Gréménovo.

    Les premières cheminées se mirent à fumer. Dans un bruit de succions alternées, il se dégagea au plus vite, gravit un perron sans rampe, redescendit quelques marches : il était sur le pavé, au sec, à Gréménovo. Il dégoulinait de saletés, mais nul, à part lui, ne foulait le sol irrégulier de cette demi-rue, à l'abri, face au marais.

    Formán se sentit revivre. Il avait malgré tout éprouvé de l'inquiétude, malgré le jour encore haut, et en ressentit une vague honte. Son reflet dans une glace extérieure – un tailleur en faillite – le persuada de chercher au plus vite un magasin d'habillement, pour remplacer son pantalon, devenu bloc de boue.

    Il lui faudrait aussi des chaussures. Alors seulement il pourrait se présenter au Bloc B, Kuiaz Ulitsa, et remettre décemment le message.

    La vendeuse de pantalons lui effleura délicatement la braguette au moment de l'essayage. Il se contenta de lui réciter quelques vers. Elle n'avait pas encore allumé la lumière : le magasin d'habillement baignait dans le gris. Formán oubliait sa mission.

    La vendeuse l'entraîna dans une arrière-boutique sombre, où ils prirent un café sur une table branlante auprès d'un réchaud. Il découvrit sur son crâne à elle, derrière l'oreille, une cicatrice en relief. « Ils m'ont interrogée un peu brutalement, dit-elle avec un pauvre sourire.

    Il ne lui demanda rien, le jour continua de tomber, la couronne bleue du brûleur prit une intensité vacillante. Bientôt ils se trouvèrent tous deux vêtus d'amples robes de chambre.

    « C'est celle de mon mari, dit l'habilleuse. Il m'a quittée après l'interrogatoire. Et toi, que vas-tu faire ? »

    Il tira la lettre de la poche de sa chemise.

    Tandis qu'elle prenait connaissance du message, une étrange torsion paralysa l'estomac de Formán, et il se sentit à la fois proche de l'évanouissement et rempli d'un étrange espoir, solide au-delà de toute raison. Il se leva pour marcher, passa dans le magasins où les vêtements, à présent, semblaient autant de fantômes suspendus aux épaules. Raides, parallèles.

    Un miroir lui renvoya une image si effrayante qu'il chercha et trouva instinctivement un interrupteur. Les néons tremblotèrent, puis s'allumèrent brutalement dans un grésillement continu. La jeune femme le rejoignit, ferma le magasin de l'intérieur, baissa le volet de fer.

    Je m'appelle Viéritsa; dit-elle. Reste avec moi. Tu porteras la lettre demain.

    A peine quitté son village – définitivement, il s'en avisait à présent – Formán devait à nouveau composer avec l'espèce humaine. Qui plus est, avec une femme – l'être le plus exigeant et le plus dévoué qui fût. Une vendeuse de pantalons, au visage rond et grave, avec une couronne de cheveux bouclés et une cicatrice au-dessus de l'oreille.

    La chambre du premier donnait sur le marais. Ils avaient fait l'amour au rez-de-chaussée, sur des manteaux étalés à la hâte, en pleine lumière. A présent, la fenêtre éclairée découpait sur la vase et les plantes un grand carré glauque par-delà la digue.

    Même ici, de l'autre côté de l'eau et des joncs, au-delà des frontières de provinces, d'autres policiers sévissaient, d'autres tortures. Pourtant, Formán se sentait désormais en sécurité. Il ne pouvait être poursuivi pour les mêmes délits que Viéritsa – bien qu'ils eussent commis ensemble l'acte le plus répréhensible aux yeux de tous, en tous pays.

    Mais la cicatrice était ancienne. Il parcourut encore du doigt la boursouflure sous les boucles, et la femme eut encore ce petit rire triste ou inexpressif. Dieu merci, ils s'étaient aimés tout de suite, sans tous ces atermoiements qui découragent l'un et l'autre sexe.

    Ils éteignirent la lumière et se couchèrent sagement l'un près de l'autre, comme d'anciens mariés, en tirant bien le drap chacun pour soi, pour éviter les plis. Quand il se réveilla, il tenait Viéritsa par la main, le matin doux éclairait une chambre de dimensions modestes, à l'ameublement neutre, et il comprit pourquoi l'amour se faisait surtout dans la nuit. Mais il n'éprouva nulle amertume, rien d'autre que ce sentiment de douce sécurité. Viéritsa se réveilla, et posa sur lui son sourire.

    Ils quittèrent le magasin sans être vus.

    « Il n'est que sept heures, dit-elle, et c'est dimanche. Cherchons ensemble le destinataire de ta lettre.

    - Qu'y a-t-il d'écrit ?

    - C'est une convocation au Commissariat, dit-elle en souriant. Ils se sont trompés de province.

    - Il faut trouver un autre pays, dit-il.

    - Qui postera la lettre ?

    - Est-il indispensable, avant notre départ, de tourmenter un inconnu ?

    Peut-être qu'ils le convoquent pour lui dire : « Vous êtes innocent ! ». Le ton général du formulaire ne semble pas déplaisant. Oui, cet homme va recevoir un certificat d'innocence.

    « Cet homme porte mon nom.

    Il demanda la lettre, l'ouvrit, se tourna vers le mur et la lut :

    « Ce n'est qu'un formulaire ordinaire, dit-il.

    - Nous sommes des gens ordinaires, dit-elle, nous faisons des choses tout à fait ordinaires.

    Il hocha la tête d'un air dubitatif et remit la lettre dans sa poche. Il était propre à présent, presque élégant.

    Le bourg tardait à s'animer. Ils se dirigèrent vers une gare en faisant le compte de leurs ressources.

    Ils pensèrent dévaliser une station-service jaune et verte, mais ils se contentèrent de demander quelques smenks au pompiste. Il les leur tendit en riant : il connaissait la musique. Il ne s'aperçut pas que Viéritsa volait trois Karamélis. La police ne poursuit pas ce genre de chapardeurs.

    Dans le train, ils se partagèrent les Karamélis.

    Leurs dents se collaient, ils s'ouvraient la bouche l'un devant l'autre, se rappelant l'excellente farce du chien qui mâche un gros chewing-gum : le chien se tord la gueule et se racle le museau avec la patte. Le train démarra vers Saint-Ziriex. Formán et Viéritsa se regardent gravement. Ils sont assis l'un en face de l'autre sur les banquettes en skaï de Vonat Kompanyi, sans billet, « après avoir risqué sa vie dans les marais », dit Formán. Viéritsa ne pense pas retrouver son emploi, parce que les néons du premier étage sont restés allumés :

    « Un court-circuit est si vite arrivé !

    Elle s'accuse et pleure.

    Formán relève sa tête bouclée. Elle dit : « Nous agissons comme des enfants. »

    Formán tapote sa pochette, et dit qu'il lui reste la lettre :

    « Un certificat d'innocence, c'est quelque chose !

    Le train roule, ils examinent le paysage, l'un à l'endroit, l'autre à l'envers. Le train est un pont qui roule, entre le passé et l'avenir. Viéritsa espérait que l'Autre dirait la vérité. Viéritsa craignait le mensonge. Formán se sentait lassé à l'avance de toutes ces confidences qu'il faut faire aux femmes.

    « Une queue de sirène, qui empêche de marcher. »

    Il dit cela tout haut, Viéritsa le comprit, posa sa main brune sur la main verte de Formán: ils pensaient les mêmes choses en même temps :

    « Plus tard » dit-elle.

    Ils se caressèrent le visage. Le contrôleur passa dans le couloir sans s'arrêter.

    Formán et Vieritsa se retrouvèrent à 14h 38 sur le quai d'un pays tout à fait inconnu. Il flottait dans l'air une odeur marine. L'Etat de Wyczuri n'était pourtant pas si étendu. Le train s'était arrêté souvent, il n'avait jamais dépasse les 100 km/h.

    Ils contournèrent les documents de gare :

    « La Baltique » dit-elle.

    C'est horrible, pensa-t-il.

    La lettre était sur son cœur, il avait failli à son devoir. Véritsa devinait tout. D'abord, elle prétendit que les frontières s'étaient déplacées. Qu'une décision administrative - « du fond de tes marécages, tu ne pouvais pas savoir ! » - avait repoussé les limites du Wyczuri vers le Nord et la mer.

    Les uniformes avaient changé, mais il y avait toujours des uniformes. Ils interrogèrent un de ces hommes. Ils apprirent que les troupes d'Abimani s'étaient emparées sans résistance de la « nation-amie » de Wyczuri, pendant les heures consacrées au sommeil. Autour d'eux, dans la gare, dans les rues avoisinantes, et au centre ville, tout le monde souriait, soulagé. Les amoureux s'étreignaient dans les rues piétonnes. Le sol pavé de briques autrefois rouges figurait des rigoles, des troncs de cône en pierres accumulées formaient au centre des allées des piédestaux de lampadaires. Toutes les boutiques avaient fermé pour le dimanche. La zone commerciale butait contre un mur gris souillé de tags. Ils revinrent sur leurs pas, trouvèrent une autre rue, défoncée, sans boutiques, aux trottoirs dentelés : la vieille ville des entrepôrs, aux vitres brisées, reprenait ses droits.

    Mais il y avait eu ce rêve de vitrines, et l'on respectait le dimanche, cette années encore. Formán et Viéritsa marchaient main dans la main, évitant les dislocations du trottoir.

    Ils trouvèrent plus confortable de prendre le milieu de la chaussée, déserte, bosselée. Formán se sentit l'estomac creux : le remords, sans doute. « Tu n'as pas risqué ta vie. L'eau n'a pas dépassé ta poitrine. Le fleuve avait changé son cours. - Je dois me débarrasser de cette lettre, dit-il à haute voix. Ils la jetèrent dans la première boîte aux lettres venue : une grise, au petit auvent écailleux. « Je me sens mieux.  - Tu veux tout balancer, Formán. Un jour ce sera moi. » Il n'en savait rien. Il le lui dit, la serra contre lui, la fit avancer dans des rues ouvrières, et désertes, plus que jamais. Les crampes reprirent : c'était la faim. « J'aime mieux cela » dit-il. - Préfères-tu rentrer ? -J'ai de l'argent.

    - Me trouves-tu monotone ? » Il répondit simplement qu'il souhaitait rencontrer d'autres personnes pour fuir ensemble, plus loin. « Mais je suis un groupe », dit-elle. Viéritsa effectua un geste désespérément commun, mais qui provoque toujours l'émotion : serrant la taille de Formán, elle colla sa poitrine à la sienne et renversa le visage. Il lut dans ses yeux beaucoup de foi tranquille. « C'est la religion du groupe qui a tué notre pays », dit-elle. Il se dégagea doucement. La rue, sombre, se dirigeait vers la mer. Après le passage à niveau, ce fut la plage, les boîtes à conserves, un soleil clair sorti des nuages. Formán retroussa son pantalon, courut vers une barque et la poussa dans l'eau.

    Ils s'étendirent et se laissèrent dériver, confiants dans la force de leurs bras et dans les rames sèches, au fond de l'esquif. Et quand ils se furent accouplés, c'est-à-dire collés l'un à l'autre sans ôter leurs vêtements, Formán passa la main sous le plat d'une rame. Il sursauta : une enveloppe sèche était camouflée là, elle portait son nom, et l'adresse de l'autre encore. Il secoua Viéritsa, lui mit l'enveloppe sous les yeux. Ils l'ouvrirent à grands coups saccadés. La barque roula. « Un instant, fit-elle en posant un doigt sur la bouche de Formán. Si tu me rejettes, tu me trouveras toujours sur ton chemin. » La lettre disait : 'Rendez-vous à Copenhague ». Il empoigna les rames. Déjà l'hélicoptère de ronde avait pris son tour dans le ciel du dimanche. D'abord, ils furent pris pour de paisibles canoteurs. Le ciel s'était enfin dégagé, il régnait une douce chaleur. Mais bientôt, comme ils longeaient la frontière des eaux, la voix du haut-parleur tombée du ciel leur enjoignit de regagner la zone autorisée. Ils s'allongèrent au fond de la barque.

    Pendant trois jours, au centre de détention pour hommes, Formán refusa de manger. Viéritsa fut mise avec les femmes, à Boïdanek. Tous les soirs, à la même heure, les gardiens des deux prisons tournaient les clés dans les serrures jusqu'au lendemain matin.

    Tous les deux dessinaient sur les murs de leur cellule un plan imaginaire de Copenhague. Dans leur ignorance, ils multipliaient les canaux, si bien que leur plan finissait par évoquer Bruges, ou Amsterdam. Les gardiens toléraient cette innocente manie. Bientôt, les murs de toutes les cellules, dans les deux prisons, se couvrirent de graffiti, puis de fresques. Cela détournait les prisonniers de tout projet d'évasion. Les récidivistes, retrouvant leurs murs, admiraient de nouvelles perspectives de ciels bleus. L'un d'eux initia Formán aux échecs. A Boïdanek, Viéritsa écoutait les récits de voyage d'une nouvelle amie. Celle-ci prêtait patiemment l'oreille aux histoires de la vendeuse de pantalons, qu'elle débitait d'une petite voix honteuse.

    La gardienne se mêlait à la conversation, avant l'heure du couvre-feu. Parfois, la gardienne récitait du Fejtö, scandant les vers avec son grand porte-clés circulaire, comme sur un tambourin. Ils ne faisaient pas de cauchemars, chacun dans leur cellule. Dans la prison pour femmes, la gardienne proposait aux détenues des grilles de mots croisés, dont elle gommait régulièrement les solutions. Il n'y avait ni tortures ni sévices dans ces établissements-là, mais la surveillance s'exerçait sans failles, et dans le respect de l'humanité. Pour Formán, tout faillit se gâter lorsque son gardien lui découvrit l'enveloppe et son contenu, qui avaient échappé aux fouilles d'entrée.

    Le fonctionnaire comprit alors le sens de tous ces plans de villes qui transformaient les murs en autant de fenêtres, barrées de toiles d'araignée. Viéritsa, de son côté, parvint à faire sortir un message, que la gardienne avait promis de ne pas lire. « Mais depuis que je vous ai confié la lettre, je ne dors plus, dit Viéritsa. - Moi non plus, répondit la gardienne. - L'avez-vous bien portée ? - Je le jure », dit la gardienne. Le directeur de la prison des hommes tournait et retournait entre ses doigts le message litigieux. Il baissait la tête derrière son bureau, avec une moue préoccupée : « Vous comptez vous évader ? - Pas du tout. - Pouvons-nous continuer à vous faire confiance pour effectuer les réparations techniques dans le bâtiment ? - Sa ns difficulté. - Voulez-vous sortir de là ? dit la gardienne dans l'autre prison. - Et comment ! répondit de son côté Viéritsa. - Suivez-moi. Il y a longtemps que je veux m'évader, moi aussi. Oubliez Formán. » Ce dernier quitta la maison d'arrêt de Kostrzyn le même jour, en compagnie d'un apprenti hongrois. Cet apprenti répondait au nom de Vaszláv. Il s'intéressait aux phénomènes électromagnétiques et prétendait régenter « les esprits ». Vaszláv ne pouvait subsister que dans la nature.

    Il avait souffert plus que quiconque à l'intérieur des bâtiments, où il n'était venu que pour une réparation bénigne. Son angoisse s'était accrue lorsque Formán, à peu près de même taille, avait proposé d'échanger leurs tenues. « Ça ne marchera jamais, dit le gardien qui les avait épiés. Prenez plutôt ce couloir, puis descendez l'escalier C à gauche : vous aboutirez tout droit sur les poubelles. Attendez le ramassage, glissez-vous parmi les hommes. Ils ne feront aucune difficulté. » Vaszláv et Formán venaient de se connaître. Ils se regardèrent avec perplexité. Le gardien à présent tournait le dos. « Pourquoi pas dit Vaszláv. Je t'accompagne. Tu seras moins suspect. - Tu es courageux, dit Formán.

    Après une nuit passée dans l'odeur aigre-douce des épluchures, ils suivirent les indications. « Ho, les nouveaux ! Prenez-moi ces gants, videz-moi tout ça en vitesse ! » Les poubelles basculèrent cul par-dessus tête, se secouèrent, puis retombèrent à vide. Les deux « nouveaux » galopaient, chargeaient les grosses boîtes brunes, les détachaient, couraient s'attacher à l'arrière du camion orange. Au coin d'une rue de banlieue, ils se détachèrent, lancèrent derrière eux leurs gants de protection, traversèrent une étendue de hautes herbes et se retrouvèrent sur la berge d'un ruisseau côtier à sec, épaule contre épaule, faisant des passes magnétiques sur un galet. Vaszláv était de dix ans plus jeune que son nouvel ami.

    Ils ont longé la mer. Viéritsa et Xénia, la gardienne, grosse en jupe verte, se sont rendues dans une petite maison. « J'habite de l'autre côté des Maraîchers, dit Xénia. Nous ne serons pas dérangées. Le seul inconvénient, c'est le bruit des motoculteurs : ils binent le sol. Ils tracent des sillons. Ça s'éloigne, puis ça revient, sans cesse. Les hommes regardent la terre, juste la terre : c'est un coin tranquille. Tu partiras quand tu voudras. » Elles sont parties ensemble au bout de trois jours. C'étaient en ce temps-là de bien curieuses destinées. Les uns longeaient la mer en direction de l'Odra, les autres s'enfonçaient vers les grasses plaines du sud. Nul n'aurait su dire s'ils se reverraient. Formán n'avait pas de passé. Viéritsa non plus. Ils n'avaient jusqu'ici connu que la vie simple et droite, qui d'une vendeuse de pantalons, dont la main s'était parfois égarée, qui d'un instituteur de bourgade. Les deux nouveaux venus, Vasláv et Xénia, tenaient à faire partager leurs expériences, leurs interrogations sans réponses, à ceux qu'ils accompagnaient désormais. Et depuis trois jours, de part et d'autre, l'électricien et la gardienne se taisaient, attendant des jours meilleurs. « Szczecin, dit Formán. De l'autre côté du fleuve, c'est l'Allemagne.

    Qu'est-ce que tu veux aller foutre là-dedans, dit Vasláv. Le même jour, les deux femmes cherchaient dans Lódz un logement occupée par une amie. « J'ai des amies dans toutes les villes », dit Xénia. Tout séparait les deux amants. La lettre de Viéritsa s'était perdue. Formán avait disparu. Il avait conservé le message adressé à Pan Bérénine, Borsga, Blockhaus B. Le pays sombrait dans la décomposition. Les hommes remontaient l'Odra, retardés de pont en pont par les barrages. Xénia et Viéritsa s'enfonçaientà perte de vue dans les champs gras de pommes de terre. Les charrettes grinçaient dans l'air crépusculaire. Puis Viéritsa tomba malade. Xénia et elle séjournèrent quelque temps dans une petite ville frontière, au bord du fleuve.

    Formán et Vasláv les y rejoignirent : on ne pouvait sortir de là ; tous les déchets venaient s'accumuler au même endroit, comme autant de débris tourbillonnant au-dessus d'une bonde. Et d'emblée, entre Xénia, qui n'avait pas ôté sa jupe verte, et le trop blond Vasláv, ce fut l'hostilité déclarée. Les amants réunis n'osèrent pas les contrarier, ils modérèrent les transports de leurs retrouvailles inopinées. Dès le lendemain pourtant, ils décidèrent de se marier. Alors, leurs cerbères se relâchèrent, juste un peu. Xénia murmura entre ses dents que ce n'était pas la peine de s'être évadés, si c'était pour se marier. Le délai administratif imposé leur parut interminable. L'officier municipal ne manifestait aucune hâte à falsifier les papiers. Viéritsa se remettait peu à peu. C'était une ville de garnison, plongée pour l'éternité en 1960. Tout rassemblait à nouveau les quatre personnages, en premier lieu l'oisiveté. L'argent pourtant ne manquait pas – grâce à l'agent municipal – étrange bonhomme. Ils atteignirent ainsi le début du moi de mai. Ils se rejoignaient dans un café au sol semé de sciure, et passaient des après-midi entières, et des soirées aussi, à échanger leurs passés. Formán souffrait de tout cela, mais n'en laissait rien paraître ; en effet, tout ce qu'il souhaitait éviter devenait inévitable. Viéritsa dévidait des souvenirs sans importance, ayant atteint ce point où la pudeur s'efface dans les yeux ; les deux autres se roulaient avec délectation dans leurs années d'avant, se découvraient des complicités. Un souci commun de justification les soutenait encore. Pour finir, Formán et Viéritsa se taisaient, écoutant se confier les gens du commun. Il leur semblait encore et à jamais que rien ne s'était passé avant l'unique nuit d'amour, dans la ville aux marais, au-dessus du magasin d'habillement. Ils se rejoignirent plusieurs nuits, sans retrouver le goût de leur première étreinte. Cependant, le plaisir renaquit peu à peu, les rues se couvrirent de neige fondante, Vasláv ravauda les canalisations vétustes du quartier. Xénia trouva un poste dans la Citadelle où croupissaient trente opposants. « Une lettre pour vous. » Xénia n'avait pu se résoudre au tutoiement.

    Formán, qui revenait de l'unique promenade au bord du fleuve, trouée de gravières, tendit la main. C'était son nom, c'était l'adresse : « BLOCKHAUS B ». Un frisson lui parcourut le Japon. Viéritsa lui arracha l'enveloppe et l'ouvrit : « Tu es convoqué au Gouvernement Militaire. » L'officier, sec et brun de peau, le fit asseoir dans un fauteuil en cuir. Les trois autres avaient tenu à se faire également recevoir, et se tenaient debout à côté de l'officier. « Nous ne vous avons jamais perdu de vue, Pan Bilinine. Le pays n'est pas encore aussi désorganisé que vous le souhaiteriez. Nous connaissons les circonstances de vos évasions à tous, dit-il en regardant fixement Xénia.

    « J'ai été engagée à la Forteresse, dit-elle. - Et vous avez prêté serment. Nous ferons sauter vos protections, dit l'officier brun.

    Vaslàv s'interposa : « Elle sera ma femme. Elle n'aura plus besoin de travailler.

    - Quel âge as-tu ? demanda Formàn.

    - Vingt-huit ans.

    Vive la Révolution, grommela Formán. Puis, à l'officier : « Comptez-vous me réincarcérer ?

    L'officier lissa ses cheveux sur les tempes : « Uniquement vous avertir de vous tenir à carreau tous les quatre.

    Ils se retrouvèrent libres sur la grande place pavée devant la Citadelle, incrédules.

    « Il m'a laissé la lettre, dit Formán.

    Vasláv et Xénia se considéraient avec stupéfaction.

    Le soir, la lettre fut examinée, scrutée dans les moindres détails de sa présentation, de sa formulation : elle ne recélait aucun message secret. « Partons plus loin », dit Vasláv. ...Ce seraien encore d'autres villes grises, comme le souhaitait Vasláv, d'autres campagnes nues à la fertilité incertaine. Ils fuyaient. Indifférenciés. Se tenant la main, ou marchant l'un derrière l'autre. Les couples s'échangeaient dans la misère, tantôt de l'un et l'autre sexe, tantôt non. C'était à pied que l'on fuyait le mieux. Sous les hauteurs du ciel gris, le vent poussant, la Guerre indispensable s'était réveillée, faisant de tous les êtres autant de grains qui volent. Moins d'un pays, d'un groupe ou d'un parti contre l'autre que par l'effet d'un vaste bouillonnement, levure désordonnée de l'âme du monde qui s'échappe à soi-même, et jette à l'air les balles, les obus – trop longtemps comprimés.

    La plaine s'achevait en fortes rampes où dévalaient des rapides, puis en falaises. Ils escaladèrent les rochers détrempés, s'aidant l'un l'autre de la main sous les chutes d'eau, tandis que dans le bruit de l'écume précipitée passaient les échos tordus des canonnades. Parvenus sans manger, le troisième jourr, au sommet des Contreforts Rouges ou Monts de la Géante, il contemplèrent les vastes plaines deBohême. Le vent passait sur leurs têtes. A mi-pente montaient les premiers vergers. Les quatre humains méconnaissables descendirent entre les arbres à la recherche d'un village. Ils pénétrèrent dans une maison déserte, remplie de vivres et de couvertures à l'usage des personnes de passage.

    C'était la coutume en Bohême, avant la guerre. Mais on les avait suivis de loin à la jumelle. Sans leur demander de rebrousser chemin, ni les tenir pour des espions, un garde-frontière en uniforme vint leur conseiller de poursuivre au sud-est, en évitant la capitale. Il apportait des vêtements, des chaussures et du savon. Quand ils se furent lavés et changés, le garde tendit le bras vers un sentier, leur souhaita bonne route et beau temps. Ils n'excédaient pas vingt kilomètres par jour. Le soleil à nouveau marqua midi. Ils retrouvèrent leurs identités en s'étirant dans une prairie cernée de haies. En même temps les vivres vinrent à manquer. « Cafetiers ou comédiens », dit Vasláv. « Tel est notre seul choix. » Passant la tête par un trou de haie, le blond Vasláv n'en crut pas ses yeux : une gande maison était là, délabrée, avec sur le devant une verrière brisée.

    Partout la mousse des murailles, et l'abandon. Gouttières rouillées, fenêtres pendantes, portes ballantes. A l'intérieur, plafonds moisis, sol pourris, murs détrempés. Tous manifestèrent une profonde satisfaction, et se répartirent les chambres les plus habitables : Vasláv dénicha au premier un confortable galetas. La gardienne verte monta l'escalier aussi vite que ses jambes le lui permettaient. Viéritsa voulut aussitôt exercer le métier de vendeuse à Krevenčo, « 6km ». Ce furent

    des projets, et la nuit tomba, sans eau ni électricité. A Krevenčo, Formán et Viéritsa se procurèrent des vivres et du travail. C'était une époque bénie. Un jour, en ouvrant les volets, Formán et la Gardienne s'aperçurent que les deux autres avaient disparu, choisissant de reprendre la route. Alors la Guerre franchit la frontière, un obus tomba sur la maison “Vritska”, et il n'y eut plus rien.

     

    F I N

    COLLIGNON HARDT VANDEKEEN LE SINGE VERT T. IV 44 – 36

     

    JE NE SENS QUE QUAND JE SENS L'ETERNITE DRIEU LA ROCHELLE "Gilles" "L'Apocalypse, V"

     

     

    Sonnez hautbois résonnez musettes, voici la dernière en date du féminisme triomphant, certains diront dernière connerie, moi infamie. Une femme peintre ayant fait poser seul à seule dans son atelier un modèle quelque peu échauffé, le vit bander. Ca fait très conte de fée, délicat et tout, on va dire s'épanouir pour ne pas effrayer les petites filles. Elle s'approcha toute surprise, oh là là dis donc, le prit à bras la bite (c'était doux et chaud) et lui fit shampooiner Charles le Chauve, entendez par-là qu'elle le branla dûment et correctement (Blanche-Neige croyait que Seven Up était une boisson avant d'avoir vu les sept nains, ouâââf !). "Il répandit son encens devant mes autels" (Mirabeau, carrément, porno clâsse) (c'est vrai y a de ça dans l'odeur) (un peu lessive aussi) ( cuvette!) et le sperme se répandit sur le bas-bide. Le modèle honteux et confus partit se torcher au-dessus du bidet le plus proche : "Ouah surtout tu dis rien à ma femme ouah putain je me sauve" (comme le lait sur le feu NDLR) sans demander son reste. La peintresse absolument ra-vie se confiant à sa meilleure amie eut la surprise extrême d'entendre dire d'un ton docte que c'était pas bien du tout, ah mais pas du tout, de la part de l'homme pour changer, qui s'était comporté comme un gros porc égoïste, qui devait revenir s'excuser, parce qu "on ne se conduit pas comme ça avec une femme", afin de proposer un "dédommagement", et qu'il "ne devrait pas recommencer avec une autre femme". Et le plaisir de la voyeuse, connasse, et la fantaisie, et la poésie, et le primesaut ? Ce serait à se tordre ta réaction si ce n'était pas si infect. L'initiative est venue de la femme. Qui a pris du plaisir a voir et à toucher. L'impulsion est venue des deux à la fois. Mais le désir féminin n'est-ce pas est tellement beau, tellement pur en soi, tellement amoureux, qu'il doit à tout prix être glorifié, encensé, tandis que le désir masculin, pouah beurk, quelle dégoûtation ma chère, un homme qui se branle mais c'est à vomir, voilà où on en est, retour au XIXe s.

    Comme disaient des Américaines (faut pas demander) à Sollers qui vantait l'érotisme dentellier de Fragonard ("L'Escarpolette") "Vous n'avez pas honte you french pig de promouvoir ces acceessoires qui font de la femme un objet" - "ce n'aura pas été la première fois dit Philippe qu'un instrument de libération se transforme en moyen d'oppression"... Une récente émission a fait part de la répugnance des femmes à la fellation et à la sodomisation, mais je vous prie Mesdames, allez donc au fond de votre pensée, c'est en fait toute pénétration qui vous indispose, qui vous répugne. Les préliminaires, et rien que les préliminaires, à en écouter certaines on a l'impression que le partenaire masculin idéal, ce serait tout simplement... une femme. Heureusement qu'il y a les putes et les vedettes du porno, parce que sinon mes pauvres vieux, on serait bon pour la veuve poignet à tour de crampes. D'ailleurs ce ne serait pas si mal, d'un côté les putes et les films, de l'autre les femmes entre elles, quand je vois mes pauvres vierges de première et que je pense aux abrutis qu'elles vont devoir se mettre sur la fente, et qui vont les esquinter et les dégoûter - c'est à ça que je me vante de repérer les pucelles, à l'étincelle qu'elles ont encore dans les yeux - j'ai envie de leur dire "Mettez-vous entre vous surtout, jute entre vous, fuyez cette race de gorilles dégénérés qui de toute façon n'auront ni votre degré d'études ni vos raffinements."

    Tant qu'on ne me l'aura pas interdit par la loi, et pour le peu de temps qu'il me reste encore à écrire librement, je maintiendrai que la répugnance je dirais instinctive des femmes pour le contact de la bite de l'homme (ça se comprend) est cause directe de toute prostitution (certaines voudraient l'interdire - ça aussi : criminelle inconscience !), de l'homosexualité masculine, de la pédophilie, du viol. Le mâle moche, sans séduction, con et flemmard, ne réussira jamais à intéresser une femme quelle qu'elle soit - vous savez bien ! ces êtres éthérés qui vous balaient d'un coup d'éventail, qui vous draguent à deux dans les boîtes et dès que vous commencez à vous enhardir vous jettent "y s'croit où ce connard, tu t'es regardé va chier" - bref une Phâme, adorable et fragile comme chacun sait.

    Il faudrait baiser seulement quand elles veulent, où elles veulent et dans la position qu'elles veulent, sans oublier de demander toutes les trente secondes comme un TGV qui se signale "Tu es sûr que je veux continuer ?" puisqu'un type en Angleterre s'est fait condamner pour ne pas avoir obtempéré sur-le-champ au commandement "Stop" au milieu du coït - notez que dans le même genre des juges italiens ont débouté une femme violée sous prétexte qu'en jeans elle n'avait pu être que consentante, parce que c'est trop difficile à enlever de force, un jean...

    Le viol c'est un crime. Mais on en a marre les filles. Marre des leçons de morale, que vous appelez "discours amoureux". Il faut toujours subir la morale, la morale, la morale, la morale avant, la morale pendant, la morale après : "Vous êtes vraiment tous les mêmes, des vrais chiens" - et toi, tu ne voulais pas peut-être ? Toujours ce salaud d'homme qui vous a forcé la main ? non, pas la main, chez vous ça se déclenche tout seul... Vous voulez à la fois la considération de l'homme et le respect de la femme. Une abrutie que je connus s'indignait qu'un jour, seule dans la rue et trimballant de lourds paquets, aucun homme ne se soit proporé pour l'aider. Mais il fallait voir l'allure de la gonzesse, le tête en arrière et tout, demandant à deux huissiers sous je ne sais quel porche de venir l'aider - l'un des bonshommes a dit à l'autre, sans se bouger : "Tu vois c'est ça, le féminisme" - eh oui ma vieille, t'avais beau t'étrangler d'indignation en racontant ta petite anecdote de merde, nous les mecs, jamais, en tant qu'hommes, jamais il ne nous serait venu à l'idée de demander quoi que ce soit à qui que ce soit comme ça dans la rue pour se faire aider, parce que nous autres, hommes, nous avons appris à nous démerder tous seuls, et mêpme si tu ajoutais hargneuse à nos dénégations : "Mais enfin ils étaient là à ne rien foutre" - non, ce n'était pas une raison, jamais un homme en bonne santé ne demandera à qui que ce soit de l' "aider". Navré. Je me serai toujour bien marré, tiens, à écouter ça...

    De même dans "La Vie est un songe" de Calderon, un personnage, Rosaura, est une femme travestie. "A quoi reconnaît-on que c'est une femme?" demandais-je à mes bacheliers - réponse : "A ce qu'elle est toujours en train de demander de l'aide" - c'est vrai : les femmes, c'est toujours plus ou moins "Madame Fais-Moi-Ci-Fais-Moi-Ca", sur la table par exemple dès qu'un objet est éloigné d'elles de mettons dix centimètres de trop, c'est à l'homme de le faire passer pour leur éviter de soulever leur précieux cul. Sur quoi on me rétorquera que les hommes se font servir aussi, laver les chaussettes et faire les bagages - eh oui, le Singe Vert donne dans le "Bonnes Soirées" en ce moment, voire le "Journal de Mickey " rubrique "Les garçons et les filles". Combien de femmes méprisent-elles encore leur mari, estimant qu'il est bien assez payé par la qualité de leur cul ? C'est pour ça qu'il est mal vu, le Singe Vert :parce qu'il n'emboîte pas le pas derrière le prêt-à-penser féministe ou autres, parce qu'il n'encense pas par exemple les exploseurs de bébés qui s'intitulent "héros de la cause palestinienne"- eh tu changes de sujet là, brusquement. Attends j'envoie la soudure : pourquoi est-ce qu'ils ne commettent pas des viols de juives collectifs, les Palestiniens ? ça les souillerait peut-être, comme des nazis '"Rassenschande"). Comme ça on pourrait exposer leurs portraits dans les classes de petites filles, à côté de ceux qui se contentent de faire sauter des civils. Et les morpionnes admireraient ces nouveaux héros, en faisant le V de la victoire... On a déjà utilisé le viol collectif en Bosnie, contre des musulmanes d'ailleurs, pourquoi pas sur le front de mer de Tel-Aviv ? Quitte à descendre, autant descendre jusqu'au bout. Alors évidemment ça fait tache, ce que je dis. Des femmes vont se dire que je défends le viol. Non pas du tout, je hais le viol et les violeurs, qui déshonorent la masculinité, qui la réduisent à la bestialité, qu'ils en prennent le maximum, je n'irai pas les plaindre, QUOIQUE... S'il n'y avait pas eu les putes, dans mon jeune temps, comment est-ce que j'aurais fini ? La fois où j'ai fait semblant d'étrangler une fille peu collaboratrice, pendant que mon copain s'envoyait en l'air dans la pièce d'à côté ? Et celle où je me suis promené dans un bal de Dordogne en exhibant mon gros schlass à cran d'arrêt ? on nous a virés. Peut-être que je me serais retrouvé en taule, puisque tout ce que les filles savaient dire à mon sujet c'était "Oh çui-là alors qu'il est con" ?

    ...Ou encore, dans le noir, sur un ton super-méprisant : "Tu ne serais pas le fils Untel, toi ? Parce que tu fais exactement les mêmes blagues que ton père !" - ça sert à quoi d'humilier les gens comme ça ? et dans le noir, courageux ! quand on s'est retrouvés sous les premiers réverbères de St-Front-de-Pradoux, vous croyez que j'ai su qui c'était, mon insulteuse ? Courageuse et tout... Encore maintenant trente-neuf ans après je rumine les réponses que j'aurais pu faire, j'avais médité de rebrousser chemin, mais pour me retrouver tout seul... rentrer chez moi... J'ai tout subi pour ne pas rester seul. C'est bien fait pour ma gueule. Maintenant je ne bande plus, ou mal, et je me fais reprocher de ne plus bander, c'est la nature, mais j'aimerais bien me réfugier comme d'hab dans le "c'est pas moi c'est les autres", et dire à toutes ces femmes ui ont autant manqué d'audace que moi : "Ca y est vous êtes contentes ? encore un de castré ?" C'est la mélancolie coco, "toutes celles qu'on n'a pas eues", "au-delà de cette limite" - tout de même 57 ans c'est tôt, c'est vrai ça Hugues Aufray qu' "à 70 ans, [tu n'as] pas encore baissé le rideau ?" Si tu l'as dit à Christine Bravo, c'est véridique non ? Je ne vous parle pas d'amour dans tout ça. Je suis tout de même parvenu à faire une petite scène dans la salle des profs, pitoyable en vérité, pathétique ! Il paraissait qu'Allègre, le ministre, pas le tueur en série, n'avait jamais digéré d'avoir dû redoubler sa cinquième - et Moâ, toujours prompt à Me substituer à quoi que ce soit, j'avais sorti qu'ent out cas je n'avais jamais dépassé non plus le traitement que "les filles" m'avaient fait subir entre 15 et 20 ans, gueulant que c'était une véritable honte, et que - horresco referens ! - chaque viol appris c'était désormais pour moi comme une revanche !

    Ah c'est du propre Singe Vert ! Y a du mou dans la brindille! eh bien mettez que je me décompose, on ne peut pas être excellent tout le temps, ni même moyen, vous jetez ça et on n'en parle plus ! Complaisant, parfaitement, complaisant, et "y a pas que toi" eh bien de quoi de plains-tu je suis ton porte-parole ou ton porte-coton... Je veux qu'on s'occupe de moi, je veux qu'on me parle, je veux un amour fusionnel, tout savoir de l'être aimé savoir ce qu'il fait et lui dire ce que je fais à tout moment de la journée, le truc horrible amibien suffocant et blême... Misogyne, moi ? allons donc ! Chiant comme tout et puéril, incapable de concevoir un couple où chacun serait libre, plus collant qu'une gonzesse, malheureux dès que la Femme ne regarde pas ma prouesse (verbale), immature, chialatif, sentimentale et tout, besoin de gros câlins ridicules avec son nounours, besoin de mots d'amour mais seulement quand je veux, moi j'aurais le droit de dire des vacheries mais pas la femme sinon je hurle à la victime, et je fais caca dans les draps. C'est l'histoire d'un petit garçon pas propre à qui sa mère dit (merdy) : "Si tu n'arrêtes pas de souiller la literie, ton papa ne va pas être content !" Total je suis devenu propre, mais pour faire plaisir à papa ! défense de se faire dorloter par sa Manman au-delà de quatre ans ! On ne chie plus au lit on devient grand ! Mais alors l'Edipe hein, oui je fais la faute exprès comme ça vous prononcerez correctement bande de nazes, l'Edipe disais-je, il n'a jamais été résolu ! Défense d'attirer l'attention de Maman, c'est du papa qu'il faut avoir pitié ! - Ca n'intéresse pesonne. - Pas moins que les plaquettes de poésie, ta gueule. Tout ils me disent ça : "Qu'est-ce qui te prends de continuer tout seul ta guerre des tranchées c'est fini 14/18" ben alors si tout le monde il est beau tout le monde il est gentil comment est-ce que je vais continuer à me plaindre moi ? - Il y a des Viet-Namiens qui meurent de faim - Pourquoi tu as fait quelque chose toit pour les... - Non rien mais un peu de pudeur... - Rien du tout ? - Rien, mais... - Ta gueueueueueule ! Le Viet-Namien c'est moi ! Méchant moi ? Lâche oui, et le disant en même temps, tous les défauts mais les dénonçant avant que les autres ne le fassent, donc adoléchiant, parfaitement, inintéressant et le disant, donc inutile, enfant gâté mais ils souffrent aussi les enfants gâtés qu'est-ce que vous croyez, mais oui on t'aime putain la glu sans e bande d'ignare orthographiques bien sûr que je suis banal mais si on n'avait jamais demauvaise foi on ne pourrait jamais gueuler, c'est comem ma psy (Monsieur a unE psy) qui me répète que l'homme Occidental vraiment n'a pas à se plaindre et vient l'encombrer de ses petites misères de cul mais chère Psy (j'ai envie de faire psy-psy) vous ne remonterez jamais le moralà un malade en lui montrant un mort ! Le mec qui souffre d'un complexe il SE FOUT des gens qui meurent de faim et de froid ! de la petite vieille de Vladivostok! de l'ouvrier cairote ! du condamné à mort de l'Alabama !

    encore que celui-là, justement, mais on nepeut pas se mobiliser pour tout ! Les gensses bien intentionnés vous disent qu'il faut s'aimer d'abord pour aimer les autres, eh bien je me soigne et je pleurniche un bon coup et je retourne au turbin : faire aimer la culture et la littérature à des fils de bourges du Bassin (d'Arcachon, je dis ça pour les ploucs du Nord-Est) chacun son boulot "Il n'y a pas de sot métier il n'y a que de petits salaires" et justement un garçon de 16 ans m'a dit vendredi une phrase qui commençait par "Ce qu'il y a de passionnant en littérature..." - eh bien vous voyez que je ne perds pas toutes mes journées!

    On se disait bien aussi que je n'étais pas si méchant, juste grimacier ; que je ne détestais pas tant que ça les ceusses qui n'avaient pas fait d'études, puisqu'ils me parlent, en sachant bien que je ne prends pas mes haines au sérieux - qu'est-ce que ça peut me foutre de n'avoir pas même le talent et la haine du polémiste, je suis comme tout le monde l'ennui c'est que je ne supporte pas qu'on l'ignore mais ce que je ne supporte pas ce sont les Grands qui veulent me faire taire parce qu'ils font ce que je fais en tellement mieux. Mais si que j'aime les femmes et même de temps à autre un petit Julio Iglesias (tous les trois ans faut pas pousser) ou Julien Clerc (tous les trois mois) ou Benguigui sauf avec Johnny (on se gâte en vieillissant) (moi-ç-aussice) parfaitement banal mais regardez-moi, regardons-nous avant de disparaître dans la fosse (prononcez comme "brosse" et pas comme "grosse" tas d'ignares) où en étais-je ? Ah oui, les féministes sont des connes et des salopes mais il fallait qu'elles existassent, heureusement qu'il y en a eu et qu'il y en a encore, faut les éviter c'est tout. Et puis pour baiser c'est toute une histoire, on appelle ça le sentimentalisme, les mystères de l'amour, les larmes aux yeux qu'on en oublie de baiser, "Laisse-moi oui laisse-moi rien qu'une fois / Mettre mon bras dans la chèvre d'Esméraldaaaa" (les Frères Brothers que-je-vous-recommande) - bon j'arrête. De pieuvre. Et pendant que j'y pense - cette histoire des Bouddhas millénaires et non moins dynamités, quel rapport y a-t-il je vous prie de leur destruction au sort misérable des Afghanes ? Ne vous est-il jamais venu à l'idée que les femmes, ça se remplace, tandis que les monuments de l'histoire de l'humanité sont irremplaçables ? Pardonnez mon cynisme, je ne dis pas qu'il fallait qu'elles fussent plus longtemps opprimées, et l'on a bien fait de renverser les talibans, et plût au ciel qu'on l'eût fait plus tôt, mais établir un point commun, une commune mesure entre ces deux faits constitue un contresens aussi dépourvu de pertinence, aussi fondamentalement profond, que si l’on demandait le nombre de mètres de lait contenus dans une bouteille, ou le poids d’une température ! Toujours le syndrome de « La Locomotive et l’oiseau » - « je sauverais l’oiseau » : vraiment, camarade Boris? Fasse le hasard que jamais nous ne nous trouvions dans le cas de devoir sauver un enfant ou la Joconde. Bien sûr nous sauverions l’enfant. Mais avec la ferme et sauvage résolution de capturer, de couvrir de merde le salaud qui nous aurait acculés à un tel dilemme : car soyez assuré qu’après avoir détruit la Joconde, il aurait massacré l ’enfant.

    Ne pensez pas d’ailleurs que les femmes de Kaboul et de Kandahar soient sauvées ; n’oubliez pas l’horreur que c’est d’être une femme aujourd’hui même encore ne fût-ce qu’en Iran (essayez voir un peu d’aller toute seule Allah piscine...) - et ne fragmentez pas les lignes d’attaque : c’est sur tout les fronts à la fois que l’obscurantisme, d’islam ou de Christ, doit être combattu avec la plus grande férocité (à moins qu’on ne puisse défanatiser les foules ? on les a bien dénazifiées - quoique...) - mais de grâce, féministes distinguées, ne mettez pas sur lemême plan ce qui ne peut pas l’être, par nature, par logique, par mathématique - à noter cependant que les Occidentaux enfin à ce faux argument s’émurent, tant il est hélas vrai qu’on ne peut entraîner la conviction qu’à la suite de fausses raisons... Et puis faux départ : HOMMAGE (il y a homme dedans) - HOMMAGE aux héroïques femmes de l'Afghanistan, gloire à celle qui a cassé le crâne de son mec à coups de marteau parce qu'il la cognait et qui fut exécutée dans le stade sans jugement, honneur sans fin aux institutrices qui enseignaient les petites filles en cachette au péril de leur vie, mon coeur aux dévoilées, ma merde aux machos qui éructent "elles vont bientôt vouloir se balader à poil et quoi encore", vive les animatrices radio, les journalistes qui repoussent et pas du goulot, allez les femmes, allez les femmes (et ça sert à quoi que t'écrives ça? - Ta gueule.)

    COLLIGNON HARDT VANDEKEEN LE SINGE VERT T. IV 45 – 43

    L'ACACADEMIE FRANÇAISE

     

     

     

    4385. - Tout est mythologie. Ils ont remplacé les démons, les dieux et les saints par des idées, mais ils n'en sont pas quittes pour cela avec la force des images.

    DRIEU LA ROCHELLE

    Gilles - « L'Apocalypse »

     

    Messieurs,

     

    ...A l'heure bénie où Mike Jagger dit Papy Stones, après avoir longtemps roulé, bondi, pété sur toutes les scènes d'England ou d'ailleurs, flamboyant symbole de la contestècheune de l'establishment, accepte avec reconnaissance et gratitude l'anoblissement à lui conféré par Her Gracious Majesty – les Beatles ayant en des temps plus anciens reçu l'ordre de Dieu sait quelle Jarretière ou Bain de la même Queen pour « services rendus à l'Etat », ce qui provoqua illico une vague de renvois – de décorations, je m'empresse de le préciser, de la part de maints valeureux guerriers qui l'avaient méritée, eux, cette décoration, sur les champs de bataille ; sans oublier que Sheïla et autres valeureux défenseurs de la littérature française ont accepté la Légion d'honneur - et là je me bats les flancs pour d'autres exemples, qui, eussè-je mes entrées dans le monde, seraient je n'en doute pas légion, bref : toute honte bue, et piétinant allègre ment (pas encore décoré, ce gnouf ?) la grammaire et l'élégance, par la présente, le Singe Vert a l'insigne honneur de présenter sa candidature à l'Académie française.

    Nous avons tous en tête bien sûr ce raffiné quatraib, à l'adresse de La Bruyère :

    Quand parmi nous Alcide se présente,

    Pourquoi sur lui crier haro ?

    Pour compléter le nombre de Quarante,

    Ne faut-il pas un zéro ?

    ...ou à peu près. Eh bien, le Singe Vert, pour sa part, déjà revêtu par sa coukeur naturelle de l'habit adéquat, adé-com-quat comme on dit au Viêt-nam, n'a pas d'autre prétention, ô inclyte Académie, que de briguer le rôle de bouffon. L'Académie a besoin d'un bouffon, contrairement aux calomnies qui prétendent cet emploi largement représenté en vos rangs... Non pas un bouffon métaphorique, ou allégorique, mais d'un véritable bouffon bouffonnant, qui rote qui pète et que rien n'arrête comme sur la casquette (« Lège-Cap-Ferret, Souvenirs, Produits de Beauté, Crèmes Solaires »). Vous serez abreuvés grâce à lui de jeux de mots tôt, de jeux de mots tard, de jeux de mots laids et de calembours bons – que voulez-vous que la bonne y fasse ? si la bonne ment, qu'alors y faire ! Le Singe Vert vous renommera l'Académie sans fraises, alors que les mauvais plaisants ne manqueraient pas de dire que ses membres, virils ou non, les sucrent déjà, horresco referens ! - ignoble vision, bien révélatrice de ces temps de décadence et d'Apocalypse que nous vivons, agaga... mais mnon ! Vous aurez tout loisir et licence de ricaner, voire d'éclater, à lire sur chacun de vos patronymes ces prodigieuses et pathétiques saillies sur chacun de vos délicieux patronymes, n'est-ce pas Messieurs Rémy-Fassol, François Revel, ô Drôme ! comme on dit à Valanche.

    Vous pourrez crier au sarcasme et à l'indignité : faut-il que tant de gérontes en conclave essuient les outrages d'un cadet de Lorraine alors que pleuvent de toute part les imputations de fascisme sénile – eh bien non ! Le Singe Vert révère l'Académie Française, sans arrière-pensée, quelque difficile que cela soit. Il fait partie, la brave bête, en dépit des ironies, de l'Association de Défense de la Langue Française ; il s'arc-boute contre la « simplification de l'orthographe », futel ortografic, alors que ses promoteurs s'indigneraient qu'on osât déplacer la moindre griffure sur un idéogramme cantonais. Gardez l'accent circonflexe de la flûte, alignez en revanche l'incompréhensible « je faisais » sur le « je ferais », et suggérez donc à votre nouvelle recrue, François Cheng (voire à Jamel de Bouse), d'orthographier enfin leur nom à la française : Tcheng (ou Djamel), afin que nul n'ignore que les caractères étrangers n'ont pas à se transcrire, de ce côté-ci du Tchannel, en fonction des diktats outre-manchots.

    Et par pitié, rendez-nous édipe, l'ésophage et jusqu'aux édèmes, car nos cuistres bientôt ne saurons plus s'il faut que Marianne – pauvre Musset ! - s'éprenne de « Seulio » ou « Queulio » - puisque Monsieur TEURZIEUFF lui-même (paix à son âme ! ) s'était entiché du hideux « Eûeûeûeûdipe »... Non, Messieurs les Académiciens, vous n'êtes pas une assemblée drôlatique de schnoques. Reprenons tout d'abord cette histoire de bouffon : je le suis, certes, et l'on pourra bien me reprocher de n'avoir composé œuvre qui vaille ; de n'être ni lu ni parcouru ni renommé. Qu'il me soit permis d'avouer, de plus, que je n'ai lu ni parcouru aucun ou presque de l'auguste assemblée des Quarante, excepté Bianchiotti, Carrère d'Encausses ou d'Ormesson.

    Enclin de plus à confondre Decaux et Decaunes, d'estimer bien surfaits les accords d'Eon, bien usurpés les Rois Maudit de feu Druon, bien compassés les édito du Tourd, sans compter l'immense Romilly, Serres et Troyat, Votre très humble et obéissant serviteur. Et je crois que c'est tout. A ce niveau les Immortels sont vaccinés, je pense, contre la vanité ! Pas moi. Vous savez bien, même du bout des lèvres, à quel point le « relationnel » sélectionne sans états d'âme quiconque n'apporte pas sa thune à l'Editeur, à son Mac – soyons clair. Pas d'argent, pas de Suisse – cooptation, publication – hors des salons, point de salut. C'en est au point que je je suis absolument convaincu de l'immense inutilité, voire de la nocivité, des éditeurs. Perdu dans le grouillement même des recalés du Comité de lecture (dont les membres ne peuvent se regarder dans les yeux sans rire), j'entends et prétends que désormais le Public se trouve assez mûr pour opérer son tri lui-même, sna qu'un malotru commercial (ce qu'est avant tout l'éditeur) vienne décréter du bout de son gros groin ce qui est littéraire et ce qui ne l'est pas.

    Ces plaintes désormais bien usées, autant que deux et deux font quatre, ont désormais convaincu « les meilleurs d'entre nous » que l'écrivain occidental est à présent aussi brimé que sous l'ère soviétique – à part, oui, bon, tout de même, qu'il ne risque ni bagne ni peloton d'exécution – un « détail de l'histoire » comme dit l''autre. Ce qui fait que ma foi, me grattant « la région anale » avec la modestie d'un Michel Leiris, je me dis que Mes dizaines de volumes de Mes Œuvres, pas plus mauvaises que d'autres largement réécrites, constituent un corpus non moins respectable que celui de maint académicien. C'est la tchatche qui m'aura manqué, la tchatche utile, des amitiés utiles, des coucheries utiles, une politique utile, et surtout une éééénorme dose de conformisme, surtout dans l'originalité (j'avais beaucoup aimé, dans l'aigreur ! ce commentaire d'un ancien normalien sur le jeune Julien Gracq : On voyait bien que c'était un original ; en effet il portait une cravate – ici un temps – blanche !) - ah ! la « cravate blanche » de Julien Gracq, on en rigole encore chez moi.

    Cela dit Julien Gracq est un maître, à la cheville duquel je ne prétends pas me hausser. Mais le conformisme épais du comportement, ça aide, tout de même. Par exemple, on est original comme un salonnard de bon ton qui fait glousser les dames, seulement, on ne s'exclame pas d'un coup « PUTAIN BORDEL CON je viens encore d'en lâcher un bien bruyant » - simple exemple. Pourtant, « putain », « boredl », « con », figurent dans le dctionnaire de l'Académie. Vous m'objecterez encore, chers non-confrères, que la tradition exige des visites. Certes, vous la représentez, cette Tradition, avec le grand thé Lipton – mais il y a des tradition, parole, à éliminer, comme l'absence de femme à l'Adadémie, ou la clitoridectomie ; Mitterrand avait condamné l'abandon des nouveaux-nés aux cochons en Papouasie – bel académicien, s'il eût survécu – pas le porc – et Simone de Beauvor l'usage du knout. Permettez-moi de rappeler non sans malice que M. d'Ormesson, recevant Marguerite Yourcenar, avait trouvé le moyen de faire voisiner les termes de façon exquise : « La règle veut que les femmes n'entrent pas à l'Académie Française ; mais les règles sont faites pour être violées » - la clâsse, mec, la clâsse. Ne pas fourcher de la langue, Monsieur le Secétaire Perpétuel, surtout sur le cas Yourcenar... Ce sont là des insolence grand style qui renvoient mes borboygmes génitaux de naguère à l'innocence de l'enfant de chœur. Mais parmi les coutumes qui me fonch, comme disent les djeunnz, il y a celle des contacts humains.

    Je vous l'ai déjà dji, comme on dji en banlieue, seuls ceux qui savent jpoindre la souplesse d'échine à l'élégance des manières en ce momnde ô combien bas parviennent à quelque chose. Pourquoi irais-je me ridiculiser, me salir à esquisser des contacts insincères, mon rêve étant de ne plus entretenir que des liens virtuels avec des entités virtuelles, puisqu'aussi bien les contacts dits « réels » sont fabriqués et tissés de part et d'autre dans un perpétuel malentendu ? Virtuel pour virtuel, autant l'être pour de bon. Et ne me parlez pas des femmes s'il vous plaît, il y a longtemps que je trouve celles des films infiniment plus réelles, sympathiques et splendides que les femmes réelles, dont Lacan je crois disait « La femme cherhe un maître pour le dominer » : ces jeux de cons, je n'en ai rien à foutre.

    Mais alors, pourquoi voulez-vous entrer à l'Académie Française ? Pour dominer sans avoir vendu. Sans m'être sali sur les étagères des libraires. Directement du cabinet aux bibliothèques. Tel Gustave Moreau, dont les toiles passèrent directement de l'atelier au musée, puisque le Musée Gustave Moreau n'est autre que son atelier. Quel besoin de passer sous les fourches Caudines du Pognon ? Est-il sain d'avoir mon Dieu les yeux incessamment fixé sur le fond de sa bourse ? On voit ce que ça donne pour l'édition. Peut-être, sûrement même, que si j'étais édité, convenablement, et bien vendu, je chanterais les louanges d'un système « qui n'a jamais abandonné personne sur le bord de la route », prenant la suite d'un Bernard Pivot, d'un Bernard Clavel qui osèrent affirmer (ce dernier devant moi) que «Jamais un talent n'est laissé de côté par l'ensemble des éditeurs » - permettez-moi d'en douter...

    Bernard Lavilliers, tenez – troisième Bernard – ne cessait de râler au chanteur persécuté, jusqu'à ce qu'il devienne, à juste titre, une référence de la chanson française – il est depuis evenu franchement hideux, une vraie pub à lesbiennes, mais ceci est une autre histoire. Mais c'est fou ce qu'il a mis d'eau dans son vin. Et je ne parle pas ici de ceux qui se sont fait plein de fric en jouant les

    contestataires. En tout cas, je n'ai aucune envie d'avoir un contact humain même de politesse. Je ne sais pas comment on parle aux « gens », moi. Juste comment on fait le guignol devant une classe, et encore, ces temps-ci ça me lasse, Guignol sent le sapin. Chez « les autres », je déconne, je lâche quelques phrases décousues, je réponds un peu pour faire plaisir, et je m'en vais à la fin en poussant un gros ouf. Les autres ne m'aiment pas : c'est logique. Pourquoi l'Académie m'aimerait-elle ? Je n'en sais rien. Vous voyez bien que par-dessus le marché je me montre incapable de conduire un raisonnement sans me casser la gueule. J'ai peur de l'échec, c'est la réalité. Mon cas, pas original du tout, se trouve dûmet répertorié dans la nosologie courante. « Si la pierre qui tombe, dit Spinoza, avait conscience de sa chute, elle se croirait libre ».

    C'est la seule phrase que je connaisse de Spinoza, je la ramène à tout bout de champ. Laissez-moi mes illusions. Moi je fonctionne comme une boîte à musique : ti-di-di-di, ti-di-di-di... Les autres aussi, allez leur dire, vous verrez comme ils seront fâchés. Il se vexent, et en plus, ils vous excluent. Je les emmerde, et réciproquement. Vous savez, moi, la logique... vous, la logique... Ce qui me plaît, c'est l'Institution des Immortels – d'un coup, comme ça... Directement au but. Dans la mère. On a tout de même plus de chance d'être immortel en faisant partie des Immortels, qu'en voulant courir sa chance avec les francs-tireurs, les Balzac, les Flaubert, les Baudelaire... Tandis qu'avec vous, c'est bingo illico, voir Jules Romains dans Les hommes de bonne volonté – il y a combien de francophones quécrivent, déjà ?

    Plusieurs millions je crois. Y a pas photo. Et ne comptez pas sur moi pour faire l'éloge de mon prédécesseur (j'ai tout prévu), je m'en contrefous, de mon prédécesseur. Un bref rappel, et puis ma pomme, tant de choses à dire. Par exemple, de conchier – avec vous ! - l'abandon de la langue française – tenez : je suis allé à Lisbonne (grande nouvelle !) - et j'ai entendu parler, comme de juste, portugais ; une langue magnifique, chantante, sensuelle, qui donne une impression de bouche pleine : extraordinaire. L'espagnol : vivace, tenace, pugnace. L'italien, alors là l'italien, Mamma mía ! - d'un bout à l'autre de la rue, la langue des princes, la langue reine, la reine du soleil, éclatante comme lui.

    Ces jours-là Dieu merci ni anglais ni allemand - et le français ? ...Le français, j'avais du mal à l'entendre. Une petite langue toute fluette, toute fine, toute distingués, avec des « ü », des « ss », des chuintantes, un tout petit flûtiau de bibliothèque, une minuscule brindille toute menue, toute fragile, même chez ceux qui proféraient des gauloiseries, un ton bas, discret, humble et mesuré, petit mécanisme frêle, aristo, distingué, poussiéreux – langue de petit marquis, belle, émouvante, en voie de disparition. Mais quelle répulsion quand j'ai etendu brailler une Française brailler en anglais au pied de la Giralda de Séville, pour obtenir ses billets, en faisant bien sonner sa maîtrise de la langue des marchands de gomme à mâcher ! (en français, chewing-gum). Putain ! quand je vais à Séville, c'est pour entendre de l'espagnol, des Andalous, des guitares derrière es persiennes – et non pas des connasses rougeaudes et niçoises éructer l'anglo-saxon comme on chie !

    N'écoutez pas, Messieurs les Académiciens, les railleurs qui daubent sur l'inutilité de votre institution ; les langues ne peuvent pas se traiter de la même façon. Nulle autre je vous le dis plus que le français n'a besoin d'une Académie pour veiller sur elle : c'est la plus intellectuelle, la plu fragile de toutes. On ne pisse pas sur les portes de la Basilique Saint-Marc. On ne maltraite pas la langue française, cet autre prestigieux monument. Et merde aux progressistes. Et remerde à ceux qui vont prétendre que le combat pour la « préservation » n'obéit qu'à des objectifs de prestige et d'économie – quand cela serait ! pourquoi serait-ce à moi, français, de nuire au prestige de mon pays, ou à ses intérêts commerciaux ?

    Pourquoi faire du français une langue d'oppression ? C''est ainsi que l'enseignement du français, jusqu'à la simple orthographe, se voit ravalée au rang d'auxiliaire de l'esclavage ! Académie égale vieux égale gâteux égale fachos. C'est nous qu'on dit comment qu'on parle et qu'on dit comment qu'y faut qu'on cause. Je leur ai dit un jour à mes élèves qui me hululaient dessus : « Ah ce serait de l'angliche, vous seriez tous à vous tordre la gueule pour attraper le bon son, la bave aux lèvres ; mais la bonne prononciation française, que dalle ! » C'est malheureux ça : tout un chacun veut avori son mot à dire sur le français, sous prétexte que c'est « l'usage » qui en régit le bon emploi.

    ...Mais qu'est-ce que « l'usage », ignoranti, ignoranta, ignorantum ? Cette notion n'a plus rien à voir désormais avec celle du Grand Siècle, et vous affublez de ce mot la moindre faute commise par un de ces grands-prêtres de l'idiot-visuel ; d'où les ignobles « nominés », qui ont la vie dure, et pis encore les gens qui vont « supporter » leur équipe au lieu de la soutenir, alors que ma foi oui c'est sa femme, ou sa belle-mère, ou les cons, qu'il faut bien suppporter... L'usage, moi je ne sais pas ce que c'est, mais ce n'est surtout pas monsieur Jean-Claude Narcy, qui se révèle incapable de distinguer à la prononciation « notre » et « nôtre », malgré sa récompense linguistique... Et ne croyez pas non plus ceux qui vont claironnant que « le français, c'est fini », sous prétexte que les langues sont des organismes qui naissent, vivent et meurent – et alors ? Ma grand-mère aussi, mais nous l'avons soignée jusqu'au bout, et nous y avons mis les moyens, pour qu'elle subsiste le plus longtemps possible. Ces criminels qui proposent d'abandonner la partie avant la fin seront les mêmes à se précipiter chez le toubib au moindre bobo, afin de prolonger leur précieuse carcasse, et je le fais aussi, mais je refuse de laisser à l'abandon le fait francophone, si pourri qu'il soit par la politicaillerie, parce qu'on n'achève pas un mourant qu'il ne l'ait demandé à maintes et intelligibles reprises, n'est-ce pas Messieurs de l'Académie ?

    Et encore. Je ne souffre pas de parler français. Ma patrie, c'est ma langue. Tant que je tiendrai debout je la défendrai. D'autres après moi j'espère. Surtout les Canadiens. Et les Noirs, parfaitement, s'exprimeront bientôt en français mieux que nous. La bataille sera perdue ? Mais je la livrerai jusqu'aux dernières minutes. Comme la chèvre de monsieur Seguin. Et l'anglais aussi crèvera un jour. Nom de Zeus. Et voilà pourquoi je vuos prierais bien instamment, bien humblement, Messieurs et Dames, de bien vouloir mettre aux voix la candidature du Singe Vert.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    COLLIGNON HARDT VANDEKEEN LE SINGE VERT T. IV 46 – 50

    DES FILMS X

     

     

     

    4386. Rien n’est plus neuf et rafraîchissant, intellectuellement, poétiquement, que ce concept de la “ lontanité ” d’un artiste, de sa lontanezza, après qu’on nous a tant bassinés avec la prétendue contemporanéité de Shakespeare, de Molière (...) RENAUD CAMUS “ La Campagne de France ” Journal 1994Nantes, hôtel de France, samedi 17 décembre, neuf heures du matin

     

     

    X

    DES FILMS X

     

     

    Ainsi donc, CHER Télérama, nous n'indiquons plus l'horaire des films porno ? Le programme s'arrête à 1 h 35, et c'est la ligne blanche ? il reste pourtant bien assez de place : "Les branleuses", "Les suceuses", non ? vous n'allez pas me faire croire ça, que le programme s'interrompt, sur Ciné-Cinéma 1, 2, 3 ? ...Vous pensez donc que le porno pervertit la jeunesse ? Pousse à l'acte ? Vous croyez vraiment que le porno pousse à l'acte ? Les tournantes dans les caves, c'est la faute au porno ? Il n'y a jamais de scènes de "tournantes" dans le cinéma porno : vous ne saviez pas cela ? "Ca fait longtemps que je n'en ai pas regardé" - ah bon, je me disais aussi - quoi ? vous n'avez jamais regardé... menteur ! - vous avez oublié ?____Et puis les couples aussi, du Cantal ou d'ailleurs, trop heureux de se stimuler du fond de leur petite pantoufle lassante. Et puis les pas beaux, les plutôt cons, qui n'y arrivent pas, que les gonzesses envoient chier au nom de la morale Marie-Claire - mais tel prof de philosophie de mes amis n'a-t-il pas dit que "ceux-là, ils n'ont qu'à ne pas exister" c'est beau l'amitié, ça résiste à tout - morale de magazine féminin très en vogue parmi les Chiennes de Garde - lu dans un magazine à l'usage des futures connasses encore jeunes "quoi ? il n'y a pas que les garçons qui se masturbent ? ah ben ça alors !" - ta gueule, enlève ton doigt. ______Bref ! Le désir féminin, une fois de plus ! est chou comme tout, attendrissant, le désir de l'homme n'est que d'une bitte à pattes vulgaire à remettre à sa place ah mais, nous ne voulons baiser que quand nous voulons, pas vous, c'est nous toutes seules qu'on désire. Nous pataugeons en plein ridicule, en plein odieux, voulez-vous que je vous dise ? ...en plein pathétique. Du coup nous nous sentons tous, nous les mecs, abandonnés, désespérés - "mais qu'est-ce qu'elles ont toutes ? on est pestiférés ou quoi ?" - il ne nous reste plus que les putes, ou le porno. __

    Quant à celles qui prennent des airs affolés de petites filles qu'on abuse parce que dans le film, elles devront en tant qu'actrices ôter leur sous-tif et pratiquer une fellation, ah ce que je peux les plaindre, c'est fou... Tartufe est une femme, ça je vous en fous la main au feu. Voilà tous ceux que ça va gêner, Monsieur, sans compter les petits vieux à qui vous ôtez leurs derniers plaisirs, Monsieur... j'ai oublié votre nom... Nous vous appellerons Monsieur X... __ ...Vous gênerez tous ceux qui n'en ont plus rien à foutre, de passer la batterie de tests que leur feraient subir les femmes, parfois lassées de leurs masturbations effrénées (sans avoir besoin de films, elles... Oh mon Dieu que la Vvvvertu des femmes m'émeut...) - voilà ceux que vous allez gêner. Ca en fait tout de même un paquet. Mon petit fils va avoir treize ans. Qu'est-ce que je lui dis des filles ? Rien, cela vaudra mieux. De toutes façons, il a reçu l'hormone mâle de naissance, il les trouve "gentilles". Vous voyez bien qu'il y a des jeunes gens normaux. __Alors parlons d'enfants, justement. Que jacte le Père La Morale ? Queue - pardon que - si un enfant risque de voir un porno - ils en auraient presque tous vu - eh bien ! (mouvement de menton) "peu importent les désabonnements massifs de Ciné-Cinéma 1, 2 ou 3, je préfère ôter ce risque d'au-dessus de leurs têtes." Mais mon pauvre Monsieur. Vous les avez vus les enfants. Vous les avez bien entendus. Bon d'accord, il y a le petit mot frais et joyeux d'une fillette de sixième criant dans le couloir "Va te faire enculer par une autre fille, mais t'es plus ma copine". __ Mais franchement. Vous croyez que ce sont les films porno qui les ont mis "au courant", les enfants ? "C'est toute l'époque" - laissez donc l'époque tranquille. Elle est "permissive" ? ...pas tant que ça. Elles l'ont toutes été, permissives, pour les petits malins, les "débrouillards", ceux qui se trouvent des femmes comme ils veulent, et jamais assez pour la grande majorité de couillons qui butent sur l'obstacle de la Femme fermée à double tour sur sa branlette.

    Retenez bien ceci : c'est toujours aux enfants que les censeurs de tout poil (j'ai dit poil ! j'ai dit poil !) ont fait référence pour justifier leurs sales castrages. Mais il me semble que dans les familles normales (les autres trouvent toujours le moyen de bousiller leurs enfants) les chers ubins sont surveillés, non ? sans être brimés ! ou alors, ils ne trouvent pas la chose si désastreuse que ça ! "Le porno est déséquilibrant dans la mesure où il ne montre que des filles qui disent oui" : mais espèces de nazes, c'est le scénario !

    Et puis c'est un conte de fées ! ça change du monde réel, où les filles disent toujours non, vous poussant carrément dans les bras des putes ! Allez ! ce n'est pas tout ça ! Nous allons durcir nos sexes pardon nos textes : les enfants ! qu'il faut protéger ! auront au moins autant de chances de surprendre leurs parents en train de jouer la bête à deux dos ! hein ! (c'est du Rabelais). UNE SEULE SOLUTION : EMPECHER LES PARENTS DE BAISER. Dès fois qu'ils engendreraient un censeur ; des fois qu'ils auraient mal fermé la porte ; oublié de blaxonner leurs murs ("d'insonoriser", pour ceux qui ne sont pas carrossiers ; à propos : "Ma grand-mère admirait les rossignols du caroubier". Elle est vieille mais je l'adore. La grand-mère bien sûr, mais aussi la contrepèterie...) ______________ Et pis faudrait aussi empêcher les salauds de chien de sauter sur les salopes de chiennes (il était une fois un clébard, charentais, qu'on avait enfermé toute la journée dans une pièce obscure , et qui hurlait, qui hurlait - salauds de paysans. Vous comprenez, y o des infints qui pourraient vouâr çâ - paysans, salauds) - et les coqs - qu'est-ce qu'il fait le coq ? - Il cherche les poux sur la tête de la poule je pensais qu'il en trouvait beaucoup, des poux, et souvent - c'est bien cela, Monsieur XXL ?

    C'est à cette belle époque si romantique que vous voulez revenir, où les filles (et les garçons à l'occasion) croyaient que les enfants se faisaient par le nombril ? Vous voulez aussi interdire la prostitution, si si ! ne niez pas ! en coffrant les prostituées, en les mettant à l'amende pour qu'elles soient obligées de se prostituer pour la payer - vous êtes fous - en tabassant leurs clients, comme aux Etats-Unis ? Mais on va où là ? "Je ne veux pas que mon fils apprenne les choses de l'amour comme ça " - mais s'il est moche, votre fils ? ou con ? ou pauvre ? ou bloqué ? il va faire quoi votre fils ? des tentatives de viol ?__ "Les hommes ont plus de besoin que les femmes" "ben voyons", rétorque la Chienne Alonso, ben désolé, "ben voyons" n'a jamais été un argument, non plus que "allons donc" ou "à d'autres". Ou "pssschchttt". Ça ne démontre rien, "allons donc". Il va falloir trouver autre chose. Allez, soyons bon singe, admettons (ce qui reste à démontrer) que les femmes aient autant de désir que les hommes (si c'était vrai, ça se saurait) (ce n'est pas un argument, OK). __ Mais il se trouve que les femmes, mon Dieu comme c'est étrange, réagissent tout à fait différemment des hommes. Elles se masturbent, seules ou entre elles. Leur terreur des mecs entretenue par les journaux télévisés (viols à la une en série) et relayée par les mouvements de je ne sais quelle libération féminine dont vous n'êtes qu'une pâle continuatrice la terreur dis-je les écartant avec répugnance des hommes qui ne leur garantissent pas la sécurité, le trois-pièces-cuisine le gosse le chien la paye à la fin du mois et la demi-pension du mari pendant les vingt années de veuvage.

    Et comme les gonzes, contrairement aux femmes (après tous, je ne blâme ni les uns ni les autres !) éprouvent la faiblesse psychique de ne pas tellement apprécier la consolation entre hommes (ça change, les femmes sont bien contentes, enfin des hommes (les pédés) qui ne nous embêtent pas) (pour les femmes ? pas de problème ; on est libérées ou on ne l'est pas) et que la branlette les déprime (les femmes, ça les requinque) eh bien ils auraient envie, les hommes, d'une femme à peu près, je dis bien à peu près, parce qu'il y a des aigries et ça se comprend, qui leur reviendrait finalement bien moins cher qu'une légitime, car commem le dit Jacques Brel (vive lui ) (vous n'auriez pas voulu le châtrer non plus, celui-là ?) les putains, les vraies, c'est celles qui font payer pas avant, mais après.) __ Et je ne pense pas que ce soit en faisant de l'homme une créature sexuellement aussi molle et timide que la femme ("Pourquoi les femmes aiment-elles les hommes insignifiants ? ...parce qu'ils leur ressemblent", ouâh excellent [oui bon enfion euh "enfin" putain de machine] ) que nous contribuerons au sans rire "progrès moral". Je pense au contraire que l'homme ayant durant des siècles confisqué à son profit les comportements de liberté, c'est à la femme d'accéder à ces altitudes non pas masculines mais universelles.

    Et s'il doit y avoir des prostitués hommes pour femmes, tant mieux, bordel. A condition que ce ne soient pas une fois de plus les hommes qui otrouducupent le terrain. Au passage, je suis contre la réouverture des maisons closes. Au nom des timides, justement, qui n'oseront plus en franchir les portes. Tandis qu'au hasard de la rue, c'est ni vu ni connu. Du courage, plus qu'une page. Reprenons : le porno, c'est un espace de rêve et de liberté. Le porno est un conte de fées confer supra. Il est faux de dire (comme on voit bien que vous n'en avez jamais vu, Monsieur X ! ...vous aussi sans doute vous faites partie de ces 95% d'hommes qui ont pris un verre au bar mais qui ne sont jamais "monté" à l'étage ? quel commerce florissant pourtant !) (sans compter ceux qui prétendent "n'avoir jamais pu regarder un porno jusqu'au bout" - j'ai une explication toute simple...) que "la femme est placée dans la situation de ne pouvoir jamais refuser" - j'espère bien ! __ Si c'est pour revoir les mêmes situations que dans la vie, autant revoir "La Leçon de piano" ou "Meurtres dans un jardin anglais", chefs-d'oeuvre certes mais sexuellement obscènes, puisqu'on y voit des deux côtés une baise par contrat, par petits morceaux (avec dans le second la femme qui dégueule le sperme dans un baquet ah ! salauds d'hommes, ah ! salauds d'hommes), ou tout autre film moyen d'ailleurs où l'on peut voir baiser au quart de tour amour toujours et la pucelle qui jouit au premier coup en deux minutes trois secondes mais où avez-vous vu cela ? on n'y croit pas.

    Dans les films porno on voit la chose, il y a une preuve. Quelle que soit la nullité des scènes à Rio (bonjour Bébel) (tu vois, tes vannes à la con, ça nuit à tes démonstrations - Ta gueule) - des tas de femmes de décision, qui font les premiers pas, PDG, chercheuses, fonceuses, qui traquent les hommes, qui n'ont pas froid aux yeux ni ailleurs, qui ligotent les mecs, qui se font doigter, lécher (d'ailleurs les mecs lèchent soigneusement à côté - entre femmes c'est génial parce qu'elles le font pour de bon et bien méticuleux avec des roulements de clite au ralenti sur la langue et là dites, Monsieur le Censeur, quelle est la femme qui "humilie" l'autre ? toutes les deux parce qu'elles obéissent au metteur en scène mais ça ne va pas ? vous croyez qu'elles ont attendu l'apparition des metteurs en scène pour inventer le cunnilingus ? ...

    Et les hommes, ils n'y obéissent pas non plus au metteur en scène ? vous faites semblant de confondre la situation dans le scénario et la situation sur le plateau ! Mais encore une fois tout le monde st volontaire ! Et je ne vois pas pourquoi le mec serait plus macho ou plus autoritaire ou moins souillés si vous y tenez vraiment que les femmes ! Moi je dis qu'il faut être héroïques pour baiser devant les caméras ! Plus pour les mecs justement, non seulement parce qu'il est plus facile "d'avoir la bouche ouverte que le bras tendu" merci Monsieur Guitry, mais parce qu'avec trois tubes de vaseline une femme volontaire je répète y arrivera toujours matériellement !

    Souvenez-vous de ce proverbe de Patrick Sébastien :

    "Un peu de patience et beaucoup de saindoux

    "Et l'éléphant encule le pou" - bref, pas moyen d'être sérieux un instant.

    Mais, savez-vous comment on se retrouve acteur ou -trice de porno ? Eh bien parce que les fistons, cousines, beaux-frères et copains de copines encombrent tellement tout le terrain qu'il n'y a plus de place pour les acteurs qui crèvent la dalle. C'est un peu pour cela aussi qu'il y a du porno. Alors qu'on arrête de crier au charron, qu'on surveille ses gosses et qu'on nous foute la paix avec cette censure à la con. Merci.

    COLLIGNON HARDT VANDEKEEN LE SINGE VERT T. IV 47 – 56

    Z-ZAMAN – LE TEMPS

     

    4495. Je trouve qu’il n’y a pas beaucoup de choses plus agréables à voir qu’une jolie femme en robe basse qui mange de bon appétit de belles viandes saignantes.
    
    	Valery LARBAUD 
    « Journal intime d’A.O.Barnabooth »
    	
    
    	Le temps. Z-Zaman. C'est ce qui me saute dessus dès que j'écoute certains morceaux de musique, tu vois, certaines chansons de ma jeunesse. de ce que je suis bien obligé d'appeler ma jeunesse. Saloperie. Tout l'air du temps est là, comme le tabac froid dans les mailles du pull. Tu ne peux pas l'enlever. C'est concentré. Plus même dans la musique, dans l'air justement, que dans les photos, parce qu'au moment même où tu m'as prise, tu savais que c'était de l'éphémère, du mortel, du funèbre. 
    	Les photos tu sais que ça va ternir, que ça va se craqueler, se délaver - les teintures vieillottes des films de 70 ! - virer sépia comme sur les médaillons de cimetières - mais la chanson ! mais la danse que tu dansais ! tu ne pouvais pas savoir, tu ne sentais rien venir forcément, parce que ton corps bougeait, tandis que pour la photo tu dois te prendre la pause, des deux côtés de l'objectif, tu dois te figer une seconde, comme quand tu te peaufine bien l'orgasme avant de lâcher ta purée de mort, y a pas photo. 
    	Quand tu danses, tu danses, ni plus ni moins que le vieux Michel Montaigne, et le vieux rythmos que tu récoutes, il te repénètre intact, pareil, tout vierge tout net, avec charriés dedans tout frais tout incorporés (le crapaud dans le goudron) toutes les parties de ton âme d'alors tous les espoirs les désespoirs toutes les salades  telles quelles pêle-mêle et tes amours et tout l'avenir que tu croyais t'avoir pauvre pomme avec toute l'énergie qui va avec et la connerie de ta jeunesse tiens comme l'insecte, quand il est pris dans l'ambre tout vivant tout frais.  
    	Je dis les amours mais même quand tu ne dansais pas quand tu ne faisais pas frotti-frotta parce qu'avec ta gueule les filles elles préféraient encore faire tapisserie c'est de vos mères que je parle pétasses, tu rageais tu pétais sur ton banc tout seul "Je me vengerais" tu disais "je me vengerais" maintenant que  te v'là tu t'es vengé de quoi pauvre con, qui c'est que t'as écrasé sauf toi, tu es devenu Vieux-Tendre, en plus on te félicité On c'est les autres, enfin d'autres autres parce que
    t'as déménagé maintes fois et qu'on t'a dit je ne sais combien de fois que non c'était pas bien, c'était pas beau, c'était vilain comme tout la rancune, que ce n'était pas en réglant ses comptes ni par désir de revanche qu'on devient grand écrivain ou quoi que ce soit, doux doux, fais ronron, allez crève. 
    	Et ce qui ne va pas non plus, ce qui est tout faux tout faux (c'est fou ce que les aûûûûtres te trouvent tout de suite ce qu'il ne faut pas que tu fasses trop tard tu l'as fait et c'est toi et tu les emmerdes)  c'est de t'imaginer, de laisser entendre et de proclamer que si tu fais le clown, si tu fais le zouave, c'est par opposition ah mais, tu le fais exprès si si, c'est pour bien montrer un jour, un jour vous verrez tous, vous tous qui vous foutez de ma gueule, que je vous vaux bien, que je vous surpasse, que j'obtiens les meilleurs résultats scolaires, Prix d'Excellence en sixième et  la croix d'honneur chez les bonnes soeurs, jusqu'au jour où tu te fais rétamer huit fois de suite à l'agrèg ça te fout la claque et t'es par terre et t'es cul nu t'es juste un pitre sans faire semblant guignol premier degré, "manque d'ordre et de logique, vision superficielle des perspectives littéraires" et toc, ce n'était donc pas calculé, ce n'était qu'en dépit de ta connerie que tu parvenais à ces EXcellents résultats de onze sur vingt - tu n'étais qu'un insecte voir plus haut qui palpait qui tapotait sur la paroi tes antennes et tes six pattes qui trépignaient contre ta vitre juste à côté de la fente que t'as pas vue qui t'aurais mené droit sur la flamme, t'aurais flambé t'aurais vécu.  
    	Tout écrivain écrit contre le temps ça se dit zaman en arabe zman en hébreu tu dirais des coups de faux se peut-il se peut-il que tous mes souvenirs meurent avec moi , je relis tous les jours mes vieux carnets jour après jour s'maine après s'maine depuis le premier janvier soixante qu'est-ce que je faisais tel jour aujourdhui y a huit ans, vingt ans, trente ans  et y a plus rien, plus rien d'essentiel dans toutes ces heures dans tous ces mois jamais jamais  je ne trouve de ces jours de ces instants "qui décident de la vie d'un homme", " à compter de cet instant tout a basculé" que dalle, "celui qui perd l'heure perd le jour perd le mois et l'année et la vie" et la tête alouette, si vous voulez savoir jour après jour la vie de Mahler, Gustav, vous lisez je ne sais plus quels épais volumes de je ne sais plus qui où tout tout est mentionné précisé épinglé maniaquement tout tout absolument transparent, le 20 juin 80 à huit heures et le 22 avril 1900 au soir tout vous dis-je sauf la vie intérieure sauf l'esprit sauf la pulpe. 
    	Pour connaître la vie de Mahler écoutez ses symphonies, plus encore les Kindertotenlieder ou les Chants du Compagnon Errant et rrran, au temps au temps pour moi qu'est-ce que j'ai fait moi,
    qu'est-ce que j'ai fait ? On dit en Chine entre lettrés qu'on a déjà vécu, en s'excusant par politesse (car c'est leur politesse) tant et tant d'années "si inutilement". Et l'on se congratule en inclinant la tête entre vieux mandarins, de la vraie Chine s'entend, celle d'antan ( cent ans).
    	Or justement Mahler (n'ayons pas honte) a si fort prodigué sa vie (dirigeant son orchestre ou son opéra tout au long de l'année, bouffé par ses obligations, allant jusqu'à auditionner les candidats chanteurs ou compositeurs ("Il a mieux réussi que les fois précédentes ! cher Maître, revoyez votre appréciation ! - Je n'ai jamais vu, assena-t-il un jour, un marronnier se mettre à produire des oranges"), cette vie, que l'illustre compositeur passait à des conneries tout comme un autre, j'en fais, moi, très inférieurement, mes choux gras, ma matière, passant très obscènement mon Temps à expliquer pourquoi j'ai agi, surtout non agi, de telle ou telle sorte, bref à me justifier ("c'est pas ça qu'il faut faire" - "ta gueule") au double sens de ce mot : sire d'une part pourquoi j'avais eu raison, ou tort, le mettre en scène et repasser sur chacun de mes actes et non-actes cette patine dont ils furent et demeurent singulièrement dépourvus (j'ai mis 18/20 à cette élève qui m'avait déclaré un jour  Monsieur on sent bien que vous avez eu une vie de con, et que vous montez en épingle  les
     moindres choses qui vous sont arrivées) .
    	Il s'agit d'autre part pour moi (deuxième sens du mot "justifier") de sauver, de racheter, de rédimer en tant que tels, de garantir, de certifier, d'estampiller comme un vétérinaire ("a vécu") chacun de mes instants, et moi-même comme la somme des consciences propres de tous ces instants. Alors que la vie est bien sûr autre chose que la somme de tous ses instants...
    	...De quoi auraient eu l'air les vies horriblement médiocres de Kafka, Hoffmann ou Maupassant, s'ils n'avaient su que magnifier, sublimer - ou décortiquer - leurs sublimes émois ! de scribouillards ! Car s'il est une chose qui me manque absolument, définitivement, irrévocablement, c'est bien l'imagination - j’espère bien d’ailleurs que ça me servira au moment de ma mort. A moins de consteller mes écrits de projections météoriques (c'est ainsi qu'on appelle les diarrhées qui giclent sur les cuvettes de chiottes, elles sont  littéralement constellées) - si je cesse en effet, comme me le conseillent toutes les bonnes âmes, d'écrire "bite" et "bordel de Dieu", je cesse d'être, à la lettre, je perds toute originalité, je rentre dans le rang, et je suis, horreur, accepté. 
    	Banal comme Flaubert. Comme Greene; Comme Genet. Couverts d'opprobre aux débuts. J'aurais des amis, des ennemis, aucune passion ne se lèvera plus dans mon sillage, il faudra que j'oeuvre dans le relatif, non plus dans l'absolu, mais dans le modeste... Dix ans, vingt ans, trente ans ! qu'elles me le promettent pourtant, l'avenir, le vrai, ces surnaturelles musiques dont je parlais plus haut, ces rocks super-sauvages, alors qu'elles étaient, sans que je m'en doutasse, et d'une façon traîtreusement dégueulasse, l'avenir et la  promesse de l'avenir à la fois, tromperie ! kolossale imposture ! pathétique morsure de queue, contamination sémantico-ontologique ! 
    	Car les écoutant, je me voyais, je me sentais de tout mon corps déjà pris dans cet avenir, où j'avais déjà triomphé de tout, ce qui me dispensait du moindre effort, d'envisager même la moindre forçure !  Assassins ! Assassins !  comme disent les djians ! Ah phûmiers, vous m'y avez fait croire ! Ah salopards d'Autres (car je dansais seul, les autres ne me laissaient pas  faire partie d'eux, jamais, jamais) - vous m'avez fait obstacle ! Comme ça, vous m'avez trahi ! (air connu) - et ce n'est pas à vous, paraît-il, que je dois m'en prendre, mais A MOI-MEME ! 
    	...Jamais ! Jamais ! puisque je ne le sens pas ! alors je gueule contre qui, moi ? le Temps ? dont le seul tort est de passer ? "c'est toi qui te construis ton avenir" tu veux mon poing sur la gueule Donneur de Leçons ? depuis que je le fais tu dois avoir la tronche comme un trou ! du cul ! parfaitement ! Tu veux que je te le dise, le Problème ? Il est le même que celui de toutes les minorités, et qui est plus minorité que moi, Individu ? Voilà, je parle à tous les Individus, moi aussi je fais mon petit prêchi-prêcha, ma petite Démo : le dilemme est celui du funambule, sur le fil du Moi.
    	...Tu bascules d'un côté dans le conformisme, de l'autre dans la folie. L'homme est un bouffon qui danse au-dessus d'un précipice, Pascal. Ca fait deux précipice, bouffon : l'acceptation résignée, l'assimilation - ou la révolte, la dinguerie. Et qu'est-ce qui nous empêche de tomber, dans cette nauséeuse oscillation ? C'est quoi le balancier ? la Dignité ? la Mémoire ? ...la Conscience? vous voyez bien que je ne peux pas m'empêcher de dire des gros mots ; l'hippocampe a-t-il une conscience ? une mémoire ? une peur de la mort, une peur de ne pas s'intégrer dans la communauté des hippocampes  à venir, après sa mort ?
    	 Bifurquons. MOI MA VIE, TOI TA VIE, c'est un mauvais film, ça c'est vrai putain qu'il est mauvais, qui est-ce qui m'a foutu ce rôle de figurant à la con, alors j'espère en la vie future, Cicéron dans  les Tusculanes pensait que le désir de gloire, de survie, prouvait l'immortalité de l'âme, qui devait bien par quelque partie survivante prendre conscience de son encensement après la mort, pauvre Cicéron ! qui a dit également que "rien de si absurde n'a pu exister qui n'ait été dit par  quelque philosophe,  nihil tam absurdum est quod non ab aliqui philosopho dici potuerit, bref l'humain animé de ce beau  souci (piétiné par les penseurs modernes, par la doxa contemporaine, traduction par la pensée de Monsieur Machin) - que doit-il faire ? 
    	Mettre de côté ses maladresses et crapahuter dans l'Universel du Lagarde et Michard, ou les accentuer au contraire ("Ce qu'on te reproche, cultive-le, c'est toi"), façon Cocteau ? jamais en retard d'une mode d'ailleurs... Parce que les élucubrations brut de décoffrage, mon ex éditeur en reçoit par paquets de dix, il ne répond même plus aux courriers tellement c'est NUL. Telle est la question : montrer sa misère, sa déchirure, et sa plaie, sans s'écarter du cadre, sans déborder hors du champ opératoire. Gesticuler, mais dans l'humain - le Singe est-il humain ? 
    	D'où ma rage. Car les révolutions viendront de l'animal, ou des étoiles : manipulations génétiques du fond de notre animal, ce que je souhaite de tout mon coeur - enfin, enfin dépasser la condition humaine ! ceux qui hululent contre les "apprentis sorciers" me font penser à ceux qui ne croyaient pas accoucher sans douleur, "parce que c'était contre nature"; quand tu seras immortel, pauvre con, tu seras bien content. Enfin moi oui : pouvoir décider quand je meurs... Ce pied !
    	De plus, maîtrise un jour des énergies inter-galactiques, transposable sur notre petit cosmos à nous. "Je meurs au moment précis où ça devient intéressant" (Ampère). Ma rage donc, notre rage, parce que je n'en peux plus de tant de sagesse, de résignation noble à la Yourcenar + Platon + Bossuet... Marre... Sans compter que ma rage s'éteint, par simple évolution physiologique, je me mets à présent à philosopher au lieu de hurler, et tout le monde autour de moi : "C'est bien ! tu deviens enfin insignifiant, confiant et résigné, comme nous, tu vois bien que tu n'es pas si méchant" - je hurle.
    	Trop humain. Trop fini. Trop mort. 
    	Trop de police. Je parle imprimerie. Car c'est ainsi qu'ils règnent, c'est ainsi qu'il faut régner. Par le langage policé des puissants, qu'il faut que les inférieurs imitent s'ils veulent se faire entendre. Clodos, exprimez-vous à l'imparfait du subjonctif. Peut-être serez-vous écoutés dans les hautes sphères, grammatically and politically correct. Pourtant Dieu sait combien je méprise ces couches de population (une partie de moi bien sûr, l'autre sait que j'ai tort, démerdez-vous). 
    	...Ces couches d'ignorance crasse... Je disais à ma psy ("tu disais à ta psy, il ou elle disait à sa psy") qu'un ouvrier, c'était quelqu'un "qui rote à table et qui crie Vive Le Pen". Indignée mais calme elle me rétorqua : "C'est ainsi que vous voyez l'ouvrier ?" Je répondis non moins calmement : "Oui." Récemment encore, déclarant à table que les plombiers m'ennuyaient, ainsi que leur conversation dès les trente premières secondes, je vis une collègue s'étrangler devant son assiette : son mari était plombier, et mes allégations la mettaient hors d'elle. 
    	Je lui souris, elle me sourit, à plusieurs reprises les jours qui suivirent, mais je ne saisis pas la perche de politesse, ne présentai aucune excuse ou atténuation : telle est mon opinion, je maintiendrai : un ouvrier qui pense, ça fait trente ouvrier qui rotent. Et je me soucie peu de ce que ces bipèdes à peine articulés pourront me sortir sur "les youtres et les bicots", merci, sans façons. Ces gens-là doivent être éliminés du mécanisme démocratique. Ne devraient pouvoir voter que des bacheliers. "La république des profs" me conviendrait parfaitement. 
    	Et si le peuple est si peu représenté à l'Assemblée, c'est que tout simplement, et dans le même esprit qui poussa les petites gens en 1789 à confier la rédaction de leurs Cahiers de Doléances aux nobles et aux bourgeois, parce qu'obscurément tout le monde sent bien qu'il faut pour gouverner  de bonnes bases éducatives, et qu'il n'existe pas de "culture bourgeoise" ; pour l'excellente raison encore que tout homme qui se cultive devient par le fait même un "bourgeois".
    	Notre brave ministre prétend qu'un mécanicien est aussi cultivé qu'un philosophe, pardon, pardon : sortez le mécanicien de sa mécanique, il ne saura pas aligner deux idées correctes ; le philosophe ne s'y connaîtra peut-être pas en mécanique, mais il saura discourir du monde entier ; et le peu de bon sens et de connaissances qu'aura très, très, très éventuellement le mécano, eh bien il les devra ou il le saura empruntés... à la culture dite "bourgeoise"... Quant à celui qui se sent opprimé, il ne lui reste, ou il ne lui revient à la bouche, s'il a quelque instruction, que le bas langage des perdants, car on peut être intello et perdant : il sera soit vulgaire ("faut-il vous l'envelopper ma p'tit' dam' ?") soit bouffon. 
    	Le bouffon, ou Singe Vert, ne saura défier l'autorité que par son impuissance, justement, à la singer correctement, et sans vouloir en fait le moins du monde la moindre parcelle de pouvoir, car il ne saurait qu'en faire, ni d'efficacité, car il ne croit plus en l'efficacité. A supposer que la Dérision accède au Dirigisme, elle n'engendrerait en effet que la folie, ou la terreur. C'est pourquoi le meilleur soutien du pouvoir est le fou, et sa marotte. Quant au clochard, au jacques, au Palestinien, il ne peut avoir d'autre rôle que de subir la répression : toujours les seigneurs ont massacré leurs croquants et botté le cul de leurs fous. 
    	Mais alors, Singe Vert aujourd'hui bien poli, bien sentencieux bien chiant, que deviennent ces imprécations, ces histoires de cul, qui sont à la grammaire et à la littérature ce que sont les bombes en territoires occupés, sinon des prétextes décoratifs ? Faudra-t-il que les rebelles et les mal embouchés déposent leurs explosifs et leurs insultes afin d'être entendus ? Faudra-t-il qu'ils deviennent bourgeois ? pour combattre les bourgeois ? On nage en plein Jean-Marc Sylvestre là, en plein Minc...  
    	...Mais c'est à se flinguer ! Mais je ne l'ai pas fait exprès ! Ne me louez pas de ma modération !  Les ans en sont la cause...  Donc pour me rattraper, et reconférer au Singe Vert cette "mauvaise image" que paraît-il on lui prête, voici quelques réflexions sur un sujet qui fâche : coincé nu dans ma chambre spartiate à l'Hôtel de Provence, il m'a bien semblé ouïr du fond d'une radio le mot "Israël". Aussitôt m'ont assailli une foule de mauvaises pensées (autrefois, je pensais que "mauvaises pensées" se rapportait au pagne couvrant sur la Croix les Parties du Christ ; mais on l'aurait bel et bien crucifié nu, puis l'on satisfit à la décence (de lit) des bigotes) - les mauvaises pensées sont en fait ce qui permet de soulever le voile et de voir le roi nu. 
    	...Israël a toujours suscité en moi l'admiration. Suspecte, je n'en disconviens pas. Mais suffisante pour me  faire suspecter, moi et ma revue, de "mauvaise presse". Israël représente pour moi, colonie ou pas, la démocratie, la discussion, la civilisation. En face je ne vois, je ne veux voir, qu'aveuglement et fanatisme, ce qui montre sans doute mon aveuglement. Je ne peux pas imaginer que des hommes - sont-ce encore des hommes ? - capables avant d'actionner une bombe de se représenter les dix-huit vierges, pas une de plus pas une de moins, qui l'attendent au Paradis d'Allah après son crime, soient dignes s'ils survivent de se voir accorder le moindre droit de vote. 
    	Des chiens barbares capables de transformer des mariages en boucheries ne sont pas dignes de mourir pour un Etat, pour quelque cause que ce soit, car leur geste dégrade et souille ipso facto toutes les causes. "Les forces du coeur sont souvent les facteurs qui en dernière instance emportent la décision, dans le bien comme dans le mal. Lorsqu'elles ne volent pas au secours de notre raison, celle-ci est le plus souvent impuissante." JUNG. 
    	Souhaitez que le cœur, le vrai, triomphe un jour de l'excès du coeur qui a nom fanatisme, de quelque bord qu'il soit, souhaitez-moi d'être moins con, je voulais juste parler du temps, de la reconnaissance de l'individu, de la mort et de l'immortalité, de la paix, de la gloire, de Dieu et de moi-même, et je crois bien, ma parole, que je me suis un peu laissé emporter. 

    COLLIGNON HARDT VANDEKEEN LE SINGE VERT T. IV 48 – 63

    HOMMAGE A PASCALE DE BOYSSON

     

     

     

    4496. Mais il y a en moi, comme en chacun de nous sans doute, un esprit de ténèbres, une force qui me fait craindre l'audace de ma pensée et qui me fait adopter, en guise de vérité, le premier mensonge qui se présente parmi la provision de mensonges en cours autour de nous. Et un jour j'ai vu cet Esprit de ténèbres, et c'était mon amour- propre.

    Valery LARBAUD

    Journal intime d'A.O.Barnabooth 3 mai 19**

     

    Dernièrement mourut Pascale de Boysson, qui fut sur scène comme à la ville la compagne de Laurent Terzieff. Ca n'a pas fait la une des journaux. Parce que les vrais, les grands comédiens, n'ont pas besoin de racolage. Ils travaillent, vivent et souffrent en silence, auréolés de la ferveur de leur art. Et si vous cherchez ici les laborieuses pitreries du Singe Vert, vous ne les trouverez pas : je n'ai voulu qu'apporter un petit témoignage de reconnaissance et de sympathie.

    L'admiration, c'est trop. C'est le théâtre qu'il faut admirer, ce sont ses serviteurs qu'il faut respecter, comme on respecte un luthier, un cavalier, dans l'exercice de sa profession. Ce mot est aussi qu'on y songe bien celui que l'on retrouve dans profession de foi. C'est une telle démarche à laquelle Terzieff s'est livré, après avoir subi la tentation des succès paraît-il faciles du cinéma, et d'autres tentations narcissiques : il a vu le diable dans son miroir, et il ne l'a pas trouvé laid.

    Puis il suivit le chemin d'austérité qu'on lui connaît. Nous ignorons tout de la façon dont certains se sont trouvés sur sa route, mais nul doute que le hasard n'y fut pour rien : ce n'est pas le simple hasard qui place sur le chemin des croyants ceux et celles qui un jour, sans qu'on y ait pris garde, partagent depuis des années votre existence. Mais nous avons toujours observé sur la scène, lorsque Laurent Terzieff descendait dans nos contrées, la présence de Pascale de Boysson, dans des rôles souvent ingrats.

    Nous voulons dire ces rôles qui exigent un abandon total de toute vanité, servante rabrouée du "Bonnet de fou", mère déplorable de "Temps-Contretemps", mère encore et catastrophique d'un soldat nazifié, qui nous donna à entendre lors de cet inoubliable récital de Brecht au château de Villandrault, les si difficiles et délicats accents d'une femme orpheline de son enfant - tombé du mauvais côté. Ce n'était pas pour se montrer que Pascale de Boysson montait sur

    les planches, pour faire admirer sa coiffure ou son rôle, de pin-up ou de garce, mais pour donner toute son âme, toute sa voix, qu'elle avait grave, voilée, infiniment nuancée, à des emplois dont nulle n'aurait voulu.

    Or il serait inexact de penser qu'elle soit restée dans l'ombre, voire d'affirmer comme je l'ai entendu dire qu'elle s'est montrée grande et pleinement femme dans la mesure où elle se serait "effacée" pour servir l'homme qu'elle aime (conception incomplète à mon sens de la grandeur féminine, dont Pascale de Boysson ne manqua pas : quiconque la voyait sentait émaner d'elle cette puissance équilibrée, ce rayonnement sourd et prenant, cette autorité même devant laquelle plient et baissent le tête les plus acharnés des démons intérieurs), car il semble dépourvu de pertinence d'évoquer l'ombre à propos de celle qui demeure pour nous, et pour Laurent Terzieff, l'incarnation d'une lumière.

    Jusqu'au dernier moment, atteinte, marquée, condamnée, Pascale de Boysson aura voulu monter sur scène, non par orgueil, mais parce que c'est ainsi : de même que le capitaine ne doit sous aucun prétexte abandonner son navire, de même un acteur ne peut pas disparaître ailleurs que sur le plateau. C'est comme ça. Ce n'est même pas une question de déontologie : c'est dans le contrat. Le contrat le plus astreignant qui soit, celui qu'on passe avec soi-même. Dès l'instant où l'on décide d'embrasser la carrière du théâtre. Sans qu'il soit même besoin de l'exprimer, oralement ou par écrit, voire d'en être pleinement conscient : l'un de ces réflexes constitutifs, dirons-nous, de la psychologie de l'acteur.

    Si j'avais pris le temps de réunir une documentation, j'aurais pu rendre un hommage bien plus précis, élargir l'éventail des masques incarnés par Pascale de Boysson. J'aurais précisé ce que son travail d'investigation, d'adaptation, et pour quelle pièce, a su apporter aux apparitions des interprètes, protagonistes et seconds rôles - mais y a-t-il des seconds rôles...

    En écrivant tout cela, malgré sa sincérité ou justement à cause d'elle, le Singe Vert se fait l'effet d'un piétineur de plates-bandes, d'éléphant dans un service de porcelaines. Je voulais simplement témoigner à l'acteur que j'estime plus que tous un peu de ma présence, fût-elle indirecte, loin en tout cas de ces indiscrétions de charognards dont il aura su j'espère se préserver.

    Le spectacle continue, car la fonction de représenter l'homme, de le présenter à nouveau, pour une sorte de consécration, de même qu'on élevait l'enfant à la face des dieux pour qu'ils décident de le faire vivre s'ils l'estimaient ou non viable ; le ministère sacerdotal d'élever l'homme à la face de l'homme, pour que ce dernier, en son propre miroir, se constitue, incessamment se reconstruise, est non seulement sacré, ce qui serait peu et grandiloquent, mais indispensable.

    Le spectacle continue, il ne peut pas être interrompu, parce qu'il participe du sacré, qu'il tire après lui l'humanité vers le haut dans sa course insensée vers le ciel, quitte à s'y heurter, quitte à retomber, car il est du devoir le plus absolu de l'artiste de ne jamais révéler, de ne jamais laisser sous-entendre au Public - qu'il va mourir - qu'il mourra - ce qui se passerait, et immanquablement, et immédiatement, si le spectacle, ne fût-ce qu'un moment, s'interrompait.

    Impensable disions-nous que l'on s'en dispense, car du jour même où le théâtre disparaîtrait, ce serait l'homme qui disparaîtrait. Ecoutez bien : "L'homme s'ennuie, et l'ignorance lui est attachée depuis sa naissance.

    "Et ne sachant de rien comment cela commence ou finit, c'est pour cela qu'il va au théâtre.

    "Et il se regarde lui-même, les mains posées sur les genoux.

    "Et il pleure et il rit, et il n'a point envie de s'en aller."

    C'est du Claudel. Et c'est pour moi le plus beau texte qu'on ait écrit sur le théâtre. Mais ce pourrait être de n'importe qui de ces interminables dynasties de fous, de gueux, d'itinérants, de moines (oui !) et d'ascètes, qui depuis l'aube des temps se succédèrent, jusqu'à celui qui ne veut être que l'un d'entre eux, et fit en des temps si lointains et si proches, triompher l'auteur de "Tête d'Or" dans le rôle de Cébès.

    Nous ne nous quittons pas. S'il est vrai que les plus anciennes coutumes antiques voulaient que les restes des ancêtres fussent enfouis sous le seuil même de la demeure, afin qu'en les foulant chaque membre de la fratrie sentît passer en lui et s'élever plus haut la flamme sacrée de ses prédécesseurs, ne doutons pas que le souvenir de Pascale de Boysson, dans le coeur de tous ceux qui l'auront aimée, ne féconde et n'exalte les âmes errantes dès ce bas monde des officiants du temple du théâtre...

    COLLIGNON HARDT VANDEKEEN LE SINGE VERT T. IV 49 – 66

    ISRAËL

     

     

     

    39.- Mais les ouvriers que nourrit la Nation ne se trouvent jamais assez nourris.

    Louis MADELIN (parent de l'autre ? Qui sait...) (« C'est le plombier...!)

     

    « La Révolution » p. 117

    ......................................

    Eh bien ça y est il va falloir que je m'y mette. Depuis le temps que tout ce que j'écris disparaît dans les entrailles d'un ordinateur que je ne parviens pas à maîtriser (« Ben, que t'es con ! C'est pourtant simple, écoute :... - TA GUEULE » ) - c'est peut-être le signe que c'est mauvais.

    Je voulais en effet rédiger un vrai brûlot, des appels au meurtre carrément.

    Tâtons de la prétérition. Ca commence par la lettre d'une charmante collègue et amie, qui se demande pourquoi on ne me lit pas plus souvent, dans des tas d'autres journaux que (ici une publication à qui je ne veux pas faire du tort). Réponse, chère amie : parce que j'ai une tête de con. Vous allez vous récrier : pas du tout je sais de quoi je parle. L'autre jour je suis envoyé à la cantine chercher un kilo de sucre pour le café. L'employée qui distribue les repas a évidemment autre chose à foutre, et me dit de repasser à un autre moment. Les collègues envoient Nicolas, jeune, beau, sympa : il revient aussitôt avec le kilo de sucre.

    Et il me lance : « T'es nul ! » Ben vous voyez, l'histoire du kilo de sucre, c'est l'histoire de ma vie. Multipliée par mille. Et mille kilos, si vous savez calculer, ça fait une tonne. Et j'en ai marre, et je hais les gens. C'est comme ça. (« Ben que t'es con ! C'est pourtant simple : tu demandais où étais le kilo de sucre, tu allais le chercher toi-même, et... - TA GUEULE. JE N'Y AI PAS PENSE. Il y a des gens qui pensent à tout, qui savent se débrouiller. MOI QUAND ON ME DIT NON, C'EST NON. Je ne mendigote pas, moi. Je ne m'adapte pas, moi. Les adaptés de la vie, je les emmerde. Et ils se permettent de me faire la morale, en plus. JE LES CONCHIE. ET JE ME PLAINS. PARFAITEMENT. Je t'en foutrais moi de la logique.

     

    Allez, deuxième chapitre. Les ouvriers. Y en a plus ? Mettons les gens de peu. L'expression est à la mode. Je maintiens que ce sont des cons. Qui détestent la culture. Un pote à moi metteur en scène a ouvert un petit théâtre (deviendra grand) sympa, tous publics, intellos, populo, enfants, tout. Il a dit aux mecs du bistrot d'à côté : « Si vous voulez venir c'est gratuit. » Il n'y en a pas un qui est venu. Pas un en huit ans. Ils préfèrent se roter leurs ricards à la gueule,

    wââ putaing kong. Ce sont des connards. Je maintiens. Alors voilà-t-y pas que ma correspondante me dit : « Qui est-ce qui fabrique les programmes de télé ? Qui est-ce qui tient absolument à les empêcher de penser ? »

    D'accord ma poule, mais qui est-ce qui paye ? Les annonceurs. Et ainsi de suite. On ne peut pas chambouler comme ça tout le système de la télé. Ca dépend du contrat capitaliste et otut le tremblement, bon, total, on va faire la révolution, mais tu ne touches pas à ma bagnole. Ben c'est pas demain qu'on pourra illuminer la télé avec ta culture, et en attendant, je suis navré, les gens de peu sont et seront toujours pou rmoi des cons. Deuxième exemple ? Une autre collègue fait les marchés avec des marchandes prolos.

    Jusque-là tout va bien. Arrivent des touristes russes. La collègue, qui a appris le russe, se trouve toute contente de parler avec ex, de les guider dans leurs achats. Le soir, les prolotes lui disent : « T'es d'origine russe toi ? - Non, j'ai appris à l'école. » Du coup elles lui ont fait la gueule, parce que c'est une offense pour ces gens-là de paraître en savoir plus qu'eux, en fait de savoir quoi que ce soit. Et elle a rompu avec les « femmes du peuple », qui elles au moins étaient « comme tout le monde » et ne « cherchaient pas à faire leurs intéressantes ». LES DESCHIENS SONT DES CONS. ILS NE ME FONT PAS RIRE; ILS SONT TROP VRAIS, PLUS VRAIS QUE NATURE, Y EN A PLEIN DES COMME ÇA ILS VOTENT LE PEN ET JE NE PEUX PAS LES ENCAISSER.

    Allez troisième volet, encore plus grave. Les Palestiniens. « Les » - bon, certains. Ceux qui se suicident dans les bus. Si admirables n'est-ce pas, si admirés, désavoués du bout des lèvres, et encensés aux murs de certaines écoles avec le nombre de juifs – pardons, d'Israéliens – qu'ils ont bouzillés. Proposés en modèles, même aux petites filles. Il manque le portrait d'Himmler au mur : lui au moins avec ses camps de concentration, il a battu tous les records. Il est vrai que ça m'étonneerait beaucoup qu'on enseigne l'existence de la Shoah dans ces... comment déjà , « écoles »?

    Désolé, je n'ai jamais compris comment le fait de lancer des bombes sur des gosses et des femmes enceintes constituaient une méthode reluisante pour faire avancer « la noble cause du peuple palestinien ». On me parle de désespoir. « Il ne leur a été laissé que les bombes ». Ils sont humiliés. Ben moi aussi je suis désespéré. Les femmes m'ont toutes envoyé chier (du moins pour faire l'amour : mon corps, c'est de la merde) (j'ai une femme ; mais il paraît que ça doit me suffire) –

    est-ce que je prône le viol collectif pour me « venger » des innombrables gamelles que j'ai subies ? Est-ce que je leur fous mon poing sur la gueule quand je passe dans les rues ?

    Les éditeurs ont toujours refusé mes manuscrits (sauf un : il paraît que ça doit me suffire, 150 exemplaires vendus) – je ne fais pas partie des copains qui remportent les kilos de sucre- est-ce que j'ai appelé au meurtre des éditeurs ? À l'incendie de leurs bureaux ? Non, juste au boycott, dont ils se foutent éperdûment. JAMAIS le meurtre ne se justifie, quelle que soit l'intensité de l'humiliation qu'on a subie. Quel que soit son désespoir. Même si on me tue ma famille devant moi, je ne tuerai pas. TU NE TUERAS PAS. Enfin j'espère. Je me tuerais plutôt moi-même. Je me laisserais tuer, en insultant copieusement mes bourreaux (je ne suis qu'une grande gueule au sein de mes pantoufles) plutôt que de mutiler seulement un de mes semblables.

    Comment des centaines de milliers de personnes rationnelles, intelligentes, sensibles, peuvent-ils justifier, comprendre, le meurtre ? L'attentat aveugle ? Ça me dépasse. La racaille sanguinaire peut crever par paquets de mille, ça ne me fait ni chaud ni froid. Un négationniste ignare et pétri de barbarie peut se faire crever avec sa bombe, un con de moins. D'accord, aux Etats-Unis tu n'es pas d'accord avec la ligne directrice du journal tu te fais virer, mais en Algérie tu te retrouves avec une balle dans la tête. Je préfère être chômeur et vivant. Le désesppoir, je t'en foutrais du désespoir.

    Le dingue du conseil municipal de Nanterre était un désespéré lui aussi. Qu'auraient dit les braves gens du fast-thinking s'il avait été un désespéré palestinien ? Ah ! La question sacrilège ! «Ca n'est pas du tout le même chose ! C'est uen honte de faire de tels rapprochements ! » Bien sûr que je respecte la douleur des victimes, martyres de la république, mais je la pose quand même la question, je le fais tout de même le rapprochement : parce que la chose se produira peut-être un jour, quand on aura fini en France de lècher le cul aux terroristes pour éviter d'avoir des attentats sur notre territoire.

    ...Je serais curieux d'entendre les commentaires des journalistes à ce moment-là. Je serais curieux de savoir s'ils continueront à trouver admirable en Palestine ce qui serait odieux en France. Connards. Dès qu'il y a un attentat là-bas, on montre la peur des Palestiniens, « parce qu'ils vont se venger, les salauds d'Israéliens. » C'est tout de même un comble : la faute aux victimes, une fois de plus. « Israël est un état guerrier ; il ont élu des extrémistes. » Si j'ai bien compris ils devraient se laisser tous tuer jusqu'au dernier ; et s'il en restait, on enverrait les gaz ? Ça fait deux mille ans que les Juifs tendent l'autre joue. Maintenant ils se défendent. C'est ça qui fâche. C'est ça le scandale. Quand on aura créé un Etat islamiste aux portes d'Israël, qui est-ce qui ira crier au charron pour défendre les femmes voilées, les pédés lapidés, et autres joyeusetés de la charia ? Il sera bien temps de chialer, crocodiles de gauche enfin si on peut appeler ça la gauche.

    La gauche, les intelos, l'intelligentsia, voit les choses de bien plus haut que ça mon con, de bien plus abstrait : il faut s'attaquer aux causes profondes. Oui ben elles sont tellement profondes, tellement liées aux structures capitalistes ou de fonctionnement de l'humanité voire de l'esprit humain qui est pervers n'en déplaise à Jean-Jacques Rousseau et à tous ses sectataires bêlants, qu'il faudra des générations avant que ça ne change. Et en attendant, il faut encenser les assassins sanguinaires... Quand un mec tire sur la foule avec une kalachnikov, je l'arrête lui, je le juge lui, je ne vais pas accuser le vendeur de l'arme, le fabricant de poudre, le responsable du trafic d'armes entre les pays de l'est, la France (qui n'est pas la dernière)et tant qu'on y est le milieu marseillais. Les repsonsabilités se diluent, total on ne fait rien et on se lamente.

    Ah ils adorent ça les lamentations et les incantations dans le milieu intellectuel enfin autoproclamé. Je vais vous dire comment ça fonctionne : l'intello en sait plus que les autres. Et c'est vrai. On ne peut pas le nier. Il se sent supérieur, mais comme ça fait vilain, et pas démocratique, il ne veut pas avoir l'air supérieur, avec son système bien pratique pour amener la paix dans le monde. Il a découvert comme a dit Prévert « la balance à peser les balances ». Alors il demande pardon aux ignorants, il les pare de toutes les vertus. Et ce qui le fascine, lui le totalitaire refoulé, lui le despote éclairé, lui le marxiste qui a tout trouvé, c'est le totalitarisme adverse.

    Et que je te soutiens le stalinisme, et l'hitlérisme (n'est-ce pas Drieu La Rochelle, n'est-ce pas Malraux, parfaitement, qui a toujours nié avoir rencontré Doriot sur la Côte d'Azur pour discuter de la manière la plus sûre d'amener la récolution : la gauche ou le fascisme ? Parce que les fascistes aussi se disaient révolutionnaires !) - et que j'admire Mao-Tsé-Toung, et Pol-Pot, et Castro, et les Palestiniens, si désespérés, si romantiques, si gavroches, contre le méchant occupant !

    ...Avec la différence que les Résistants attaquaient des militaires, eux (ce qui arrive aussi aux Palestiniens, d'accord) , mais n'allaient pas faire sauter des bébés (notons qu'à Dresde et à Dantzig, nos chers Alliés et nous-mêmes n'avons pas hésité à le faire).

    Les totalitaristes élitistes sont paralysés, fascinés, hypnotisés par les totalitaristes de la tyrannie. Moi aussi j'ai envie d'exister, j'estime qu'il y a d'autres moyens pour le faire que de tirer à l'aveuglette dans la foule, n'en déplaise au surréaliste de mes couilles André Breton. Histoire drôle : quelle est la différence entre un enfant palestinien et un enfant Israélien ? Ben pour tuer un enfant israélien, il faut vraiment aller le chercher dans le bus qui l'amène à l'école. Si je comprends bien c'est encore la faute à ces salauds de victimes qui arment les bras de leurs bourreaux. On m'a fait croire ça toute ma vie à moi aussi toutes proportions gardées : il paraît que mes merdes, je les avais bien cherchées. C'est même le grand truc des psychiatres. Salauds d'Israéliens.

    Le Singe Vert va même vous raconter une autre histoire drôle : il apprécie vachement Sarkozy. Parce qu'il a beau interroger ses élèves, il n'y a pas une seule famille qui serait prête à accueillir chez soi un Kurde fugitif. Il faudrait les mettre dans un grand trou, ce serait le trou du Kurde – « on ne plaisante pas avec ces choses -là ! - je plaisante avec tout et je t'emmerde. » A part ça tout va bien mais ça va chier. La solution ? Que les Palestiniens soient raisonnables, et s'en aillent. Il ne manque pas de pays antidémocratiques tout autour où ils pourront exercer à loisir leur manie de la bombinette : la Libye, l'Arabie Séoudite (et non pas saoudite, ignares), la Syrie... Qu'est-ce que c'est que ces gens qui se croient déracinés dès qu'ils sont à 25 km de chez eux ? Au bout de ma rue il y a des gonzes qui n'ont pas déménagé depuis 30 ans ! Putain l'horreur ! Savoir dans quelles chiottes tu vas avoir ta dernière crise cardiaque ! Moi je voudrais bien qu'il n'y ait pas la guerre. Mais je ne suis qu'un trou du cul. Et j'ai chié, forcément. Forcément je me sens gêné. Forcément j'aimerais bien la fraternité universelle. Forcément j'aimerais bien le renversement de Bush et de Sharogne. Forcément j'aimerais bien la réconciliation générale. Et bêler tous en choeur. Et faire l'amour et pas la guerre. Et que je m'emmerde à l'avance des actualités où vont défiler pendant un an tout ce que la bidasserie a pu produire de plus con sur des chars tout neufs à nourrir trois villages du Burkina-Faso pendant une semaine. Mais défendre les attentats, jamais. Tout ce que j'ai dit, mettons que ce soit des conneries. J'en suis tout en sueur, avec un début de larmes aux yeux. Ca me gêne d'avoir écrit ça. Mais je veux exister. Alors j'excite les gens. Mais je ne crois pas que vous serez excités. Vous êtes moins cons que j'en ai l'air. Moins cons que je ne l'ai dit. Au point de vue littéraire, au point de vue philosophique, il va falloir que je fasse des progrès. Mais plus d'attentats s'il vous plaît, plus de tripes au soleil, plus de petit garçon qui se précipite sur le cercueil de son papa en hurlant sur le beau drapeau au fond de la fosse, si je vous dis que je viens de pleurer ça va faire obscène alors je ne le dis pas. CHALOM, SALAM, et puis merde...

    COLLIGNON HARDT VANDEKEEN LE SINGE VERT T. IV 50

    LA DOCTE ASSEMBLEE

     

     

     

    144. Le beau est la manifestation du divin dans le terrestre, de l'infini dans le fini.

     

    SCHELLING

     

    Ecrits philosophiques

     

    C'EST POURQUOI

     

    pour son numéro 50 d'Octobre 2002

    paraisssant en mars/avril 2003

     

    LE SINGE VERT VOUS PRESENTE LE PLUS INFECT DE SES FONDS DE TIROIRS

     

     

    - Ta gueule !

    - La porte !

    N. voit dans l'ombre une douzaine de formes enveloppées autour d'une table.

    - Fais chier !

    - Courant d'air !

    Il passe, la porte se ferme, deux fous à l'attache (des chauves, petits, hargneux, blêmes) s'aplatissent au sol. )

    Lutti désigne un siège entre deux formes humaines ; elle même, tout en rouge, s'installe vis-à-vis, de biais, les lumières montent d'un ton, les formes s'émeuvent progressivement, révélant une épaule, une main ; une tête qui rejette le voile : de longs murmures, des étirements. Des bribes de phrases,des bâillements d'hommes, de femmes. Tous se débarrassent pour finir de leurs étoffes : en tordant légèrement les épaules. A présent tous les personnages, ordinairement vêtus, se lèvent précipitamment pour disparaître par les battants du décor ; Lutti, N., se regardent par-dessus la table , et reçoivent dans les oreilles le concert solennel des chasses d'eau. Puis tous reviennent s'asseoir, très naturellement, et s'entretiennent.

    Mais chacun parle devant soi, en mélopées, mêlées de silences et de soupirs, sans paraître s'adresser à tel ou tel. Or ces mots indistincts se perdent tous dans un étang noir, c'est-à-dire la longue table vitrée qui s'étale entre eux.

    Dans son dos, trois baies basculantes donnent sur une cour cimentée, face à lui l'assemblée, alignée, têtes basses et prodigieusement lasses, entre ces bustes avachis se dressent sur le mur des plaques de marbre (douze), formant douze rectangles en hauteur ornés d'autant de demi-cercles, un dessus, l'autre dessous, soit 24 demi-cercles. Et le long du plafond une cimaise gris argent. Nous sommes par un chaud après-midi d'octobre.

    N. reconnaît face à lui Douce et Biff, dont Lutti lui a parlé : Douce au visage de plâtre rose (fond de teint), où saillent les forteresses écarlates des pommettes et la tranchée rouge des lèvres. Ses dents sont tachées de fard, ses yeux cernés de cils trop noirs, sur sa tête de Douce un amas médusien de boucles blondes au petit fer.

    A son côté rampe tout assis ce petit homme Biff à grosse tête déformée, crépuet blême, nez crochu : il formait avec Douce un couple inséparable. Il se lève, il est bossu. Ces deux personnages donnent au nouveau venu, à N., l'idée de sa propre supériorité - Lutti lui fait signe de se détromper : elle lui montre face à lui sa voisine, du menton.

    - Celle-là ?

    - Oui.

    C'est une géante, aux longues retombées de tifs roux et raides, le nez puissant, la bouche au rasoir et les yeux de serpent d'eau. « N'y a-t-il personne à qui je puisse me fier? » pense-t-il. Lutti lui fait parvenir un message plié que les autres font glisser sur la table de vitre opaque. « Méfie-toi », dit la lettre, « tends tout ton esprit », et plus bas, en démotique (στά δημοτικά) «Préfère la colère à tout autre sentiment. » Il se souvint de ce qu'ils avaient dit : " les insurgés se sont présentés à la porte aujourd'hui condamnée ; à leur tête, Djiwom,la géante rousse. Elle a vociféré en leur nom » Immédiatement LES déprédations ont commencé. Les insurgés ont réclamé un droit de regard sur « nos activités », le renvoi de Biff et la Douce, la suppression de l'Instance - comme si l'on pouvait supprimer l'Instance !

    - Nous les avons supportés une heure durant », disait Lutti. « Nous ne pouvions articuler une phrase complète : Djiwom prenait la parole, retirait la parole. Tu verras comme elle est silencieuse. Elle digère son fiel : à présent, elle siège parmi nous, les sentences de la Géante figurent parmi les plus sévères. Il est bien question d'insurgés ! Elle te fera des ouvertures d'amitié‚ dont tu pourras tirer profit si tu sais garder la mesure."

    A côté de Lutti encore et de biais face à lui figurent deux autres femmes en parfait contraste : Noffe, la plus âgée, minuscule, en bleu cru, fourrage sa tignasse d'une main, curant de de l'autre ses dents sales avec une allumette au bout pointu ; son visage tiré vers le nez évoque le museau des rongeurs, où deux petits yeux myopes (μυ – οψ, « regard de la souris ») - fixent le vide avec inquiétude. Et ses mandibules sont agitées d'un exaspérant mouvement de grignotage.L'autre femme, grande blonde aux langueursde lionne, porte au cou trois rangs de rides concentriques où serpente un collier d'or : Séphora, opposée dès le début aux insurgés ; ses longues phrases égales disparaissent puis reviennent à la surface, et le silence revient juste après qu'elle a parlé.

    Mais bien qu'il tende l'oreille, N., pas plus que les autres, ne parvient à comprendre ses propositions aristocratiques. Le flux des voix la couvre encore sans qu'elle ait daigné y prendre garde.

    Ce que dit Séphora – ce qui s'est passé la veille :

    Noffe « Souris Bleue » avait obtenu par ses cris suraigus l'admission de la Géante au sein de l'assemblée, pourvu qu'elle renonçât au soutien des insurgés ; la reconnaissance publique auréole visiblement ce couple disparate.

     

    Retour au temps présent

    ... Fermant la longue table à l'opposé N. reconnaît le maître des lieux, flanqué des deux fous (ou « bouffons ») à l'attache : Maître Luhács (« Louhatch »), froid, hiératique, mains à es à plat sur la table translucide, il fixe le vide.

    Premier bouffon, ou fou : un paysan vosgien puissamment taillé, cheveu ras, tête étroite et longue – dolicocéphale. Les tics le ravagent : mains, avant-bras ; la bouche qui se fend, l'haleine qui flamboie, indépendamment d'autres tics de l'oreille, du larynx. Face à lui la folle, tailleur gris perle, les yeux pétillants de méchanceté niaise ; sa tête minuscule assiégée d' « anglaises » tic-taque sans cesse du Maître à l'Assemblée, de l'Assemblée au Maître. « Chaffa » est son nom. La folle et le fou se font des niches sous la table ; il faut pour cela passer par-dessus les genoux du Maître. « Méfie-toi de Luhac », a dit Lutti. « Il n'a pas son pareil pour jeter bas les flatteurs. Il ne croit pas à l'amitié mais tous le recherchent. Il est en relation avec l'Instance. »

    N. avait demandé ce que c'était que l'Instance. « Nous dépendons tous » avait dit

    Lutti « d'une Autorité qui règle nos départs et nos entrées. Celui qui vient ne peut plus se repartir sans notification expresse de l'Instance.

    Personne ne sort d'ici ?

    - Personne ne sort.

     

    Nouhaut (tel est son nom) a évoqué par plaisanterie la possibilité d'intrigues en vase clos : « C'est un conclave mixte », dit-il. « Ces intrigues existent », lui dit Lutti. Nouhaut a demandé à Lutti si ce n'était pas elle, l'Instance. « Autrement, dit-il, comment vais-je pouvoir m'introduire dans cette Docte Assemblée ? » Lutti a répondu qu' « il y a[vait] des voies parallèles ». L'entretien préalable s'était déroulé dans un salon attenant, tout en cuir, communiquant par uen porte aux bâtiments carcéraux ; Nouhaut ne se souvient plus à présent qu'il y ait un monde exté rieur, à supposer qu'il y ait vu le jour. Il a compris qu'on l'introduisait dans un monde plus clos encore, où il lui faudra observer, manoeuvrer. Quelle improbable intervention extérieure peut-elle donc l'ébranler ?

    Toutes les imaginations antérieures de N. (« Nouhaut ») se résument ainsi : un héros, fraîchement libéré, extrait de son champ clos, introduit par une femme, doit affronter quelque nouveau Monarque en son nouveau champ clos, mais, inmmanquablement, échoue ; le monde s'écroule, et le héros sombre, inévitablement, dans la folie- qu'il s'imagine originelle. Notre héros sort de ses réflexions : « Echec au Monde » dit-il à mi-voix – personne ne l'entend, mais il se souvient de l'avertissement « Luhac met à profit tous les faux-sens. Garde-toi des paroles à double portée. - Je te promets de me taire ; mais j'aimerais gagner cette fois ». Il n'a pas tenu parole. Il repasse dans sa mémoire les péripéties de l'entretien ; Lutti se tenait bras écartés,

    jambes croisées, livrant la poitrine et fermant le sexe ; ce jour-là son ensemble rouge se détachait sur le canapé de vrai cuir. Il pensa qu ' « un jour [il] lui ferai[t] croiser les bras et ouvrir les cuisses ».

    A présent il ne quitte plus des yeux Luhacs qui le regarde précisément ; mais il n'en est pas ému, car les yeux morts du Maître percent sans les voir les objets qu'il contemple ; ainsi Luhac fait-il le tour de la table, tandis que de part et d'autre Chaffe et Souvy, les deux bouffons, se houspillent en feignant l'hilarité.Quand il les a secoués de lui, ils se tiennent alors de part et d'autre froids et raides. Luhac prend la parole, et tous se tournent vers lui :

    Que veulent les insurgés ? dit-il ; « nous renverser. Mais, que proposent-ils? rien qui vaille. »

    Nouhaut note : voix mesurée, nasale mais très claire. « Notre pouvoir, nos connaissances, l'étendue de nos attributions ne sauraient se partager ni se transmettre au demi-monde des Moyens-Courriers ou de leurs protégés, le peuple.

    A ces mots une exclamation d'extrême dégoût parcourt l'assistance.

    « Nous avons su adapter nos énergies à des pensées nouvelles, par le système bien appliqué de la cooptation. Permettez-moi de remercier M. Nouhaut de s'être joint à nous. » Murmure d'approbation. Les têtes pivotent dans sa direction. Il se demande pourquoi il n'est pas fait mention de Lutti. L'Assemblée s'attache de nouveau à Luhac. Lutti imite en tout leurs mouvements.

    « Ils aspirent au savoir » poursuit le Maître. « Ils appellent cela "démocratie" ; or les Barbares ne manquent jamais de l'emporter. Du moins faut-il en retarder le plus possible l 'avènement, afin que par la suite ils s'inspirent de nous. Quatre cents ans séparent Marc-Aurèle des Burgondes. » Un voile d'ignorance passe sur les yeux de l'assemblée ; Lutti baisse les yeux. Dan l'impossible extérieur ( ou « lointain ») Nouhaut perçoit le brouhaha d'une multitude déterminée. Les autres l'entendent-ils ? « Une seule fois » reprend Luhacs, « nous avons enfreint nos lois »

    Il se passe la main sur la barbe). « C'est pour cettte femme » - son doigt se pointe sur Djiwom (N.B. : géante rousse ) « que nous avons ouvert la première brèche. » Douce proteste que la Géante « [leur] est plus dévouée que quiconque ». La Folle s'exclame grossièrement : Djiwom serait « le ver dans le fruit » (rappel : le nom du clown femelle est « Choffa »).

    Luhac poursuit son discours monocorde. Sans élever la voix, il énumère ses griefs: Djiwom ne présenterait aucune des garanties exigées des membres les plus anciens ; il serait à prévoir qu'après cela bien d'autres viendraient inconsidérément altérer la composition ou les décisions de l'Assemblée ; «  il est pour le moins irréfléchi que d'aucuns se soient cru habilités à investir un inconnu de privilèges mal justifiés » - tous regardent Nouhaut, puis Lutti, puis Nouhaut.

    «D jiwom » poursuit le maître « s'est immiscée parmi nous à la faveur d'un climat insurrectionnel instauré peut-être justement par ceux-là même qui l'ont installée sur ce siège. Il n'est jusq'à sa récente conversion aux vues de l'Assemblée qui ne doive exciter d'autant plus la défiance. Elle a berné la loyauté des siens. Elle n'hésitera pas à duper son second camp. » Un ton plus haut, vers Souris Bleue et Séphora aux colliers d'or : « Vous

    avez disputé devant moi pour introduire cette Géante Rousse : elle n'est pas de notre race. »

    Noffe redresse son faciès de rongeur. Elle a repoussé son siège, prenant appui d'un bras sur la table, secouant l'autre comme une possédée. Elle braille, la Noffe : « Le peuple a besoin d'instruction ! il doit savoir où on le mène ! ...Qu'on lui donne des livres ! »

     

    X

     

    Trois semaines plus tard, N. (Nouhaud) demande à Lutti, son instructrice :

    - Et Luhac ?

    - Il ne pouvait plus ouvrir la bouche ! dit-elle. Les vitres volaient sous les jets de pierres ! C'était un vacarme à ne plus s'entendre !

    - Avez-vous résisté ?

    - Nos gardes se seraient faits tuer ! ...Noffe (« Souris Bleue ») disait encore : « Notre systŠme est pourri ! Luhacs détient tout le pouvoir ! Au nom de quoi ? " Les autres autour d'elle protestaient :

    «  - L'Instance ! L'Instance !

    «  - Qu'est-ce qui le prouve ? Criait-elle.

    «  - Pas besoin de preuves !

    «  - Ignorants ! hurlait-elle. Plus nuls que les Extérieurs ! «  Elle proposait de voter, de destituer Luhacs, de « régénérer nos institutions... »

    Retour au temps présent

    Luhacs poursuit : « ...Et vous aussi, Séphora, êtes devenue hautement indésirable au regard de l'Instance...

    - Des preuves, dit Biff (les bouffons, mâle et femelle, négligent d'aboyer.)

    ...vous nous avez défendus, Séphora. Vous avez certes préservé in extremis le Savoir de l'invasion des masses ; mais sur un ton si mesuré, que l'on y décelait de l'ironie Parfaitement. C'est vous qui avez suggéré cette demi-mesure » - sa voix se fit suavement méprisante – prétendûment démocratique, et véritablement détestable, d'admettre Djiwom-la Géante au Conseil : « Prendre la tête » disiez-vous, « jeter le corps" – à présent, c'est votre tête que réclame l'Instance. »

    Lorsque Luhac se tait, sans avoir de beaucoup élevé la voix, il se fait un instant de silence. Séphora intervient brusquement, voix sifflante. Elle se lance du haut de ses colliers dans une longue et sincère dissertation, portant fréquemment la main à son cou ; elle a toujours eu l'intime conviction que les Masses tireront le plus grand profit de l'Instruction ; cette dernière cependant ne doit leur être fournie que très progressivement, eu égard à leur abrutissement, à leur turbulence, « dont nous pouvons encore percevoir les chocs et manifestations extérieurs ». Il lui est encore apparu judicieux que « les plus libéraux de Notre Aréopage » et « les plus évolués de « ce qu'il est convenu d'appeler « le Peuple » - joignent leurs savoir-faire afin de mettre en oeuvre quelque « injection homéopathique » de la culture dans l' « organisme populaire ».

    «Rien ou presque n'a été jusqu'à présent initié, mais je ne désespère pas que la collusion de la droite progressive et de la gauche modérée n'entraîne une " évolution significative de la conjoncture" - « Faites-la taire !» hurle Souvy, le Fou Vosgien. Mais l'inexpressivité de Luhàcs tourne à la performance – tandis qu'une hilarité nerveuse gagne l'assistance. Lutti elle-même, l'Introductrice, cligne de l'oeil, Nouhaut croit donc pouvoir sourire. Djiwom prend la parole, Nouhaut trouve le temps long, les autres se grattent le corps ou jouent avec leurs mains, la Géante a de larges épaules, un regard bleu pâle sans un cillement, la mâchoire agitée, la voix rauque ; le

    buste droit, les bras sans expression - Nouhaut dessine une petite carte de son invention, avec des fleuves, des rivières, des routes et même une capitale.

    Lutti lui passe à travers la table un papier plié, le papier dit «  A la première pause

    je me mets à côté de toi", à quoi Nouhaut répond « Djiwom a un dentier, elle croit que ça ne se

    voit pas », Lutti répond "Elle s'en sort bien, la vache. "

    Nouhaut dit à mi-voix : « Lutti – malgré tes cinquante ans – tu gardes tes yeux de braise ».

    Il a parlé à ras de table. Le son s'est propagé à merveille. Noffe Souris-Bleue se dresse pour mettre en valeur sa petite taille. Elle commence. Tout le monde se tasse au fond de son siège. Luhàcs la fixe. Elle a des sourcils très touffus. Lutti dit à son protége qu' « [il] n'[est] pas là pour regarder les femmes. » Elle lui enjoint de préparer son intervention. N. (Nouhaut) regarde à droite, à gauche, effaré : des têtes s'inclinent, des signes s'échangent. Souris-Bleue se défend avec énergie. Son petit museau se plisse et se déplisse. Elle parle de Droits de l'Homme, personne ne l'interrompt. Soudain Nouhaut :

    « Crois-tu qu'il faille donner de l'instruction à tous ? »

    Bien sûr répond Lutti ; comment penser autrement ?

    Mais ce sont des Barbares ! (interruption de Biff, qui a intercepté le message suivant, sur un papier plié : Les Barbares sont toujours vainqueurs ».

    Nouhaut, à Lutti : CE N'EST PAS L'INSTRUCTION QU'ILS VEULENT, C'EST LE POUVOIR. Supporterez-vous plus longtemps Luhàcs ?

    « C'est pourquoi poursuit Souris-Bleue qui n'a pas été interrompue nous devons leur accorder les moyens d'uen vigoureuse et définitive organisation », elle se rassoit.

    Or Nouhaut tient devant lui une feuille parfaitement vide. Tout le monde rit, c'est la première fois. Le décor, lui, demeure immuable : des carreaux de marbre noir veiné blanc, plaqués au mur.

    Biff : Fasciste ! Niais !

    DOUCE, outrageusement fardée : Débat dépassé ! Regarde ses yeux : plissés, ou déplissés ? Sa bouche : vers le haut, vers le bas ?

    NOUHAUT, change d'avis : Lukàcs, tu est le meilleur. Tu racontes des histoires drôles, tu profères d'excellentes férocités, tu connais chacun de nous...

    BIFF : Il l'a appris par cœur !

    DOUCE, outrageusement fardée : Il n'y avait rien sur sa feuille !

    SOURIS-BLEUE : ... et la politique extérieure ?

    LUHACS ne manifeste aucune émotion. SEPHORA, par-dessus ses colliers, le considère avec angoisse.

    NOUHAUT : ...C'est pourquoi nous nous en remettons en définitive – à toi, ô Lukàcs, quelles que puissent être tes imperfections, comme ils disent. Nous tiendrons tête pour l'éternité, si c'est toi qui nous guides.

    Murmures désapprobateurs.

    LUHACS se lève. CHAFFA et SOUVY (deux bouffons) se soulèvent aussi, la sottise est sur leurs visages.

    CHAFFA, voix précipitée, mains en grappins sur les seins : Nos livres ! Ne touchez pas à nos livres !

    SOUVY, crétin des Vosges, menaçant : Le savoir ! Le savoir au peuple !

    LUHACS : Wechselt ! « Changez... »

    SOUVY, docile : Le pouvoir – à ceux qui en sont dignes !

    CHAFFA, secouant la tête : Brûlez tout, tous les documents, le chef et les bibliothèques ! Brûlez !

    (Chantant ) Power to the people !

    LUHACS, remontant sa cravate : Vous êtes grotesques. Voyez combien les révoltés vous trompent. Ils ne sont pas malheureux. Mettons un frein à la démagogie. Tout peuple est rebelle au savoir. Ou il ne serait pas le peuple.

    SEPHORA, se rengorgeant : Tout de même, le niveau général de culture...

    CHAFFA : Ta gueule.

    SEPHORA : Tout vaut mieux que...

    SOUVY, crétin des Vosges : Ta gueule.

    LUTTI, en rouge, se levant : Je ne comprends pas le poids de ces bouffons.

    BIFF : Que pensez-vous du concept d'épuration ethnique ?

    LUHACS : Je m'en contrefous.

    DOUCE (outregeusement fardée) et BIFF se consultent.

    DOUCE : Si je comprends bien, le style hésite entre satire et psychologie.

    LUTTI : Exactement. Les personnages manquant d'épaisseur, tout ce qu'on peut retenir – en dernière analyse – est ce désastreux discours en faveur du chef.

    NOUHAUT se rengorge. A tout hasard.

    BIFF : Et les types qui gueulent là dehors, pour la liberté d'expression ?

    SEPHORA : C'est du décor.

    Une vitre vole sous un pavé.

    SEPHORA : Trucage.

    DJIWOMM, Géante, Rousse :Permettez, permettez...

    CHAFFE et SOUVY : Ta gueule.

    SEPHORA : Et puis j'en ai ma claque de ces colliers de chair.

    LUHACS : Ne baissez pas les bras ! L'essentiel, je vous le révèle : nous sommes enfermés à clef. Le but n'est pas d'en savoir la cause.

    DOUCE et BIF : Ah si ! Ah si !

    LUHACS : Bon, ben, plus tard.

    NOUHAUT : Sous la culture, on voit la plage.

    LUHACS : Nous saurons tout bien assez tôt. Pour en sortir, vous devez me juger – m'éliminer.

    CHAFFE et SOUVY : Ta gueule.

    LUTTI : C'est malheureux tout de même qu'on ne puisse pas ouvrir la bouche sans que...

    CHAFFE ET SOUVY prennent un air menaçant. LUHACS s'interpose : ils baissent les yeux. LUHACS invite LUTTI à poursuivre, elle fait signe qu'elle a terminé.

    LUHACS : C'est à vous, chers collègues...

    TOUS : « Collègues » ???

    LUHACS : ...qu'il appartiendra de déterminer, en votre âme et conscience...

    Coups vifs à la porte.

     

    DEUXIEME TABLEAU (le premier, c'était avant)

    NOUHAUT est pris d'un rire nerveux.

    BIFF : Vous voyez bien, qu'on peut entrer.

    SEPHORA : Cette nouvelle intrusion...

    CHAFFE et SOUVY se dressent au bout de leur chaîne, SEPHORA se tait, entre LE

    BALAYEUR. Noir, avec un balai de plastique vert. Avec lui PAQUITA, les yeux noirs, le profil aquilin ; elle fixe LUHACS d'un air féroce.

    NOUHAUT la reconnaît.

    TOUS : Mais c'est NGWADJA, le balayeur !

    « On n'a pas tous les jours l'occasion de se fendre la gueule. »

    NGWADJA désigne sa compagne de la main ouverte. Il s'exprime dans un français impeccable, avec un accent des bords de la Loire :

    Je suis sorti de la prison de Sarreguemines.

    NOUHAUT, à part : Que fait ici cette femme que j'ai tant aimée ? ...S'ils ont libéré cette femme, c'est que tous ceux que je vois autour de cette table sont fous ; assassins, ou assassins devenus fous... (à haute voix) Tant pis... (Tous le regardent).

    NGWADJA : Luhàcs vous le dit : il faut le croire. Il faut le renverser. Luhacs ne demande que cela. Et d'autres tomberont avec lui.

    NOUHAUT, à part : Pourquoi me regarde-t-il ?

    NGWADJA : Voici le récit d'une tromperie ; d'une séduction ; d'un viol. (désignant PAQUITA) Elle ne connaîtra pas le père de son enfant.

    NOUHAUT, à part : Et l'éducation du peuple ? Qui se soucie désormais de l'éducation du peuple ? ...L'infirmière-chef ne s'est même pas dérangée en personne...

    NGWADJA, solennel : Le père, c'est lui (il désigne LUHACS) ou lui (il désigne NOUHAUT).

    NOUHAUT crie : Je n'ai jamais touché cette femme !

    PAQUITA : ...mais tu l'aurais bien voulu.

    NOUHAUT : Comment s'appelle ton enfant ?

    PAQUITA : Nicolas.

    NOUHAUT approuve de la tête.

    NGWADJA crie : Il sait son nom !

    LUHACS : Et moi alors ?

    SOUVY, crétin des Vosges : Ta gueule. Tu es un personnage incohérent, à qui personne ne s'identifie.

    SEPHORA, du haut de ses colliers, à NGWADJA : Vous parliez d'un viol...

    BIFF : C'est bien la première fois que tu vouvoies un Noir.

    PAQUITA : Parfaitement. Séduite et abandonnée.

    DOUCE, du fond de ses fards : C'est bien le moment d'avoir l'accent espagnol.

    NOUHAUT, à part : Tout ça ne me dit pas ce que je dois faire de l'éducation du peuple...

    PAQUITA rectifie avec aigreur : Catalan. L'accent catalan. (Désignant LUHACS du doigt) « C'est lui. »

    LUHACS se montre ravi.

    NGWADJA, appelant derrière lui : Les demoiselles de Luhàcs !

    Une demi-douzaine de jeunes personnes, de 16 à 26 ans, se répartissent autour de la table, chacune derrière un membre de l'Assemblée.

    NOUHAUT : Apparemment, aucune n'est enceinte.

    DES MANIFESTANTS, dans la rue : Ins-truc-tion ! Ins-truc-tion !

    LUTTI, en rouge : Ça ne vaut rien. Depuis le début nous hésitons : registre mystique, documentaire, pamphlet – partout, partout, la même superficialité. A présent nous en sommes au vaudeville. Même pas trace d'humour juif.

    NOUHAUT, d'un ton coupant : Je ne suis pas Juif.

    LUTTI : ...ni pédé...

    NOUHAUT : Non plus.

    LUTTI : Comment voulez-vous qu'on s'y retrouve ?

    LUHACS : Mais de qui parlez-vous ?

    Silence consterné.

    NOUHAUT découvre que son siège est pivotant.

     

    Troisième tableau

     

    Fondu au noir. Tout le décor disparaît. NOUHAUT seul dans une cellule d'asile, au pain et à l'eau. Sur les murs les portraits de toutes les femmes précédentes, jeunes ou moins jeunes. NOUHAUT se lève, parle silencieusement à chacun de ses portraits, se rassoit pour écrire fébrilement dans un grand carnet de cuir rouge.

    NOUHAUT : Toutes enceintes... et de LUHACS... « ...Une salle aux marbres gris, avec sa longue table en bakélite.

    « Mesdames, Messieurs – Considérez la richesse de coeur que c'est – d'avoir si souvent senti ce pincement de coeur, cette électricite subtile autour de l'occiput – dans les commencements de l'amour.

    Protestations furieuses de voix féminines en coulisses.

    NOUHAUT, devant le portrait de CHAFFA, la bouffonne : Je t'ai connue jeune et désemparée, j'ai su tout ce que tu cachais, avec la plus grande précision. Tout ce que tu vivais. J'aurais aimé vivre avec toi, dès le début de la vie.

    Mais dès qu'elle prend de l'assurance, une femme cesse de m'en imposer.

    Petit à petit les personnages font leur entrée dans la cellule, en silence, et s'accroupissent le long des murs.

    BIFF, à mi-voix : Nous perdons notre temps.

    DOUCE, outrageusement fardée : nous entendons des choses – que nous ne devrions pas entendre.

    LUHACS, voix feutrée : Rien- de tout cela – ne saurait m'ébranler. (Raffermissant sa voix) En conséquence, et en vertu des pouvoirs qui me sont conférés... J'expulse toutes les grandes gueules : Séphora (elle se lève) , Souris-Bleue (même jeu).

    SOURIS BLEUE : Nous avons pourtant fait tout notre possible.(Exit)

    LUHACS : Djiwomm la Géante (Djiwomm se lève)

    SEPHORA : La dictature est inexpugnable.

    DJIWOMM : Démerdez-vous. (Exit)

     

    Quatrième tableau

     

    Le décor pivote. Un amphithéâtre se découvre soudain. Le peuple occupe tous les gradins. (On peut aussi plus simplement inverser les éclairages, le public jouant le rôle du peuple. ) Bruits de gorges, raclements de pieds, un ou deux applaudissements dérisoires.

     

    LUHACS : Le voici donc, ce peuple que je repoussais. Il s'apprête à rugir – ou à se taire...

    SOUVY, crétin des Vosges : Sire, ils ne sont pas armés.

    LUHACS : Ont-ils payé leurs places ?

    SOUVY : Qu'est-ce qu'on fait ? Qu'est-ce qu'on fait ?

    LUHACS : Chers amis, bonsoir !

    LE ¨PEUPLE : Ta gueule !

    Deux femmes dans le public agitent les bras, tendant des papiers.

    LUHACS : La question ne sera pas posée.

    UNE FEMME : Comment vous représente-vous une forêt ?

    LUHACS : Haute, claire, les troncs bien espacés. De beaux sous-bois, couleur orange.

    NOUHAUT : Touffue, pleine de ronces. Infranchissable.

    TOUS LES ACTEURS se regardent avec uen gêne extrême. On entend « Qu'est-ce qui lui prend ? » - « Ce n'est pas à lui de parler » - etc.

    BIFF : Il va tout foutre par terre.

    CHAFFA, à voix basse : Ta gueule.

    Scène muette. LA FEMME et LUHACS échangent questions et réponses en mimiques. NOUHAUT les observe et prend des notes, fébrilement, sur un registre entre ses genoux.

    LA FEMME, depuis le public : Vous voyez une clef sur le chemin.

    LUHACS : Je la fourre dans ma poche.

    LA FEMME : Sans savoir à qui elle appartient ? Sans chercher une maison, une porte qu'elle pourrait ouvrir ?

    LUHACS : Rien à foutre.

    NOUHAUT : Bien dit.

    LA FEMME : Vous rencontrez un lac. Que faites-vous ?

    LUHACS : Je plonge. Je nage le plus longtemps possible. J'aménage une piscine, des courts de tennis, un hôtel – et des golfs.

    NOUHAUT, soulignant rageusement : Il ment.

    LA FEMME : Vous rencontrez, au milieu du chemin – un lion.

    LUHACS : Je l'hypnotise, et je passe.

    NOUHAUT, face au public : La question est mal posée. Elle ne spécifie pas si le lion dort, ou non. S'il vous voit, ou s'il ne vous voit pas. S'il dort, je le contourne, à pas de loup, de très loin. S'il ne dort pas, j'effectue le détour le plus long possible, fût-ce à travers les fourrés les plus épineux.

    BIFF : Le lion symbolise les responsabilités. Monsieur Luhàcs (il salue obséquieusement) ne manifeste quant à lui aucune lâcheté – ni aucune témérité – affrontant le fauve à mains nues : c'est l'arme la mieux appropriée.

    Applaudissements d'abord du public, puis de la Docte Assemblée. NOUHAUT fait seulement semblant.

    LA FEMME, du public : Vous affronterez un mur, immensément haut, immensément étendu de part et d'autre, infranchissable.

    NOUHAUT : Je le scrute ; pierre à pierre – chaque mousse, chaque insecte.

    LUHACS : Je le franchirai, quelles que soient les impossibilités.

    Nouveaux applaudissements.

    LUTTI : Le mur, c'est la mort.

    NOUHAUT saute sur ses pieds : Vous assistez à une imposture. Ce public ne devrait pas se trouver ici mais devant sa télé ! Jamais il n'a été question de faire appel à vous ! Puisque c'est noue qui décidons de tout, entre personnes compétentes. Ce n'est pas vous qui avez conféré à LUHACS des pouvoirs exorbitants. Ce n'est pas à vous d'y mettre fin !

    UN HOMME au premier rang : C'est nous qui avons installé Luhàcs.

    NOUHAUT : Et l'Instance ?

    LE PUBLIC : A bas l'Instance !

    « Il n'y a pas d'Instance !

    «  Ta gueule !

    « Pourri ! ... Fumier !...

    «  Pourquoi qu'on a chassé les vieilles ?

    LA FEMME : Pourquoi tant de femmes ?

    L'HOMME : Les vieilles possèdent la sagesse ! Les vielles connaissent toutes les solutions !

    LA DOCTE ASSEMBLEE se tord de rire, sauf LUTTI et NOUHAUT. NGWADJA fait un signe : les jeunes femmes s'en vont, les vieilles prennet leur place.

    DJIWOMM, au peuple : Peuple ! Nous aussi nous avons été belles, et silencieuses. Mais, pas plus alors qu'aujourd'hui, personne ne nous a accordé d'exhiber nos véritables personnes. Je vous renvoie aux Ecritures.

    Elle se rassoit.

    SOURIS-BLEUE : Vous... et puis merde. (Semblant reprendre un fil)Vous êtes tous là à vous foutre de moi sous prétexte que j'ai réussi malgré moi.

    SEPHORA : En dépit de ma méfiance antérieure, j'accepte d'être prise à parti par le peuple.

    NOUHAUT : Bénissons la présence du chef, Coordinateur sans précédent, sous la férule duquel a prospéré la Caste des Flamines. Jamais de tels rôles n'auraient dû s'inverser ! Haute trahison du destin ! (Premières huées) Ecoutez ! (Solennel) C'est l'histoire du Belge qui encule un travelo, il passe sa main par-devant et dit : Merde, je l'ai transpercé, une fois ! »

    LUTTI affiche un air écoeuré. DOUCE, outrageusement fardée, et BIFF, admiratifs.

    LE PUBLIC, prononçant à la con : Le – veaute ! Le – veaute ! (Meuglements)

    NOUHAUT : Etes-vous français ?

    LE PUBLIC : Yes we are !

    NOUHAUT : Le vot-tt-te sera donc effectué par nouzigues ici présents biscotte vous valez que dalle et que j'me tape du vote popu comme eud'ma première branlette !

    Il lève le bras flappi de LUHACS

    SEPHORA : Jamais l'Instance n'avalisera un tel changement de cap.

    NOUHAUT : Fais chier avec l'Instance !

    Vote, ramassage, dépouillement. BIFF et BLONDE, outrageusement fardée, scrutateurs. LUHACS réélu à l'unanimité moins un blanc.

    NOUHAUT : Au nom de la pitié qu'inspirent l'enflure et le pouvoir déchu, je proclame LUHACS réélu !

    VOIX OFF (Haut-parleur venu des cintres) : Ici l'Instance... Ici l'Instance... Vous vous payez Ma Très Sainte Tête... Réélire LUHACS est contraire à tout ce qu'il y a de plus honnête en Moi... La Démocratie n'a pas de soutien plus actif que l'Instance... La Fraternité...

    Hourvari généralisé. Hurlements de rire.

    VOIX OFF DE L'INSTANCE : ...l'Antiracisme, c'est Moi ! L'Anti-émeutes, c'est Moi.

    Tous se regardent épouvantés.

    DOUCE, outrageusement fardée : C'est la voix de NOUHAUT !

    SEPHORA : Il fallait s'y attendre.

    DJIWOMM : Pas du tout.

    VOIX DE L'INSTANCE : Je proclame élu NGWADJA, Noir et Balayeur ! Approche, brave négro, toi y en a pas peur – présentez... balai !

    LE ¨PUBLIC : Non ! Non !

    CHAFFE et SOUVY, bouffons, traînent le Noir sous l'œil vertical du haut-parleur à présent descendu des cintres.

    SEPHORA : Un Noir, soit ; mais un balayeur !

    BIFF : Un inconnu !

    DJIWOMM : Un non-diplômé ! (Elle se mord les lèvres – trop tard...)

    LUHACS : Je m'empresse de m'intéresser à tout, de peur de l'intéresser à rien !

    BIFF : Il se réveille...

    VOIX DE L'INSTANCE : Je vais tous vous mettre d'accord...

    Tous se tassent les uns sur les autres, côté jardin. L'INSTANCE EN PERSONNE descend les marches de la cabine de régie. Il ressemble au Bonhomme Michelin.

    DJIWOMM : Je ne le voyais pas du tout comme ça.

    SEPHORA : Ne m'en parlez pas ma chère, je croyais que ce n'était qu'une voix.

    LUHACS tente un bras d'honneur, puis se raffaisse. Absence totale de réaction dans le public.

    L'INSTANCE : Ben alors ?

    L'INSTANCE se débarrasse de tout son attirail boudinant. Il est exactement semblable à quelqu'un dans la rue. Il regagne les coulisses.

    51

    204. Déployez votre esprit, mais ne servez pas d'amusement aux autres ; car sachez bien que, si votre supériorité froisse un homme médiocre, il se taira, puis dira de vous : “Il est très amusant !” terme de mépris.

     

    BALZAC

    “Le Lys dans la vallée”

     

    Le Singe Vert vous présente certains de ses numéros de clown favoris.

    I LES FEMMES

    II L'EDUCATION NATIONALE

    III LE FASCISME DE BASE

    Il ne croit pas un mot de ce qu'il dit. Ou plutôt, il sait qu'il ne fait que le croire. Que la vérité, comme la Vraie Vie, est ailleurs. Et que (Dieu merci) – jamais il ne convaincra personne. C'est pourquoi il ne se gêne pas. Estimant qu'il a passé son indigne existence à se faire ignorer, piétiner, mollarder, il ne se sent tenu à aucun, mais alors absolument aucun respect pour qui que ce soit, surtout pas pour ses lecteurs. Qui d'ailleurs ne payent rien, et reçoivent sa revue ou son torchon à travers la gueule sans l'avoir demandé. Ce que le Singe Vert ne supporte pas, c'est de se voir refusé, ou agressé, alors qu'il agresse les autres. Ce n'est pas logique, mais je vous emmerde.

    Penser que des connasses se sont permis de le menacer de poursuites pour agression, en découvrant – quel scoop ma mère ! - que cette publication était “nulle” et “vulgaire” (la nullité, que je sache, et la vulgarité, n'ont pas encore été cataloguées par nos chieuses de vertu au rang de délits d'Etat, si tous les nuls vulgaires étaient en taule ça ferait du monde) le jette, lui le Singe Vert, dans des rages billieuses. Ce qui l'exaspère encore, c'est l'appel à la logique : pourquoi veut-on à tout prix que je “veuille en venir” à quelque chose, que je “propose” quoi que ce soit, que je “serve” tel ou tel projet ?

    La seule réalité, c'est la mort. Un jour je crèverai, tu crèveras, il crèvera. Et en attendant, le Singe Vert s'agite et pue. Rien de plus banal vous voyez. Mais tous ceux qui se demandent pourquoi le Singe Vert ne ferme pas sa gueule au lieu d'être ordinaire s'agitent eux aussi, au nom d'idéologies ou de larmoiements bien casse-couilles, et n'ont en fait en tête que le projet commun à tout individu de cette putain d'humanité, moi y compris : écraser l'autre, le réduire au silence, en faire son clone ou son “paillasson admiratif, en dépit de toutes ses dénégations. Ce que je veux ? Faire du bruit, semer sa merde, le tout minuscule, en attendant que ça passe. Il paraît que je fais la leçon en détestant les donneurs de leçon. Dont acte.

    Je répète. Ceux qui ont tout compris, je les emmerde.

    Quant à la vulgarité, voici : au commencement, j'étais vulgaire. Je me suis fait rejeter, normal. Je me suis donc mis à la correction. Je me suis fait rejeter. Alors maintenant je suis vulgaire et banal, et bitte, poil, couilles. Très, très banal.

    Ceux qui n'ont rien demandé, ils font comme avec les papiers de pub : direct poubelle. Ou un petit mot de refus, de ceux qu'ils ne se fatiguent jamais à faire pour les entreprises à pub, parce que celles-là, elles sont normales, elles cherchent à vous soutirer de l'argent. La seule chose que le Singe Vert aimerait vous soutirer, ce sont les timbres. Die Briefmarken. Sells. On y va ? Tournez la page. Alors les femmes coco. Croco. Je lis dans le sacro-saint Télérama, rubrique “Courrier des lecteurs” - la plus passionnante : “Où sont passés les hommes ? Ils n'osent plus vous aborder. Ou alors la grosse drague “Tu viens pour le week-end” ? Moi je préférerais tomber amoureuse. Depuis la libération de la femme, je suis toute seule. On en est réduites à draguer nous-mêmes” et autres larmoiements.

    Ma grande, je vais t'expliquer. Depuis qu'on dit aux hommes qu'ils sont emmerdeurs, qu'ils sont chiants, qu'on voudrait bien pouvoir se promener tranquillement dans la rue ; que les mecs c'est tous des violeurs, des tripoteurs de petites filles et des machos qui tapent sur leurs gonzesses. Depuis que des traîtres comme Renaud prétend que nous sommes des manieurs d'armes à feu, des toreros, des guerriers, des SS et j'en passe, eh bien nous nous écrasons, nous nous les écrasons. Je ne vois pas l'intérêt à se faire insulter ou frapper à coups de sac à main dans la rue. Si tu abordes une femme, mon mec, tu risque de te retrouver en prison (harcèlement). Si tu la touches, évidemment – attouchements.

    N'oubliez jamais mes frères le programme des connasses :

    PLUS DE PROSTITUTION

    PLUS DE PORNOGRAPHIE

    PLUS DE SODOMIE

    PLUS DE FELLATION

    PLUS DE PENETRATION

    PLUS D'ERECTION

    FICHAGE DE TOUS LES MECS A L'ADN

    CASTRATION DES GARÇONS A LA NAISSANCE PAR PRINCIPE DE PRECAUTION.

    Vous aurez compris bien entendu que dans les 5 premières propositions, “plus” se prononce [plü], et qu'il s'agit d'abolir, non d'augmenter. Alors pas de quartier. Il n'y a que l'avant-dernière proposition qui m'agréerait : le viol me fait horreur, les types qui font ça ne sont pas des hommes, ils contribuent à détruire l'image du mec – mais comment veut-on abolir le viol et en rester, Mesdames, à la mentalité du XIXe siècle ? Vous haïssez les hommes, vous ne pouvez pas sentir l'acte d'amour, vous appliquez aux hommes exactement la même attitude que celle des antisémites aux juifs : tous les hommes (juifs) sont dégueulasses, excepté MON (meilleur ami juif) mec-à-moi.

    Et à part ça vous vous étonnez de la recrudescence des viols, de la prostition et de la pédophilie tant qu'on y est. Vous dites qu'il est facile de vous obtenir, que vous draguez, que tout cela a bien changé : à d'autres. Vou ssouriez aux mecs, et vous appelez cela “draguer” : personne ne s'y laisse prendre ; aucun homme n'a envie, après avoir répondu à votre sourire, après avoir essayé d'aller un tout petit peu plus loin, de se faire traiter de gros porc- macho, de préférence très fort et en public, du style “Mais où c'qui s'croit çui-là ?”

    Je vais vous raconter une histoire drôle : il était une fois une fille “folle de son corps”, ou du moins qui lefaisait croire. Dès que tu la voyais, tu avais envie de passer avec elle dans uen pièce fermée. Evidemment, les autres femelles la traitaient de pute, alors qu'elles ne lui arrivaient pas à la cheville question beauté. Elle s'habillait à peine, on la sentait prête à faire n'importe quoi. Plusieurs années après, je la revois, élégante, mystérieuse, distinguée, raffinée, grande dame, carrément intimidante. Une amie me dit : “Ah ! La voilà bien mieux tout de même ! de la classe, du

    maintien, une vraie femme ! Tu ne la préfères pas comme ça, Bernard Singe ?

    Non. Je la préférais en pute. Parce que c'était bien franc, bien affiché, on pouvait y aller, c'était franc, sans bavure. Tandis que dans son nouveau et je le crains définitif avatar, elle était devenue comme toutes les autes femmes : aguicheuse, sensuelle, provocattrice, vamp, mais surtout ! Surtout ! Surtout ! ON NE TOUCHE PAS. On respecte. On voit de loin. On en pense pas à ça. Est-ce qu'elle pense à ça, elle ? Pas du tout. De quoi tomber amoureux fou. L'oeil, la chevelure, la douceur, le caractère, le coin des lèvres, le fond de teint, la féminité exquise, mais surtout : ON NE TOUCHE PAS. Respectable on vous dit. Plus question de faire l'amour. Une femme, une vraie. Qui inspire les passions et ne les ressent pas.

    La femme gère sa sexualité. Très tôt elle apprend à faire l'amour quand elle veut, quand il le faut, jamais en fonction d'une impulsion. Parce que si impulsion, un gosse à la clef. C'est risqué d'être une femme. T'avais oublié ça. QUANT A ETRE AMOUREUX MA VIEILLE, c'est bien simple : LES FEMMES VEULENT LE BEURRE ET L'ARGENT DU BEURRE. ETRE PROMUES SOCIALEMENT CERTES, MAIS AUSSI PROFITER DE TOUTES LES PETITES ATTENTIONS, MENER PAR LE BOUT DU NEZ UN HOMME A TRAVERS TOUT CE DEDALE DE VULGARITES ET DEMESQUINERIES QU'ELLES APPELLENT L'AMOUR ? Et qui pouvaient se comprendre LORSQUE LE CODE INTER-SEXES S'APPLIQUAIT HARMONIEUSEMENT. MAIS COMMENT VOULEZ-VOUS TOMBER AMOUREUX D'UNE FEMME QUI N'A PLUS LE MOINDRE CARACTERE ATTIRANT, DONT ON SAIT QU'ELLE VOUS ATTEND AU TOURNANT POUR VOUS PROUVER SOIT SA SUPERIORITE, SOIT SON CARACTERE DE VICTIME, DE VICTIME, DE VICTIME ? ... DES HOMMES BIEN ENTENDU.

    ET C'EST VRAI IL Y EN A ENCORE? EN PAGAÏE. MAIS MERDE? CE N'EST TOUT DE MËME PAS MA FAUTE A MOI QUI AIMERAIS TOUT SIMPLEMENT AVOIR CONFIANCE... ADIEU LA CONFIANCE, “ADIEU TOUTES LES FEMMES” COMME DISAIT LE REFRAIN...

     

    2È article, 2E NUMERO DE CLOWN : L'EDUCATION NATIONALE

    J'EN AI ECRIT DES CONNERIES LA-DESSUS AUSSI .MA DERNIERE

    TROUVAILLE ? LA VOICI : SUPPRESSION DE L'OBLIGATION DE SCOLARITE.

    DANS “TELERAMA” - ON SE SIGNE - ON EST TOUJOURS EN RETARD D'UNE GUERRE:

    IL FAUT” REPETE, RADOTE UNE VIEILLE BARBE STYLE JULES FERRY, “QUE LES FILS D'OUVRIER ET DE PAYSAN” - C'EST QUOI PAPA UN OUVRIER, UN PAYSAN ? - “PUISSENT AVOIR ACCES A LA CULTURE.” MAIS MON PAUVRE POTE ! Tu prends le problème à l'envers ! Les fils disons de chômeurs ou de blaireaux de banlieue ils n'en ont plsu rien à foutre maintenant de Victor Hugo ou de Jean-Paul Sartre : ILS VEULENT NE PLUS RIEN FOUTRE ! DU TOUT , DU TOUT, DU TOUT ! VENDRE DE LA CAME A LA RIGUEUR ! DEVENIR ZIDANE A LA RIGUEUR ! MAIS SANS AVOIR RIEN FOUTU ! ET CEUX QUI NE PENSENT PAS COMME EUX, ILS LES PERSECUTENT ! LE PETIT ELEVE PORTOS OU ARAMIS QUI VEUT TRAVAILLER, IL SE FAIT RETOURNER SON CARTABLE, CACHER SES AFFAIRES, PISSER DANS SES BOUQUINS ! ALORS QU'EST-CE QU'ILS VIENNENT FAIRE EN COURS, CES PETITS CONS-LA, A PART LE SABORDER ? A L'USINE ET VITE ! AU PATRON, COMME AU TAUREAU, ET VITE ! A BALAYER LA COUR A COUPS DE PIED AU CUL !

    ET IL LE RESPECTERA LE PATRON ! AUTREMENT QU'UN CONNARD DE PROF MEME PAS FOUTU DE GAGNER QUATRE MILLE EUROS EN FIN DE CARRIERE ! PARCE QUE LE PATRON C'EST LUI QUI DONNE LE HHHARGENT ! C'EST CA QU'IL FAUT RESPECTER, LE HHHARGENT ET CELUI QUI LE DISTRIBUE ! QUELQU'UN QUI EST ASSEZ DIMINUE DU CERVELET POUR ALLER DIRE A SON PROF QUE “LUI, IL EST PAYE” ALORS QUE L'ELEVE NON, SANS SE RENDRE COMPTE QUE C'EST LA FRANCE ENTIERE QUI SE COTISE POUR LUI PERMETTRE D'ALLER A L'ECOLE, DEHORS !

    TIENS JE T'ENVERRAI TOUT ÇA AU BURKINA-FASO MOI, AUX SYNDICALISTES BELANTS ÇA NE LEUR FERAIT PAS DE MAL NON PLUS, DES

    classes DE 90 MOMES QUI ECOUTENT LEUR PROF EN SILENCE SOUS DES HANGARS OUVERTS, JE T'EN FOUTRAIS DES EFFECTIFS SURCHARGES MOI, ET QUI ONT ENVIE DE TRAVAILLER PARCE QUE SINON C'EST LA FAMINE... QUI PLEURENT PARCE QU'ILS N'ONT PAS PU SE FAIRE INSCRIRE ! TOUS LES FOUTEURS DE MERDE DE BANLIEUE, ALLEZ HOP ! AU BURKINA FASO, EN MAURITANIE ! ILS VERRAIENT UN PEU LEUR PETITE PR2TENTION, LEUR PETIT RIDICULE ! Y A QU'A ! FAUT QU'ON ! SEULEMENT, TOUS LES BIEN PENSANTS VONT SE RECRIER ! PRIVER LES ENFANTS DU PPPEUPLE DE L'EEEDUCATION ! SACRILEGE ! FASCISME !

    TOUT LE MONDE S'EN TOUT DE L'EDUCATION MON POTE ! LES PROFS NE VEULENT PLUS RISQUER LEUR SANTE AVEC DES CLASSES DE MALADES MENTAUX, DE

    PETITS VIEUX, DE CASSEURS DE GUEULE ! J'entendais dans une bouquinerie que le jour où ils ne voudraient plus enseigner “Ce serait fini” : mais c'est déjà fini ! LES ENSEIGNANTS SE METTENT EN GREVE DES SEMAINES DURANT A PRESENT, ET L'ETABLISSEMENT NE TOURNE PAS PLUS MAL ! SIMPLEMENT LES PARENTS D'ELEVES NE SAVENT PLUS OU PLACER LEUR PROGENITURE !

    ESSAYEZ VOIR DE FAIRE GREVE TROIS SEMAINES SI VOUS ETES EBOUEUR, LA VOUS LES VERREZ VITE SATISFAITES VOS REVENDICATIONS ! VIDER LES POUBELLES, VOILA DE L'INDISPENSABLE ! MAIS FAIRE LE PROF, OUAH MINABLE ! SI AU MOINS LES SALAIRES ETAIENT EN CONSEQUENCE ! AU LUXEMBOURG ILS EMBAUCHENT A 3000 EUROS, ILS FINISSENT A 7000 ! EN FRANCE, APRES BAC PLUS SIX, ILS SONT PAYES COMME A BAC PLUS DEUX EN BOITE ! JE M'EN PASSERAIS BIEN DES VACANCES MOI ! SI JE POUVAIS GAGNER PLUS ! TOUS CES CONS QUI ME SUSSURRENT L'AIR NIAIS : “ALORS, ENCORE EN VACANCES ?” ... ET QU'EST-CE QUE VOUS CROYEZ QUE JE FOUS PENDANT MES VACANCES BANDE DE CONS ?

    QUE JE VAIS A LA PECHE , QUE JE JOUE AUX BOULES ? ÇA NE VOUS VIENT PAS A L'IDEE QUE JE LIS, QUE JE LIS, QUE JE LIS, QUE J'ECRIS, QUE JE COMPOSE PARFAITEMENT POUR SAVOIR DE QUOI JE PARLE QUAND JE JACTE LITTERATURE ? UNE DE MES COLLEGUES M'APREND QU'AU COSTA-RICA ILS FONT 40 HEURES DE COURS PAR SEMAINE ! MAIS AU BOUT D'UN AN T'ES FOUTU, QU'EST-CE QUE TU VEUX LEUR TRANSMETTRE A TES GOSSES SI TU ES TOUJOURS A FAIRE COURS ? QU'EST-CE QUE TU AS EU LE TEMPS DE LIRE, D'ECOUTER, DE VOIR AU CINE ? RIEN, QUE DALLE.

    PARCE QUE JE VAIS VOUS DIRE MOI : LES AUTRES METIERS, QUI TRAVAILLENT

    PARAIT-IL BIEN PLUS QUE VOUS, ILS SE COMPTENT LES HEURES DE TRANSPORT PARMI LES HEURES DE TRAVAIL ! ET CELLES DES “REPAS D'AFFAIRES” ! BEN MERDE ALORS ! MOI AUSSI JE VAIS ME COMPTER LES REPAS, ON Y PARLE D'ELEVES ! ET LES TRANSPORTS ! COMME LES AUTRES ! ET CEUX QUI VIENNENT ME DIRE QUE LES MEDECINS TRAVAILLENT UN TEMPS FOU (C'EST VRAI D'AILLEURS, ET HOMMAGE A EUX) – ET QU'EN PLUS, VOUS AVEZ BIEN LU, EN PLUS, ILS SE METTENT AU COURANT DES DERNIERES TECHNIQUES ET DU DERNIER ETAT DE LA RECHERCHE MEDICALE !

    FAUX COCO : POUR ÇA ILS ONT DES STAGES. AUTREMENT QUAND EST-CE QU'ILS AURAIENT LE TEMPS DE BOUFFFER, DE PISSER, TES FAMEUX MEDECINS SUPERMAN ? JE REFUSE DE PARLER D'ENSEIGNEMENT AVEC QUELQU'UN DONT CE N'EST PAS LA SPECIALITE. RIEN DE PLUS EXASPERANT QUE D'ENTENDRE CES BRAVES CONS DE CITOYENS LAMBDA QUI T'APPRENNENT COMMENT TU DOIS FAIRE COURS, PARLER AUX ELEVES ET MAINTENIR LA DISCIPLINE ! Et qui te traitent de feignant par-dessus le marché ! Ah ! Le jour où j'interdirai aux masses turbe-inantes l'accès à la culture, le beau tollé que ça sera parmi les intello de broussailles ! ...LES AUTEURS D'ARTICLES HUMANISTES DE TELERAMA ! LES GENSSES DE GOCHCHE ! ...ET LE SOULAGEMENT CHEZ LES CANCRES ! PLUS DE BOUQUINS OUAH LE PIED LA PUTAIN DE TA MERE ! PEUT-ETRE D'AILLEURS QU'ILS VONT S'Y RUER ? PARCE QUE JUSQU'ICI ON S'Y RUE PEU ! ET SI JE PROPOSE DE REMPLACER NE SERAIT-CE QUE LA MOITIE DES EMISSIONS DE TELE COMPLETEMENT CONS PAR DES EMISSIONS CULTURELLES, POUR COMPENSER LA RUINE PROGRAMMEE DE L'ECOLE, ALORS LA ! ALORS LA ! CE SERA TOUT LE GRATIN DE LA MEDIOCRITE QUE JE VAIS AVOIR SUR LE DOS !

    TOUS CEUX QUI PRETENDENT QUE SI LE PEUPLE TE DEMANDE DE LA MERDE TU DOIS LUI DONNER DE LA MERDE AU NOM DE LA DEMOCRATIE ! ALORS QUE LE PEUPLE EST TELLEMENT JE NE DIS PAS CON MAIS MOU, SUIVISTE, MOUTONNIER, QUE SI ON LUI DONNE TOUS LES SOIRS DU SHAKESPEARE, DU BEETHOVEN ET DU FOUCAULT (MICHEL, PAS L'AUTRE) – EH BIEN IL S'Y FERA ET EN REDEMANDERA ! A CONDITION BIEN SUR QU'IL N'Y AIT PAS (ET IL Y AURAIT, HELAS) TOUTE UNE CAMPAGNE DE PRESSE DENONÇANT LES INTELLECTUELS SALONNARDS, PARCE QUE LE PEUPLE EST TELLEMENT CON N'EST-CE PAS QU'IL N'Y A QUE LES INTELLOS SALONNARDS POUR APPRECIER BALZAC OU LIGETI !

    LES HOMMES DE TELE SE COMPORTENT EXACTEMENT COMME DES PARENTS QUI REFUSERAIENT D'APPRENDRE A LEURS ENFANTS A MARCHER, A PARLER OU A CHIER AU POT SOUS PRETEXTE QUE ÇA LEUR COUTERAIT DES EFFORTS AUX PAUVRES CHERIS, ET QUI LAISSERAIENT DEMOCRATIQUEMENT LEURS ENFANTS SE TRAINER A QUATRE PATTES DANS LEUR MERDE...

    III LE FASCISME DE BASE

    TO BE OR NOT TO BE AMERICAN. LE SINGE VERT SOUTIENT ISRAEL. ET TOC. IL EST REPUGNE JUSQU'AU VOMISSAGE DE TRIPES PAR LES ATTENTATS-SUICIDES, QUI ENTRE PARENTHESES NE SONT PAS DU TOUT L'EXPRESSION D'UN DESESPOIR INCONTROLABLE, MAIS UNE MANIPULATION PARFAITEMENT MISE AU POINT SUR LE DOS DE QUELQUES NEVROSES FANATIQUES : VOUS EN AVEZVU BEAUCOUP VOUS D'ATTENTATS-SUICIDES PENDANT L'ATTAQUE DES TROUPES AMERICAINES ? ...NON. Les Palestiniens faisaient bien trop petit cul. Ce n'était pas le moment de se faire sauter. J'ai la flemme de développer ici, mais je crois que les Ricains feraient aussi bien de renverser trois ou quatre régimes dictatoriaux dans le secteur, évidemment ça fera des morts Coco, sous les bombes allées à Dresde et Hiroshima aussi il y avait des femmes et des enfants qui n'avaient rien fait ni demandé, mais on ne parle que des Japonais, qui avaient pourtant un régime largement aussi terroriste que celui de Hitler (100 000 fusillés à Nankin en 1938).

    JE VOIS TRES BIEN L'US ARMY PATROUILLER DANS LES RUES DE DAMAS, AMMAN ET JERUSALEM POUR FAIRE REGNER L'ORDRE, UN COUP DE PIED AU CUL A SHARON UN AUTRE A ARAFAT OU A CE QU'IL EN RESTE, ET IMPOSITION D'UN TRAITE DE PAIX. ON N'A PAS FAIT AUTREMENT APRES LA GUERRE 40 : LES ALLEMANDS D'UN COTE, LES POLONAIS DE L'AUTRE ET LES TCHEQUES DANS LE TROISIEME COIN, CE QUI DONNE BEAUCOUP DE MORTS ET DE SOUFFRANCES, SEULEMENT MAINTENANT CHACUN RESTE TRANQUILLE DANS SON COIN.

    JE PREFERE MILLE FOIS L'AMERICAN WAY OF LIFE AU MUSLIM WAY (“FAÇON DE VIVRE MUSULMANE) . D'ACCORD, QUAND TU N'ES PAS EN PHASE AVEC LE JOURNAL RICAIN QUI T'EMPLOIE TU TE RETROUVES AU CHOMEDU, MAIS SI TU ETAIS EN ALGERIE MON POTE, TU AURAIS DEUX BALLES DANS LA TETE, ENCORE HEUREUX SI TU ECHAPPES A LA TORTURE PREALABLE. ET GUEULEMENTS D'EXTREME-GAUCHE OU PAS, JE PREFERE ETRE CHOMEUR QUE MORT.

    LES PALESTINIENS NE SONT DANS LEUR IMMENSE MAJORITE QU'UNE MASSE INCULTE, QUI APPRENNENT ESSENTIELLEMENT DANS LEURS ECOLES CORANIQUES A DISTINGUER UN JUIF VIVANT D'UN JUIF MORT (ETC. ETC. ETC.) Telles sont donc les élucubrations habituelles du Singe Vert, qui viennent de paraître effroyablement répétitives à ceux qui le lisent habituellement, et horribles à d'autres qui découvrent ce caca vomitif.

    RELISEZ DONC L'AVANT-PROPOS ÇA NOUS FERA DU BIEN A TOUS.

    Bientôt, un numéro littéraire. Ouf.

    Ecrit en majuscules par incapacité du rédacteur à éliminer ces petites chenilles rouges si exaspérantes.

    Quand on ne sait pas se servir d'un ordinateur on ne publie pas.

    Ta gueule.

    L E S I N G E V E R T D E R G R Ü N E A F F E 52

    TI SENTO

     

     

     

    283. Presque toutes les fictions ne consistent à faire croire d'une vieille rêverie qu'elle est de nouveau arrivée.

    André MALRAUX Préface aux Liaisons dangereuses

     

     

    Collé au mur Boris Sobrov tend l'oreille, ce sont des frôlements, des pas, un robinet qu'on tourne, une porte fermée doucement - parfois, sur la cloison, le long passage d'une main. Le crissement de l'anneau sur le plâtre. Un froissement d'étoffes, presque un souffle - une chaleur ; puis une allure nonchalante qui s'éloigne, vers la cuisine, au fond, très loin, des casseroles. Un bruit de chasse d'eau : une personne vit là seule, poussant les portes, les tiroirs – il glisse plus encore à plat, à la limite du possible, sa joue sur le papier peint gris, mal tendu au-dessus de l'oeil droit : il voit d'en bas mal punaisées une vue gaufrée de Venise, « La Repasseuse » à contre-jour.

    Boris habite un deux pièces mal dégotté, au fond d'une cour du 9 Rue Briquetterie sans rien de particulier sinon peu de choses, des souvenirs de vacances posés dans l'entrée sous le compteur et soudain comme toujours la cloison qui vibre plein pot sous la musique le tube de l'été OHE OHE CAPITAINES ABANDONNES toute la batterie dans la tronche il est question de capitaines, d'officiers trop tôt devenus vieux abandonnés par leurs équipages et voguant seuls à tout jamais, suivra inévitablement LA ISLA ES BONITA en anglais scandée par Madona - les plages de silence sur le vinyl ne laissent deviner ni pas de danse ni son d'aucune voix parole ou chant.

    D'autres Succès 86 achève la Face Un, Boris a le temps de se faire un café, d'allumer une Flight ; la tasse à la main, il fait le tour de son deux pièces, jette un œil dans la cour, le jour baisse, ce n'est pas l'ennui, mais la dépossession, comme de ne pas savoir très bien qui on est. Sur la machine à écrire une liste à compléter. Boris s'est installé à Paris depuis quinze ans, il s'y est marié, y a divorcé, n'a jamais donné suite aux propositions des Services. La naturalisation lui a donné une identité : né le 20-10-47, 1,75m - petit pour un Russe - , teint rose, râblé, moustache intermittente.

    - Les exilés attendent beaucoup de moi.

    - Tu es Français à présent.

    Un jour Macha je t'emmènerai en Russie.

    Mon frère m'écrit d'Ivanovo.

    - Je ne l'ai jamais vu.

    - Moi-même je ne le reconnaîtrais pas.

    Boris tire sur sa cigarette. Le mur de la chambre demeure silencieux. D'ici la fin de la semaine il aura trouvé un logement pour un dissident. Ici ? Impensable. Trois ans écoulés depuis ce divorce. Où est Macha? ...trois ans qui pèsent plus que ces vingt-cinq lourdes années de jeunesse, grise, lente, jusqu'à ce jour de 73 où il a passé la frontière, à Svietogorsk Le voici reclus rue de M., à deux pas de Notre-Dame de Lorette., tendant l'oreille aux manifestations sonores d'une cloison - qui habite l'autre chambre? il n'y a pas de palier ; ce sont deux immeubles mitoyens ou plutôt, car le mur est mince, deux ailes indépendantes qui se joignent, précisément, sur cette paroi.

    Pas de fenêtre où se pencher.

    Ce n'est pas un chanteur, ce n'est pas un danseur, ce n'est pas un écrivain, il ne fait pas de politique et ne sait pas taper à la machine.

    C'est une femme.Un homme roterait, pèterait. C'est une jeune fille, qui fait toujours tourner le même disque. Elles font toutes ça : quand un disque leur plaît, elles le passent toute la journée. Les mêmes rengaines, deux fois, dix fois. Boris n'ose pas frapper du poing sur la cloison : A, un coup, B, deux coups, le fameux alphabet des prisonniers - il ne faut pas imaginer. «Je ne connais pas le sexe de cette personne » répète Boris. « Capitaines abandonnés ». « La Isla es bonita ». Et pour finir, toujours, en italien, « Ti sento ». "Ti sento tisento ti sento" sans reprendre souffle - la Voix, voix de femme, la ferveur, le son monté d'un coup, « ti sento - je t'entends - je te comprends"- ti sento - la clameur des Ménades à travers la montagne, le désespoir - la volupté - l'indépassable indécence - puis tout s'arrête – la paroi.grise - le sang reflue.

    Déperdition de la substance.

    Mais cela revient. Cela revient toujours. TI SENTO c'est toi que j'entends toi qu'à travers ta voix je comprends tu es en moi qui es-tu. Il est impossible. Boris frappe au mur, se colle au plâtre lèvre à lèvre, mais on ne répond pas, mais on ne rompt pas le silence, Boris halète doucement, griffe le mur : « C'est la dernière fois. » Il se rajuste plein de honte, se recoiffe, jette un œil en bas dans la cour : c'est l'heure où sur les pavés plats passe en boitant une petite fille exacte aux cheveux noirs, son cabas au creux du bras ; Boris renifle, se lave les mains, se taille un bout de fromage, la fillette frappe et entre.

    - Bonsoir Morgane dit Boris la bouche pleine.

    - Tu le fais exprès d'avoir toujours la bouche pleine?

    Elle pose le cabas sur la table : « C'est des poireaux, des fromages, une tarte aux pommes, un poulet ; des bananes. Ça ira? »

    C'est une gamine de dix ans, la peau brune, la frange noire et les dents écartées. « Comment va ta mère? - C'est pas ma mère, c'est la concierge. Aide-moi à décharger. Tu te fous l'estomac en l'air à bouffer ce que tu bouffes. » Boris fait semblant de se vexer. Marianne (c'est son nom) passe toujours le cinq-à-sept chez la mère Vachier, à la loge, en attendant que sa mère sorte du travail. La gamine fait les courses en échange d'une heure de maths. Voilà qui est convenu. « Qu'est-ce que tu m'apportes aujourd'hui?

    - Le quatre page cent.

    - Vous avancez vite!

    - La prof a dit "Ça vous fera les pieds".

    Boris se plonge dans les maths et dans la cuisine, à même la table – à chaque fois le même jeu, la vue de la bouffe lui met les crocs. «  Tu ne peux pas éplucher tes poireaux ailleurs ? ça pique les yeux.

    Soit un carré A B C D , une sécante x, une circonférence dont le centre... « c'est horrible, tu es sûre que c'est au programme?

    - Punition collective. Moi j'ai rien fait.

    - Ca m'étonnerait.

    Marianne attaque une banane. Boris prépare une vinaigrette, tache le bouquin , jure en russe, écrit d'une main et s'enfonce la fourchette de l'autre.

    - Tu pourrais fermer la bouche quand tu manges.

    - Un peu de poireau?

    - Après ma banane?

    Boris s'étrangle de rire.

    - T'es franchement dégueulasse, Boris. T'as fini au moins?

    - Sauf la troisième question.

    - Tant mieux, elle croira pas que j'ai pompé.

    Boris ne comprend toujours pas pourquoi Marianne tient absolument à lui proposer des problèmes de maths.

    Et tes quatre en français? - Je sais tout de même mieux le français qu'un Russe.

    Même pas. »

    Marianne engloutit un yaourt. « Pour une fois » pense Boris « elle ne m'a pas dit T'es pas mon père" pense Boris.

    Marianne se penche sur l'ordinateur : « Qu'est-ce que c'est que tous ces noms à coucher dehors? - C'est la liste de tous les émigrés russes de Paris. - A quoi ça te sert ? - L'association verse de l'argent aux plus nécessiteux. - Aux plus pauvres?...C'est tous des pauvres? 

    J'appuie sur le bouton? - elle appuie sur le bouton. Deux heures de travail perdues. Boris l'engueule. Ils se séparent fâchés comme d'habitude.

    X

     

    Le travail à domicile permet de choisir l'heure de son lever. Boris ne dépasse jamais huit heures - la robe de chambre, les bâillements, la barbe qui tire ; le placard, le bol, la cafetière, le réchaud. Un yaourt pour commencer, surtout pas de radio. Les biscottes, le café bu bruyamment, ramassage de miettes, envie de pisser - un homme très ordinaire, en Russie comme à Paris. A huit heures et demie, de l'autre côté du mur, il, ou elle, s'éveille. Pas de bâillement, pas de chanson, pas de jurons, juste des pieds qui se posent, des pantoufles qui s'agitent, un pas léger vers les toilettes.

    Comme la porte est fermée, on ne peut pas distinguer si c'est le jet d'un homme ou d'une femme. Les coups de balai, dans les plinthes, ne prouvent rien non plus : il existe des petits nerveux, soigneux comme des femmes, qui font le ménage tous les jours. Sans oublier la toilette du matin, sans exception, même le dimanche : eau chaude, eau froide ; puis le petit-déjeuner : cette personne mange après s'être lavée. Logique. Le bol, la cuillère, le raclement dans le beurrier en fin de semaine, jusqu'à la fermeture caoutchoutée du réfrigérateur : aucune différence d'une cellule à l'autre ! ces bruits-là passent les murs. Pas les voix. Puis le claquement exaspérant des quatre pieds de chaise. Mais il y a des femmes brusques.

    Et le déclenchement des crachouillis du transistor. Indifféremment des infos, de la pub, de la musique de bastringue, du boniment de speaker. Inutile de coller l'oreille au mur. D'un coup tout s'éteint, la vaisselle dans l'évier d'alu, les chaussures qu'on enfile - pas de hauts talons - pas de clé qui tombe, pas de juron - pas de monologue – pas de sifflotement - la porte claque. Boris peut enfin procéder à ses ablutions. Un soir, Boris perçoit un cliquetis étouffé‚ la clé tourne, le battant s'ouvre, des voix se mêlent dans le vestibule - ce doit être un vestibule – vite un bloc-notes : un homme, une femme.

    Qui invite l'autre?

    Chacun ôte son manteau ; que se disent-ils? des choses gaies, des choses quelconques. Boris s'appuie si fort que son coeur doit s'entendre, ou le plâtre se fendre. Les répliques se chevauchent, un homme, une femme, peut-être homosexuels tous les deux, Boris ne désire rien d'autre qu'une conversation banale, mais enfin compréhensible - « Je ne suis pas un espion soviétique » - répète-t-il entre ses dents. Les intonations sont franches. Il existe entre les deux êtres une forte intimité. Mais toujours un bruit parasite (chaise heurtée, glaçon frappant le verre) embrouille les phrases à l'instant précis où les syllabes se détachent.

    L'homme et la femme se séparent. L'homme répond en mugissant du fond des toilettes; il ssont décidément très intimes - la femme répond de la cuisine. Puis l'homme se lave les mains, la voix de femme plus étoufée répond d'une chambre. Voilà une disposition de pièces facile à déduire : de l'autre côté du mur, ce serait la cuisine, plus au fond donc - les toilettes (bruit de chasse d'eau), la chambre à gauche avec son petit cabinet de toilette (des flacons qui s'entrechoquent). Boris esquisse un plan. Au nombre de pas, le logis mitoyen ne doit pas être beaucoup plus grand que le sien ; quand le couple élève la voix, Boris comprend qu'ils se tutoient ; il se félicite de n'avoir jamais introduit de femme chez lui – à présent ils se sont rejoints dans la chambre. Le reste va de soi. Tout cependant n'est pas si facile. Il y a discussion. L'homme exige des preuves. La femme proteste et veut se laisser convaincre. C'est la première fois qu'ils couchent ensemble. Dans ce cas de figure c'est la femme qui reçoit ; mais elle peut être venue sans préméditation. Quoique. Le ton monte. On se bat. « Suffit! » gueule Boris. On ne l'entend pas. Bon sang ils se foutent dessus. C'est un viol. Par où entre-t-on chez ces gens-là ? Il passe la main sur le combiné - des rires, à présent. « J'aurais passé pour un imbécile. ». La lutte s'affaiblit.

    Ça devient autre chose. Evidemment. Mais le lit a beau lancer du fond de son appartement toute une rafale de grincements, les deux salauds peuvent bien se tartiner des couches de gueulements à travers la gueule, la quique à Boris continue à pendouiller. Quand ils se sont relevés, lavés, rhabillés, quittés, Boris bande d'un coup, se précipite à la vitre et se reprend juste à temps pour ne pas soulever le rideau. De sa fenêtre il n'aperçoit que la cage d'escalier de l'autre aile d'immeuble : d'en bas, les jambes - de face, le buste sans la tête, d'en haut, les crânes. Le soir (la scène se répète le lendemain, mais impossible de savoir qui de l'homme ou de la femme, reste sur place...) il faut compter avec les irrégularités de la minuterie, réglée très serrée ; ce n'est pas facile.

    D'après la disposition des lieux, l'Occupant Contigu tient donc dans un deux-pièces au troisième, avec un retour peut-être sur la droite ; même en passant la tête et tout le torse par la fenêtre, l'alignement du mur interdit toute vision. Boris imagine un invraisemblable jeu de miroirs, de périscopes, de potences orientables. En tout cas le vingt-quatre avril, dans l'immeuble d'à côté, la loge sera vide ; tout fonctionnera au Digicode - bientôt il faudra réintroduire les concierges dans Paris comme les lynx dans les Vosges. La mère Vachier fait la gueule à tout hasard, garde la petite Marianne et refuse toute collaboration : « A côté? c'est l'interphone. » Démerdez-vous. « Code BC24A. » Boris n'a rien demandé.

    Il n'a même pas posé de questions sur la petite fille. « C'est une voisine, comme ça. ». La portière a besoin de se confier. De l'autre côté de la cour se trouve une deuxième cage d'escaliers aux vitres encore plus sales encore. Moins animée. Boris n'y regarde jamais. « Tu as peut-être tort » suggère Marianne- Boris aussi a besoin de se confier. Tous les soirs avant la télé- on n'entend plus rien,a-t-il – a-t-elle – déménagé ? - Boris s'assoit devant la fenêtre la tête dans l'ombre et observe le défilé des locataires ou visiteurs. Ça monte, ça descend, avec des arrêts dans le trafic, des reprises, des précipitations,des temps morts ; des crânes sautillent de marche en marche, des mollets s'embrouillent, des jupes, des pantalons, des profils : graves, riants, tendus, le plus souvent sans expression. Il y a des hommes qui se grattent le cul, des femmes qui se sortent la culotte de la raie ; personne ne se raccroche du bras, ni ne s'arrête pour bavarder. Normal. Les clients de la psy du troisième se succèdent exactement dans le même ordre. Notaire au deuxième droite. Une manucure, le détective - au n° 26 donc, juste à droite en sortant – là où précisément l'inconnu ou toute nue fait son nid - il ou elle est revenu(e), les habitudes sont les mêmes, les disques aussi : « "Ti sento", le rock italien, à intervalles réguliers.

    Peut-être un peu moins souvent. Boris guette. Il note dans le noir sur ses genoux. Le carnet comprend une feuille par nom : "A-X", « Tête à l'Air", "l'Oignon Bleu". Ou bien  François Debracque, Aline Aufret, Gérard Manchy : les symboliques, les sobriquets, les noms communs. Pas un russe. Plus de femmes que d'hommes , aucune vraiment qui plaise. « Tu connais bien des bonnes femmes à ton boulot, dit Marianne. Pourquoi tu ne les dragues pas? » Boris a du mal à expliquer que ces femmes-là, justement, à l'Institut Pouchkine, ne se soucient pas de flirter ; elles suspendent leurs organes génitaux aux patères. Ou c'est tout comme. Maintenant c'est Marianne qui mate ; elle soupèse les femmes : « ...Pas mal..Un peu forte. - Et les hommes ? - Tu deviens pédé ? - Je veux savoir qui habite à côté ; il n'y a plus de concierge. » Marianne redouble d'attention. « Mais tu connais tout le monde, Marianne – non ?

    - Pas du tout - ce cul ! - eh, mes maths?

    - Plus tard.

    - Je reprends le cabas.

    - Garde un éclair pour toi, n'oublie pas l'huile la prochaine fois.

    - Ciao.

    Boris joue le tout pour le tout. Il va se poster, sans se montrer, sur le trottoir, tout près de la porte ; le code est faux ; alors il se glisse derrière un locataire qui lui tient la porte. Il voit tous les noms d'un coup sur les boîtes aux lettres : des Italiens, des Français de Corse, des Bretons. Un certain Dombryvine. Abdelkourch. Lornevon. Le courage lui manque ? non, l'idée même de monter au troisième – "bon sang, c'est trop stupide, j'y vais" - mais dans le couloir, là-haut, les portes sont anonymes ; la minuterie allume sur le bois des lueurs de montants de guillotine. Boris redescend très vite dans le noir en s'insultant ; il aura mal retenu la disposition des lieux. Mais le lendemain, il récidive. La rue grouille. Le même homme lui tient la porte. Cette fois il s'attarde : au troisième – ni médecin donc, ni voyante, rien de ce qui se visite – il distingue vers le fond une fenêtre sale : exactement dans l'angle mort de sa fenêtre à lui. Impossible de voir ; de retour au 24, Boris fait son croquis : appartement 303.

    Manque l'âge, le nom, le sexe. Le sexe manque. Ne pas lâcher prise. “Qu'est-ce que tu lui veux à Madame Vachier ? - Juste parler avec elle. Tu vas aussi lui demander ce qu'elle pense de moi, d'où je viens, qui c'est ma mère... - Ce ne serait peut-être pas inutile. Tu veux savoir qui habite à côté  ? Tu manques de femme?... - Il y a toi. - Cochon. - Je ne veux pas que tu ailles chez la concierge. - Moi aussi je manque de femme. - Elle est grosse, elle est moche, elle est mariée, dit Boris. Il va voir le mari de la concierge. C'est un Alsacien à gros ventre et bretelles, loucheur, boiteux ; Boris met au point une histoire à dormir debout : « Je suis fonctionnaire à l'immigration ; la locataire - il choisit le sexe - du 237 n'est pas en règle. » Monsieur Grossmann - il ne porte pas le même nom que sa femme - est l'honnêteté même. « Pourriez-vous me prêter dit Boris votre passe ? je suis sûr d'avoir oublié mon portefeuille chez Madame Schermidtau 237...

    - Vous connaissez son nom?” Le souffle coupé, Boris voit le concierge détacher du clou le grand anneau qui tient les trente clés plates. «.C'est elle gui remplace M. Laurent ?” Boris acquiesce, la boule dans la gorge. « Je vous accompagne. » Grossmann est bavard. Il faisait partie des "Malgré Nous" sous le Troisième Reich. Il en est miraculeusement revenu. Il aime bien raconter. Le portail vitré du 26 s'ouvre sans effort : « J'ai le même passe que le facteur » dit Grossmann.Boris monte les étages avec le boiteux. « Dix ans qu'on attend l'ascenseur...Regardez l'état de la moquette... - Il faut bien que les escaliers servent à quelque chose." Vous dites des conneries, Monsieur Grossmann. Voici la porte ouverte. Boris écarquille les yeux et grave tout dans sa tête : le corridor de biais, très court, très étroit, vers la gauche ; trois portes ouvertes, la salle à vivre claire, avenue Gristet, bruyante; la chambre au fond, sombre, retirée - « salle de bain, cuisine » dit le portier - « je vois bien » dit Boris. Difficile après cela d'imaginer, de l'autre côté, son propre foyer, solitaire – il ne ressent pas son appartement – où est-ce qu'il colle-t-il son oreille? Très exactement ? ...Ça n'a pas du tout la forme d'un L... Boris ne cherche rien. Il ne bouge pas. Grossmann comprend ; il reste en retrait, muet. Trop d'immobilité, trop de respect dans le corps du Russe lorsqu'il s'approche enfin des étagères et lit les titres lentement, le "Zarathoustra" de Nietzsche, "l'Amour et l'Occident", « Deutsches Wörterbuch », « A Rebours" de Huysmans, un Traité de Diététique – une Bible - quelques ouvrages sur le vin.

    Une collection de "Conférences" des années trente - dis-moi ce que tu lis...? La penderie est restée ouverte ; ils y voient une proportion égale de vêtements féminins et masculins - chacun sa moitié de tringle : des habits soignés, sans originalité excessive. Revenant au salon à pas précautionneux Boris aperçoit contre son mur un tourne-disque. J'aurais dû commencer par-là. Sur la platine "Ti sento", rock-pop italien. Boris coupe le contact; le voyant rouge s'éteint. Qui relèverait mes empreintes ? La pochette, luisante, à l'ancienne, représente une femme fortement décolleté‚ cuisses nues, décoiffée, en justaucorps lamé. «Madame Serschmidt ne vit pas seule, dit le concierge. Boris a inventé ce nom. Il s'informe gauchement (« Reçoit-elle des visites ») - Vous devez le savoir, Monsieur Sobrov.» Boris repère encore la Cinquième de Beethoven, la Celtique d'Alan Stivell, René Aubry et un double album de folklore maori.

    Plus la Messe en si mineur, BWV 232. Jamais il n'a rien entendu de tout cela. Le concierge propose de manger un morceau. Boris refuse, effrayé. « Mais elle ne revient pas avant six heures ! » Boris se retient si visiblement de poser des questions que l'Alsacien précise malignement : « Je reçois les loyers au nom de Monsieur Brenge". Il prononce à l'allemande, "Brenn-gue". - C'est peut-être son frère qui paie ? ...Serschmitt est son nom d'épouse, elle a divorcé... » Grossmann ne confirme rien. Il se dirige vers le réfrigérateur : « Vous saurez toujours ce qui se manche ici ! » - des oeufs, des pots de crème de langouste, un rôti froid en tranches et trois yaourts. « A la myrtille », dit le concierge ; il se sert, rompt du pain, choisit du vin. “Tant pis pour la langouste”, dit Boris - ils s'empiffrent - Boris veut faire parler le gros homme. Seulement, il n'y a plus rien à ajouter. Le portier tente d'en faire croire plus qu'il n'en sait. Il prétend que "tout le monde défile » dans ce studio. « N'importe qui tire un coup ici, puis s'en va. » Ils se défient du regard en mâchant. Rien ne correspond aux longues attentes, aux exaltations de Boris dans son antre – à moins qu'il ne s'agisse d'une autre chambre ? « Gros porc » dit Marianne le lendemain ; « Tu y es allé. Je sais que tu y es allé. Je ne voulais pas que tu y ailles. Saligaud. Vulgaire. Je t'ai vu entrer dans l'immeuble avec le mari de la mère Vachier. « Tout le monde y vous a vus monter la cage d'escalier. Même que tu es entré dans l'appartement, et que tu as regardé partout, fouillé partout, dans les livres, dans les disques, même entre les robes. Et vous avez bouffé du saucisson et du pâté de langouste et ça c'est dégueulasse. Au goût j'veux dire.

    - C'est chez toi ? - Ça ne te regarde pas. Déjà que tu me fais reluquer les grosses qui descendent les escaliers, et quand il y a de la musique tu arrêtes la leçon de maths même si j'ai rien compris et tu colles ton oreille au mur comme un sadique.

    - C'est ta mère qui habite là ? - Dans ton quartier pourri ? on est riches nous autres, on a une BMW, on va aux sports d'hiver et c'est pas toi qui pourrais te les payer pouffiard. - Tu veux une baffe ? - .Je le dis à maman et tu ne me revois plus et tu seras bien emmerdé parce que tu es amoureux de moi mais tu peux courir et si tu me touches j'appelle les flics.

    - Tu t'es regardée? - C'est dégoûtant d'espionner les gens t'as qu'à te remarier ou aller aux putes. - Ça suffit Marianne merde, c'est chez toi oui ou non ?” Marianne prend son souffle et lâche tout d'une traite «Avant c'était chez moi maintenant on a déménagé mais c'est pas une raison t'as pas le droit d'entrer fouiller partout avec tes pattes de porc pour piller dans le frigo et si on avait su que tu devais habiter là on se serait tiré encore plus vite - C'est le concierge qui... - Parfaitement que c'est le concierge - Et pourquoi tu ne vas pas l'engueuler lui ? - Parce qu'il est pas tout le temps à me chercher.Tu ne m'as pas encore tripotée mais c'est dans tes yeux. » Boris Sobrov demande pourquoi le concierge éprouve le besoin de raconter tout ce qu'il fait;

    Marianne répond que sans ça il ne serait pas concierge, elle ajoute encore qu'elle préfère s'amuser avec Grossmann que de rester à faire des maths avec un vieux grognon - "chez toi il n'arrive jamais rien ». Puis ça s'arrête, la petite fille aux cheveux noirs revient le lendemain avec les provisions. Boris s'est arrogé le droit de contrôle sur tous les résultats scolaires de Marianne ; il consulte le carnet de notes, il joue au père, l'exaspération croît de part et d'autre. Boris lui dit qu'elle a les mêmes yeux noirs que sa fille à lui, qu'il n'a pas revue depuis longtemps. « Elle faisait les mêmes fautes que toi. - Elle est dans ma classe.” Boris est bouleversé. Il demande doucement, comme on tâte l'eau, la manière dont elle se coiffe, si elle travaille bien. Si elle parle de lui...Marianne se rebiffe. « Elle est dans une autre section, ta fille, on se voit aux récrés, ce n'est pas ma meilleure copine, ma copine c'est...

    - Je m'en fous - attends, attends ! - comment elle s'appelle ta meilleure amie ? - Ah tout de même! Carole.” Boris demande si Carole travaille bien, si Marianne et elle ne se sont pas disputées, si elles ne pourraient pas venir travailler ensemble... « Je ne l'amènerai jamais ici ; tu nous forcerais à faire des choses.” Boris pousse un soupir d'exaspération.

    Il la laisse en plan, passe à la cuisine pour bouffer du fromage blanc, à même les doigts. Il est bien question de leçon de maths. Quand il revient Marianne de l'air de se payer une tête. Boris fouille dans une pile de dossiers, les dossiers s'effondrent, il les reclasse. Récapitulons. « Tu n'es pas mon père". Elle ne me l'a pas encore faite celle-là. « Tu n'es pas ma mère ». « Tu ne sais rien de moi" - ne pas raisonner. "Intuiter". J'ai divorcé depuis six mois. Cette fillette est déposée chez les concierges par une femme qui n'est pas sa mère. Marianne ressemble à sa fille qu'il n'a pas vue depuis six mois – putain de juge – une femme. Marianne connaît Carole Sobrov. Non seulement c'est sa meilleure amie, mais elles sont devenus demi-sœurs par remariage – sa femme s'est remariée avec le père de cette petite guenon de Marianne.

    Il se cache le front dans la main. “J'ai très mal à la tête. - Je m'en vais, ciao”.

     

    X

    A peine Marianne et sa tignasse ont-elles tourné le coin du palier que Boris dévisse la minuterie. Panne. « Merde » dit l'enfant. Boris se faufile en chaussons derrière elle dans l'escalier. Juste la lumière du puits de cour. Il dérape sur les marches. La rampe est encaustiquée. Devant lui, Marianne s'arrête dans le noir, relève la tête. Au premier, elle réussit à renclencher la minuterie. Boris la suit toujours. Au rez-de-chaussée, la loge forme l'angle dans la cour. Les vitres laissent tout voir. Boris, dans la cour profonde, se colle contre un mur entre deux poubelles. Comme dans un film. Dans les couples, ce que Boris déteste, c'est le mari : il n'a rien d'intéressant entre les jambes. Tant de femmes raffinées collées à des butors. Le père de Marianne, c'est pareil. Trop grand, trop fort, la voix désagréablement masculine. Ses gestes sont brusques. Il ressemble à une bite. Tous les hommes ressemblent à des bit es.

    La petite fille pleure, à présent. Même si c'est une teigne Boris se sent bouleversé. Tout le monde s'engueule, le père et le concierge se menacent mais c'est Marianne qui se prend une claque. Boris bondit, arrache presque la porte et se mêle au tas. Le beau-père le prend à partie : « Vous laissez traîner vos pattes sur la petite. Vous faites espionner un appartement privé par l'intermédiaire de cet individu. Vous êtes un fouille merde. Je vous en foutrai des cours de maths. » Tout le monde se quitte pleurant, gueulant, Boris s'en remonte chez lui, brouillé avec Grossmann et sans espoir de fillette à venir.

    A ce moment "Ti sento" se déclenche dans la pièce voisine, et cette fois, on danse.

    X

     

    "Chère, Lioubaïa Tcherkhessova !

    "Je souffre à crever parce que le voisin ou la voisine fait gueuler un tube infect en italien, "Ti sento". C'est pire qu'une rage de dents et je ne peux pas m'en passer. Je ne sais toujours pas si c'est un homme ou une femme qui passe le disque, et qui danse. Ce qui chante, c'est féminin, ça crie toujours les mêmes voyelles avec chambre d'écho, mes cours d'arménien vont bien, je m'embrouille encore dans le tatar. "Ti sento" est le meilleur morceau, les autres braillent le rock à la sauce Eighties', je suis sûr qu'on le fait exprès pour m'emmerder, si tu n'habitais pas à l'autre bout de Paris ce serait toi.

    "D'ailleurs j'y suis allé l'autre jour avec le concierge et son passe-partout. Je n'ai rien fouillé, rien dérangé du tout. D'après le père Grossmann ce serait une sorte de chambre de passe, une fois j'ai surpris des baiseurs à travers le mur mais ce n'était pas toi. Le concierge ment. Il y a là quelqu'un. Qui paye son loyer. Qui n'emmerde que moi. Un jour je le coincerai. Le ou la. Si c'est une femme, ça va chier. Terminé les petites astuces : Marianne c'est ta fille, enfin, celle de ton homme, un vrai, un gros porc - pour l'insolence, la morveuse, impeccable. Elle a craché le morceau.

    C'est vous qui me l'envoyez depuis trois mois pour espionner. Il n'y a rien à espionner. Il n'y a pas de femme ici. Pas d'homme. Pas d'argent. Comme un moine. Et je suis en règle avec les services d'immigraiton si tu tiens à le savoir. Et je suis sûr qu'elle cache autre chose, ta Marianne. Elle me cache ma fille. La vraie. Elle sait quelque chose sur l'appartement d'à côté. Elle a pleuré quand elle a su ma visite avec Grossmann. Elle est allée se répandre comme une poubelle à la loge devant ton mari de mes couilles, qui a failli me taper dessus.Elle raconte que je la tripote.

    "Toi, ça fait un temps que je ne t'ai pas vue. La dernière fois c'était au grand bureau. Soixante-dix ordinateurs. A devenir fou. Je ne sais plus comment ça a commencé. Tu as toujours une engueulade de réserve. Moi aussi. Ce n'était pas la même. Petit à petit les soixante-neuf têtes se sont levées, les ordinateurs se sont tus, nos paroles se perdaient dans l'épaisseur de l'air, tu t'es fait virer puis aussitôt réintégrer pour "bons antécédents", pour moi c'était définitif, je travaille pour la misère, tu crois que ‡a m'intéresses de vérifier des listes, de faire le compte des morts, vérifier les adresses , les patronymes : «Ivanovitch » ou « Pavlovitch? »

    ...Sagortchine a-t-il reçu sa pension ? Que devient Berbérova? A-t-elle trouvé un

    emploi en rapport avec sa formation ? A quels cours sont inscrits les frères Oblokhine ? Pourquoi Sironovitch a-t-il divorcé ? de quoi est morte la Bibliskaia ? Quel nom portait-elle en Espagne ? Le KGB a-t-il relâché Dobletkine ? Pourquoi tous ces gens-là n'adoptent-ils pas définitivement un nom bien français ? toi au moins tu ne t'es pas remariée avec un Russe. Mais ton Léon Nicolas, dont je viens de faire la connaissance, c'est just un gros tas de vulgarité - le Russe, c'est un prince, ou un moujik. Je sais comment ça va finir : toujours la faute de l'homme ! Je ne suis tout de même pas le seul éjaculateur précoce de France et de Russie Blanche réunies !

    "Avant l'informatisation nous travaillions ensemble. Avec de vraies fiches, dans les vraies mains. Tu dictais, j'écrivais. Maintenant je travaille seul. J'ai une carte de Paris et de l'Ile-de-France où je peux lire qui, et à quelle heure, dort dans quel lit, et en quelle compagnie. Je te promets de t'aider à la cuisine, j'essuierai mes pieds, je ne te tromperai plus sans en avoir vraiment envie, je ne ramasserai plus de chiens dans la rue, en ce moment je n'en ai pas. Nous écouterons autre chose que de la musique classique, tu pourras aller seule au ciné, tu ne peux pas savoir à quel point ces vingt-cinq semaines m'ont transformé‚ reviens." Le surlendemain Boris reçoit un télégramme ainsi conçu :

    "VA CHIER. "

     

    "Ti sento" se déclenche, Boris prend le métro jusqu'à La Râpée, pour visiter la rue Brissac : il la remont‚ il la redescend, la rue est à lui, il en est à la lettre B. Il hume le parfum du métro, il trace dans les couloirs carrelés, bifurque sans ralentir sous les plaques bleues, suit des épaules, un cul, des talons, s'accroche aux barres, marque ses doigts sur le chrome, invente les coucheries des femmes, note les rides de fatigue, évite les haleines, joue avec son reflet sur la vitre noire et le tunnel qui court, tâte son portefeuille, ne cède jamais sa place. Dans Paris, Boris prend la première à gauche puis à droite et ainsi de suite, ça le mène parfois très loin, il voit des maisons, des trottoirs, des voitures ; des crottes, des gouttières avec les petites annonces collées dessus, la pierre des immeubles, des vitrines de coiffeurs, de bouchers, d'ordinateurs ; des prismes Kodak, des servantes en carton "Menu à 60 F" "Menu à 120 F" – et des gens.

    Des gens comme s'il en pleuvait, comme s'il en chiait, mal fringués, super-chic, soucieux, d'âge moyen, noirs, enfants, groupés, par couples qui s'engueulent, qui s'aiment, en débris, "alors j'ui ai dit", "pis elle a répondu", "forcément » - les oreilles qui traînent, les narines à l'essence, et le grondement continu de marée montante qui fait Paris.

    Comme au débouché de sponts, ou sur les places circulaires, il est difficile de trouver "la première à gauche", "la première à droite", Boris s'immobilise, tend les bras dans la foule indifférente, se décide pour un cap. Derrière la Bastille, en un quartier cent fois parcouru, voici qu'il découvre un quartier - "...j'aurais pourtant juré..." - où jamais ni lui, ni personne, n'a mis le pied. Il s'avance en flairant , deux murailles, un trottoir déjeté, une vitre fêlée, « CREPERIE », plus bas en biais « en faillite » et des pavés. Un petit vent. Un caniveau qui pue. Peut-être un vieux qui crochète une poubelle avec application. Peut-être un chien.

    Et là-haut, dans les étages, "Ti sento ti sento ti sento » - Boris immobilisé - sur le tuyau de gouttière un papier périmé "La Compagnie de l'Oreille » joue "La Cerisaie"- le soleil ne perce pas, un pigeon pique du bec, le chien nez au sol, le pigeon s'envole, fin du disque, le portail s'ouvre, le heurtoir retombe, une femme jeune, vive, sur le trottoir en cape orange ; peut-être que là-haut chez elle les fenêtres donnent sur (le bassin de l'Arsenal ?) Boris lui laisse une bonne distance d'vance, la suit (la cape orange !) place Mazas, à la Morgue au Pont d'Austerlitz. Il baptise la femme "Ysolde", au-dessus de la Seine l'odeur de l'eau emplit les narines ou le devrait, un jeune homme dépasse Boris en rejetant son foulard sur son dos.

    Place Valhubert, face au jardin des Plantes, il la suit de très près, de feu rouge en feu rouge, la cape orange court et court dans le déferlement des roues, un grondement continu remonte par le Quai d'Austerlitz, les voici côte à côte.

    Elle a très exactement le nez de Paris, les cheveux bouclés, le sac à main est vert – il la perd – bouche de métro – figure obligée - couloirs d'Austerlitz. Chacun sa voiture. Station, station - près de la porte – montant de chrome - pivote, s'efface - pivote, redescend, remonte – bienfaisante affluence - le nez dans les cheveux d'autres femmes ou sur les calvities, les pellicules - « Place d'Italie » - facile - la cape orange force - Boris lourd et vif contourne les épaules, les hanches, passe de biais, trébuche devant le dos des vieilles.

    Une autre rame et même jeu. C'est elle, la rockeuse latine – mais à la station vide, enfin, où elle descend, la femme fait volte-face, l'insulte, le frappe avec son sac à main - « Attendez! Attendez ! » - Boris court, trébuche. Ils débouchent tous deux à l'air libre [Nuit, Pluie] :

    « Qu'est-ce que tu me veux ?

    - Vous parler.

    - Me parler, me voir, me toucher, me sauter, dégage!

    - "Ti sento, ti sento , ti sento"!

    Ils crient, ils courent [pluie renforcée] - Votre nom? Votre prénom?

    Un portail lui claque au nez. 26 rue de M. Le même disque aux deux adresses. Boris s'essuie la joue, tourne le dos, s'engouffre dans son propre escalier, tourne la clef de son enclos – aussitôt le disque se déclenche, très fort – alors Boris danse, comme un ours, comme un boeuf sous électrochoc ; le lendemain il se demande pourquoi le père de Marianne amène sa fille à la loge. Soit pour le narguer. Hypothèse exclue : le divorce fut aux torts exclusifs de Boris. Soit pour se débarrasser de Marianne - haine réciproque. Possibilité de récupérer l'affection de sa femme = ? Boris lutte cinq minutes contre la nostalgie. « A moins que » poursuit-il « le nouveau mari ne dépose Marianne chez le concierge que pour se rendre chez une maîtresse - Mauricette » - il l'appelle Tcherkessova - me reviendrait - ah non ! »

    Le concierge est suspect : parfaitement, Grossmann. Impossible à filer. « Il s'introduit là-dedans comme il veut ; il se sert en saucisson , il prétend que l'appartement sert de chambre de passe ; il déclencherait lui-même « Ti sento" sans parler - quand le disque se déclenche Boris ferait mieux de lorgner par-dessus la loge depuis là-haut plutôt que de courir s'écraser l'oreille au mur, Grossmann lit dans sa chaise longue, bientôt dans son fauteuil roulant – ce n'est pas lui. A moins qu'il ne tienne une télécommande sous le journal ? "Acheter des jumelles".

    Boris se pla soque au mur, haletant, les lèvres sur la peinture sale, soud ain le disque ralentit, la voix vire au grave en pleurant, c'est la panne, c'est grotesque. Silence. La cour est noire. Grossmann est rentré. Dans le ciel la rougeur de Paris, les meubles se découpent peu à peu, Boris se déplace avec des précautions de poisson-chat. Les autres cours résonnent, lointaines, aquatiques. Un faisceau mobile sous la verrière de la loge. Et voici les fenêtres partout qui s'éclairent. Fin de la panne. « Sauf chez moi ». Le disque ne reprend pas.

    Boris frappe à la cloison. C'est la première fois. Dans l'épaisseur du mur en dessous une tuyauterie transmet un message , la minuterie des cages d'escaliers se rallume. A côté, personne. Pénombre. Inquiétude. Boris téléphone : « Concierge ! Concierge !

    - Vous êtes obstiné, M. Sobrov.

    On a trouvé en Chine centrale une touffe de poils n'appartenant ni à l'espèce animale, ni à l'espèce humaine.

    ILS Y RETOURNENT.

    Le concierge souffle au deuxième palier ; il resserre ses bretelles . -...Vous n'avez jamais vu de petite femme blonde, frisée?...Nez en trompette, cape orange ?

    - Les femmes changent souvent de vêtements. Je ne sais pas ce que vous trouvez à cet appartement. Il est loué. Personne n'y habite. Vous feriez mieux de consulter les petites annonces.

    - Je ne veux pas déménager.

    - Les annonces matrimoniales.

    Vous me prenez pour un cinglé.

    ILS ATTEIGNENT LE TROISIEME ETAGE

    - Le r'v'là votre appartement...C'est ouvert. Il y a de la lumière. »

    En bleu de travail à même le sol, un coffret d'électricien entre les jambes, les yeux levés la bouche ouverte, le père de Marianne. Il dit : «J'installe. - J'installe quoi ? » Il se redresse. Un mètre quatre-vingt dix. Des cheveux gris blanc. Boris ne lui serre pas la main. L'Alsacien est de la même taille. « Vous ne m'avez pas dit que vous étiez électricien, dit Grossmann.

    - A l'occasion.

    Le concierge sort trois bières du frigo. « C'est petit ici dit-il. Je me suis trompé dans les branchements l'année dernière. Moi aussi je bidouille de temps en temps." Il prononce « pitouille ». Boris demande lâchement au père de Marianne ce qu'il tient dans la main. L'autre appuie sur les touches d'une espèce de boitier blanc ; chacune d'elles correspond à un bruit particulier. Il fait entendre successivement : l'ouverture d'une porte, le déclenchement de la radio, la chasse d'eau, une baise. Tout cela sort d'une bonne dizaine de haut-parleurs habilement dissimulés dans tous les angles des plafonds.

    - Je peux aussi allumer ou éteindre les lumières, lever ou baisser les stores.

    Ses doigts pianotent avec désinvolture, c'est un vrai tonnerre de stores.

    « Vous pouvez mettre un disque en route ?

    - Je n'y ai pas encore pensé.

    "Ti sento" trône sur le tourne-disque, noir, insolent .

     

    X

     

    Les trois hommes se retrouve au « Rétro" pour de bons instants de gueule. On a les amis qu'on peut. Les garçons portent des tabliers blancs, des moustaches en crocs et des rouflaquettes. Décor ordinaire, prix modérés. L'Alsacien picore des moules en faisant des grâces, , Boris ne quitte pas des yeux le grand Auguste, père de Marianne, second mari de sa femme, qui décortique l'os de son petit salé. « Tu comprends Boris dit Auguste en mastiquant – ce tutoiement me souille l'estomac - nous sommes quatre à louer cet appartement ; Heinrich - il montre l'Alsacien qui empile ses valves au bord de son assiette - nous a signalé une belle occase.

    "En revanche il ne paie rien et peut baiser à deux pas de chez lui - tu ne manges pas ? » Boris enfourne précipitamment sa fourchette de nouilles : « Je ne crois pas ce que vous dites, fait-il la bouche pleine.Grossmann avale d'un trait un verre de Traminer. « T'entends ça Heinrich, v'là l' Russkoff qui se la joue fleur bleue. Mais y a personne là-dedans, mon vieux, rien que des couples de passage, comme toi et moi! » L'Alsaco rit très fort. Boris : « Connaissez-vous une femme blonde avec une cape orange ? avec un sac à main. » J'aurais bien revu ma femme ; Auguste me protégerait contre les rechutes.

    A haute voix : « Je peux venir avec vous ? » Auguste devient dur. Il dit que c'est trop tôt. L'Alsacien bien rempli devine tout. Il se rejette en arrière, repousse les moules : « Ma femme ébluche des patates à la loge - tranquille! La sienne vient souvent au 126 faire des passes. » Et Boris ne bondit pas. « Vous êtes tous montés sur ma femme ? ...On ne peut pas satisfaire une femme en la faisant pute !... Est-ce qu'elle va bien ? - Comme une pute dit Auguste. - Vous mentez. » Le ton monte. Boris dit qu'on lui vole un amour immortel, juste au-delà du mur ; que c'est une jeune femme isolée qui vit là, chaste, mystérieuse, attirante, d'origine italienne, et silencieuse. « Quant à la connasse qui partage ton lit maintenant, elle ne mérite pas tant de recherches. »

    De retour chez lui Boris, calmé, examine la situation. Il avait failli

    nouer des liens : ces hommes indignes ne

    l'impressionnaient plus.

     

    X

    Ce que se disent les petites filles

     

    - Je vois ton père tous les jours dit Marianne.

    - Plus maintenant dit Sandra.

    - Tu t'appelles Sandra dit Marianne c'est naze.

     

     

    Sandra souffre de son prénom : une idée qu'elle a. Sa mère la couve ou l'engueule, c'est selon : « Tu ne verras plus ton père. - C'est pas juste. - Il me tirait par les cheveux. - Pourquoi Marianne elle peut le voir, papa ? » C'est Marianne qui répond, un soir, sous les draps : « Un jour il me tripotera, et comme ça il aura des emmerdes ; les étrangers, c'est tous des anormaux. - Pourquoi tu fais ce qu'il te demande alors ? - Ça m'intéresse de me faire tripoter. - Il le fait ? - De toutes façons je ne peux plus y aller. - Tu lis que des cochonneries. - Toi aussi. - C'est pas les mêmes livres.

     

    X

     

    Lettre d' Irène (“Tcherkhessova”) à son ancien mari

     

     

    Cher Boris,

    Auguste nous laisse de plus en plus tomber. Il s'absente, et ne boit pas. Son humeur est de pire en pire. Tu m'as parfois claquée mais après on s'embrassait, lui, c'est ni l'un ni l'autre. Je m'ennuie tellement que je me mets à lire. Marianne, c'était pour avoir de tes nouvelles, mais elle ne dit que des méchancetés, Auguste ne veut plus qu'elle te revoie, il a peur que je te rencontre, il nous boucle toutes les trois, il revient à deux heures du matin, il ne sent même pas la femme, on peut dire que je n'ai pas de chance.

    L'après-midi va sur sa fin, il y a encore du soleil. Sandra lit beaucoup. Je t'embrasse.

    Irène.

    X

     

    Suite

    Une femme blonde en cape orange, très à la mode en ce temps-là, Sandra, et Marianne, en jupe vert crado, se faufilent dans l'appartement mystérieux ; les pièces ne conservent aucune trace d'occupation : murs propres, meubles d'hôtels, fringues bon marché sur les cintres, autant d'hommes que de femmes ; Sandra déchiffre les titres sur l'étagère : « Ainsi parlait Zarathoustra », "Vieux crus de Bourgogne", les "Fables" de La Fontaine, qu'elle ouvre sur un canapé bleu, les genoux bien droits. « Qu'est-ce qu'on est venues foutre ici ? » dit Marianne. La tête plate d'Irène (une idée qu'elle a) pivote à la recherche des judas décrits par Auguste. Marianne se dirige à pieds joints vers le tourne-disque. "Ti sento", qu'est-ce que ça veut dire ? - "Je t'entends", "je te sens", dit Clotilde.

    Elle applique son oeil au viseur : juste aux dimensions de son orbite. Sandra, qui lève les yeux, ne voit de sa mère que la tresse blonde remontée en crête, à l'indienne - "Ti sento ti sento ti

    sento..." - Marianne ! Qu'est-ce que tu fais dans mon dos ? » La rhytmique passe d'un baffle à l'autre (échos stéréo, effets de vagues, caisse claire – "ti sento ti sento") - « Les Italiennes crie Marianne faut que ça gueule ! »

    Irène voit tout par l'œilleton : Boris qui danse avec des grâces d'ours, qui se balance,qui tourne sur soi-même, puis d'un seul coup fonce droit sur le judas. La perspective déformée fait voir une grosse tête de tétard avec un petit corps et des petites pattes derrière. Si Irène se retire, il verra la lumière, il se saura observé – deux yeux de part et d'autre se fixent de trop près pour se voir, c'est Boris qui recule, qui montre le poing, qui prend un gros cendrier puis qui le repose, pour finir il se tourne et se dégrafe la ceinture, sa femme s'enlève du trou, le disque continue à gueuler.

    Quand le silence est revenu, les trois espionnes se sont regroupées sur le canapé, elles se parlent tout bas, un verre se brise de l'autre côté de la cloison – "et s'il s'ouvre les veines ?" dit Sandra, "Tu connais mal ton père" répond sa mère. « Ce qu'il faudrait dit Marianne ce serait de faire venir ici une femme très jeune et très blonde. Moi j'aimerais devenir une jeune femme blonde. - Ça m'étonnerait ricane Irène. Marianne dit d'une voix bizarre qu'elle en connaît une qui lui plairait bien, qui serait prête à emménager ici ; elle n'a qu'un seul défaut : « Elle a voulu me tripoter. - Tu ne penses qu'à ça dit Sandra. - Où as-tu connu cette femme ? Dit sa mère.

    De l'autre côté une porte claque, une clef tourne dans la serrure, Marianne n'a pas répondu, « Il s'en va » dit Clotilde. Elles quittent précipitamment toutes les trois le 127 et descendent quatre à quatre les escaliers. « C'est papa ! C'est papa ! » crie Sandra . Elle saute contre le carreau sale ; en face dans la cage vitrée symétrique Boris tête basse - « vite ! » - Sandra fait le tour, pousse le vantail du rez-de-chaussée, reçoit son père dans ses bras, Boris chancelle, Marianne et sa femme se sont rejetées à l'intérieur, Auguste rapplique sur le trottoir les deux hommes se gueulent dessus en même temps Qu'est-ce que vous foutez là ? - Sandra s'enfuit en pleurant, on l'entend courir dans la rue de l'autre côté du vantail.

    « Elle remonte vers le métro dit la mère, pour une fois elle se prend Marianne dans les bras - « tu trembles ? » A voix contenue les deux hommes continuent à se quereller, ils ne veulent pas se battre, ils n'ont rien à se reprocher, rien de bien précis - « Le judas ! » crie Boris – puis tous s'enfuient, Marianne et Irène repassent la porte cochère en retenant leur souffle, Sandra est sur le quai, elle n'a pas osé prendre le métro toute seule.

     

    X

     

    Boris viole des domiciles

    Boris tient à la main une lampe sourde. Il a juré qu'il finirait bien par savoir « ce qui se passe ailleurs ». Au moins savoir « ce qu'il y a » : des objets, des profils de vases dans la lumière,

    des coins de meubles, des coudes de fauteuils. Et puis la peur, l'envie d'être surpris, d'être abattu : les intestins, le coeur. L'intérieur. Il a eu l'idée d'envelopper ses souliers. Il voit des.piles de livres, un bureau, un miroir où il se reconnaît avec sang-froid - pourquoi ces portes intérieures ouvertes ? qui est-ce qui bouge dans l'armoire ? - autant de sourdes palpitations. Déjà Boris aimait de jour longer les murs où les fenêtres au rez-de-chaussée se défendent sous leurs jalousies de bois ; il regardait furtivement, par-dessus, la préparation du repas et les lèvres qui remuent dans le vacarme des voitures, la blême électricité du jour qui tombe ; plus au premier étage, parfois, des têtes coupées par des larmiers, des bras levés dans des armoires, qui ferment des volets.

    Ce qui instruit aussi c'est de se porter en avant des passants, pour capter leurs propos tronqués, insensés, « alors je lui dis... » - « et elle a répondu... » - Boris choisit les appartements momentanément vides, c'est toute une enquête, toute une filature, il épie les femmes seules mais toutes se méfient, instinctivement, se retournent à l'improviste, il se rabat sur la loge du concierge, un soir qu'ils sont au cinéma – rien d'exceptionnel : des tiroirs, des ficelles, des cartons, des rideaux champêtres et la Bible en allemand. Il flotte une odeur de loge. Non, le bon plan, ce serait d'entrer juste sur les pas d'une femme mariée, sans viol, avec des enfants bruyants, un mari dans un fauteuil qui demanderait "Qu'est-ce qu'il y a au programme à la tévé ?" - les gens auraient laissé la porte ouverte.

    ...Il s'est introduit par la cuisine, s'est glissé dans le vestibule‚ aplati dans l'allée du lit, la peur au ventre et la retraite coupée, s'est dévoilé. « J'aimerais qu'on viole mes intimités », c'est ce qu'il a dit, le mari a gueulé «Appelle la police ou les dingues », il s'est enfui d'un bond. L'étape suivante est de surprendre un couple pendant son sommeil. Il dort deux heures à l'avance. Plusieurs fois il s'enfuit sous les signaux d'alarme. Il acquiert une grande dextérité dans le maniement des clés plates. La marche à l'aveuglette : silence absolu, retraite assurée. Les doigts sur la lampe, translucides et rosâtres, l'ombre des os – des sens d'aveugle – aucun heurt. et ne heurte rien.

    Les enfants n'entendent rien. Eviter les chiens, à tout prix éviter les chiens. Mais parvenu sur place : jamais - les gens ne ferment leurs portes intérieures. Boris hésite, sent s'épancher l'onde mixte d'un couple, devine formes, souffles, parfois le néon de la rue - la veilleuse - ou la lune – qui surlignent un profil ou modèlent un visage entier – sur les lits de doux mouvements de dessous l'eau. Les couples aux yeux fermés se regardent ou se tendent le dos, jamais ne font l'amour, ni ne s'éveillent. Boris ensuite redescend à pied la rampe du parking souterrain, sans arme, sous le plafond trop bas la lumière et la forte musique où se fondraient les cris de victimes, sur fond de vrombissement d'extracteurs d'air.

    Le sol est noir semé de paillettes, les voitures de longs corbillards aux chromes troubles, Boris ne sent pas le danger. Il ouvre les portes, ne trouve qu'un parapluie télescopable qu'il jette sous de grosses roues, plus loin. Il couche dans le duvet vert qu'il tenait sur son dos et s'allonge place 27 ou 30, à 7 h une équipe de réanimation le tire à demi asphyxi », il doit se présenter chez un psychiatre commis d'office, il maigrit, ne parle plus, reste en liberté, ressort plus fréquemment - ti sento ti sento ti sento" – chaque soir de plus en plus fort, la cloison tremble il n'en parle pas pour éviter de passer pour fou - ses déplacements ne sont pas encore sous contrôle, une nuit, mouvant paisiblement ses doigts en coquille rose, il se sent soudain saisi au- dessus du coude : « Qui t'a mis sur le coup ? »

    - Personne, personne, dit Boris.

    Le cambrioleur fait main basse sur tout ce qu'il trouve avec une banalité de toute beaut‚ le Couple sur sa Couche sommeille dans la présence, Boris suit le voleur sur le palier, le frappe et le laisse évanoui, il a le coeur qui bat à se rompre, c'est à présent une nécessité : repérer l'immeuble et les allées et venues, s'introduire de jour dans l'escalier, chercher refuge dans des coins très exposés, les concierges n'existent plus, les siens sont les derniers ; il reconnaît volontiers qu'il lui serait totalement impossible de travailler en banlieue.

    Cela devient de plus en plus monotone, de plus en plus excitant. Un homme seul soudain sortit de son sommeil, ouvrit les yeux, se dressa, le fixa sans frayeur. Boris sortit à reculons, heurtant une chaise, ce n'est rien murmura l'homme à sa femme qu'il n'avait point vue. Aussi les jours suivants Boris se livra à une frénésie d'effractions, perdit toute maîtrise, mangeant peu, ne buvant plus une goutte de vin. Il s'engagea dans une interminable suite de pièces de plus en plus profond devant une file de - fauteuils, tables, dressoirs, houssés de blanc, et comme une lueur l'attirait il se trouva auprès d'une veilleuse comme on en voit souvent au chevet des enfants.

    Le mort est sur le dos, nez découpé, bras le long du corps, femme à son côté les yeux grand ouverts, boucles noires détachées sur le blanc cassé de l'oreiller. Un souffle passe ses lèvres entrouvertes et la femme sourit, découvre sa poitrine et son bras jaune, Boris éclate en sanglots et se retire au pas de charge à travers tous les meubles, dévale les étages et sur le trottoir lâche une clameur de victoire. Il se barricade chez lui jusqu'à midi. Il a dormi sans rêve, sa bouche n'est pas sèche, vérifiant son haleine au creux de la main il la trouve très pure, le soleil donne à travers un trou du rideau.

    Tirant du lit son bras gauche il observe à présent l'étrange phénomène de la terreur, un frisson dressant chaque poil au sommet d'une minuscule pyramide, quoiqu'il éprouve une intense irradiation de paix. Il respire profondément, rejette le drap des deux jambes et se prépare un café‚ des chansons plein la tête, il se fait des grimaces en se rasant. Il sait qu'il ne retournera plus dans les appartements obscurs où s'endorment les spectres. Il change tous ses habits de la veille. En promenade il s'achète des chocolats et des pralines pour vingt francs‚ et, l'estomac délicieusement barbouillé, passe rue Broca, traverse Port- Royal, son pas est vif, l'atmosphère encore matinale, je suis heureux de vivre seul..

    Il se tient droit, respire le trottoir fraîchement arrosé, se perd place Censier, remonte vers la Mosquée, repère une affichette contre l'invasion du Tibet, voit sortir de Jussieu une marée d'étudiants. Puis Boulevard Saint-Germain, le pont, rue Chanoinesse le cœur neutre, indolore à présent, rue Massillon, puis le métro. Il se récite des vers, personne ne fait attention aux fous dans le métro. Demain – trois mois depuis le divorce – finies les scènes de soixante-douze heures – nuits comprises - bénie soit la solitude, la solitude, la solitude. Il revient chez lui, chez son disque, chez une femme imaginée dont il est fier de se passer.

    Il jette sa veste sur le lit, court se coller à la cloison et frappe au mur, c'est la première fois qu'il ose, que ça lui vient à l'esprit, les solutions les plus simplistes vous surprennent comme ça, d'un coup, de taper comme les prisonniers de partout - un coup pour A , deux coups pour B, c'est l'illumination, c'est l'évidence, il tape 17, 21, 9 ; 5, 20, 5,19 ; 22, 15, 21, 19 « QUI-ETES-VOUS ? » ça répond "M-O-N-I-C-A" puis le mur dit « 21, 5, 14, 5, 26 » - « Venez me voir » - cest un appartement de passe pas vrai dit une voix ce n'est pas vrai TI SENTO TI SENTO TI SENTO chant de cristal tout en écho tout en feed-back « estatua spaventosa, io son la tua schiava, ti sento ti sento ti sento" - « statue effrayante je suis ton esclave car je t'aime perchè ti amo et Boris danse, danse, depuis Monteverdi, Gesualdo, Lulli, toujours, toujours dans l'opéra italien la modulation en finale "perchè ti amoooo" - Boris danse, danse, "this is a long-playing record" - l'amour est d'être l'écho de l'Autre l'infinie répétition de miroirs face à face à l'infini qui se recourbent il est sûr qu'elle aussi danse de l'autre côté du mur il sait qu'ils s'effondreront haletants sur les divans exactement symétriques il sait que ce moment ne devra pas cesser.

    Viens dit le mur vien me voir - et la voix,la voix du disque interminable crie, vivante, en boucle, fend le plâtre et bat dans l'aorte, dans l'occipitale – ils sont bien habillés tous deux, pâles, très pâles, calmes. Elle a souri la première, il a ouvert les bras, il ne la connaît pas mais c'est comme

    si l'on se revoyait, se remerciait – vous avez tous connu cela - dans les deux sens du mot reconnaissance : le vrai désir vient des traits du visage « j'ai pensé à vous Ne me regarde pas comme tu as tardé » peu importe qui parle, ils s'assoient loin l'un de l'autre.

    X

     

    A quatre rues de là une famille unie regarde la télé un captivant programme : ce sont deux captifs en effet, l'homme, la femme, tournant dans un petit appartement, frappant les portes et fenêtres, sondant les murs, balançant leurs gros plans de gueule sur les caméras repérées hors d'atteinte et les insultent, cherchant sous l'évier des pots de peinture et de n'importe quoi, s'étreignent désespérément ; juste à l'instant où ils s'exclament "s'ils veulent du spectacle ils en auront", Auguste tourne la tête vers son épouse en larmes qui éloigne les enfants, deux filles sans expression, qui se tiennent par les épaules : « Vous avez assez regardé. Sandra, Marianne, on part en promenade » et les filles cherchent le plus longtemps possible leurs vêtements de pluie.

    Auguste dit alors qu'il faut en finir, sort de sa poche un téléphone, Sandra pose la main sur le poignet de son beau-père, atteint la télévision avec de grandes difficultés respiratoires.

    Boris et Monica, nouvelles connaissances, se trouvent déjà rendus aux dernières extrémités de leurs adieux : allongés sur le petit lit de reps rouge, ils se sont pris aux épaules, par la taille, la bouche et les larmes, et se sont placés côte à côte, sans se toucher. Le pli de leur bouche s'est effacé, puis ils se sont souri, se sont pris la main, se sont relevés pour vérifier posément la fermeture des portes, ont adopté le comportement le plus ordinaire.

    Ils ont attendu. Monica s'est levée pour passer le disque, ils ont dansé en se serrant, la harpe électronique dans les oreilles comme une armée en marche ; à quatre rues de là Sandra et Marianne réconciliées dévalent l'escalier : « Je ne peux pas supporter dit l'une d'elle qu'on tue, qu'on torture, il y a trop longtemps que l'école est finie, que les seuls événements sont ceux des parents et des beaux-parents. » C'est à peu près ce qu'elles se disent. «  Nous allons vivre ensemble ajoute Sandra, et Marianne sous ses cheveux raides se moque d'elle : « Il faudra chercher des hommes, comme les grandes ! »

    Les deux filles donnent l'adresse au Commissaire le plus proche. Elles parlent de « torture ». « Séquestration » rectifie le Commissaire. Pendant ce temps, Auguste le Nouveau Mari et Irène la Nouvelle Femme décident pour Boris (et Monica, qu'ils ont recrutée dans la rue) un châtiment pire que la mort, la Perpète :

    Marions-les. As-tu vu comme ils s'aiment ?

    Tu as laissé sortir les filles ?

    Monica sera comme un taureau qui survit à la corrida : irrécupérable ; tomber amoureuse de sa cible ! Je n'aime pas la banalité.

     

    - Tu te rends compte de ce qui peut leur arriver seules dans la rue ?

    - Elles sont déjà au Commissariat.

    - On va leur rire au nez. Je ne veux pas que mon ancien mari – que Boris soit tué.

    - Ne t'en fais pas. Tout le monde comprend tout au moment de mourir.

     

    X

     

    Dans l'appartement 127, Boris prend une résolution : armé d'une paire de ciseaux, il tranche tous les fils qui se présentent. Le disque s'interrompt, le silence tombe comme une masse, Boris parle dans un micro qu'il a découvert sous un pot ; peut-être sa voix débouche-t-elle dans un gros mégaphone au milieu d'une pièce vide : plus la peine de l'écouter. (il crie à s'en péter les veines). Derrière une armoire qu'il fait pivoter s'enfonce un escalier, où s'entassent des journaux, des cageots, de la poussière ; descendant plusieurs étages, il parvient au niveau des caves – quatre étages exactement - "Ti sento" se déclenche « Qu'ils y viennent, qu'ils y viennent » dit-il ; Auguste et Irène font alors irruption au 127 abandonné, baissent le son. Ils sont accompagnés d'une demi-douzaine de gabardines grises mettant à sac tout ce qu'ils trouvent dans les deux appartements, dans les deux immeubles.

    « Regarde, crie Auguste en brandissant des disquettes : rien n'est plus à jour ! Il ne foutait plus rien, rien du tout ! »

    Les filles sont ravies.

    Il règne un tumulte hors de toute mesure ; tous se bousculent dans le boyau qui mène aux caves, on s'interpelle en français, en itlaien, en russe, pas un coup de feu n'est tiré, cependant, Boris s'est faufilé dans un dédale. Partout règnent des portes à claire-voie, des planches verticales, des dos d'armoires en biais. La sciure, et la pénombre qui descend des soupiraux. Les couloirs se retournent sur eux-mêmes. Le tapage des poursuivants permet d'abord très bien de fuir sans discrétion, puis le silence s'établit. On n'entend plus, là-haut près des trottoirs, que les passages espacés des voitures. Boris est cerné, dans un labyrinthe de bois. Sa main serre une solive hérissée d'échardes, il est assis sur une cuisse, s'il dégage son pied le couvercle d'un seau (par exemple) s'écroulera. Sa respiration courte soulève sous son nez la poussière d'un abat-jour et les sbires se rapprochent. Ils écartent les obstacles avec la précision

    des joueurs de jonchets  Mikado. Les deux filles arrondissent les yeux et mettent le doigt sur la bouche, Boris se minimise - « Il nous le faut vivant » - et lorsqu'il s'aperçoit que sans l'avoir senti sa manche imperceptiblement glisse contre un vieil étui de violon, Marianne pointe exactement sur lui son doigt et souffle à mi-voix : « Ti sento ti sento ti sento ».

     

  • Je ne sais pas

    C o l l i g n o n

    R O U T E D E B R A N N E

    RÉCIT

     

     

    ÉDITIONS DU TIROIR

     

    Semper clausus...

     

    Qui veut voyager loin prend la route de Branne. Inutile de pousser jusqu'à Bergerac où l'on se rend de deux façons : soit par le Pont de Pierre estampillé "N", les Quatre-Pavillons et la route de Libourne, soit par le Pont St-Jean, inauguré le quinze sept soixante-neuf par le bal sur tablier – puis Fargues-St-Hilaire – et Branne. À St-Pey d'Armens les deux routes se rejoignent (Castillon, Ste-Foy...) - mais il suffit d'aller à Branne : "le lieu des terres brûlées" – ou "le marécage" – bourg disgracieux au premier abord mais beaux rivages, agrafés par un pont de fer, tronçon tombé là comme un morceau de Tour, Eiffel, signe particulier : brouillait la radio.

    La route de Libourne est pour les pressés, qui font Paris-Sète par Bordeaux, pour la vitesse – en ce temps-là le Massif Central n'était pas encore "désenclavé", et s'il l'était resté on y retrouverait moins de cons – "à main gauche St-Émilion et son église monolithique" troglodyte, en fait.

    gironde,fleuve,mascaret

    La seconde façon d'aller, par Branne, est celle des flâneurs, des intelligents flâneurs. Une route engorgée de villages, laissant de côté les centres-bourg – Tresses, Baron, Vieux-Procédé – pas une demi-lieue qui ne soit jalonnée de souvenirs. Et s'il est vrai que toute route soit la Route, la mort au bout,ou bien le beau retour aux sources, alors qu'importe en vérité, qu'on s'accomplisse ou meure...

    Nous verrons bien ce qu'il advient de cette sérénité.

    Ma ville, c'est Bordeaux. La route de Branne est le cordon ombilical, effilé, insectionnable - partons du début, non pas des enfances enfouies désormais dans leur préhistoire, mais de cette interminable, fascinante et immobile adolescence, où l'avenir avait le goût doré de ces orages mort-nés.

    Cela me vint d'abord sous forme de comptine :

    Une chambre sur un mur

    Qui donne sur l'arrière-cour

    Avec des murs de vert cru

    Où pousse le lichen bien dru.

    C'est de moi. En baissant les yeux par la fenêtre je voyais aussi une terrasse aux rebords d'alu bitumé. Tout est parti de là. Ou resté. La consigne est de décrire cette chambre comme une cellule, un boyau où vécurent sous la poussière, classés à plat dans les placards, tous les dossiers, tous les projets empilés bien étiquetés sur tranche : ROMANS, ESSAIS, POÈMES, lève-toi et marche. Dans ce décor un homme, prénommé B., dont la femme lui gâte la vie sans qu'il se soit jamais demandé pourquoi, et qu'il fuit jusqu'au bout de sa laisse aux confins des campagnes départementales, mettons Créon, Sauveterre et Branne – en lisière.

  • LES QUETEURS DE BEAUTE - LE VIOL D'UN JEUNE HOMME ESPAGNOL

    COLLIGNON

    LES QUÊTEURS DE BEAUTÉ

    Éditions du T i r o i r

    COLLECTION DES AUTEURS DE MERDE

    "Ce que vous dites sur les prostituées de terrain vague ne me surprend pas. Ainsi -

    penchez-vous un peu - dans cette encoignure, sous ma fenêtre, on a violé un jeune homme

    espagnol.

    - N'avez-vous pas appelé la police ?

    - Que pouvions-nous faire ? "

    terrain,vague,bouteilles

    ...Tanger en pointillé : sur le plan, une quantité de rues, de places, de ronds-points,

    baptisés et disposés selon les canons de l'urbanisme. Seulement, depuis le rattachement

    de la zone franche au Royaume, l'argent manque. Entre les rues Vermeer et Tolstoi,

    au centre ville, s'étend un terrain vague oublié. On y pénètre par un trou du mur d'enceinte.

    Dès l'entrée, le sol se gonfle de bosses de terre, craquantes de tessons de verre.

     

    - Ils l'ont violé à sept, à sept ils s'y sont mis. Sous ma fenêtre. Ou en face, je ne sais

    plus.

     

    Le jeune homme espagnol un soir descend la rue sans méfiance, avec trois

    camarades. La discussion est animée. On rit de tout. Mais leur façon de rire est différente. Deux

    autres, puis deux, par hasard, des cousins, de vingt à trente ans. Les lampes brillent. Les

    plaisanteries tournent mal, les coudes se heurtent, l'Espagnol comprend qu'on tourne ses

    bons mots en dérision.

    C'est un jeune homme de quinze ans, brun, les joues mates et pleines, il a de grands yeux

    et les cheveux plaqués. Les autres, des grands Marocains secs, l'entraînent par la brèche

    avec des mots durs et il se défend, il repousse les bras, il menace en forçant la voix. Il croit qu'on veut lui casser la gueule.

     

    "...et il criait ! et il pleurait ! il en faisait, une histoire ! "

    On lui maintient les bras dans le dos, et puis on se ravise, on les tire en avant, il lance des

    ruades dans le vide. Quand on l'a fait basculer, quand ils ont immobilisé ses jambes,

    il a commencé à crier, car il a compris ce qu'ils veulent. Ce sont d'indignes sanglots, des supplications - les autres, excités par les cris, s'exhortent dans leur langue et couvrent sa voix, l'insultent, halètent et le dénudent.

     

    "...et il appelait sa mère ! il appelait sa mère ! " Madre ! "...et il appelait sa mère ! il appelait sa mère ! "Madre ! " - le pauvre jésus ! comme il était mignon ! " ¡ Madre ! ¡ Madre ! La mère ne vient pas. Elle n'est pas de ce quartier. Les cris s'étouffent entre les murs des cinq étages. L'enfant pleure. Les autres hurlent, se disputent les préséances :

    à qui tiendra les jambes, à qui le tour, certains préfèrent l'étroitesse, d'autres le confortable,

    le jeune homme pleure. Il a cessé de supplier, il ne se débat plus. Ce n'est plus drôle.

    Il n'entend plus que les pensées qui se battent dans sa tête en une seule immense

    sensation confuse de chute et d'une mère qui ne viendra plus Dieu merci, à qui jamais plus il ne se

    confiera surtout ce plaisir ressenti, ce destin sans fissure où l'enfoncent encore à

    l'instant ces coups sourds qu'il ne sent plus l'atteindre et la boue apaisante coulée dans son

    corps.

     

    "Vous avez regardé tout ça sans broncher, penchés à vos balcons sur cinq étages, sans

    intervenir ? À vous rincer l'œil ?

    "Viens voir ! qu'est-ce qu'ils lui mettent ! pauvre enfant

    "Mais qu'est-ce que tu crois ? Qu'est-ce qu'elle aurait donc pu faire, ta police ? Tu

    t'imagine qu'en téléphonant tu l'aurais fait venir plus vite ?"

     

    "...Chaque seconde durait des siècles... »

     

    "...On voit bien que tu ne connais pas ces gens-là ! Ils se soutiennent tous, va ! Tu penses

    bien qu'on n'aurait jamais retrouvé personne.

     

    ...Je jure que je les aurais tous reconnus, tous les sept, dix ans après...

    "...On serait passés pour quoi, nous autres ? Encore heureux si on ne s'était pas fait

    enculer! "

    Ils me gueulent dessus, les adultes, à même le corps, ils me dépassent de deux têtes, leurs yeux sont injectés de sang, jamais je n'ai vu à ce point la haine de près, la véritable pulsion du meurtre, s'ils n'y avait pas mes parents leurs amis me tueraient, ils me font taire, mes parents, il est jeune, il ne comprend pas, il faut l'excuser, on est en visite, ce n'est tout de même pas un petit merdeux de quinze ans qui va gâcher la soirée, pour une fois que les Chardit nous invitent (...)

     

    ...Pedro Vasquez, homo à Lérida, l'extrême nord de l'Espagne, le plus loin possible, avec

    tout un passé de vieille tante - la cinquantaine aux tempes argentée - bien ri, bien bu au bar, beaucoup aimé, frappé les putes qui ne sont jamais, jamais venues à son secours, qui ne lui ont jamais donné ce plaisir qu'elles éprouvaient jadis peut-être, quand elles étaient femmes...

     

    ARÈNKA 6

     

     

     

     

    Pour les enfants qui lisent,

     

    espèce en voie de disparition...

     

    ARÈNKA 7

     

     

     

     

    Pourquoi chercher dans les rénèbres ?

    Je suis là, moi, Georges-Emmanuel Clancier,

    Resplendissant chercheur drapé d'obscur,

    Alambic cérébral des céréales d'or.

    Pour moi, prends ce balai de caisse claire

    Et conduis-le au sein du tambour,

    Frotte de sa paillette la peau de l'âne mort.

    Un rien suffit à Dieu : tout s'effondre,

    Et le seul fait d'être regardé (...)

     

     

     

     

     

     

    ARÈNKA 8

     

     

     

     

    Il était une fois une planète toute ronde et toute brillante, comme une de ces grosses billes appelées "biscaïens", que les garagistes recueillent pour leurs enfants dans les vieilles roues des voitures.

    Il n'y avait rien de solide à la surface de cette planète, ni continent, ni petite île, mais un immense océan sans vagues, et luisant. C'était peut-être du mercure, comme celui des thermomètres : on ne pouvait ni en boire, ni s'y baigner.

    Pourtant, la planète Arènka (c'est ainsi qu'on l'appelait) possédait des habitants. Ils ne vivaient pas dans le liquide, car aucun poisson ne peut respirer dans le mercure, ni sur le liquide, car personne n'aurait eu l'idée de se promener en barque. Non. Les habitants d'Arènka, ou Arènkadis, vivaient en l'air, au-dessus du Grand Océan, dans d'immenses pyramides suspendues la tête en bas au-dessous des nuages.

    Comme il est dangereux de sniffer des nuagesde mercure, ces hommes avaient inventé des filtres pour ne laisser passer que le bon air, et toutes sortes de merdicaments.

    Bien sûr, ils avaient aussi inventé le moyen de maintenir en l'air ces pyramides creuses, qui grouillaient de galeries à la façon des fourmilières, et une multitude d'Arènkadis. Lorsqu'ils avaient découvert la planète, bien longtemps auparavant, voyant qu'il n'y avait nulle part où se poser avec leuurs pyramides, ils avaient envoyé vers la surface du Panocéan des colonnes d'air très efficaces, afin de rester ainsi suspendus. Mais ces colonnes d'air creusaient de fortes vagues, et tout le monde perdait l'équilibre à cause des remous et vomissait parles fenêtres, ce qui formait de très vilaines taches en surface.

    Ils eurent alors l'idée d'envoyer des vibrations électro-magnétiques sur le Grand Océan. Cela fonctionne comme deux aimants : parfois ils s'attirent et se collent, parfois au contraire ils se repoussent, et tu ne peux les joindre. C'est ce qui se passait entre les pointes des pyramides et l'Océan.

    Ils avaient inventé cela. Mais souvent, des orages très violents éclataient, des éclairs démoniaques frappaient la planète ou les pyramides, et tout le monde devenait sourd à cause du tonnerre, ou recevait des décharges électriques. Alors on avait eu l'idée que voici : les Arènkadis étaient très savants et très intelligents. Ils croyaient beaucoup aussi en leur Dieu, qui leur donnait une grande force quand on le priait très fort et sans penser à autre chose. Ce n'était pas une force des muscles, mais une force de l'esprit. Les habitants de chaque pyramide, c'est-à-dire de chaque ville, choisirent parmi eux les dix personnes les plus intelligentes et les plus croyantes : cinq hommes et cinq femmes.

    Ils fabriquèrent au centre de chacune des pyramides une pièce aux murs de métal, toute blanche, toute vide. Ils y placèrent une de ces dix personnes et lui demandèrent de se concentrer très fort, de prier leur Dieu sans penser à autre chose, pour que la lourde masse restât suspendue, pointe en bas, au dessus du Grand Océan.

    L'homme ou la femme pouvaient rester assis au centre de la pièce, les jambes repliées, pendant dix jours sans boire ni manger ni remuer, parce que le Dieu les aidait. On disait "l'odek est en méditation", et tous étaient rassurés. Odek est un mot arènkadi, signifiant à peu près "maître" ou "maîtresse".

    Tous les dix jours, ils se relayaient, pour ne pas être fatigués, et aussi pour que chacun d'eux n'ait pas la tentation de se croire supérieur aux autres. Les neuf qui ne méditaient pas, en attendant leur tour, s'occupaient ensemble du gouvernement de la Cité. Chaque pyramide restait ainsi en suspension au-dessus du Panocéan, toujours à la même altitude, et pourtant si lourde que le vent ne pouvait la mouvoir.

    C'était comme de grandes villes, où l'on trouvait exactement ce qu'il y a dans nos villes à nous, mais en plus propre : des rues, des galeries, des ascenseurs pour ceux qui n'avaient pas peur.

  • Gygès

    C O L L I G N O N

     

    G Y G È S

     

    Drame en cinq actes

     

    Éditions du Tiroir

    guerrier,pactole,crésus

     

     

    Semper clausus

    Collection des auteurs de merde

     

    Sujet tiré d’Hérodote

    par COLLIGNON Bernard

    (Camemberts, prêt-à-porter)

    PERSONNAGES

    CANDAULE - roi de Lydie

    TYDO - reine de Lydie

    GYGÈS - favori du roi, conseiller de la reine

    XIPHOS - conspirateur, ami deGygès

    LYGDIA - servante de Tydo

    COURTISANS N° 1 - Scatophagos

    N° 2 - Phallokratès

    N° 3 - Pompattyphus

    N° 4 - Trichomonas

     

    ELBATÈS - ennemi mortel de Gygès

    A C T E P R E M I E R

    La scène représente, côté jardin, un portique, d’où descendent trois marches.

    Un plan incliné, large, figure une large rampe de faible hauteur, terminée par une pierre

    angulaire figurant un échiquier.

    Au lever du rideau, XIPHOS et GYGÈS jouent aux échecs sur cette pierre d’angle.

     

     

    S C È N E P R E M I È R E - XIPHOS, GYGÈS

     

     

    GYGÈS va déplacer une pièce.

    XIPHOS l’arrête d’un geste :

    Pas ça. Ton cavalier est en prise.

     

    GYGÈS hésite, remet sa pièce en place.

    XIPHOS

    Pourquoi n’avances-tu pas ce fou ? ...tu prends ma reine, et je suis presque mat. (1)

     

    GYGÈS

    Je te vois venir : juste après, tu descends ta tour, et c’est moi qui suis mat. (Silence concentré) (À lui-même :) Dois-je déplacer ce cavalier ? Hein ?

     

    XIPHOS

    Hmmmm...

    GYGÈS, avec résolution :

    Je le déplace…

    (Silence. Xiphos avance la main)Tiens !

    Ah non ! Non ! je le laisse où il est.

    (Il replace le cavalier)

    Et pourtant…

    (Xiphos montre des signes d’impatience. Gygès reprend le cavalier, le laisse en suspens, puis le repose)

    (Pris d’une illumination subite)

    Tiens ! J’avance le fou, je prends la reine, et ton roi est presque mat !

     

    XIPHOS

    Mais si je descends ma tour ?

     

    GYGÈS

    Pas du tout ! Où vas-tu chercher cela ?

    (Il joue)

    Je prends la reine…

    (Il insiste lourdement)

    Je prends la reine…

    (Xiphos déplace une pièce avec fatalisme)

    (Hilare)

    Le roi est mat ! qu’est-ce que tu dis de ça ?

     

    XIPHOS

    Mon esprit est tourné ailleurs…

    GYGÈS, l’interrompt :

    Moi, je suis toujours tout à ce que je fais…

     

    XIPHOS

    Je songeais à notre affaire… Ne devrions-nous pas soudoyer Ogdoas ?

     

    GYGÈS

    Ce démagogue, ce sac à vin ? Il gâcherai tout. Qu’il reste dans son trou.

     

    XIPHOS

    Ogdoas, c’est le peuple, donc, toute la garnison. Il a vingt mille hommes, à nous tous dévoués.

     

    GYGÈS

    Dis plutôt à toi, oui…

     

    XIPHOS se lève, solennel

    Que le ciel…

     

    GYGÈS

    C’est à lui de tenir de tels serments…

     

    XIPHOS

    Le roi se l’est attaché à coups de millions. Mais (il se penche, jette un regard circulaire) – si tu lui donnes le gouvernement de Bithynie (2), il te suivra, toi.

     

  • Grandeurs et avanies d'un professeur décadent

     

     

     

     

     

    C O L L I G N O N

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Grandeurs et avanies d'un professeur décadent

     

    Catalogue

     

    Éditions du Tiroir

     

     

     

     

     

     

     

     

    BERNARD COLLIGNON

    GRANDEURS ET AVANIES D'UN PROFESSEUR DECADENT 2

    Qu'il soit beaucoup pardonné aux bouffons, pitres, fous de cour.

     

     

     

    - Qu'est-ce qui t'est arrivé ? - La vie...

    ...ce qui qui m'est donc tombé dessus...? toute une vie. La mienne. C'est bien moi. C'est toujours moi. “Peut-être que ce qui m'attend, ce sera simplement de devenir un bon prof - pouah » - rêves de gloire. « Mon nom dans le Lagarde et Michard !» Pour cela il faut peiner, bosser, s'agiter sans repos ni trêve. Je l'ignorais. Se fabriquer, se forger une volonté d'acier, une foi à toute épreuve. Franchir la souffrance et l'angoisse – car la terre entière, Jean-Paul, grouille de crustacés aux pinces brisées, aux volontés mortes.

    Je croyais, moi, qu'il suffirait d'apprendre, d'entasser les connaissances dans sa grange à pensée, et puis d'écrire. Pour cela, je suis devenu professeur, en ces temps-là où nul n'aurait prophétisé l'effondrement des savoirs. Désormais nous savons que tout bon professeur sera nécessairement le mauvais d'un d'autre. Tout enseignant, pour peu qu'on s'ingénie à lui trouver des tics ou des manies à répertorier ses erreurs, ses sottises, qui sont le lot de tous les hommes, tombera sans difficulté, quelle que soit son expérience et son charisme, du rang de l'excellence aux plus basses marches de la ganacherie.t où il vous plaira si vous ne parvenez pas à transformer le plus expérimenté, le plus chaleureux des profs en salopard incompétent.

    C'est bien ainsi que l'on extermina par milliers les enseignants de Chine dans les lao-gaï, camps de rééducation par le travail. Or il est proprement insensé, n'en déplaise aux petits plaisantins, de rétribuer les profs « au mérite ». Au moins autant que de mesurer le vin au kilomètre. Quant à cette fameuse «sécurité de l'emploi » dont les fielleux nous rebattent les oreilles, je leur demanderai simplement de tenir, allez, soyons bons, trois semaines derrière un bureau : nous les verrons supplier à deux

    BERNARD COLLIGNON

    GRANDEURS ET AVANIES D'UN PROFESSEUR DECADENT

     

     

     

    genoux de retrouver le bon petit chômage. « Vous ne saurez jamais », me jetait à la gueule Dieu sait quel dentiste, « ce que c'est qu'une journée de dix heures » - assurément, Docteur ; nous serions bien incapables, petites natures que nous sommes, de rester debout des dix heures d'affilée devant des mâchoires ouvertes. Mais notre vaillant odontologue ne supportera pas davantage vingt à trente misérables petits morveux dix-huit heures par semaine.  Nul ne peut s'imaginer, tant qu'il ne l'a pas vécu, à longueur d'années scolaires, ce que c'est que d'être à tout instant remis en cause dans ses méthodes et jusque dans son être même ; rabroué, insulté, copieusement méprisés par tous ceux qui feraient tous tellement mieux que n'importe qui !

    Je mets au défi tout dentiste ou plombier normalement constitué d'échanger ses fameuses dix heures debout voire tordu sous un évier contre quatre ou cinq heures de cours, susceptibles à tout moment de se déchaîner en lynchage. Non, je n'ai jamais su en effet, moi, ce que c'est qu'une journée de dix heures. Nous ne pourrions pas exercer vos professions, nous ne pourrions pas les exercer, en premier lieu par totale et complète incompétence - nous, du moins, le reconnaissons humblement. Par manque d'entraînement aussi, manque de résistance purement physiques, nous en sommes parfaitement conscients - quel métier n'a pas son calvaire et son martyrologue !

    Mais nos misérables quatre ou cinq heures par jour à nous, seuls et (cela va sans dire) sans le moindre soutien de notre hiérarchie - bien au contraire ! - livrés à deux ou trois dizaines d'apprentis salopards de 11 à 15 ans chauffés à blanc, soutenus mordicus par leurs parents et toute la presse, qui les flingue depuis quarante ans (ces journalistes-là ne sautent pas sur les champs de mines) ; en danger permanent de se faire gueuler dessus par un petit con qui vous rappelle bien devant tous ses camarades que vous êtes nul à chier et complètement infoutus de faire cours – ça non, quelle que soit votre profession, ces quatre ou cinq heures-là, vous ne les supporteriez pas. XXX 64 07 02 S V 113 XXX

    Un chauffeur de bus stoppé en catastrophe hurlait devant un de mes abrutis qui BERNARD COLLIGNON

    GRANDEURS ET AVANIES D'UN PROFESSEUR DECADENT

     

     

     

    venait de balancer à 100km/h sur l'autoroute une canette de bière Vous n'avez donc aucune autorité sur vos élèves ?  - Aucune, Ducon. Je le revois encore, ce grand pédagogue, ce grand stratège, regagner son siège les bras au ciel : je ne pourrais pas... je ne pourrais pas... - on fait moins le malin, chauffeur ? Un professeur : nécessairement triomphant, ridicule, ou chiant - point barre. Le lendemain même de ma retraite, j'ai tout renié. Tout vomi. Tout. Je ne veux plus entendre parler d'avoir été ça, jour après jour, trente-neuf ans : prof.

    Comme une insulte. C'est que, voyez-vous, ça ne sait rien, un prof. Ce sont les élèves à présent qui savent, et qui instruisent le professeur : le moindre sociologue vous le démontrera par a + b. Les profs ? Ils n'ont rien vu de la vie – la vraie, vous savez, celle où il faut se battre, se foutre sur la gueule, gagner son bifteck, celle qu'on n'apprend pas dans les livres (c'est fou le nombre de choses « qu'on n'apprend pas dans les livres ») la Vraie Vie, quoi. Pas nos 39 ans de guérilla. Contre l'ignorance. Contre l'arrogance. Insurgeant vaillamment notre propre connerie contre celle des Autres. Enfin certains. Et j'aimais bien les élèves. Les filles – qu'est-ce que je n'ai pas dit là - castration, vite !

     

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    ...Les collègues ? Un pote par poste. Pas plus. Désolé. Peu de contacts. Certains s'épanouissent comme des baêtes dans le Collectif. C'est devenu leur élément. Leur accomplissement, leur jouissance. Le Travail Collectif. C'est même devenu obligatoire. Tous ensemble – tous ensemble - même leçon, même jour, sous la houlette pistonoïde de Son Autorité le Professeur Référent. L'Individu. Ecoeurante prétention n'est-ce pas d'exhiber - mea culpa - une fondamentale antinomie entre eux et Moâ (« mes conlègues », ça ne leur a pas plu, forcément).

    ...Vous savez ce qu'ils leur disaient, eux, aux élèves ? faites des efforts, qu'ils disaient, encore des efforts, allez, le « bon coup de collier » - on me l'a fait aussi ce BERNARD COLLIGNON

    GRANDEURS ET AVANIES D'UN PROFESSEUR DECADENT

     

     

    coup-là, quand j'étais morveux -seulement voilà, quand on n'y arrive pas, on n'y arrive pas : vous avez essayé, vous, franchement, de « faire des efforts », en maths ? je leur disais donc, moi, à mes élèves ! - qu'il y avait dans la vie, cette fameuse vie voir plus haut, le facteur piston, le facteur coup de pot, et le facteur belle tronche. Le travail, bien sûr, acharné même si tu peux, mais Travail ne fera jamais le poids sans Bellegueule, Culot et saint Vernis. Des efforts ? J'en ai fait croyez-moi des efforts, par charretées - total pas de gloire, pas de pognon, pas de voyages, pas de femmes (« pas ici, pas maintenant, pas comme ça ») - chacun son expérience - mais enfin, je ne dois tout de même pas être ici-bas le seul à se voir rafler la mise par tout ce que le globe vomit de jean-foutre à échines souples, grandes gueules et rectums adaptables tous formats : « Mon Kourage !», «Ma Volonté ! » - et je leur répétais, moi, à mes drôles, que tout le monde était con, moi compris, mais que les seules Grandes Choses, les seules qui valussent la peine, avaient pour nom Littérature et Liberté.

    Notre pauvre petite vie, après cela, on peut se permettre de l'envoyer se faire foutre. Va chier la vie. XXX SV 112 XXX

     

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    Les bordels, c'est moi qui les ai déclenchés, c'est moi qui les ai souvent domptés, j'étais le grand déconneur-chef, nul ne me surpassait : Puisque ces mystères nous dépassent, feignons d'en être les organisateurs (Cocteau). Le dernier mot, c'était toujours moi qui le donnais. Pas par volonté. Ni par courage. Mais par peur. Par uirgence. Juste pour avoir très vite compris qu'il ne faut jamais laisser le dernier mot à l'élève. Jamais. A personne. Le cours partait en tous sens. Prof-clown. Trente-neuf années de poilade. Quand je me présenterai devant le Grand Juge tous mes enfants seront là, deux trois mille : « J'ai fait rire les enfants » - car le rire est le propre de l'homme.

    Assurément nous avons passé le flambeau tant que nous avons pu –mais ne BERNARD COLLIGNON

    GRANDEURS ET AVANIES D'UN PROFESSEUR DECADENT

     

     

    jamais tomber du fil – où donc aurions-nous trouvé le temps du recul ? mes rares intrusion dans le sérieux se sont toutes soldées par des échecs : on s'emmerde m'sieur - je regrimpais sur le fil, et je les y faisais pirouetter jusqu'à la sonnerie - peut-on s'enliser sur un fil ? réponse : oui. J'aurais voulu, sincèrement, me remettre en question.

    Mûrir, par exemple ("qu'y a-t-il de plus navrant que ces vieux profs qui vont ressassant ans les mêmes plaisanteries sur "le veau automate" et « le veau aux tomates", "soupçonner" et "sonner la soupe" ? ...je vais te le dire ce qu'il y a de navrant : c'est ton indécrottable obession de vouloir à tout prix des distribution des prix : "Bien" - "Pas bien" - or toutes les vies se valent, toutes...).

    Finalement tous ces parents nous auront tout de même bien tolérés. Aux States, on se fait saquerr à la moindre blague douteuse. Ici même, en douce France, Fabre, l'entomologiste (dont on a littéralement massacré le village natal...) - s'est fait proprement virer pour avoir appris à des classes de jeunes filles que la reproduction provenait de la rencontre d'une cellule mâle et d'une cellule femelle. C'était en 1867.

     

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    Lieux et fantômes

    Quand je suis retourné dans une classe, vide, ce qui m'asphyxia, ce fut cette bouffée de vieillerie, d'oxygène vicié. Du délabré. Du bout de ficelle. Sans espace. Sans issue. Comme l'enfer d' Huis-clos. Pour rien au monde je ne revivrais ce que j'ai enduré dans ces endroits-là. Toute une vie de poussière et de craie, dans cet incomparable bouillon de culture où nous débattions sans fin, disciples ou collègues, pétris d'intuition prise au vol et d'éclats de rires compris par nous seuls. Car le vide produit l'étincelle et l'alambic distille l'esprit. C'est là une sociabilité minimale – étouffante à long terme sans doute, moins à craindre cependant que la mise à l'écart, terreau des calomnies.

    Ces rapports professionnels, obligés, ne m'empêchaient pas de me sentir unique, glorieuse exception dans l'exception, Saint des Saints dans le Temple... Ils le découvraient vite, tous, que je les ignorais. A cette espèce de cache glissant soudain au fond de ma pupille - dont nulle précaution n'est jamais parvenue à me débarrasser - et qui signifiait tu m'emmerdes. Tous ceux que j'ai croisés resteront à présent figés, encaustiqués, dans mon petit panthéon personnel - sans qu'il soit jamais besoin, ni même question, de les revoir. Ils croyaient encore, soyons fous ! - à la vie, aux émotions - à l'action - quand à la fin des fins tout un chacun devient le plus actif du cimetière... - mais en définitive, mes seuls amis, mes seuls complices, par connivence de caste.

    Appréciés dans l'exercice et les coulisses du professorat, en situation - mais hors de ce cadre, dépourvus de toute pertinence vitale. Partenaires de brillance et de délire. Au grand jamais je ne me suis enquis de leurs santés, deuils ou dentiers. S'enquérir de l'épouse ou de l'époux, des trois enfants dont le dernier en route ou du cousin de Perpignan, sans intérêt ; si je parlais de ma femme à moi, ce n'était que sur le mode badin, pour tirer à boulets rouges sur le sexe dit faible qu'on ferait bien mieux de nommer sexe chiant. Me fussè-je d'ailleurs aventuré dans les fondrières de la

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    véritable relation sociale avec ceux que la langue castillane, si lucide et si percutante, appelle los demás, “ceux qui sont de trop”, qu'ils en eussent été choqués bien plus encore. Du moins pouvais-je à l'abri de cadre strict peaufiner mon étiquette de clown.

    Ainsi telle matheuse havraise, s'étant un jour publiquement souciée de la dépression de telle autre collègue, je m'étonnai qu'elles vécussent désormais sur ce pied d'intimité - mais c'est qu'en deux ans me fut-il rétorqué d'un ton aigre, il s'en est passé, des choses ! Deux ans ! moi qui depuis 20 de ces mêmes années restais au stade des salutations et des calembours bons ! ...J'aurais à peine en ces vingt-quatre mois lié connaissance, quand ces deux femmes-là évoluaient déjà sur le terrain sensible des confidences ! Notre Havraise cependant (pantalon gris collant, moule et minois fripés, avait à mon égard usé d'un tel ton d'arrogante alacrité que je me sentis sèchement ravalé, moi le pitre, à mes infirmités sociales - dont je me targuais à vrai dire un peu trop... C'est ainsi, sans trop en souffrir, voyant à quelles complaisances il m'eût fallu descendre afin de me frotter aux amitiés d'autrui, que ma vie s'est bornée aux propos de surface, avant les sonneries de cours qui nous renvoyaient chacun dans nos chapelles attitrées. Introduire dans ma vie quelque collègue que ce fût ne m'effleura jamais ; mon épouse en souffrit, mais ceci est une autre histoire.

    Et que se disaient-ils donc, mes collègues ? ...les propos de salle des profs, lorsqu'il m'arrivait d'en surprendre, me décelaient de chaleureux conciliabules de mémères de tout âge, les lèvres et la prunelle tout imbibés de ces prénoms en vogue (Jérôme, Christelle ou Carole) à l'exclusion de tout patronyme, Taillebite ou Chattenbiais, trop militaires sans doute. Je confondais, ma foi, la Julie de 4eC avec celle de 5eB. Ce n'étaient qu'enfants en difficultés, tous invariablement « mignons » ou “infects” pour les garçons, « chipies » ou “mignonnes” (décidément) pour les filles.

    Echanges de ficelles pédagogiques, mérites comparés des manuels (interchangeables selon moi selon l'usage qu'on en fait), si bien que le travail se poursuivait jusqu'à la ménopause café, jusqu'au réfectoire, jusqu'aux chiottes par-dessus les cloisons. .

     

     

    BERNARD COLLIGNON

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    Consciencieux, scrupuleux, boy-scouts, non, je ne les aimais pas. Trop de pédagogie, trop de mémères balançant sur leurs ouailles leurs quintaux de couënne mammaire. Quant à me pencher sur les circulaires, très peu pour moi. “Dans la peau d'un prof ? »... rien qu'à les reluquer, pénétrés de pudique importance, et bien qu'ils fussent je le confirme les seuls interlocuteurs valables, je m'appliquais à ne pas leur ressembler - du moins de l'intérieur. Leurs barèmes de mutation, leur gravité d'adultes responsables et comptables pensaient-ils de tant de destinées me rebutaient. Je les rebutais souvent aussi, ce qui n'étais que justice : je fesais cours autrement ; sans méthode.

    Sans J.O. de l'E.N. Au rire, au flair, au sentiment ; à l'anxiété, au coup de gueule – au jugé - tout comme eux, après tout. Sitôt sortis de salle, il nous fallait tous rejeter ce tohu-bohu, ce bordel, ce péril imminent permanent - ce don de nos personnes, ce gaspillage du bien le plus précieux : le temps, notre temps, sans trêve. Le dernier de nos soucis était de recuire et de reruminer entre nous ces alternances d'inspiration et d'incompétence crasse constituant souvent les meilleurs cours - et cependant se blottissaient obstinément dans les recoins, près des casiers, d'obscènes conciliabules - obscurs et marmottants, confessionnels, compassionnels - polissages de clites et triturations de glands.

    Certes, nous savions apprécier les disputations sociopolitico-anthropolo-etc., et même les lamentations (vite rabrouées : Nous aussi, qu'est-ce que tu crois ?) - msis souvent aussi les histoires de cul, autrement fédératives. Pour ma part je creusais très profond les ornières de la fétidité, au grand dam du clown concurrent : "C., je t'inviterai chez moi le jour où j'aurai les chiottes au milieu du salon. - Eh bien, tu n'auras qu'à y faire ton entreé - mais je n'ai pas dégainé cette réplique foudroyante, hélas ! ...je ne m'en suis avisé, hélas ! hélas ! que dix bonnes années plus tard. La règle des règles en milieu professsionnel, consiste à tenir le milieu entre soutien de principe (allez hop ! on reprend le collier !) et le grand numéro de guignol : "On n'est pas obligé" m'avait un jour gueulé telle collègue unanimement détestée "de supporter ton BERNARD COLLIGNON

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    avalanche perpétuelle de conneries". Et je lui eusse dit, moi, à cette infecte teigne puante de la gueule aux aisselles, que ma foi si, tout le monde était bel et bien obligé de se supporter, tant bien que mal, entre couillons - on appelle ça "la vie en société" ma conne, lui eussè-je braillé - "autrement, c'est tout simple : tu m'évites" - et j'aurais ajouté - vous pensez bien que je me suis maintes fois rejoué comme tout le monde ma petite scène compensatoire - "personne ne t'a jamais que je sache instaurée porte-parole du Tribunal du Peuple".

    Dix ans plus tard bien entendu.

    Je cabotinais. L'essentiel est de bien montrer qu'on

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

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    le fait exprès. De toujours maintenir le fil délicat qui sépare le comique du ridicule - "pas toujours, M'sieur » - le naturel, voyez-vous, ne vaut rien, à ceux qui manquent de naturel. Ces derniers se soucient sans cesse, justement, de ce que peuvent penser les Autres – pour se faire aimer - « ...que vous voulez donc leur dire, à tous ces parents ? m'interrogeait-on très finement – se faire aimer, voyez-vous, c'est très précisément la gaffe à ne pas commettre. Mais ça, on ne l'apprend qu'au bord de la tombe. Notre rôle, c'est à nous de l'imposer.

    Personne ne nous le demande. On ne t'a pas attendu, pour (ceci, cela) répétait mon connard d'oncle. "Sages cervelles" et autres pisse-vinaigre pourrons vous le marteler tant qu'ils veulent : nous ne pouvons jamais comprendre avant qu'il ne soit écrit que nous comprendrons. D'autre part, toutes ces autres-là ne se sont jamais avisés, du plus profond de leur épaisseur, de cette flagrante contradiction qui n'a jamais dû effleurer leur cortex : comment peut-on, à la fois, se prétendre « formé par le regard des autres » (« nous ne sommes que  ce que les autres vous considèrent ») et bramer, flamberge sartrienne au vent, qu'il faut «tracer sa route » « sans regarder personne » ?

    Reconnaissons tout de même qu'il faut, dans ce grand écart périnéal, une balourdise, une impudence, hélas partagée par une immense majorité... Si je l'ai fait tout le monde peut le faire ? à d'autres ; les flambards, contorsionnistes et autres comportementalistes, je les emmerde. Je leur interdis de baver leurs blâmes, leurs mépris, leurs insultes sur celui qui ne saute pas dans le vide. Celui qui échoue. Celui qui ne sait pas quoi faire. De s'ériger en procureurs du peuple, selon son appartenance (ou non) à tel ou tel type, à tel numéro de catalogue inamovible, c'est-à-dire en définitive en fonction, tout compte fait, du plus parfait et du plus intolérable racisme...

    Racisme centré sur le moi. Mon existence, Mon expérience à moi personnelle en tant qu'individu individuel, n'a jamais cessé de me montrer les Autres, précisément,

     

     

     

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    automédaillés de tous les mérites de la clairvoyance, toujours se précipitant d'eux-mêmes en plein milieu de ma gueule sans que je leur aie rien demandé pour me trompetter dans les narines ce qu'il faut penser de moi, de mes mots, de mes gestes, jusqu'à la façon, parfaitement, dont je me permets de mettre un pied devant l'autre (t'as vu sa démarche ? ) - les autres, ces fameux autres ! ...pour qui nous devrions tous nous confire en abnégation militante ! ces autres qui ne se sont jamais gênés d'un poil

    pour vous dire grossièrement (sincèrement!) que non, vraiment "on n'était pas « comme ça » - et que l'urgence première était de vous rééduquer, de vous enfermer - ce serait donc par cette engeance, par cette race, qu'il faudrait à toute force se faire admettre, adouber, aimer ?

    Tel petit blond rasé de 13 ans et demie, comment je te l'ai soigneusement rempaqueté la moitié de la France d'après toi devrait donc se faire coffrer à l'asile, et l'autre moitié au pied du mirador avec un flingue pour canarder les fugitifs ? comment qu'il a fermé sa gueule, l'apprenti facho ! classe supérieure en fin d'année, allez hop, pour ne plus voir sa tronche en brosse ! ...je me serais donc très exactement comporté comme tous ceux sur qui je viens de cracher ?

     

     

     

     

     

     

     

     

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    Mes collègues, je le répète, sont bien restés les seuls trente-neuf années durant avec qui j'aie pu partager les mêmes codes - mandarins et brahmanes : même bagage, même structure ; il était même fréquent (...avant la génération internet - faciès de celluloïd - les joues poupines et les yeux vides) - de découvrir jusqu'à des profs de maths, parfaitement ! hellénistes... bref, je nous compare, toutes proportions gardées, à ces poilus de 14-18 infoutus de se souffrir entre eux, mais scellés du même éclat d'obus : totale interdiction, pour les civils, planqués et autres pékins (los pequeños) d'articuler le moindre son, d'esquisser la moindre mimique à propos de la Guerre - ta gueule ! c'est à nous d'en parler ! pas à toi ! (chef-de-gare-mobilisé-sur-poste ! cocu ! - j'ai laissé, si je peux dire, mes collègues au front.

    Au casse-pipe. Rien au monde ne m'y ferait revenir. Prime financière ? – macache - à mon tour à présent d'être lâche. Quarante ans de tranchées, sans un poil d'évolution : raide je fus, raide je reste. J'ai bien tenté, deux ou trois fois, de modifier tant soit peu mon jeu avec mes disciples : sous des tombereaux d'ennui, bordel garanti en trois minutes d'horloge. Je ne me pardonnerai jamais cette Ballade des pendus que j'ai litttéralement massacrée un jour selon les strictes directives inspectoriales paragraphes tant à tant ; il s'est très vite dégagé de la classe de telles vapeurs d' accablement que ce sont les élèves eux-mêmes qui ont fini par me supplier en chœur : « Du cul ! monsieur, une vanne de cul, par pitié ! » J'obtempérai dans un lâche soulagement ; François Villon ne m'en eût point blâmé.

    Le vrai, pas celui de Jérusalmy. Sans cesse catapulté d'une classe à l'autre au grand galop dans les couloirs, je n'ai pas eu le temps, même chez moi, du moindre recul, de la moindre remise en question, du moindre progrès, pédagogique, moral ou éthique. Certains, moins pressés par l'essoufflement, plus athlétiques, plus couillus, « s'en donnent les moyens », comme le répètent les « sages cervelles » - moi je n'ai pas pu. « Pas voulu », radoteront les mêmes et les psychiatres, que je conchie, avec frénésie. Le cœur du métier ? C'est que je m'emmerde, très vite - comme dans la vie, comme en compagnie - comme partout. Et quiconque s'ennuie ennuie autour de soi.

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    Surtout devant des ados. De plus en plus tôt dans l'année, je n'ai plus eu que ce moyen de captiver mes élèves, de me stimuler moi-même : plaisanteries d'abord plates, puis, progressivement, scabreuses - dose maximale presque immédiate ; et ce, dès avant la Toussaint, en fin de carrière... Tous les manuels du Parfait Petit Pédagogue Illustré vous le ressassent à l'envi : « Soyez très strict dès le début, afin de pouvoir plus tard, peu à peu, desserrer la vis » - or jusqu'en 2120, à supposer que notre civilisation et ceux qui la bitent aient survécu, les descendants de mes disciples se souviendront encore de ceci : le jour même d'une rentrée, je me suis pointé en cinquième, bondissant tout le long du couloir, à la façon d'un kangourou.

    Quand je suis arrivé près de mes futurs élèves, ils se tenaient tous tassés contre le mur, terrorisés. Ils sont entrés tout raides en classe, dans un silence mortel. Sautant alors sur l'estrade, dardant un œil parfaitement inexpressif, je leur ai lancé, glacial : Asseyez vous (c'est un petit Roumain qui me l'a écrit dans une rédaction ; il précise aussi que j'étais « mal vu en ville » ; il m'apprit de belles et substantielles insultes dans sa langue : du coup, je me suis mis au roumain – ce qui est bien plus difficile qu'on ne l'imagine). Pis encore que l'ennui en classe : la vie conjugale chez soi. Lorsque mon épouse (ma mère ! voilà ! il est content le monsieur !) me submerge à domicile de récriminations et d'inerties boudeuses voire grabataires, moi j'emmerde en retour, en cours, mes disciples.

    A fond. C'est involontaire. Il m'a fallu de longues années à m'en apercevoir, à établir le rapport de cause à effet : tu manges, tu chies. Ceux qui prétendent régler par la volonté les mouvements boyautiques feraient mieux d'essayer d'arrêter de fumer, eux-mêmes, tiens - pour commencer. Ensuite, et ensuite seulement, ils s'arrêteront, si Dieu veut, et pas avant, de dire des conneries, et surtout de les publier. Turlupinade sur calembredaine donc, sans pitié, sans répit et à jet continu, sans laisser subsister la moindre faille où se glisserait le souk personnel de l'auditoire - mes rugissements recouvraient tout ; il est bien précisé cependant p. 26, §3 virgule 7 ½, que l'enseignant digne de Cenon (ou de Floirac) ne doit pas se laisser aller à se servir de sa classe afin

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    de régler ses comptes personnels. Comme exutoire à ses diverses névroses. A d'autres. Pas le temps. A moins de bénéficier, de naissance, de cette propension à la schizophrénie, d'un côté l'homme d'affaires bien rapace, de l'autre le clown Woody Allen par exemple ; ou bien Jacques Brel privé, Jacques Brel sur scène : “Je fais travailler Jacques Brel” - formule atroce - trop avisé, Jacques ; trop scindé. Le trucage de scène, tu le trouvais dans ton écartèlement. Peut-être as-tu dit adieu pour tout cela.

    Réussir, c'est tricher. On s'arrête, ou on crève : Piaf. Fréhel. Weissmüller. Lugosi. On n' « économise » pas pour s'acheter « un avion », fût-ce aux Marquîîîzzzes – mais chapeau, Jacques. Moi, moi qui suis encore le plus fier, jamais je ne suis parvenu (jamais je n'ai voulu, os méprisant jeté aux trous du cul) à remettre de l'ordre là, voyez-vous : juste sous l'os frontal. Médiocre. Nombriliste. Né comme ça. Ennemi de toute méthode, de tout effort – dans le feu du boulot, si ; mais alors, tu brûles tout, sans autre dessein ni destin que l'Immédiat. Dans Martin Eden, chef-d'oeuvre universel, Jack London démontre sans échappatoire qu'en sortant du boulot, on n'a plus envie de faire de la bicyclette, ni de lire ni de rien : juste se taper une bonne cloche, et au pieu.

    Je voudrais bien que nos autoproclamés penseurs se mettent une bonne foi au turf, juste pour voir - il y en a qui y arrivent ! qui se transforment ! qui progressent ! - d'autres, en effet, oui. Beaucoup même (des sauteurs à la perche, des hargneux) - mais pas moi. Pas nous. Trop fiers, trop cons. Et nous ne sommes pas seuls comme vous nous le faites croire. Nous sommes des millions. Et pas des phénomènes de foire. Tous à glouglouter. À couler. Mon naufrage donc, mon sado-masochisme de sous-préfecture, eh bien si, en plein sur mes classes, par tombereaux - mais ! mais ! en le leur disant - et – ce qui est absolument indispensable. - en me foutant de ma propre gueule. Des types comme lui, il en faut un par établissement, mais pas deux, non, ce serait trop  - je cite ) - le rire, donc, et mes élèves tous complices, bon gré mal gré, de

     

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    cette fausse duplicité : faux, mais dans le vrai (ou le contraire ? ou le contraire ?) - démontant, disséquant - on ne peut rien t'acheter, tu démolis tout - je voulais savoir “comment c'était fait à l'intérieur » : libre à certains de haïr ce ricanement perpétuel ; ou cette invitation à venir faire le guignol, à son tour, un par un, sur scène - c'est très précisément, tout arrive, ce que les instructions inspectoriales appellent ""veiller au développement de la personnalité de chacun" ; instructions laissées à l'interprétation de tout enseignant.

    A l'âge où l'on se construit, balancer le doute, plein la gueule. Bien sûr il existe d'autres maîtres. Plus croyants. J'ignore qui ment le plus, qui ne ment pas. Des comme lui, il en faut un seul par établissement ; mais pas plus. En dépit de tous les « modes d'emploi », de toutes les « philosophies », de toutes les « logiques ». Ce fut une terrible époque. Ni plan ni pudeurs. Mes agressivités furent d'absolues nécessités. C'était de l'amour. Ils le vivaient comme ça, mes disciples. Et non comme « une accoutumance ignoble des pauvres élèves au sadomasochisme relationnel, qui reproduit de génération en génération les comportements destructeurs » - ignares ; curés ; boys-scouts - en vérité, je vous le dis, vos gueules.

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    On me demande parfois ce que m'ont apporté mes élèves : sans eux en effet, sans leur appui, sans leurs souffrances, je me serais retrouvé en épave, bourré de neuroleptiques, dérivant de petit boulot en petit boulot... J'y reviendrai.

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    Mes deux premières nominations (non suivies d'effet) furent Draguignan, et Fougères. Heureuse époque, où l'on recrutait au petit bonheur, pour deux si prestigieuses affectations ! Je vous parle ici du fin fond de la préhistoire. Année 66. Du fin fond des toutes les profondeurs, où se forment les larmes, les vraies, les intarissables, celles qu'on ne verse plus. Polnareff, Kilimandjaro (Pascal Danel), une grande aube sur tout l'univers, avec de longs filaments fuligineux de persistante sinistrose. Nous habitions Nice, en voyage de Noces. Deux courriers le même jour ; en ce temps-là, à peine pourvu d'un certificat de licence - au moindre diplôme - tout de suite le pied à l'étrier, la préhistoire vous dis-je : Fougères, et Draguignan - pour cette dernière un fouillis de villas pris dans les cistes, on y brûla plus tard des pneus – il se pschitta surabondance de lacrymogènes – depuis, le Dracénois somnole au

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    cœur de l'arrière-bronze-cul de la Côte. Nous avons tant rêvé, père et mère et moi, sur Le Muy, Brignoles, Trans-en-Provence - ils avaient envoyé des lettres naïves aux instits de là-bas, pour se renseigner, sur le climat, les productions agricoles et la proximité des services publics. Le plus beau fut qu'on leur répondit... Draguignan... Son accent (ou le nôtre) – Draguignan, « la cité du dragon » - des riches au km², des riches, des riches, portes fermées, pas de centre-ville (quatre bâtisses jaunâtres, jamais remis les pieds depuis). Pour Fougères voir plus loin. Or, comme j'avais potassé, je me suis payé 14 au certif de grec (première session, la cata : « Mais c'est du roman feuilleton ! » s'étranglait Aufuret - "quelle note voulez-vous que je vous attribue ? » J'ai donné la seule réponse possible : « Ce n'est pas notable !  - Pas notable, en effet ! pas notable ! ») - le même, en septembre : construction du radeau d'Ulysse.

    Il me l'avait gratinée mon explication la vache. Traverses, vergue, bôme et tout le toutim, syntaxe en foutoir de rigueur comme partout dans l'Odyssée. Je te lui ai tout décortiqué, recta. Aufuret s'effare : « Comment se fait-il  que vous ayez réussi à ce point ? » Et moi, cafard, carrément puant : « J'ai travaillé ». Mais ça valait 18. Pas 14, Professeur Aufuret.

    Fougères à présent. Si ma femme (ah, les femmes...) n'eût pas été à ce point attachée à sa mère, nous aurions vécu dans la forteresse de Bretagne, « Vive Fougères et Clisson ». Finalement visitée en 2040, cette sous-préfecture n'était alors pour moi que la ville de Marche, vendeur de chaussures (ça ne s'invente pas), n'imaginant rien d'autre de toute sa vie que de vendre des chaussures et vendre des chaussures. Il m'écrivait de braves lettres bien appliquées. "Et moi, moi qui me croyais le plus fin", je lui ai répondu un jour que je le méprisais (« tes lettres sont con ») et qu'il devait cesser de m'écrire. Mon père m'en avait dissuadé : “N'écris pas cela ; tu feras de la peine pour rien.” J'ai posté ma lettre tout de même, car je m'estimais, moi, intensément rigolo, profondément original. Comment pouvait-on désirer une vie obscure ? ...j'envisageais alors, fort démocratiquement, la célébrité pour tous..

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    Collègues, élèves, indifféremment, me servent de banc d'essai ; mon stock d' « histoires drôles » stagne, depuis la puberté, où je dévorais d'affligeantes publications humoristiques en vente libre. A ceux qui me flagornaient sur mon "esprit" je répondais "mémoire". A présent j'imagine encore un tas de pitreries à jamais virtuelles, et j'éclate de rire tout seul, d'un rire bref et sourd, comme un vieux clown à ressorts ; par exemple, à mon ami Cremoux, je n'ai jamais eu l'esprit si l'on peut dire de brailler « Tu es méchant, Cremoux. » ; je le regrette de tout mon cœur. Il est mort à 36 ans d'un cancer des couilles.

    Foudroyant. Etrange chose en vérité que d'apprécier si cher ce qui ne fut que l'excrément de mes cours, alors que leur substance même encore aujourd'hui me rebute. Des terminales à Beauvoisis m'ont demandé si je pensais ce que je leur disais. J'ai répondu que non, mais que je n'avais pas le droit de leur insuffler mon désespoir - ils m'ont regardé profondément : ils m'auraient parfaitement compris ; c'est à 18 ans que l'on prend toute la mesure de son désespoir. Ensuite j'ai stupidement émis des doutes, en conseil de classe, sur la sincérité de l'intérêt que tous me portaient, me demandant si ce n'étaient pas des lèche-cul, ce qui était faux.

    D'une semaine sur l'autre ils ont cessé de participer - je n'ai jamais pu rattraper le coup. C'est un vice atroce de se méfier de ceux qui vous aiment, et de sélectionner toujours avec un instinct sûr ceux qui veulent vous rabaisser. Je voudrais bien que tous ces grands savants que j'ai côtoyés, que j'ai crus, me guérissent à présent ; mais ceci est une autre histoire - bref : les abîmes de Pascal ou d'Homère me semblaient sans doute bien communs, à la disposition de tous, tandis que mes blagues de cul, ah ! comme elles engageaient bien plus mon ressenti intime, n'est-ce pâââs... Je revois levés vers moi tous ces jolis groins hilares et juvéniles dont certains déjà – lesquels ?- appartiennent à des morts. J'ai tant vu de ces corps tordus de rigolade - corps interdits – faces blanches des vierges aux fossettes rieuses - tant de bouches rigolardes et dévorantes, moi bisexué multiplié sans fin. Dévorant tout vif le dompteur, comme beuglaient aussi la gueule ouverte tous ces épiciers, représentants de commerce et autres parents d'élèves en congrès, acclamant à tout rompre leur porte-parole qui détenaient avec eux tous, n'est-ce pas, la «vérité vraie de la vraie vie », alors que les profs, n'est-ce pas, ne connaissent rien à la vie – figurez-vous, tenez, l'assemblée du Bal des Vampires, de l'immense Polanski...

     

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    Quelques bien bonnes

    Je me souviens d'avoir dit : « Je ne suis pas si con que VOUS en avez l'air". Au premier rang un petit garçon, fils de collègue et pur comme un gosse de pub, reprenait l'expression en sautant de rire sur sa chaise - cette volte-face pronominale, il voulait me montrer, démontrer à tous qu'il avait mieux compris que tous les autres. Depuis je l'ai resservie souvent. Je me souviens aussi, par association, du fils Troïlus, (le Troyen, le Traître), spontané, aussi blond, vivant seul avec sa mère inf irmière ; il avait été exclus pour avoir composé un texte pornographique de la plus haulte graisse. « Mais tu t'es fait aider ?

    - Non non, répliquait-il modestement. Adorable. 56 balais aujourd'hui au bas mot. Peut-être mon voisin d'en face, qui n'a toujours pas mis son nom sur sa boîte aux lettres. Autre facétie : avoir répété toute une année scolaire, en me frottant les mains d'un air sardonique : « Alors les enfants, vous avez bien appris votre petit veau aérophagique ? » L'année suivante l'un d'eux est venu me trouver : il s'agissait d'une leçon de veau qu'a bu l'air. Sur celle-là, j'avais tenu bon. En revanche, je n'avais pu me tenir, au dernier jour, de révéler que mon fameux dialecte judéo-morave enseigné par ma mère (60 000 locuteurs dans le monde au plus) était du français : il suffisait de remplacer chaque voyelle par la voyelle qui suivait, de même pour les consonnes. Fi nôni rwazmit duttuppit. « M'sieur, vous nous avez eus... » A qui se fier ? ...Le fils Ducinge disait de moi, dédaigneusement : « Il n'a rien inventé ». Quand je sautais à pieds joints en couinant «kwika ! kwika ! », il faisait observer que j'avais trouvé cela chez Mandryka, dans « Fluide Glacial ». Le même Ducinge cependant me défendit : je n'avais jamais claqué le cul des filles, mais, par bouffonnerie, leur sac à dos - merci, scrupuleux Ducinge ; plus tard j'appris, du même, qu'il était bon de déclarer, à l'oral du bac : « J'ai fait du latin avec M. C. » pour obtenir l'indulgence de l'examinateur, car avec moi, comme de bien entendu, on ne faisait rien ».

    De lui, ou de sa sœur : enfants Ducinge, enfants prodiges, je vous emmerde. Mais une Justine très brune m'avait félicité de ne pas avoir été prise au dépourvu lorsqu'il lui fallut faire un petit commentaire de texte latin : «Très bien Mademoiselle ; les autres, quand je leur

     

     

     

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    demande cela, ont toujours l'air de tomber de la lune. » Ce que ne faisait pas le père de

    Gamaliel, juif, PDG, cancéreux, laissant seul son fils à quinze ans ; lequel me confia que son père possédait une vaste culture. Il me montra un jour son vrai prénom de juif : « Haïm », « La vie », en hébreu, sur un fin collier d'or. Il me dit aussi, seul à seul, dans ma classe, que tel texte obscur, tiré de la sagesse médiévale, l'avait beaucoup aidé à surmonter son deuil. Comme tout est bizarre.

    Cassé...

    Voyez-vous, ce qu'il faut, c'est “casser” les élèves, de façon qu'ils en retirent une jouissance : l'un des plus puissants ressorts humains. D'aucuns interprètent cela dans le sens défavorable : celui de dominer, de faire adorer la domination - pas du tout; il faut en vérité se trouver atteint d'une perversion bien terre-à-terre pour imaginer que la domination du maître soit un écrasement. Les latinistes survivants distinguent nettement le magister, ou maître d'école, du dominus, maître d'esclaves. Le grand Nicolas Bouvier, immense voyageur, s'était fait huer à Montréal dans un congrès lesbien, en affirmant haut et fort que l'apprenti demande quelque chose au maître et n'a qu'une envie, celle d'apprendre et de s'instruire...

    De même une diarrhée de connards, parmi lesquels Jean-Charles et, trois fois hélas ! Jacques Brel, ont décrété que le latin « ne servait à rien » (prononcer bien « Sassè'ha'hien », d'une seule émission de voix, en grasseyant bien les « r » et la tête en arrière, « à moi on ne la fait pas », si fier de casser de l'intello.) - le peuple, parce que peuple, emboîta le pas : le sarcasme se fit serviteur de l'ignorance ; et le latin, fasciste, fut enfin éliminé.

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    Quand mes disciples se plaignent du trop de devoirs, je leur dis : "Fallait pas naître - On n'a rien demandé". Je me trouve en profonde adéquation avec le ressenti adolescent. Ne pas leur débiter de boniments genre « travaillez, faites des efforts, vous aurez de meilleures notes, et une bonne situation (qui rapporte...) » - rien de tout cela. Certains conlègues sont

     

     

     

     

     

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    furax : “A quoi sert tout ce qu'on leur dit, si tu leur apprends exactement le contraire » - bien vu. Je vais vous expliquer comment Véra, éducatrice et virago, traite ses prédélinquants ; elle les engueule, et c'est elle qu'ils préfèrent. Les autres instructeurs et -trices en effet les apostrophent : “Vous en avez de la veine, qu'on s'occupe de vous comme ça !” Véra : “Non, vous n'avez pas de veine. Pas du tout même. Vous savez qu'à la première gaffe, vous retournez devant le juge, qui vous renvoie croupir en taule. Alors vous arrêtez de faire les cons, n'essayez même pas, parce que vous êtes sur le fil.” Les mecs répondent : “C'est vrai madame. Vous au moins, vous racontez pas de bobards".

    Il faut donc dire aux élèves : “Vous êtes ici pour en baver. Vous ne travaillerez plus jamais autant que ce que vous faites maintenant, avec juste le temps de bouffer, de vous faire engueuler et de vous remettre au pieu.” Ajouter que les trois années que personne ne voudrait revivre pour rien au monde, c'est la seconde, la première et la terminale. S'ils ont vraiment trop de travail, accepter les accommodements. Mais discuter. Concéder ce que l'on peut, sans hargne, un compromis reste toujours possible -- discuter, afin d'expliquer pourquoi, la plupart du temps, on ne peut rien changer.

    Non, rien de rien... - ça ne se décrète pas - moi, je regrette tout.

    Le jour du bac : “Si vous avez un renseignement à demander, venez me voir, et je vous expliquerai pourquoi je ne peux pas le donner”. Ils aiment ça la brutalité les élèves. C'est ça le respect. Leur dire tout. Les tenants, les aboutissants. Comme aux grands. Malgré ma "grossièreté", Monsieur l'Inspecteur, j'étais respecté - avoir raison ? Tout le monde peut avoir raison. Il suffit de posséder à fond sa sophistique : Montaigne écrit que nulle cause n'est assez mauvaise pour ne pas avoir malgré tout ses défenseurs de bonne foi, munis de toute une panoplie d'arguments valables - voix de Chirac: « Ta gueu-ll-e... » - toujours avoir le dernier mot ; j'enseignais aussi cela.

     

     

     

     

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    Je leur dis ça, aux élèves. Ça les fait rire. Parce que c'est complètement crétin. Mais tellement vrai. C'est même à cela qu'on reconnaît le prof : il a toujours le dernier mot. Va te faire enculer. - Ça tombe bien, j'ai la diarrhée. Souvenez-vous de Camus : “Il faut bien frapper, quand on ne peut avoir raison” - je préfère “Quand on ne peut avoir raison, il faut bien frapper”. Elmer Hubbard, mort en 1915, a dit : “Vous ne pouvez pas répondre à un argument de votre adversaire ? rien n'est perdu ! Vous pouvez encore l'injurier.” Il est illusoire, bas et profondément mercantile, d'enseigner aux enfants qu'ils peuvent convaincre (ou persuader) au moyen de procédés logiques : l'utilitarisme, le rase-motte a encore frappé : le français doit “servir” à quelque chose, n'est-ce pas.

    A se défendre dans un procès. A “convaincre” - je défie quiconque de distinguer l'argument valable de l'argument fallacieux : c'est le cœur qui entraîne l'intime conviction. Pas le cerveau. « Mais alors, mais alors - la porte est grande ouverte à tous les excès fanatiques !" - c'est le risque. Descartes parlerait de « raison », Jean-Jacques de « vertu » ; l'une comme l'autre, vicieusement appliquées, justifièrent souvent l'inqualifiable. Question pour toujours en suspens. Mais le but, le propos de l'enseignement du français, ce n'est pas la "technique de conviction" ni l'esprit de chicane - non. C'est le plaisir de lire. Et d'écrire. Ensuite seulement, et loin, loin derrière, l'« utilité », de l'engagement pour les "bonnes causes" - lesquelles ? les vôtres ?

    L'utilitarisme en vérité a vérolé l'enseignement jusqu'à la moëlle, voire toute la littérature. Certes, écrire implique, obligatoirement, une dimension d'engagement. Mais à l'insu de l'écrivain. Par pîtié. Que ce soit à son corps défendant. A sa plume défendante. S'il le fait exprès, il risque de laisser choir, par le fait même, la littérature : il distribue des tracts paroissiaux. Vous pouvez sans doute les déduire de son œuvre, voire très facilement. Mais il ne l'a pas fait intentionnellement. Il ne s'est pas dit, sciemment : “Voilà ; j'ai raison, j'ai trouvé la balance à peser les balances, je vais vous démontrer ça et ça, et ceux qui penseront autrement seront des chiens qu'il faut abattre.” Jamais.

    On ne peut pas raisonner. Bien sûr que je prends les autres pour des cons. Tout paranoïaque qui se respecte, chacun de nous s'il s'examine, prend les autres pour des cons. “Par rapport à moi-même, je ne vaux pas grand-chose ; mais par rapport aux autres...” - signé Monsieur Tout-le-Monde" – la signature fait partie de la citation, qui est de Villiers de l'Isle-Adam si j'ai bonne mémoire. Certes, déclarer cela tout à trac vous expose immanquablement à passer vous-même pour un fieffé imbécile. Eh bien, battez votre coulpe, qu'est-ce que cela coûte ? affirmez haut et fort que oui, vous êtes encore plus con que les autres - cela leur fera tant plaisir ! et quand tout un chacun se sera finement esclaffé, reprenez votre connerie, et lisez ce qui suit : j'avais cru pouvoir un jour démontrer par a+b à tel contradicteur qu'il n'était pas raciste, mais simplement détestateur de la fraude, quelle qu'en fût l'origine; il acquiesça avec chaleur. Puis sur-le-champ, j'ai bien dit sur-le-champ, très exactement comme si j'avais pissé dans un violon, il se remit à me dévider, tels quels, au mot près, comme un perroquet mécanique, l'intégralité de ses propos racistes: les gens ne se convainquent pas. Ni par la logique, ni par la cuistrerie rhétorique dont les pédagogistes tiennent à nous submerger (j'ai acquiescé, à ma grande honte, dans ma propre classe, au fichage administratif de mes élèves étrangers... heureusement d'autres collègues, plus courageux que moi, refusèrent de collaborer à cette "simple démarche statistique" ; elle fut sur-le-champ interrompue...)

    Apprenez bien cela, théoriciens cravatés : les convictions humaines se fondent sur des critères affectifs, émotionnels, névrotiques, burlesquement drapés d'oripeaux rationnels. Et ne modifient aucun comportement. Un lâche reste un lâche, une brute trouvera toujours une batterie d' "arguments" infaillibles pour justifier ses brutalités et vous fermer la gueule.Anche tu hai le tue buone ragioni déclare Corto Maltese avant de flinguer le salaud de service. Telle est la nature humaine. Comme les bras ou les jambes. Vice de fabrication. Péché originel si vous y tenez. Simplement cachez-le. Ne nuisez jamais sciemment aux autres cons vos frères (au passage une bonne formule : « Rigolez, rigolez de ma connerie ; ça vous évitera de pleurer sur la vôtre ». Une seule s'est tournée vers les autres : « Vous vous rendez compte de ce qu'il vient de vous casser, là ? » Mais au milieu du brouhaha, personne n'avait entendu.

     

     

     

     

     

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    Grossièreté

     

    Je n'ai jamais compris ce qu'on me reprochait exactement. J'ai

     

    sursauté, reculé d'un coup, à sept ans, quand les enfants de Guignicourt,

     

    que je ne connaissais pas, que je n'avais même jamais vu, m'ont déclaré

     

    soudain, tout à trac "On ne joue pas avec toi, t'es grossier". Je n'avais pas

     

    encore ouvert la bouche. Ce n'est que tout récemment, à plus de cinquante

     

    ans, que je me suis ressouvenu, à l'improviste, de ma mère susurrant à ma

     

    grand-mère, du coin des lèvres : "Et puis, je ne veux pas qu'il joue avec les

     

    gamins de par ici ; dis-leur n'importe quoi, qu'il est grossier, par exemple".

     

    Mission accomplie. La même année, au Thillot près de

     

    Remiremont, je me fais pourchasser par une horde de gosses : je leur avais

     

    dit "J'ai un secret ! j'ai un secret !" - ils ont fini par me coincer, hors d'haleine, sous un abri

     

    de tôles disjointes. "Celui qui paraissait être le chef" m'a fixé droit dans les

     

    yeux : "Alors, c'est quoi, ce secret?" Et moi, tout minaudant : "...Je suis

     

    grossier. - C'est tout ? ben nous aussi on est grossiers, c'était pas la peine d'en

     

    faire toute une histoire" Il s'est retourné vers les autres : "Allez, on laisse

     

    tomber". Je n'ai plus joué avec qui que ce soit.

     

    "Je suis grossier. - C'est tout ce ue tu trouves à lui dire ?" me

     

    lançaient mes parents ; je me souvenais à peine d'avoir joué avec cette fille

     

    dix ans plus tôt, à trois ans et demie. Ses parents à présent ébouillantaient des

     

    poulets vivants, la têt en bas par paquets de six, pour un groupe industriel.

     

    Et nos quatre parents nous couvaient des yeux : "Eh bien, allez-y ! Dites-vous

     

    quelque chose ! ...mais enfin, dis-lui quelque chose !"

     

     

     

     

     

     

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    En classe, c'est de plus en plus tôt dans l'année que Maître Moil'Nœud se livre à des flirts avec le caca-prout. Il pète par la bouche. Sans arrêt. Surtout quand il se baisse pour ramasser quelque chose. "Heureusement qu'on sait qu'il est intelligent, sans ça quelle vulgarité..."

    Evoquer Chardon que je suis arrivé à faire passer en seconde par son sens du français ; avait sorti la blague ignoble : « Papa, caca... » - j'ai dû me farcir l'intervention indignée d'une espèce de conne, scandalisée que la classe ait pu rire : « C'est ce que vous faites tous les soirs à votre fils ? » Je me fis ensuite un devoir d'emmerder la fifille à maman tout le reste de l'année. À chaque plaisanterie scabreuse je précisais : « Et pour les débiles, je ne fais pas de propagande ». La fille regardait autour d'elle, morte de honte, mais personne jamais n'a rien soupçonné. Il y a vraiment des parents qui ont du temps à perdre. J'ai parfois pris des airs entendus pour proclamer que mes ddisciples abordaient tous désormais cet âge où « les garçons commencent à s'intéresser aux filles ; et les filles aussi. » Un temps. «...aux filles. » j'ajoutais que là, oui, je faisais de la propagande – devant les filles, soudain plus indéchiffrables les unes que les autres...

    Garbi Effendi, outré de tant de plaisanteries de cul, m'offrit pour finir son sermon, d'homme à homme et non sans condescendance, un énorme cigare ; et son fils, à la fin de l'année, un 33 tours de Fernand Reynaud, sitôt subtilisé par mon honorable épouse, qui haïssait le rire - j'étais marié ! – pourquoi ne pas s'assoir pourtant sur un fauteuil en décrétant : « nous allons rire ? » « Un fusil, c'est fait pour fusiller ! Une mitraillette, c'est fait pour (toute la classe) mitrailler ! Un canon, c'est fait pour (toute la classe) canonner ! Et un tank... » Enfants de s'esclaffer - «...pourquoi riez-vous ? à quoi pensez-vous, bande de petits vicieux ? » Les hurlements redoublent... (« c'est vous, M'sieur ! c'est vous! ») Concours de faux pets.

    On se lasse avant lui ; mais un beau jour un vieux gaz lui descend le rectum, au Moil'nœud : il entrouvre la fenêtre, il se lâche sournois - et hop, le petit coup de vent coulis bien traître qui rabat tout vers l'intérieur – et d'un seul coup d'un seul tous les gars du premier rang comme un seul

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

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    homme qui se remontent leur col roulé sur le nez - ah la vache... ah l'enculé - tous étouffés sous le tricot - admiratifs, tout de même. Et moi je ne les détestais pas trop les garçons du premier rang. Moins beaux, mais plus francx. « Vous êtes tous là à me regarder avec vos yeux en anus de mouche". La fille Braillard, bien forte en gueule : « Je vous emmerde ! - Torchez-vous mon amie, torchez-vous." Tout le monde s'est foutu de sa tronche, elle l'a fermée ; le Principal – pas de majuscule ; « principal » suffit - appelait ça « les cours à la C. » - ce principal portait plus ou moins sur le dos sa déprime - peut-être une pédophilie larvée – allez savoir : il ne m'a jamais inquiété (la fille Braillard, pour en revenir à elle, s'imaginait que le but d'une femme, c'était de rendre un homme heureux : « Détrompez-vous ! » lui disais-je (féminisme oblige...) « on n'y arrive pas ! » - en définitive, elle avait raison).

     

    Ne fais pas aux truies...

    Je raconte (inventée par moi, mais chacun prétendra le contraire) la blague immonde du grand con de puceau de paysan qui n'y est jamais arrivé avec les filles (je mime). Alors comme il garde les truies dans la prairie, il se dit : « Tiens, si je me faisais une truie ». Il baisse le falzar, et hop (je mime). A ce moment-là le fermier patron, dans sa ferme, regarde sa montre : « Mais qu'est-ce qu'il fout? » Il va voir, il trouve le puceau en train de (je mime). Il s'enlève la pipe de sa bouche : « Ah le salaud ! » Il baisse à son tour le pantalon (je mime) et s'encule d'un coup le commis qui gueule « Aaaaah !... » et le patron le lime bien à fond en décrétant (je mime) « C'est bien fait ! T'as qu'à pas faire aux truies c'que tu n'veux pas qu'on t'fasse ! » Alors on a ri.

    Après ça on évoquait l' « Evangile selon saint C. » (je m'appelle C.) ; c'était, je le précise, au réfectoire des profs : le grand moment du collège, le seul truc vraiment marrant, c'est la cantine. J'en rêve encore, la nuit, des cantines ; des cours, jamais. Ou en cauchemar. Lorsque je me suis hasardé à ressortir la truie aux élèves, curieusement, ils ont moins ri que les adultes. Manque de références bibliques, probablement. « M'sieu, j'ai fini ! - Tirez la chasse. » Dès la sixième, systématique... Ça passait pour une audace folle... A l'époque... Ça le redevient. On rebrûlera les anormaux. Il y a des journées sans alcool, sans tabac, sans autos. J'ai entendu qu'il y avait aussi une « journée sans humour ». “Vous avez été légendé, Monsieur, légendé ! » - c'était au salon du livre de Nantes - remplacé par celui du gode - pas un élève pour se faire dédicacer

     

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    mon premier ouvrage... Que sont mes enfants devenus... « et tant aimés » ? Tous ces gens de 44, 46 ans, sombrés corps et biens dans l'immense melting-pot de l'Ille-et-Vilaine...? C'est grand, l'Ille-et-Vilaine... Est-ce que ça serait une si bonne idée de les rechercher sur internet ? si j'ai servi à quelque chose ? ...si ça a vraiment existé ? Certains me recontactent en effet. Que j'ai oubliés. J'aurais aimé assister à l'un de mes cours – mais que de procès en perspective, si cette pochade que j'écris par extraordinaire atteignait les rayons de librairies...

    Immunité

    L'hiver on étouffe près du radiateur. À présent les classes sont bien chauffées, il y en a partout des radiateurs... Toujours au premier rang un enrhumé me fait ouvrir, fermer, rouvrir la fenêtre. Il me graillonne dessus, il me tousse dans la gueule. Je n'ai jamais été malade : vacciné.

     

    Vannes sévérement réprimées par la loi.

    Moil'nœud tient absolument à passer pour homo, du moins pour expérimenté. A Dolmessac, il passe tout un trimestre à minauder du cul avec une voix de tapette, sans débander. Et cela, dans une seule classe sur quatre. A la rentrée de janvier, d'un seul coup, voix normale. Les élèves : “Vous savez, M'sieur, on vous détestait, au premier trimestre.”

    Il faut trouver le mot "génie" : "Pensez à moi et à une marque de lessive – ("Génie") – trois filles au fond qui hurlent : "OMO, Monsieur !"

    Une fille, hargneuse, les dents serrées, me traite de pédé : "Mademoiselle, c'est où vous voulez, quand vous voulez..." La fille d'un seul coup toute rouge.

    La bande dessinée où un touriste se fait enculer par un nègre (ce sont des filles qui me l'ont offerte) : "Il y a une inexactitude ; ça ne fait pas mal." Les deux filles font exprès de ne pas se regarder ; il sait laquelle des deux pourrait dire à l'autre : “Tu vois, ça ne coûte rien d'essayer.” Ah les filles, ah les filles... « Poil à la crête » ; la fille Braillard à sa voisine, avec geste à l'appui : « Tiens, c'est vrai, ça me fait comme une crête, là... » Adoration des filles de quatrième. Pour leur spontanéité. Leur franchise. Leurs branlettes portées à même la gueule. Mais à dix-sept ans, pas un jour de plus, elles se mettent leur masque de Femme. C'est fini. En avant pour la langue de bois : « Oh mais pour faire l'amour il faut que je sois très, très amoureuse ! » - pour te branler, Madame,

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    t'es amoureuse de qui ? - Oh mais c'est pas la même chooooose ! » me dit un jour une maîtresse de 28 ans - pas une ancienne élève - je ne l'aurais pas supporté ; elle se branlait bien, d'ailleurs. En gros plan. Super.

    Saint Absurde.

    Sur un texte de Bosco (“Les sangliers”, du Mas Théotime), une heure de pur délire, de gigantesque bordel non-stop... Facile : appliquer aux sangliers tout ce que l'on peut dire sur des automobiles. Les sangliers à clignotants, avec gestes à l'appui, bruitages motorisés... « Des exercices de bruit », qu'ils disent, à l'institut de formation – eh, c'est ce que j'ai toujours fait ; bien avant vous. Et d'autres avant moi. Vous savez, à écouter bien calmement, sans rire, les sketches des professionnels, l'on s'aperçoit qu'ils ne contiennent presque rien de véritablement drôle ni profond. Trois grimaces, trois bégaiements, quatre jeux de mots approximatifs - et c'est dans la poche. Le tout est de créer une atmosphère, une complicité.

     

    (chercher aussi "vos agissements...")

     

     

    Catalogue , suite

    Mazzini, au fond de la classe, derrière deux filles plantureuses “Je vous vois là comme un médaillon entre deux seins” ; c'est lui qui parle de “la” brosse à dents familiale. Toute la classe se récrie d'horreur - le drame, plus tard, à la maison ! C'est ainsi que j'ai réussi à persuader de ne pas laisser un garçon dormir dans le lit de sa mère, car il n'y avait rien de tel pour le rendre pédé ; tout le monde avait protesté, mais j'espère qu'on en a tenu compte. En compagnie de mon collègue Duboncœur nous ramenons ledit Mazzini chez lui avec des vannes du genre : “T'habites Bourg-la-Reine ou t'habites Choisy-le-Roi ? t'habites à combien de Tours ? t'habites au Cirage ?”- et lui, outré, ravi : “Oh ! Monsieur ! oh ! Monsieur !” Un peu plus tard, je trottine derrière Duboncœur, 2m 10, en déblatérant des vannes de cul : "Ça ne m'intéresse pas" dit-il en accélérant - je suis tout désappointé : il a cru que je le draguais. X

    Arriver par-derrière, saisir l'élève par le coude et lui sortir, d'un ton pénétré, désignant les cuisines : "Piccolini ! - Oui M'sieur ? - Ça sent la pomme de terre... " Je l'engueule parce qu'il COLLIGNON GRANDEURS ET AVANIES D'UN PROFESSEUR DECADENT 28

     

     

     

     

    brûle des rats dans des cages de fer en les arrosant d'essence, mais il est absent ce jour-là. Je l'ai redit, cette fois-ci devant lui : “On les voit se tortiller, hurler - mais » - avec le plus grand mépris - ce ne sont que des rats ! - Ils souffrent ! je hurle, hors de moi. Il cesse de le faire. Il est à présent pétrochimiste. Ça brûle bien, le pétrole. Il m'a écrit dernièrement. Pour me relater un excellent souvenir. Avec Paladier. Un brave rougeaud, que tout le monde surnommait Gigot. Son père est venu me voir : je m'associais aux moqueries de ses camarades. À ma plus grande honte, je ne m'en étais même pas rendu compte...

    Un jour, Piccolini lui souffle  : « Vautours !... vautours ! ». Il répète : « Vautours... ». Moi, glacial : « Où voyez-vous des vautours ? Paladier, zéro. » Alors il se retourne vers Piccolini, mélodramatique : « Salaud ! » Son père mourut l'année suivante. Les pleurs de Mme Paladier quand j'évoque son mari amputé des deux jambes par une locomotrice ; le cœur n'a pas tenu ; il et mort alors qu'il y avait un "espoir"...Elle sanglote : « Excusez-moi », je lui tiens les mains : « C'est normal, c'est normal »... ...C'est le fils qui avait reçu le coup de fil de l'hôpital annonçant le décès de son père... Ce serait lui, le fils, GLOMOD dans Omma, île maudite. Dernièrement rue Le Bastard je croise un beau brun jovial. «Céla».

    Je ne me souviens pas de lui. Prudemment, j'esquisse mes grimaces. « Céla, poilade ! » Il me le rappelle. Et de me rappeler telle gueulante que je faisais pousser à la classe, à propos du prof de gym – dont ma foi je ne me souviens plus : M. Bordage. Je braillais, emphatique : « Allah... » et la classe s'exclamait « Bordage !!! » J'appelais ça « les pirates ottomans ». Il se marrait, mon ancien potache, en précisant tout de même que mes cours étaient « formidables ». Alors, devant l'anonyme bien-aimée qui l'accompagnait, j'ai incliné ma rondelle occipitale : « Avec ma plus profonde modestie... » Mais je ne me souvenais plus de rien ni de personne. Je devrais réclamer, si je suis reconnu, le rappel d'une connerie, d'un incident - j'imitais aussi M. Combrac, aussi minuscule que sa voix était forte, un véritable stentor – les incisives en éventail, les bras comme greffés directement sur la tête – et l'accent de Toulouse-Blagnac : « Monsieur, encore M. Combrac ! » et je remontais les épaules directement greffées sur le crâne, j'écartais mes petits bras courts et je me mettais à crachouiller en toulousain de cuisine...

    Une fois, j'appelle une jeune fille du charmant surnom « ma loutre en sucre » ; toutes les autres d'exploser de rire : c'était la dernière de la classe que je n'aie pas encore appelée ainsi...

    Refoulements

    Salle des profs. Un collègue, sur le panneau d'affichage, vend un fauteuil ; j'écris au crayon «transformable en vrai teuil » ; certains apprécient, d'autres pas du tout. Cela me rappelle une

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

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    boutique de jeunes vietnamiennes parlant d'enfiler je ne sais quelle pincée de papier dans je ne sais quelle réglette en plastique ; et moi de susurrer :“L'enfilage, vous savez, ce n'est pas mon truc.” Dans mon dos, deux clients : “Je trouve ça très fort. - Non, moi je n'aime pas les gens “comme ça” - « comme ça » nuls ? ou « comme ça » pédés ? Placer ici l'inconvenance du sieur P., dé, fourruré de frais, qui m'arrache un collègue des bras  en pleine conversation :  Excuse-moi, c'est urgent » - excusez-moi, Monsieur P., c'est vous qui êtes vulgaire dans cet établissement, pas moi. » Je ne l'ai pas dit.

    Je n'y ai pas pensé ; toujours Jean Rochefort dans Ridicule. Et puisque nous en sommes aux enfilades : un collègue de Prahecq, puceau nasillard, se stupéfie à grand bruit je connaisse Prahecq, son village, au fond des Deux-Sèvres... Il me dessine je ne sais quel un itinéraire sur une feuille de papier, je lui répète, enthousiaste : « Vas-y, mets-moi tout, mets-moi tout ». A ce moment j'aperçois du coin de l'oeil un certain sieur Boulaouane, pédé de service, tout tortillé de haut en bas comme un lombric sur un hameçon : «Monsieur Boulaouane, vous êtes obscène ! » et lui de s'esclaffer : «C'est vous, cher Monsieur, qui êtes obscène ! » Le même, dans un bistrot, faisant allusion aux mœurs supposées du lycée : « Il règne à Ankara, mon cher ami, une atmosphère orientale ! Orientale... » Le même aussi disant : « Je sais le hongrois, le turc, l'arabe », mais refusant l'anglais, trop vulgaire.

    Son arabe à mi-voix semble d'ailleurs ne pas avoir dépassé la phrase « Je sais l'arabe ». Le même Boulaouane enfin, entrevu au dernier repas de fin d'année, nous tourne le dos d'un coup et pour toute la vie, parce que j'ai fait reprendre en choeur à toute la table : « Boulaouane, gentil Boulaouane, Boulaouane je t'emplumerai » - à cela tiennent donc les séparations définitives, et l'omniprésence de la mort - à grand renfort d'emphase...

     

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    Un jour mes élèves m'ont emmuré : ouvrant la porte en fin de cours, je suis tombé nez à nez sur un mur de moellons ; de l'extérieur, dans le couloir, devant ma porte close, toute une fine équipe, dans le silence le plus total, avait transporté, puis méticuleusement disposé, empilé jusqu'en haut sur papier journal amortisseur les parpaings d'un chantier tout proche Du grand art. Une pionne est venue me glisser, par une fenêtre entrouverte : « Monsieur C., faites bien attention en ressortant ». Toute la classe est repartie par la porte du fond. C'est véritablement le meilleur, le plus exceptionnel et le plus élaboré des canulars qu'on m'ait jamais monté - avec un autre, de filles cette fois : au début donc du cours, baratineur, dragueur, je tire machinalement vers moi la chaise de sous le bureau.

    J'aperçois alors, bien en évidence, un œuf au plat, bien étendu, bien dodu, sur le bois de mon siège. Je repousse le tout, feins de n'avoir rien aperçu, décidé à finir l'heure en position debout. Mon cours se poursuit ; jamais je n'ai observé d'élèves aussi attentives. Puis, fatigué, machinalement, je me suis assis de tout mon poids sur l'œuf. Vous décrire l'énormité de l'éclat de rire qui secoua la salle jusqu'aux tréfonds du rez-de-chaussée relève de l'épique. Je me suis torché le cul avec une éponge : du délire.

     

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    J'aimais à répéter : « C'est tout de même bien grâce à moi, une fois par jour, que vous pouvez vous sentirs supérieurs" – d'où ma surprise de recevoir d'un ancien élève, jointe à l'envoi de sa première pièce représentée, une lettre spirituelle, où il me déclare que je lui ai révélé ce qu'était le français et la littérature – assurément pas avec les « nouvelles méthodes » (une jeune comédienne (Alcmène de Giraudoux !) déplorant devant moi que le français n'avait plus rien, mais alors plus rien à voir, dès l'année 42, avec le français. Bande d'assassins.

     

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    Je défends les petits

    Un grand dans un coin de classe tabasse un petit. J'ai justement à même la poche un fromage dégueulasse, bien serré, puantissime, relief incongru d'un repas solitaire. Je frappe sur l'épaule du grand qui le temps de se retourner se prend le calendos en plein crâne : "Camembert disciplinaire !" ... Six mois plus tard, dans le train : “Tout de même, il y a des profs qui ont un grain, c'est pas possible. L'autre jour un élève s'est pris un camembert en pleine tête.” Assis juste à côté, je me pisse dessus en serrant les lèvres à me péter les mâchoires... L'élève portait le nom magnifique de Weininger, et se faisait prononcer à la française comme souvent les Alsaciens : Ouenninjé, ça faisait d'un con...

    Je défends les filles aussi. Dans une classe de seconde il est un garçon, appelons-le Robert, d'une rare impudence. Il arbore à l'égard des grognasses le mépris qu'on réserve visiblement aux tas de viande avec un trou au centre. Les filles le détestent de toutes leurs forces. Je fais l'appel : « Mlle Lehrmann ! » - j'entends alors bien distinctement notre Robert, suffisant, poissard, qui me la désigne du pouce par-dessus l'épaule : « C'est la grosse, derrière ». Pure calomnie, mais là n'est pas la question. J'hésite un quart de seconde – en début d'année, tout de même – et je lâche : « Tu parles de la grosse que t'as dans le derrière? » - toutes les filles, debout, hurlant, dansant, me font une gigantesque ovation.

    Fusillé, le Robert. Je ne l'ai plus entendu, le Robert. Juste, de loin en loin, le rictus antisémite de rigueur. A rapprocher d'une certaine collègue d'arts plastiques, mouchant dans les grandes largeurs un grand escogriffe qui déconnait en classe pour épater les gonzesses. Ma collègue s'interrompt : "Vous êtes comme les dinosaures, savez-vous ?  - Ah oui M'dame, et pourquoi ? - Une toute petite tête, avec une grosse queue. »

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    Mes hontes

    Le dénommé Montier m'exaspère, multiplie les réflexions aigres, puis insolentes, puis méprisantes. Il cherche l'affrontement : je le tabasse. Montier frappé danse et pleure. J'apprends plus tard que son père le bat violemment chaque jour à coups de ceinturon. Qu'est-ce que j'ai fait, mon Dieu qu'est-ce que j'ai fait. Ongadeau a compté 26 coups – pas une plainte extérieure, pas un écho. Il ferait beau voir cela à présent. ...Pour avoir été reconnu à l'extérieur et quelque peu chiné dans une cabine téléphonique transparente, je hisse dès le lendemain Jean Dubert sur une estrade, le désigne avec véhémence à la vindicte publique, pointant sur lui au sein de Dieu sait quel bordel ambiant un doigt vengeur : « Regardez bien cet élève ! Il a fait la chose la plus ignoble qui soit, », etc.

    Plus tard, accompagné d'un camarade, il vient me trouver à la fin d'un cours : “M'sieur, pourquoi vous m'avez fait monter sur l'estrade?” Je bredouille « l'incident est clos ». Il s'est retiré en grommelant. Je l'ai traité ensuite comme n'importe quel autre, mais cela n'aura pas suffi. Moi aussi j'ai esquinté. Nguyen-ti-Thang, toute seule en fin de classe : « Monsieur, vous m'avez fiancée à tous les garçons de la classe, successivement. - Vraiment ? - Oui Monsieur. - Je ne m'en suis pas rendu compte. Je vous demande pardon. Je ne le ferai plus. » Elle a tourné le dos, grave et décidée : justice était faite. La métisse Schliff, ignoblement donnée par moi en exemple d'un teint olivâtre (chacun s'étant retourné pour la dévisager), m'épingle plus tard devant tous pour qualifier, longuement, ma couleur de cheveux : « Filasse... » Bien fait pour ma gueule.

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    Pour la fille Puttemans («Puisatier »), je me suis abstenu toute l'année de la moindre plaisanterie. Je l'aimais passionnément, je l'ai presque demandée en mariage : “Monsieur," m'a ré pondu sa mère qui prononçait avec apllication « P't'manns » à la néerlandaise, "je suis juste venue vous parler de ses résultats scolaires” - sa fille était l'une de ces incarnations même de la Grâce que les grandes brunes à peau nacrée incarnent si souvent ; se prosterner,

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    l'effleurer peut-être, savourer les premières caresses, puis, impassible, de dos, décharger si profond que les cris s'y étouffent - car si transpercée qu'elle soit, nul jamis ne saurait la posséder. Ce sont précisément de telles incarnations, subies de plein fouet, qui pourtant prennent des notes à même leurs classeurs. Qui s'expriment à haute voix dans vos cours, ce que l'on appelle sur les bulletins "participation », sans que jamais votre adoration puisse concvevoir la moindre reconnaissance ; mais bienheureux soit celui qu'elle baisera.

    J'ai lu que la beauté n'apporte bien souvent à ses bénéficiaires qu'une intense mélancolie. "Mademoiselle" murmurais-je à l'une d'elles qui par désoeuvrement contorsionnait devant moi son visage, "vous pouvez faire toutes les grimaces que vous voulez, vous ne parviendrez jamais à vous enlaidir" - "Te rends-tu compte" s'exclama sa camarade "du compliment qu'il vient de te faire ?" - non. Puis un jour un tonneau est venu me voir : masse goîtreuse taillée dans le saindoux - n'avais-je pas traité par exaspération de conne une autre encore de ces filles "descendues du ciel" - et tandis qu'à mon tour face à la baleinière génitrice j'usais de tous mes charmes afin de l'égarer sur l'objet même de sa visite, je m'interrogeais sans fin sur les gouffres insondables de l'hérédité.

    Demoiselle à qui je murmurai le jour suivant renversé sur mon siège qu'elle contournait pour gagner sa place vous êtes l'incarnation même de la féminité. Trois semaines plus tard elle fit son entrée griffée au front de cette double entaille verticale ou "griffe du lion" qui autrefois passait pour la marque du mal. Jai pensé ce n'est rien ou bien j'ai mal vu. Puis le front s'épaissit, ses yeux se bridèrent. A la fin de l'année ces traits si diaphanes s'étaient inexorablement fondus sous une peau peau d'orange qui fit d'elle à jamais la reproduction de sa mère... Etait-elle avertie (à ton âge j'étais comme toi). Dans quelles affres fatidiques vit-elle s'abîmer jour après jour la porcelaine de son teint sous la plus terne et granuleuse faïence, sans rien qui pût jamis faire soupçonner sa beauté engloutie...

     

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    Je n'ai jamais pu, su, voulu, modifier ma façon d'enseigner, d'être, ni de vivre. Préparer des cours, donner des cours, acheter la bouffe, poster mes griffonnages à des éditeurs arrogants, tirer ma vie de famille. Cours, promenades, fuites - copies, cours, vexations, exercices de calme ; chahuts, corde raide, corde raide, télé du soir - comment pouvais-je – mettons - réussir l'agrégation, changer de profession, rassembler toutes mes forces ? ...quelles forces ? où cela, des forces ? « Mais je ne sais pas, moi, quand on veut que ça change, on s'en donne les moyens ! » - quels moyens ? « y'a qu'à » ! « le taureau par les cornes » ! ...et allez donc... - mais je bossais mon vieux, je me débattais, je vivais, vous pouvez marner, vous, 5h de rab après les cours en prenant sur votre sommeil ? ...vous le feriez...? sans blââââgue...

    ...Sans vous soucier de votre femme, sans regarder la télé, au bureau toute la soirée jusqu'à 23h sans visite ni promenade ni vie sociale ? « ...et je l'ai décrochée, mon agrég ! » - et tes élèves, ils ne t'ont jamais semé le bordel pendant toute la journée, et tu étais copain avec le Principal et les parents d'élèves ? Et en rentrant complètement claqué tu ne retrouvais pas de femme dépressive à crever - « change donc de partenaire ! » - ah oui ? comme ça, comme d'une paire de chaussetttes ? ...vous vous sentiez aimés au moins ? confiance en vous peut-être ? - moi non. Désolé. Ça vous la coupe mais c'est pareil. Et je viens me plaindre (« Ne viens pas te plaindre ! ») - mais si. Et je vous emmerde.

    Je me plains de n'avoir pas eu la force, de ne pas avoir résolu vos équations de fachos style « quand on veut on peut » - et comment on fait nous autres, alors ? Mais vous faites ce que vous voulez, chacun sa merde, je m'en bats lek ! Tenez, essayez d'arrêter de fumer un peu, juste comme ça, pour voir, et après vous pourrez parler. Quant à moi, oui moi, moi moi moi, le looser, je sentais les mois, les années me cavaler sur le dos, 42, 43, 44 ans, dès septembre je guettais la Toussaint, Noël dès la Toussaint (vite, vite, retour à Rennes), Mardi-Gras dès la rentrée de Noël (vite, vite à Rennes), Pâques à partir du Mardi-Gras (vite à Rerennes) - et ne pas oublier ses parents d'Orléans - « On ne te voit jamais, on est bien malheureux, et ta fille, elle est de qui, hein, elle est de qui, ta fille ? ») - la vie filait comme

     

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    l'eau sale par le trou de l'évier. Et c'est ainsi pour tout le monde et je vous emmerde. C'est de l'humour. Si peu que je modifiasse ma formule, mon approche - les enfants se rebellaient. Nous n'étions pas encore au temps où les parents, le verbe haut, venaient vous expliquer votre façon d'enseigner, de vous comporter, d'être, en somme. Ils vont participer aux cours. Nous verrons ce qu'ils en pensent. Quant à moi, en ces temps-là, ne pouvant changer quoi que ce soit, en dépit des gâteux de la vieile école, je me contentais de prendre un mois de congé par an, pour fragilité nerveuse ; ça me faisait un bien... fou, et l'Etat n'en est pas mort.

     

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    Adieu Lycée Palladino d'Evreux, l'horreur. « Voici la clé de votre classe ». et c'est tout. Ma haine immédiate, viscérale, de ce lycée de garçons. Je déteste les garçons, cons et vulgaires. Mme Jardy me demande si son fils ne pourrait pas travailler, tout seul, au fond de ma classe ; il paraît que je ne fais que rigoler. Je ne m'en souviens pas. Ça doit me couler de la gueule comme du fiel. Elle dépense des fortunes, la pauvre mère  : tous ses enfants “réussissent leurs études” ; elle envisage même un cycle court pour le petit dernier. Mais préfère qu'il travaille en classe au lieu de m'écouter. Il faudrait savoir. J'essaye de la dissuader. Il a désormais 55 ans, le fiston. Ma rage à sillonner les environs sur mon 40 cm cubes, dès que j'ai trois quarts d'heure devant moi. « Tu nous les casses, Trey ».

    C'est vrai qu'elles étaient nulles, mes vannes. Je vais un jour à la piscine, sur l'insistance de ma femme. Des jeunes en maillot s'approchent du rebord : « Hein M'sieur, qu'vous nous aimez pas ? » Nous écourtons la baignade. J'apprends plus tard qu'un juge, un préfet, un flic, ne doivent se baigner qu'à la ville voisine, pour éviter toute avanie. Voir un élève hors contexte me rend infiniment gauche et vulnérable. Voûté. J'avais dit, en classe : « Déva, lisez » - pas fait exprès. Ça arrive. Rigolade. Je le retrouve sur un quai : « Déva, c'est

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    vous qui avez pété ?  - Ecoutez, vous n'aimez pas qu'on vous parle en dehors des cours, alors, foutez-moi la paix » - quoi ? ce quatrième, qui me parle sur ce ton, éprouve donc des sentiments ? se vexe ? de quoi se mêle-t-il ? ce morveux ? Bien fait pour ma gueule –« T'étais moins fier, l'autre jour, à pousser ton Caddy ! »

    A Beulac une fois, remontant par jeu le long couloir des caves sous toute la longueur de la barre (des perrons souterrains marquent, à intervalles réguliers, les remontées aux rez-de-chaussée) j'avise à l'autre bout, immobiles, côte à côte, deux de mes escogriffes les plus infects. Chacun de mes pas les rend plus clairement reconnaissables. Si je rebrousse chemin, ils vont se foutre de ma gueule. Alors j'avance, de plus en plus rabougri, quasi cassé en deux, sous leurs rictus ; paniqué, vaillant, ratatiné. Le lendemain matin l'un des d'eux, Gastro, me demande ce que signifie en portugais à mañãe de mañãe - “...demain matin ?” - il se retire, satisfait.

    Plus tard, ailleurs, à la sortie d'un tabac, je me fais agonir de sarcasmes par le patron - dans le dos : « Ah, on fait moins l'important, maintenant ! » - j'ai senti sur-le-champ que si j'avais eu le malheur de me retourner, je n'aurais pas su maîtriser mes traits. Revenir sur mes pas, noblement, reposer mes achats sur le zinc, glacial : « Je n'en veux plus. Gardez votre argent » - je suis reparti sans le moindre commentaire - pour ne pas me faire cracher à la gueule.

    C'est ça, le peuple.

     

    Prodigue

    Je lance à la volée dans la cour une bonne poignées de "pièces jaunes". Certains sixièmes me les rapportent avec respect, je dis cadeau ! ils me remercient. Plus tard, l'un d'eux, passé surveillant, ceinture noire, me rappelle qu'une bousculade avait failli le jeter sous un bus. Il me rappelle aussi ce dialogue : « Un fusil, c'est fait pour... - Fusiller ! - Une mitraillette," - la classe, en choeur : "Pour mitrailler!" - Un canon ? - Pour canonner ! - Et un

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    tank ?" – gigantesque éclat de rire "Pourquoi rigolez vous bande de petits vicieux?  à quoi pensez-vous donc ?  - C'est vous M'sieur ! c'est vous !" - hurlements, hilarité générale - le genre de truc qui me vaudrait aujourd'hui mise à la porte et trois mois fermes les fers aux pieds. Imbéciles. Comme disaient des correspondants allemands : "Un prof comme ça, chez nous, c'est la prison, ou l'asile" - jawohl !

     

    X

    Mon collègue Treter raconte ce qu'il a vécu : « Votre nom me dit quelque chose ; je n'aurais pas eu votre frère par hasard, autrefois, dans ma classe ? - Non Monsieur ; c'était mon père. » A frémir. Il aimait chiner, le père Treter, refourguant ses trouvailles sur la place, derrière les remblais du chemin de fer. « A l'école coranique, si vous disiez le dixième de ce que vous me dites, c'est à coups de bâton qu'on vous corrigerait. » En ce temps-là, les plaintes pour racisme ne se déclenchaient pas pour gagner de l'argent ; témoin ma prof d'histoire de 3e, sèche comme un coup de trique : «Je m'appelle Mickelson, mais je tiens à préciser que je ne suis pas israélite ». Je l'aimais beaucoup ; mes camarades, non : le lycée Garibaldi de Bucarest comportait un tiers d'Occidentaux, un tiers de Roumains, un tiers de Séfardim. L'année précédente, engueulant un juif et un musulman, elle avait sifflé : « Vous n'êtes pas de la même religion, mais vous êtes bien de la même race ! » - Davidonn s'est dressé comme un ressort : «  Suivez-moi chez le Proviseur, pour répéter ce que vous avez dit !" Elle s'en garda bien. C'était un excellent professeur.

     

    X

     

    Je m'aperçois que désormais mes souvenirs de lycées s'emmêlent à ceux du vieux prof. Comme si en effet je n'avais jamais quitté l'école. Mais j'ai vécu ma vraie vie - n'en déplaise aux obscènes revendications des parents qui firent un beau jour une ovation (style COLLIGNON - GRANDEURS ET AVANIES D'UN PROFESSEUR DECADENT 41

     

     

     

     

    "Bal des Vampires") à leur tribun : « Les profs ne préparent pas à la Vraie Vie !" (on va leur montrer, nous autres!) (...à remplir un chèque ? à cocufier sa femme ?...) - mais c'est quoi, la Vraie Vie? ...celle d'un épicier ? d'un gendarme ? d'une infirmière ? soyons fous : d'un prof ? J'ai lu dernièrement, sous la plume de ce dandy qui traîne dans la merde ceux qui l'ont formé : « Les professeurs du secondaire, qui n'ont pas connu la vie mais s'imaginent l'avoir connue... » - pauvre con. Si la « vraie vie » en effet c'est ce bac à sable, où tout le monde s'assomme à grands coups de râteaux en se comparant la quéquette, je me flatte, je me targue en effet, je me glorifie de n'avoir jamais voulu la connaître - il a l'air complètement à côté de ses pompes - la Vraie Vie où tout le monde « se bat pour son bifteck » comme aux plus beaux jours de l'âge de pierre...

    J'ai même ouï parler d'une association dite caritative refusant systématiquement les profs, « parce qu'ils croient tout savoir et ne savent rien faire ». Assurément, je n'estime pas nécessairement cette corporation et je m'en suis toujours senti marginal. Encore m'a-t-on asséné que j'en présentais toutes les caractéristiques : intonations, expressions, sujets de conversation – mais je ne suis pas "un prof"...

     

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    Un fou

    Je descends dans la cour en serrant contre moi le porte-manteaux chromé à patères de la salle des profs ; je fais semblant de poursuivre les élèves avec cet engin : « Gourou gourou! » - tous se tassent peureusement aux quatre coins de la cour en détournant les yeux - « gourou gourou ! » Quand je suis remonté, Zakoski, prof de maths, me dit : "Tu as des troubles cons portementaux". Je suis mortifié d'avoir manqué ce calembour éclatant. Aujourd'hui je n'y couperais pas de l'asile, direct... Zakoski est un grand homme ; c'est lui qui m'initie au maniement d'une machine à écrire électronique. J'admire ses deux enfants, métis

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    polono-bambara de grand-mère vietnamienne : ils sont couleur vieux bronze - magnifiques. Il me répète : « Tu baisses ». Les collègues me demandent pourquoi je traverse la cour dans un ample manteau, rogue et solennel : « Je m'exerce à marcher avec distinction. - En effet ! c'était très réussi ! » Et nous finissons par nous foutre de ma gueule. Theillol, directeur adjoint, se vautre sur la table devant moi ; puis il se redresse pour aller aux toilettes en beuglant : « Tiens ! Je vais aller me vider la bite ». Je me rends compte le lendemain qu'il a très exactement repris mes gestes et mon propos fleuri, sans avoir voulu m'engueuler autrement que par cette sanglante imitation.

    Theillol fut l'un des seuls administratifs à bien gérer les fous. Il me proposa de confisquer à mon profit tous les cours de latin, à faible effectif. J'ai refusé : question de solidarité - il me dispensait déjà des classes de "transition" ou "pré-professionnelles de niveau" (CPPN) où les "élèves" entrent en classe en se cassant la gueule. Theillol était un chasseur. Mort peut-être. M'avait conseillé un oto-rhino, Salem. Je lui dis : « Il ne serait pas un peu juif, par hasard, ce Salem ? » Et lui, ouvrant les bras, l'accent pied-noir au couteau : « Que voulez-vous, Monsieur C., il n'y a qu'eux ! il n'y a qu'eux ! » Dont acte... Theillol fut l'un des rares membres du personnel administratif qui m'ont permis, par leur hauteur de vue, par leur connaissance de l'humain, de connaître quelques adoucissements. Qui m'ont permis de tenir. Je le remercie de tout cœur.

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    Un fou, suite

    Je lance mon pied au cul d'un sac à dos en imitant Johnny : “Ah que cou-cououou...” - deux quatrièmes regagnent leurs salles en hoquetant de rire, titubants, écroulés l'un sur l'autre. Je reproduis dans un couloir, rien que pour moi, la démarche cahoteuse du Gnome à la hache dans Le Bal des Vampires : démarche de gorille, grognements baveux, décalage latéral du

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    bassin, trottinement terrible de La Belle et la Bête ; deux collégiennes que je croise en perdent le souffle au point de s'étayer l'une à l'autre pour ne pas s'effondrer de rire.

    Réunion parents-profs ; deux mamans me repèrent : “On va suivre celui-là, il nous mènera dans la bonne salle” - je suis juste en train de me précipiter aux chiottes. Je leur jette par-dessus l'épaule : “Là où je vais, ne me suivez pas !” Drôle d'effet d'entrevoir deux femmes étouffant de rigolade au point de se tenir aux épaules en titubant.

    Je déclare en réunion : «  Etudier le latin sans faire de grec me semble aussi absurde que de faire du vélo à une seule pédale ; pour l'autre pédale, j'ai pensé aux Grecs” - silence de banquise - une seule trouve ça tordant, se retourne et s'arrête d'un coup devant les tronches glaciales de l'assistance ; plus tard j'évoque Alcofribas Nasier, alias Rabelais, « que nous aborderons en trois parties : les rats, les bœufs, le lait » - gueules imbranlables des parents – mais il est revenu, le temps du bûcher...

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    Une chanson ! Une chanson !

    Gibt's einen Stuhl da, Stuhl da, Stuhl da

    Für meine Hulda, Hulda, Hulda ? -

    “Y a pas une chaise là, chaise là, chaise là

    Pour ma Séléna, Léna, Léna » –

    ou à peu près ; mes germanophones d'Ankara trouvent ça plat : so platt Monsieur.

     Parademarsch, Parademarsch, der Kaiser hat ein Loch im Arsch ! -

    « Marche de parade, l'Empereur a un trou au cul » -  Pourquoi le Kaiser, Monsieur ? ...tout le monde ! »  - je précise : « von Preuszen ! » - les voici atterrés : on ne dit pas « von » mais « zu », « zu Preuszen », « pour la Prusse », en charge, par Dieu, d'une fonction subalterne, provisoire et révocable - « ...comme vous, monsieur ! »

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    Troisième chanson : Moralès-seu, Moralès-seu ! - il s'agit du sketch de haute volée de Bénureau, Didier. Les filles me répètent « C'est pas ça du tout, monsieur ! mon frère le fait mieux que vous ! » - je m'obstine à barrir

    "toi qui aimais voyager /

    te v'là tout éparpillé" - sale mine -

    toi qui aimais batt' des r'cords / à vingt ans déjà t'es mort - tout le monde tape sur sa table - je n'ai connu le texte intégral que bien plus tard, quand je n'avais plus personne à faire rire...

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    LE PEUPLE, PUTAING CONG...

    J''éprouve une une répulsion irrépressible envers tout ce qui est peuple. “Culture prolo” me semble toujours particulièrement vide de sens : belote et pastis / Mozart et Haydn – quel rapport ? pure démagogie.

    ...Le degré zéro du slogan syndical me semble atteint par “Tous ensemble – tous ensemble – ouais ! ouais !” - avec ce hideux accent languedocien qui n'arrive pas à émettre le son « an » : tous angsangble tous angsangble - alors que j'avais pleuré, autrefois, à simplement ouïr au transistor la foule ouvrière de Toulouse interminablement psalmodier sur la place du Capitole Unité ! Unité ! Unité ! – j'en ai encore le frisson – jusqu'à ce que les chefs syndicaux se tombent dans les bras en sanglotant à la tribune - mais tous angsangmble, tous angsangble – à gerber - gnouf ! gnouf ! - suffit-il donc de beugler tous angsangble pour avoir raison ?

    ...Deux lycéennes hilares entrent donc en cours au pas cadencé en hurlant « Tous angsamgble tous angsangble - gnouf ! gnouf ! » J'adorais l'une d'elles, riche, métisse, à qui j'ai laissé entendre que vivre avec elle eût été mon bonheur pour peu que nos âges eussent

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    concordé - tu ne te figures pas que j'épouserais ce vieux con ?  J'ai oublié son nom -dites-moi - mademoiselle - est-ce que vous ne parleriez pas l'allemand couramment, par hasard ? Ses yeux ronds : "Comment savez-vous ça ? - Parce que j'ai souvent eu l'impression d'être particulièrement bien compris. » Le latin et l'allemand présentent en effet des similitudes. Elle reconnaît que ses origines comportent également une tante autrichienne, qui l'a initiée à la langue de Goethe l'nnée de ses huit ans.

    Je me souviens de Roberte Hulafont ; jamais je n'ai dit ni entendu dire : « Il manque Hulafont ». Elle pensait que je ne l'aimais pas. En toute innocence. Hulafont était immense, osseuse, féminine comme une paire d'échasses. Mais une classe, mon Dieu - une classe...

     

    Les deux Brègue

    Je mêle souvenirs d'élève et de prof. Le premier Brègue était un grand dégingandé, rouquin, fils du commissaire, viré d'un lycée à l'autre, Laon ou St-Quentin, alternativement. Il jouait du saxo. Toujours la même phrase de jazz. Je l'ai poussé de tout son long dans une flaque bien boueuse. Les autres, à l'abri sous le préau, m'encourageaient, m'acclamaient ! Hélas, chevaleresque, je lui ai tendu la main pour se relever. Il m'a reflanqué la rouste, outragé de sa première défaite. L'autre Brègue, c'était la fille d'un patron de supermarché, gênée par tout son fric. « Je me suis fait voler mon scooter » ; mon père : « Ça ne fait rien, tu n'as qu'à aller t'en acheter un autre ». Ce genre de gêne dure peu.

     

    « Je regarde le disc-jockey »

    C'est une chanson très naze. Je l'ai fait chanter à toute ma classe. “Les garçons à voix grave  à ma droite, les garçons à voix claire (je n'ai pas dit « aiguë », diplomatie) à gauche, les autres au milieu. Ceux à voix grave, scandez “boum, boum” ; à voix claire : “tchac, tchac” ; on essaye : boum-tchac, boum-tchac. « Ceux du centre : imitez la cornemuse, en frappant le

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    pharynx du tranchant de la main : ouin-ouin-ouin, ouin-ouin-ouin-ouin, ouin-ouin-ouin-ouin, t'houououou , on se dégonfle ! ouin-ouin-ouin... On essaye – OK ! Ensemble à présent : boum-tchac-ouin-ouin – c'est bon ! » Les filles devaient chanter là-dessus, de l'air le plus con possible “Je regarde le disc-jockey... Allez les filles, encore plus con ! Tout feu tout flaaaaamme ! Et pour finir, l'hystérie ! Allez les filles, l'utérus entre les dents !” - épique.

    Je ne m'en suis aperçu que trop tard : il fallait les faire nasiller, les filles, à fond, comme des canes - auraient-elles accepté ? - nez en moins, quel triomphe ! du grand art, en vérité. Le fils Enten « ennteunn » (« Descanards ») se souviendra toujours de cette Grande Déconnation : “Arrêtez de vous fatiguer ! À vouloir nous démontrer - que vous nous aimez... ! » Son père vient me voir. « Souviens-toi de tes origines ! Pense à ton nom  ! » Alsacien, et juif, Enten. Je l'ai suivi dans le couloir, emboîtant mes jambes dans les siennes, vieille couillonnade de caserne, et susurrant : « Alors, on joue au docteur ? » Enten détestait les futures mémères, il les singeait, minaudant, impitoyable. Avec Küchenmeister : « Descanards » et « Maîtrequeux» - inséparables ; ce dernier rejeton ultime du fameux médecin légiste aujourd'hui bien oublié (1821-1890) ; qui s'était préparé pour une scène de Marivaux, l'un des rares garçons volontaires, puis désisté in extremis, se donnant de surcroît le toupet d'assister, au premier rang, à la représentation. Le metteur en scène l'aurait bouffé.

    « Maîtrequeux » se faisait prononcer « Kukinmestère ». Mais il reconnut que parfois, les autres membres de la même famille, les Schmahlhans, les Röcklingen, en toute tendresse et complicité, murmuraient : Küchenmaïster, à l'allemande. Il y aurait tant à dire sur cette aventure théâtrale du Lycée de Grénolas ! L'immense Goldenstein, jouant le personnage de Don Juan, se vit contraint par Bareski, notre metteur en scène, de se rouler sur une fille sur les planches ; refusant avec véhémence, il trouva le touchant subterfuge d'effectuer sa roulade hissé sur ses avant-bras pour épargner les deux pudeurs adolescentes... “Qué gratteux !” s'écriait-il au bistrot lorsque je comptais ma petite monnaie pour ne payer que ma part... Apostrophant le petit Moïse : « Eh dis donc, Moïse, tu ne serais pas un peu... juif, par

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    hasard? » - un petit pâlot, tout racorni... je l'étouffais, ce Moïse ; les derniers temps, mes cours tenaient de la parade de cirque. J'incarnais si l'on peut dire ce genre de prof qui asphyxie ses disciples sans leur en laisser placer une. Le petit Moïse écrivait minuscule, ses dissertations tenaient en dix lignes. Comme s'il s'interdisait de penser. D'exister. Sa propre mère avait eu la douleur de perdre sa fille, suicidée à seize ans. J'ai voulu la rattraper par l'épaule, elle s'est dérobée d'un coup.

    Je devrais dans ces évocations chaotiques intercaler de profondes réflexions entre chaque anecdote ou série d'anecdotes (j'écris « sur les planches », guettant les réactions supposées du lecteur - ce qu'il ne faut pas faire n'est-ce pas) mais je ne vois pas du tout, moi, quelles réflexions faire : je ne connais que l'ennui, la peur ; la corde raide, le salto arrière, pile poil sur le fil - jamais la moindre promotion (« petit choix », « grand choix ») - toujours mal avec l'administration. Pour ne jamais trahir l'adolescence, rester de plain-pied total avec elle, cette si terrible adolescence, seule véritable dimension du monde ; c'est l'homme qui meurt, nom de Dieu, juste après l'adolescence...

    A 15 ans - puis tout compte fait 18 - je me suis solennellement juré de rester tel quel. A genoux bien plus tard sur le rebord coupant du tombeau d'Orélie, Roi de Patagonie, j'ai fait à haute voix le serment de rester fou à tout jamais. « Vous savez, vous l'auriez connu, l'Antoine, vous vous seriez rendu compte qu'il était complètement zinzin » - bien sûr, braves jeunes ploucs, aussi cons que vos pères - hors sujet mais pas tant. J'ai mené jusqu'au bout ce misérable projet de rester coûte que coûte fidèle à mes conflits ô psychiatres-z-à deux balles. J'ai toujours su que la révolte et l'inaccompli seraient le meilleur de moi, maman-ma femme e tutti quanti. M'étant trouvé chez ma correspondante à Reinosa (Espagne), je tâchai de convaincre cette grassouillette et Pepita sa sœur à quel point leur vie si docile pouvait comporter d'aliénation - l'aînée me répondit ¡ Tu eres siempre a decir profundidades ! "toujours à dire des profondités !” Peut-être des parents, pesant de tout leur poids, sont-ils indispensables à sa propre construction.

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    Peut-être pas. Certains rompent, s'arrachent ; je n'en eus jamais le courage. A présent je sais à présent que mes vieux crevaient de trouilles. Au pluriel. Depuis la guerre. Ils ignoraient ce qu'on peut bien faire d'un enfant, d'un garçon. Ils braillaient. Je répliquais. « Tu étais dur, tu sais. - C'est vous qui m'avez rendu dur. »

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    Si on ne peut plus être xénophobe...

    Une élève italienne porte le nom magnifique de Critacci ; elle me dit : "Ce n'est pas bien beau, Cri-ta-ksi" - Elève donc la voix sur l'avant-dernière : Critátchi » - je l'aurais consolidée, cette jeune fille, ...si seulement je m'en étais avisé plus tôt... Mais Les étrangers sont nuls, Desproges, 1981 ! ...Le respect, voyez-vous, ça étouffe. Un jour, un petit Syrien tout brun faisant mine (peut-être) d'ignorer qu'il y eût un état nommé “Israël”, j'ai répliqué, de l'air le plus plaisamment outré : “Comment ! ...vous ne savez pas ce que c'est qu'Israël?” Un bon tiers de la classe éclata de rire en applaudissant - “ce que c'est qu'Israël” ! Extraordinaire complicité tout à fait improvisée – j'ai toujours été, inconditionnellement, pro-isréalien.

    Le cochon slovène

    La Turquie comprend une petite minorité de Slovènes, essentiellement urbains ; dans certains quartiers d'Ankara, les panneaux de signalisation figurent en deux langues – turc, slovène. L'un de mes garçons porte un nom germanique, Schneider, “Tailleur”, mais il tient mordicus à son orthographe slave : Šnajder. Un jour où je le fais lire, son effroyable accent transforme la langue de Molière en une atroce cacophonie de hache-paille ; je grommelle : “Eh ben mon cochon... ben mon cochon” - (“ben mon vieux... ben mon con...”) - mon Šnajder (peut-on le lui reprocher) ignore ces finesses argotiques : résignation sans fond, constat d'impuissance devant ce massacre phonétique. Soudain mon Turco-germano-slovène, jusqu'ici placide et ânonnant, laisse éclater son indignation : “Monzieur ! Che ne zuis bas fotre cochon !” Hilarité générale.

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    Je la raconte encore en famille, celle-là. Personne ne s'en lasse. Enfin moi.

    Boulou-boulou

    Je me sens obligé d'intervenir, tout de même, lorsque le Portugais de service en 6e traite la petite Noire de “sac à charbon”. A vrai dire je m'en fous totalement. Les vociférations des antiracistes me semblent très exactement contreproductives... Mais une autre fois, salle 117, un petit sixième, noir, bouclé, minuscule, le vrai négrillon Tintin au Congo avec l'accent approprié, vient demander je ne sais quoi de la part d'un collègue, s'emphrouille dans ses brases. Mon Meilleur Elève (l'Emmureur aux Parpaings) l'interrompt brutalement “boulou-boulou !” - sans doute s'imagine-t-il imiter je ne sais quel langage simiesque - « euh... (comme cherchant ses mots) - boulou-boulou !” - renvoyant le sous-homme dans sa catégorie protoarticulée.

    Le petit sixième Dieu merci ne s'aperçoit de rien, recompose ses phrases en me fixant droit dans les yeux - puis se retire, poli, digne : la vexation n'a pas pris. C'est l'autre, le raciste, qui passe pour un con. Moi-même un soir, exténué, cherchant en vain une chambre à Bayonne, je m'attire la sentence tombée d'un tabouret de bar : "Le patron... euh... (ex abrupto) - il est pas là - pour bien signifier que de toute façon, le patron, pour un con de mon espèce – il ne sera jamais là. Ce premier de ma classe se montre particulièrement puant quand il s'y met : “Franchement, comment peut-on s'intéresser à ça... ta mère, « professeur de travail manuel...” Il en dégueulait de mépris. Son père d'ailleurs eût volontiers décrété «Faites des maths et foutez-vous du reste » - il en reste des comme ça.

    Pourtougaou, Pourtougaou

    “Comment appelle-t-on un cochon qui rigole tout le temps ?” Réponse : “Un porc tout gai”. Ça ne manque jamais son effet, surtout quand il y en a un, de Portugais, dans la salle. Il y a toujours un Portugais dans la salle. La mission consiste ensuite à se faire le meilleur ami du Portugais en question. Ce qui passe évidemment par le feu vert tacite de

     

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    laisser traiter les Français de tout ce qu'on veut, et soi-même de con. Avec quelle conviction jouissive une jeune Lusitanienne ne m'a-t-elle pas répété, sur ma demannde « Va te faire foutre » : Vai te fudér ! - Fermé au maximum, le « é » ? - Oui c'est ça Monsieur, Vai te fudééér. Parole, elle en jouissait.

     

    Uruspur çocuk

    C'est aussi à la suite d'un magnifique ourouspur tchodjouk (« fils de pute ») lancé bien en face par un Ottoman que je me suis enfin mis à potasser le turc. Une langue splendide. Je me souviens aussi de ce désopilant face-à-face avec Djaïoun, qui me faisait répéter« T'tahhoui zzech », « encule ton âne » (« va te faire enculer ») : « Non M'sieur, c'est pas encore tout à fait ça », et je répétais, répétais, jusqu'à ce que je me rende compte qu'il se foutait ouvertement de ma gueule d'abruti. Mais celui que je n'ai pas apprécié, pas du tout du tout, c'est ce grand mollasson de Slovaque passé bien subitement de 6 à 16 (devoir fait à la maison) avec une telle proportion d'aide extérieure que je n'ai pu m'empêcher de le saquer comme un malade : zéro.

    Il est venu s'expliquer en fin de cours mais je l'ai repoussé : « Vous n'avez pas la culture nécessaire pour obtenir cette note » - « On ne laisse pas à l'élève d'autre choix que l'ignorance ou la fraude » braille par écrit l'affligeant pédagogue particulier, rédacteur à la virgule près du texte en question - qui poste illico, sous couvert courageux de l'anonymat sa dénonciation venimeuse et démocratique au Recteur - la « lettre au Chef » a toujours soulevé en moi un dégoût dégueulatif – non sans m'en avoir fait remettre une photocopie :« xénophobie », « négation de la culture slovaque » - or qui sait mieux que moi mon degré d'insondable ignorance en littérature slovenská ? n'existe-t-il pas cent fois plus de Ruthènes ou de Cosaques fins lettrés que de péteux immensément fiers d'ignorer jusqu'aux noms de Yanko Kral' ou de Hana Zelinova ? - encore et toujours notez bien, dans ce papier-cul

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    épistolaire, l'indécrottable confusion de “culture” et de “coutumes” : quand j'achète ma baguette en effet, j'observe la coutume française ; mais en aucun cas je ne prétends incarner ma “culture”... Le fond du drame, voyez-vous, c'est qu'un tel élève ait pu se retrouver en première avec un tel niveau, pas si différent d'ailleurs de celui d'un Français dit « de souche » ; et d'ajouter pour finir, cet enculé du cul, qu'on aurait dû sans délai me radier des cadres de l'Education nationale. « Ne vous en faites pas », m'a dit le proviseur ; des lettres comme ça, le Rectorat en reçoit 20 par mois, et comme ils ont autre chose à faire en pleine période de bac, laissez tomber. » Il eut raison.

    Pour ma part, je ne me suis jamais gêné pour répéter l'année suivante, et sans aucune espèce de remords, que l'on m'avait reproché de saquer un élève en raison de son origine étrangère... Mais je n'ai jamais voulu révéler laquelle : tout le monde aurait deviné, et nous y serions encore.

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    Wazza

    What's up ? « comment va ? » publicité pour une bière américaine, en tirant la langue jusqu'au menton comme un malade. Au dixième de seconde pile poil suivant la sonnerie d'entrée , je me casse en deux d'un coup en gueulant wazzaaaah – sec et raide vers la moitié garçons – qui me réplique du tac au tac wazzzaaaaah - une fille, écœurée : “Fallait bien qu'il la retienne encore celle-là, tiens...”

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    Racisme ?

    Pour des raisons évidentes, celui que l'on repère toujours en premier dans une classe, c'est le Noir. La « minorité visible » comme on dit (je serais noir, je préfèrerais « nègre »). De même aux Antilles, pour le béké. Mon Africain du jour s'appelle Bongo. Médiocre, effacé. Je n'ai pas pu résister : peu avant Noël, je chante avec l' « accent noir » : “Bongo sapin, roi des forêts, que j'aimeu ta – verrrdûûreuh...". C'est parfaitement crétin. Il me répond “vous êtes

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    rrraciste ; si si m'sieur, vous êtes rrraciste.” Choubert, le prof d'allemand, trouve ça « excellent ». Rien d'étonnant.  Tiyaré, Samoan, vient anxieusement me demander, en fin de cours si je suis raciste : les autres, pour se payer sa tête, le lui ont fait croire. Je l'ai formellement détrompé ; il est reparti tout triomphant.

    Un autre collègue, Lelorrain, prof d'art plastique, ne pouvait jamais s'empêcher d'éprouver les pires difficultés avec tout ce qui était tant soit peu bronzé, noirs ou arabes  : « D'une insolence !... » protestait-il invariablement. Il traitait, aussi, Satie d'"imposteur indigent". Ce prof était un personnage ; toutes les collègues ont sauté sur sa queue. Il trompait ouvertement Urbain, capitaine au long cours, jusqu'à se laisser surprendre avec sa femme au petit-déjeuner, dans le même lit. Lorsque l'épouse mit au monde une fille, chacun scruta sur le visage du bébé la ressemblance avec Lelorrain : peine perdue ; le couple ne copulait pas.

    Mais tout ce qui pouvait se faire, il le faisait. C'est d'ailleurs la même qui, après avoir bien regardé autout d'elle, un coup à droite, un coup à gauche, me susurra d'un air interloqué : « Mais... tu penses vraiment ce que tu dis ? » A quoi je répondis, tout uniment, « oui ». Elle s'écarta vivement et ne m'adressa plus la parole pendant les deux années qui suivirent. Et qu'avais-je dit, me croyant seul ? «Les femmes, c'est un sexe complètement ravagé par la masturbation » - l'explosion délirante de la vente des sex-toys de tout acabit consacre désormais cette banale évidence. Notre premier contact avait été d'ailleurs mouvementé : l'épouse Urbain s'était précipitée Il y a un fou dans l'établissement ! - Comment çà, un fou ? - Oui ! il a ouvert d'un coup la porte de ma classe et m'a tiré desssus ratatatatatatatata !  - Mais non, c'est Bernard - il est complètement dingue.» Autre évidence ; et celle-là, indiscutable.

     

    Les noms d'élèves ou les calembours impardonnables

    Deveyrac : “Jamais personne n'a fait de jeu de mots sur mon nom – Si : "de Véra Cruz". Gastro, surnommé Gastro-Entéro (suggestion d'un prétendu copain de classe).

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    Grand fusilleur de cours. Rappels à l'ordre incessants. Plus tard : « On pouvait tout se permettre, avec celui-là... » - mille excuses - monsieur Gastro - il se trouve que j'ai aussi, tout simplement, un cours à faire... Alanic : « ...ta mère ! » – elle est sortie en trombe - j'en ai marre de vos conneries - mort d'inquiétude. On la retrouve dans les chiottes. Ce calembour débile faisait rire aux larmes mon comportementaliste de psy. Glissedent, surnommée “Tuteuleu”, parce que “Tuteuleu – Glissedent » - grassouillette, en couple désormais avec une femme - les hommes n'aiment pas les grosses.

    Le petit Léglisey, prononcé « Léglisêêê, Léglisêêê”, en référence au dessin du Canard où broutaient les moutons de Colombêêê-les-deux-Eglises... Il me répondait, à juste raison : “Colombin-in-in-in, Colombin-in”. Et surtout, ne pas oublier au fond de la classe la fille Cureton flirtant avec le fils Massœur, toujours l'un sur l'autre au dernier rang, cibles incessantes de plaisanteries fines. Je ralentissais la voix, avant de les séparer, non que je vous trouve antipathiques, mais il y a des endroits pour ça  - lesquels, bon Dieu, lesquels... Toujours bien séparer aussi les filles Lamouche et Dufossé, toutes deux vautrées des quatre seins sur la table à se dévorer des yeux en s'effleurant les mèches du bout des doigts.

    J'ai appris par la suite que les plus tendres et les plus vifs émois naissent dans l'adoration contemplative, et non des pistonnages de queue. Je dois aussi longuement me repentir pour Féranque - « Ulé » bien sûr - il l'est d'ailleurs peut-être devenu, enculé. C'est la vie. Pour le fils Pourchier, (le porcher) je me suis vaillamment retenu... toute l'année. J'ai fait admettre à tous sans difficulté que je ne lui compterais qu'une seule faute par groupes de mots, afin que, de temps en temps, il puisse obtenir sa moyenne à lui... La même année, dans une autre section, je faisais cours à Solange Porcher (jamais je ne me fusse abaissé au moindre calembour).

    Je ne me souvenais que de son nom. Je l'ai retrouvée sur Fesse-Bouc, tourmentée d'amours ratées, si pathétique et si grandiose dans sa lutte, si passionnée pour le Peuple. Ses photographies montrent une quinquagénaire alerte, meurtrie, épanouie. Elle ironise sur tous

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    ceux qui prétendent qu'il suffit d'avoir « sa conscience pour soi » - « pauvres cons...». Elle dit que mes cours accentuaient le permanent déséquilibre où elle vivait. Que c'était un véritable bordel où je poussais chacun à « faire son numéro » (développer la personnalité de chacun ! ne laisser personne à l'écart !) mais qu'elle-même, Solange, n'éprouvait nulle envie de faire son numéro ; que mes blagues ne la faisaient pas rire, et qu'elle détestait ce ricanement permanent - « mais tu semblais si triomphant... »  Je me souviens aussi de la fille Duthil, qui crevait de ne pas baiser, à qui je conseillais de le faire, et qui me répétait : « Mais comment ? comment ? » - surtout se garder de laisser voir qu'elle aurait pu décrocher... le prof lui-même... (Si j'étais amoureux de vous, je risquerais la prison sans problème, or je ne le suis pas » (mon petit laïus était fin prêt) :  « demandez donc au premier venu, il ne refusera jamais ») - qu'est-ce que je peux bien y comprendre, moi, aux tourments des vierges...

    Que puis-je encore écrire en notre époque où telle conservatrice de musée - bac + 5, 1ère à l'INP ! - se permet, du haut de sa cuistre, de reprocher à Gauguin – à Gauguin ! - sa pédophilie, parce qu'il « dévoyait » ses petites modèles tropicales de quatorze ans ! Ô connerie, ô connerie ! Je me souviens encore des sœurs Phellip, dont la plus blonde, la plus effacée, obtint ma petite amphore d'Agde sur son trépied de fer, dont je voulais me débarrasser : arrivé en bout de liste alphabétique, je reprenais du début jusqu'au nombre 47, âge de ma mort – il n'en fut rien – je l'avais déjà interrogée la première en début d'année, selon le même procédé.

    J'aurais dû compter 47 de plus. Toute la classe lui a susurré « bravo Phellip ! » d'un ton gentiment protecteur, mais tous dédaignaient sa timidité. J'ai subi plus tard la même expression forcée (« Bravo Bernard ! »), pour ce petit lot de tasses à café pastel que toutes ces dames guignaient, et dont je me sers encore (du service). On ne m'aimait guère, à Grénolas – Grénolas et sa tour médiévale, et ce magnifique paysage, pour aller au travail comme on va en vacances... « Je me souviens » de Vladimir, grosse gueule de moujik, affublé par sa mère d'une chemise russe, l'air ahuri, la bouche ouverte et cinq de moyenne. Il m'a confié hors

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    sujet, par écrit, sa lassitude : son exotisme le désignait comme le couillon de la classe, et si par malheur il s'avisait de répondre juste, mes collègues le complimentaient bruyamment, comme un chiot qui arrive enfin à chier dans l'axe : bravo, Vladimir ! (« pour un abruti, c'est pas mal ! ») J'ai répondu en marge que moi aussi, en classe, j'étais tête de Turc, et qu'il fallait tenir le coup. Certains pardonnent, moi pas. 

     

    Choubert

    C'est ce prof d'allemand qui, en plein week-end (ils ont tous un grain) fit venir tout exprès un ouvrier pour visser à prix fort sur les portes des chiottes les panneaux AGREGES - CERTIFIES - AUXILIAIRES - SURVEILLANTS. Pour les agrégés, papier parfumé, triple épaisseur, moquette au sol. Certifiés : double épaisseur, tapis de sol en jute. Auxiliaires, papier SNCF, pas de moquette, et pour les pions, papier journal et trou à la turque. Les délégués syndicaux, tous angsangble, se sont rués chez le principal, congestionnés, braillards, noyés dans la diarrhée de leur ridicule. Choubert portait toujours sur lui un tube de Lexomil. Il jouait l'homme du monde, très pincé, d'une petite voix nasillarde. C'est lui aussi qui plaqua au sol au lasso la Jolipiou, un jour qu'elle avait soûlé toute l'assistance d'un interminable chapitre sur sa progéniture ; profitant alors de ce qu'elle reprenait son souffle, Choubert lança d'un ton désinvolte : « A propos, et tes enfants ?" Jolipiou, pincée : Très bien, merci." Dans la cruelle rigolade.

    C'esr Choubert, aussi, qui fit goûter à toute sa classe, en langue allemande, différentes pâtées pour chien, afin d'affiner le maniement des comparatifs... « Et ils l'ont fait, ces cons ! » Il méprisait ses élèves. C'est lui enfin qui donna une claque salutaire au Sieur Duponteau, qui tous les matins, bien à l'affût contre la cafetière, se tapait coup sur coup deux cafés bien brûlant, laissant les autres s'en disputer le fond jusqu'au marc. Choubert lui scotcha sa tasse au plafond. Tous collègues laissèrent Duponteau s'affoler à la recherche de sa tasse en jurant ses bordels de Dieu, pour la découvrir enfin, trop tard, et grimper sur sa table. Il me dit un

     

     

     

     

     

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    jour : "Colombier, je t'inviterai chez moi quand j'aurai les chiottes au milieu du salon. - Tu n'auras qu'à y faire ton entrée." J'y ai pensé vingt ans plus tard. Dommage.

     

    La presse contre les profs

    Je me souviens de Volterra, courant chez le principal témoigner des coups infligés par Moil'nœud à son camarade. Lequel camarade était un grand con qui n'avait cessé de bavarder, 62mn par heure, affichant le plus profond mépris. Et qui accusait le prof de « ne pas faire [son] boulot » ; il te lui a foutu une putain de tarte ! mon arrogant fonce aussi sec chez le Principal, Volterra sur ses talons : « J'suis témoin ! J'suis témoin ! » Braillements hallucinants. Les père et mère dudit Volterra se fendent d'un déplacement : « Un gosse est en train de couler, et vous, les profs, vous ne faites rien ! » Pauvres cons pourris par la presse, ne vous est-il donc jamais venu au cervelas que sortis de leurs classes, les fainéants de profs sont tellement claqués qu'ils n'ont aucune envie de rempiler pour expliquer le cours qu'ils viennent de faire ? et qui ne sera pas plus compris la deuxième fois que la première ? L'aide scolaire fonctionne en Finlande ? Mais, en Finlande, bande d'intoxiqués du gland, où trouvez-vous cette meute d'ignaresqui depuis 40 ans traînent régulièrement les enseignants dans la merde et dans la presse ? on respecte les profs, en Finlande.

    Ce qui n'empêche pas deux étudiants de tiré sur tout ce qui bouge, en 2007 neuf morts, dix en 2008, « peut mieux faire» - fin du modèle finlandais.

     

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    Un jour Barran, magnifique jeune fille de 14 ans, entre en classe en me gratifiant d'une paire de bises bien claquantes sur les deux joues : « J'en avais envie ».

     

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    Ai-je donc été si lâche de me confronter, trente années durant, avec une bande de jeunes? « Mais c'est pas des vrais ! » protestais-je, « pas des vrais! » - je m'aperçus trop tard que le fils, alors âgé de 18 ans, de mon interlocuteur, m'écoutait, écœuré.

    En vérité les anecdotes se multiplient, et je ne parviens plus à reconstituer ce que j'ai pu leur enseigner.

    De la religion

    Samstag est un élève bigot. Je psalmodie à son intention, à tout propos et hors de propos : “Célébrons le mystère de la fo-o-o-âââ” (d'après un prêtre belge et chauve) - Monsieur ? vous répétez cette phrase hors de tout contexte.  - Dites-moi un peu, Samstag : le Christ a bien pris sur lui tous les péchés du monde n'est-ce pas ? - Oh oui M'sieur, oui M'sieur. - Donc il était surchargé de péchés comme le plus grand pécheur du monde ? - Oui M'sieur, parfaitement. - Mais qui est le plus grand pécheur du monde ? n'est-ce pas Satan ? - Bien sûr M'sieur, Satan, exactement. - Mais alors - c'est Satan que l'on a crucifié...” Il se met à hurler : "Hérétique ! hérétique !" La salle était pli-ée, lui plus que les autres : "Mais c'est qu'il m'enverrait au bûcher ce con-là !

    - De grand cœur monsieur, de grand cœur!" - Monsieur C., chaque fois que je dis le nom de mon établissement, on me demande de vos nouvelles - vous n'êtes tout de même pas le seul enseignant de mon établissement ! » Mais si, Monsieur le Principal, mais si... C'était un petit Ardéchois brun du bouc et bien sec. Il s'est fait épouser par la secrétaire, qui avait tâté de tous les principaux avant lui ; ensuite, Madame la Principale hanta les couloirs de « son » établissement, intervenant à tout propos. Un adulte de plus sur place. Tant mieux. Au cul les mauvaises langues.

     

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    De nos jours je serais à l'asile. Ou en taule. "Monsieur Colombin, votre comportement..." - mais à présent, c'est de tous les profs que tout un chacun vient exiger de renier son comportement, sa façon d'être. Nous avons vécu, nous autres, nos derniers jours de liberté. Il est grand temps de ne plus dispenser nos cours que sur internet : plus aucun problème de discipline ou de Dieu sais quelle insertion sociale. Nous vivrons enfin dans un monde virtuel, le vrai, celui que COLLIGNON - GRANDEURS ET AVANIES D'UN PROFESSEUR DECADENT 58

     

     

     

     

    déplorent tous nos pleurnichards de sociologues, et le monde soi-disant réel repartira chialer sur la loi du plus fort, comme depuis la nuit des temps, et jusqu'à la nuit des temps ; car le plus intelligent, le plus beau, le plus habile, tout ce que l'on voudra, sont bel et bien aussi, dans leur catégorie, les plus forts. Et lorsque la rue sera enfin rendue à la loi de la jungle, je me barricaderai chez moi pour jouir sur l'écran d'une femme virtuelle. Plus de naissances, plus de morts. Et nous nous clonerons entre femelles à l'infini, débarrassées enfin de cette infâme paire de couilles, et de la vie. Savez-vous seulement ce que c'est que l'enfer quotidien d'un frustré ? pouvez-vous imaginer de quoi vous vous moquez, vous autres les Zob-timistes, les Pétants de Santé ? y a qu'à, y a qu'à – NAGASAKI DANS TES CHIOTTES.

     

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    ...Ouvrez vos livres Allah page (tant) - deux ans plus tard, je ne les reconnais plus ; futures épouses et mères ? combien préférables les filles en pleine puberté, bourrées de de tics et de perversions ! ...mon dernier éclat se situa au mois de mai 2051. Une de ces fascinantes moches, toute rabougrie, vieillotte, jaunâtre et branlée jusqu'au trognon (Moil'nœud me faisait observer à quel point les filles de cet âge portent à même la graisse malsaine de leurs pommettes les stigmates de leurs inextinguibles branlettes) - refusait de m'écouter. Pérorant avec indifférence, en plein cours, le dos tourné, bien exprès. Dos et chaises tournés, discutant entre eux en m'ignorant - nous tenons à préciser une fois de plus que ce sont des enfants de pauvres qui se comportent ainsi, refusant systématiquement, et par principe, toute espèce d'éducation.

    Il n'y a pas d' « éducation bourgeoise » et d' « éducation populaire ». Il n'y a que de l'éducation éduquée. Nous aurons mis des générations à redécouvrir l'évidence : non, en aucun cas, l'instruction n'est faite pour le peuple : même, il la refuse. Elle n'est pas, n'a jamais été faite pour lui. Ce qu'il veut, c'est gagner de l'argent, être indépendant, consommer... Ce 21 mai donc j'ai surgi comme un dément de ma salle - 39 ans de métier, et se voir confirmer par trois torses de connes que je n'avais jamais rien su faire - que l'éducation, que la conscience ne se transmettait pas automatiquement d'âge en âge – atroce. J'ai déboulé sur le parking hurlant et zigzaguant, poursuivi par la Conseillère d'Education : « Monsieur C. ! Monsieur C.! Vous n'allez pas reprendre le volant

     

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    dans cet état ! » - je me suis calmé illico sur le siège : on ne plaisante pas, sur la route. Plus, un mois de congé, huit grands jours tout seul à La Chaise-Dieu. Ces petites coupures-là, je n'ai jamais manqué une occasion de me les octroyer. À mon retour, j'ai offert à ma récalcitrante, à cette toute petite face ratatinée, un cactus en pot. J'apprends qu'elle l'a gardé longtemps, et que ses deux commères se sont toujours aussi, plus tard, souvenues de moi.

     

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    « Le Commis-Voyageur de la culture » : bon titre..

    Toujours se souvenir que dans une classe, trois ou quatre adorent le prof ; six ou sept ne peuvent pas le saquer – le reste, tout le reste, sans exception, n'attend qu'une chose : la sonnerie. Je revois les frères Pexter, Place de l'Horloge en terrasse : ils se parlaient en anglais, sans soupçonner que leur accent à la Maurice Chevalier les rendait parfaitement compréhensibles. L'un d'eux jurait ses grands dieux que mon père l'instite possédait “le génie de l'enseignement”. L'autre faisait la fine bouche, estimant que ce n'était pas du tout cela, et que mon père n'était qu'un médiocre. Mon père me confirma qu'il s'était bien entendu avec le premier, pas du tout avec le second, “mauvais esprit”.

    Depuis, je ricane sitôt que j'entends parler de professeurs “compétents” ou “incompétents”. Lhoste me disait (j'étais passé de 29 élèves à 2, d'une année sur l'autre, en latin) : “Tu étais un mauvais professeur.” Cette année-là, oui ; avec cette classe-là, oui... « Monsieur », me dit-on, « pourquoi est-ce que vous ne savez pas vous faire respecter ? » Je répondais que je n'en avais pas besoin, que ce n'était pas la chose que je recherchais... mon œil ! Mais lorsque je voyais des imbéciles comme le père Dehaisne : « Je me préjente : Monchieur Dehaisne, Agrégé de Lettres Clachiques, Lichenchié en Lettres modernes », me tendant un bras qui main comprise n'excédait pas la sphère de son bide, je me félicitais in petto de ma propre bouffonnerie.

    "Je suis le meilleur professeur du collège”. Mouvement de satisfaction chez les sixièmes. “Sans doute aussi de l'Académie”. Satisfaction plus vive. “Je dirais même l'un des meilleurs de France”. Malaise, flottement. Une voix de fillette : “Tout de même, il exagère...” ! Certains collègues, à qui ceci fut rapporté, estimèrent sans doute que je parlais au premier degré. Je les trouvais très cons, mes collègues de Gambriac. Très ploucs. Très « puting cong ». Jamais je ne fus aussi détesté que là-bas (je ne parle qu'à ceux de mon clan : Kampfort, Esdras, Kovalik. Je COLLIGNON GRANDEURS ET AVANIES D'UN PROFESSEUR DECADENT 60

     

     

     

     

    chambre Nicoban (« Quand Nicoban, tout le monde bande ! ») . Je me souviens de les avoir revus sept ans plus tard, ces pauvres cons, Forchonneau, Bedzet le prof de maths qui ne tirait jamais la chasse après avoir pissé ; ils serraient tous à toute force leurs bras croisés sur leurs poitrines, et moi je feignais de vouloir les arracher, prenant cela à la plaisanterie, mais je sonnais faux.

    Ils me toisaient en ricanant : « Ah mais non, après nous avoir méprisés toute l'année... » C'était vrai, hélas. Nous avions donc formé, à part, un groupe, Robert et son long nez rouge, Kampfort Juliette la pulpeuse que je me suis envoyée mais chut, en même temps que Pictès, l'autre Juliette, en alternance - nous chantions des niaiseries des années 50 dans la 4L de Robert : « Un petit cordonnier » (« ...qui voulait aller danser... ») La route longeait la Vilenne jusqu'au CES de Gambriac ; à présent, elle est en sens interdit.

     

    Ah les filles, ah les filles...

    Comme disait le vieux Moil'nœud, à qui l'on aurait bien dû les couper : « Vous êtes toutes là à rigoler à vagin déployé » « Ah non non » s'étouffaient les filles, « ah non... » C'est en quatrième qu'elles savent prendre les choses les filles. Très vite, elles tournent prudes. Des femmes, quoi. “Les filles ? Des petits tas de poussière avec une vipère à l'intérieur.” Indignation de Roberte, fausse gouine (adore la sodomie) (je vais la visiter : son mec, un gros rugbyman, lui a tracé des cernes sous les yeux en la niquant toute la nuit). Il disait, le père Moil'nœud : « C'est qu'elles porteraient plainte ces connes. » Surtout maintenant. Rien que ces pages vous mettent à la merci de la première détraquée susceptible de s'inventer Dieu sait quelle histoire d'attouchements.

    J'en aurai pourtant croisé, des filles... Mais si j'en avais touché ne fût-ce qu'une seule, je m'en serais souvenu. Allez expliquer ça à un juge. Jean Rochefort, dans je ne sais quel film, déclarait au malfrat Gérard Depardieu : «Trente-neuf ans d'enseignement... et pas un seul attouchement ! » Et Depardieu, au sommet de l'admiration : « Ça alors ! Ça alors ! » - il allait trop loin, le père Moil'nœud : « Elles m'en savent gré, les filles, parfaitement, « de les délivrer de leur chape de plomb : pureté mon cul ! je les traite comme elles sont, en branlomanes effrénées... ça les décharge... » Elles auraient tout le temps, disait-il, de jouer les sans sexe, de répéter à longueur de vie « avec un e » : « Ça n'est pas important... On peut s'en passer... C'est vous, les hommes, qui êtes des obsédés... » Un sale enfoiré, ce Moil'nœud : cinquante balais, venu sur le tard au professorat, une vraie bonbonne, qui ne devait pas pouvoir bander plus loin que son bide, ex-vigneron, encore COLLIGNON GRANDEURS ET AVANIES D'UN PROFESSEUR DECADENT 61

     

     

     

     

    1. D'ailleurs je ne m'entends pas tant que ça avec lui. Trop vulgaire. Moi je pète par la bouche, lui, par le cul. Et pas seulement péter ; il a dû rentrer précipitamment chez lui. A la fille Condrom, qui s'agite en classe : “Enlève ton doigt ! ». En face de la petite Gonneau du premier rang, il se passe un doigt à la jointure de l'index et du majeur, le tournant, le recourbant, le retrempant dans le creux, lui faisant effectuer toutes les circonvolutions d'une branlette savamment prolongée. La petite Gonneau, exorbitée, suivait toutes les manœuvres, accélérations interrompues, lentes reprises, virages et torsions, jusqu'aus ultimes halètements. Le soir même elle a dû se déchaîner. Ô mes petites amoureuses à cinq fois par jour…

    On a fini par le virer, le père Moil'nœud ; j''ai hérité de ses classes. Elles étaient dans un bel état, ses classes ! pour passer la porte, les filles se tournent de côté en pouffant, obsédées par la main au cul. Pourtant Moil'nœud n'a jamais tâté de ça - pas fou. La fille de l'entraîneur de foot, seule avec ce vieux porc un jour de grève, a dissimulé dans son sac une bombe de spray, avant d'être expédiée en permanence. Toutes ses amies se sont bien foutues de sa gueule (lorsque la mode est aux sacs à dos, j'envoie à toute volée deux ou trois paluches - mais, au sac…) - ces retraits de fesses me vexent au plus haut point. Je leur fais là-dessus tout un cours : je ne suis pas un homme de ce genre, les profs qui se permettent de balancer la louche sont des malades à virer d'urgence - j'ai terminé par “je vous aime, mais pas à ce niveau” - extase dans la classe.

     

    La fille Verlaisne.

    Je lui claironne à tout va “Je vous aime” en plein cours, ce qui est vrai, mais passe pour faux. Une de ces grandes brunes aux cheveux en bataille, aux ongles sales rongés court et gluants. A ma cinquième et bruyante déclaration, elle me sort : « Si vous m'aimez vraiment, sortons d'ici, allons dehors, à ce moment-là je serai une jeune fille de 17 ans, vous un homme de 42, et nous verrons » - ce n'est pas un refus, elle ne m'élimine pas - mais je n'ai pas relevé le défi - elle aurait dit  je vais réfléchir. M'aurait demandé plusieurs semaines afin de bien peser le pour et le contre - puis immanquablement, tout bien considéré, m'aurait présenté un beau mec de vingt ans, sympa, les yeux droits, qui ne m'aurait pas laissé d'autre choix que de leur souhaiter à tous deux le plus sincèrement du monde le plus bel amour qui se puisse trouver.

    Ce jour-là, salle 110, j'ai reçu la plus bouleversante leçon de dignité de ma vie.

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    Le contrepet fétiches du père Moil'Nœud : « Quel plaisir pour la princesse que la Dotation du Roi. » Martino se moque de la fille Corrèse. Qui lui allonge des tartes, tandis que Moil'Nœud s'évertue à répéter : « Vous avez tort, Martino, rien à voir avec ce que vous imaginez. - Tu vois ? glapissait la branleuse en frappant - pure délicatesse de Moil'Nœud : lequel se doutait bien que jamais le jeune Martino n'avait surpris la moindre jeune fille en pleine action ; ce puceau s'imaginait sans doute que la branlette s'effectuait en cercle à l'orée du vagin, premières phalanges à peine introduites. Or, il s'agit bien sûr des mouvements circulaires en surface, autour du clito, de plus en rapides et haletants, juste avant la suspension finale, au moment de ce fabuleux déclenchement interne dont nous autres, les hommes, ne pouvons hélas concevoir la moindre approche, même analogique... Il se donne ainsi les gants, le père Moil'nœud (Monsieur Frère de Louis XIV, comme son épouse lui demandait une petite branlette, réclama des gants : la classe...) - de défendre une pauvre innocente qui n'eût jamais imaginé, n'est-ce pas, Chozpareille.

    La cause précise de la révocation du père Moil'nœud, occasion si ardemment guettée, ce fut le manège qu'il avait cru pouvoir adopter à l'égard d'une section de quatorze latinistes, dont douze filles - les garçons furent épargnés : vicieux, le père Moil'nœud, - irréprochablement hétérosexuel ; cuisiné là-dessus, il ne cessa de répéter : «Je suis normal. Jamais de garçons Monsieur le Président ; ça me répugne,». Dix ans fermes, tout de même (les juges de notre bon tsar Alexandre IV, que Son Nom soit béni, punissent fermement toutes ces incartades à l'égard de nos magistrats, en défenseurs incorruptibles de notre Sainte Mère Russie. Nous espérons fermement que ces propos scandaleux subiront la plus ferme répression de la main même de notre jeune souverain) - le père Moil'nœud n'était-il pas parvenu à leur faire admettre, en toute humilité, qu'elles étaient toutes, sans exception, addictes à la branlette ? (il n'employait pas ce mot-là, mais ce genre d'allusions se comprend toujours - au quart de tour).

    Elles en avaient toutes convenu. Les deux garçons (“Neil » et “Med”) tendaient le cou, fascinés. Les filles l'année suivante m'ont confié en pouffant les mines écœurées de la Clitarel, prude et revêche, qui renaudait ferme - “Tu prends tes airs, », lui serinait la Fonseca, mais tu fais comme nous, on est toutes comme ça.” Le jeune Med un jour dit à Moil'Nœud que son propre père ne souhaitait le rencontrer, parce que « sinon [il] lui casserai[t] la gueule ». Le naïf et corpulent collègue afficha sa plus totale incompréhension  : «  Mais pourquoi casser la gueule ? » Ce pauvre Med ne sut fournir aucune explication, soit qu'il eût reçu consigne de ne rien développer, soit qu'il n'eût (bien plutôt) rien compris lui-même - ce ne sont pas les adultes, vous pensez bien, qui vont ternir l'auréole de leurs petites fées pour informer leurs gros branleurs de mecs. Or si nos jeunes mâles pétrifiés de culpabilité se figuraient le moins du monde l'intensité répétitive avec laquelle les filles aussi s'astiquent à s'en péter les poumons, ils les descendraient illico de leur piédestal, et la confiance entre sexes pourrait enfin s'instaurer. « Le respect des jeunes filles, gueulait Moil'nœud, ah ! j't'en foutrais ! j't'en foutrais ! » - et le vieux porc (on ne pouvait plus l'arrêter) ajoutait qu'une fois même, en début d'année, juste après la classe, trois gourdasses qui «  sentaient la crevette à pleins naseaux jusqu'à mi-bras» (c'étaient son expression, que le Tsar le foudroie) étaient venues le sommer, « au nom de toutes les filles » (qui ne leur avaient rien demandé) d'arrêter de les chambrer systématiquement.

    Or le père Moil'nœud l'a pris de très haut, car (voyez la malice) il s'était scrupuleusement abstenu, ce jour-là, très précisément, pour une fois, de toute équivoque. Sans vouloir prendre la défense d'une telle ordure, vous aurez vous-mêmes observé que c'est toujours en effet très exactement le jour où vous vous êtes soigneusement repassé la chemise qu'on vient vous reprocher de ne jamais la repasser ; où vous faites un cours de grammaire, que les élèves vous engueulent parce qu' « on ne fait jamais de cours de grammaire » ; et surtout (celle-là est est infaillible) : le jour précis où vous avez foutu en l'air toute la sainte après-midi à tout bien briquer du sol au plafond qu'un ami de passage qui vous veut du bien vient vous bramer en pleine tête : « Je n'avais jamais osé t'en faire la remarque jusqu'ici mon vieux, mais là, vraiment, excuse-moi, tu aurais pu nettoyer un peu ».

    Bref le père Moil'nœud, qui par-dessus le marché se trouvait à jeun, te les a renvoyées toutes les trois se faire foutre, en gueulant que justement s'il existait sur terre en général et dans cette classe en particulier une seule catégorie de personnes à remettre à sa place, c'étaient bien les filles, femmes, gonzesses, et toute engeance de cet acabit : qu'elles étaient autrement obsédées que

    les garçons, traités pourtant partout de répugnants satyres, et qu'elles feraient aussi bien, toutes autant qu'elles étaient, d'aller se rincer abondamment le majeur à l'eau froide à côté des chiottes. « Elles sont reparties, disait-il, la queue basse» - le père Moil'nœud a disparu loin au-delà du Cercle polaire, grâces en soient rendues à Notre Tsar. Je ne pouvais me lasser pour ma part de couler vers toutes les filles mes yeux envoûtés. J'imagine à chacune sa technique d'onanisme, puisqu'il en existerait pour elles une infinité, à la mesure d'un appareil génital adaptable à toutes les variantes. N'en ai-je pas connu telle ou telle qui se frottait, se triturait, transversalement, longitudinalement, ou en cercle, tel ou tel cm² de la peau de son sexe, afin d'expérimenter sans cesse de nouvelles façons de jouir ? inutile de souligner le peu que pèse un homme dans un tel contexte ; et ce qu'ils faut penser de leur insondable fatuité lorsqu'ils se targuent de « faire jouir » leurs partenaires... J'imagine les visages des filles sous les jouissances solitaires - les yeux clos ou écarquillés, les tressaillements imperceptibles – mais jamais, au grand jamais, je ne me serais permis d'effleurer qui que ce soit. J'ai toujours sincèrement, profondément respecté toutes mes filles, si frêles, si exposées à se faire défoncer par Dieu sait quel porc.

    Qui les éclate et qui les jette - un jour, dans les couloirs branlants d'un préfabriqué, Moil'nœud course une fillette à queue de cheval d'une épaule à l'autre, haletant lui-même et bavant comme un satyre... houle de rigolade dans les rangs – inconcevable de nos jours) - le premier qui aurait osé toucher à une fille, je l'aurais enculé au manche de pioche. Je m'attribuais la faculté de reconnaître, à la rentrée, celles qui avaient perdu leur virginité : le regard morne et fêlé d'une sorte de brisure : Ça ne s'est pas très bien passé...? - Comment le savez-vous ? - Ne perdez pas espoir. L'amour et le plaisir viendront une autre fois. Ce sont donc ces fantasmes secrets qui m'ont crucifié à ce « plus beau métier du monde », l'un des plus vulnérables.

    ...Les garçons ? ils m'intéressaient pas du tout : ils en étaient encore, et souvent pour la vie, au niveau corps de garde. Déjà convaincus qu'il suffisait d'ouvrir sa braguette pour faire tomber les femmes comme des mouches. « Les mouches, je n'en doute pas ; les femmes, c'est autre chose. » Quant aux réservés, aux timides, ils me demeuraient parfaitement insignifiants – disons que pour eux, les filles n'existaient pas encore. Tout ce que je dis étant parfaitement inepte, je n'en disconviens pas.

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    Ce que j'ai appris de mes élèves se situe aux alentours d'un pour cent. Un article de Télérama (ce prestige de “Télérama” semblera bien étrange à nos descendants, qui vivront sans culture et n'y entendront pas malice) stipulait qu'en vertu du catéchisme couramment admis, les disciples en savent autant que les maîtres, et que ces derniers ne se trouvent jamais aussi bien heureux qu'à l'écoute de leurs classes. Non. Fondamentalement, je le répète encore, la classe révèle avant tout la Connerie du Groupe. Un bloc de rusticité. De vulgarité (vulgus, le peuple). Férocité, sadisme, vice et petitesse. Et qu'on ne vienne pas me baver, la bouche en cœur, que c'est pour l'avoir voulu moi-même : nous connaissons ces sous-ontologismes en culottes courtes.

    Bien sûr, j'appris aussi la façon de me comporter à l'égard dudit groupe, autrement dit mon métier. Je viens juste de m'en rendre compte, in extremis, et de bien mauvais gré. Mais pour la mesquinerie, l'hostilité la plus lâche (toujours dans le dos les attaques, et en groupe) – les élèves m'auront tout appris. Ils m'ont appris aussi ma supériorité d'âge, d'expérience, de quantité de savoir. Car si vous laissez l'initiative aux élèves, ô belles âmes, votre cours n'existe plus, la seule inextinguible envie du Groupe étant de taper dans un ballon ou de se gouiner entre filles. Vous ne tirerez rien, jamais rien, d'élèves livrés à eux-mêmes, comme le recommande béatement l'Inspection...

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    Avant son simulacre d'exécution, le père Moiln'œud proclama (voyez l'ignominie !) : “Je crois qu'à de rares exceptions près les filles m'étaient reconnaissantes de me faire le complice de leurs plaisirs les plus secrets, les plus accomplis (« quatre-vingt quinze fois sur cent / la femme s'emmerde en baisant). Ce monstre désespérait que pût exister un sexe si étrange. Et s'il ne pouvait d'aucune manière fusionner avec cet organe, du moins qu'il lui fût possible de le bouffer, de s'y vautrer, de s'y engloutir, pour que le monde enfin vous foute la paix. Dans ma mère à quatre mois de sa grossesse, le 18 avril sous les bombes à Noisy, j''éprouve mes premières terreurs.

    La peine de mort (béni soit Notre Tsar) fut commuée en vingt ans fermes incompressibles. Il existait à Vorkhouta depuis 32 un camp surnommé « Guillotine glacée », où bon nombre de ces immondes porcs judicieusement dénoncés par les Anciennes Elèves Humiliées, l'« A.E.H. », bénéficiaient de Stages de Réinsertion, convenablement modérés, avant de disparaître COLLIGNON GRANDEURS ET AVANIES D'UN PROFESSEUR DECADENT 66

     

     

     

     

    sous le knout et le verglas, et nous chercherions en vain là-bas leurs sépultures sous le lichen arctique. Certains ont suggéré, dans les milieux libéraux, qu'une longue rééducation pouvait donner des résultats, qu'une réintroduction sociale eût pu s'envisager. « La chose, murmurent-ils, était possible » - certains se sont permis d'en douter. Ils furent expédiés sur place, pour vérifier..

     

    Crime et châtiment

    Sa substitution de peine inexplicablement promulguée, Moil'nœud fut pourtant, par les femmes, pour son plus grand bien ; compissé jusqu'en pleine gueule bouche ouverte, et conchié. Puis castré. Les filles, si copieusement, si ordurièrement souillées, lui avaient infligé le traitement dont il rêvait. Elles n'avaient pas toutes apprécié chez lui « tant de connaissances” disaient-elles. Je me souviens très bien qu'en ces temps reculés, toute allusion si légère fût-elle au plaisir solitaire des femmes ne récoltait qu'un regard soudain inexpressif, opaque  : « Je ne comprends pas ce que vous dites”, répétaient-elle, avec la plus exaspérante mauvaise foi, à donner des envies de meurtre - il va sans dire que le supplice et l'exécution du père Moil'nœud fut plus qu'amplement mérité ! Dolghii srok slouojbi nachihh souverennihh ! Dieu me garde d'ajouter là le moindre commentaire. Ne craignons donc pas d'affirmer une fois de plus la parfaite conformité du traitement infligé plus haut avec la fine fleur des fantasmes de ce vieux salaud : on ne parle pas d'onanisme à de futures femmes et mères, honneur de la nation , sel sacré de l'humanité.

    Moil'nœud pouvait terroriser, fasciner : il n'en restait pas moins la plus criminelle, la plus ignoble des pourritures...

     

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    Une rencontre.

    La première eut lieu sur le trottoir. Je revenais d'une consultation, suivi d'un jeune homme au pas résolu. Il m'aborda dans le dos, par mon nom. Je me retournai, il me dépassait de vingt bons centimètres, car le temps me rapetisse, hélas. Il me dit ses nom et prénom, - depuis, cela m'est revenu : Victor Tristur. Il tint à me serrer la mains, les yeux dans les yeux, et à me dire combien il me remerciait, pour tout ce que mes cours « extraordinaires » lui avaient apporté, « et COLLIGNON GRANDEURS ET AVANIES D'UN PROFESSEUR DECADENT 67

     

     

     

     

    [lui] apportaient encore ». Je répondis : « Ça en fera toujours un ». J'ai en effet la forfanterie modeste. Nous nous sommes donné de nos nouvelles ; il avait repris l'entreprise familiale, sans me révéler laquelle ; je lui répétai quant à moi mes « coordonnées » - il n'y donna pas suite. Juste avant de nous séparer, il m'a demandé, comme une faveur suprême - la permission de m'embrasser. Il m'étreignit avec émotion.

     

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    La sagesse

    Je serais tiré d'un fossé détrempé, puis hospitalisé ; je me ferais appeler « Monsieur Cohen », de mon ancien nom. Puis je remonterais la pente, au milieu d'un inextricable foutoir de notes écrites : ce sont les prémisses qui me passionnent, et je hais l'effort, lui préférant l'obstination. Je vois ces Bouddhas de vitrines en rangées invariables de bides et de têtes à claques - ne-rien-voir-ne-rien-entendre-ne-rien-dire” - ou des Christs bave-morale à deux balles - toute sagesse me révulse: elle se liquéfie comme une merde contre la moindre parcelle de vie quotidienne. Bouddha, va me ranger le beurre. Et que ça saute. Et toi Jésus, sors-moi la poubelle. La sagesse est la loi du plus fort.

    Que le plus fort gagne. Point barre. Le plus friqué, le plus optimiste, le plus futé. Et même, c'est lui, le plus fort, qui devient aussi le plus sage. Les autres ? ils torchent les culs et se font mettre. Toujours. Deux et deux quatre. Amen. Et je refuse, de plus en plus consciemment, de mûrir et de mourir dans l'adulte. « Prendre ses responsabilités », devenir « efficace » - un jour tu seras, pauvre couille, l'homme le plus efficace du cimetière. Que d'évidences, tas de cadavres ! en dépit de toutes vos condescendances, de tout votre baveux mépris sur « le sentiment de toute-puissance puérile », qui DOIT absolument disparaître pour devenir ACTION dans le domaine du CONCRET ! Jamais. Jamais. Plutôt me rechier dans les couches.

    La terreur du sexe

    Répandre son sperme, quelle horreur. Ces macrofilms d'aspirations glougloutantes en tourbillons d'évier, les spermato engouffrés là-dedans comme des merdes dans une chasse d'eau

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    avec des trémoussements de friture, ce répugnant gargouillis précipité dans un vagin de cuvette à chiottes, sous les récris d'admiration de toutes les cruches ; les gamètes mâles engloutis comme autant de têtards pousse-toi dans le virage que je m'y mette cette bestialité digne des pires vertiges de la sélection naturelle me débecte, je gerbe, tout le monde rit, moi c'est de terreur.

     

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    J'ai déversé sur chacun de mes potaches, mâles et femelles, tout le tombereau de mes névroses et nécroses. « Tu vas voir ! Il va te faire payer pour ci, pour ça, qu'il a souffert ; qui ne te concerne en rien ! » - « tu vas voir ! pour marcher, il va mettre un pied devant l'autre ! » Quel scoop, ô Lazarus, Maître Philosophus !!!… « Faire payer » : mais tout le monde fait ça ! oui, je leur ai tout fait payer ! Et réciproquement, Lazarus, et réciproquement. Comme le monde entier. Toi y compris.

    Parfois j'éprouve envers l'ensemble de mon passé un profond sentiment de dégoût – c'est donc là tout ce que j'ai su faire ? En vérité nous ne méritons plus que de vieillir.

     

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    Au tour des garçons

    C'est au Lycée-Château Charlemagne de Laon que j'ai compris la vie, à grands coups de persécutions - « provoquées par moi-même » , air connu - que je me suis accouché de moi-même. Je raccompagnais Wojrzekowski chez lui, avec sa face plate de Podolien. Dans les établissements sans filles, on aime les garçons. Maquignon (celui qui m'avait muré dans ma classe) est venu plus tard me trouver à la fin de l'heure : « Savez-vous la différence qu'il y a entre un pédé et vous ? » je lui ai répliqué « Tourne-toi que je t'explique. » Il est reparti en répétant “elle est pas mal, celle-là, pas mal...” - Maquignon, si difficile ensuite à virer de la Chorale « Celestia » - c'était lui ou moi – tout à fait autre chose en vérité - mais je n'ai jamais su ce qu'il pouvait bien vouloir me dire avec cette histoire de « différence entre un pédé » et moi…

    ...Il avait commencé à me charrier, le Maquignon - à croire que la chorale tout entière devenait son annexe personnelle ; il débauchait tout le lycée d'En Bas. J'ai fini par le virer. A un COLLIGNON GRANDEURS ET AVANIES D'UN PROFESSEUR DECADENT 69

     

     

     

     

    emmerdeur de Grénolas, Moil'nœud jadis avait déclaré : “Ta gueule, ou tu ressors de là les jambes écartées”. Et même, « je te sodo...” - «je ne vous explique pas » disait-il « comment ils m'ont orthographié “Cosette et le seau d'eau”. À un élève qui le traite de “gros pédé” : “Je ne suis pas gros.” Quand Moil'nœud fait semblant de péter : "Ça fait jouir, mais ça déchire." Ou : "Ça déchire, mais ça fait jouir" – « différence entre « pessimiste » et « optimiste ». Mais ça, c'était de mon temps. C'est hélas à de semblables pédophiles que nous devons l'effondrement de notre école en ces années funestes, heureusement reléguées aux ténèbres depuis l'avènement de notre Noble et Tout-Puissant Alexandre IV, que le Ciel tienne en sa Gloire.

    Le jeune Gurénine un jour s'écria "Va te faire encu... » - Moil'nœud alors, suave : « Vous voulez dire sans doute "Va te faire encuVer" ? ...te faire mettre dans une cuve ?” L'élève, tout suffocant et blême et dégoulinant de diarrhée : « Oui M'sieur... ». Le jeune Cridor un jour, sortant de classe, dessine en vitesse au tableau une espèce de lampe de bureau coiffée d'un abat-jour : « Ça, à l'envers, c'est ma cerise dans un pot de colle" ; Moil'nœud lui donne le choix : la colle «  avec mention exacte du motif », ou la gifle – Cridor choisit la gifle mais au dernier moment se défile : simple calotte. Moil'nœud retrouve ce même Cridor à l'oral du brevet. Il tente en vain de se faire remplacer. Le candidat s'en tire avec 13, en toute loyauté réciproque.

    Nous sommes à mille lieues de Moil'nœud sexe-clamant à la fin d'un cours : «Miss Norme, je t'encule » - et la fille, du tac au tac : « Ça m'étonnerait » (la même, la veille, à son voisin de table : « j'ai la chougne qui me gratte », mais distinguons soigneusement l'exquise pudeur des vierges d'avec les atrocités pédophiles des monstres qui souillaient nos établissements, à présent Dieu merci exterminés jusqu'aux derniers au fin fond des tourbières subarctiques ou des asiles de fous – puisse Notre Sauveur tenir en sa Sainte Garde Notre Bien-Aimé Tsar).

     

    Les élèves nous ramassent à la pelle

    A Ankara, Moil'nœud lance à ses sixièmes : "Qu'est-ce qui est con, qui remue, et qui pue ?" (« une classe de sixième ») les enfants : "C'est vous M'sieur !..." "Il est tout petit ton monde, Moil'nœud : tout petit !" (élève Sévillan) – le prof : "Oui, mais vachement profond." Il était en colère, Sévillan. Il avait raison. Mais le prof n'avait pas tort. Grigadzé : “Oh M'sieur, vous avez dû rester puceau jusqu'à vos 40 ans. - Oui, c'est alors que j'ai rencontré ta mère.” Hurlements de rire COLLIGNON GRANDEURS ET AVANIES D'UN PROFESSEUR DECADENT 70 - 5

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

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    dans la classe ; bulletin trimestriel dudit : «  Grigadzé a tout vu, a tout lu... » - ayant assisté à l'intégralité du « Soulier de satin » par Vitez dans le grande cour du Palais des Papes, il ressentait depuis l'empreinte d'une extase dont nul ni lui-même ne l'eût estimé capable ; il considérait les autres, depuis, avec commisération. Ne jamais, jamais préjuger d'un enfant. Un jour cependant, je lui demande un commentaire sur telle scène du « Christ s'est arrêté à Eboli », à propos d'une plage fluviale infestée de moustiques. Le même Grigadzé de répondre “Ben y a des stiquemous”, je lui réplique “c'est votre stick à vous qui est mou.”

     

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    À onze ans je me suis roulé sous la table en criant : « Les autres ! les autres ! » - jeune marié Noubrozi levait déjà les bras : « Mais comment font les autres ! comment font les autres ! » Ne croyez jamais, à aucun prix, tous autant que vous soyez, que ce soit chez les Autres que se résout le problème de votre moi ; il est pour le moins plaisant, voire ébouriffant, de lire ce grand prêchi-prêcheur de St-Ex : « La vraie vie ne commence qu'à partir du moment où l'on vit pour les autres », lui qui fut une si parfaite illustration de l'égocentrisme le plus exacerbé : n'oubliez jamais l'éternelle leçon : « Ce que je dis, pas ce que je fais ». Puis, à votre tour, fermez-la. Tant nos esprits, nos langages, souffrent en permanence de notre irréparable atrophie. "Je me parle toujours tout seul, confiais-je à mon public. Ainsi, je suis certain de ne pas perdre mon temps avec un con." Une petite voix au fond de la classe : "C'est pas sûr..." - Petterss, un grand doux rasé, terriblement puissant et tendu, toujours au bord de l'explosion. J'évitais de le croiser. Il disait de moi : L'homme qui rit. » - « quoi qu'il arrive, il rit » - de tout (c'était un article, signé par lui, mais caviardé dans « La Poule Oppo », le journal du lycée : « Vous comprenez, monsieur C., si vous acceptez cela sur vous, « ils » vont tous régler leurs comptes avec tous vos collègues » - Proviseur, vous avez raison.

    En fond de classe, le même Petters se balançait rituellement, le regard en biais - je répands le bruit que je suis juif : c'est absolument odieux.

     

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    J'ai travesti Le Cid en parade de foire : "Un pied dans la tombe et l'autre qui glisse" (Don Diègue), "Monsieur le Comte a eu son compte" (Don Gomès) (Meurisse, Le Monocle rit jaune). Au premier rang Poxi, que je n'aimais pas, qui le sentait, qui me le disait, à qui je n'adressais jamais la parole : trop timide («...ce que je dis, pas ce que je fais ») ; sournois, terne, effaré, je le prenais pour un con. Mes yeux lui passaient dessus. Neveu du dentiste, qui me posta fin juin sa facture, salée et comminatoire ; j'avais pensé qu'il oublierait. Moi aussi je suis ignoble. Faut pas croire. Je portais une bague « tête de chouette », genre distributeur de chewing-gums. Un œil en faux brillant s'est détaché.

    Le sous-dirlo : « Mais... vous êtes marié, ou – quoi ? » Pédé. Je mettais tout mon honneur à le paraître. Pour la bague en chouette borgne, je fus couvert de calomnies ; le délégué syndical s'exclama qu'il avait entendu sur moi les pires atrocités.

     

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    Grande lassitude. Retraite, enfin ! (et bon repos éternel - oh pardon - j'étais plié – sacré collègue, qui pensait bien dire) mais fusiller, voyez-vous, toute ma relation aux adolescents eux les jeunes, moi le vieux - « non, merci ». L'âge adulte m'a toujours semblé une perte, un gâchis, une irréparable duperie. La vie de monsieur Pleutre en vérité, ma vie, n'est-elle pas suffisamment terne pour ne pas y rajouter ces efforts, ce reniements de soi - et puis j'ai peur, j'ai peur.

     

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    Des visages, des figures - je pourrais tous vous les classifier, par familles et par embranchements, genres et sous-catégories. Avec ce qu'ils recèlent, ce qu'ils dissimulent, surtout les filles, dont j'ai obtenu bien plus que le sexe. Enseigner ? Se trouver. ? Je ne refuse pas, en fait, que les autres m'enseignent, mais seulement si je veux. « Monsieur, pourquoi vous criez ? vous devenez tout rouge, vous êtes ridicule. » « A quoi bon vous faire des réponses, puisqu'on voit bien que vous vous en foutez ? » J'ai beaucoup appris de mes élèves. Mais c'est à moi de le dire. Pas à vous. D'autres assurément les auront mieux instruits. En respectant mieux le contrat.

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    Plus profitablement. Le grand Larbi surgit un jour en plein Cours de Sixième. Il claque la porte à la volée sur le mur - 18 ans, Lycée Hôtelier de Mesnières -  Écoutez bien les petits, écoutez bien tout ce que dit ce mec-là » - une petite voix timide «c'est un bon prof ?  - ..pas important – mais retenez bien tout ce qu'il dit - sur tous les sujets » - vers moi - « vous vous êtes fait traiter de con en cours – j'étais outré - vous me répondez vous voyez de quel niveau ça vient ? et je devrais gueuler pour ça ?  ...on est toujours le con de quelqu'un – et ça monsieur, c'est grâce à vous, je l'ai toujours appliqué » - il repart en coup de vent – je minimise c'est moi qui l'ai payé - certains furent assez cons pour le croire – tant pis

    Une autre, 50 ans, alpaguée sur Facebook : « Tu es le prof qui m'a le plus marquée. Je vivais des moments atroces en famille. Tu m'as déstabilisée. Ta classe était un vaste bordel où chacun se voyait forcé à faire son numéro à son tour. Moi je ne voulais pas faire mon numéro. Tout le monde trouvait tes vannes tordantes. Pas moi. Je détestais cette ambiance de ricanement perpétuel ». Je remercie Mme Sylvie Vacher, seule ici à conserver son nom, pour son honnêteté - « on ne pouvait rien te dire, tu avais l'air si rayonnant... »

     

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    Filles (et garçons) dont je fus amoureux ; pour les garçons : le plaisir d'être humilié : Godet, avec sa réfutation des impressionnistes, qu'il accusait de « ne pas reproduite la réalité » préférant Vernet (Horace) « on dirait une photo » - applaudissant Smetana «écoutez, on entend bien couler la Moldau» - impossible de lui fourrer le nez dans sa contradiction ; Davidoff, qui m'enroule (j'étouffais de rire) dans une courroie de store : la seule présence de Davidoff empêche, à la lettre, le cours d'avoir lieu - “comment voulez-vous que j'admette votre fils dans mon établissement avec une appréciation pareille ?” - rassurez-vous, il a trouvé mieux depuis.

    A Ankara, ce fut Charrier : de celui-là, je devais d'urgence me faire un allié, sous peine de bousillage – on repère ça tout de suite - Charrier honni de l'administration (« le petit nain »,Zogandin, surgé, 1,30m, macrocéphale.) Charrier me visite (on jase) mais avec sa copine. Je le visite à Paris : “Laissez mon copain tranquille” dit-il à ses parents - « vous ne l'avez pas fait venir pour me faire la morale. » C'est à lui que j'ai prêté ce fameux Rabelais de Garnier – je ne l'ai jamais

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    revu. Charrier fut viré pour deal dans la boîte, sans consommer lui-même, pas fou. Voulait fuir au Paraguay, grand producteur de came ; « en guarani (s'émerveillant), « dix » se dit « deux mains » . Aux dernières rumeurs, se serait converti dans la mode italienne. J'ai tremblé en vérité devant de bien maigres démons. Éprouvé cet abject besoin de servir - un malade  - une urgence.

     

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    Je me rappelle Portucelli, frappant comme un sourd du plat de la main la chaise vide d'à côté - « parachute, char à putes ! Génial ! » « faire l'amour, si c'est de la gym, c'est pas marrant ! » - c'est lui qui plus tard plongea dans l'eau glacée - arrête ! gueulait le prof, pour un ballon ! tu vas prendre la crève ! » Je revois Villeneau le Pruneau qui ramène mieux que moi le calme dans la classe ; Giordanescu, modèle des « Enfants de Montserrat, mis au piquet dans l'entre-deux-portes séparant deux classes ; quand je l'ai récupéré, les filles se « payaient ma tête : « Il est tout rouge ! il est tout rouge ! » - mais le toucher m'eût profondément répugné ; « les filles, ça sent mauvais ! » réplique immédiate de Sandrine Lunet : « t'avais qu'à pas y mettre le nez. » Je n'ai rien rectifié.

    On y serait encore. Il a grandi. L'élève. Je me rappelle Cacchimerda, qui souffrit toute l'année d'être appelé par son nom :  Chielamerde  en italien. C'est l'année où toute la classe (lui plus fort que les autres) avait gueulé : j'avais osé saquer les rédactions des parents. Je commis l'irréparable sottise de reprendre tout le paquet ; me battant les flancs pour infléchir mes observations venimeuses, en hissant toutes les notes à la hausse. Je me revois galoper d'autocar en autocar, distribuant ces copies mutilées - comment la classe a-t-elle bien pu me concéder ensuite la moindre bribe d'autorité. Je ne faisais qu'anticiper...

    A Bronville : le petit Nappaud (« Léon »), dont le père, un collègue, m'avait dit de préciser ce que l'on devait apporter la fois suivante - j'étais à ce point d'ignorance - Crapaudin : qui se souvient de Crapaudin ? Est-ce qu'il n'avait pas des taches de rousseur ? ...Bronville  encore : la fille Picasse, avec laquelle je suis toujours à parler dans la cour – des jambes en poteaux mais de si beaux yeux noisette – 17 ans, moi 21. « Monsieur C. » (convocation chez la directrice), vous êtes passé de l'autre côté à présent. Vous devez respecter une certaine distance avec vos élèves. » Muté d'office pour avoir signé la feuille d'absence d'une croix gammée. Mlle Damble, la même, estimant COLLIGNON GRANDEURS ET AVANIES D'UN PROFESSEUR DÉCADENT 74

     

     

     

     

    à juste titre que mieux valait d'abord se frotter à quelques années de pionicat, se réjouit que mon premier réflexe - et mes élèves ? - eût été pour elle un signe de Vocation - ne vous en souciez pas ; nous leur trouverons quelqu 'un. Je fus muté à St-Léard, décembre 12 - juillet 13 : une année de pion, pour bien me rendre adulte, sans flirt, sans croix gammée (« c'était une blague ! ») sur la feuilles d'absence («dans la région de Châteaubriant, Monsieur, ça n'a pas été particulièrement apprécié ») - mais je me fais reprendre au pas de l'oie dans le couloir en gueulant Sieg Heil - si on ne peut plus rigoler - cette avoinée devant des parents d'élèves !

    Je crois que c'est pour ça d'abord qu'on devient chef : la joie d'humilier. J'ai retrouvé Picasse à St-Léard. Elle baisait avec Bac-Ninh, au bord de l'Ille : « J'ai apporté une couverture. - Tu ne penses qu'à ça. »

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    Mes petites amoureuses

    La petite Fantôme recopiait sagement son livre sous ma dictée sans s'en apercevoir : je n'avais jamais fait de cours d''histoire de ma vie ; au moins, ils auraient lu le manuel… désormais sa vie se souvient à peine de moi.

    Réby, dont je corrigeais en été les versions latines par correspondance. Si malicieuse, captant au vol mes moindres allusions. Devenue d'un coup à quinze ans colossale, costaude, paysanne. Elle est revenue me voir en cours. Mais quelqu'un l'attendait. Franche, pleine de vitalité, pour moi qui n'apprécie que les sournoises, s'essuyant comme un fard la cyprine sur tout le visage. Remonte aussi Francine, si fine, si pâle et délicate, Je l'avais insultée lorsqu'elle était belle. Sa mère accourut, pâteuse, informe, énorme ; j'ai manipulé, traîné cette grosse personne d'une divagation à l'autre, et mon pouvoir me bouleversa. Le lendemain même, alors que sa fille glissait dans mon dos vers sa place, je murmurai “Vous êtes la féminité incarnée”.

    En l'espace d'un an, le visage de porcelaine de l'ange aux loups se déforma, imperceptiblement d'abord, puis se chargea de haut en bas d'un masque inexorable de cagote : cela lui descendit peu à peu, comme un linceul - capuchon d'abord qui lui prit le front, la commissure des paupières, le nez – enfin la face entière - trois années de pure lumière et la vie sous l'épaississement d'une barrique. Je me souviens de Bataillon Thérèse, à qui Moil'Nœud l'année COLLIGNON GRANDEURS ET AVANIES D'UN PROFESSEUR DÉCADENT 75

     

     

     

     

    d'avant claquait les fesses – formez vos baths haillons – devenue à présent collègue d'arts plastiques : « A quoi sert le dessin ? - Pourquoi ne demandes-tu pas ça à ton prof de maths ? » Si liée à Ferencza, revues toutes deux au café - j'ai renversé mon verre sur les genoux de Ferencza : c'était l'héroïne de mon roman Omma, retiré du catalogue de l'éditeur. Toutes deux s'indignaient des propos tenus sur les femmes par les hommes de leur âge : « Pourtant s'ils savaient à quel point on les aime ; ils font tout pour qu'on devienne lesbiennes – le nombre de pédés qu'il y a parmi eux ! Nous avons bien envie d'en faire autant... » - eh oui, mesdames, les petites minauderies, c'est fini tout ça ; tant que vous voudrez "jouer à la femme", ne vous étonnez pas.

    Les hommes en ont leur claque d'être pris pour des porcs : "Tu veux ou tu veux pas ? eh ben c'est non dégage, ksss, ksss, ouh qu'il est pas content le monsieur" - c'est fini ce genre de truc. Bath-Haillons et Ferencza ne se voient plus, ne s'écrivent plus. F. vit en recluse, sous des verres teintés, sa porte anonyme ne s'ouvre plus. Elle a perdu son frère, devenu sous ma plume l'Homme- Cheval, « Marèk » : dans mes pages elle jouit de sa main sous mes yeux extasiés. Je ne pouvais saquer ce frère ; après son décès j'ai reçu sa main au cul à la volée dans le couloir. Elle fit courir le bruit que j'étais mort. Je suis allé dîner, plus tard, chez Fontanet - la mère tous seins en bataille, bagouses et brillants ; un fils aîné réellement mort, lui, en mission, à 32 ans.

    Le cadet Fontanet prit un jour ma défense, alors que je me vantais (une fois dans ma vie) d'avoir corrigé des copies jusqu'à onze heures du soir. Alors, tourné vers eux : vous voyez bien ! 

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    Plus tard Laparade, rouquine, fille de flic (« la rousse »...) ; ne peut fréquenter l'école des justiciables. Je lui révèle que son ancêtre est cité dans Saint-Simon : le Roi lui reproche publiquement de négliger ses devoirs envers son régiment, préférant traîner à Versailles. Elle n'en était pas peu fière. J'apprends voici peu qu'il était homosexuel, ce que Louis XIV abominait par-dessus tout : peut-être l'a-t-elle su. Je la trouvais laide et la flattais de toutes mes forces, ne voulant rien laisser paraître. Elle s'est transformée sans doute en grande rousse éblouissante. Jovanic, prononcée par moi Yovanitch, à la serbe, pour faire mon malin), son rire désagréable exprès ; se fait prononcer “Jovanik ». Internats de filles.

    Je les voyais se consoler, se passer les mains sur les épaules. J'imaginais des tas de COLLIGNON GRANDEURS ET AVANIES D'UN PROFESSEUR DÉCADENT 76

     

     

     

     

    choses sales et vraies. J'ai même révélé à deux d'entre elles qu'il existait des produits de propreté appelés « savonnettes ». Toutes filles dont je fus réellement amoureux. À Saint-Léon, les sœurs Lampin, très vite confondues (d'abord la cadette, puis l'aînée) - l'une d'elles retrouvée à l'oral du bac : frisée, avenante, sûre d'elle. Quelconque. J'aime les filles tourmentées, les femmes chancelantes, devant qui baisser la tête et demander pardon. La beauté pour seul rempart. Nul n'oserait en vérité leur adresser la parole. À quoi pourrais-je bien leur servir, éclatantes ? qu'elles aillent se branler.

    Ce qu'elles font. Llégas, brunette insolente au teint bilieux, dont la mère se paye ma tête dans le train en me qualifiant d' “excellent professeur” ; du coup, parmi les cahots d'aiguillages, je gagne les chiottes en tortillant du cul. Un fou. J'étais, vraiment, un fou. Je le suis toujours. La conscience ne m'en est venue que vingt ans plus tard. Il fait toujours soleil en ce temps-là, un inépuisable avenir. Souviens-toi de Daniela Badajoz, modèle de Nadine ( Les enfants de Montserrat), « très nerveuse » disait-elle, ravagée par l'onanisme. Signalée d'un petit cœur sur ma liste, vu par les élèves pressés autour de mon bureau. Apprenait à sa copine Monferrand l'art divin de la branlette.

    La mère de cette dernière vient me voir, mais n'ose pas m'en parler, parce que j'avais l'air si “bébé » - selon Bussy, les doigts tachés d'encre : « Elle a dit un mot de quatre lettres qui commence par "bé" (les filles s'imaginent que je pense "beau", je rougis, je sens que ce n'est pas cela, ce n'est que plusieurs années plus tard que j'ai découvert : bébé). A Gambriac, fille Bourdon, amie de Champin. La blonde et la brune, si heureuses de me retrouver en début de cinquième (ça leur est vite passé, car je m'en suis rendu compte). Leur meilleure amie, Benzikrane : “Je ne suis pas crâneuse”. J'écoute avec elles en classe un 45 tours tunisien, plusieurs fois de suite ; elles me le demandent une dernière fois.

    Elles sont à l'affût de mon tic : déclencher mon bras d'un coup sec, sur le premier accent du refrain - in extremis, je me suis retenu ; une fois de plus, et je leur balançais un doigt d'honneur, dans le rythme. Destins si désespérément semblables. Basculant tous inexorablement sitôt que l'on a soi-même enfanté. Je me souviens aussi de la la fille Debouxe, si propre et brillantinée, enflant sa minuscule voix pour lire Le combat de Roland et Olivier. Je l'entendais à peine, au comble de l'émerveillement ; ces intenses coulées de pure tendresse, prodiguées à toutes, avec passion.

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    Son père, amoureux d'une immense Noire, me confiait, éperdu : « Je l'initie également à sa vie sexuelle » - que lui apprenait-il ? Chose que les barbares d'à présent ne sauraient concevoir. Ils nous foutraient tous en prison, et l'enfant chez le psy, pour « guérir ». Rhéda, fille de pharmacien, portait de petites lunettes rondes très sages ; elle m'a cru juif, ce qui est de ma part un snobisme du plus mauvais goût ; mais à l'apprendre, il lui échappa un vif sursaut de satisfaction. Melle Environ, « villa Norivné », seule que j'aie signalée pour ses résultats insuffisants devant ce gros porc de Gepetto, infect principal ; en revanche, Dumarais, le sous-dirlo, me traite bien, j'ai sa fille en cours, grande endive nasale, qui explose un jour contre la classe : « Mais enfin je ne suis pas responsable des conneries de mon père » !

    Cet homme-là sut me traiter avec déférence - mes yeux de fou devaient l'épouvanter. Sa fille m'a rejeté sur Fesse-Bouc : « Vous ne me dites rien... Je ne crois pas... ».

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    Je me souviens de ces deux années de premières où les garçons, en surnombre, m'avaient rendu les classes insupportables. Que des gueules d'abrutis – des gueules de garçons. D'informaticiens. « Est-ce que vous nous prenez pour des cons ? » J'ai répondu non, mais comme dit Nietzsche : « On ment, mais avec la gueule qu'on fait en même temps, on dit la vérité quand même ». Les cours se tenaient dans une salle de travaux pratiques, toute en échos, où le moindre mot se répercutait sans fin dans le brouhaha. L'un de ces venimeux du bulbe me jeta en vitesse à la gueule dans le couloir que la classe avait échoué à l'oral, à cause de moi : se figurant sans doute, scientifiquement, pouvoir passer à coups de formules...

    Parmi eux Sofiane, Arabe honteux qui se faisait appeler “Yann”, et qui prétendit que je lui avais mis 10 de moyenne parce que je ne pouvais pas faire autrement – désolé : 3, 10 et 15 égalent 28, divisé par 3 donne 9,33... Mais le 3 sur vingt, ton torchon de papier, tu l'avais oublié, morveux. X

     

    « Vous voilà en 5e à présent. Vous avez découvert pendant les vacances certains COLLIGNON GRANDEURS ET AVANIES D'UN PROFESSEUR DÉCADENT 78

    amusements solitaires » – la fille Piternal, à mi-voix : “Tiens, c'est vrai...” Je l'ai accompagnée avec sa classe, en Allemagne, lui offrant une glace ainsi qu'à sa correspondante. Cette dernière lui passe un papier plié en quatre : « un doigté ? », « ein Fuch » ; je n'ai plus retrouvé ce mot dans aucun dictionnaire ? Toute la classe défilait en déroute montagnarde devant des tartarins attablés en terrasses et qui nous exhortèrent, en bons Germains, à entonner un vigoureux chant de marche ! Wir sind Franzosen, ai-je répondu, und kennen nur obszöne Sänge ! Les tartarins ont éclaté de rire - « nous sommes français, et ne connaissons que des chansons obscènes ».

    Son correspondant le lendemain, fou d'amour, piquait un ultime galop forcené sur le quai au risque de sa vie pour la revoir – il savait bien, lui, que les séparations à 14 ans restent définitives - tandis qu'elle sanglotait devant moi – comme cet enfant de 7 ans tout en larmes, son premier prix de piano entre les bras, pour avoir si fort senti que l'instant ne revient jamais ; que jamais plus il ne reverrait son maître. Je me souviens de Maï, amoureuse des chevaux en dépit de père et mère, dont je pris maladroitement la défense sans la nommer mais reconnue de tous ; mon ancienne suicidaire s'est classée deuxième au Grand National de Liverpool... j'avais songé pour elle à ce cheval de cristal si cher dans la vitrine ; en fin d'année je l'ai prise en stop. Nous avons évité de nous frôler, sans plus savoir que dire. Je parle aussi d'Eulalie Dourmond, fille d'évêque abdicataire : il aimait bien les hommes disait-il, et surtout les femmes. Il estimait « désespérés » les terroristes qui se faisaient sauter dans les bus ! Je répondais pas la moindre excuse - et nous parlions alors de la kabbale, dont il me transmit le schéma des Trois Piliers : le courage ou Ghéboura, l'équilibre, et la miséricorde, Hésed. Ses fidèles en Guadeloupe débattaient à l'infini sur les shekirah et leurs innombrables liens. Selon Pirenne, péteux collègue, sa fille n'était qu'un thon  - Pirenne dont le partenaire arborait un appendice nasal à se l'enfoncer dans le cul, véritable canne en buis de Messerschmidt - Pirenne le fielleux dont le grand chic était de se glisser dans votre le dos pour épier vos propos et de surgir pour vous engueuler. Eulalie n'osa pas, le jour du Carnaval, présenter aux jurés son clown solaire orange et rouge, si exaltant pour ses rondeurs. Seule lectrice que j'aie connue de mon Jaurès, chaudement recommandé par son père. Sans en omettre une page avec bien du mérite, car jamais je n'aurai composé livre aussi désordonné, aussi disloqué - j'entends toujours mon éditeur à mi-voix qui est-ce qui va bien pouvoir s'intéresser à ça  - et comme il a cru bon de ne pas le lancer, forcément, le livre ne s'est pas vendu.

     

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    J'ai revu Eulalie sur le marché aux Popes, où notre éditeur s'était fendu d'un étal de livres entre légumes et cageots de fruits (« le peuple aime la lecture » - c'te bonne blague…) - « vous voyez que les jeunes filles ont du bon » me dit-elle ; j'ignore à quel propos. Eulalie manifestait sa colère après la réception du sieur Blondet, poète autoproclamé : deux grandes heures perdues à écouter ses textaillons de bas étage (le petit Jésus risquant de s'érafler à la croix du Sacré-Cœur, et j'en passe...) - toute la première assise au garde-à-vous à baigner dans sa sueur :- « alors ? c 'était du foutage de gueule ? et notre programme ? » Chère Eulalie ! qui par la suite m'expédia une carte postale truffée de fautes émotionnelles : « J'ai enfin compris le pourquoi de vos incessantes digressions, et tout ce que je leur dois... » ! …

    Depuis, elle rame, de sous-emploi en sous-emploi, son père vieillissant m'ayant plus tard encore entretenu de Dieu dans les allées d'un Leclerc de la culture. Il ne me redessina pas les trois Piliers de la Kabbale, dont j'ai retrouvé un croquis sur une photocopieuse. J'ai « fait du théâtre », comme on dit, avec Eulalie, que je surpris un soir seul à seule en coulisses : « Ah ah, disait-elle, monsieur Kohnlili ! », (« à nous deux») contre le comble de ma gêne ; Bareski, le metteur en scène, nous faisait courir, en tous sens, puis stopper net devant la première gueule venue, pour lui hurler nos noms et prénoms : affirmation de personnalité juste avant de la perdre. Des inspecteurs, venus juger le bien-fondé de nos subventions, tandis que nous bramions sous tel ou tel projo : « Ce sont tout simplement les exercices d'Abramovitch » (1949) se disaient-ils en se poussant du coude.

    Je me souviens de Goldenstein ; de Charles , fils du marchand de biens, Charles, qui jouait si finement, si triste i : « L'animal le plus léger ? la palourde ! » - la fille Rondu, infoutue d'articuler son rôle, titubant sur ses talons comme une grue sur ses échasses : « Ah, c'est féminin, ça », raillait ma collègue lesbienne, qui s'était pourtant fait bourrer le fion (l'honneur est sauf) par son rugbyman toute une nuit, deux belles valoches sous les yeux. Je me souviens de la fille Sorte, qui jouait mon épouse dans  La peur des coups. Je lui ai demandé quelles seraient ses sensations à imaginer un rapport sexuel avec moi, son mari : « Le dégoût » - elle a joué dégoûté.

    Par la suite, en cours, nous ne pouvions ni l'un ni l'autre, malgré que nous en eussions, nous départir d'une gêne mutuelle. Quand je voulais purifier mes yeux, ils se chargeaient malgré moi de toutes nos souvenirs scéniques - n'est-il pas vrai, mademoiselle, que dans La peur des coups

     

     

     

    COLLIGNON GRANDEURS ET AVANIES D'UN PROFESSEUR DÉCADENT 80

    j'étais votre époux » En la croisant, je la voyais murmurer à sa camarade : « Il m'aura oubliée ». Hélas, si  pâle, si souffreteuse, si insipide, je ne pouvais pas la rater. Nous échangions des sourires hagards. Le metteur en scène Bareski nous avait prescrit de jouer le texte mécaniquement, dans une grande fatigue, comme un numéro archiusé: force comique ! Je n'ai compris ce qu'il voulait que des années plus tard ; mais il avait à cœur de laisser chacun maître de ses propres découvertes et de ses limites - au point qu'un jour, promu à la direction d'acteurs par son absence, je fus plus apprécié que lui par la troupe des lycéens, car plus directif : « Il nous laisse dans le vague ! » disaient-ils – or, livrés à nos simples naturels, nous autres personnages demeurons si embryonnaires...

    Je me souviens aussi de Jessica (défiguré par elle en « Jackie ») - dorlotée par sa maman, qui lui filait des biscuits en douce en coulisses avant la représentation. Un jour je me lance à l'eau : « Monsieur et Madame Potoku ont une fille, comment... - Jessica ! (ne jamais laisser les filles s'emparer du corps de garde : elles le couvriraient de honte) - ma mémoire de prof doit absolument se doubler d'une mémoire de comédien, car je partageais avec certaines de mes disciples bien plus encore que des atmosphères de salles de classe : Jessica jouait la fille du pasteur Paris, c'est-à-dire ma propre fille.

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    Je me souviens de Mlle Yassine, brune, juive, marseillaise, qui se contrefichait de la Tradition, la Massorett, et que j'ai bien failli bénir le dernier jour, les mains jointes sur sa tête, avec cette fameuse formule : « Baroukh chem kweït malhoussè loheïlem boët » - même Delécrou, juif pratiquant, n'a pas su m'identifier ce dialecte, différent de l'araméen. Ma bachelière s'est dérobée, voyant dans mes yeux cette lueur non de désir mais de théâtrale : celui d'incarner, même de façon parfaitement déplacé, le rôle du rabbin - Cocteau jouait à Dieu avec les Maritain, jouait aux sanglots à l'enterrement de Satie... Etchegarry, si déplorablement gênée par la mythologique Myrrha, fille du roi de Chypre Cinyrès, « qui aimait un peu trop son papa » dans les Métamorphoses – le père de ma petite protégée ne cessait de la mitrailler de sa grosse caméra - quel prescriptrice crétine s'était donc avisée d'inscrire cet interminable épisode d'Ovide au programme de terminales, dont les latinistes sont avant tout des jeunes filles ? assurément une fille abusée. Je me souviens de Kreutzfeld, qui ne s'appelait pas “Brigitte” « comme la journaliste » disait-elle. Dont la mère était algérienne ; et très sensible au fait que j'aie proclamé les musulmans les plus propres, les plus soignés des garçons, car je ne renonçais jamais au rôle d'homosexuel. Jouer : quelle chose sérieuse. J'aurai passé ma vie à jouer, avec la plus grande sincérité. « J'ai (non pas : oublié mais) évité de vivre », confiais-je à ma classe. « ...mais tu as su établir des contacts », répliquait mon meilleur ami, avec tous tes élèves ! - je me suis exclamé mais ce ne sont pas des vrais ! - je me suis aperçu, trop tard, de l'atroce grimace du jeune Mathieu, 18 ans, son fils, que je n'avais pas repéré.

     

     

     

     

     

    C O L L I G N O N

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Grandeurs et avanies d'un professeur décadent TOME I I

     

    Catalogue

     

    Éditions du Tiroir

     

     

     

     

     

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    Je me souviens du « prof de gym » Sablon, que ces demoiselles avaient contraint (après délégation auprès du principal on n'ose pas lui dire) à porter des pantalons, parce que son short, n'est-ce pas, révélait un peu trop ses génitoires, qui ballottaient sous leur nez de façon dégoûtante... je l'avais croisé, ce couillu, dans un meeting du P.C., où ce jovial imbécile me fit adhérer au(x) parti(es), juste avant la mémorable culotte législative de 78 bien oubliée ; les réunions de section s'achevaient invariablement par la formule on n'a pas besoin d'intellectuels, dans le Parti  et lorsqu'on me chargea pour m'humilier de revendre des billets de loterie à la fête de l'Huma, j'ai renvoyé le tout par retour du courrier : devenir communiste ne signifiait pas pour moi faire le guignol sur un champ de foire en me farcissant les invendus...

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    Je me souviens aussi de la Schlott qui me dit à la fin d'un cours : “Et si je tombais enceinte, vous seriez emmerdé !” - d'après ma psy, c'était “une avance” - ça ressemble donc à ça, une avance ? - Mademoiselle, ai-je répondu, si on ne se fait pas confiance l'un à l'autre, ce n'est pas la peine.” L'année précédente elle frappait déjà du pied le sol juste entre mes jambes à plusieurs reprises, chaussée d'atroces baskets, pour me montrer un pas de danse. “C'est de la provocation ça”, répétait ma psy – ah bon ? - Mlle Schlott, « avec deux t », ne pouvait retenir même ses prétendues amies en classe, qu'elle avait invitées à mon cours : « Ben restez quoi merde...” Même chez les autres filles, elle échouait à se créer le moindre intérêt.

    Elle était d'une myopie affligeante. J'aimerais la revoir. Me la faire, certainement pas ; j'ai tellement vu, en long, en large et en travers, à quoi ressemble un sexe de femme et sa muqueuse qui ressort et rentre au rythme du marteau-piqueur - que cela ne m'intrigue plus, plus du tout. Je me

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    souviens de Giustina, juive italienne (je prononçais « Justine») à qui j'intimai formellement - è un comando ! - de poursuivre les cours de latin. Elle obtempéra. Tant d'autres dont j'ai oublié le nom, dont cette Roumaine qui comprit parfaitement les ordures transylvaniennes dont j'abreuvais la classe : « Monsieur, pourquoi est-ce que vous dites ça ? » - jetant autour d'elle des œillades épouvantées : mais nous étions seuls, elle et moi, à comprendre. Je me souviens de Jacqueline J., qui m'affirma de pas avoir le moindre lien avec cet abruti de philosophe volontariste dont les sartroïdes se gargarisent (« puissance de la volonté » - les chômeurs sont donc tous des fainéants ?...).

    Elle était ouvertement (si l'on peut dire) lesbienne, venait me voir après le cours avec son pote homo. Ils m'ont dit que j'étais attachant. Je faisais – à vrai dire - tout ce qu'il ne faut pas :  il ne faut pas – je cite - attendrir ses élèves ; parler de soi ; faire déborder ses névroses sur ses classes. Bref, ne plus être ni soi ni Maître. J'admire en vérité ces grands prédicateurs qui se targuent de réduire l'infinité du jeu des acteurs à un seul jeu : le mécanisme de soi-même - j'ai joué l'interdit : complicité, attendrissement. Ce qui rappelle irrésistiblement ce proviseur qui recruta des « grands frères » « issus de l'immigration » : ces braves garçons des cités obtenaient d'excellents résultats. Mais l'administration les admonesta : « Vous leur donnez l'impression - désastreuse ! - que vous êtes avec eux, contre nous. » Les grands frères et sœurs changèrent donc de registre... et n'obtinrent plus rien des élèves.

    Bravo. Oui, j'ai projeté mes complexes sur mes élèves. Simplement, je le leur disais. Et nous avons tous joué entre nous. Tandis que d'autres, la Dédarian par exemple, n'en disait rien. Cette méduse venimeuse, pourrie de prétention, puant sous les bras, n'avait-elle pas exposé ses propres photos de famille à la plage pour illustrer une conférence sur le génocide arménien ? le jour de son départ, elle n'a reçu qu'un stylo à dix euros (mes 600 à moi se révélèrent tout à fait insuffisants pour le trombone à coulisse que j'espérais ; je me suis rabattu sur un bon logiciel piraté, qui n'avait pas coûté un centime au vendeur - mais ça, je ne m'en suis rendu compte que plus tard).

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    Je me souviens de Fidelio, toujours puni pour « bavardages », alors que j'assourdissais la classe entière ; il m'avait dit, le Fidelio : « Un peu plus fort, au fond, on n'entend pas très bien”. Il trinquait pour les autres. Viril, cheveux courts, propre et souriant. Son père est venu me trouver COLLIGNON GRANDEURS ET AVANIES D'UN PROFESSEUR DÉCADENT 83

     

     

     

    pour assainir la situation. Je me souviens de l'Allemande, à qui je traduisis les mots “vice” et “vertu” : Laster, et Tugend ; à qui j'ai présenté, en pleine cour, des condoléances forcées pour la catastrophe ferroviaire survenue dans son pays. De Hsi-Shiott (prononcer : chie-chiotte) (rebaptisée

    « Charlotte ») à qui je fis chercher toute l'année des mots dans son dictionnaire bilingue. Elle s'appuya d'un sein sur mon épaule, mais pas d'histoires, surtout, pas d'histoires... Elle m'avait demandé si j'étais homosexuel (j'avais montré le signe chinois dans son dictionnaire, à propos de Rimbaud) et s'était déclarée soulagée de ma négative.

    Si seule, si exilée, si amoureuse - rougissements, paupières closes... Elle écrivit « Je vous aime » au tableau, juste avant que j'arrive, en chinois, puis s'est dérobée, honteuse, au sein de la classe. Peut-être que là-bas, en Chine, à Taï-Wan, les professeurs usent de certaines prérogatives, dont les disciples s'estiment honorées ?... Je lui ai demandé si elle flirtait ici, en France. Elle m'a répondu que les garçons n'étaient « vraiment pas intéressants ». Elle a donné des cours d'écriture auxquels participait la Proviseur. Je ne sus pour ma part jamais dire que wo leï, « je suis fatigué », et « je suis vieux », wo lao. Ses parents sont revenus la chercher, en costume européen 1960, raides, conventionnels, timides - pas d'incidents avec Taï-Peh...

     

    Filles indifférentes

    Bourrassa, dont la mère précise depuis quelle date elle “s'est mouillée” en m'appelant Docteur ; je ne sais plus où me mettre. La fille non plus. Lenoir et Larosée, pour des cours de latin dont ni elles ni moi n'avions envie, et que je devais chercher dans la cour de récré, l'air féroce. La fille Noël, belle, sage, père médecin, qui levait toujours le doigt – je lui ai fait quatre heures de cours, pas plus, en remplacement. Noter : Toute épistèmè relève d'une idéologie – traduction : tout ce qu'on apprend relève d'une propagande. J'ai vu se préciser puis s'imposer au cours de ma carrière les thèmes de propagande citoyenne ; ainsi du féminisme («quoi, encore !! » s'est exclamée toute la classe, filles en tête).

    Avec de plus en plus de textes contemporains. Tous relevaient de la même idéologie : les Blancs sont des salauds, les autres des victimes. Et autres salades de journalistes, à la botte du dernier bruit qui court. Je ne me suis en fait aperçu que très, très tard à quel point les livres reflétaient les propagandes gouvernementales. A présent, il n'y en a plus que pour l'antiracisme et le

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    métissage à marches forcées ; cessons de redouter les établissements parrainés par telle ou telle marque : la pédagogie idéologique, c'est déjà fait, et par l'État. Elles sont belles à présent, les salles des profs, gluantes de niaiseries lamentatoires et pédantesques...

     

    Blondes calmes méprisantes ou non

    Dineau, qui me faisait prononcer Catulle, pour se foutre de ma gueule égrillarde. Fusteilh, à qui j'ai dit “Quand on s'appelle Fusteilh, on n'a pas la moyenne en orthographe”. La mère vient m'engueuler. Sans oublier ce sombre crétin qui voulait à toute force innocenter sa fille, dans le cartable de qui j'avais pincé toutes mes dictées, recopiées à l'avance, avec leurs dates ; puis je me suis placé derrière elle pendant la dictée : elle repassait le stylo à bonne vitesse sur tous les mots, l'un après l'autre. Il a pourtant fallu que je dise à son père que je le croyais, sinon je me retrouvais avec un procès pour pédophilie au cul – tant qu'à faire. La fille Minime : son père bosse dans le pétrole au Bénin, voit sa progéniture une fois par trimestre pour l'engueuler : « Ce sont des imbéciles comme ça qui encombrent les bancs de l'Éducation Nationale ».

    D'autres parents, à qui je dois rappeler que malgré son embonpoint et ses 15 ans bien sonnés, leur fille a encore besoin de ses parents : « Monsieur nous travaillons au magasin jusqu'à neuf heures ; notre fille a la clé, se fait à manger et se débrouille.  - Avez-vous pensé qu'elle a toujours besoin d'être aimée ? » La fille éclate en sanglots. Se souvenir aussi de la Hurepoix, dont j'étais amoureux, dont j'aurais bien baisé la mère, laquelle me répétait : « Vous pensez vraiment, Monsieur C., que nous devrions avoir des rapports ? » - bien sûr, Mme Hurepoix...

     

    Filles turbulentes et conquises

    Ursule Kotonou calmée dès l'instant même où je l'ai appelée par son prénom, se dressant même pour imposer silence. C'est elle qui a réussi à ramener la classe du stade en empruntant le trajet le plus long. La bonne blague. Fille Convenade que je colle pour avoir dit “C'est dégueulasse” devant une sculpture balinaise de baiser ; incohérence totale de ma part. Je l'aurais bien sauvée, en fin de troisième, mais un rouquin fort en gueule, briguant le Conseil Général, me l'a envoyée en section vente, vers l'abîme. Quel gâchis.

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    Turbulentes et venimeuses

    Boisseau, peut-être apparentée à un machiniste du Grand Théâtre, me trouve un surnom : “Pepsi”. Je ressemble en effet à un grand blond vaseux nommé “Colas” - je ne vois pas en quoi. La fille Lerouge, dont la mère me refuse toute espèce de pédagogie pour des enfants de cet âge. Sa connasse de fille, qui bavarde, me réplique : « Vous n'avez qu'à ne pas écouter ce qu'on dit ! » À qui je souhaite de crever, et de s'en souvenir : « Quand vous mourrez, dans très, très longtemps, et longtemps après moi, j'espère, pensez à moi, parce que je vous l'aurai souhaité. » Elle est devenue comédienne. Arielle l'a vue répéter Antigone  d'Anouilh, sans parvenir à savoir son nom ; dès qu'elle l'apprend, Arielle cesse d'assister aux répétitions.

    Je serais bien venu foutre le bordel dans son théâtre à Lattaqieh, jusqu'à ce qu'elle quitte le plateau en chialant. Même trente ans après. Heustreu (prononcer Hoïchtroï, « Foin-Paille »), Walkyrie venimeuse : « Il faudrait savoir si c'est moi qui suis incapable, ou si c'est vous ». Elle m'a confirmé que l'on peut dire, éventuellement es wird gekommen, « on vient ». Il m'aurait suffi de si peu d'autorité. De calme. East-Side, nasillarde, à qui je répétais qu'il n'y aurait pas toujours des guerres. J'étais exaspéré. Mais elle avait raison.

     

    ...Le fils Abrusovic, haineux : “Vous n'êtes même pas capable de faire taire une bande de gamins” , du coup je l'ai puni, lui, pour lui montrer, justement... Abrusovic : « Je sais que vous me prenez pour un abbrouttitch”. Il tenait absolument à la bonne prononciation de son nom : Abrouzovitch... Devenu écolo.

     

    Filles silhouettes

    Beretti paraît-il, « Sheila », quoique je ne m'en souvienne que très vaguement. Devenue éditrice, presque baisée. Jaunet, qui a dit « Mais tu es folle» à une camarade à qui je foutais une baffe pour s'être tordue de dire devant mon pantalon rouge ; j'ai servi de cible, ainsi caricaturé, dans un jeu de massacre  forain, en fin d'année. Les ballons à crever sont arrivés avec un retard énorme, juste avant la séance. J'étais bourré comme un coing : « Ce sera ça, ton prof ? » La fille Guinche, ou Guiselli, qui refusait d'avoir du poil et se le coupait. Melles Monde et Toulemonde : “Tout le monde COLLIGNON GRANDEURS ET AVANIES D'UN PROFESSEUR DÉCADENT 86

     

     

     

     

    m'emmerde ! » Toulemonde se dresse, au comble de l'indignation : « M'sieur, j'ai rien fait !” …de l'eau entre les doigts. Je ne reconnais plus le paysage. « C'est toi qui as choisi » - ô Grands Perroquets de la Doxa, qui paraîtront si exotiques à nos archéologues. Mais de ce choix, voyez-vous, personne ne se rend compte. Avoir choisi sa destinée, jusqu'en ses pires humiliations ? fiction des aveugles. Comptoir en zinc. Nous sommes tous épouvantés. Nous nous figurons avoir voulu tout cela.

    J'ai exalté les cimetières : « Au moins, tout est en ordre. Plus d'astuces, plus de tortillements. Tout le monde à la même enseigne : une dalle, deux dates, bien carrées, au cordeau, rien qui dépasse. Comme ça on le sait, dès le début, comment ça se termine. Ah, le désir d'être aimé ! je t'en foutrais de l'amour, tous au trou ! bien net ! L'Alpha et l'Oméga ! Définitif ! » - un élève, au premier rang : si c'est pas malheureux d'entendre ça  - je n'aurais jamais dû - la mort en bruit de fond - memento mori . Les perroquets des vastes profondeurs - j'ai choisi ce que je suis ! - s'arrêtent juste à temps, juste au niveau de vérité qui les confirme - sociologie, politique, psychanalyse - Jungle vaselinée du relatif  - mes miettes sont tout ce qui me reste – Narciso ! Narciso ! Vaffanculo, Simplicione…

    Je me souviens de Tran-Anh, buvant mes commentaires sur Malraux. Prenant fébrilement des notes jusque pendant cet oral même du bac. Sa beauté, son intelligence, m'exaltaient. Drague dérisoire. Pipa et moi n'avons-nous pas été surpris, cet autre jour, au comble de l'excitation, à nous étreindre par les doigts en nous postillonnant à la gueule ? il m'a proposé de me présenter le grand Brenaud : « C'est un homosexuel » - EN-CORE ! je hurle – Pipa aussitôt se fait tout fluet - « le contact -  les gens - ne passeront pas par moi.

     

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    À cet oral du bac les mâles brutes répétaient d'un air bovin « Quelle musique ? » « Où çà la musique ? » à propos de Rimbaud et d'Apollinaire - en vérité, un nombre impressionnant de professeurs de lettres ne connaissent pas leur métier  - ils se contentent des instructions du ministère... On en a même trouvé un qui faisait une thèse sur Rousseau sans savoir que ce dernier COLLIGNON GRANDEURS ET AVANIES D'UN PROFESSEUR DÉCADENT 87

     

     

     

     

    était musicien – vous avez bien lu, toute une thèse, sans se douter que Jean-Jacques faisait de la musique. Zorba le Grec, La Liberté ou la Mort, Le Christ recrucifié : criminelle inculture d'une examinatrice s'exclamant qu' « apprendre Kazantzaki, ça ne ser[vait] à rien (!!!)» Connasse ! PROF ...! « servir », de « servus », « esclave ».

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    « Je me souviens »

    St-Blase : Durrieu, sœur aînée élevant ses cadets. Fille Vincent. (J'y repense soudain : une grosse blondasse, à propos de ma fille : « Ça fait moche, Lili Kohnlili » sur quoi une autre avait répliqué quand on s'appelle Le Rat, on ferme sa gueule. La Frei que je fais passer en classe professionnelle et qui m'en fut infiniment reconnaissante : une grande blonde de 16 ans dont les parents exploitaient le bois en Amazonie, ou au Congo. Ils n'avaient pu scolariser leur fille. L'administration n'avait rien trouvé de mieux que de l'expédier en sixième, dont elle avait en effet, sur le papier, le niveau. Elle est devenue la mascotte des filles de la classe. À 24 ans, j'avais fait des pieds et des mains pour l'orienter ailleurs. Où elle souffrirait moins, se sentirait moins admirée, reléguée.

    Je finis par trouver une école de couture et de broderie. Cette réorientation fut ma plus belle réussite, malgré mon jeune âge. Je me revois sur la photo de classe : quelle jeunesse, quelle inexpérience – l'année même où j'appris l'existence de cette terrible maladie qu'on appelle « progeria » ; j'en fus horrifié. En fin d'année, les sixièmes n'avaient pas songé à demander à la grande fille comment on faisait les bébés ; ils m'avaient demandé à moi (c' était une époque où l'on n'apprenait rien du tout aux petits) ce que signifiait « violer » ; “M'sieur, qu'est-ce que ça veut dire “violer ?” ils articulaient bien « violer », pas « voler » - certains parents s'étant rabaissés jusqu'à la « faute de frappe »du journal.

    J'eus une inspiration de génie : « Cela veut dire « retirer la culotte de quelqu'un sans lui demander la permission », déclenchant parmi mes petits sixièmes une hilarité enchantée. Et chacun de se réapproprier la phrase en rigolant - « Je vais te violer, toi ! » - filles ou garçons – je ne précisais pas qui violait qui, car les femmes, Messieurs les Perroquets, ne violent pas. Ils s'imaginèrent donc, plus tard (« il va nous le dire ! ») pouvoir me demander comment se faisaient COLLIGNON GRANDEURS ET AVANIES D'UN PROFESSEUR DÉCADENT 88

     

     

     

     

    les bébés (chose impossible à révéler à des enfants, si purs...). Ma classe fut affreusement déçue que je me dérobasse : à mon tour je déclarais que l'on « mariait » les chiens. A mon tour je montrais mes limites, reculais, m'enlisais dans la plus pitoyable connerie - « mais qu'est-ce que vous voulez dire ? » - et moi de répéter : « On les marie... On les marie... «  Même lui, se chuchotait-on, même lui ne veut pas nous le dire » - comment avais-je pu leur révéler, à leur niveau, ce qu'était un viol, et ce jour-là, manifester tant de lâcheté ? La meneuse d'enquête dit aux autres « Ne vous en faites pas, je vais demander à » - grande sœur, cousine - “je finirai bien par trouver” - moi je ne voulais pas d'ennuis.

    Des calomnies couraient sur mon compte. Willemain, délégué syndical, me l'avait rapporté. En ces temps-là il était sale de renseigner les enfants sur la façon de faire les enfants. La moindre de ces jeunes filles pourrait à présent me poursuivre pour harcèlement. Tout le monde la croirait. Les ténèbres s'épaississent. Pendant ce temps les maternelles, dans la cour, se traitent d'enculés ou de grosses pouffes, on les entend jusqu'au milieu de la rue.

     

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    Je me souviens du dénommé Néron («  Menton Pointu »…) - dont la mère vantait devant moi ce qu'était à son avis la mission du professeur : enseigner la vie à ses élèves. Non madame. Pas ma petite vie à moi. C'est la seule que je connaisse. Notre rôle, à nous, est de transmettre un héritage culturel, sacré. Pour ce qui est de remplir un chèque, réparer une machine à laver, spéculer en bourse, désolé : ce sont les parents qui s'en chargent, ou la vie elle-même. Que pourrais-je transmettre, sinon ma petite expérience de prof ? J'ai dû sembler très archaïque ; vieux schnoque. Mais le malentendu essentiel de toute la parentaille vient de là : la culture, ce n'est pas « enseigner la vie ».

    Et à supposer qu'il y ait une « culture » de l'informatique ou du parachutisme, toutes deux sont assurément respectables, on s'est trompé de mots : appelons cela autrement, je vous prie, que «culture »... J'apprends à mes enfants Édipe, Molière et Rimbaud. Non pas à distinguer Volvo et Skoda. Ma « sécurité de l'emploi » ? faites donc des cours pendant, tenez, trois semaines ; ensuite, COLLIGNON GRANDEURS ET AVANIES D'UN PROFESSEUR DÉCADENT 89

     

     

     

     

    vous supplierez tous tant que vous êtes, à cor et à cri, de repartir au chômage...

     

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    Bûcheuses un peu con

    Buseville : Dudon et Condu surnommées par moi « Ducon et Ducon ». Condu n'a jamais eu le tableau d'honneur : 5 en latin toute l'année. La fille Cadou, même matière, 1 sur 20 les trois trimestres, quels que soient ses efforts. Ducon et Ducon, donc, viennent me demander si La ville aux portes d'argent, qu'elles composent à deux, est un bon titre, je réponds “Oui, pour la Collection Rouge et Or” -  Monsieur vous êtes vache ». La blonde Dudon : “Vous aimeriez bien savoir d'où vient ce nom...” - j'ai songé bien plus tard que le Don n'était autre que le grand fleuve d'Ukraine, il suffisait d'ouvrir l'Atlas. Lorsque sa mère est morte, tous les collègues et moi-même voulions participer aux funérailles.

    Il y avait à Buseville un directeur adjoint de grande qualité, dont j'ai tout oublié, tant il était souple et bon. Je ne me souviens que de ce connard de principal, Sellong, masquant de la main ses appréciations, « que je n'ai pas besoin de connaître », avant de me faire signer ma feuille de notation. Celle d'un petit maître auxiliaire tout jeune et tout couillon. Il m'engueulait, le Sellong, de ne m'être pas présenté après cinq semaines de grève de la SNCF – trente-cinq jours d'absence tout de même : « On n'entre pas dans mon établissement comme dans un moulin ». Qui refuse que j'aille, j'y reviens, aux obsèques de Mme Dudon : « Je ne vais pas, ricane-t-il, mettre un panneau sur mon établissement Fermé pour cause d'enterrement ». Péteux, petite moustache, mais surtout, pleutre, pleutre, comme tout chef d'établissement qui se respecte.

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    Je me trouve dans la salle aux ordinateurs. Derrière moi, huit femmes, mon métier étant féminisé à mort. Ce grand fendard de Carfini entre dans mon dos. Il sexe-clame niaisement : « Ouh là là ! huit femmes !  - Qu'est-ce que tu veux que ça me foute ? » J'entends alors un filet de voix, issu des lèvres pincées d'une pimbêche : “Si c'est pas malheureux d'entendre ça...” La pimbêche filait paraît-il le parfait amour avec le nommé Carfini. Je me demande encore comment une si belle COLLIGNON GRANDEURS ET AVANIES D'UN PROFESSEUR DÉCADENT 90

     

     

     

     

    créature si chafouine, si vicieuse, pouvait éprouver le besoin de faire l'amour avec un homme, alors qu'il était si clairement lisible sur son visage que trois branlettes par jour devaient largement lui suffire. Je m'avisai trop tard, plusieurs semaines après, que j'aurais pu m'exclamer : « Et alors ! Huit femmes et huit chaises, ça fait seize meubles ! » - ou mieux encore : “Et alors ? Faut qu'je bande ?”

     

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    Chemin faisant

    Mentionner Rinaud, qui tenait absolument à faire prononcer son prénom à l'anglo-saxonne, Braïce, au lieu de Brice (c'était bien avant Dujardin). Un collègue au long nez en couteau lui fit observer que nous n'étions pas en Angleterre, et maintint sa prononciation à la française. Je m'appliquai quelque temps à écorcher son patronyme à l'anglaise : « Raïnowd ». Je fus le seul à trouver ça drôle. ... Bossuet (« Monseigneur », évidemment), dont j'ai défoncé le pied d'un coup de talon pour m'avoir décerné je ne sais plus quel adjectif (de nos jours, trois jours de garde à vue sans pisser) ; son père est venu. Je lui demande sur le ton le plus patelin : « Dites-moi, M. Bossuet, quelle est donc la profession de votre femme ?

    - Secrétaire de direction, pourquoi donc ? - Parce que dans mes cours j'entends sans cesse votre fils brailler « Putain de ta mère ! » - alors je me pose des questions... » Je crois que le fils Bossuet n'a pas pu s'assoir pendant quinze jours pleins. Le même, évoquant à tout propos la sodomie en cours de musique, ce qui malgré Saint-Saëns n'a qu'un rapport lointain avec la matière, se vit infliger une rédaction sur ce même thème, afin de bien évacuer, une bonne fois, son obsession. Nous nous sommes passé entre nous en salle des profs un torchon rédigé dans un français infâme truffé de fautes d'orthographe (l'émotion sans doute), d'où il ressortait qu'une telle pratique, après tout, pouvait apporter un certain renouvellement dans la vie conjugale, et contribuer à son équilibre... (remarques horrifiées sur le petit mignon du pacha de Kazantzaki : Et il était d'accord ? - incapacité totale de Bernardo, 15 ans, bon en maths, à comprendre qu'il s'agissait d'une autre civilisation, d'une autre époque...)

     

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    Garçons turbulents indifférents, à peu près beaux

    St-Léard (2012/ 2013) : Lemanche, Diterranée, qui répétait son nom dans l'extase, Rédora, qui réussit à faire lever une punition, sa mère m'agitant bijoux et nichons sous le nez. Garçons turbulents, et que je n'aime pas : Bouillon des Champs, Noir, à qui j'ai fait ranger « ce torchon » (le drapeau américain) (c'était la guerre du Vietnam) (on m'en a beaucoup admiré). L'épicier arabe m'appelait « chef ». Hiersaint, grand rouquin connard, passe avec 7 de moyenne grâce au prof de gym qui lui trouve « de grandes qualités de sociabilité » – justement, s'il a tant de qualités, il pouvait aussi bien redoubler sa sixième. Le collègue roule des yeux, je baisse les miens – à quoi tient un passage de classe.

    Ce même prof de gym, si libéral, si copain-copain, capable d'envoyer un élève en conseil de discipline pour avoir mal parlé d'un prof, sans savoir que lui-même écoutait par derrière. Il me donnait des leçons.

     

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    Rollet en 5e appréciait les cours de Moiln'œud, à s'en faire péter l'œsophage de rire. Très difficile à contrôler, mais l'adorant. L'année suivante, la grande mollasse Jomo l'a engueulé : « Madame, c'est pas un cours que vous nous faites. L'année dernière, avec Moiln'œud, ça c'était des cours !... » Quel beau métier. La sécurité de l'emploi. Moiln'œud bien sûr s'est indigné, mais savait bien que ses cours à lui étaient des chefs-d'œuvres de pitrerie. Convenant moins bien sans doute à certains élèves plus effacés. La mère Jomo ? elle avait parfois du mal à comprendre Molière. Indignation bruyante de Korner, brillante collègue – virant sur-le-champ aux amabilités les plus mielleuse dès la survenue de l'autre...

    Garçons que je n'aime pas :

    Varignac : Mon élève s'est tué en septembre, à Mobylette. J'en ai fait tout un roman. Peut-être qu'il m'adorait. Marèk, mon mort. Dont je fis un champion de horse-board sur mon île d'Omma, cent mille exemplaires en Livre de Poche haha. Véritable graine de facho, qui répétait après son père que les chômeurs étaient des fainéants. Tournant la clef de ma portière, j'ai pensé un COLLIGNON GRANDEURS ET AVANIES D'UN PROFESSEUR DÉCADENT 92

     

     

     

     

    jour très distinctement : Il vaudrait mieux qu'il crève avant l'âge adulte. Je fus exaucé dès septembre : il est mort pour de bon. J'en ai fait Marèk, tiré par son pur-sang sur sa planche à roulettes. Non, tu ne sortiras pas à dix heures du soir. Mon gaillard fait le mur et file à toute allure sur un petit chemin de campagne ; la chaîne tendue à l'entrée du Domaine d'Arzac, le garçon projeté puis retombé de tout son poids sur la chaîne ; perforation de la rate, décès le lendemain matin par lent vidage - toutes mes collègues au comble de l'excitation sexuelle. « Et alors? Et alors ? » D'autres détails suivaient.

    Beulac : Pogoudeau : “Oh Pogoudeaueaueau, Tu es le plus beau des barjots”. Pétoile :”Pétoile des neieieiges...” Ramirez : “Répétez après moi Ramirez : “cer-veau” - allez : “cer-veau” - plus tard avec mes impôts je serai obligé de payer ton chômage. Chevalet, qui voulait devenir pilote de chasse (4 en maths, 4 en techno) et qui ne m'a pas rendu le Iôn d'Euripide - à Chevalet ! un Euripide ! - Pigoudeau, Ramirez, Chevalet, toute la classe a poussé la même exclamation de dépit, lorsque nous nous sommes retrouvés en début de seconde année... Je devais « suivre mes élèves » ! «  Moi non plus je ne suis pas très content ; mais, nous ferons tous de notre mieux pour nous supporter cette année encore. »

     

    Garçons ternes : à Buseville, Surlarive, qui puait de tous ses cheveux ras. Mon appréciation : “Sait lire et écrire” - sous-entendu : “c'est tout” - trente ans plus tard, un compliment...

     

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    Bureau, brave garçon épileptique. Le principal prétend qu'il m'a prévenu, alors qu'il ne m'a fait que de pudibondes allusions. Retrouvé sous sa table dans un autre cours  - «  un Bureau sous une table ! Hahahah ! » La fille Taché qui renverse sa chaise en criant  devenez l'amant de ma mère et qu'on n'en parle plus ! - je suis inconscient du vice intense exprimé par mes yeux. – Miss September : “On fait toutes ça”, à propos de la branlette, présentée par Taché en grand mystère, à l'aide de ses doigts entrecroisés. La Bernardos, à qui Moil'nœud avait lancé “Vous riez à vagin déployé” (voir plus haut) et qui lance à Taché : “Tachié... sur les murs ? Tégozmou, dont je n'ai COLLIGNON GRANDEURS ET AVANIES D'UN PROFESSEUR DÉCADENT 93

     

     

     

     

    jamais pu déterminer l'origine (« mon toit » en grec?), Baba, à qui je reprends le magazine “Aménophis” consacré au trou (« pas d'histoires ! pas d'histoires ! »), Vangong (gitane ? Vietnamienne ?). Duchien, en latin, que je détestais, (« à peine entré en classe, il hurle, il hurle ! » hurlait Moil'nœud) – le petit Duchien pressentant puissamment, d'instinct, l'amour dépravé dont il était l'objet) ; il adorait cependant Suus cuique crepitus bene olet - « Pour chacun, son pet sent bon ». Lorgel et sa dissertation “Voltaire a-t-il enculé Rousseau ?” « Mais... tu as le droit de donner des sujets comme ça ? » Devenu brillant acteur, brillant danseur bien découplé, brillant chorégraphe et metteur en scène.

    Quant à Taubibec, surnommée toute l'année Bitaubec par l'inévitable Moil'nœud, elle haussait les épaules. Youpi au lycée d'Ankara, transformée en cri de cow-boy, “Yuppie ! » avec lancer de lasso : Kazoglou, fils de détective, et ses menottes en classe dans leur étui de présentation. Je me souviens (à mon tour!) de ces deux infectes connasses qui, pour l'option « informatique », abandonnèrent le grec –avec 18 de moyenne (« vous comprenez, les mauvaises notes, ça décourage... » - connards...) De cette autre abrutie qui abandonnait le latin pour faire de l'italien... parce que ça au moins c'est parlé – tu vas avoir des surprises, pauvre pouffe : en Italie le latin est obligatoire - « nos ancêtres les Latins... ») ... Manou, qui désirait ouvrir un restaurant, et qui s'imaginait, en toute bonne foi et comme 95 % des cons, qu'il suffisait de le vouloir, n'est-ce pas, pour se forger un bon moral et réussir...

    Revue à un carnaval d'établissement, voulait m'embrasser, pensait que je ne le désirais pas ; rattrapée de justesse. Alçeu, d'Ankara, sosie du Tadeusz de Mort à Venise, qui aurait bien cassé la gueule au vieux Moil'nœud si ce dernier s'était avisé de l'embrasser, le frôlant déjà de son sale sourire : Moil'nœud voyait perler la sueur sur le duvet de sa lèvre supérieure : désir ou répugnance ? Moil'nœud s'était doucement éloigné.

    Les sœurs Noiraud, neuf mois d'intervalle - “Bien sûr, Monsieur, avec la même femme” - j'aurais dû dire « la même mère », bien sûr, « la même mère » ! « Le drame est que la cadette voulait toujours faire la même chose que son aînée ; pas assez de différence d'âge » - quand toute la classe chahutait, elles restaient à peu près les seules à suivre. La fille Nara, vicieuse, sournoise, branlette et clito jusque sur la gueule. Son père, un collègue : “Vous en avez de la veine, qu'un prof COLLIGNON GRANDEURS ET AVANIES D'UN PROFESSEUR DÉCADENT 94

     

     

     

     

    vous fasse chanter Moustaki en classe” - qui devait bien me démolir dans le dos, comme les autres. Je me souviens aussi de cette chafouine, mère fanée d'un sombre con, qui me susurrait avec empressement : « Mais il veut vous garder, vous dis-je » (le Proviseur) « veut vous garder » Je lui ai répondu que non ; j'avais eu en main sa lettres au Concul. Ne voulait-elle pas me faire gober, cette truffe morte (je l'ai cru !) que tous les parents souhaitaient inscrire leur enfant dans ma classe :  « Il faut pourtant bien que je fournisse les autres professeurs ! » déclarait-il - traduction : surtout pas avec M. C.!  Je le lui dis, elle tourne les talons.

    Jamais connu de milieu, d'adultes aussi puérils qu'au Lycée d'A., sauf à l'armée : angoisse, hiérarchie, comportements de gamins. « Chef ! Chef ! J'peux leur montrer ? » MONUMENTS TRAMWAYS LANGUE IMPÉRIALE DU DIVAN– vidée d'habitants par pitié, qu'on la vide.

     

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    Blaser vient m'assurer qu'elle n'abandonnera jamais le latin : « Vous savez, je vous resterai fidèle, je ne suis pas de celles qui lâchent,». C'est la première à lâcher. Dont le nom s'apparente à “blasen”, « pomper », au sens érotique du terme – d'où son urnom de «Schwanzlutscher“ ou „Ibné“. Voici Nagy, fille de Hongrois réfugiés (prononcer « Notch »). D'après la fille Bataillon, très agressive. Peut-être touchée par son père, et traumatisée paraît-il par mes propos. Mentionner aussi une très brune et authentique Basque, répondant au superbe patronyme de

    Aurreralagunak!, (« Enavantlesamis »?) - jamais je n'aurais abordé une telle splendeur arrogante.

    À présent et pour une année elle se trouve là, à ma merci. Je lui demande un jour le plus négligemment possible : « Comment vont les amours ? » Une petite moue : « Pas mal - monsieur, vous n'avez pas le droit de vous renseigner sur des choses comme ça. » Peut-être, mais je t'ai eue, Panthère. Silencieuse, appliquée, farouche, 10 ½ de moyenne. Isolée : trop flamboyante. Condemont (« Démon Con ») et Buxerolles (Busserolles, comme Brusselles), qui sentaient chacune la branlette à deux, à pleins poumons. En même temps, si belles, si mûres, si sûres d'elles. C'est cela qui me désarçonne chez les filles : cet aplomb, cette solidité, cette certitude.

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    d'obtenir n'importe qui. Depons (à qui je disais, concernant le classique et le rock : « Vous avez tellement bouffé de poivre, que vous ne sentez plus le goût des cerises. - C'est peut-être vrai, monsieur ».) Leroux et ses petits yeux de furet albinos (« Oh monsieur, vous nous faites peur ! ») Strengweiser, se faisant appeler « Tringue-Ouaizé », ce qui me semblait du dernier ridicule. Platte, qui se prenait pour un archéologue pour avoir découvert une omoplate en poussant la brouette sur un chantier mais n'en foutait pas une ; Benchinol fille de rabbin : « Chez moi monsieur il y a un livre comme ça » - eh oui, une Torah.

    Thommeville : mes lunettes cassées (bousculade) et remplacées ; tous les parents se sont cotisés. il ferait beau voir à à présent qu'ils me les remboursassent ! Déva, découvrant que j'étais "maître auxiliaire" : "Je vous disais bien que ce n'était pas un vrai". Trois semaines de suite de colle. Beauvoisis (2020/2021), noms merveilleux du Penthièvre : « Soupedail », « Mémé », le père Martino qui ne s'attendait pas à ce que je dise : « Le latin ça ne sert à rien » - et le fils, triomphant : “Tu vois ! Tu vois bien !” - du coup il l'abandonne. Blaireau lui aussi. Adultes connards qui me barrent la rue sur toute la largeur, pour me dire : "Eh oui ! A l'armée comme à l'armée ! » Pourquoi me suis-je laissé ainsi humilier ?

    ... Kramanlis et son aigreur surjouée. Mlle Lacôte : sa mère est ravie que je demande de ses nouvelles. Une classe de latin bien garnie qui se retrouve à deux l'année suivante, parce que je passais mon temps à faire de la discipline et à réciter, latiniste après latiniste, tel ou tel exemple correspondant à telle faute commise. Varignac, 2021 : je tombe amoureux de toute une classe de filles de troisième. Dès janvier, cela me quitte, d'un coup : « Je ne sais pas ce que j'ai, je ne vous sens plus. Dictée ». Au dernier cours de fin d'année, Mme Bergeron attirait tous les garçons plus une fille, l'homo ; et moi toutes les filles, plus un garçon, l'homo. La jalousie m'a tourné vers la Bergeron, de dos sur une autre table ; mais la greffe n'a pas pris.

    Le jeune Chétif à la fin du cours vient chercher une relation personnelle privilégiée -renvoyé à ses études ; la fille Angélès (« Angélès ! Vous me faites chier !”) - “Tiens, vous vous êtes masturbé ?” Je revenais les chaussures trempées par un pique-nique express. Elle m'a vexé. J'en disais bien d'autres. Milonga à qui j'ai fait croire sur sa bicyclette que si je notais selon la tête, “vous” auriez sans cesse de bonnes notes ; elle l'a pris pour elle, je pensais « vous toutes ». Elle est COLLIGNON GRANDEURS ET AVANIES D'UN PROFESSEUR DÉCADENT 96

     

     

     

     

    repartie avec un sourire indulgent, méprisant, mais surtout, indulgent. Car je sais prendre ou garder l'air con, à volonté. Ce qui n'exclut pas loin de là mes airs cons involontaires. J'avais aussi pour élève la fille Tchîta Bromo. Très laide, une voix de chimpanzé en plastique ; je l'appelais «Tchîta », elle tenait à « Bromo». Tous les membres de sa peuplade, toute sa famille, étaient surnommés « Tchîta » : quelque chose comme «Bouffe-Merde », ou dans le genre. Plus tard j'ai repensé aux cagots, très laids, qui possédaient dans chaque église une porte séparée, en dépit du baptême ; on les surnommait tous « chrestia », pour bien rappeler que c'étaient des hommes comme les autres, qu'il fallait les respecter.

    On ne le faisait guère. « Tchîta Bromo » remonte aux temps les plus obscurs, avant même l'arrivée des Celtes en Bretagne. Je me souviens de la fille Koah, « Force » en hébreu, qui rêvait de faire du foot ; des sœurs Guéatka, dont l'aînée avait une si charmeuse ouverture de bouche, avec sa petite demi-langue en plancher, des bandeaux noirs d'Esquimaude ; la cadette, frisée, plus vive, moins envoûtante. Je leur fait croire que ”guéatka” veut dire “la cuisse”. Les sœurs Télèphe, qui partent dans un fou rire à l'énoncé d'un groupe de rock : "Étrons Fous" ; les triplés Dinet dont le père s'est aveuglé en nettoyant son arme de service : « Le conseil des parents d'élèves émêêêt le vvœûû »... (voix poussive et geignarde, et poussive) ; plus tard, j'ai retrouvé l'un des trois frères sans me souvenir duquel.

    Il sortait avec la fille Sanglier, surnommée « Bassecour » en raison de ses saccades de tête à la moindre contrariété («rire, ou ne pas rire ? ») La fille Bougry,toujours appelée par son nom de famille – sans que jamais, hélas ! je n'aie songé à la surnommer « Sarah » - pourtant, je la voyais bien confier aux autres à mi-voix je ne sais quoi - sinon je l'aurais bassinée à longueur d'année ; en revanche, Bistrouille eut droit à son « ...qui rit quand elle dérouille », Dieu merci pendant un brouhaha. Bien fait pour sa gueule, elle n'avait qu'à ne pas couiner que je jouais très mal de l'accordéon : du sous-serbe – toute la classe qui se met à scander hoï ! hoï ! hoï ! 

    Même chose pour la délicieuse Letroude, appelée une seule fois « Letrouduc » - elle et moi, Dieu merci, seuls à l'entendre. Elle émet une grimace très jaune. Lavrille, brave blond un peu lent, fils de viticulteur ; les deux Blanque, petit brun et grand blond, pas de la même famille – que j'ai épatés en leur apprenant mon fameux dialecte « morave », tenu de ma mère, que nous étions 70 COLLIGNON GRANDEURS ET AVANIES D'UN PROFESSEUR DÉCADENT 97

     

     

     

     

    mille à parler tout au plus  - simple code, consonne suivante, voyelle suivante, à partir du français ; ils étaient écœurés. La fille Cheveuxblonds devenue prof d'esthonien ; Lorda, un cul à la place de la tête – elle enfanta trois ans plus tard à peine. Elle est heureuse et se fait bourrer le plastoc trois fois par semaine. La Dumont s'extasiait avec dégoutation devant mon pouce, carrément, en entier, introduit dans mon nez pour y chercher les crottes. Qui rapportait mes conneries : « Je n'ai jamais vu de langue qui soit plus disgracieuse et plus lourde que le latin » « Un temps », disait-elle. « Sauf l'anglais »...

    Cette fille considérait sans doute l'anglais comme une langue particulièrement harmonieuse. Jaunay-Clan (c'est ce nom poitevin qui me vient à l'esprit), écœuré jusqu'à la vomissure que j'extraie des bouts de papier-cul de ma raie pour les expédier d'une chiquenaude dans la corbeille, ce qui est pourtant n'est-ce pas on ne peut plus hygiénique. Zacaro, qui se scandalisait que j'assommasse un livre à la radio : « Vous alors, quand vous n'aimez pas un livre, vous le démolissez » - tu parles ! les conneries d'un Chochian ! je n'allais tout de même pas me gêner !!!

    Tallien s'excusant de m'avoir jeté une pile de livres à la gueule (je l'avais poussé à bout) ; abandonné par son père à quatre ans, un panneau autour du cou. Indigné que j'eusse appris cela « par l'administration » (j'ai menti) ; se foutant de moi parce que je le doublais très largement, moi en voiture (ma première), lui à Mobylette (sa première). L'apogée de ma carrière, là où je me suis trouvé le plus maître de mes moyens, ce fut Varignac ; en Turquie, je me suis heurté à l'administration et à la pudibonderie. Je pense que de nos jours, je serais poursuivi pour harcèlement.

     

    Ankarada (2025/2029)

    Schäf, connard latiniste, que je veux refiler à Dehaisne, qui refuse, car il n'a que 5 de moyenne. J'avais dit « Il va me pourrir la classe ! » Il me l'a pourrie. Jozs, que j'ai revue à Paris, se désolait que je prononçasse à l'allemande Yosh au lieu de de Yôj... « Je me disais : « Un Français, il va savoir prononcer ! » N'avait jamais voulu me dire “merde “ en hongrois : “Mais, Monsieur, cela ne se dit pas.” Elle m'a rappelé qu'un jour j'avais projeté depuis l'estrade le bureau entier sur le premier rang. Elle s'est rendu compte du point d'exaspération où j'étais : « Le bureau monsieur, vous COLLIGNON GRANDEURS ET AVANIES D'UN PROFESSEUR DÉCADENT 98

     

     

     

     

    vous rendez compte ? le bureau ! » Düshman, dont la mère, aussi sotte que lui, répétait en trottinant dans les couloirs : « Ah , efendim Zogandin! 125cm), j'en entends de belles sur mon fils ! On m'en met par devant on m'en met par derrière... » - et Zogandin, bonasse : « Eh bien Düshman Hanım, vous en avez de la chance... » Mouhasseum, qui m'offrit (ce fut un grand embarras pour lui, car il m'estimait « musicalement très cultivé ») des sonates de Mozart en hommage à et inspirées par Bach ; dès 19 ans, il publiait, quoique turc, dans la Wiener Zeitung. Merci tonton. Il adorait mon allemand de cuisine ( ich futiere mich davon), adorant ce dernier mot, qu'il soulignait vigoureusement du tranchant de la main : rejet hautain de tout ce dont on se « foutait » (Umurumda değil en turc, car il aimait m'instruire).

    ... « Vous êtes trop bons pour tous ces cons-là, susurrait Chiché özledim, ils ne vous méritent pas, laissez-les donc, repartez chez vous, en France, vers des gens qui puissent vous comprendre, c'est là que vous méritez d' être. » Voyez le fiel. Bitchak, si passionné par les Pensées de Pascal, une heure passée sur cinq lignes de texte. Mais aussi Calvary, proviseur indigne, qui me montre de ses photos en short dans les Alpes. Pour me dire que les Turcs attendent de moi des habits plus corrects, et une braguette fermée (Afghani özledim très embarrassée pour me le murmurer - me confiant plus tard que plus à l'est, certaines se faisaient assassiner sur le chemin de la piscine ; ses parents m'ont offert un flacon doré très précieux, que j'ai toujours trouvé très moche - Calvary, le gros fumier : "Quand un élève vient se plaindre, c'est l'élève que je crois, pas le prof." "M. C., cette fois-ci je vous ai convoqué pour vous engueuler".

    Surnommé le Gros Ppôhorc par Monchemin – je lui faisais répéter « dis encore « Gros Porc » » et il s'exécutait parmi les éclats de rire – tué dans le Taurus par une coulée de caillasses en pleine tête. Sans oublier le Con (seiller) Cul (turel) qui me méprisait, et réciproquement. Il m'a tapé dans la main après m'avoir exclus, mais gêné, tout de même. J'aurais dû la lui foutre en pleine gueule, nous étions seuls. Une mère bien venimeuse s'imaginait en plein conseil de classe qu'il suffisait de dire à chaque élève, un par un, ce que l'on attendait de lui. Nous lui avons dit tout de même que c'était d'une naïveté confondantes. Mais comme la prof incriminée répondait sur un ton doux, humble, quasiment inaudible, nul doute que cette brave merde famille ne s'en fût retournée chez elle plus convaincue encore si possible de l'excellence de sa prestation...

    BERNARD COLLIGNON

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    Yossoun attendait anxieusement dans le hall son verdict de redoublement : 18 en maths, nul partout ailleurs : « Surtout, ne lui dites pas qu'il est admis ! » Il croise mon regard, comprend à mon œil niais qu'on a primé sa flemme et sa morgue, et dans son exultation me fout son pied au cul - comme disait mon dentiste (bis) : « ...une journée de dix heures !... » Connard.

     

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    Evarkada se retourne pour bavarder, je lui dis « La maison est priée de fermer sa porte de derrière » ( Ev », « arkada»), « maison », « derrière »). Son voisin s'appelle Moton, fils de collègue, blond et docile, qui comprend toutes mes blagues. Bwala, Sénégalais, renverse sa table de rage parce que je l'accuse de bavarder. Lefétout, prétendument disparue en avion (les copines sont mythomanes) ; Damassy, le Syrien, déjà grande folle (« Dame Assise » : les filles en sont folles) se demande pourquoi l'on n'étudiait que la “littérature française”. Galli, puant de crasse et de parfum bon marché, se prétendant gallois mais plutôt turco-vietnamien (tout arrive) ; Kanarlouche, qui déchiffrait Tacite mieux que moi ; et sa sœur, qui me l'a dessiné en palmipède ; Chichirel (« main enflée »), dont la sœur se voit retirée du lycée, parce qu' “une jeune fille ne doit pas entendre certaines choses” - le père attaché militaire à l'OTAN - dont le fils déplorait le retour du printemps parce que “ça allait recommencer à bourgeonner, à se reproduire, à suinter”...

    Mard, « l'homme », frère et sœur, à qui je n'ai jamais fait part de mes réflexions étymologiques : la terre, c'est « Erde » en allemand ; l'homme, humus, à une lettre près la merde. Laboratchian, Arménien colossal et placide se réjouissant de tous les attentats. J'apprends après mon départ que le brave gros polis de garde à l'ambassade azérie s'est fait buter à la grenade.

     

    Retour en France

    Yogas, magnifique Lituanienne, dont la mère n'admet pas qu'elle ait pu refuser une pipe au patron pour monter en grade ; Dordubas tondue à ras par son père, au point que de tout le premier trimestre je me garde bien de lui adresser le moindre mot au féminin, crainte de vexer cet étrange garçon roux ; grand-tante ukrainienne, mais repartie de justesse avant Tchernobyl. Seule à BERNARD COLLIGNON

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    me poster une carte de prompt rétablissement après ma collision sur route ; placé près de son père au conseil de classe, je lis par-dessus son épaule : « Demander si on gardera le même prof de français l'année suivante ». Il n'ose pas poser sa question. Je me souviens de Rodez, qui pouffe comme une malade à m'entendre répondre aux femmes de ménage : « Qu'est-ce qu'a bien pu devenir mon balai ? » - moi, entre les dents : « T'as qu'à ouvrir les cuisses, il tombera tout seul ». Zanyeh, optimiste forcené, toujours fendu d'un large sourire, devient peintre en bâtiment, jovial sur son échafaudage.

     

    Défilé, suite

    Troupeau, qui empêche carrément une forte Portugaise de parler, en gueulant comme un putois ; reste désormais chez ses parents en "lisant" Ici-Paris... La fille Troupeaux, celle-ci avec un « x », devenue militante de droite dès sa majorité. Moustaca, répétant doucement « Non non...” en hochant la tête ; l'un des seuls dont j'aie une photo, près du grand écrivain Jean Raspail. Le fils Laroute (“Suis ta route, Kohnlili...”) - me prête à enregistrer un disque de Tonton David ; les Delaube, garçon et fille, écrivant déjà dans une feuille de chou locale ; les Grenouil frère et sœur, le frère : “Qu'est-ce que c'est qu'une truie ? - Demande à ta mère”, la classe se fout de sa gueule. De lui également : « Moi pédé ? plutôt me faire enculer ! » Son père, flic fringant, vient à ma répétition, avec sa moto et ses lunettes réfléchissantes ; se triture en parlant sa chaîne de poitrail.

    Leïkoun mime gentiment ma démarche dans la cour : « Ne vous étonnez pas qu'on se foute de vous, avec votre bouche ouverte », et me prédit qu'un jour je regretterais d'avoir si mal parlé de ma mère – j'attends toujours. Je connais sa sœur. Avec les filles Clarinet et Banquier, je les appelle « les trois Grasses ». Elles comprennent “Grâces”, je me garde bien de les détromper. Toutes fières de m'annoncer leurs trois noms : Euphrosyne, Charis et Thalie. Revenons au frère Leïkoun : appréciation du premier trimestre, « pose son sac sur la table, et attend... » ; deuxième : « Se prépare activement un bel avenir de chômeur ». Au troisième, enfin la moyenne : son père l'avait tellement raclé qu'il n'avait pu s'assoir ni sortir de toute une semaine...

    Beulac : La fille Bouquet me flanque sa main au cul et se prend une baffe, puis passe le reste du cours affalée sur sa table la tête enfouie sous son manteau, de honte. Gabelou, qui se reçoit BERNARD COLLIGNON

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    une belle claque par-dessous, pour avoir bruyamment déplacé sa chaise ; m'en fous, son père est boiteux, affublé de cannes anglaises. Je n'ai jamais osé demander à cet homme ce qui lui était arrivé. Le Comorien à qui j'ai foutu, à lui aussi, une tarte, et dont le père, chez lui, refuse de me voir : ce dernier, à travers le verre dépoli, gagne précipitamment l'étage supérieur. Impossible de serrer la main du fils. Theillel m'a fortement déconseillé d'aller m'excuser à domicile : « Vous allez au devant d'une humiliation, Monsieur C. » Je retrouve mon Dzaoudzien

    l'année d'après : "Ça ne vous fait rien de me ravoir ?

    - Non Monsieur au moins avec vous c'est plus humain. - Main sur la gueule ?" Beulac : la fille Civil : "Va te faire enculer", dressée d'un seul coup, en plein milieu de la classe, sans aucun rapport avec la choucroute ; la fille Vorcher que je punis : "Tu peux courir, mec" – Theillel, toujours lui, se précipite pour l'exclure... Dissibourg, que j'ai vue en sanglots ; je la convoque en compagnie de sa meilleure amie : « Si vous êtes enceinte, vous pouvez m'en parler ». Stupeur épouvantée des deux filles : « ...Elle s'est disputée avec ses parents ! » C'était ma fille à moi qui l'était, enceinte, à 15 ans. Cette meilleure amie, Chongau, s'était branlée jusqu'au bout sous ses yeux. Dissibourg, admirative : “Qu'est-ce que c'était saccadé, à la fin !” Chongau revient me vanter son prof de première, « encore plus intéressant que vous - oh pardon », rien de plus normal chère amie.

    Je la vois un soir aux infos régionale, porte-parole de Dieu sait quel mouvement revendicatif ; naguère encore, Dissibourg lui confiait « Je n'ai presque plus d'oreille » (geste vers le bas – frotti-frotta ! Grénolas : je suis amoureux dingue d'Hélène, retrouvée trois ans plus tard engouinée avec une Afghane ; cette dernière m'apostrophe, sans me connaître, sur ces juifs qui veulent retrouver leur pays d'origine : « Et où se trouvaient-ils, les Juifs, avant d'occuper Israël ? ...en Irak… qu'ils y retournent ! » Mon Dieu, que les musulmans peuvent être chiants. La sœur d'Hélène possède, à s'y méprendre, la voix d'Emmanuelle Béart. Leur père ne jure que par Arte, que la famille écoute religieusement tous les soirs.

    Hélène boîte bas. Je lui offre Les fleurs du mal, dédicacées :

    « Même quand elle marche, on dirait qu'elle danse ».

    Je n'ai jamais vu sur un visage féminin se trahir une telle émotion. Je n'ai pu la convaincre de dénoncer une drogue-party ; je devine ensuite qu'elle y a participé. Nicole Dupuits, BERNARD COLLIGNON

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    sépharade, que j'avais oubliée pour son épreuve de latin. Elle fonce à ma rencontre sous la pluie battante, à peine sorti de ma voiture. Pour la dédommage, je lui offre plus tard un gros album L'art chinois, tiré des collections paternelles - « si vous me dites, en plus, que ça vient de votre père... » - je l'ai persuadée que ça lui était bel et bien dû, à titre de dédommagement ; elle décline Judéité, alors que les autres l'en pressent - lu et relu par moi, il s'est passablement défraîchi.. Plus tard encore je la retrouve en union libre avec Moshé Biolan, très beau. La fille J. n'aime pas son nom de famille. Elle me méprise de ne pas maîtriser l'italien devant une Italienne ; « Même l'anglais, je suis sûre que vous ne le connaissez pas ».

    Fille d'une collègue. Qui tient absolument (la mère) à rester banale. Comme tout le monde. Ou universelle : « On fait tous cela », quel que soit le scandale du comportement. Nous tous. Les profs d'anglais en tout cas. Je joue sur les planches avec sa fille, en Samuel Parris, elle-même en Mistress Pastor (Les sorcières de Salem). Impeccable, intelligente, souriante, frigide. Novac, les deux frères (Charles, le blond, à présent étudiant en mathématiques, si doué pour l'esprit). Tant d'autres. La fille Cachenoy ayant enfin séduit la Plainchat. J'ai suivi son manège, comme elle la dévorait des yeux, elle toute noire, l'autre aux méplats de lune, et qui se laissa aimer, perdue pour les hommes, tout est si simple pour elles. Je le jure.

    Les frères de Neubourg dont le cadet me traite soudain d'enculé en sanglotant (« C'est vrai que vous êtes un sale enculé » - révélation ? Ils se ressemblent et je les confonds. Ils m'ont confirmé que leur ancêtre avait reconnu les côtes colombiennes. L'aîné, les larmes aux yeux, se refuse à me croire quand je lui affirme que certains ne rêvent que de rééditer la Shoah. Lucie « fai[t] ça tous les deux jours » (je la crois constipée, mais il s'agit de la bonne vieille branlette des filles). Plus tard j'entendrai dans mon dos en librairie « 36 caisses font 18 fûts, la main entre les caisses et le doigt dans le trou du fût », encore elle, qui me surprend en plein feuilletage – mon enseignement l'a marquée.

    La même s'exaspérait de ne pas saisir la différence entre le « jamais » négatif et le positif : « Qui a jamais pensé... » (même en opposant ever à never, rien à faire...) Je revois le fils Périgueux, qui fréquenta mon cours de latin, rien que pour me faire plaisir, une année de plus ; qui disait que chacun de mes cours était un événement. Pour ne pas le faire mentir, j'imprimai mon pied BERNARD COLLIGNON

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    tout nu tout transpirant sur le mur de classe. Je l'ai revu plus tard, envieux de son chef parce qu'il avait beaucoup de pognon. Je revois Blanchet coiffé en pétard, retourné vers moi sur la banquette du train, désormais bureaucrate anxieux, capable encore de citer les douze Césars Au-Ti-Ca-Cla-Né-Gal-O-Vi-Ves-Ti-Do-Ner (« Traj-Ad-Anto-Mar-Com »). Ne pas oublier Quentineau, d'ascendance russe, plus ou moins convaincu par sa mère d'étudier cette langue. Il s'était esclaffé quand j'avais déroulé d'un coup ma cravate, exacte reproduction d'un immonde maquereau bleu : « Ce goût ! ce goût ! » hurlait-il, tandis que les filles se récriaient au contraire sur mon originalité. Ce fut Quentineau qui me tendit du bout des doigts le dernier jour, charitable et dégoûté, son adresse d'étudiant, car je m'étais plaint de n'avoir qu'eux seuls pour toute famille, ma femme se signalant par sa constante absence au monde. Je ne me suis jamais comme on pense servi de cette adresse. Je revois Paul Chien, que ses parents avaient sorti des Beaux-Arts parce qu'un prof commençait à le tripoter : « On n'entendait que nous dans l'établissement », me confiaient les parents, plus filiformes l'un que l'autre - « ah ça n'a pas traîné : dans la demi-heure !». Je me souviens de la fille Chamois, Walkyrie passionnée de mécanique auto et de cambouis, orientée selon ses désirs, qui plus tard enjamba les mecs avec une précision de pont-levant.

    De Varlope, soupçonnée de subir la pédophilie (ne parlez pas de soupçons ! me dit la conseillère d'éducation, juste que vous avez été « frappé par son émotivité particulière ») ; cette brave fille de douanier m'avait surpris (« vous parliez de moi ! ») - «...de votre nom de famille en effet, mademoiselle, qui désigne un instrument d'ébénisterie ». Flattée que je mentionne l'origine de son nom ; petite brune piquante. De la Grandin, très moche très jaune, rédigeant des fiches sur les personnages de Dostoïevski - “mais enfin pourquoi nous en voulez-vous ainsi à toutes ?” Même réaction des filles Entommeure et Lapomme : « Je vous en veux par jalousie de ne pas être une fille, comme vous ». Elles se montrèrent soulagées, l'énigme enfin résolue.

    Mon désir était de les pénétrer toutes, afin d'attraper leur sexe, comme par contagion. . Je me souviens du fils Framboise, qui avait poussé très loin la ressemblance avec son patronyme : gras, onctueux, bête et savoureux. Pour Lexcrème, jamais le moindre soupçon de la moindre once d'allusion - mais combien de fois n'ai-je pas répété qu' « il fallait laisser Lucie Fer » - mon Dieu que de conneries... Sa cousine s'extasiait au fond de la salle, après l'un de mes calembours, pillé bien sûr

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    à San Antonio  « néanmoins, et oreille en plus... » - je la revois toucher alternativement, vérifier son nez, puis son oreille, puis son nez, pour se pénétrer profondément d'une vérité qu'elle a dû répéter toute sa vie... Thomas Bastonneau, quant à lui, petit, moche, noiraud de St-Malo, me disait posément : « Vous êtes un prof pour bons élèves. Il en faut, mais... vous ne savez pas expliquer. » ...Je ne me souviens plus du chanteur qu'il savait imiter (il se fit prier par ses camarades, mais je m'aperçus, lorsqu'il se décida enfin, qu'il ne le pouvait faire qu'à voix très basse ; et, dans leurs yeux à tous, tant d'espoir...

    Toune, Lucien, devenu un ami épistolaire. Et qui m'a laissé choir (à cheveux), comme il est souhaitable, après tant de conseils à lui prodigués – car il est vain de donner des conseils : on écrit ce que l'on est ; améliorer son style ? changer soi-même – cela ne se décrète pas. La gloire est aléatoire, et ne s'accommode ni des velléités, ni même des grandes volontés.

     

     

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    Alphonse, c'est le garçon qui m'a rossé dans un sac en jouant Scapin. Un très grand sac, parce que je craignais de m'étouffer. Adrienne, c'est la fille si moche, revêche et concentrée dans une salle très sonore de grands couillons ; Brahim, celui qui crachait si lentement par terre, de façon bien répugnante, en me croisant, mais de l'autre côté, comme les Suisses à Saint-Pierre-le-Môtier pour Jean-Jacques ; je le retrouve aux caisses à Mammouth – il n'y a pas de sot métier - “Alors, on ne crache plus ?” Je me souviens de Schiavoni, qui m'inventa et m'écrivit dès la sixième une livraison de piano à roulettes, lequel s'échappe et déclenche une inépuisable série de catastrophes.

    D'un autre qui nous lut à tous les aventures de l'agent Bedebois, car j'animais un cours de théâtre bénévole tous les samedis matin. C'est moi aussi, ce fou, qui pour ma première année complète d'enseignement fus le dernier à lire une liste de distribution des prix, en 68, sous les regards courroucés du principal, qui devait mourir l'année suivante  - « et maintenant, soyez particulièrement attentifs » dit-il à la cantonade, réussissant à me mortifiant jusqu'au dernier jour ; BERNARD COLLIGNON

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    seul en effet de tous mes collègues, qui mettaient un point d'honneur à bâcler cette cérémonie élitiste et – forcément - fasciste, j'ai mentionné tous les prénoms, un par un, d'une voix lente, afin de conférer à ce rite moribond un minimum sinon de solennité, du moins de dignité. J'avais été le seul en mai 68 à mener la classe en cours à l'étage, avant de la relâcher, devant la révolte généralisée des enfants...

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    La fille Démonacci (prononcer à l'italienne!) s'était exclamée spontanément (que c'est sensuel ! ), à lire à haute voix la progression de la pirogue de Senghor déployant son sillage sur le fleuve ; ravie des allusions de Moil'Nœud, l'année précédente, aux attouchements clitoridiens. Cette jeune fille est devenue infirmière ; je lui ai fait dire par sa mère, croisée entre deux caddies, que j'aimerais plus tard être son patient. Je me souviens d'Eulalie Zino, la mienne était blonde – névrosée, géniale, absente incessante mais bachelière haut la main – 18 de moyenne. Tant de fantômes si vifs, désormais sur la pente décroissante de leur propre vie. Tant de visages dont le nom m'échappe - combien de personnes croise-t-on au cours d'une vie ? une nuit dans la ville de Vannes, seul et tous hôtels éteints, je me suis répété à haute voix, sans cesser de marcher, de l'Avenue de la Marne à la rue Martin, de la rue de la Brise à l'Étang du Duc - les identité, noms et prénoms, de toutes les personnes qui avaient croisé mon existence : la liste était inépuisable.

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    Ils ont été bien tolérants, finalement, les pères et mères, de m'avoir supporté comme ça... “Que voulez-vous dire à vos parents ?” me répétait Ingolstadt, psychiatre d'Ankara. Une amie m'a suggéré  me laisser réparer vos conneries, au lieu de me foutre des bâtons dans les roues – par exemple. Mes vieux

    n'ont cessé de hanter mes rêves jusqu'à plus de trente ans. Les parents d'élèves furent pourtant mon cauchemar.. Un article du Monde, avant qu'il ne devienne un torchon islamiste (mais ceci est une autre histoire) m'avait particulièrement réjoui : « Si un passager, disait-il, voulait à toute force diriger l'avion ; si un mari gueulard insistait pour superviser un accouchement difficile - on les BERNARD COLLIGNON

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    expulserait sans ménagements pour les renvoyer à leur crasseuse ignorance... Pourquoi n'en fait-on pas de même à l'Éducation nationale ? » J'étais remonté à bloc contre eux... C'est le moment de rappeler Volterreau, qui vint me voir en fin de cours, l'œil tout illuminé, le teint enflammé, me réciter ce que lui avaient seriné ses géniteurs : que j'étais son professeur, que je pouvais paraître bizarre, voire complètement fou, mais que ma fonction professorale exigeait de tous les élèves un respect absolu. Il semblait si exalté de m'informer personnellement de cette vigoureuse mise au point, si soulagé de se voir ainsi recadré, que je m'en déclarai fort satisfait et le renvoyai tout pétant de fierté sous son auréole.

    Il tint parole et bossa de son mieux pendant toute l'année scolaire. En 2014 le père Latuile n'avait-il pas déclaré  : « Les mauvais résultats, ça peut arriver ; mais qu'il soit désobéissant avec vous, Monsieur C., je ne le tolérerai jamais ! » En ce temps-là, on ne venait pas casser la gueule du prof ; c'était le fils Latuile que j'avais laissé baguenauder en fin de dictée, le nez en l'air. À la fin, à une faute par mot oublié, ça lui en faisait 52, aux rigolades de toute la classe, la sienne comprise ; je faisais des farces. "Pas assez sévère pour un prof de français". Et personne ne se jetait par la fenêtre pour une mauvaise note. Pourtant j'ai déconné plein pot. Je leur ai même fait deux fois « permanence », lisant carrément le Canard les pieds sur le bureau ; la Censoresse m'a surpris comme ça.

    On m'a conservé parce qu'on me pensait proche parent d'un inspecteur général homonyme – après tout, la prétendue censoresse était bel et bien la maîtresse du proviseur... - et alors ? ça marchait mieux que maintenant. Mais un jour le vrai censeur est venu dans ma classe, flanqué de l'Inspecteur d'Académie : un rigolo qui faisait son jogging à six heures du mat avec son clebs - un farfelu, un frère. Mon cours s'avéra excellent. Monsieur l'inspecteur est reparti tout guilleret en répétant comme un malade : Que diable allait-il faire en cette galère ? C'est cette même année que j'ai rencontré le « divin frère » O'Storpe, avec ses cheveux longs - quand je dis « cheveux longs » - il ne «leur » fallait pas grand-chose.

    Nous étions les deux seuls. Nous nous sommes d'abord observés, puis abordés. Il en fut de même entre Noirs, au collège de Varignac : « C'est chouette, on a deux profs black ! » Au début, ils se sont évités, puis liés d'amitié. L'un d'eux s'appelait Répétalo. Je lui fis un jour décrocher un

     

     

     

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    téléphone imaginaire : et maintenant, répète Allô  Il a raccroché, excédé. Plus tard il récitait à table, à voix basse, ses prières musulmanes. J'ai dit amîn, il a discrètement acquiescé. Il faisait tous ses premiers cours sur la négritude, afin que les élèves appréhendent bien ce que c'était que d'être noir, ou blanc. Je regrette aujourd'hui de n'avoir plus d'ami de couleur. Le père Lageot, blanc, Auvergnat, dit que je fais faire à la maison tout le travail qui n'a pas été fait en classe. Je demande au gosse dans quel village il passe ses vacances en Haute-Loire, il refuse de me le dire crainte de me voir débarquer (crainte justifiée d'ailleurs). C'est lui qui n'obtenait que dix ; ledit père s'inquiétant : « Laissez-le donc à 10, puisque ça suffit » !

    Louverture vient me demander si ma formule « avec les compliments de la direction » n'est qu'une formule, ou si ce fut au premier degré. Je l'ai revu 30 ans plus tard à un coktail, à St-Martial (Notre-Dame du Tapin) ; je fus alors aussi incapable de répondre au fils que jadis au père. Le petit Louverture était devenu œnologue. Prononcer énologue, même si toute la profession va répétant sottement heûheûnologue - je n'y connais rien en vin, rien de rien, je m'incline avec le plus profond respect ; mais en prononciation française, c'est moi le spécialiste, et personne d'autre, et la seule vraie prononciation correcte, n'en déplaise à l'ensemble des professionnels de la profession, c'est ééénologue.

    Car il y a l'usage, certes, mais surtout le Bon usage, celui du Grévisse. Louverture se montra surpris que je me souvinsse de João, le Portugais, dont je ne suis jamais arrivé à prononcer le nom. Et je me souviens, par-dessus le marché, du troisième compère, au front déprimé comme par un coup de masse : Zébra.

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    Figurez-vous qu'un jour mon estimé collègue Esdras me fit croire, d'un matin jusqu'au soir , que les parents d'élèves auraient le droit d'assister aux cours en fond de classe - et j'ai marché, comme un seul homme ! La solution serait excellente : remplacer, progressivement, les professeurs par les parents : il leur serait aisé de venir à bout d'un métier de fainéants, qui ne leur procurerait qu'un petit surcroît d'activité fort bénéfique.

     

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    Figurez-vous encore - ambiance ! - qu'un autre beau jour, le principal, Gepetto, abject gros porc, me fit dire en début de matinée qu'il me convoquait pour la fin d'après-midi, afin que je marinasse dans mon jus, et recherchasse bien tous mes torts supposés, mettant ma cervelle à la torture, alors qu'il ne s'agissait que de me faire signer un document insignifiant, selon les plus pures méthodes staliniennes ainsi que je l'appris plus tard dans une biographie de l'illustre Djougachvili. L'on écrit à Gepetto, unanimement surnommé Gépété, que je me comporte de façon méprisante, arrogante, avec le personnel de cuisine, que j'écrase en effet de ma morgue - lui jetant les fourchettes à la face devant ses éviers d'aluminium ; de plus, que mes réflexions fines, aux repas, sont particulièrement vomitives.

    Il refuse comme de juste de m'en révéler le signataire, me dérobe le pli prestement : il a bien fait, j'aurais cassé la gueule à l'auteur. Du jour au lendemain j'ai préféré manger seul mon calendos et mes biscuits dans une salle déserte ou l'autre ; je les ai toutes faites, l'une après l'autre, méthodiquement. Le Gepetto nous engueula un jour la Kampfort et moi parce que nous étions arrivés en retard : « Moi Monsieur sur les Hauts-Plateaux algériens, je me suis traîné à pied dans la neige pour arriver à l'heure ! » - Kampfort indignée qu'on nous ait ainsi traités comme des gamins... Gepetto me dit que je suis tantôt trop familier avec mes élèves, les traitant à égalité, tantôt trop raide, exigeant le respect ; me cite l'exemple du père Dubois, qui menace soudain son fils d'une grosse baffe. Attitude en effet incohérente.

     

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    Inénarrable rédaction de Boissonneau, sur le sujet « Une grande frayeur » : quinze lignes griffonnées sur un torchon de papier. « Un soir j'ai ouvert la porte du cabinet au fond du jardin, et j'ai vu deux gros yeux rouges qui me regardaient fixement. J'ai poussé un grand hurlement. A ce moment-là j'ai entendu : « Tu ne peux pas refermer la porte espèce de con ? » C'était ma grand-mère en train de chier. J'avais eu très peur. » Tel quel. Impossible d'engueuler l'élève, toute la classe braillait de rire, et moi avec.

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    J'ai rarement affronté des parents hostiles ; du moins par-devant. Des connards très remontés étaient venus voir Césarem, directeur adjoint ; je ne donnais « rien à faire» à la maison (eh oui…) Césarem, vigneron reconverti, nous avait offert à tous au réfectoire une séance de dégustation ; très en retard, nous sommes allés au devant de nos rangs d'élèves en zigzaguant... Les élèves se marraient... Césarem envoyait promener tous les parents : « Chaque prof a sa méthode ; les uns, c'est par la logique ; Monsieur Kohnlili, c'est par la rigolade. Alors il rigole, et ses élèves apprennent. »Et quand il a convoqué, Césarem, cette fille qui se plaignait qu'on ne foutait rien chez moi, il fit apporter le cahier de textes de la fille Kôah, une bûcheuse : « Et ça, tu l'as noté ? Et ça ? » Et la fille est repartie avec une baffe dans la gueule de la part de son père ; c'était celle qui s'était branlée debout devant ses copines, lesquelles n'avaient pas apprécié l'exhibition – les connes.

    Ankara  Les parents de ce bled sont tout de même spéciaux : ils trouvent tout à fait naturel d'aller cafter au Chef, carrément, au lieu de contacter le subordonné, voire de lui en toucher le moindre mot, lorsque quelque chose ne va pas. Au Lycée d'Ankara règne le culte effréné de la délation. Le père Vitos se permet d'apporter en plein conseil de classe, le cuistre, une copie de sa fille : « L'homme... » « On dit cela dans les débuts de roman » : certes, Vitos Effendi ; mais la suite du devoir n'était pas du niveau de Thomas Mann, tant s'en fallait... Il m'invitera chez lui, car sa fille m'avait foutu son pied au cul (quel beau métier...) Sa femme ne parlait que le turc, nous ne mangions que des assiettes de charcuterie (soudjouk, salami de dinde) mais nous n'avons jamais rendu l'invitation.

    Et que fait cette femme quand elle ne comprend pas ? Elle pense « ourouspour tchodjouk » fils de pute, me fixant dans les yeux avec haine. Son mari était rescapé de Makronissos. Il s'était dit “Je ferai tout pour réussir.” Tous les parents d'Ankara se sont mobilisés pour que je ne sois pas viré. Mais rien n'y a fait. De toute façon même si Arielle me défendait, je sais bien qu'elle n'attendait que de revenir en Franfrance. Nous fûmes aussi invité chez Esforso pour la bat-mitsva ; la fille de treize ans chantait d'une voix suraiguë. J'étais bourré comme un apprenti boucher, j'ai dit  shalom ou vrakha , et le père Vitos : « Peu importe la langue où vous vous exprimez, l'essentiel est d'être sincère ». J'avais un sourire d'ivrogne tellement faux qu'on en lisait mes pensées. Ce soir-là

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    j'ai surtout parlé avec les enfants (le fils Yazar en particulier). Les Esforso voulurent que je rattrapasse en quatre heures à domicile leur fils qui n'avait rien foutu de l'année. Total : 4 au bac. Je ne peux pas faire de miracles... mais pour trente livres turques seulement. Je me suis fait mépriser. Tel est le résultat d'une recommandation scrupuleuse du regrettable Sofrak. Ce dernier qui avait voulu me faire faire une « remise à plat » en cours, « dites-moi ce qui ne va pas » : je n'ai plus jamais recommencé !!! Mme Tat dénonce tous mes propos de classe. Les parents s'inquiètent que j'aie passé quelques semaines dans un asile de fous (militaire, bande de cons, pour me faire réformer).

    Le père Ferréol prétend que je détruis les fondements de la famille, de la chrétienté, de tout principe d'autorité ! je revois encore son fils et sa sœur bras-dessus bras-dessous à Illiers-Combray, habillés dernier chic 1952, l'air d'un couple façon Musil. Pourquoi pas d'ailleurs. Le connard de Calvary, proviseur sans majuscule, me fait revenir de chez moi parce que j'ai raté l'horaire, et une fois que je suis sur place, annule le conseil et renvoie tout le monde chez soi jusqu'au lendemain huit heures, alors que les autres profs protestent. Le lendemain j'ai présenté mes excuses à tout le monde. Je me souviens de cette institutrice rougeaude qui est venue me dire qu'en sixième on n'a aucune idée de la mort, et je soutiens que je suis là justement pour les initier à des notions inhabituelles.

    Elle repart sans en démordre et drapée dans sa couënne. Les Tapur retirent leur fille, pour grossièretés. Ce sont eux qui ont occasionné mon départ d'Ankara. Parfaitement que j'ai dit son nom: “Une francophone”, disait le Concul (“Conseiller Culturel”) - non française, donc, la Haïtienne ! Je n'allais pas me gêner. La salope a vu son cahier conchié d'immenses zobs. Elle s'était esquivée quelques jours avant la fin de l'année scolaire. Sa meilleure amie n'a plus voulu la voir à Port-au-Prince. Ses parents possédaient l'art diabolique de savoir toujours lui tirer tous les vers du nez. Je fus ignominieusement chassé. Le Conseiller Culturel contre moi, tout le monde. Mais le proviseur , à son tour attaqué, nous saluait obséquieusement de sa voiture, Saint-Ambroise et moi, à la terrasse du café du centre culturel.

    J'aurais dû le dénoncer pour exercice illégal d'autorité. Il s'est fait virer l'année d'après, pour ce même motif, à un an de la retraite. Le Concul Kamsi : même charrette - et moi qui ai serré la main de ce con ! Lequel empêcha Arielle d'exposer ses toiles, pour ne pas avoir

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    l'air, disait-il, de  cautionner» ma conduite ! Conseiller Culturel qui s'est foutu dans une rage insensée quand je lui ai dit que je plaisantais sur le cul pour le plus grand bien de mes élèves ! prenant ma rougeur pour de la confusion, alors qu'il s'agissait de forte émotivité ! J'ai dû me faire défendre par des collègues et Saint-Ambroise, le délégué syndical, leur cédant la parole, alléguant que sinon j'allais m'énerver ! et mes collègues : « Il se défend mal ! » C'était vrai. Devant cet imbécile imbu de ses pouvoirs, j'aurais pu plaider avec plus de conviction que la France n'était pas seulement Versailles, mais aussi Villon, Rabelais...

    Qu'est-ce que j'ai entendu comme morale, alors qu'il ne s'agissait que de pognon, puisque certains n'inscrivaient plus leurs enfants à cause « des » éléments peu sérieux (moi) dans l'établissement ! Il était à demi-privé, le Lycée Français d'Ankara ! On ne pouvait pas me le dire plus tôt, avant d'invoquer Dieu sait quelle « éthique » ? Et le Kamsi-Mes-Couilles qui trouvait que je n'aurais aucun mal à trouver en France un lycée laxiste où je pourrais me décadencer tant que je voulais ! J'ai retrouvé plus tard dans le bureau du principal de Beulac un reste de dossier où il était écrit que j'angoissais certains élèves, qui ne savaient « sur quel pied danser ». Tout n'avait pas été détruit...

    Le jour béni où Calvary donna son pot d'adieu, j'étais là, pour profiter au moins de l'apéro. J'en ai refusé un verre, il m'a dit : « Je vous en prie Monsieur Kohnlili... » (« Je sais très bien pourquoi vous êtes venu. ») Je me souviens aussi de cet ambassadeur tout frais nommé qui estimait tout à fait légitime, normal, dans son discours de réception, que les parents voulussent contrôler l'enseignement assigné à leurs enfants... Laissez-les donc chez vous. Ensuite, faites donc jouer vos brillantes relations pour leur trouver un emploi... Que tout cela semble lointain, insignifiant ! M. Sansonnet, de Beulac, n'est pas intervenu contre moi : sa fille lui a dit « Ah non, écoute, pour une fois qu'il y a un prof qui nous fait marrer, tu vas lui foutre la paix ».

    Sa gueule ensuite quand il me revoit aux réunions du P.S.... D'autres viennent protester parce que j'ai affirmé que leur fils, à peine viré, avait pissé sur la porte côté couloir ; je dis à Mme Nochame, principale : « Ecoutez, je n'ai pas vu sortir la pisse de... » - elle m'interrompt avec écœurement – mais, au moins, elle me croit. Mme de Gérond m'enjoint avec une profonde et sincère émotion de ne plus mettre en cause dans mes propos le corps des jeunes filles, je lui prendre la main pour calmer ses tremblements. Son mari reste assis à côté d'elle. Sa fille a fait le pari de ne plus se BERNARD COLLIGNON

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    (disons le mot) branler - elle le confiait en d'autres termes à ses camarades – pour redevenir une petite fée très pure, et me sauver ! ...de toujours penser à ça. Au Vigan, la mère vient me regarder sous le nez, stupéfaite que nous puissions nous rencontrer en d'autres lieux qu'en ce collège de Beulac... Mme Passouvant, de son côté, grand-mère, se plaint que je n'aime pas sa petite-fille (dans ses devoirs elle parle comme sa vieille, des hommes dont il faut se méfier, et autres). Mémé n'a pas voulu rapporter les copies, parce que, devant elle, je les lui aurais violemment transformées...

    Mon leitmotiv : « Ça arrive, mais Passouvant ». À a longue, ça lasse.

     

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    Une abrutie vient se plaindre parce que « selon [moi] » Demis Roussos a perdu six kilos, en se faisant circoncire... j'aurais dû dire : « détartrer »... Il y a vraiment des parents qui n'ont que ça à foutre. Mme Diablet, furieuse que je révèle à sa fille des choses «qui devancent son programme d'éducation sexuelle ». Silence pesant de ma part, voire féroce ; je roule des yeux sans m'en rendre compte, n'en déplaise aux adeptes de la Volonté Personnelle qui peut tout. La mère finalement se fait les demandes et les réponses (je n'ai pas dit un seul mot !) et repart en furie contre sa fille « insolente », qui s'est fait engueuler à la maison ! Quant au brillant cousin de ladite, il m'avait sorti « qu'est-ce que vous voulez que j'en aie à foutre de vos passés simples, moi tout ce que je demande c'est de conduire des camions. » D'un autre : « À quoi ça sert d'apprendre à lire, M'sieur, puisqu'il y a des bandes dessinées ? »....

    C'était notre chapitre « les pauvres ont envie de travailler ; salauds de profs qui les entravent ! »

     

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    Le père Colas me demande d'arrêter mon cinéma : lui aussi exerce dans l'enseignement. Mais je continue mes postures de cuistre... Quand un autre enseignant consulte pour les difficultés de son enfant, qu'est-ce que je peux bien lui dire ?... “Comment puis-je améliorer l'orthographe de mon fils ? - Si vous n'y arrivez pas vous-même, cher confrère... » Ankara, encore : Buhar Bey qui BERNARD COLLIGNON

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    se marre parce que je gueule contre son fils, excellent élève, pour l'avoir confondu avec Buhran, complètement farfelu (devenu par la suite militant gay). Plus je gueule, plus le père se fend la gueule. L'avocat Müzisven, plus tard, me convainc de ne pas faire redoubler sa fille (5 de moyenne) parce qu'elle est pourrie par sa mère, et que c'est lui à présent, Müzisven Efendi, qui aura la garde de sa fille. L'année suivante, elle passe à onze... Elle se fait baiser par un type qui la méprise : elle est « comme une planche » (kaleup ghibi...)

    De quelques salopards

    1. Sanchez vient m'engueuler pour "les gros mots". Je finis par expliquer que je me laisse piétiner pour remettre en cause le principe d'autorité. Il en avale son râtelier. Ce saligaud est parvenu à obtenir mon dossier rectoral (« Pourquoi vous avez été mis à la porte d'Ankara»). Je n'ai toujours pas consulté mon dossier. Confidentiel. Si je tenais le fumier du Rectorat qui s'est permis de le montrer à un parent d'élève... Ténéré le démagogue, Principal, trop franc pour être honnête - accorde foi cependant à mes dénégations : non, jamais je n'ai traité telle fille de « connasse ». Je m'indigne de toutes mes forces - « comment pouvez-vous seulement imaginer que je sois descendu jusque là ? » - Pourtant, insiste le connard, celui qui m'a rapporté ça est un garçon de toute confiance... » L'accusateur est reparti penaud.

    Trois semaines passent, et soudain, à ma plus horrible confusion, ça me revient : j'ai bel et bien dit « dégage, connasse » - il s'agissait de Mlle Villard, vous savez, celle qui se roulait par terre au fond de la classe pour jouer au viol collectif avec les garçons... Je ne l'avais pas dénoncé, ce truc-là ; il est vrai que ça me serait encore retombé sur le nez. Quoi que je fasse, de toute façon. À Grénolas, la mère Zigne me tient trois quarts d'heure à vitupérer au téléphone parce que je "persécute" sa fille, je lui aurais fait "un doigt" - « vous savez ce que ça signifie,  un doigt ?» Oui madame, comme toutes les femmes – et tous les hommes. Et comme vous-même d'ailleurs. Sa fille manquait systématiquement mes cours, trop dégueulasses pour son clito sans doute.

    Encore un peu la Vieille Vipère me foutait sur le dos tous les faits divers, de Redon jusqu'à St-Malo. Quatre ans plus tard, la petite sœur ne revient plus sur un tournage dont j'étais la vedette, du jour même où elle apprend mon identité. Son l'aînée avait claqué la porte des Langues-O, parce que l'administration l'avait engueulée. Alors elle a boudé. Na. J'espère qu'elle vend des BERNARD COLLIGNON

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    patates dans le Loiret à 5h du matin. Une année, j'apprends par ouï-dire l'opposition de certains parents de terminales à mes « méthodes », en fait à mes manières. Par chance, d'autres me soutiennent. Finalement je n'ai pas su grand-chose de cela, et tant mieux, parce que je ne me serais pas gêné pour renvoyer la claque. Le professorat en France est tout de même bien la seule profession (avec les footballeurs) où tout un chacun s'imagine posséder bien plus de compétence que les spécialistes. Curieux, non ? Mais juste avant ma retraite, une maman est venue me trouver : « Monsieur Kohnlili je voulais vous dire que par rapport aux autres professeurs, eh bien - geste par-dessus sa tête, très haut - vous planez loin, très loin".

    J'ai reçu deux précieux stylos, dont je me suis empressé d'esquinter l'un et de perdre l'autre... Je peux même, devant la mère tout attendrie, faire une bise à la fille en question : j'avais été le seul paraît-il, au premier trimestre, à déceler chez elle non pas de la paresse mais de la fatigue : “Tu vois, il reste tout de même une lueur d'espoir. Alors tu vas t'accrocher” - grâce à moi donc, elle aurait persévéré... Ladite jeune fille estime que mes plaisanteries, loin d'être toutes grossières, sont souvent extrêmement fines, et que bien peu les comprennent. Pure vanité de ma part, je sais, mais merde, on m'a suffisamment humilié pour qu'en fin de carrière je ne fasse pas la fine bouche.

    La condition féminine

    En sixième, j'annonce une série de lectures sur le thème de La condition féminine. Toute la classe, filles en tête, comme un seul homme : « Quoi, encore ! » Je ne me suis aperçu qu'en toute fin de carrière à quel point l'idéologie pouvait imbiber l'enseignement, au point d'en devenir le tremplin du gouvernement, c'est-à-dire des sondages : en ce temps-là, tous les manuels rabâchaient à qui mieux mieux sur l'égalité des chances, des races (qui paraît-il n'existent point, faisant de l'espèce humaine la seule et unique à n'en pas avoir), et surtout, surtout, l'immense culpabilité de la France - colonialisme, xénophobie, racisme, esclavagisme et impérialisme massacreurs. Simple détail : au temps des colonies, pas un bateau de naufragés en pleine Méditerranée...

     

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    Grande composition de thème latin (heureuse époque !) Il faut traduire le mot “plaisir”. Une frêle voix de jeune fille, Pastic, toute timide, dans le silence concentré de tous : “Monsieur, BERNARD COLLIGNON

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    qu'est-ce c'est, “le plaisir” ? Alors on a ri. “Voluptas, voluptatis.” (“Est-ce vraiment à moi de vous l'apprendre ?”) A la boulangerie, je fous un coup de pied au cul à Du bonnet qui se paye ma tête : il répétait mon nom de famille en public, en chantonnant d'un air vicieux ; je te lui ai foutu mon pied au fion sur cinq bons centimètres. Au moins celui-là ne serait pas près de se faire enculer. J'ai tenté sur-le-champ de faire partager mon indignation à la boulangère, mais son employée se foutait de ma gueule avec elle, tellement j'avais pris l'air con, n'en déplaise aux adorateurs de la Volonté Personnelle.

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    Tant de bourgades nostalgiques à crever – voir le guide touristique. Plus personne. Je me souviens à Saint-Léon, rue Niel, de la mère Auxitain, de mon refus du gaz butane (« Pas de ça chez moi » - toute l'année toilette, et shampoing, à l'eau froide). De la chambre de N. , bien intimidante, juste à côté, rudoyée par son mec, à mon grand scandale ; ce mec avait raison – je t'en foutrais des airs hautains de pucelle outragée... En son absence, les gosses de la proprio venaient se planquer là pour se commenter le sexe. Ils ont stoppé net en m'entendant déclamer, à travers la cloison, l'Assimil de grec moderne. Souviens-toi du bistrot le K, dont le patron m'appelait « Mendelssohn » parce que j'avais fait mon entrée en battant la mesure. Tout ce que je me serai descendu comme alcool là-dedans…

    Adieu aussi, bistrot de Beauvois, avec son patron surnommé « Piéplu » par ce jeune collègue ivrogne, hugolâtre, flamboyant : Rillon. À St-Blase, je revois la descente « Lapin » vers l'arrêt de bus ; la môme Rieussec, toute blonde, toute vierge, que j'ai suivie à pied sur le plateau tout un kilomètre – tac, tac, ses talons sur l'asphalte, sans ralentir - nous aussi on rigole bien disait-elle – filles entre elles ? - et je ne cachais pas, à l'époque, cette morgue odieuse que je reprochais à toutes. Tous les ans à Noël c'était le même cirque : ils s'invitaient tous entre eux pour les réveillons. Il fallait vraiment beaucoup de surdité pour ne pas entendre ce qui se tramait : pas un seul pour m'inviter moi.

    Trop grossier. Je suis allé une fois chez les U. Je sors à mon voisin de table, correspondant de torchon, progressiste et de goche, une vanne peu ragoûtante il est vrai : Encore deux comme ça, et je fous le camp - total j'ai dû fermer ma gueule et je me suis fait chier tout le BERNARD COLLIGNON

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    repas - c'est bien toi, collègue vertueux, qui draguais toutes les petites nouvelles - « qu'est-ce qu'il pue, l'ovaire », ou plus élégamment « trois coups dans le saignant, deux coups dans le merdeux » ? quelle classe ! Monsieur Bléré ! Parmi les jeunettes, la petite Céline, pendant la grande manif antifas d'après Carpentras ; la Barbounya, magnifique, se demandant sans cesse d'où provenait son nom  («  le turbot », en turc). Mais on lui cachait que sa famille était turque…

     

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    A peine chez moi, j'avais droit aux scènes les plus sordides : “On ne voit jamais personne !” Je me suis même abaissé jusqu'à placarder, en salle des profs, que j'invitais qui voulait chez moi, promettant de ne pas entasser les plaisanteries de cul.... Faut-il vraiment que je sois tombé si bas, au point de supplier autrui de me fréquenter... Un jour Léontine, prof de danse de ma fille, fit étape chez nous, avec un petit groupe de vrais amis, d'où nous étions exclus, bien sûr. Au bout d'à peine un quart d'heure, tous ces blaireaux voulaient plier bagages. Pas un n'avait adressé la parole à ma femme Arielle, qui s'était mise sur son trente-et-un ; je surpris de Léontine un petit geste : “Encore un effort, 5mn de plus !” Ce qui fut fait.

    Pas un regard, ni pour Arielle, ni pour moi. Le seul à m'avoir invité chez lui, Choret, ce fut pour me présenter un tortionnaire d'Algérie : « Elles gueulaient pour pas grand chose, les fatmas : tu parles, du 110V ! fallait bien qu'on se distraie aussi, nous autres, sur le Plateau ; c'était pas drôle tous les jours ! »  J'ai serré la main à ça... plus refoutu les pieds... Il est prouvé que notre cerveau enregistre jusqu'au moindre détail toutes les humiliations de nos vies. Nous avons alors invité un compagnon d'infortune, prof de Travail Manuel – hélas : une vulgarité à couper au couteau ; le genre à se planter jambes écartées dans les pissotières d'élèves pour interpeller de côté tout ce qui passe sans lâcher son bout de zob : « Tu vois la frite, là, dans le plat : même dimension, même forme ».

    Il les avait toutes draguées, une par une, toutes les gonzesses de l'établissement. Toutes se foutaient de sa gueule – ni lui, ni moi, ne pouvions rien changer. Alors j'ai invité un Noir ; quand il est reparti, mais pas avant, je me suis aperçu que je m'étais trompé de Noir. Voilà, c'était ça, mes contacts sociaux. Ça donne envie. J'en reviens toujours au vieil adage : moins je vois de gens mieux BERNARD COLLIGNON

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    je me porte. Ce qui est faux. Nous avons fréquenté le couple Commisset - plus maintenant, vu leurs connards de jumeaux qu'ils se trimballent partout - mais avant leur naissance, combien de fois ne sommes-nous pas allés dîner chez eux ? ...après sept heures de cours bien sonnées ? – dentiste, ta gueule, viens les faire. Bien entendu pas question pour mon épouse de tenir le moindre compte de mon total épuisement. Il fallait faire bonne figure, boire, blaguer, briller, hihi, haha, rivaliser d'intelligence et de culture, sous peine de scènes de ménage dès le trajet du retour. J'appréhendais ces soirées. Le lendemain matin 8h., la classe pétait la forme.

     

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    Pipa, professeur de philosophie, (« qui est-ce qui va vouloir acheter ça ? ») vient baver sur la Dédart, trois quarts d'heure appuyé sur mon poteau de stand au salon du livre, sans avoir même l'idée de m'acheter mon petit roman. Pipa, mon seul ami (pas un seul élève, ça ne lit pas, ces choses-là) (on n'est pas des fachos!) Autre ancienne conlègue qui vient me dire que je ne repasse toujours pas mes chemises (c'est exact) ; elle avait dû être amoureuse, sans me le dire - juste une allusion 22 ans après... on est femme ou on ne l'est pas ! Bronville : Une convive émet l'idée que tout le monde, ici, est bien sympa, à l'exception de certains qui se mettent à l'écart en jouant les ténébreux avec des gueules de martyrs - ça ne peut tout de même pas me concerner ! je scrute sous le nez le malheureux laborantin de l'établissement, dans sa blouse blanche, qui n'ose plus avaler le moindre petit pois.

    Le malaise est atroce. Je ne suis pas aimé. Mais ce serait la dernière humiliation de faire le moindre effort. Chez les pions je trouve tout de même plus de camaraderie, de spontanéité : la frangine d'Esdas, rouquine rigolote ; sa copine Céru, cheveux drus, faisant 45 ans, morte sur la route en se sentant mourir ; la fille Marchal, qui me maquillait en plein bistrot ; le couple Létificath, dont le mec buvait tant et plus. Les Chambertain, qui m'ont invité chez eux, croyant que j'allais enfin leur dévoiler ma supériorité cachée : raté. Le pion Gourmand, surnommé Manghyschlack, de la péninsule homonyme de la Caspienne, et la prof de géo bien fofolle. Que de fantômes, et moi, et moi, et moi…

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    A Buseville, deux gougnottes sympa : Louise la rousse, farcie d'arthrose, et sa brunette à bottillons dont j'oublie le nom. Plus : deux connasses mariées qui s'échangent des recettes : tu te coinces la serviette sous le couvercle, et hop ! 50% de cuisson de nouilles en moins ! ...On s'instruit, salle des profs... Maret, ce vieux con qui me draguait – combien de fois n'ai-je pas pris les autres pour des cons ? Je ne pouvais le dissimuler, le plus sincèrement du monde. On me l'a rendu avec usure. Chaussurier, et sa foutue prétention : je lui flanque dans les pattes un assureur collant qui m'a pris en stop, et que j'envoie chez lui - elles sont mauvaises, tes vannes, Colombin.

    Willemain, du syndicat : "C'est inimaginable, le nombre de calomnies répugnantes que j'entends sur toi". A Tintélian, je fréquente les pions : « Pourquoi tu restes pas avec les profs ?» Ils me mettent à l'épreuve : le dernier au bowling paye la tournée. C'est moi. Je me bourre la gueule, nous allons nous torcher à Redon. J'ai battu le plus con que je vois dégueuler à genoux, verdâtre, dans les chiottes. De retour à Tintélian, au patron du bowling : "Ta gueule, marchand de bromure ! - Ho putain ! tu me paieras une tournée, pour celle-là !” - plus refoutu les pieds - je fais, mais je ne veux pas qu'on me fasse. Me souvenir du pion Lecomte, avec son grand boucroux (Les bronzés font du ski) ; d'un autre, gabarit de pilier : « J'm'en fous d'être pion, j'veux juste faire du ruby ».

    D'une petite sucrée, à table : « Vous ne parlez que de champignons et de rugby, ce n'est pas très intéressant. - ...Tu voudrais peut-être qu'on parle de cul ? » - excellent. Le rouquin racontant que deux gouines se broutaient sur une banquette de bistrot : « Ma bière, elle passait mal ». Il me demande – j'avance courbé - si j'ai perdu quelque chose. Je réponds ça fait longtemps - Par devant, ou par derrière ?” Tout devient confus. Au Sieur Brume, interrompu en pleine envolée : "Mais tu nous embrumes, Lamerde ! » Je l'ai entraperçu un dernier quart de seconde, le temps que deux trains se croisent et que la vie passe. Plus tard, j'ai revu un petit brun sans relief, qui me reconnaissait, lui, avec extase, mais que je ne remettais plus.

    Sans oublier par contre ce petit merdeux qui m'humilie, au point de me faire jeter de rage un verre de vin sans viser sur la tronche de mon voisin de chambre, Mouchic : “Ne recommence plus ce coup-là !” Il paye moins de loyer, pour avoir su apitoyer nos chiens de proprios. Je déménage pour faire plaisir à mes parents : hélas, j'entends, là aussi, ronfler derrière la cloison, ce qui est dégueulasse. Mentionner Puydôme, grande gueule de sciences nat, mais obligé de céder à la principale. Sur le quai de Redon, il répète : « La principale est une vieille salope ! BERNARD COLLIGNON

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    Tous en chœur après moi : La principale...  - hors de sa vue, pas fou - je ne suis pas à faire grande gueule petit cul... L'assistante anglaise, face de lait saupoudrée d'éphélides, se désole : je viens de lui dire tu ne m'aimes pas alors qu'elle me collait partout. Elle se rabat sur le Bolivien de Cochabamba, bel Amérindien. Je demande au collègue Bousaud comment se dit « la bouse » en espagnol ; il me répond, dressé sur ses ergots ¡ la Bosta ! tandis qu'une collègue me pousse du coude : « Tu exagères... ». Et moi : « Il s'appelle Bousaud, pas Labouse ! » J'étais fou. Un vrai. Souviens-toi, bouffon, du Sieur Héraut, qui donne vaillamment des cours sur le chauffage central au lieu de l'histoire d'Europe, l'année du bac ; bacheliers de se répandre dans les couloirs en gueulant : « Il nous a encore fait un cours sur le chauffage central, le fumier ! » Je le vois sortir le dernier, serein, sous son petit chapeau : M. Héraut prend sa retraite à la fin de l'année. Souviens-toi, Guignol, de la grosse vache gouine et vierge, que tu emmerdes en passant à tue-tête un Mendelssohn à travers les parois - je voulais juste montrer à ma classe ce que c'était que la musique romantique. Et comme j'avais dit que je n'aimais pas recevoir d'engueulades en face, que ça me rendait malade, et que je préférais avoir des échos, des raccrocs, par la bande, elle ne m'a plus laissé passer sans grognasser.

    Ô silhouettes...

     

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    Affaire Russier. Je remets vertement à sa place l'unanimité de mes collègues : « On vous verrait tous venir, tiens, si ça se passait ici... » Et chacun, la main sur le cœur, de protester de sa sincérité. Je me souviens d'Istère, génial auteur d'une tragédie en vers hugoliens, sombré depuis dans l'institutorat et la bibine. Tout le monde n'a pas la chance de rencontrer Nodier aux soirées de l'Arsenal. Istère avait une petite fille, qu'il rudoyait en l'appelant Princesse. Obsèques de Nasser, 1er octobre 70. Je cours tout d'une haleine de chez moi, en pantoufles, jusqu'au bistrot, pour l'annoncer. Comme si c'était moi, comme si je l'avais fait moi-même. La foule déchiquette le cercueil Pourquoi la vie, pourquoi n'empile-t-on pas les strates indestructibles de tous ceux que l'on a connus. Souviens-toi, sous-pitre, du petit porc humain que tu as poursuivi à la course jusqu'au lycée, pour faire poli. Ne me suis jamais vraiment intéressé à personne.

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    Mes stages (Nominoë de Rennes, L'Epervier de Paramé) : avec les demoiselles Sentéral et Polissé. Moniteur Poil, au collège, enthousiaste de goche, cong... « Mais je n'en ai rien à foutre de la prononciation de votre famille ; on prononce « No-ël », et pas « Nowêle » - où voyez-vous un w ? » Autre établissement, le vieux montaniste Yodaud, qui me drague (encore !) (il me compare à Lucien de Samosate, « avec votre air de ne pas croire à ce que vous enseignez... » (une classe de Philo à Beauvois se posait la même question : j'ai répondu « Je ne me sens pas le droit de vous communiquer si peu que ce soit mon désespoir – Mais pas du tout, pourquoi dites-vous ça ? » Je les ai accusés en conseil de classe, histoire de dire quelque chose, de lèche-culterie ; ensuite ils ne m'ont plus parlé : vous comprenez, après ce que vous avez dit... ») Polissé, Sentéral, mes costagiaires : toutes deux sexagénaires à présent.

    Lycée Albatros de Paramé - gros proviseur con comme une planche à voile. Mes deux évaporées s'obstinent à franchir la porte de leur classe juste, pile poil, à la fin de la deuxième sonnerie, en même temps que leurs élèves... Sentéral, fille du Gérant des Pompes Funèbres ; ses parents m'avaient invité à table. Je ne sais plus où me mettre. Quelles gaffes commettre et ne pas commettre ? occasions manquées, où êtes-vous ? (...dans ton cul au fond à gauche). Polissé couchait avec deux amoureux à la fois, et me demandait si elle devait le dire ; je l'en ai dissuadée : “Tu perdrais les deux” - heureusement, heureusement ! je ne lui ai pas demandé si l'un des deux était moi.

    Mais d'extrême justesse. Son frère s'est fait longuement étriper dans un accident de moto (« Y en avait partout, sur 50 mètres... »).

     

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    Plus tard, très loin. Mme Huguet, avec son petit tailleur moule-cul bleu ciel, à qui personne n'osait chanter « L'autre jour la p'tite Huguette... ». Elle aurait bien voulu. On peut toujours dire ça. A St-Léard, la directrice me jette oh, celui-là ! même avant que j'ouvre la bouche. Une haine de lesbienne. Je me vire tout seul de la cantine après une vanne very fine sur la soupe aux BERNARD COLLIGNON

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    menstrues (je déteste la tomate brûlante). Beulac : Une collègue vient m'avertir que dans sa classe à elle, à côté, on aimerait travailler. « La salope » commente Merlaud. Je dis à la même, en sortie scolaire : “Je vais te montrer un buisson qui n'est pas sur la carte ». Cancer du sein. Six mois. Merlaud, barbu, fielleux, à moi : "Faudrait tout de même pas te figurer que la vie de l'établissement tourne autour de ta personne » - si, justement  : à chaque fois qu'on parle de mon établissement, gueule Climens, Principal, on me demande de vos nouvelles ; il n'y a tout de même pas que vous ici ! " Merlaud, barbu, aigri : «Tous les élèves me prennent pour un vieillard ! à 35 ans ! » Chialant de rire à mon sublime jeu de mots c'est guerre épais (Tolstoï tâtant son steak).

    Merlaud fâché tout rouge qu'on n'ait pas mentionné la méthode latine à Son Papa complétée par Son Fifils : « Il y a une façon très simple de démolir un livre : c'est de ne pas en parler «   - tu découvres l'Amérique, Merlaud ? Comnène (autre barbu, ) de Quévilly, descendant du train ET d'un larbin de Byzance - Andronic ? Jean II ? - Rennes-Rouen, Rouen-Rennes. Je me souviens Du grand Jouy, crâne d'œuf : "Nous irons jusqu'à la grève", crayonné près d'un voilier, sur le préavis syndical. Jouy joue à Valence un « Ravel, ô Drôme ! » - nous arrivons pour la fermeture des portes – aucun auditeur ne sera admis. De Loyson de Moisselles : « Comment nos descendants nous percevront-il d'ici 200 ans ? - ...des hérétiques ! » - n'habite plus chez papa. Gourou aux Indes – belle voisine à Caen, très catholique.

    La grande pulpeuse Necma qui me dévore des yeux, sur la table face à moi, affalée, affamée, effrayante ; amoureuse aussi, follement (deux fers au feu, le feu au cul) du petit caniche Frank Pédol, qui en avait tout l'air. Souviens-toi, Mortecouille, remember, de toutes les chaudasses que tu n'as pas vues – Marie Ming-Nang qui aurait bien voulu mais qui n'a pas osé, à 3cm ½ de tes lèvres. Vespé la détraquée qui s'indigne de mes « tripotages  - outré, je me claque la porte sur le talon. Radino la frisée qui s'efface dans ma tête, Evény qui se presse amoureusement contre Merlaud pour bien me montrer de qui elle est femelle – pas de son mari en tout cas. Lauche qui déclare tout de go à un déconneur : « Vous êtes comme un diplodocus, une petite tête et une grosse queue" : on ne l'a plus entendu, le déconneur.

    Anavour, le petit brun, qui me vante les tartouillades de Motherwell. Je lui réponds : « Dans 500 ans, vous ferez rigoler tout le monde ». Et Raimbaldy

     

    de pouffer dans 500 ans on sera mort, plus rien à foutre – arriviste à deux balles, dont la préoccupation essentielle fut de savoir

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    comment j'avais bien pu me faufiler jusqu'à son atelier d'Hârts Plâstiques mais par où t'es passé mais par où t'as bien pu passer à la cinquième fois je me suis tiré : on recevait du beau linge… C'est pourquoi je suis fier d'annoncer ici que le Grand, l'Immense Raimbaldy se trouve à présent réduit à sa plus stricte condition privée, sans que nul bruit de lui se soit répandu au dehors - pour la mesquinerie, je ne crains personne. Je me souviens aussi d'Ano le Bellâtre, qui me trouvait gâché par mes fréquentations de "goche" : « Mais tu ne vois donc pas qu'ils se foutent de ta gueule ? »( non) « ...et que tu fais partie des nôtres ? » Non plus, Sêu Ano.

    Je te trouve d'ailleurs parfaitement ignoble de dénigrer devant tous et bien blasé ton voyage aux Seychelles (trop chaud, et du poisson à chaque repas) alors que je n'ai pas pu dépasser, moi, Beauvais (30m. sous la voûte, quand même) ; dans le couloir la grande Korner me maintient par la taille pour m'empêcher de revenir lui casser la gueule – elle m'a reçu jadis chez elle pour écouter du Brückner - pour apprendre plus tard et dans un haut-le-corps que oui, j'étais bel et bien monté chez elle dans l'intention de tirer un coup. Les Occupant l'appelaient Kornfeld, « champ de blé ». Je revois Lizarot, alourdie de ses gros nichons, qui se proposait pour m'apprendre l'hébreu ; prédisant le pire avenir de voyou à quiconque ne dépassait pas 5 sur 20 en physique.

    Deballe, matheuse moche prête à me dénoncer au rectorat (elle se proposait pour compléter les dossiers électroniques des collègues ; je m'étais exclamé, pour meubler : « Bravo la discrétion » ; je la revois en sanglots prête à m'arracher les yeux, le principal tentant de l'apaiser. Lamontre, qui m'attendait à la sortie des chiottes, tout congestionné de rire pour m'avoir entendu piauler à travers la porte  voulez-vous lâcher ça ou j'appelle la police. Zinnia le prof d'histoire qui pensait vraiment que je parcourais la cité en faisant ra-ta-ta-ta-ta par la portière : « C'est une blague ! » Le voilà rassuré. La Maquignon, qui n'aime pas "les lèche-cul" – pas du tout : j'étais simplement très aimable avec l'épouse de l'instite de ma fille.

    Je me souviens de la Ducollier, qui s'est bien changée à part en plein air, pour se mettre en maillot de bain ; mais un coup de vent malencontreux m'a tout révélé, à bonne distance - elle rabat précipitamment sa robe - personne n'a rien vu... La Saint-Benoît, laide comme un pou, pitoyable devant sa table de pot d'adieu, et que tout le monde contourne, évite, ignore, sauf moi (quelques phrases par charité...) « Mais enfin, je m'en vais, j'offre un pot ! » - tout le monde s'en fout, ma pauvre.. Plus tard à mon tour j'organise un gigantesque raout pour l'accouchement de ma BERNARD COLLIGNON

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    fille, 16 ans 9 mois. Je me souviens de Simonette, qui m'a si souvent reçu chez elle – ô patience ! - à qui je ne savais parler que de moi, et me plaindre, et qui refuse de coucher ; cinq ans après elle change d'avis, d'un ton rêveur, je réplique alors sur le thème des plats réchauffés. Mais je l'ai tant déçue, lors du décès accidentel de son amant : je ne sais rien de plus que les autres, moi, sur la mort... Simonette, ma meilleure amie pendant des années ; est-il possible mon Dieu que je ne trouve rien de plus à dire à son sujet. Je suis sincèrement désolé de déverser mon venin sur les autres, et de ne rien dire de ceux et celles qui m'ont accueilli, soutenu, tel que j'étais, prétentieux, victime supérieure, intolérable peste.

     

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    Desaudeaux pue de la gueule et répète à ses élèves "Faites des maths et foutez-vous du reste" ; il faut vraiment lui parler de biais pour ne pas tomber raide. Un jour je le salue : « Bonjour monsieur Désodorant » - deux ans de gueule, toujours ça de pris. La Moulin épouse d'Arc, raide comme un passe-lacets. Ne prépare ses cours qu'après avoir consulté, sur internet, tout ce que les Aûûûûtres ont pu déjà trouver sur des sujets semblables. J'ai appris, des années plus tard, qu'elle portait deux prothèses mammaires. Est-ce que j'en porte, moi, des prothèses mammaires ? Ali Dubruy affirme sans sourciller que n'importe quel excellent cordonnier peut s'estimer du niveau de Mozart. L'enseignement regorge de ces démaogues, et manque bien sûr de génies tels que le mien. Le même Dubruy engueula somptueusement, au conseil de classe, l'excellent élève Bernardo, coupable de mépriser ses petits camarades ; jamais je n'avais assisté à pareille explosion de haine démocratique, pas même contre le grand Suédents qui avait jadis foutu le feu à l'armoire du fond ; celui-là, n'est-ce pas, c'était un Rebelle, un Insoumis. On lui avait parlé doucement, avec tout le respect qui lui était dû. On est des révolutionnaires, à l'Éducation Nationale. J'épingle aussi Toutdret, syndicaliste bretonnant. Refuse de recevoir sur son courriel mes communications néofascistes. Je réponds : « T'as raison. Fais l'autruche ». Mme Peugot, qui m'a (peut-être, avec les femmes on ne sait jamais) dragué, comme elles disent, mais que j'ai la flemme de suivre sur ce terrain ; elle m'offre une boîte entière de chocolats de luxe, pour avoir accepté de me lever toute une année une heure plus tôt, afin qu'elle puisse mener ses propres enfants à l'école.

    BERNARD COLLIGNON

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    La Bougala s'imagine belle et intelligente, alors que je suis seul, au masculin, à pouvoir y prétendre – cet insupportable jazz en sourdine dans la voiture où elle m'emmène. S'est trouvé un poste, tout près de chez elle, à 40mn d'embouteillage, pas une seconde gagnée, mais « c'est plus près ». Saluons, célébrons cette divine faculté de bien baver sur les travers d'autrui, sans jamais voir les siens. Glorifions ce double jeu, qui permet de brouter aux deux râteliers. Rappelle-toi aussi le petit Lamesse, qui me draguait outrageusement – entre hommes on s'en aperçois toujours mais je ne suis pas pédé faut pas croire  tu pourrais me lâcher la bite quand je te cause ? et se posait toujours, Lamesse, en fin redresseur de torts.

    La fille Duszak, latiniste, compose seule. Mon petit Lamesse, co-surveillant (il ne faut pas être seul ! risque de triche, de baise furtive ?) m'entretient à voix basse et précipitée de ses petits copains roumains, jadis, qui se branlaient mutuellement pour se faire du bien. Deux heures pleines. Notre candidate se surveilla très bien toute seule. Je me souviens de T. femme J., prof de russe au cul rouge vif lorsqu'elle s'est vautrée de tout son long sur la table pour atteindre son casier. Je me souviens de Nina Vangoesten qui me draguait avec enthousiasme, de ses branles flamands à tibias poilus ; de la Boulanger, prof de bulgare, insupportable de bonnes manières, ne parvenant jamais qu'à l'incarnation d'une « évanescence vulgaire », adepte des adieux à répétitions.

    Strelitza, prof de japonais, qui n'avait pas sa langue dans sa poche ; milite toujours pour Amnesty International. M'écrit qu'elle aimerait « faire l'amour avec moi » - se rétracte : «Je n'ai pas voulu dire coucher avec toi ». Des subtilités nippones ont dû m'échapper. Je l'abandonne à sa courte connerie. La môme Furet, sensuelle en diable, rêve d'un trou de gloire avec juste la bite qui dépasse ; sa meilleure amie Minimet, que j'aurais pu m'envoyer - trop garçonnière. La Zitrone, morte d'un cancer. Tout me dérangeait chez « les femmes » : froides, évasives et inconsistante, ou trop explicites, évasées, ridicules. Je suis infiniment con. L'hypothèse, du moins, mérite d'être posée. Je ne saurais manquer, dans mon exceptionnel discernement, le conlègue Duton, prof de maths très beau mais plein de vide – ça se voyait à dix mètres – avec sa tête de veau en gelée.

    Maurias me succède et n'aime pas le latin (« Tu as vu le fossé entre ce qu'ils savent et ce qu'on leur demande ? ») - excellente raison pour ne plus en faire du tout. Tarty, époux d'une Québécoise, interrupteur flamboyant d'une représentation chorégraphique de fin d'année (Les uatre tantes House) au nom de la vertu montréalaise – rien qu'au titre, il aurait pu se demander s'il était BERNARD COLLIGNON

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    bien judicieux d'y amener sa nièce en robe de première communiante. Je lui ai demandé, toujours expert, ce qu'était un nain homosexuel. Un naing culé. Il en rit encore. Martha Depaule née Da Silva, m'ayant dragué (encore !) puis fourré son mari dans les pattes. Juste pour le plaisir de nier. Yaucu, hideuse secrétaire, vieillarde à 40 ans, à qui l'on eût appliqué bien à propos ce mot de Balzac : « Son visage n'eût pas été déplacé sur le corps d'un grenadier de la Garde » ; Munoz, non moins horrible, affligée de surcroît d'un hideux « nam'donc » tout droit sorti des Trois-Maisons de Nancy.

    Munoz me fit horreur dès le premier regard. Qui suis-je. Le pote Camion, sur qui l'on découvrit une tumeur commack au foie, très langoureux, très visqueux de langage ; mort dernièrement ; j'envoie mes condoléances par courriel et ne reçois pas de réponse. Ayez pitié de nous. Manzanilla, babouilleux rondouillard, qui sait ce que sont les écureuils volants et grenouilles palmipèdes. Catalogue, monument aux morts.

     

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    Adieu bourg de Beauvois, de nuit sous les murailles, plus belle cité où j'aie traîné mes guêtres, suivi partout du chat Fritjof Nansen que j'appelais sans cesse à voix basse, en frictionnant bien les consonnes : « Fritjof Nansen, Fritjof Nansen » . Le chien martyr confiné sous son perron creux, saluant l'aube de ses jappements à travers les fentes de sa porte. Plus tard la récolte des noix. Le paysan qui nous renseigne si cordialement sur le peintre hollandais, se renfrognant d'un coup sitôt qu'il s'aperçoit que nous ne le connaissons pas. L'établissement scolaire si pittoresque dédié à Brazza (Savorgnan de), premier Européen au Congo. Sous-directeur : Laforêt. Directeur qui veut me faire avouer que je prends « plus » que des médicaments, parlant de drogues, et à qui je révèle mes balbutiements homosexuels - je ne vous parlais pas de cela - gêné, mais gêné !...

    Adieu, Varignac, pique-nique solitaires vite faits sur les moindres carrés d'herbe à la ronde. Des cadres de vie exigus comme des cerveaux de moines : thurne, bistrot, rings professionnels à six rangées de chaises. Mais j'étais bien vivant. Mes soucis-souçaillons passaient bien avant l'Œuvre – quelle vocation ? Madame Salaise, principale : "Rhâ çui-là alors !" en plein repas ; ses réflexions hargneuses parce que je faisais taire mes élèves au concert, alors que j'en BERNARD COLLIGNON

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    aurais pris bien plus si je les avais laissé faire. Sa surgée s'appelait Salochet. Toutes deux aussi moches, aussi graisseuses, aussi hommasses. Voisines de lit par ordre alphabétique depuis les dortoirs. Et frotti. Et frotta. Cuisse droite, cuisse gauche - « Attends, attends, j'ai pas fini... hmmmpfff... - va-y. Ha ! rrrhhâââ ! - Rhâââ !... - C'était bon... - Ce pied... » Elles ont bien de la veine, les femmes, de pouvoir se gouiner sans remords. On les avait coincées sortant de l'hôtel Diderot bras-dessus bras-dessous rue Jean François. Toutes les deux lorgnant venimeusement sur ma petite mèche : « Si je vous revois comme ça je vous renvoie chez vous » - c'était comme ça, du temps des Élucubrations d'Antoine.

    Mon premier boulot de tous fut de tracer des traits à la règle entre des rubriques manuscrites d'archives. Puis je patrouillais dans les couloirs vides, avec mon petit pupitre portatif. Je cueillais les exclus au vol pour les emmener se faire coller au bureau de la surgée. Je m'emmerdais, avec mon pupitre et mon Gaffiot. D'où ce fameux pas de l'oie « pour se dégourdir ». Le matin je traversais la salle des profs au pas - de charge - et je gagnais le fond de la cour, près des terrains de basket, prenant bien garde de ne pas me faire voir depuis la direction, à cause de la mèche ; ensuite, progressivement, l'air de rien, je surveillais la cour en revenant du fond, de groupe en groupe ; on envoyait après moi : « Si si, je l'ai vu, il est bien là ».

    Lisardot me suivait sur les trottoirs . Il ne faisait pas le même métier que moi, ouvrier je crois, une horreur de ce genre. Il me disait : « Tu ne sens pas qu'il se passe quelque chose, qu'il va se passer quelque chose ? - Et quoi donc ? - Je ne sais pas, « quelque chose ! » - il va toujours se produire quelque chose... Nous ignorions alors que Berkeley commençait à s'agiter. Nous n'aurions pas voulu le savoir. Mais Lisardot, lui, « sentait » quelque chose. Et l'année 67, juste après le mariage, fut une apogée. Mon premier vrai poste fut St-Blase, en banlieue rennaise, où notre ménage s'était piteusement replié, espérant migrer plus tard vers la capitale - mais on n'échappe pas à Rennes : un jour dans la bouse, toujours dans la bouse.

    Dès la rentrée douche froide : les difficultés, c'est ma faute, uniquement ma faute, et l'administration n'est là que pour vous enfoncer, vous d'abord. Et l'année d'après, Soixante-Huit sur la gueule ! – je vous parle d'un temps que les moins de 60 ans ne peuvent pas connaître - ça, ce fut du baptême, ça, c'était du dépucelage. Nous n'avons plus jamais revécu depuis. Plus rien de comparable, jusqu'à la Chute du Mur, pour les Allemands. Mais pour ce qui est de se prendre en BERNARD COLLIGNON

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    pleine chetron ce que c'est que le métier de prof, on n'a jamais rien trouvé de mieux. Enfin j'ai pu « déconner avec les élèves », comme j'en avais exprimé la crainte auprès du Dr Gainsal, psy de mes couilles à Nantes. Je fus le prof dans le vent, démolisseur des rapports profs/élèves, semant sa zone de cul, clitorisant les cours au point que les gonzesses n'avaient plus qu'une envie : vite s'enfermer dans les chiottes à la récré pour se branler à 7 filles par cabines.

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    La principale Bonnegerse prise pour une gouine par mes collègues femelles ; sur quels critères ? à quoi une femme reconnaît-elle une gouine ? ...est-ce que ça se flaire ? La Bonnegerse avait une fille nommée Raymonde. Elle l'a retirée vite fait d'un collège public où les garçons lui présentaient leur zob : « Regarde ça, t'en as pas - tu fermes ta gueule ».

     

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    Je me souviens de l'assistante anglaise, laiteuse, adorable, qui me suivait partout. Je lui dis tu ne dois pas beaucoup me blairer « Pourquoi me dis-tu ça ? » Elle s'est barrée. J'ai toujours su y faire. S'est collée avec un Colombien de Cali – ville qu'il a révélée juste avant moi, juste avant que j'exhibasse mes connaissances géographiques. Je me souviens de Berray, wagnérien convaincu, modèle de l'Usurpateur dans Les enfants de Montserrat en vente nulle part. Il nous propose deux pics-verts en bois, descendant par saccades une tige de métal : l'un très régulier, tac ! tac ! tac ! L'autre, plus mou. Nous avons choisi le mou, tant les yeux de l'homme étincelaient en évoquant le bec brutal de son préféré.

    Ne pas oublier ce détraqué qui m'a gueulé dessus de loin depuis sa cabane dans les joncs en me traitant de PDG ; je portais les cheveux longs. Voir aussi les deux profs de piano, jumelles « mal voyantes », qui auraient bien voulu que je leur rendisse « un petit service », disait D. - j'ai compris, mais quinze ans après. Je n'imaginais pas que des femmes, des aveugles de surcroît, pussent avoir besoin de ça. Ce que voyant - c'est le cas de le dire - la plus moche m'a viré, car de plus, il me répugnait d'être effleuré par une aveugle qui contrôlait mes mains : mais pourquoi donc, vous autres voyants , n'arrivez-vous jamais à faire totalement coïncider votre main gauche et votre main droite ? Elle ne disait pas « je suis aveugle », mais « je n'y vois pas » (pour l'instant, n'est-ce pas, à cet endroit précis.) Elle refusa hautainement tout dédommagement financier : « C'est parce que je n'ai pas le temps ». Ce n'était pas d'argent qu'elles avaient besoin. Jamais je n'aurais pu m'imaginer ça. Je suis un con. Mais sur le piano du lycée, j'improvisais vachement bien ; des filles, assises sous la fenêtre, m'ont applaudi sans me voir. Tous les élèves redoutaient cette prof, qui leur demandait pendant un trimestre de ne pas changer de place ; ensuite, elle repérait pile poil tous les bavards par leurs noms. Le jour où j'ai laissé la porte entrouverte, je l'ai vue se retirer d'un coup en arrière, un millimètre avant le coup. Elle se fût assommée. Quant à moi, encore moi, je suis resté très, très longtemps dans la chambre de pionne de Nicole (par exemple) sans qu'elle m'accorde le moindre signe d'encouragement physique. Elles sont comme ça. Elles ne veulent pas nous forcer. Elles font comme elles voudraient qu'on leur fasse ; il n'y a peut-être pas que moi de con, en définitive. J'aurais peut-être dû lui demander : « Est-ce que je peux te prendre dans mes bras » ?

    J'y ai bien repensé. Je la tenais enfin, la bonne phrase. Trente-sept ans plus tard. Le trois janvier de cette année-là, ma femme Arielle m'a rejoint à mon poste : au pied de la rue Fondaudège, une Maserati Mistral avait défoncé comme un trou d'obus le visage d'une femme un trou rouge me dit-elle je ne voyais plus qu'un trou rouge Ne regardez pas ! criaient les gens Ne regardez pas ! j'ai vu voler une jambe au-dessus de ma tête à quoi bon nous disputer à quoi bon - c'était au retour de Paris quand elle avait rejoint Olive, qui se branlait à grands coups d'ongles Tu as joui toi ? disait Olive Tu te fous de ma gueule ? » C'était « la Chabanou » qui les avait unies, qui devait mourir trois mois plus tard de la douve du foie – un cancer, on n'avait pas voulu lui dire - personne ne se souvient donc plus de nous là-bas, ni à Paris ni à Tintélian ? ...ses bracelets de laine, mes cours époustouflants sur les sangliers, d'après Bosco ? (Le mas Théotime) - ou sur les causes de la guerre BERNARD COLLIGNON

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    de 70, restituées par moi avec un tel brio que tout le monde m'a applaudi debout ? La dépêche d'Ems, as-tu vu Bismarc-ke, à qut'patt's sur son cochon, et Napoléon III... Mes enthousiasmes de fou, mes gesticulations, mon incessant seul-en-scène – plus rien ?

     

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    Mon premier poste fut Bronville, pays manceau. A Bronville, Mlle Damble, proviseur, s'est réjouie que mon premier réflexe, lorsqu'elle m'annonça qu'il vaudrait mieux que je me frottasse d'abord à quelques années de pionicat, eût été de m'inquiéter, spontanément. « Et mes élèves ? - Ne vous en faites pas, nous leur trouverons quelqu 'un. » Pour elle, mon exclamation portait à n'en pas douter le signe d'une véritable vocation. Il me fallait une bonne année de pionicat, pour me démontrer que j'étais désormais un adulte – un quoi ? mon Dieu... - qui ne flirtait pas avec ses élèves ; qui ne dessinait pas de croix gammées (« C'était une blague ! ») sur les feuilles d'absence en guise de parafe. (« Dans la région de Châteaubriant, Monsieur, ça n'a pas été particulièrement apprécié ») - mais je me suis fait reprendre à St-Léard juste après, défilant dans le couloir au pas de l'oie en faisant le salut hitlérien ; si on ne peut plus rigoler...

    Putain l'avoinée que je me suis prise devant des parents d'élèves... Qu'est-ce qu'ils aiment humilier, les chefs - je crois que c'est pour ça d'abord qu'on devient chef : pour la joie d'humilier.

     

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    Pourquoi devient-on prof ? de toute évidence également, pour être admiré. Je fus applaudi pour La Mort du Dauphin d'Alphonse Daudet, ça ne vous dit rien non plus ? A 25 ans ! Devant des classes de 25 élèves, et non pas à la télévision ! Jamais célèbre alors ? jamais plus rien ? A tout jamais ? “Ô Ciel, dois-je le crère ? - Il arrive Madame, et tout couvert de glaire ! » A 25 ans vous BERNARD COLLIGNON

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    m'entendez, j'étais génial, génial... Qu'est devenu ce jeune con de prof, si pétulant, si anticonformiste, qui avait renoncé au concours de bibliothécaire, pour cause de limite d'âge à l'inscription (26 ans, bande d'enculés ! 26 ans!) - d'autant plus qu'une dissertation portait obligatoirement sur l'avenir du rôle du livre, que j'estimais devoir s'amenuiser à l'infini ? C'est cela, une carrière de prof : un catalogue d'incidents savoureux ou douloureux, sans aucune vraie rencontre (deux ou trois ?), sans rien de constructif, sans qu'il y ait jamais « progrès » d'une année sur l'autre.

    Du moins ma carrière. Pas une personne célèbre pour tirer de là, pour faire accéder à la notoriété ce dilettante - « Remballez-moi ça », comme dit la Pianiste Isabelle Huppert. Pourquoi donc cette illusion de bel itinéraire en ligne droite, chez tous ces « autres » qui se gobergent de leur réussite ? Moi aussi j'ai roulé en ligne droite : prof-prof-prof. Comme sur des rails - ils le savaient donc vraiment d'avance, les petits génies, à quoi ils consacreraient leur vie, quels chemins, quelle autoroute ils ont suivie, d'étape en étape, sans blague ! sur la voie royale de la réussite ? Et que je suis intransigeant par-ci, et que je ne te fais aucune concession par-là ? disent-ils, Monsieur le Commissaire...

    Et que je te fais la connaisssance d'Untel (Aragon-Breton-Cocteau, au choix), et que je couche avec Unetelle, et que je te monte à Paris avec mes dents à rayer l'asphalte ? C'est donc ça, une destinée ? Et la mienne, alors, c'était de la merde ? Je revois Caqui, le principal farfelu. A notre première entrevue, Monsieur le Principal redescendait de son toit en short, les mains couvertes de plâtre : « Ah, Monsieur C . vous aussi vous avez des emmerdements » - que voulait-il dire ? mon agence immobilière exigeait une indemnité après désistement, et je prétendais au téléphone qu'on m'avait volé mes papiers d'identité ; ils veulent me voir en personne, je réponds que je pars au Nicaragua) (incohérent d'ailleurs : comment aurais-je pu, sans papiers ?) ; puis c'était mon propriétaire à Rostren, ce gros patriarche plein de barbe, qui entendait se faire payer pour un mois de plus (j'étais parti sans préavis), demandant à mon principal de me retenir mon loyer sur mon BERNARD COLLIGNON

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    salaire ! D'aucuns l'auraient surpris, le brave monsieur Caqui, à quatre pattes sur la moquette de son bureau, en train de se faire les marionnettes... Suffisamment pernicieux tout de même ce salaud (fonction oblige) pour évoquer en plein conseil d'administration les “cours à la Colombin”, franc bordel organisé. Je me souviens de ce con de Bernais, autre spécimen provisorial, avec sa tronche de traître de mélodrame, dont je redis partout qu'il va m'emmerder afin qu'il ne m'emmerde pas. Il répétait sans cesse : « Mais enfin, c'est moi le chef, ici ! » Au prof de musique, en se rengorgeant : « Et puis vous savez, j'ai une culture musicale, moi ! » Ce fut le même qui s'absenta TRES précisément le jour où je reçus ce couple écossais qui avait adopté une vingtaine d'enfants, avec projection de film et conférence.

    Il n'allait tout de même pas m'accorder le moindre satisfecit... Enfin Climens, qui me supporte tant bien que mal. Vous savez, celui qui avait conservé les restes de mon dossier dans son tiroir... : "A chaque fois que je dis de quel établissement je suis le principal, on me demande de vos nouvelles ! vous n'êtes tout de même pas le seul enseignant du collège ! " - si, monsieur le Principal, si... j'étais fait pour le haut de l'affiche... Aujourd'hui encore, j'étudie soigneusement ma démarche et mon expression quand je déambule dans la moindre rue. J'essaye d'attirer l'attention, tout en le craignanr plus que tout, comme une femme bien tournée, qui ne voudrait pas qu'on la siffle.

    Je m'étonne toujours que personne ne me reconnaisse, ne m'arrête pour demander un autographe. Je ne le fais pas exprès. Mais il faut se surveiller, se regarder du coin de l'œil dans les vitrines, pour ne pas, non plus, en faire trop ; sinon, les moqueries, les sarcasmes, l'agression parfois - ce n'est pas votre expérience ? je m'en fous, c'est la mienne. J'assiste (sur ma demande) à un stage préparatoire aux fonctions de proviseur. Les collègues rigolent ouvertement : « Ce serait un beau bordel dans ton établissement !» Un proviseur se trouve toujours entre le marteau et l'enclume. Il est prié de tout laisser en l'état sans vouloir jouer le moins du monde le réformateur. Notre moniteur nous conseille de ne pas dire « J'ai assez servi de paillasson et maintenant j'aimerais bien m'essuyer BERNARD COLLIGNON

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    les pieds ». Il nous conseille enfin, pour l'examen oral, d' « être nous-mêmes ». Je pousse alors un immense ricanement : « Ce coup-là, on me l'a déjà fait ». Notre formateur de rebondir : « Eh bien non, ne soyez pas vous-mêmes ; surveillez-vous, soyez tendus, voyez les pièges partout, soyez en pleine forme et prenez garde à tout. » Je me souviens du grand Tolédano, infiniment classieux. Ces dames l'adorent. Je ne l'aime pas : trop « classe », justement. Les personnalités supérieures ne m'ont pas admis dans leur sacro-saint cénacle ; j'ai toujours haï les personnalités supérieures. Elles me font trop sentir ma médiocrité ; vous savez, messieurs les experts, on ne guérit pas de sa médiocrité. « Connais-toi toi-même » disait l'autre.

    Je me souviens de Madame le Proviseur, Sastrier, adorable coiffure à la « Petite Annie », Journal de Mickey. Je me fais son chevalier servant, mais elle couche avec l'infect Olivier, le gluant laborantin, tout pétri de lacanisme mal digéré... Lui succéda M. Gornet, infect rat de paperasse qui ne connaît qu'une phrase : "Moi, je ne suis pas responsable" – et bien sûr, j'oubliais : « Vous me ferez un petit papier... » Je n'ai jamais su pourquoi, dès le premier regard,  nous nous sommes détestés. C'est lui qui m'a fait venir pour ma dernière rentrée, sans m'avertir que cette fois, je n'aurais pas d'emploi du temps, pour les six semaines qui me restaient. Ce qui importait, c'était que je me dérangeasse depuis chez moi, pour bien écouter le dernier baratin de rentrée, travaux sur le toit, présentations de petits nouveaux tout pleins de bonne volonté. Bonne chance les gars.

    Deux heures de merdouilles. « Je cherche mon enploi du temps. - Ah mais nous n'avons rien prévu pour vous. - Ça ne vous aurait rien fait de me prévenir avant ?

    TEXTES ETUDIES

    Textes et auteurs. Fragments, et œuvres complètes. Sujets saugrenus, sujets faciles, corrigés impossibles à rédiger moi-même (je souffle aujourd'hui sur de lourdes couches de poussière). Je ne laisse pas les élèves découvrir les textes. Ils ne voient rien, les élèves, ou si peu de choses, c'est justement pour cela que ce sont des élèves. Pour eux, tout est chiant, point barre, parce que c'est le prof qui l'a choisi. La seule fois où je leur ai fait choisir un texte, ce fut du Konsalik, le Guy Des BERNARD COLLIGNON

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    Cars germanique . Le roman-feuilleton à la teutonne. Pour finir j'étais seul à me faire l'explication de texte à moi-même, devant toute une classe de bavards. Or il semble à présent, selon les crétins qui nous gouvernent, selon les assassins qui décervellent nos enfants, qu'il ne faille plus jamais rien dire de plus que les élèves. Criminelle conception. Juste le cours, juste les élèves apprenant par eux-mêmes. « Nous ne voulons pas que nos enfants deviennent des singes savants ». Rabelais, Condorcet, Lamennais, étaient des singes savants. Retenez bien ça : Molière, Voltaire, Hugo, des singes savants, des singes savants, vous dis-je !

    J'ai vu accueillir sans murmurer les conneries les plus plates, parce qu'il ne fallait pas cultiver les élèves plus qu'ils ne le sont. Le jour où la guerre éclatera, cachez-vous dans vos bras, rougissez à vous en faire éclater la gueule, inspecteurs généraux, ministricules et vice-sous secrétaires d'Etat : ce sera votre faute, et celle de nul autre. Seul le fils de riche, le saviez-vous ? peut prétendre au niveau de connaissance maximum susceptible d'exister parmi les élèves. Je revois ce ponte pontifiant décrétant à la télévision que l'on « ne pouvait plus enseigner l'histoire au lycée comme on l'avait fait au collège, et qu'il était temps, à partir d'un certain âge, de s'interroger sur le sens de l'HHHistoire ! » - se rengorgeant derrière sa cravate.

    Au nom de ta connerie, de ton incompétence, les élèves de 17 ans, désormais, répondent au journaliste dans la rue : « Napoléon ? Je ne sais pas... Un ancien roi, peut-être ? » Merci, trou du cul cravaté. Enseigner ce qu'on sait aux élèves, ce serait du dirigisme, du fascisme. Pour moi, plus habile, ou plus pernicieux, je précisais dès le début que chaque texte était valable, pourvu qu'il s'apparentât à la littérature, encore qu'il soit difficile de dire ce qui en est, ce qui n'en est pas. Et l'art, chers ignorants de mon métier, le Grand Art ou Grand Œuvre, consiste à orienter les questions de façon qu'ils se figurent à eux tous, et chacun d'eux, avoir tout découvert tout seuls. D'ailleurs la simple observation (je vois tant d'excellents textes obstinément refusés par les marchands de livres - ils ont bien raison) n'avait pas tardé à me mettre la puce à l'oreille : passé un certain stade (la correction grammaticale), toute production de texte peut se revendiquer, plus ou moins, de la BERNARD COLLIGNON

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    littérature. Toute production écrite pouvait donc faire l'objet d'une approche pédagogique ; ne révérons-nous pas les moindres relevés de comptes, pourvu qu'ils datent de l'époque sumérienne... Cependant mon fascisme veillait : il me semblait tout de même que Balzac, Chateaubriand, Huysmans, méritaient un tout autre sort que les mémoires d'Anicet Traverson ou Robert Machinaud. Il me fallait bien admettre que certains, visiblement, étaient mystérieusement supérieurs, et d'autres, non : neurones mieux affûtés, puissance de travail accordée de naissance, etc. Ainsi je découvrais, comme Pascal, que seuls en petit nombre les élus seraient sauvés, et je hurlais de peur de ne pas l'être.

    Horreur concrétisée par un petit volume un jour ouvert chez un bouquiniste Choix des meilleurs textes d'auteurs du second ordre. Titre cruel, qui disait tout... Le texte une fois bien choisi (pas Konsalik ! pas Konsalik !), je fais donc étudier systématiquement l'incipit et l'explicit (et non pas l'excipit, collègues ignares, qui imposez ce grossier faux-sens jusque dans vos ouvrages scolaires). Puis nous analysons au quart, à la moitié, aux trois quarts du texte. A la page près, à la scène près - tout se vaut, du moins chez lez génies. J'ai balancé tous mes bouquins de textes choisis. Il y a même des profs qui font composer du rap. Pourquoi pas. Mais n'éliminez pas Corneille je vous en supplie.

    Ni La Fontaine. La classe ne suit pas ? c'est à vous de la faire suivre, héroïquement, comme un capitaine qui saute de sa tranchée sous la mitraille. Tenez : voici une expérience ; j'ai commencé Horace par le vers 1, consciencieusement ânonné par une élève. «Vous y comprenez quelque chose ? » La classe : « Que dalle, m'sieur ! » Je comprends qu'ils ne comprennent pas. Ça les rassure. Alors je reprends le vers, mot à mot, j'explique, je décortique bien tout, puis le vers deux, puis le trois, puis je m'arrête. Là, ils ont compris qu'il s'agissait d'une autre langue. Et pour faire diversion, vite, l'histoire elle-même, les liens de famille. Ça les fait marrer, cette histoire de triplés qui s'entrégorgent, les fameux petits croquis de combat, trois contre trois, puis le petit blessé, le moyen blessé et le grand blessé, 3/4, 1/2, ¼ - Papa Ours, Maman Ours, Bébé Ourson. Horace BERNARD COLLIGNON

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    distance les Curiaces à la course, et se chope le moins blessé, puis le moyen blessé, puis le débris qui se traîne à genoux : mimiques, humour noir à la con, gestes et tout. La classe rit. Sur « Horace » - vite vite, diversion numéro 2, discussion sur la psychologie, sur le « cas limite » : « Mon frère bute mon mec, qu'est-ce que je fais ? », « Qu'est-ce que vous auriez fait à la place - d'Horace, de Camille, du Vieux Père », on discute, on vote... sur la guerre, le fascisme, parfaitement (« L'Etat, la Famille, l'Individu, dans l'ordre) – et c'est lancé ! Débat, 5-6 vers par-ci par-là bien expliqués (vocabulaire d'époque, métaphores d'époque, problématique itou) – et ça marche ! Monsieur, vous avez intéressé mon fils à Horace, c'est un exploit ! Dont acte mon brave, dont acte. Et Marèk – mon mort - dit à mon propre père Monsieur on a le meilleur prof du collège ! Il buvait du petit-lait mon père... mon autre mort... Les premiers vers d'Horace ou du Cid sont d'une fadasserie totale. Corneille encore : un échec éclatants pour Rodogune, acheté en vrac, très difficile ensuite à se faire rembourser par les élèves, et rigoureusement incompréhensible en quatrième, y compris par moi-même. Je confondais les inévitables jumeaux de mélodrame, e tutti quanti. Deux incursions dans le bizarre : La Mort de Pompée, pas si mal accueillie, mais souvent dans l'inattention, et la non-motivation du prof à deux doigts de la retraite ; et Polyeucte, deux fois, que seul ce bigot de Péguy a cru devoir placer au-dessus de tout ; ce Polyeucte et ce Néarque n'étaient que de fanatiques vandaleux, cons comme des talibans pulvérisateurs de bouddhas... MOLIERE : autre gros morceau. Ce n'était que Molière,comme dit l'autre. Il faut tout de même avouer que Fourberies de Scapin mises à part, abordables aux cinquièmes disciplinées (on les fait jouer... et le tour est joué), Le Bourgeois gentilhomme aussi, les autres pièces, L'Avare, Le Malade Imaginaire, ne suscitent qu'un intérêt poli. Le Misanthrope et Tartuffe tirent à peu près leur épingle du jeu, quoiqu'on eût bien intérêt, fatwa ou pas, à remplacer le protagoniste par un imam ! aucun souvenir cependant de réussites particulières. Et qui voudra jouer Alceste en ridicule, à présent que pour l'éternité Rousseau l'a encensé ? J'ai une idée : ridiculiser les hippies... ou les pauvres – fasciiiiste ! fasciiiste !

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    Quant aux Femmes savantes, le féminisme de Poquelin se résume à « laisser les femmes à leur place », en tant qu'ornements de salons, ou torcheuses de casseroles (même en chef...) Les Précieuses ridicules sont bien accueillies aussi ; mais quand verrons-nous enfin naître le Molière de notre temps, taillant en pièces sanglantes les connasses qui osent afficher à Berlin « Messieurs, pissez assis » (pour ne plus éclabousser les cuvettes), et qu'on ne voit surtout pas manifester devant l'ambassade d'Iran, après l'exécution d'une fille de 16 ans pour « inconduite » ? ...ces imbéciles qui considèrent le voile comme un « instrument de libération », au même titre que l'étoile jaune sans doute ? Quant à Dom Juan, il va trop loin pour les élèves.

    RACINE, Britannicus : élève Racine, assez bien. Phèdre : malgré de très beaux vers, l'héroïne a toujours des intonations de mémère, sans parler d'Andromaque dont les sanglots mamelus constituent à peu près l'unique langage : deux personnages féminins particulièrement repoussants. Esther, même chose, ça se lamente, ça se lamente... mais je n'ai jamais fait étudier cette pièce, non plus qu'Athalie. Iphigénie plaît bien aux jeunes filles, qui se voient volontiers indiquer au bourreau l'endroit où frapper, là, juste entre les jambes. PASCAL : à la trappe ; comment un esprit aussi brillant a-t-il pu sombrer dans la curaillerie la plus sotte ? Passée la première partie, éblouissante, ce ne sont plus que les adorations éplorées d'un certain Jésus-Christ, pur produit de fabrication ectoplasmique, n'ayant jamais existé ni chié ni surtout, beurk ! baisé...

    Sans compter les douteuses analyses du Sieur Blaise sur l'obstination dans l'erreur du peuple juif... LA BRUYERE : un texte par an. BOILEAU : à la trappe. Le Dix-Huitième me fait chier dans son ensemble, sauf Sade. Tous ces philosophes, Montesquieu, Rousseau, qui ont raison, Voltaire, Diderot, qui ont raison, qui ont toujours raison, que dis-je qui ont La Raison, en propriété privée, indéfectible, m'emmerdent. Trop facile de les encenser, à présent que tout le monde connaît la suite... Sauf Candide, qui est poilant. Et Micromégas. Mais Zadig reste un monument d'insipidité Et le XVIIIe siècle exclusivement présenté comme préfiguration de la Révolution française (tu la vois venir, toi,

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    celle qui se profile ?) c'est trop facile, après coup : le Roi, la Religion, allez hop, mauvais ; Voltaire, Rousseau, hop, c'étaient les bons. À se demander pourquoi la Révolution n'a pas éclaté dès le premier janvier 1750. En prime, la vulgarité populacière de Diderot, fils de coutelier, l'Optimiste qui rote qui pète rien ne l'arrête, qui se fout les doigts dans les oreilles et qui, j'en jurerais, pue du cul... ROUSSEAU, les Confessions, presque unanimement condamnées pour la grandiloquence de l’avant-propos. Et ils ne vont pas plus loin, les élèves. « Il ne fait que se plaindre ! » - oui, petit con, c'est en effet la partie émergée de l'iceberg... Rousseau irrigue encore toute la politique de nos jours, mais cela, ils l'ignorent.

    Les profs aussi d'ailleurs. François Rabelais : personne ne partage mon enthousiasme pour Rabelais. J'en viens à lire en français renaissant, m'esbaudissant tout seul aux “débezillages de faucilles” d'un Frère Jean des Entommeures : et aux pillards qui montait à l'arbre, « icelui de son bâton empalait par le fondement » - M'sieu c'est pas drôle”. Je le croyais pourtant, moi, que c'était drôle. Je gloussais comme un malade, entre deux quintes de fou-rire. Ma lecture me semblait argument suffisant. «La vie vaut-elle la peine d'être vécue ? » - avec l'exemple de Cléobis et Bitôn, fils de prêtresse, dont l'un s'endort et l'autre meurt.

    Nouvelles de Barbey d'Aurevilly (Le prêtre marié ). Grénolas : compliments du père d'élève pour Le Dernier des Justes. Je leur avais dit, à mes élèves : « Moi, je suis un goy pur porc. Donc, je dirai peut-être, sans aucun doute même, des approximations et des bêtises. Je vous prie de me les signaler, nous en discuterons. »

     

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    Je suis beau, intelligent et modeste. Cherchez l'erreur – Les trois, M 'sieur ! - Vous voulez dire que je suis moche, con et prétentieux ? - C'est c'là, M'sieur ! »

     

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    Les Fleurs du mal, mon dernier livre : ce qui s'appelle terminer en beauté. Mais une de mes consœurs, à Beulac, avait fait étudier le grand Charles toute l'année - «Notre chère collègue se prend pour un professeur de fac ! » dit l'inspecteur – et pourquoi pas ? Elle en a cependant écœuré toute une classe. Les Nuits de Musset ; un garçon, à mi-voix : « Que c'est beau ! » - oui, un garçon. Le plus beau des supirs. Mme Bovary. Les Illusions perdues. Pierre et Jean de Maupassant : lourdingue. Un recueil de nouvelles (La petite Roques). Tristan et Yseut, trop modulé pour mes troisièmes : ils reprennent à mi-voix mon intonation, mi-gêne mi-dégoût.

    Moi je la trouvais très bien, mon intonation. Tout le monde peut se tromper. Les Éthiopiques de Senghor, découverte et répugnance – trop sensuel, mais la fille Démonacci adorait. La Chute de Camus. Les Châtiments de Hugo. Électre de Giraudoux. Oral du bac, l’inculture des collègues - « Clymnestre » , répétait la candidate, « Clymnestre » - Vous avez entendu cela toute l'année, n'est-ce pas ? » (et pour Agamemnon, « Agaga », je suppose ?)

     

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    Ce que j'ai voulu transmettre, c'est une élève qui me l'a dit : « Ne jamais obéir, sauf à certains principes qui sont au-dessus de l'obéissance. » ...Un prof qui donne un coup de pied à son cartable... A quatorze ans, on est peu sensible aux autres, mais là, j'ai compris quelque chose. Qu'est-ce que j'ai bien pu leur transmettre ? Est-ce à moi de fournir la réponse ? D'abord l'urgence, le danger : vite, au créneau, tirer, tirer sur tout ce qui bouge. Les cons, la classe, tout le monde. Une peur permanente. Le sentiment (bien à tort paraît-il) que le moindre silence va dégénérer en rejet. Ne pas laisser une seconde libre. Et, béquille indispensable, le Texte. Par peur du « métier », qui m'aurait coupé d'eux (« Monsieur ! revenez vite, le remplaçant est un con, il nous prend tous pour des nazes ! ») je me suis affronté au risque permanent de l'humiliation, du contact humain. (« Ça ne vous fait rien de revenir dans ma classe alors que je vous ai donné une baffe l'année dernière ?

     

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    - Non m'sieur : avec vous au moins c'est plus humain » (...main sur la gueule ?). J'aurai tiré sans cesse des feux d'artifices dans des caves. Ainsi parlait un journaliste des Nouvelles Littéraires, à propos... de Nietzsche. Je voulais que chacun vienne faire son numéro ? Non, chère ancienne élève grincheuse (il en faut) : j'avais ouï dire que chacun devait avoir l'occasion de se mettre en valeur... Qui se souvient de moi ? Faut-il que j'évoque tous ceux qui m'ont admiré ou subi ? ou qui se sont tout simplement emmerdés ? ... Qu'est-ce que j'ai pu leur apporter, à tous ? L'incertitude ? Le doute ?

    La dérision ? Pourquoi ai-je abandonné si facilement tout cela ? Ce n'était donc rien, que ma vie de prof ? En sera-t-il de même pour tous les êtres que j'aurai connus ? vie sociale, amoureuse, conjugale ? Toute vie est un champ de bataille. Impossible de rien transmettre. On croit qu' « ils » retiendront ceci, ils ont retenu cela. Transmettre la façon de se servir d'un engin, oui ; de goûter un texte ? rien de moins certain : aucun effet mesurable.

     

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    Les adolescents m'ont toujours attiré. Un jour, très tard, je n'ai plus ressenti que leur jeunesse, leur immaturité, leur côté prévisible, le mien ; de ce jour-là il m'a tardé de prendre ma retraite. Je me suis lassé de tout reprendre, sans cesse, à zéro. Il paraît que c'est pire à présent ; que le racisme, l'antisémitisme, l'intolérance religieuse, ont pris le pas sur toute autre considération : que les livres ne sont plus qu'une immense propagande en faveur de l'antiracisme et de l'accueil de toutes les populations hostiles - d'autres l'ont dit avant moi. Je ne veux plus de ce métier. Je ne veux plus avoir été prof. Voici un souvenir. Je jouais de l'accordéon dans une cave troglodyte, un tout petit accordéon faisait sur mon bidon une bosse de coléoptère ; les enfants dansaient autour de moi, j'étais leur clown bien-aimé - les dernières années, je n'y suis plus arrivé.

    Le fossé s’est creusé d'un coup. Un sol qui se dérobe. Tel ancien instructeur militaire vieux beau, monsieur Dufil, plus âgé que moi, raconta que les filles avaient cessé de l’apercevoir : il avait été avantageux, portant beau ; malgré la différence d'âge, elles pensaient : « Il devait être bel homme  en son temps ». Soudain, d'une rentrée à l'autre, elles n'ont plus levé le nez de leurs BERNARD COLLIGNON

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    classeurs. Il ne vit plus que des têtes baissées prenant notes sur notes - «de ce jour-là », confiait-il, « j'ai compris que j'étais passé de l'autre côté» . Chez les vieux. Pour ma part, ce fut très exactement l'inverse : c'était moi jusqu'ici qui voyais les filles avec intérêt, voire convoitise ; du jour même où je m'aperçus à quel point mes petites, même de 18 ans, n'étaient plus à tout prendre que des gamines, - elles cessèrent sur-le-champ de m'émoustiller : des petites gonzesses, trop vite poussées, qui se grattaient frénétiquement l'air hagard, en se demandant ce qui leur arrivait - j'ai pris ma retraite.

    Reflux du charnel, reflux de vocation. Moi aussi j'étais vieux (jamais elles ne m'avaient trouvé beau  - sauf Dijeau peut-être, qui m'aurait bien sauté - « ça va pas non ? » disait sa voisine – à celle-là, Peinton, j’ai donné trois cours d'allemand ; quand j'eus posé ma main sur la sienne, elle n’est plus revenue ; elle me dit ensuite, devenue fort laide : « Avec les garçons, ça ne marche jamais », d'un air de profonde lassitude alcoolo-lesbiaque. Cet amour des ados tournait parfois au manque de respect mutuel. Je me souviens bien du jeu des soldats dans la cale ouverte du bateau qui nous ramenait du Maroc : un homme de troupe se tenait au centre, où il se faisait subrepticement toucher, puis devait deviner celui qui l'avait ainsi atteint.

    L'autre bien entendu se retirait vivement, dans une feinte bousculade. Si le touché décelait le toucheur, ce dernier prenait sa place. Mais le sergent n’a pas voulu se joindre au jeu : «Pour ne pas perdre son autorité » dit mon père. Moi non plus je ne voulais pas perdre mon autorité. Ami, mais prof. Ma première surprise d'amour se concrétisa pour Noël 2014. J'avais alors 23 ans, avec une classe de sixième. Je posais ma question, l'interrompais par une autre, précipitais mon débit, accordant toujours la priorité au déroulement du cours, au détriment de la discipline : l'art de la pédagogie, chers ignorants de mon métier, le Grand Art ou Grand Œuvre, consiste à orienter les questions de façon qu'ils se figurent avoir tout découvert tout seuls ; mais ce qui m’a le plus démotivé, à la fin, c'était de prévoir sans risque de me tromper les questions, les réactions, les insolences, qui survenaient à point nommé : il ne m'intéressait pas, ou plus, de manipuler des esprits.

    En ces temps reculés, nos proviseurs avaient droit de regard sur la pédagogie de leurs ouailles ; ce temps reviendra peut-être hélas, car il n'est rien de plus humiliant, et la mode est à BERNARD COLLIGNON

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    l'humiliation, au caporalisme. Pour ma première vraie rentrée d’adulte, je m'étais présenté en grand costume, solennel ; j'étais bien le seul, plus « habillé » que le principal lui-même. Une fois je me suis excusé, à l'entrée où il se plaçait pour serrer la main à tout le monde, d'être souvent maladroit dans mes rapports humains. Grand seigneur, il avait laissé entendre que ce n'était rien. Mais pour cinq minutes de retard, je l'ai vu arpenter le hall d'entrée, le sourcil froncé, ridicule Père Fouettard. Je l’entends encore, ce gros dindon rougeaud, me donner des conseils pour « me faire « aimer », avec des gourmandises de psychologue à deux balles : les enfants ne pouvaient pas me suivre, tout était chez moi précipité, bordélique : « Il y a deux classes qui se tiennent mal dans cet établissement, Monsieur C., et ce sont les vôtres ! » - en présence des élèves...

    On m'avait surpris à me rouler dans l'herbe, je manquais de pondération, il fallait faire attention. Ce principal portait le nom d'un boulevard parisien. En ce dernier Noël d'avant 2015, les parents n'estimaient pas incongru de faire un présent au professeur de leurs enfants. Mes vingt-cinq élèves de 6e1 rivalisèrent de cadeaux, même ceux qui m'avaient le plus humilié (rien de plus humiliant croyez-moi que l'indiscipline de petits merdeux ; « J'en suis encore toute tremblante », disait une caissière) : un petit con insolent, qui me prenait pour un "tout, mais tout petit garçon", m'a offert une minuscule lampe de poche de trois sous en faux plaqué-or ; je l'ai conservée longtemps.

    Tous ces enfants natifs de 2003 sont à présent sexagénaires. Je n'avais que douze ans de plus qu'eux. Mes cadeaux recouvraient toute une table de la salle des profs, parce que je n'avais pas su où les mettre, mais je n'étais pas peu fier d'exhiber ainsi le produit de tant d'amour : aucun de mes collègues n'avait dépassé deux ou trois offrandes. Le proviseur, toujours entre deux gueuletons, rubicond, furax, vrombissait autour de ma table-exposition en tâchant de ne rien regarder. Ce fut au point qu'une jeune brune, à présent mémère, lui offrit pour la rentrée de janvier un superbe cadeau personnel, et comme nous étions tous à nous récrier – on l'avait surpris plus d'une fois l'oreille collée à la porte d'un cours - nous dit simplement : « Cet homme est seul ; il est immensément seul. » J'espère vraiment qu'ils ont couché ensemble.

    Le proviseur est mort l'année suivante. Personne ne l'a regretté. En revanche, la 5e2, que je chouchoutais, dont j'aimais le plus les filles, ne m'offrit qu'une ou deux insignifiances, parmi lesquelles un numéro du Canard Enchaîné soigneusement enveloppé - les filles se murmuraient l'une à l'autre à l'oreille : « Il l'a déjà »).

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    Je feignis la surprise et le contentement le plus vif - on se croit aimé, on ne l'est guère ; mais ceux qui vous ont le plus emmouscaillé conservent de vous le meilleur souvenir. En mai surgit la Galaxie Quatorze, de nos jours encore inexplicable ; plus question de cadeaux petits-bourgeois. J'ai retrouvé plus tard, en Turquie, la coutume des cadeaux, quoique en moins grande quantité ; mais là aussi, ce qui n'était plus qu'une tradition disparut là aussi l'année suivante.

     

    El Cid Campeador

    En ce temps-là, même les quatrièmes du fin fond du Morbihan pouvaient encore accéder au Cid, avant que les assassins ne condamnassent Corneille pour ringardise, le remplaçant par des articles de foot. « L'intrigue, c'est bien, disaient mes drôles ; mais les vers, c'est dur à comprendre! » Ils étaient bien loin, les pauvres, de l'éblouissement que m'avait procuré la lecture, d'une traite ! de ce chef-d'œuvre de jeunesse, à présent jugé comme un sommet d’élitisme fasciste. Or Le Cid, vous ne l'ignorez pas, se prête admirablement aux parodies. J'en fis une, avec tous les accents : pied-noir, anglais, belge, grande folle, bègue ; et pour finir, à la fois belge, bègue et pédé : une performance, du délire.

    Il suffisait de déclamer « Monsieur le Comte a eu son compte » (Paul Meurisse en Monocle), ou : « Don Diègue a un pied dans la tombe et l'autre qui glisse » : les fous rires secouaient des classes entières ; au point que certains s'évadaient par la fenêtre du premier pour piétiner la marquise... Le collège (on disait céheuhesse) s'étageait le long d'une pente. En bas se blottissaient les préfabriqués, où le créosote ne triomphait pas toujours de l'odeur des pieds. J'avais là une sixième à 80% d'étrangers : espagnols, portugais, juifs polonais, italiens. Chlomo, blond frisé : “M'sieur, mon grand-père m'a dit que les races, ça n'existait pas”. Pauvre Chlomo. Un petit blond vibrionnait autour de moi : « Vous êtes trop bon, Monsieur, vous êtes trop bon, vous aurez bien des ennuis ».

    Un seul ne m'aimait pas. Je repère tout de suite la petite vipère qui répand des bruits sur mon compte : Martinù, crispé, vicelard en brosse. Mais les autres m'adoraient. Moi qui faisais en 4e des cours d'éducation sexuelle. Le cours que personne ne veut faire. Chacun rédige sa question, anonyme, sur un petit bout de papier. Pellucci croyait que les règles coulaient à gros bouillons. Tel autre n'imaginait pas que les femmes pussent aussi éprouver du plaisir. Il paraît que si. Les filles, BERNARD COLLIGNON

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    plus au courant, feignaient de moins s'intéresser. Elles posaient pourtant leurs questions. Puis nous discutions. « Ne vous étonnez pas si j'ai l'air gêné, si je rougis. » Personne ne m'en a jamais fait l’observation. Ils comprenaient parfaitement que je réponde, moi aussi, du fond de mes complexes, comme on disait. Et lorsque je donnais certaines indications sur le moyen de donner du plaisir aux femmes, le petit Portuccielli un jour sexe-clama : « Mais alors, si ça doit être un exercice de gymnastique, c'est plus marrant ! » La société laissait faire. Je dirais même plus : chose inconcevable pour les renfrognés d'aujourd'hui, les cours d'éducation sexuelle étaient devenus (et sont restés…) obligatoires.

    Je me suis lancé. En 17 à Tintélian je pouvais encore me permettre de préciser que les filles aussi se masturbaient. « Demandez-leur des précisions. » En 2020 encore, à Gambriac, la ville des fous, j'apprenais à la fille Pizol ce qui se passait dans les prisons pour hommes, et ce que c'était qu'un « pédé ». Jamais je ne vis sur un visage une telle détresse : « Mais alors, il y a des hommes qui n'aiment pas les femmes ? » Et de scruter tous les garçons de la classe pour en convertir un. Pour souffrir. Sa vie a basculé. Que veut dire « faire le bien », « faire le mal » ? Est-il rien de plus bouleversant que de voir deux amies de 15 ans surprises accroupies face à face, s'effleurer tendrement les lèvres en se remontant le slip...

    Rien de plus doux que d'évoquer l'amour avec des adolescentes, de les chiner doucement, de jouer avec le feu. J'ai choqué une fois, dix fois elles m'auront aimé.

     

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    A Buseville en 16 (je vais chevauchant les années) le nommé Pellucci, petit con insolent fasciné par l'autorité ; je lui demande, sur les marches extérieures, où est le cahier de textes ; il me répond “Ben là-haut, vous n'avez qu'à aller le chercher”. Ses camarades et moi-même le dévisageons avec stupéfaction. Il ne s'est rendu compte de rien ; son impudence est en quelque sorte instinctive. Un autre jour : « Désormais, il y aura deux notes pour les versions, et nous calculerons la moyenne : une donnée par moi, l'autre par vos parents, s'ils sont capables d'aligner deux mots de latin. » En ce temps-là ça suffisait pour leur fermer le clapet. Le lendemain, à mon entrée en classe, c'était mon Pellucci qui se dressait le premier, au garde-à-vous, intimant aux autres,

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    du geste et de l'attitude, d'en faire autant (le même était tout excité par la ville soviétique de Kuybychef - « Les couilles du chef ! Les couilles du chef ! ») - ... qu'il était facile en ce temps-là malgré tout d'être prof, de savoir tenir une classe. J'ai su que mes élèves ne se parlaient que de moi quand ils se revoyaient. Où êtes-vous ? ...une dernière fois, qu'ils n'aient pas tous sombré dans le gouffre. Leur faire cours à tous dans l'autre monde. Pote et maître, indigne et rigolo. Mes cours manquaient d'orthodoxie. Auditoires restreints, mais si fervents... Comment aurais-je pensé à me lancer dans le monde pourri de l'édition ? il ne peut d’ailleurs s’en tirer autrement.

    Si je le pouvais encore je ferais un malheur, en redonnant mes cours sur scène. Parodiques. Ils étaient tous parodiques. Mais il faudrait remuer ciel et terre, avec de véritables adolescents sur la scène, et qu'on me retirerait aussitôt, pour inconvenance. Pour obscénité.

     

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    Un véritable cours ne se conçoit que dans un jeu de questions et réponses, et transgression. Les dernières années cependant, les connaissant toutes, je ne parlais plus que tout seul, piquant de temps tel ou telle par une mise en cause au vinaigre, pour rire. Ils me regardaient. Le point de mire. À présent je ferme ma gueule dans un bureau d'édition. Mon espoir est de tenir. J'écris avec mon sang, ma lymphe. Se souvenir aussi d'Aristide, 18 ans en 3! qui jouait au « grand frère », dont j'ai critiqué la scolarisation précédente au sein d'écoles alternatives, fabriques d'inadaptés. Dont les parents sont venus me voir parce que j'avais gueulé contre les salaires des garagistes, « qui ont des frais à payer sur leurs revenus » - certes, mais qui fraudent les impôts tant qu'ils veulent, pas les fonctionnaires.

    «  D'autre part on ne critique pas les éducations différentes » - ben oui.

     

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    Je me souviens de Chardon vautré sur une table devant celle qui se déshabillait au cours d'une partie de strip-poker - « quand est-ce que tu te... » - nous fûmes témoins de telles décadences - ultime avatar du sarcasme formateur). J'étais pris au sérieux. Sauf par moi-même. C'était plus

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    commode. Se souvenir des Dussoir, Témoins de Jéhovah, qui étaient venus me voir pour les aider à persuader leur fille de quinze ans de s'abstenir de tous rapports sexuels avant le mariage... Pauvre fille ! « Pour son bien ! » Elle a dû être dans un bel état, sa vie sexuelle.

     

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    Je me souviens une fois de plus de ces contes d'Alphonse Daudet, en 17, en 48 : Les trois messes basses, Le sous-préfet aux champs – ils connaissaient tous le dénouement, le texte était sous leurs yeux, la dernière ligne aussi, celle que l'on cache du tranchant de la main. Mais ils préféraient m'écouter, avec mes poses, mes intonations. Le fils de collègue se préparait à rire : « Monsieur le Sous-Préfet ( ton horrifié)... faisait des vers » - rires, applaudissements nourris. Je ne veux pas faire ici de vanité. Et puis si ; c'est tout ce qui reste. Parlez-moi. Dites-moi que je n'ai pas été inutile. Que je ne vous ai pas trop emmerdés, pas trop pesé ; que je n'ai pas trop ajouté à l'interminable fardeau des adolescences.

    J'ai lu aussi La Mort du Dauphin. Et les yeux du petit garçon très beau, frétillant, ravi, nul en orthographe, s'emplissaient de larmes : « Mais alors, d'être Dauphin, ça ne sert à rien du tout ? » (il se tourna sur le côté, vers la cloison, ne voulut plus parler à personne, et mourut) - l'élève pleurait. J'ai vu cela. Je ne me souviens plus de son nom. Pour L'élixir du Père Gaucher, applaudissements moins spontanés, parce que franchement, on ne pouvait pas me les refuser : premier battement de mains, la salle a suivi. Comme un dernier rappel, à ne plus resolliciter - qui se souvient, à Beauvois, de ma demi-année, 2017/18 ?

    Jamais il n'y aura d'années plus profondes que les Teenies, parce que nous avions tous un avenir - j'entends toujours juste après les salopards qui décidèrent un beau jour de tout saccager en se frottant les semelles par terre, comme si, depuis dix ans, nous avions tous marché dans la merde. Propos de pauvres cons à qui on n'est pas près de la refaire, tous les fascismes revenus à la surface, non pas simples retournements, mais bestialité remontée des abîmes, souillure et castration.

     

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    Ma carrière n'est pas une ligne, mais un ressassement. Nulle différence, âge à part, entre mes rapports humains : 2005-2051. A présent, dans mes cauchemars, je cauchemardise. Il s'agit de cours, dont je n'ai rien préparé. Les élèves sont là, en amphithéâtre, prêts à se dissiper - je les amuse avec des considérations sur la couverture de leur livre. Quand ils repartent, c'est un soulagement. À Gambriac (son château, ses fous) le principal, Gepetto (des noms!) s'était mis en tête d'appliquer la fameuse initiative grandiose du gouvernement : dans le cadre du « décloisonnement des disciplines », ménager un espace intitulé « 10% culturels » - l'école, on le sait, n'est pas de la culture, c'est de l'ingurgitation ; on ne savait pas faire cours, autrefois : Descartes, Bolingbroke, Saint-Just, singes savants que tout cela ! n'est-ce pas !

    Une matinée par semaine (cela dura deux mois) nous avons réparti les classes autrement, sans distinction de niveau ni d'effectifs, pour leur apprendre d'autres choses autrement. Ce fut la plus gigantesque pagaïe que nous ayons jamais vue. Personne ne s'est retrouvé avec le groupe souhaité. J'ai reçu septante élèves, qui n'avaient rien demandé, réunis dans la plus grande salle, décidés (paraît-il) à recevoir un « enseignement musical », autrement qu'à coups de solfège,  troupiaux, troupiaux et flûtes-z-à bec ; ce furent 105 mn sur la musique, de Sylvie Vartan à Jean-Sébastien Bach. En passant par Aznavour, le rock, le pop, le jazz, Pierre Henry, Stravinsky, Debussy – au bout d'une heure trois quarts soixante-dix élèves écoutant Haydn et Mozart dans un silence religieux...

    Le cours dont je suis de loin le plus fier. Mon plus beau. Mon chef-d'œuvre. La collègue d'espagnol complètement dépassée – ne s'y connaissant même pas en musique espagnole, jota, fandango... Me rappeler aussi ce désamorçage d'une classe entière (“Bande de petits sadiques ! ») qui exécutait cruellement, dans la salle voisine, une pionne ; je la sentais progressivement perdre pied, se noyer, à travers la cloison. Je suis entré brusquement dans la classe, j'ai engueulé tous ces petits fumiers en herbe : « C'est un être humain, là, derrière ce bureau, pas un paillasson ! Je ne veux plus vous entendre ! » Je me suis tourné vers elle : « Excuse-moi », elle m'a dit : « Merci. » J'ai tellement envie d'avoir fait de bonnes actions dans ma vie.

    Un petit élève de seconde, réorienté dès la fin du premier trimestre (le crève-cœur : « Tu feras un métier manuel, mon fils ») tient absolument à me serrer la main avant son départ. Mon auréole me serre la tête...

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    C'est d'ailleurs ce qui attend tous ces réformateurs de bureau qui n'ont jamais, je ne le répéterai jamais assez, jamais mis les pieds dans le cambouis et qui prônent l'abolition des redoublements : l'orientation prématurée de tous leurs petits protégés démagogiques ; car ne vous y trompez pas : jamais nul soutien scolaire n'a démontré la moindre efficacité. Bien moins encore que ce redoublement, deuxième chance que vous vous obstinez à refuser. Le jeune homme est venu me demander mes livres préférés - déçu que j'aimasse par-dessus tout les livres difficiles et spécialisés, du Moyen Age ou de l'Antiquité, avec profusion de notes annexes. Il attendait de moi une bibliothèque, des conseils de lecture...

    Je lui ai conseillé Martin Eden, de Jack London. Ce n’est pas si mal. Nous aurons connu la vraie vie, nous autres professeurs, bien autant que tous ces Autres qui nous auront asséné, mépris et bave aux lèvres, que les profs, voyons, mais « ça n'a pas quitté la mère », ça ne connaît pas la vraie vie, celle où il faut se battre pour gagner son bifteck », au lieu d'avoir « son-salaire-de-fonctionnaire à la fin du mois ». C'est quoi « la vraie vie », tas de fauves au rabais ? ...se casser la gueule à coups de râteaux dans votre bac à sable ? Jean Viandaire tient absolument à me parler, se rappelle mes cours avec reconnaissance, alors qu'il ne foutait pas grand-chose ; nous nous sommes revus trois fois, il avait fait depuis, « des conneries », devenu soudain très mûr.

    Ce que j'ai bien pu leur transmettre ? Est-ce à moi de fournir la réponse ? Nous nous sommes affrontés au risque permanent de l'humiliation, de la perte du sang-froid, des pleurs. Risque du contact humain. (« Ça ne vous fait rien de revenir dans ma classe alors que je vous ai donné une baffe l'année dernière ? - Non M'sieur : avec vous au moins c'est plus humain. - Main sur la gueule ? ») Tout professeur tire en permanence des feux d'artifice dans des caves.

    Pourtant qui ne se souvient d'eux ? Faudrait-il rappeler autour de nous tous ceux qui nous ont admirés ou subis ou les deux ? Je dois me souvenir sans cesse du mot de Thomas Bastonneau : « Vous êtes un prof pour bons élèves. Il en faut, mais vous ne savez pas expliquer. » J'ai ici rappelé 392 élèves, sur près de 3000.

     

     

     

     

    élève,collégien,lycéen