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Le Singe Vert IV

Chapitre unique

COLLIGNON HARDT VANDEKEEN

LE SINGE VERT -

DER GRÜNE AFFE

T. IV

 

s 41 à 52

“Quelle admirable invention du Diable que les rapports sociaux !

FLAUBERT

Lettre à Louise Colet du 22-7-1852

 

 

Dans un lointain numéro Treize, en vente nulle part, j'émettais la vile hypothèse de tenir les conférences sur l'enseignement du latin – carrément – en anglais. Eh bien c'est presque fait . J'ai reçu une convocation en langue anglaise pour le concours général – du coup, d'indignation, j'en ai oublié d'inscrire ma championne de latin – trois fois de suite les mêmes références, toutes enrobées d'anglais par l'inévitable internet. Or, qui défend paraît-il le latin en France ? Un vieux club de vieilles filles geignardes qui vont bataillant dans leurs oripeaux déglingués – mais s'y prenant de façon tellement ringarde et revendicative qu'elles font chier tout le monde du haut en bas du ministère, et je retrouve là-dedans une espèce de faune vieillotte et plaintive, qui demande des rendez-vous chez des sous-fifres qui les leur refusent ou le leur repoussent sans cesse : « Quand serons-nous enfin débarrassés de ces vieilles peaux ? » Et face à toutes ces tronches de chiens battus, j'avais envie de crier d'une part qu'il faut se révolter au lieu de la jouer profil bas et légaliste, et que ça faisait belle lurette que je donnais des cours de grec clandestins sans passer par les fourches caudines de Dieu sait quelles administrations qui forcément se foutront de notre gueule à nous autres hellénistes et amants de la vieille Rome.

J'avais été d'autre part sur le point de les traiter toutes et tous (quelques hommes égarés parmi ces bouilles d'obstruées de la chatte) de ringards et de croûtons moisis : « Vous ne voyez donc pas que pour faire moderne, up to date, vous devriez faire toute la conf' en anglais ? » Seulement comme l'humour n'est pas la première qualité de toutes ces vieilles, je suis sûr qu'elles se seraient toutes entreregardées d'un air navré en disant : « Ma foi it's true ! Qu'est-ce qu'on est con-connes! Let's begin ! » Promouvoir la culture latine à travers la langue qui y est la plus hostile, la plus imprononçable, la plus rebelle aux sons de la romanité !

McDonald au secours du latin, help ! help ! Je me suis sali la glotte avec un Big Mac à la merde molle ! Ah bêêêrk ! Ces salauds nous confisqueront tout, de Blanche-Neige à Notre-Dame de Paris en passant par le Mardi-Gras halloweenized Unlimited ! Est-ce qu'il va falloir que tout passe par this fucking english moulinette ? Déjà, sans anglais, plis un seul ouvrage sérieux en médecine, en physique, en chimie, ni en biologie ! Mais my dear Monsieur Ducercueil, vous ne voudriez tout de même pas qu'on traduise ! Si vous voulez faire des études, apprenez l'anglais, l'anglais, l'anglais ! Même pour faire du latin, c'est dire ! Consultez voir la bibliographie de – je ne sais pas, moi - La Nature, De Natura rerum, par Lucrèce, vous ne trouvez plus que des ouvrages in english, des thèses in english, printed in Oxford, printed in Chicago ! Les Ricains nous rattrapent et ils nous retournent !

Ah, ce sont des ignares : bien sûr, même qu'ils nous ont confisqué les lettres classiques... Style Chin-Tock au Tibet, tiens... Ou les Japs avec les Aïnous du Hokkaïdo : fini les autochtones ! The natives ! Nous nous laissons bouffer par excès de scrupules, de respect des lois. Sans transition, voir Vivendi qui promeut paraît-il des films contestataires, au rayon conntestéisheun, de même que les Etats-Uniens relèguent Proust en section gay books ! - le « reste » de Proust, à dégager... Je m'étrangle ! Des points de suspension partout, et je n'imite pas Cilaïne you fucked bastards ! Dans l' Atlas juif, admirez la transition : que des titres en anglais dans la bibliographie, édités en Amérique, sous prétexte que la plupart des juifs de nos jours sint de langue anglaise, dehors le français !

Sans parler de l'hébreu, certes, mais ces ouvrages hébraïsants ne pourraient-ils pas avoir été traduits en français et non pas encore et toujours dans ce putain de bordel de Jéhovah d'anglais ! Ça-ne-sert-à-rien-d'être-grossier – Mais si ! Si ! Il n'y a plus qu'en cassant des abribus et en caillassant des cognes que tu obtiens des crédits ! au prix où sont payés les traducteurs, ça ne va ruiner personne... Vous avez déjà vu des réformes urgentes votées par des assemblées démocratiquement élues, vous ? Alors p... d'enc... de b... de m... pubis repetata placenta, que ceux qui ont des oreilles entendent, il faut être latiniste pour comprendre, bien fait pour vos leugueux – métallurgie, hellénisme, hébraïsme, tout en anglais !

Vous savez ce que c'est, vous, que la revue Néïtcheure ? Eh bien c'est «Nature » à la télé ! Sans oublier les magasins « Saint-George's », qui n'ont pas fait long feu dans notre beau pays, parce qu'il dépouillait les pauvres à tant par mois, des télés à crédit à dix fois leur prix : une speakerine - oups, la main dans le sac : une présentatrice – y est allée de son oxfordianisme en prononçant sèyinnt Djiourjizzz ! On dirait du géorgien, tiens... Voilà comment qu'c'est-y qu'y faut prononcer l'english, bande of ploucs, je vais vous montrer à bien dire les montres Sssssitizen, et même (plutôt allemand cette fois) le GURONZAN !! SCHEISSE !! Je ne penZe pas que RonZard serait d'accord ! La propriété du capitaine Haddock : MoulinZart, sacrilèges of my ass !et la GZARA pour XSARA tas d'abrutis ? Il y a un « X », il y a un « S » qui suit, eh bien non ! Il faut que ce soient ces enfoirés de constructeurs, ces trous du cul de pharmaciens analphabètes, qui nous apprennent à prononcer notre propre langue ! Être behahu le franké, au nom de la libertt' !

On ne touche pas au français, compris ? VERSTANDEN ? VERBOTEN ! HODFERDAM ! (pour les flamingants)... Que les autres pays, sans Académie (tous des vieux cons facho, n'est-ce pas) laissent donc leur langue se pourrir comme ils l'entendent, allez-y les français, allez-y, démolissez ! Destroy it ! Toujours cette manie des Français (« Et maintenant, allons voir comment font nos voisins », antienne télévisée (anthi-enne svp, tas d'ignares) de vouloir automatiquement imiter tout ce qui ne va pas à l'étranger, c'est toquard la France, regardez la rapidité des actions de justice en Chine ! ...Ça ne vous vient donc jamais à l'idée que le français est une langue plus fine, plus fragile, plus friable que les autres et qu'elle nécessite plus de soins, de précautions que les autres ?

Je suis allé à Lisbonne (quel exploit...) - et là-bas, que voulez-vous, ils parlent portugais, normal : une langue magnifique, chantante, chuintante, on en a plein la bouche comme du loukoum, c'est d'une douceur, d'un voluptueux inégalable ; les touristes espagnols, eux, vachement vivaces, et tant mieux. Les Italiens, tu les entends de l'autre bout de la rue, c'est un ensoleillement impérial de tout le palais et de tout le tympan – et le français ? À quoi reconnaissais-je le touriste français ? ...à sa langue mince, gracile, flûtée, distinguée, déliée, bimbelotière et presque mièvre, cassable, fragile, que même en jurant bordel de Dieu d'enculé de merde, le français a toujours plus ou moins l'air de sucer des bonbons acidulés...

Oh putaing cong qu'il faut le préserver le français, une langue d'intellos même en santiags ou en short – oh la honte des conférences tout en anglais à l'intérieur de notre beau pays !
Criminels, criminels, vous qui faites l'entretien d'embauche en anglais, ce qui est ILLEGAL ! Braves connards trop justement tatanés qui viennent de se faire bananer d'une amende de 4000 F pour avoir tenu leur conférence en anglais et qu'il n'y avait pas un seul anglophone dans la salle ! Et

qui se montraient tout surpris ! Ben ça alors ! Oui, oui, Toubon eut des tas de défauts, il envoya de l'hélicoptère dans l'Himalaya pour arranger à l'amiable une jolie petite affaire politico-judiciaire, à chacun sa connerie, seuelement, le Toubon, je lui baise les pieds, parce que sans sa loi sur la langue française, notre chanson, notre ciné, seraient tout entiers en anglais ! Gloire, gloire à Toubon, parfaitement ! Il y eut des cardiologues à Strasbourg qui tinrent leur symposium en français ! se sont fait foutre de leur gueule, mais vive eux ! En vérité je vous le dis, l'anglais est le cancer linguistique de la planète, on en crèvera tous ! Dernièrement, à la télé, nous avons découvert que 66% des Français ne connaissaient que leur propre langue : je ne les félicite pas ; seulement, savez-vous comment les reporters (les enquêteurs, soit...) formulaient leur question dans leur infect micro-trottoir ? Est-ce que vous savez l'anglais ? Ô sublimes connards, savez-vous que l'anglais n'est pas la seule langue étrangère ?

Que ces gens interrogés pouvaient aussi bien savoir l'allemand, le tchèque, l'occitan, ce qu'il ne serait jamais venu à l'idée de vos gueules de courges de le demander ? C'était vraiment utile de tourner le film Amen en anglais ? Sans vouloir me rappeler le nom de l'autre abruti, auteur d' Eyes Wide shut, qui interdit – de quel droit ? - que l'on appelle son film « Les Yeux grand fermés », cette clause figurant dans le contrat d'exploitation même ? Il n'y a donc que l'anglais pour traduire la poésie, l'absurde, l'imaginaire ? Afin de ridiculiser les anglomanes, remplacez « challenge », avec un bel accent anglais, par le mot « défi », prononcé à l'anglaise : « dea-fee », presque pas ridicule, « sleeping partner » devient « pawtenaew dowmantt » - t'as pas l'air d'un gland. Week-end disparaît pour laisser la place à « fin de semaine, ce qu'une préface de grammaire qui vient de paraître jugeait «impensable et  ridicule ».

Nulle part vous ne trouverez plus « WC », mais « toilettes », même à Duras, Lot-et-Garonne ! Et bravo à ces éditions du Bord de l'Eau qui viennent de se doter non pas d'une adresse « e-mail » (essayer, ce « l » rétroflexe est imprononçable, mais d'un « courriel », la classe ! Ah, je me fous pas mal de l'équilibre de l'awguioumenntèïcheun ! « Les langues sont des organismes qui croissent, qui vivent et qui meurent », ma grand-mère aussi, est-ce que je dois la laisser crever ? Quand tu as un bobo, grand savant, même si tu es destiné à crever, est-ce que tu ne cours pas dare-dare chez le docteur ? La mort du français est inélouctèbeul, est-ce à nous de l'accélérer ? Est-ce à moi, professeur de langue française, est-ce à toi, Bernard Pivot, de décréter que le combat est perdu d'avance, et de traiter les défenseurs de la langue française d'aimables fantaisistes ? Et quand elle va crever, ta vieille peau, comme une vulgaire langue vivante, tu ne seras pas content peut-être (j'y reviens) de courir chez un chirurgien qui te la retape et te la prolonge de dix ans, d'un an, d'un souffle ? Je suis ce chirurgien, I'm that surgeon, je me bats contre la mort, jusqu'au bout, même programmée, même indéprogrammable, vive le vie, jusqu'au bout ! « Il n'y a pas de décadence, ni d'effondrement, mais évolution et transformation, et celui qui se dresse contre l'évolution se dresse contre la vie », hey, Ducon, quand tu sera bouffé aux asticots, la vie va continuer mais la tienne fils de pute, you son of a bitch ? Faudrait p'têt' ben voir à distinguer ce qui relève de l'évolution et ce qui relève de la décomposition, de la Mort !

Mon rôle à moi, en tant que médecin, c'est de prolonger, le plus possible, l'individu appelé « Langue française » - vu ? Autre « argument » : nous sommes furieux que notre impérialisme s'en aille déclinant – et alors ? est-ce à moi, Français, de lutter contre le prestige de ma propre langue, moi qui suis sans haine, sans sectarisme, sans expansionnite, mais plein de respect ? Est-ce que je ne pourrais pas décliner tranquillement, dignement, me défendant jusqu'au bout, sans recevoir sarcasmes, outrages ou crachats ? Autre mauvais argument : la « bêêêêle langue française »: ni plus « belle », ni plus « claire » qu'une autre... « Il a vu son frère », le frère de qui ? « Nous portions des portions », « Les poules du couvent couvent », c'est clair, ça, pour la prononciation ?

Et « les filles des villes » ? J'en passe. Nous trouverons tout autant d'obscurités dans la langue française que dans n'importe quelle autre. L'allemand précise toujours bien plus que le français les phénomènes de mouvement grâce à ses particules hin, auf, hinauf, herab, herbei, usw. Jan Neruda, poète tchèque : Ta langue est à la fois la plus ingrate et la plus belle du monde. » Dans mon numéro Treize je gueulais contre la prononciation fautive « Heûûûdipe » ; un correspondant m'a fait observer qu'il valait mieux prononcer mal que de ne plus en parler du tout, eh bé t'as qu'à prononcer Youdaïpe et qu'on n'en parle plus ! Barbares ! Analphabètes ! Puisque même Laurent Teurzieuff s'y met ! « Heudipe », qu'y susurre, « Heudipe » !

...Combat dépassé ? « Tout le monde s'y met », « Il faut vivre avec son temps » - c'était quoi, Monsieur Papon, « vivre avec son temps » ? « Ça ne sert à rien ce que tu fais » ? Je sais. Mais je crois encore en l'individu nom de Dieu, et les foules ne sont jamais que des sommes d'individiews, poil au mildew. Nous ne laisserons jamais des journaleux faire la loi, et malheureusement, tout le monde s'est laissé contaminer par le Poivre d'Arvor, qui parsème toutes ses phrases de « qui » parfaitement inutiles : « Les Américains qui... », « les Afghans qui... », « la Turquie qui... » - sans oublier les liaisons à la Chirac : « Ecoutééézzz eueuh... ». Mais je me battrai, je pisserai dans mon violon et je m'en fous, pas question de laisser l'amérangliche récupérer tous les éléments de notre culture pour la répandre aux quatre coins de l'hexagone et de la planète. Même si la résistance est désespérée. Luttez, Russes, luttez, Gaulois, la mort au bout pour tout le monde, mais l'honneur, Messieurs, l'Honneur ! Fors l'honneur ! Et vive Anchois Pommier !

 

Aaaaaaaaaa

 

...Pour finir, un beau coup de gueule d'un ancien élève, germanophone de naissance recalé par des Français au Concours de langue allemande s'il vous plaît, parce qu'il avait trop l'accent autrichien – Marseillais, sachez-le, aux yeux des Allemands, vous ne parlez pas le vrai français – je t'engcule povre bagasse ! Tel quel :

Nicolas KOVACS (alias Kiki NOVAK)

1 rue Saint-Barthélémy 34000 MONTPELLIER

04 67 92 04 91 (lui, il met son téléphone ; moi non, pas fou)

 

Alfred R.

Président du Jury

CAPES externe d'allemand

34, rue de Chateaudun

75436 Paris-cedex 09

 

 

Montpellier, le 23 juillet 2001

 

Monsieur le Président,

 

Le Monde a Internet, la Frane a le Minitel, et ce dernier vient de m'apprendre à raison de 0,152 euros la minute que j'ai l'honneur d'être nommé Ségrégé d'Allemand par le Jury que vous présidez. Fort de ce nouveau statut, j'ai décidé de vous adresser ce courrier, et de vous l'adresser en français.

Certes, j'aurais plus de facilité à vous écrire dans ma langue maternelle, mais la décision de votre Jury vient de confirmer un soupçon que je rumine depuis longtemps. En effet, mon professeur principal, Monsieur Q.X., lui-même Directeur de la Section Germanique à l'Université N. III et membre de votre Jury, ne se lassait pas de me répéter que les Autrichiens ne parlaient pas un allemand correct, contrairement par exemple aux Alsaciens de sa trempe. Cette théorie ethnolinguistique a ensuite été étayée par un autre membre de votre Jury, un inspecteur académique et anonyme, qui me faisait savoir qu'avec mon accent il était clair que je ne venais pas de Lübeck; ho ho ho. J'ai décidé d'en rire un coup avec lui, par politesse, tout en gardant mes objections pour moi.

 

Dans un premier temps, il en résultait certes pour moi un désarroi considérable dans le maniement de ma propre langue natale, mais soyez rassuré. Celui-ci s'est dissipé brusquement avec l'obtention de la ségrégation. Car ce titre fatidique permet de se rendre compte que ce que les universitaires français désignent par le terme de « langue allemande » n'est en fait qu'une espèce d'eurobabil stérilisé avec zéro pour cent de matière grasse, et qui ressemble autant à ma langue maternelle qu'une brique de tofu à une escalope viennoise.

 

Mais je tarde à entrer dans le vif du sujet. Alors voilà. J'ai cru remarquer que selon un consensus tacite, le corpus des textes au programme prévoyait toujours un certain quota d'auteurs autrichiens, même si les critères de sélection dans le choix des textes m'échappent quelque peu. Rien à redire sur les auteurs Fin de Siècle comme Schnitzler, Freud ou Hoffmannstahl, dont la valeur est incontestée, et qui figurent tout en haut dans la liste de mes préférences personnelles. Mais pour ce qui est des textes plus modernes, la part de mes compatriotes chute considérablement, et que penser par exemple d'un examen portant sur un texte de Peter Sichrovsky ? Ce monsieur est certes autrichien et romancier, mais aussi secrétaire général de le la FPÖ, le parti d'extrême droite de l'Autriche. Ce dérapage ne concernait certes pas votre Jury, mais je pense que vu la situation politique actuelle en Autriche, il faudrait se montrer plus circonspect dans le choix des textes, ne serait-ce que pour rassurer Monsieur X., qui ne cessait de répéter à qui voulait l'entendre que de toute façon les Autrichiens n'ont jamais rien compris. Je trouve le comportement de ce membre du Jury d'autant plus incompréhensible qu'à en juger d'après ses commentaires durant l'année, la correction de mes copies de dissertation lui procurait des érections d'une violence rare. Bref.

Je vous propose donc en toute simplicité un auteur autrichien à faire découvrir aux étudiants des années à venir, et je prends l'initiative de vous envoyer Rythm and Blue, mon premier roman, dont j'ai moi-même effectué la traduction en français, avec l'aimable participation de mon amie germaniste et austrophile Mlle Eulalie Mousil, elle aussi Ségrégée d'allemand tout comme moi. Le roman en question vient de paraître chez l'éditeur parisien iDLivre, et si j'ai décidé de vous l'envoyer, c'est non seulement pour faire la promotion d'un auteur autrichien vivant en France et réjouir par là le service marketing de mon éditeur, mais aussi pour éviter aux malheureux étudiants germanistes en France de toujours se voir confronter aux mêmes raseurs de service comme Heinrich Böll ou Christa Wolf, écrivains dont l'orientation politique a cessé depuis des lustres d'excuser le manque de talent.

 

Ceci étant dit, soyez assuré que je suis bien conscient des risques que comporte mon nouveau statut de Ségrégé : il s'agit de rester humble. Là, votre Jury m'a bien fait comprendre – par son zéro Mention Eliminatoire – que malgré la promotion dont il allait me gratifier, il ne fallait jamais perdre de vue le fait que je n'ai pas le cerveau assez sec pour trouver ma place dans l'Enseignement Secondaire ou Supérieur, déficit auquel une expérience de cinq ans dans l'enseignement privé ne changeait évidemment rien. Il est vrai que lors de mon exposé, j'ai commis l'imprudence de m'aventurer hors des sentiers battus de la culture générale du Jury, mais celui-ci 'a pas été dupe. J'accepte la leçon en toute humilité, et me contenterai désormais de produire la matière première pour votre profession.

 

A ce propos, le Ministère de la Culture a doté mon deuxième projet de roman, Austrian Psycho, d'une bourse assez substantielle pour me permettre de payer quelques factures en retard. Je ne manquerai pas de vous en faire parvenir un exemplaire dès la parution, et qui sait : si la critique universitaire décide de concentrer ses efforts sur autre chose que des nombrils qui écrivent comme des pieds, peut-être que cela lui permettra un jour de trouver suffisamment de lecteurs pour que l'Etat ne soit plus obligé de la subventionner pour assurer sa survie. Je vous prie d'agréer, Monsieur, l'expression de mes sentiments distingués. Et je vous souhaite bonne lecture.

 

Nicolas KOVACS

(alias Kiki NOVAK)

 

...ex-élève du Singe, qui voit avec jubilation repris par un Autrichien le panache même de Cyrano – quelque vengeance posthume de « l'Aiglon », sans doute... parce que la roue tourne pour tout le monde. Et que les regards des vaincus de la vie, des anonymes du soir, dans la rue et dans le métro, nous emplissent d'une rage froide, eux que la télé ne voit pas, dont elle ne parle pas. Et c'est à eux que nous pensons, quand viennent pleurer de vieilles gloires qui furent choyées par la déesse télé.

Alain REMOND « Mon œil » - « Meilleure est la chute » Télérama n° 2624 du 26 avril 2000

 

...Voilà c'est dit je lis Télérama, et j'espère ne pas avoir un procès, ou des droits exorbitants à payer parce que je cite Alain Rémond, merci.

N° 42 – LE PETAGE DE PLOMBS DU CON DE PROF (SUITE ET PAS FIN) 42 - 11

 

Le prochain qui me critique la fonction d'enseignant je lui fous mon poing sur la gueule. Depuis le temps. Depuis le temps que j'ai envie. Depuis le temps qu'on se crève le cul à leur expliquer que ce n'est pas du tout comme ça que ça se passe. Et qu'ils ne comprennent rien. Et qu'ils ne veulent surtout rien comprendre. Depuis le temps que j'ai envie de leur balancer mon poing sur la l-e le. Comme dit Camus « Il faut bien frapper quand on ne peut plus convaincre ». Et que je te raconte toujours les mêmes bobards.

...Les fameuses dix-huit heures : « Les profs ne font que dix-huit heures par semaine. » Pauvres cons. Je t'en foutras moi des 18 heures. Plus les corrections. Plus les préparations de cours. Plus la documentation. Parce que je lis, moi, Monsieur, je lis, j'écris, je lis, j'écris, je lis, j'écris, sans arrêt, et pas de l'Irène Frain, pas du Florence Chapsal, pas de la littérature de gare, pas les Pueds Nickelés, pas du San Antonio, pas du Bécassine chez les Pourris, et encore, même si je lisais cela ce serait pour les analyser têtes de nœuds, pour en tirer des enseignements avec ma classe, même avec du Konsalik (le Guy des Cars germanique), même avec du roman-photo que je leur ai rapproché (ou éloigné) de Corneille, parfaitement, de Corneille, pour leur permettre, à mes élèves, de dominer la situation, d'émettre des jugements pas forcément défavorables au contraire – mais en général des ouvrages que rien qu'à lire le titre t'arrives pas à comprendre, vive Coluche.

Des auteurs qui te font hausser les épaules et que moi je suis obligé de lire, de relire, de rerelire – je me souviens encore de ce con de pompier populaire qui demandait à un collègue « Oh

qu'est-ce que c'est que tout ce tintouin autour du théâtre ? Qui c'est-y donc qui vient aujourd'hui ? » - et l'autre con, dédaigneux, mais alors ! sur un ton ! à claquer ! lui répond, le mollard au bord des lèvres : « Bof tu parles ! c'est des scolaires ! pour Molière ! » - avec une de ces intonations à vomir (Ce n'était que Molière) - et le premier de renchérir « Oh ben alors... » - je hais le peuple je hais le peuple je n'ai rien contre les pompiers et je-se-rai-bien-con-tent-quand-ils-vien-dront-me-sau-ver mais je hais le peuple – parce que je suis bien imprégné de toute cette culture-là qui permet de sauver (puisqu'il faut bien, paraît-il, du fric) les théâtres à la dérive, parce que je la dégorge, je la régurgite bien enveloppée, précuite, prémâchée, prédigérée, pour que tes gosses de merde, Ô Peuple, puissent comprendre de quoi ça cause, La Bruyère, Proust, Montaigne (« Ah moi ça ne rentre pas, Montaigne, je ne le suis pas du tout ») - évidemment pour lire Montaigne ou Rabelais il faut être tombé dedans depuis tout petit, quinze seize dix-sept ans, dix lignes par jour, puis on s'habitue, puis on goûte toutes les finesses du langage, même chose pour Chrétien de Troyes, au bout de vingt ans à patauger tu arrives à lire l'ancien français dans le texte ce qui ne sert à rien et je t'emmerde, et encore, seulement la langue d'oïl, parce que Ventadour en limousin tu peux toujours te la brosser, Hugo, tous ces cons-là qui ne servent à rien, parce que l'alpinisme ça sert à quelque chose peut-être, et traverser l'Atlantique à la rame ça sert à quelque chose aussi, parce que n'importe quoi y compris ta tronche d'analphabète tu crois que ça sert à quelque chose je t'en foutrais du respect de l'interlocuteur.

Tiens, voilà du Ionesco, attrape au vol, et apprends par cœur : L'homme modèle, universel, c'est l'homme pressé, il n'a pas le temps, il est prisonnier de la nécessité, il ne comprend pas qu'une chose puisse ne pas être utile ; il ne comprend pas non plus que, dans le fond, c'est l'utile qui peut être un poids inutile, accablant. Si on ne comprend pas l'utilité de l'inutile, l'inutilité de l'utile, on ne comprend pas l'art ; et un pays où on ne comprend pas l'art est un pays d'esclaves et de robots, un pays de gens malheureux, un pays de gens qui ne rient pas ni ne sourient, un pays sans esprit ; où il n'y a pas l'humour, où il n'y a pas le rire, il y a la colère et la haine. Car ces gens affairés, anxieux, courant vers un but qui n'est pas un but humain ou qui est un mirage, peuvent tout à coup, aux sons de je ne sais quels clairons, à l'appel de je ne sais quel fou ou démon se laisser aller par un fanatisme délirant, une rage collective quelconque, une hystérie populaire. Les rhinocérites, à droite, à gauche, les plus diverses, constituent les menaces qui pèsent sur l'humanité qui n'a pas le temps de réfléchir, de reprendre ses esprits ou son esprit, elles guettent les hommes

d'aujourd'hui qui ont perdu le sens et le goût de la solitude. »

C'est moi qui souligne, comme disait Berbérova. Parce que je suis lourd, parce que je suis prof, parce que j'ai tellement peur que les autres deviennent cons que je les prends pour des cons mais c'est pour leur bien, parce que dès que j'ouvre les yeux je suis prof, dès que je respire je suis prof, dès que j'ouvre un bouquin, une revue, je suis prof, dès que je respire je suis prof, je ne suis pas profileur de pare-choc chez Renault moi, il n'y a pas de sots métiers, mais quand je sors de mon boulot je ne suis pas en train de pêcher à la ligne, je ne pourrais pas. J'utilise toute ma vie comme matériel pédagogique, même si je lis Tintin je me demande ce que je pourrais dire sur Tintin à mes élèves, même si je vois un navet à la télé, c'est pas une profession d'être prof, c'est une vocation, ça te dit quelque chose ça une vocation ?

On demandait à Mgr Marty quand il trouvait le temps de dire ses prières, il a répliqué : « Mais je suis toujours en prières, en ce moment même sous les sunlights de la télé je dis mes prières » - pour un prof c'est pareil, si tu fais ton cours et que tu t'en vas t'es pas un vrai prof, tu es prof 24h sur 24 y compris dans ta tête y compris dans ta manière d'appréhender le monde, et quand tu vois un spectacle tu t'y vois avec tes élèves parce que tu aimerais leur montrer ce que c'est et le commenter, ils sont dans ta tête alors tes « 18 heures » que tu nous jettes haineusement à la gueule tu peux te les foutre où je pense. « Oui ben y sont pas tous comme ça, j'en connais qui foutent pas une rame » - bien sûr cher mai, tu trouveras des merles blancs, des putes heureuses de vivre, des drogués au comble de la félicité voire des Gitans heureux mais moi je te parle de ce que ça devrait être, un prof idéal, et je te réponds comme Sénèque : « Même si je ne suis pas au sommet » dit-il à peu près, « même si je suis encore en train de ramper dans la boue, du moins j'ai les yeux tournés vers le Sommet » - même si neuf profs sur dix (j'écoute aux portes dans les couloirs - et je vais encore me faire bien voir – ne sont que d'épouvantable raseurs, qu'est-ce que vous voulez que j'y fasse si personne ne leur a encore appris qu'il est plus important de déconner de temps en temps avec ses élèves ou de leur raconter sa vie que de finir le programme.

...Et un comédien alors ? Il ne joue que deux heures par jour et encore sans compter les soirs de relâche. Et un footballeur ? Ça ne joue que deux heures tous les trois jours et ça se plaint. OUI MAIS UN FOOTBALLEUR ET UN COMEDIEN ÇA S'ENTRAÎNE ÇA REPETE eh bien moi aussi connard, si je ne lis pas, comment veux-tu que mon cours ait du liant, comment veux-tu que je passe sans cesse d'une idée à l'autre, que j'établisse des interconnexions passionnantes et des digressions sans fin, comment veux-tu que je sois capable comme ça au débotté de te pondre un cours d'une heure sur l'histoire de la langue française ou celle de la persécution des juifs ou sur l'histoire de la folie, sans notes, tu crois qu'un cours ça se prépare en claquant des doigts, pour tels et tels cour j'ai passé vingt minutes de préparation PLUS des années de lecture et d'imprégnation forcenée, ce n'est pas comme avec l'internet où il te suffit de taper n'importe quoi mon cul.com pour avoir « un renseignement », espèce de con si ce renseignement n'est pas connecté dans ta tête avec toutes tes lectures antérieures sédimentées sur des dizaines d'années qu'est-ce que tu vas en faire de ton « renseignement Hûtile » isolé ?

Qu'est-ce que c'est qu'un sportif qui ne passe pas plusieurs heures par jour à s'entraîner (mais ça on le sait: il n'y a plus que du sport à la télé, quant aux émission culturelles beaucoup s'imaginent encore que c'est « Questions pour un champion » ou « Le jeu des mille-z-euros » - ah ! les cours professoraux, magistraux, parfaitement, sur Rimbaud, sur Péguy, à 23h sur les chaînes câblées, qu'on est obligé de rechercher dans les archives de l'INA parce que ces choses-là n'intéresseraient plus personne mon pauvre Monsieur – qu'est-ce que c'est qu'un danseur qui ne s'esquinte pas plusieurs heures par jour sur une barre fixée au mur, les profs, c'est pareil, la lecture, l'écriture, la lecture, l'écriture, quand j'écris je délie ma plume pour être plus à même d'apprécier les travaux écrits de ta progéniture ô Peuple, c'est pour découvrir des « trucs » d'écriture et les leur communiquer pour leur apprendre à ne pas écrire comme des abrutis, « pygane » pour « pyjama » parole d'honneur je l'ai vu écrit ça, j'apprends l'hébreu, et le portugais, c'est pour découvrir les secrets des langues et l'universalité de l'âme humaine à travers l'infinie diversité des langages, chaque langue nouvelle est un nouvel espace de liberté c'est du Steiner, tu me les comptes les heures que je passe à essayer de déchiffrer du breton ou du polonais « qui ne servent à rien », ça fait partie des heures de travail que tu m'imagines face de rat ?

Sans oublier les conseils de classe, les introductions de notes sur ordinateur, les contacts avec les parents et j'en passe, elles sont où tes 18 heures de démago haineux ? J't'encule avec mes vacances mon pote, si tu t'imagines que c'est ça qui a déterminé ma vocation (« Il y a trois raisons qui ont motivé mon choix de l'Education Nationale, le premier mois de vacances, le deuxième mois de vacances, le troisième mois de vacances ») ben tu te fourres le doigt dans l'œil mon con, d'abord je te signale que mes impôts me reprennent très exactement deux mois de ces vacances-là, en plus elles ne sont pas payées mes vacances connard, et d'autre part tu sais ce que j'en fais de mes vacances mes couilles ? Eh bien je lis, j 'écris, pas du Pierrette Fleutiau mais du solide, du gargouillique, que même le titre ça te fait tomber les bras, parce que tu vois mon con si je reste sans m'entraîner c'est comme le sportif parfaitement, mon cours, sans entraînement, je peux me le mettre quelque part, l'autre jour j'ai pu improviser une heure et demie sur l'Histoire de la Folie de l'Antiquité à nos jours, sans un poil de notes, et pourquoi j'insiste ? parce que j'avais lu depuis trente ans je ne sais combien de bouquins chiants sur la question ça m'a pris 30 ans ce cours-là, parce que je m'étais assimilé je ne sais combien de livres, c'est autre chose qu'internet et c'est ça mes vacances, j'apprends des langues et quand je t'engueule je fais encore de la polémique et du journalisme, et je m'exerce, comme un sportif, exactement.

Deuxième grief : il paraît qu'on est une profession « sans responsabilités ». Premièrement regarde bien la gueule des collègues, je ne parle pas pour moi qui suis un décontracté dès le début, j'ai compris que c'était un métier de guignol, je suis prof-clown parfaitement, j'ai monté sur les chaises bien avant Le cercle des poètes disparus – jette un œil je te dis sur leur anxiété, leurs scrupules pour mettre 8 ou 8 ½, leur hantise de l'injuste alors que tout est injuste bien que ce ne soit pas la peine d'en rajouter, leurs souffrances quand un élève ne « marche » pas et qu'on vient leur claironner à la gueule que c'est leur faute, alors que c'est l'élève qui ne veut rien foutre mais que c'est la faute des profs, c'est leur faute, c'est leur faute, c'est leur très grande faute, l'élève entend ça toute la journée à la maison, et tu ne dirais plus que nous nous sentons toujours irresponsables.

Qu'est-ce que tu veux, citoyen ? Que nous soyons rétribués au mérite ? O.K., je bloque toute ma classe à 18, et je l'aurai, ma prime au mérite. Il y en avait un comme ça au Lycée de Vienne, il foutait toute la classe à 5, puis au deuxième trimestre tout le monde à 9, et au troisième, à 15, il se recevait des cadeaux que c'était une honte, il les revendait après sur une grande table dans la salle des profs – bon, il s'est fait virer. Pas responsables les profs. Pas de risques. Leur paye à la fin du mois. Va voir dans les asiles ce que c'est que les risques du prof, que la paye du prof. Va voir s'ils ne préfèreraient pas les « Risques Phynanciers » dont tu te gargarises.

Alors qu'ils les aiment, leurs gosses, et pas au sens pédophile pauvre type, qu'ils les bichonnent, qu'ils les font travailler de leur mieux, mais comment voulez-vous faire si toute une partie de la classe a compris et pas l'autre ? Tu veux recommencer jusqu'à ce que tout le monde ait compris ? Trois fois, dix fois, vingt fois, jusqu'à ce que le dernier des derniers, celui qui ne veut rien comprendre, ait compris ? Et qu'est-ce que tu fais de ceux qui ont compris et qui voudraient avancer, ô conseilleur de mes deux ? Ça ne vous est pas venu à l'idée que les autres vont se mettre à régresser et à déconner ? Des classes à un élève ou deux, ça marche, mais à 20 ? Et bé ça ne marche pas Herr Dükon.

Et pourquoi Machin passe de 4 à 16 ? parce que ton cours a été bon ? Non, parce qu'il s'est mis à travailler. Je suis spectateur de mes élèves, je me propose à eux et je les voir progresser, ou non, quand je note c'est souvent au petit bonheur, d'ailleurs essaye d'avoir les notes de tes élèves au bac, c'est la croix et la bannière, sans parler de ce qu'ils deviennent après, je te signale que tous s'en sortent, quand je rédige des appréciations trimestrielles j'ai souvent l'impression de diriger une rubrique astrologique. Maiaiaiais je comprends très bien ce que vous voulez dire avec votre « responsabilité » : c'est que réussite ou pas, nous touchons notre paye, notre sale paye que tout le monde nous envie.

Voilà à quoi vous jugez le monde, tas de fielleux, voilà votre aune : ceux qui reçoivent leur paye, et ceux qui doivent se la gagner. « Si je ne vais pas au boulot, je ne suis pas payé » - et moi, alors, pourquoi j'y vais, à mon boulot ? Puisqu'en restant chez moi je serais payé quand même ! C'est pour une chose dont tu n'as même pas idée, pour un mot qui te fait ricaner (« Ouah, l'honneur, ça ne nourrit pas son homme ! ») - oui l'Honneur, parfaitement, la conscience professionnelle si tu préfères, la Nation, parfaitement, le Peuple, qui me confie ses enfants, tes enfants, et j'ai l'honneur de les éduquer, et c'est pour l'honneur que j'y vais, parce que je ne veux pas avoir volé cet argent que tu me reproches.

Toi tu travailles pour le fric, et nous pour le fric et pour l'honneur, tu ne sais même plus ce que ça veut dire dans ton entreprise dont tu fais sonner les deux « r » comme un racle-mollards et qui fonctionne au lèche-cul et à la délation style Lauzier ça tu ne peux pas le comprendre ça dépasse ton cerveau de primate articulé, ne t'en fais pas mon pote même si ton entreprise ferme ses portes tu ne crèveras pas de faim vu le niveau des alloc' chômage qui sont prises mon Dieu comme c'est bizarre sur les impôts de ces flemmards de fonctionnaires. Tu as vu Deux ou trois choses que je sais d'elle de Godard ? ...nous sommes tous des putes sur notre lieu de travail; et toi t'es toujours en train de mendier, de mendigoter, de gagner tant par mois et de demander : « Pardon Missié moi fabwiqué chaussuwes, moi monté la pièce le théâtwe, tu pouwais pas donner soussou j'ai produit des biens qui serrvent à quelque chose t'aurais pas deux euros sious plaît ? t'aurais pas une subvention avec le pèze des contribuables pour ma troupe qui bat de l'aile Missié Fonctionnaiwe que j'ai twaîné dans la boue, pour mon théâtre qui bat de l'aile » c'est pas du racisme tas d'analphabètes c'est pour faire association d'idées avec « esclavage » si t'as pas compris tu vas faire du rap.

En quoi est-ce plus honorable ? Pourquoi veux-tu que je risque quelque chose pour vivre comme un mendiant au lieu de vivre comme une vache à l'engrais ? En quoi ça te donne une dignité supplémentaire de courir après l'argent dans la poche des autres au lieu de l'attendre de l'Etat ? D'être une pute de trottoir au lieu d'une pute d'intérieur ou une femme mariée ? Ça me rappelle cet éleveur de moutonss qui vivait dans la misère et qui nous engueulait parce que « nous autres, on avait la paye à la fin du mois », eh mon con je ne t'ai pas forcé à élever des moutons tu as choisi maintenant t'assumes, qu'est-ce que c'est que ces manières de vouloir que tout le monde adopte TES façons de vivre à toi, j'ai le droit d'exister non ?

Au nom de quoi qui que ce soit voudrait-il m'imposer son mode d'existence ? C'est incroyable cette réaction des gens maintenant, dès qu'ils se font enculer ils exigent que les autres écartent l'anus au lieu de vouloir libérer tout le monde, bravo le civisme, c'est donc ça votre idéal de

« vraie vie » ? se battre comme des hommes préhistoriques ou des gamins dans une cour de maternelle pour défendre son bifteck ? Lécher le chef, magouiller, dénoncer les collègues ? Ben merde alors, moi j'estime que le prof et l'ado ont seul l'accès à la vraie vie, la vie où on pense, ensuite on fait rien qu'à régresser, mais je ne l'impose à personne.

C'est quoi cette manie de toujours vouloir dresser une partie de la population contre l'autre, tous ceux qui ne foutent rien tandis que Monsieur Eric Vourachon, lui, travaille ? Les profs sont restés toujours adolescents ? Et alors ? Est-ce qu'il ne faut pas des adolescents pour s'occuper d'autres adolescents ? C'est toi avec ton air con et ta vue basse qui vas t'occuper des ados ? « Des profs qui n'ont pas vu la réalité », c'est quoi notre vie c'est pas la réalité ? « Des profs qui se racontent des histoires de profs dans des salles de profs », en quoi c'est pire que des informaticiens qui racontent des histoires d'informaticiens avec d'autres informaticiens, des bouchers qui racontent des histoires de bouchers avec d'autres histoires de bouchers, des chasseurs qui racontent des histoires de chasse – en quoi est-ce plus « ouvert », plus «adulte », qu'un prof qui raconte des histoires de prof avec d'autres profs ? Chaque métier, tu m'as bien entendu, chaque métier t'enferme dans un ghetto professionnel, pourquoi le mien serait-il plus bas, inférieur au tien ?

Tu me reproches d'être demeuré enfant, c'est comme si tu étais assez con pour reprocher à un basketteur d'avoir 2m 10, ou à une infirmière d'être trop « nounou », et alors ? Je ne suis jamais sorti de l'école, jamais sorti de l'enfance ? Et comment je fais pour leur parler, aux ados ? Je me souviens de ce con de proviseur qui voulait rétablir la discipline dans la cour de son établissement, et qui voyait l' « emploi jeunes » discuter avec les casseurs, et parvenir à les calmer, et qui l'a convoqué : « Monsieur, je n'aime pas la façon dont vous semblez établir une complicité avec les élèves, vous allez me faie le plaisir de rétablir un peu les distances SVP, rompez. » - total, tout est redevenu comme avant, la violence, les mollards et tout.

Et le flic alors, qui en est resté « aux gendarmes et aux voleurs » ? et l'infirmière, qui « joue au docteur » à longueur de vie ? Et l'informaticien qui joue au game boy ? Et le chef d'entreprise, qui joue à la marchande ? Et le chauffeur de bus qui fait vroum-vroum? Pourquoi serions-nous les seuls à être restés des enfants ? Tout travail d'adulte, toute vocation, tout métier, a pris ses racines dans l'enfance. Pourquoi ce qui est louable chez les autres serait-il blâmable chez nous ? chacun voit une partie de la réalité, la nôtre existe aussi, nous ne risquons rien pour l'argent, mais nous risquons notre santé mentale - est-ce que je les critique, moi, les routiers, est-ce que je les traite de cons, les boulangers, les électriciens ? Et puis ne me raconte pas d'histoires, tu en trouveras toujours de l'argent, avec toutes les indemnités que les petits malins de ton genre finissent toujours par se dégotter. Et les trois mois de vacances, dont un mois revient en impôts dans les caisses de l'Etat pour te payer tes allocs, tes subventions, tes primes et autres indemnités ? Tu crois vraiment que c'est pour avoir des vacances qu'on devient enseignant ? Elles ne sont pas payées. Et mon Dieu comme c'est bizarre tout le monde prend ses vacances en même temps et « s'aligne sur les vacances scolaires », encore un peu on nous accuserait d'entraver la bonne marche de l' « Hântreprise » - l'autre jour je discutais avec mon dentiste invité au Canada par des amis, « Ah je ne sais pas, le Canada, je vais me les geler en hiver, et si c'est en été je me ferai bouffer par les maringouins » - eh Ducom-Dentcreuse, t'as bien de la veine de pouvoir te payer le voyage au Canada comme ça, moi je vais à la plage à 60 km de chez moi, une fois j'ai voulu me payer trois jours vers La Rochelle, premier hôtel 400 balles, j'ai dit à Jacqueline « On referme les valises et on rentre » - curieux non tous ces profs qui encombrent les routes les jours de vacances à la neige, vous croyez qu'ils ont de quoi se les payer les vacances à la neige tas de connards – tous les bouchons des autoroutes et aux péages c'est que des profs tout ça dis c'est que des profs ? mais mon pauvre vieux y a plus que les couillons qui ne prennent pas de vacances en même temps que les profs !

Moi maintenant je réponds merde à tous ceux qui me les cassent question vacances, c'est vrai quoi ils sont tous là à gagner moins que moi en travaillant plus, faudrait que je les croie en plus ? C'est comme quand tu te plaine le mec en face il est toujours plus malheureux plus fauché alors maintenant quand on me cherche je me mets à gueuler « Moi je bosse 26 heures par jour et je gagne 6 briques par mois et je t'emmerde, et si t'es pas heureux t'avais qu'à faire bac + 7, les médecins qui gagnent le smig je les emmerde parce qu'au bout de dix ans c'est bizarre ils ont les deux voitures et les deux baraques ».

Autre chose : la privatisation – je ne sais pas faire les transitions – modèle Berlusconi, « anglais, informatique, entreprise », voilà les trois mamelles de l'Italy, Michel-Ange ? poubelle ! « S'il veut s'intéresser à l'art et à la culture plus tard il le fera » - connard ! connard ! Plus tard il n'aura plus envie de rien ! C'est très facile de transformer un gosse en petit vieux ! Alors que si tu lui avais ouvert l'éventail de la curiosité, il serait devenu d'autant plus curieux plus tard ! Des évidences pareilles, être obligé de les répéter ! On va être gâtés, comme disait Madelin qui voudrait couper la France en 13 républiques bananières bouffées par les USA, vous en faites pas les gars; il n'y a pas d'échec scolaire, il y a seulement l'échec de la démocratisation de l'enseignement, je n'ose même pas dire de la culture, les gens n'en ont rien à foutre de la littérature, on les a déjà vidangés de la musique et des arts plastiques, alors vous pensez, le latin, la poésie ! Tes gosses ratent leurs études parce qu'ils entendent toute la journée à la télé plus chez toi-même que les profs sont tous des cons, rengaine qu'ils ont tous envie d'entendre depuis l'Antiquité – ouais oh cong, c'est vieux ça l'Antiquité – t'en fais pas mon vieux, t'en fais pas : l'enseignement professionnel ! Y a que ça de vrai ! L'entreprise on vous dit ! L'Entrrrreprrrrise ! Un jour un employé de chez Danone viendra vous expliquer en anglais la façon de fabriquer un yaourt, un mec de Firestone vous expliquera en anglais comment fabriquer un pneu, et on sera enfin débarrassés de ces putains de rapports humains, j'oubliais l'autre con qui viendra vous raconter l'histoire du pétrole (plus besoin d'histoire, ces gens-là sont tous morts, qu'est-ce qu'on en a à foutre, nous on est vivants on sort en boîte et on t'emmerde, alors plus rien avant 1930 vu ?

C'est l'histoire de la décadence romaine qu'il faudrait étudier à fond, ça fait longtemps peut-être mais on est revenus en plein dedans, plus de géographie, avec les agences de voyage tu vas où tu veux les yeux fermés, « Où c'est Le Puy ? - ben on n'en a rien à foutre – ah oui ! On y est allés en vacances ! - ben t'as intérêt à vivre longtemps si tu veux arriver au 90 (« Territoire de Belfort » - l'histoire et la géo ce sera les cours de la Bourse, en avant pour la crétinisation il faut que ça SERVE que ça SERVE du latin « servus », « esclave », tas de race d'esclaves ! Tu crois que ça ne fait pas gerber d'entendre mon petit-fils me demander « A quoi ÇA SERT l'espagnol » - je lui ai parlé Culture que dalle, puis j'ai trouvé le bon tuyau : « Tu te présentes à une place tu ne sais que l'anglais ; il y en a un autre qui sait l'anglais ET l'espagnol il te prend ta place » voilà le genre d'arguments qu'on est obligés d'employer à présent bande d'enfoirés, ah le peuple, putain que je hais le peuple, c'est inimaginable, les gens, je ne peux pas les blairer, ça bougera, on les aura, je ne fais que répéter ce que disent les autres ? ça en fera un de plus toujours ça de gagné, merde aux réformateurs, comme dit Sallenave « du moment que l'école est malade de réformes eh bien qu'on fasse encore plus de réformes », en cas d'hémorragie faites une saignée, je vais vous dire moi pourquoi l'enseignement résiste et résistera toujours : les élèves s'en sortent dans la mesure exacte, je dis bien très précisément exacte, où nous autres à la base prenons le contre-pied systématique de toutes les réformes imposées d'en haut par tous les connards de démagogues de ministres de mes couilles.

Je fais des cours de grec clandestins dans les classes, parfaitement, nous ne céderons pas aux Madelin, Jack Lang et compagnie, parce que nos sommes éternels, entendez-vous dans nos campagnes, éternels, et je continuerai toujours à préférer un chômeur cultivé, aigri et révolutionnaire à n'importe quel plouc bien payé roulant dans une grosse bagnole et incapable de distinguer Vivaldi de Stockhausen, Botticelli de Kandinsky, aux chiottes la réussite à l'occidentale, vive la culture, et pas Vivendi. Ma foi si qu'on fait avancer les choses en jurant, depuis le temps qu'on est poli et que rien n'avance ! Maintenant tu fais une manif, trois Abribus en l'air et tu obtiens ce que tu veux, tandis que par les voies légales, que dalle ! alors tiens je t'en rajoute une ligne : enculé d'enfoiré de mes glandes, etc. (ça fatigue, c'est vrai).

Oh ! bien sûr, Monsieur Tout-le-Monde ne va pas crier au scandale ! pas si fou ! trop peur de passer pour ringard ! Alors il te dira « C'est banal », « dépassé », mais en réalité tu l'aurais vraiment choqué. - « et à quoi ça sert ? » - O.K., mais à quoi ça sert de ne pas le faire ? chacun sa fonction, la mienne c'est de faire « ça », comme celle du navet d'être navet, de Napoléon d'être Napoléon, ô spécialistes ignarissimes de mes couilles, et vive le Père Duchesne !

COLLIGNON HARDT VANDEKEEN LE SINGE VERT T. IV 42 - 21

MARCEL COSTE - « SOLLICITUDE ABUSIVE »

Et une page de Marcel Coste, une :

 

Sollicitude abusive

D'un pas qui se voulait alerte, je déambulais sur le quai de la gare jusqu'au wagon numéro six.

J'allais voir des amis à Paris et m'en réjouissais.

 

°

 

De nature précautionneuse j'avais un bon quart d'heure d'avance ce qui m'avait permis de trouver mon magazine habituel et de choisir un épais quotidien parisien.

Traînant sans peine apparente ma valise à roulettes (en français moderne : « trolley »), j'arrivai enfin devant cette voiture six. Je m'y hissai d'un coup de rein hardi.

Après une minute de récupération, je repérai ma place « côté-couloir », celle qui permet d'aller aisément au bar, voire aux toilettes, en toute impunité et discrétion. Celle qui évite aussi de regarder un paysage fugitif et inintéressant.

 

°

 

Par chance ma voisine placée près de la fenêtre m'apparut particulièrement agréable. La trentaine visiblement épanouie, élégamment habillée, discrètement fardée.

Alors que j'extrayais ma lecture de la poche extérieure du « trolley » elle se leva, prit ma valise et, sans effort, la plaça en souriant sur l'étagère.

Je balbutiai un remerciement en forme de grognement.

 

°

 

Effondré mentalement, je me calai dans mon siège et ruminai sur mon apparence décatie, vieillotte et impuissante.

Que cette haridelle, perchée sur ses hauts sabots, se permît de m'aider à placer cette valise ! Que cette amazone s'autorisât à suppléer mon hypothétique débilité physique ! Sûrement quelque cheftaine prolongée en manque de B.A. !

Moi, qui suis plutôt du genre amène, affable, sociable, je m'enfermai face à cette probable péronnelle, dans un mutisme total, méditant sur une politesse surfaite de nos jours et attentatoire à notre autonomie. Je pensais aux aveugles que l'on assiste de gré ou de force pour traverser les carrefours... aux sourds que l'on tourmente avec des mimiques et des signes approximatifs... aux anorexiques que l'on alimente autoritairement à l'aide d'une sonde... bref à toute cette contre-euthanasie rampante.

 

°

 

Je me plongeai ensuite dans une lecture exagérément attentive de mon quotidien favori puis dans celle de mon mensuel apprécié pour ses renseignements précis et indispensables : placements monétaires et boursiers, maisons de retraite, centres pour invalides, assurance-vie et capital-décès, convention-obsèques... sans oublier les « trucs » qui garantiront votre succession contre une administration fiscale insatiable.

 

°

 

Brusquement, je m'arrêtai de lire ayant surpris ma voisine lorgnant ma revue d'un œil présumé ironique mais plus sûrement compatissant.

D'un pas hésitant, la démarche titubante, j'allai jusqu'au wagon-bar... d'où je pus admirer la monotonie du paysage et compter les vaches sages bourguignonnes.

 

°

Vingt minutes avant l'arrivée en gare je retournai à ma place, saisis ma valise d'un geste douloureux mais précis et m'installai dans le sas de sortie. Je n'avais eu aucun regard pour cette perspicace voisine m'ayant signifié d'ostentatoire façon que j'avais un âge un peu trop septuagénaire.

 

 

 

Comble de sollicitude, à l'arrivée, pour m'éviter d'espérer trop longuement un taxi, mes amis m'attendaient sur le quai.

 

°

 

Convenez avec moi que la « bonne éducation » devrait aussi avoir ses limites.

 

Le 18 septembre 2001

COLLIGNON HARDT VANDEKEEN LE SINGE VERT T. IV 43 - 24

BLOCKHAUS B

 

 

 

A mon arrière-petite-fille

Qui ne saura plus lire et

Qui ne parlera plus ma langue

 

 

« La pluie m'emprisonne. Je ne peux plus atteindre les arbres. »

Il y a son nom sur l'enveloppe.

« La prairie est détrempée, jusqu'au cœur de la terre. »

Les oiseaux croassaient de toutes leurs forces.

« Il pleut depuis le premier du mois. Si j'avais de bonnes bottes, je pourrais rendre la lettre : c'est mon nom sur l'enveloppe, mais ce n'est pas moi. »

S'il traverse la prairie – le champ de boue, le cloaque - il deviendra une masse informe. Au mieux, le vent l'encroûtera. Et puis, de l'autre côté des arbres, il y a le fleuve...

« Celui qui porte mon nom a besoin de cette lettre. Plus que moi. Celle-ci, à moi, n'apportera que des tourments. »

Il habite loin, au sec, dans son dos :

« Formán Tikhonovith Biédrinine

« Blockhaus B ».

Je ne suis pas cet homme.

Les corbeaux dans le ciel font et défont des cercles noirs. Il tend le bras comme un fusil.

« Pan ! Pan !

Sans s'émouvoir, les oiseaux s'engouffrent dans une énorme boule d'arbre malade, au bord du marécage, puis, l'homme commence la traversée.

A chaque pas la boue montait jusqu'aux genoux. Il regarda sa montre : quatre heures avant la tombée du jour. Il tâta le message, dans la poche de chemise : il pouvait aussi bien tout laisser derrière soi. Les choses au pire, il trouverait au bourg une chambre sèche, un pantalon neuf.

De trou en trou, il se déhanche.

Le soleil perça les nuages, réveillant des nuées de moucherons acides. Il eut le souvenir d'heures paisibles, de soirées à l'air libre, sur le banc, le jardin fait. De ce côté-ci du marais, donc derrière lui, c'était Bostrovitza, un gros village plein d'enfants placides.

Et devant, il y avait Gréménovo, où il n'avait jamais mis le pied depuis la destruction du pont ; plus exactement, l'édifice branlait de toutes parts après l'attaque des Stukas. Ils avaient bombardé les réfugiés. Les autorités l'avaient déclaré dangereux. Il avait sauté, le pont, par ordre du voïvode.

Il fallait prendre le sentier. La boue, après la crue, avait tout recouvert.

Les anciennes photos du Pont d'Aval le montraient aux jours de foire, grouillant comme une fourmilière : bateleurs, charrettes, marmaille... C'était avant la naissance d'Endrick. C'était avant la mort du grand-père. Avant le bombardement.

L'homme avança, leva les bras, tira sur ses cuisses. Il laissa échapper un tonnerre de jurons. L'eau touchait le ventre. Les sous-vêtements se trempèrent d'un coup. Il prendrait froid. Désormais coûte que coûte il fallait un docteur, celui de Gréménovo. Pourquoi lui, Formán, douillet, grincheux, avait-il entrepris cette folie de vouloir à tout prix remettre cette lettre à son destinataire, dont il ne connaissait foutre Dieu que le nom, le sien ?

La vase remonta sous ses pieds. Bientôt la partie de son corps au-dessus des genoux se trouva hors de l'eau. Il souffla un instant. Ses mains, demeurées sèches, vérifièrent encore sous la chemise que le message n'avait pas bougé. De l'autre côté de la digue il apercevait, sur le ciel gris, les premiers toits pointus de Gréménovo.

Les premières cheminées se mirent à fumer. Dans un bruit de succions alternées, il se dégagea au plus vite, gravit un perron sans rampe, redescendit quelques marches : il était sur le pavé, au sec, à Gréménovo. Il dégoulinait de saletés, mais nul, à part lui, ne foulait le sol irrégulier de cette demi-rue, à l'abri, face au marais.

Formán se sentit revivre. Il avait malgré tout éprouvé de l'inquiétude, malgré le jour encore haut, et en ressentit une vague honte. Son reflet dans une glace extérieure – un tailleur en faillite – le persuada de chercher au plus vite un magasin d'habillement, pour remplacer son pantalon, devenu bloc de boue.

Il lui faudrait aussi des chaussures. Alors seulement il pourrait se présenter au Bloc B, Kuiaz Ulitsa, et remettre décemment le message.

La vendeuse de pantalons lui effleura délicatement la braguette au moment de l'essayage. Il se contenta de lui réciter quelques vers. Elle n'avait pas encore allumé la lumière : le magasin d'habillement baignait dans le gris. Formán oubliait sa mission.

La vendeuse l'entraîna dans une arrière-boutique sombre, où ils prirent un café sur une table branlante auprès d'un réchaud. Il découvrit sur son crâne à elle, derrière l'oreille, une cicatrice en relief. « Ils m'ont interrogée un peu brutalement, dit-elle avec un pauvre sourire.

Il ne lui demanda rien, le jour continua de tomber, la couronne bleue du brûleur prit une intensité vacillante. Bientôt ils se trouvèrent tous deux vêtus d'amples robes de chambre.

« C'est celle de mon mari, dit l'habilleuse. Il m'a quittée après l'interrogatoire. Et toi, que vas-tu faire ? »

Il tira la lettre de la poche de sa chemise.

Tandis qu'elle prenait connaissance du message, une étrange torsion paralysa l'estomac de Formán, et il se sentit à la fois proche de l'évanouissement et rempli d'un étrange espoir, solide au-delà de toute raison. Il se leva pour marcher, passa dans le magasins où les vêtements, à présent, semblaient autant de fantômes suspendus aux épaules. Raides, parallèles.

Un miroir lui renvoya une image si effrayante qu'il chercha et trouva instinctivement un interrupteur. Les néons tremblotèrent, puis s'allumèrent brutalement dans un grésillement continu. La jeune femme le rejoignit, ferma le magasin de l'intérieur, baissa le volet de fer.

Je m'appelle Viéritsa; dit-elle. Reste avec moi. Tu porteras la lettre demain.

A peine quitté son village – définitivement, il s'en avisait à présent – Formán devait à nouveau composer avec l'espèce humaine. Qui plus est, avec une femme – l'être le plus exigeant et le plus dévoué qui fût. Une vendeuse de pantalons, au visage rond et grave, avec une couronne de cheveux bouclés et une cicatrice au-dessus de l'oreille.

La chambre du premier donnait sur le marais. Ils avaient fait l'amour au rez-de-chaussée, sur des manteaux étalés à la hâte, en pleine lumière. A présent, la fenêtre éclairée découpait sur la vase et les plantes un grand carré glauque par-delà la digue.

Même ici, de l'autre côté de l'eau et des joncs, au-delà des frontières de provinces, d'autres policiers sévissaient, d'autres tortures. Pourtant, Formán se sentait désormais en sécurité. Il ne pouvait être poursuivi pour les mêmes délits que Viéritsa – bien qu'ils eussent commis ensemble l'acte le plus répréhensible aux yeux de tous, en tous pays.

Mais la cicatrice était ancienne. Il parcourut encore du doigt la boursouflure sous les boucles, et la femme eut encore ce petit rire triste ou inexpressif. Dieu merci, ils s'étaient aimés tout de suite, sans tous ces atermoiements qui découragent l'un et l'autre sexe.

Ils éteignirent la lumière et se couchèrent sagement l'un près de l'autre, comme d'anciens mariés, en tirant bien le drap chacun pour soi, pour éviter les plis. Quand il se réveilla, il tenait Viéritsa par la main, le matin doux éclairait une chambre de dimensions modestes, à l'ameublement neutre, et il comprit pourquoi l'amour se faisait surtout dans la nuit. Mais il n'éprouva nulle amertume, rien d'autre que ce sentiment de douce sécurité. Viéritsa se réveilla, et posa sur lui son sourire.

Ils quittèrent le magasin sans être vus.

« Il n'est que sept heures, dit-elle, et c'est dimanche. Cherchons ensemble le destinataire de ta lettre.

- Qu'y a-t-il d'écrit ?

- C'est une convocation au Commissariat, dit-elle en souriant. Ils se sont trompés de province.

- Il faut trouver un autre pays, dit-il.

- Qui postera la lettre ?

- Est-il indispensable, avant notre départ, de tourmenter un inconnu ?

Peut-être qu'ils le convoquent pour lui dire : « Vous êtes innocent ! ». Le ton général du formulaire ne semble pas déplaisant. Oui, cet homme va recevoir un certificat d'innocence.

« Cet homme porte mon nom.

Il demanda la lettre, l'ouvrit, se tourna vers le mur et la lut :

« Ce n'est qu'un formulaire ordinaire, dit-il.

- Nous sommes des gens ordinaires, dit-elle, nous faisons des choses tout à fait ordinaires.

Il hocha la tête d'un air dubitatif et remit la lettre dans sa poche. Il était propre à présent, presque élégant.

Le bourg tardait à s'animer. Ils se dirigèrent vers une gare en faisant le compte de leurs ressources.

Ils pensèrent dévaliser une station-service jaune et verte, mais ils se contentèrent de demander quelques smenks au pompiste. Il les leur tendit en riant : il connaissait la musique. Il ne s'aperçut pas que Viéritsa volait trois Karamélis. La police ne poursuit pas ce genre de chapardeurs.

Dans le train, ils se partagèrent les Karamélis.

Leurs dents se collaient, ils s'ouvraient la bouche l'un devant l'autre, se rappelant l'excellente farce du chien qui mâche un gros chewing-gum : le chien se tord la gueule et se racle le museau avec la patte. Le train démarra vers Saint-Ziriex. Formán et Viéritsa se regardent gravement. Ils sont assis l'un en face de l'autre sur les banquettes en skaï de Vonat Kompanyi, sans billet, « après avoir risqué sa vie dans les marais », dit Formán. Viéritsa ne pense pas retrouver son emploi, parce que les néons du premier étage sont restés allumés :

« Un court-circuit est si vite arrivé !

Elle s'accuse et pleure.

Formán relève sa tête bouclée. Elle dit : « Nous agissons comme des enfants. »

Formán tapote sa pochette, et dit qu'il lui reste la lettre :

« Un certificat d'innocence, c'est quelque chose !

Le train roule, ils examinent le paysage, l'un à l'endroit, l'autre à l'envers. Le train est un pont qui roule, entre le passé et l'avenir. Viéritsa espérait que l'Autre dirait la vérité. Viéritsa craignait le mensonge. Formán se sentait lassé à l'avance de toutes ces confidences qu'il faut faire aux femmes.

« Une queue de sirène, qui empêche de marcher. »

Il dit cela tout haut, Viéritsa le comprit, posa sa main brune sur la main verte de Formán: ils pensaient les mêmes choses en même temps :

« Plus tard » dit-elle.

Ils se caressèrent le visage. Le contrôleur passa dans le couloir sans s'arrêter.

Formán et Vieritsa se retrouvèrent à 14h 38 sur le quai d'un pays tout à fait inconnu. Il flottait dans l'air une odeur marine. L'Etat de Wyczuri n'était pourtant pas si étendu. Le train s'était arrêté souvent, il n'avait jamais dépasse les 100 km/h.

Ils contournèrent les documents de gare :

« La Baltique » dit-elle.

C'est horrible, pensa-t-il.

La lettre était sur son cœur, il avait failli à son devoir. Véritsa devinait tout. D'abord, elle prétendit que les frontières s'étaient déplacées. Qu'une décision administrative - « du fond de tes marécages, tu ne pouvais pas savoir ! » - avait repoussé les limites du Wyczuri vers le Nord et la mer.

Les uniformes avaient changé, mais il y avait toujours des uniformes. Ils interrogèrent un de ces hommes. Ils apprirent que les troupes d'Abimani s'étaient emparées sans résistance de la « nation-amie » de Wyczuri, pendant les heures consacrées au sommeil. Autour d'eux, dans la gare, dans les rues avoisinantes, et au centre ville, tout le monde souriait, soulagé. Les amoureux s'étreignaient dans les rues piétonnes. Le sol pavé de briques autrefois rouges figurait des rigoles, des troncs de cône en pierres accumulées formaient au centre des allées des piédestaux de lampadaires. Toutes les boutiques avaient fermé pour le dimanche. La zone commerciale butait contre un mur gris souillé de tags. Ils revinrent sur leurs pas, trouvèrent une autre rue, défoncée, sans boutiques, aux trottoirs dentelés : la vieille ville des entrepôrs, aux vitres brisées, reprenait ses droits.

Mais il y avait eu ce rêve de vitrines, et l'on respectait le dimanche, cette années encore. Formán et Viéritsa marchaient main dans la main, évitant les dislocations du trottoir.

Ils trouvèrent plus confortable de prendre le milieu de la chaussée, déserte, bosselée. Formán se sentit l'estomac creux : le remords, sans doute. « Tu n'as pas risqué ta vie. L'eau n'a pas dépassé ta poitrine. Le fleuve avait changé son cours. - Je dois me débarrasser de cette lettre, dit-il à haute voix. Ils la jetèrent dans la première boîte aux lettres venue : une grise, au petit auvent écailleux. « Je me sens mieux.  - Tu veux tout balancer, Formán. Un jour ce sera moi. » Il n'en savait rien. Il le lui dit, la serra contre lui, la fit avancer dans des rues ouvrières, et désertes, plus que jamais. Les crampes reprirent : c'était la faim. « J'aime mieux cela » dit-il. - Préfères-tu rentrer ? -J'ai de l'argent.

- Me trouves-tu monotone ? » Il répondit simplement qu'il souhaitait rencontrer d'autres personnes pour fuir ensemble, plus loin. « Mais je suis un groupe », dit-elle. Viéritsa effectua un geste désespérément commun, mais qui provoque toujours l'émotion : serrant la taille de Formán, elle colla sa poitrine à la sienne et renversa le visage. Il lut dans ses yeux beaucoup de foi tranquille. « C'est la religion du groupe qui a tué notre pays », dit-elle. Il se dégagea doucement. La rue, sombre, se dirigeait vers la mer. Après le passage à niveau, ce fut la plage, les boîtes à conserves, un soleil clair sorti des nuages. Formán retroussa son pantalon, courut vers une barque et la poussa dans l'eau.

Ils s'étendirent et se laissèrent dériver, confiants dans la force de leurs bras et dans les rames sèches, au fond de l'esquif. Et quand ils se furent accouplés, c'est-à-dire collés l'un à l'autre sans ôter leurs vêtements, Formán passa la main sous le plat d'une rame. Il sursauta : une enveloppe sèche était camouflée là, elle portait son nom, et l'adresse de l'autre encore. Il secoua Viéritsa, lui mit l'enveloppe sous les yeux. Ils l'ouvrirent à grands coups saccadés. La barque roula. « Un instant, fit-elle en posant un doigt sur la bouche de Formán. Si tu me rejettes, tu me trouveras toujours sur ton chemin. » La lettre disait : 'Rendez-vous à Copenhague ». Il empoigna les rames. Déjà l'hélicoptère de ronde avait pris son tour dans le ciel du dimanche. D'abord, ils furent pris pour de paisibles canoteurs. Le ciel s'était enfin dégagé, il régnait une douce chaleur. Mais bientôt, comme ils longeaient la frontière des eaux, la voix du haut-parleur tombée du ciel leur enjoignit de regagner la zone autorisée. Ils s'allongèrent au fond de la barque.

Pendant trois jours, au centre de détention pour hommes, Formán refusa de manger. Viéritsa fut mise avec les femmes, à Boïdanek. Tous les soirs, à la même heure, les gardiens des deux prisons tournaient les clés dans les serrures jusqu'au lendemain matin.

Tous les deux dessinaient sur les murs de leur cellule un plan imaginaire de Copenhague. Dans leur ignorance, ils multipliaient les canaux, si bien que leur plan finissait par évoquer Bruges, ou Amsterdam. Les gardiens toléraient cette innocente manie. Bientôt, les murs de toutes les cellules, dans les deux prisons, se couvrirent de graffiti, puis de fresques. Cela détournait les prisonniers de tout projet d'évasion. Les récidivistes, retrouvant leurs murs, admiraient de nouvelles perspectives de ciels bleus. L'un d'eux initia Formán aux échecs. A Boïdanek, Viéritsa écoutait les récits de voyage d'une nouvelle amie. Celle-ci prêtait patiemment l'oreille aux histoires de la vendeuse de pantalons, qu'elle débitait d'une petite voix honteuse.

La gardienne se mêlait à la conversation, avant l'heure du couvre-feu. Parfois, la gardienne récitait du Fejtö, scandant les vers avec son grand porte-clés circulaire, comme sur un tambourin. Ils ne faisaient pas de cauchemars, chacun dans leur cellule. Dans la prison pour femmes, la gardienne proposait aux détenues des grilles de mots croisés, dont elle gommait régulièrement les solutions. Il n'y avait ni tortures ni sévices dans ces établissements-là, mais la surveillance s'exerçait sans failles, et dans le respect de l'humanité. Pour Formán, tout faillit se gâter lorsque son gardien lui découvrit l'enveloppe et son contenu, qui avaient échappé aux fouilles d'entrée.

Le fonctionnaire comprit alors le sens de tous ces plans de villes qui transformaient les murs en autant de fenêtres, barrées de toiles d'araignée. Viéritsa, de son côté, parvint à faire sortir un message, que la gardienne avait promis de ne pas lire. « Mais depuis que je vous ai confié la lettre, je ne dors plus, dit Viéritsa. - Moi non plus, répondit la gardienne. - L'avez-vous bien portée ? - Je le jure », dit la gardienne. Le directeur de la prison des hommes tournait et retournait entre ses doigts le message litigieux. Il baissait la tête derrière son bureau, avec une moue préoccupée : « Vous comptez vous évader ? - Pas du tout. - Pouvons-nous continuer à vous faire confiance pour effectuer les réparations techniques dans le bâtiment ? - Sa ns difficulté. - Voulez-vous sortir de là ? dit la gardienne dans l'autre prison. - Et comment ! répondit de son côté Viéritsa. - Suivez-moi. Il y a longtemps que je veux m'évader, moi aussi. Oubliez Formán. » Ce dernier quitta la maison d'arrêt de Kostrzyn le même jour, en compagnie d'un apprenti hongrois. Cet apprenti répondait au nom de Vaszláv. Il s'intéressait aux phénomènes électromagnétiques et prétendait régenter « les esprits ». Vaszláv ne pouvait subsister que dans la nature.

Il avait souffert plus que quiconque à l'intérieur des bâtiments, où il n'était venu que pour une réparation bénigne. Son angoisse s'était accrue lorsque Formán, à peu près de même taille, avait proposé d'échanger leurs tenues. « Ça ne marchera jamais, dit le gardien qui les avait épiés. Prenez plutôt ce couloir, puis descendez l'escalier C à gauche : vous aboutirez tout droit sur les poubelles. Attendez le ramassage, glissez-vous parmi les hommes. Ils ne feront aucune difficulté. » Vaszláv et Formán venaient de se connaître. Ils se regardèrent avec perplexité. Le gardien à présent tournait le dos. « Pourquoi pas dit Vaszláv. Je t'accompagne. Tu seras moins suspect. - Tu es courageux, dit Formán.

Après une nuit passée dans l'odeur aigre-douce des épluchures, ils suivirent les indications. « Ho, les nouveaux ! Prenez-moi ces gants, videz-moi tout ça en vitesse ! » Les poubelles basculèrent cul par-dessus tête, se secouèrent, puis retombèrent à vide. Les deux « nouveaux » galopaient, chargeaient les grosses boîtes brunes, les détachaient, couraient s'attacher à l'arrière du camion orange. Au coin d'une rue de banlieue, ils se détachèrent, lancèrent derrière eux leurs gants de protection, traversèrent une étendue de hautes herbes et se retrouvèrent sur la berge d'un ruisseau côtier à sec, épaule contre épaule, faisant des passes magnétiques sur un galet. Vaszláv était de dix ans plus jeune que son nouvel ami.

Ils ont longé la mer. Viéritsa et Xénia, la gardienne, grosse en jupe verte, se sont rendues dans une petite maison. « J'habite de l'autre côté des Maraîchers, dit Xénia. Nous ne serons pas dérangées. Le seul inconvénient, c'est le bruit des motoculteurs : ils binent le sol. Ils tracent des sillons. Ça s'éloigne, puis ça revient, sans cesse. Les hommes regardent la terre, juste la terre : c'est un coin tranquille. Tu partiras quand tu voudras. » Elles sont parties ensemble au bout de trois jours. C'étaient en ce temps-là de bien curieuses destinées. Les uns longeaient la mer en direction de l'Odra, les autres s'enfonçaient vers les grasses plaines du sud. Nul n'aurait su dire s'ils se reverraient. Formán n'avait pas de passé. Viéritsa non plus. Ils n'avaient jusqu'ici connu que la vie simple et droite, qui d'une vendeuse de pantalons, dont la main s'était parfois égarée, qui d'un instituteur de bourgade. Les deux nouveaux venus, Vasláv et Xénia, tenaient à faire partager leurs expériences, leurs interrogations sans réponses, à ceux qu'ils accompagnaient désormais. Et depuis trois jours, de part et d'autre, l'électricien et la gardienne se taisaient, attendant des jours meilleurs. « Szczecin, dit Formán. De l'autre côté du fleuve, c'est l'Allemagne.

Qu'est-ce que tu veux aller foutre là-dedans, dit Vasláv. Le même jour, les deux femmes cherchaient dans Lódz un logement occupée par une amie. « J'ai des amies dans toutes les villes », dit Xénia. Tout séparait les deux amants. La lettre de Viéritsa s'était perdue. Formán avait disparu. Il avait conservé le message adressé à Pan Bérénine, Borsga, Blockhaus B. Le pays sombrait dans la décomposition. Les hommes remontaient l'Odra, retardés de pont en pont par les barrages. Xénia et Viéritsa s'enfonçaientà perte de vue dans les champs gras de pommes de terre. Les charrettes grinçaient dans l'air crépusculaire. Puis Viéritsa tomba malade. Xénia et elle séjournèrent quelque temps dans une petite ville frontière, au bord du fleuve.

Formán et Vasláv les y rejoignirent : on ne pouvait sortir de là ; tous les déchets venaient s'accumuler au même endroit, comme autant de débris tourbillonnant au-dessus d'une bonde. Et d'emblée, entre Xénia, qui n'avait pas ôté sa jupe verte, et le trop blond Vasláv, ce fut l'hostilité déclarée. Les amants réunis n'osèrent pas les contrarier, ils modérèrent les transports de leurs retrouvailles inopinées. Dès le lendemain pourtant, ils décidèrent de se marier. Alors, leurs cerbères se relâchèrent, juste un peu. Xénia murmura entre ses dents que ce n'était pas la peine de s'être évadés, si c'était pour se marier. Le délai administratif imposé leur parut interminable. L'officier municipal ne manifestait aucune hâte à falsifier les papiers. Viéritsa se remettait peu à peu. C'était une ville de garnison, plongée pour l'éternité en 1960. Tout rassemblait à nouveau les quatre personnages, en premier lieu l'oisiveté. L'argent pourtant ne manquait pas – grâce à l'agent municipal – étrange bonhomme. Ils atteignirent ainsi le début du moi de mai. Ils se rejoignaient dans un café au sol semé de sciure, et passaient des après-midi entières, et des soirées aussi, à échanger leurs passés. Formán souffrait de tout cela, mais n'en laissait rien paraître ; en effet, tout ce qu'il souhaitait éviter devenait inévitable. Viéritsa dévidait des souvenirs sans importance, ayant atteint ce point où la pudeur s'efface dans les yeux ; les deux autres se roulaient avec délectation dans leurs années d'avant, se découvraient des complicités. Un souci commun de justification les soutenait encore. Pour finir, Formán et Viéritsa se taisaient, écoutant se confier les gens du commun. Il leur semblait encore et à jamais que rien ne s'était passé avant l'unique nuit d'amour, dans la ville aux marais, au-dessus du magasin d'habillement. Ils se rejoignirent plusieurs nuits, sans retrouver le goût de leur première étreinte. Cependant, le plaisir renaquit peu à peu, les rues se couvrirent de neige fondante, Vasláv ravauda les canalisations vétustes du quartier. Xénia trouva un poste dans la Citadelle où croupissaient trente opposants. « Une lettre pour vous. » Xénia n'avait pu se résoudre au tutoiement.

Formán, qui revenait de l'unique promenade au bord du fleuve, trouée de gravières, tendit la main. C'était son nom, c'était l'adresse : « BLOCKHAUS B ». Un frisson lui parcourut le Japon. Viéritsa lui arracha l'enveloppe et l'ouvrit : « Tu es convoqué au Gouvernement Militaire. » L'officier, sec et brun de peau, le fit asseoir dans un fauteuil en cuir. Les trois autres avaient tenu à se faire également recevoir, et se tenaient debout à côté de l'officier. « Nous ne vous avons jamais perdu de vue, Pan Bilinine. Le pays n'est pas encore aussi désorganisé que vous le souhaiteriez. Nous connaissons les circonstances de vos évasions à tous, dit-il en regardant fixement Xénia.

« J'ai été engagée à la Forteresse, dit-elle. - Et vous avez prêté serment. Nous ferons sauter vos protections, dit l'officier brun.

Vaslàv s'interposa : « Elle sera ma femme. Elle n'aura plus besoin de travailler.

- Quel âge as-tu ? demanda Formàn.

- Vingt-huit ans.

Vive la Révolution, grommela Formán. Puis, à l'officier : « Comptez-vous me réincarcérer ?

L'officier lissa ses cheveux sur les tempes : « Uniquement vous avertir de vous tenir à carreau tous les quatre.

Ils se retrouvèrent libres sur la grande place pavée devant la Citadelle, incrédules.

« Il m'a laissé la lettre, dit Formán.

Vasláv et Xénia se considéraient avec stupéfaction.

Le soir, la lettre fut examinée, scrutée dans les moindres détails de sa présentation, de sa formulation : elle ne recélait aucun message secret. « Partons plus loin », dit Vasláv. ...Ce seraien encore d'autres villes grises, comme le souhaitait Vasláv, d'autres campagnes nues à la fertilité incertaine. Ils fuyaient. Indifférenciés. Se tenant la main, ou marchant l'un derrière l'autre. Les couples s'échangeaient dans la misère, tantôt de l'un et l'autre sexe, tantôt non. C'était à pied que l'on fuyait le mieux. Sous les hauteurs du ciel gris, le vent poussant, la Guerre indispensable s'était réveillée, faisant de tous les êtres autant de grains qui volent. Moins d'un pays, d'un groupe ou d'un parti contre l'autre que par l'effet d'un vaste bouillonnement, levure désordonnée de l'âme du monde qui s'échappe à soi-même, et jette à l'air les balles, les obus – trop longtemps comprimés.

La plaine s'achevait en fortes rampes où dévalaient des rapides, puis en falaises. Ils escaladèrent les rochers détrempés, s'aidant l'un l'autre de la main sous les chutes d'eau, tandis que dans le bruit de l'écume précipitée passaient les échos tordus des canonnades. Parvenus sans manger, le troisième jourr, au sommet des Contreforts Rouges ou Monts de la Géante, il contemplèrent les vastes plaines deBohême. Le vent passait sur leurs têtes. A mi-pente montaient les premiers vergers. Les quatre humains méconnaissables descendirent entre les arbres à la recherche d'un village. Ils pénétrèrent dans une maison déserte, remplie de vivres et de couvertures à l'usage des personnes de passage.

C'était la coutume en Bohême, avant la guerre. Mais on les avait suivis de loin à la jumelle. Sans leur demander de rebrousser chemin, ni les tenir pour des espions, un garde-frontière en uniforme vint leur conseiller de poursuivre au sud-est, en évitant la capitale. Il apportait des vêtements, des chaussures et du savon. Quand ils se furent lavés et changés, le garde tendit le bras vers un sentier, leur souhaita bonne route et beau temps. Ils n'excédaient pas vingt kilomètres par jour. Le soleil à nouveau marqua midi. Ils retrouvèrent leurs identités en s'étirant dans une prairie cernée de haies. En même temps les vivres vinrent à manquer. « Cafetiers ou comédiens », dit Vasláv. « Tel est notre seul choix. » Passant la tête par un trou de haie, le blond Vasláv n'en crut pas ses yeux : une gande maison était là, délabrée, avec sur le devant une verrière brisée.

Partout la mousse des murailles, et l'abandon. Gouttières rouillées, fenêtres pendantes, portes ballantes. A l'intérieur, plafonds moisis, sol pourris, murs détrempés. Tous manifestèrent une profonde satisfaction, et se répartirent les chambres les plus habitables : Vasláv dénicha au premier un confortable galetas. La gardienne verte monta l'escalier aussi vite que ses jambes le lui permettaient. Viéritsa voulut aussitôt exercer le métier de vendeuse à Krevenčo, « 6km ». Ce furent

des projets, et la nuit tomba, sans eau ni électricité. A Krevenčo, Formán et Viéritsa se procurèrent des vivres et du travail. C'était une époque bénie. Un jour, en ouvrant les volets, Formán et la Gardienne s'aperçurent que les deux autres avaient disparu, choisissant de reprendre la route. Alors la Guerre franchit la frontière, un obus tomba sur la maison “Vritska”, et il n'y eut plus rien.

 

F I N

COLLIGNON HARDT VANDEKEEN LE SINGE VERT T. IV 44 – 36

 

JE NE SENS QUE QUAND JE SENS L'ETERNITE DRIEU LA ROCHELLE "Gilles" "L'Apocalypse, V"

 

 

Sonnez hautbois résonnez musettes, voici la dernière en date du féminisme triomphant, certains diront dernière connerie, moi infamie. Une femme peintre ayant fait poser seul à seule dans son atelier un modèle quelque peu échauffé, le vit bander. Ca fait très conte de fée, délicat et tout, on va dire s'épanouir pour ne pas effrayer les petites filles. Elle s'approcha toute surprise, oh là là dis donc, le prit à bras la bite (c'était doux et chaud) et lui fit shampooiner Charles le Chauve, entendez par-là qu'elle le branla dûment et correctement (Blanche-Neige croyait que Seven Up était une boisson avant d'avoir vu les sept nains, ouâââf !). "Il répandit son encens devant mes autels" (Mirabeau, carrément, porno clâsse) (c'est vrai y a de ça dans l'odeur) (un peu lessive aussi) ( cuvette!) et le sperme se répandit sur le bas-bide. Le modèle honteux et confus partit se torcher au-dessus du bidet le plus proche : "Ouah surtout tu dis rien à ma femme ouah putain je me sauve" (comme le lait sur le feu NDLR) sans demander son reste. La peintresse absolument ra-vie se confiant à sa meilleure amie eut la surprise extrême d'entendre dire d'un ton docte que c'était pas bien du tout, ah mais pas du tout, de la part de l'homme pour changer, qui s'était comporté comme un gros porc égoïste, qui devait revenir s'excuser, parce qu "on ne se conduit pas comme ça avec une femme", afin de proposer un "dédommagement", et qu'il "ne devrait pas recommencer avec une autre femme". Et le plaisir de la voyeuse, connasse, et la fantaisie, et la poésie, et le primesaut ? Ce serait à se tordre ta réaction si ce n'était pas si infect. L'initiative est venue de la femme. Qui a pris du plaisir a voir et à toucher. L'impulsion est venue des deux à la fois. Mais le désir féminin n'est-ce pas est tellement beau, tellement pur en soi, tellement amoureux, qu'il doit à tout prix être glorifié, encensé, tandis que le désir masculin, pouah beurk, quelle dégoûtation ma chère, un homme qui se branle mais c'est à vomir, voilà où on en est, retour au XIXe s.

Comme disaient des Américaines (faut pas demander) à Sollers qui vantait l'érotisme dentellier de Fragonard ("L'Escarpolette") "Vous n'avez pas honte you french pig de promouvoir ces acceessoires qui font de la femme un objet" - "ce n'aura pas été la première fois dit Philippe qu'un instrument de libération se transforme en moyen d'oppression"... Une récente émission a fait part de la répugnance des femmes à la fellation et à la sodomisation, mais je vous prie Mesdames, allez donc au fond de votre pensée, c'est en fait toute pénétration qui vous indispose, qui vous répugne. Les préliminaires, et rien que les préliminaires, à en écouter certaines on a l'impression que le partenaire masculin idéal, ce serait tout simplement... une femme. Heureusement qu'il y a les putes et les vedettes du porno, parce que sinon mes pauvres vieux, on serait bon pour la veuve poignet à tour de crampes. D'ailleurs ce ne serait pas si mal, d'un côté les putes et les films, de l'autre les femmes entre elles, quand je vois mes pauvres vierges de première et que je pense aux abrutis qu'elles vont devoir se mettre sur la fente, et qui vont les esquinter et les dégoûter - c'est à ça que je me vante de repérer les pucelles, à l'étincelle qu'elles ont encore dans les yeux - j'ai envie de leur dire "Mettez-vous entre vous surtout, jute entre vous, fuyez cette race de gorilles dégénérés qui de toute façon n'auront ni votre degré d'études ni vos raffinements."

Tant qu'on ne me l'aura pas interdit par la loi, et pour le peu de temps qu'il me reste encore à écrire librement, je maintiendrai que la répugnance je dirais instinctive des femmes pour le contact de la bite de l'homme (ça se comprend) est cause directe de toute prostitution (certaines voudraient l'interdire - ça aussi : criminelle inconscience !), de l'homosexualité masculine, de la pédophilie, du viol. Le mâle moche, sans séduction, con et flemmard, ne réussira jamais à intéresser une femme quelle qu'elle soit - vous savez bien ! ces êtres éthérés qui vous balaient d'un coup d'éventail, qui vous draguent à deux dans les boîtes et dès que vous commencez à vous enhardir vous jettent "y s'croit où ce connard, tu t'es regardé va chier" - bref une Phâme, adorable et fragile comme chacun sait.

Il faudrait baiser seulement quand elles veulent, où elles veulent et dans la position qu'elles veulent, sans oublier de demander toutes les trente secondes comme un TGV qui se signale "Tu es sûr que je veux continuer ?" puisqu'un type en Angleterre s'est fait condamner pour ne pas avoir obtempéré sur-le-champ au commandement "Stop" au milieu du coït - notez que dans le même genre des juges italiens ont débouté une femme violée sous prétexte qu'en jeans elle n'avait pu être que consentante, parce que c'est trop difficile à enlever de force, un jean...

Le viol c'est un crime. Mais on en a marre les filles. Marre des leçons de morale, que vous appelez "discours amoureux". Il faut toujours subir la morale, la morale, la morale, la morale avant, la morale pendant, la morale après : "Vous êtes vraiment tous les mêmes, des vrais chiens" - et toi, tu ne voulais pas peut-être ? Toujours ce salaud d'homme qui vous a forcé la main ? non, pas la main, chez vous ça se déclenche tout seul... Vous voulez à la fois la considération de l'homme et le respect de la femme. Une abrutie que je connus s'indignait qu'un jour, seule dans la rue et trimballant de lourds paquets, aucun homme ne se soit proporé pour l'aider. Mais il fallait voir l'allure de la gonzesse, le tête en arrière et tout, demandant à deux huissiers sous je ne sais quel porche de venir l'aider - l'un des bonshommes a dit à l'autre, sans se bouger : "Tu vois c'est ça, le féminisme" - eh oui ma vieille, t'avais beau t'étrangler d'indignation en racontant ta petite anecdote de merde, nous les mecs, jamais, en tant qu'hommes, jamais il ne nous serait venu à l'idée de demander quoi que ce soit à qui que ce soit comme ça dans la rue pour se faire aider, parce que nous autres, hommes, nous avons appris à nous démerder tous seuls, et mêpme si tu ajoutais hargneuse à nos dénégations : "Mais enfin ils étaient là à ne rien foutre" - non, ce n'était pas une raison, jamais un homme en bonne santé ne demandera à qui que ce soit de l' "aider". Navré. Je me serai toujour bien marré, tiens, à écouter ça...

De même dans "La Vie est un songe" de Calderon, un personnage, Rosaura, est une femme travestie. "A quoi reconnaît-on que c'est une femme?" demandais-je à mes bacheliers - réponse : "A ce qu'elle est toujours en train de demander de l'aide" - c'est vrai : les femmes, c'est toujours plus ou moins "Madame Fais-Moi-Ci-Fais-Moi-Ca", sur la table par exemple dès qu'un objet est éloigné d'elles de mettons dix centimètres de trop, c'est à l'homme de le faire passer pour leur éviter de soulever leur précieux cul. Sur quoi on me rétorquera que les hommes se font servir aussi, laver les chaussettes et faire les bagages - eh oui, le Singe Vert donne dans le "Bonnes Soirées" en ce moment, voire le "Journal de Mickey " rubrique "Les garçons et les filles". Combien de femmes méprisent-elles encore leur mari, estimant qu'il est bien assez payé par la qualité de leur cul ? C'est pour ça qu'il est mal vu, le Singe Vert :parce qu'il n'emboîte pas le pas derrière le prêt-à-penser féministe ou autres, parce qu'il n'encense pas par exemple les exploseurs de bébés qui s'intitulent "héros de la cause palestinienne"- eh tu changes de sujet là, brusquement. Attends j'envoie la soudure : pourquoi est-ce qu'ils ne commettent pas des viols de juives collectifs, les Palestiniens ? ça les souillerait peut-être, comme des nazis '"Rassenschande"). Comme ça on pourrait exposer leurs portraits dans les classes de petites filles, à côté de ceux qui se contentent de faire sauter des civils. Et les morpionnes admireraient ces nouveaux héros, en faisant le V de la victoire... On a déjà utilisé le viol collectif en Bosnie, contre des musulmanes d'ailleurs, pourquoi pas sur le front de mer de Tel-Aviv ? Quitte à descendre, autant descendre jusqu'au bout. Alors évidemment ça fait tache, ce que je dis. Des femmes vont se dire que je défends le viol. Non pas du tout, je hais le viol et les violeurs, qui déshonorent la masculinité, qui la réduisent à la bestialité, qu'ils en prennent le maximum, je n'irai pas les plaindre, QUOIQUE... S'il n'y avait pas eu les putes, dans mon jeune temps, comment est-ce que j'aurais fini ? La fois où j'ai fait semblant d'étrangler une fille peu collaboratrice, pendant que mon copain s'envoyait en l'air dans la pièce d'à côté ? Et celle où je me suis promené dans un bal de Dordogne en exhibant mon gros schlass à cran d'arrêt ? on nous a virés. Peut-être que je me serais retrouvé en taule, puisque tout ce que les filles savaient dire à mon sujet c'était "Oh çui-là alors qu'il est con" ?

...Ou encore, dans le noir, sur un ton super-méprisant : "Tu ne serais pas le fils Untel, toi ? Parce que tu fais exactement les mêmes blagues que ton père !" - ça sert à quoi d'humilier les gens comme ça ? et dans le noir, courageux ! quand on s'est retrouvés sous les premiers réverbères de St-Front-de-Pradoux, vous croyez que j'ai su qui c'était, mon insulteuse ? Courageuse et tout... Encore maintenant trente-neuf ans après je rumine les réponses que j'aurais pu faire, j'avais médité de rebrousser chemin, mais pour me retrouver tout seul... rentrer chez moi... J'ai tout subi pour ne pas rester seul. C'est bien fait pour ma gueule. Maintenant je ne bande plus, ou mal, et je me fais reprocher de ne plus bander, c'est la nature, mais j'aimerais bien me réfugier comme d'hab dans le "c'est pas moi c'est les autres", et dire à toutes ces femmes ui ont autant manqué d'audace que moi : "Ca y est vous êtes contentes ? encore un de castré ?" C'est la mélancolie coco, "toutes celles qu'on n'a pas eues", "au-delà de cette limite" - tout de même 57 ans c'est tôt, c'est vrai ça Hugues Aufray qu' "à 70 ans, [tu n'as] pas encore baissé le rideau ?" Si tu l'as dit à Christine Bravo, c'est véridique non ? Je ne vous parle pas d'amour dans tout ça. Je suis tout de même parvenu à faire une petite scène dans la salle des profs, pitoyable en vérité, pathétique ! Il paraissait qu'Allègre, le ministre, pas le tueur en série, n'avait jamais digéré d'avoir dû redoubler sa cinquième - et Moâ, toujours prompt à Me substituer à quoi que ce soit, j'avais sorti qu'ent out cas je n'avais jamais dépassé non plus le traitement que "les filles" m'avaient fait subir entre 15 et 20 ans, gueulant que c'était une véritable honte, et que - horresco referens ! - chaque viol appris c'était désormais pour moi comme une revanche !

Ah c'est du propre Singe Vert ! Y a du mou dans la brindille! eh bien mettez que je me décompose, on ne peut pas être excellent tout le temps, ni même moyen, vous jetez ça et on n'en parle plus ! Complaisant, parfaitement, complaisant, et "y a pas que toi" eh bien de quoi de plains-tu je suis ton porte-parole ou ton porte-coton... Je veux qu'on s'occupe de moi, je veux qu'on me parle, je veux un amour fusionnel, tout savoir de l'être aimé savoir ce qu'il fait et lui dire ce que je fais à tout moment de la journée, le truc horrible amibien suffocant et blême... Misogyne, moi ? allons donc ! Chiant comme tout et puéril, incapable de concevoir un couple où chacun serait libre, plus collant qu'une gonzesse, malheureux dès que la Femme ne regarde pas ma prouesse (verbale), immature, chialatif, sentimentale et tout, besoin de gros câlins ridicules avec son nounours, besoin de mots d'amour mais seulement quand je veux, moi j'aurais le droit de dire des vacheries mais pas la femme sinon je hurle à la victime, et je fais caca dans les draps. C'est l'histoire d'un petit garçon pas propre à qui sa mère dit (merdy) : "Si tu n'arrêtes pas de souiller la literie, ton papa ne va pas être content !" Total je suis devenu propre, mais pour faire plaisir à papa ! défense de se faire dorloter par sa Manman au-delà de quatre ans ! On ne chie plus au lit on devient grand ! Mais alors l'Edipe hein, oui je fais la faute exprès comme ça vous prononcerez correctement bande de nazes, l'Edipe disais-je, il n'a jamais été résolu ! Défense d'attirer l'attention de Maman, c'est du papa qu'il faut avoir pitié ! - Ca n'intéresse pesonne. - Pas moins que les plaquettes de poésie, ta gueule. Tout ils me disent ça : "Qu'est-ce qui te prends de continuer tout seul ta guerre des tranchées c'est fini 14/18" ben alors si tout le monde il est beau tout le monde il est gentil comment est-ce que je vais continuer à me plaindre moi ? - Il y a des Viet-Namiens qui meurent de faim - Pourquoi tu as fait quelque chose toit pour les... - Non rien mais un peu de pudeur... - Rien du tout ? - Rien, mais... - Ta gueueueueueule ! Le Viet-Namien c'est moi ! Méchant moi ? Lâche oui, et le disant en même temps, tous les défauts mais les dénonçant avant que les autres ne le fassent, donc adoléchiant, parfaitement, inintéressant et le disant, donc inutile, enfant gâté mais ils souffrent aussi les enfants gâtés qu'est-ce que vous croyez, mais oui on t'aime putain la glu sans e bande d'ignare orthographiques bien sûr que je suis banal mais si on n'avait jamais demauvaise foi on ne pourrait jamais gueuler, c'est comem ma psy (Monsieur a unE psy) qui me répète que l'homme Occidental vraiment n'a pas à se plaindre et vient l'encombrer de ses petites misères de cul mais chère Psy (j'ai envie de faire psy-psy) vous ne remonterez jamais le moralà un malade en lui montrant un mort ! Le mec qui souffre d'un complexe il SE FOUT des gens qui meurent de faim et de froid ! de la petite vieille de Vladivostok! de l'ouvrier cairote ! du condamné à mort de l'Alabama !

encore que celui-là, justement, mais on nepeut pas se mobiliser pour tout ! Les gensses bien intentionnés vous disent qu'il faut s'aimer d'abord pour aimer les autres, eh bien je me soigne et je pleurniche un bon coup et je retourne au turbin : faire aimer la culture et la littérature à des fils de bourges du Bassin (d'Arcachon, je dis ça pour les ploucs du Nord-Est) chacun son boulot "Il n'y a pas de sot métier il n'y a que de petits salaires" et justement un garçon de 16 ans m'a dit vendredi une phrase qui commençait par "Ce qu'il y a de passionnant en littérature..." - eh bien vous voyez que je ne perds pas toutes mes journées!

On se disait bien aussi que je n'étais pas si méchant, juste grimacier ; que je ne détestais pas tant que ça les ceusses qui n'avaient pas fait d'études, puisqu'ils me parlent, en sachant bien que je ne prends pas mes haines au sérieux - qu'est-ce que ça peut me foutre de n'avoir pas même le talent et la haine du polémiste, je suis comme tout le monde l'ennui c'est que je ne supporte pas qu'on l'ignore mais ce que je ne supporte pas ce sont les Grands qui veulent me faire taire parce qu'ils font ce que je fais en tellement mieux. Mais si que j'aime les femmes et même de temps à autre un petit Julio Iglesias (tous les trois ans faut pas pousser) ou Julien Clerc (tous les trois mois) ou Benguigui sauf avec Johnny (on se gâte en vieillissant) (moi-ç-aussice) parfaitement banal mais regardez-moi, regardons-nous avant de disparaître dans la fosse (prononcez comme "brosse" et pas comme "grosse" tas d'ignares) où en étais-je ? Ah oui, les féministes sont des connes et des salopes mais il fallait qu'elles existassent, heureusement qu'il y en a eu et qu'il y en a encore, faut les éviter c'est tout. Et puis pour baiser c'est toute une histoire, on appelle ça le sentimentalisme, les mystères de l'amour, les larmes aux yeux qu'on en oublie de baiser, "Laisse-moi oui laisse-moi rien qu'une fois / Mettre mon bras dans la chèvre d'Esméraldaaaa" (les Frères Brothers que-je-vous-recommande) - bon j'arrête. De pieuvre. Et pendant que j'y pense - cette histoire des Bouddhas millénaires et non moins dynamités, quel rapport y a-t-il je vous prie de leur destruction au sort misérable des Afghanes ? Ne vous est-il jamais venu à l'idée que les femmes, ça se remplace, tandis que les monuments de l'histoire de l'humanité sont irremplaçables ? Pardonnez mon cynisme, je ne dis pas qu'il fallait qu'elles fussent plus longtemps opprimées, et l'on a bien fait de renverser les talibans, et plût au ciel qu'on l'eût fait plus tôt, mais établir un point commun, une commune mesure entre ces deux faits constitue un contresens aussi dépourvu de pertinence, aussi fondamentalement profond, que si l’on demandait le nombre de mètres de lait contenus dans une bouteille, ou le poids d’une température ! Toujours le syndrome de « La Locomotive et l’oiseau » - « je sauverais l’oiseau » : vraiment, camarade Boris? Fasse le hasard que jamais nous ne nous trouvions dans le cas de devoir sauver un enfant ou la Joconde. Bien sûr nous sauverions l’enfant. Mais avec la ferme et sauvage résolution de capturer, de couvrir de merde le salaud qui nous aurait acculés à un tel dilemme : car soyez assuré qu’après avoir détruit la Joconde, il aurait massacré l ’enfant.

Ne pensez pas d’ailleurs que les femmes de Kaboul et de Kandahar soient sauvées ; n’oubliez pas l’horreur que c’est d’être une femme aujourd’hui même encore ne fût-ce qu’en Iran (essayez voir un peu d’aller toute seule Allah piscine...) - et ne fragmentez pas les lignes d’attaque : c’est sur tout les fronts à la fois que l’obscurantisme, d’islam ou de Christ, doit être combattu avec la plus grande férocité (à moins qu’on ne puisse défanatiser les foules ? on les a bien dénazifiées - quoique...) - mais de grâce, féministes distinguées, ne mettez pas sur lemême plan ce qui ne peut pas l’être, par nature, par logique, par mathématique - à noter cependant que les Occidentaux enfin à ce faux argument s’émurent, tant il est hélas vrai qu’on ne peut entraîner la conviction qu’à la suite de fausses raisons... Et puis faux départ : HOMMAGE (il y a homme dedans) - HOMMAGE aux héroïques femmes de l'Afghanistan, gloire à celle qui a cassé le crâne de son mec à coups de marteau parce qu'il la cognait et qui fut exécutée dans le stade sans jugement, honneur sans fin aux institutrices qui enseignaient les petites filles en cachette au péril de leur vie, mon coeur aux dévoilées, ma merde aux machos qui éructent "elles vont bientôt vouloir se balader à poil et quoi encore", vive les animatrices radio, les journalistes qui repoussent et pas du goulot, allez les femmes, allez les femmes (et ça sert à quoi que t'écrives ça? - Ta gueule.)

COLLIGNON HARDT VANDEKEEN LE SINGE VERT T. IV 45 – 43

L'ACACADEMIE FRANÇAISE

 

 

 

4385. - Tout est mythologie. Ils ont remplacé les démons, les dieux et les saints par des idées, mais ils n'en sont pas quittes pour cela avec la force des images.

DRIEU LA ROCHELLE

Gilles - « L'Apocalypse »

 

Messieurs,

 

...A l'heure bénie où Mike Jagger dit Papy Stones, après avoir longtemps roulé, bondi, pété sur toutes les scènes d'England ou d'ailleurs, flamboyant symbole de la contestècheune de l'establishment, accepte avec reconnaissance et gratitude l'anoblissement à lui conféré par Her Gracious Majesty – les Beatles ayant en des temps plus anciens reçu l'ordre de Dieu sait quelle Jarretière ou Bain de la même Queen pour « services rendus à l'Etat », ce qui provoqua illico une vague de renvois – de décorations, je m'empresse de le préciser, de la part de maints valeureux guerriers qui l'avaient méritée, eux, cette décoration, sur les champs de bataille ; sans oublier que Sheïla et autres valeureux défenseurs de la littérature française ont accepté la Légion d'honneur - et là je me bats les flancs pour d'autres exemples, qui, eussè-je mes entrées dans le monde, seraient je n'en doute pas légion, bref : toute honte bue, et piétinant allègre ment (pas encore décoré, ce gnouf ?) la grammaire et l'élégance, par la présente, le Singe Vert a l'insigne honneur de présenter sa candidature à l'Académie française.

Nous avons tous en tête bien sûr ce raffiné quatraib, à l'adresse de La Bruyère :

Quand parmi nous Alcide se présente,

Pourquoi sur lui crier haro ?

Pour compléter le nombre de Quarante,

Ne faut-il pas un zéro ?

...ou à peu près. Eh bien, le Singe Vert, pour sa part, déjà revêtu par sa coukeur naturelle de l'habit adéquat, adé-com-quat comme on dit au Viêt-nam, n'a pas d'autre prétention, ô inclyte Académie, que de briguer le rôle de bouffon. L'Académie a besoin d'un bouffon, contrairement aux calomnies qui prétendent cet emploi largement représenté en vos rangs... Non pas un bouffon métaphorique, ou allégorique, mais d'un véritable bouffon bouffonnant, qui rote qui pète et que rien n'arrête comme sur la casquette (« Lège-Cap-Ferret, Souvenirs, Produits de Beauté, Crèmes Solaires »). Vous serez abreuvés grâce à lui de jeux de mots tôt, de jeux de mots tard, de jeux de mots laids et de calembours bons – que voulez-vous que la bonne y fasse ? si la bonne ment, qu'alors y faire ! Le Singe Vert vous renommera l'Académie sans fraises, alors que les mauvais plaisants ne manqueraient pas de dire que ses membres, virils ou non, les sucrent déjà, horresco referens ! - ignoble vision, bien révélatrice de ces temps de décadence et d'Apocalypse que nous vivons, agaga... mais mnon ! Vous aurez tout loisir et licence de ricaner, voire d'éclater, à lire sur chacun de vos patronymes ces prodigieuses et pathétiques saillies sur chacun de vos délicieux patronymes, n'est-ce pas Messieurs Rémy-Fassol, François Revel, ô Drôme ! comme on dit à Valanche.

Vous pourrez crier au sarcasme et à l'indignité : faut-il que tant de gérontes en conclave essuient les outrages d'un cadet de Lorraine alors que pleuvent de toute part les imputations de fascisme sénile – eh bien non ! Le Singe Vert révère l'Académie Française, sans arrière-pensée, quelque difficile que cela soit. Il fait partie, la brave bête, en dépit des ironies, de l'Association de Défense de la Langue Française ; il s'arc-boute contre la « simplification de l'orthographe », futel ortografic, alors que ses promoteurs s'indigneraient qu'on osât déplacer la moindre griffure sur un idéogramme cantonais. Gardez l'accent circonflexe de la flûte, alignez en revanche l'incompréhensible « je faisais » sur le « je ferais », et suggérez donc à votre nouvelle recrue, François Cheng (voire à Jamel de Bouse), d'orthographier enfin leur nom à la française : Tcheng (ou Djamel), afin que nul n'ignore que les caractères étrangers n'ont pas à se transcrire, de ce côté-ci du Tchannel, en fonction des diktats outre-manchots.

Et par pitié, rendez-nous édipe, l'ésophage et jusqu'aux édèmes, car nos cuistres bientôt ne saurons plus s'il faut que Marianne – pauvre Musset ! - s'éprenne de « Seulio » ou « Queulio » - puisque Monsieur TEURZIEUFF lui-même (paix à son âme ! ) s'était entiché du hideux « Eûeûeûeûdipe »... Non, Messieurs les Académiciens, vous n'êtes pas une assemblée drôlatique de schnoques. Reprenons tout d'abord cette histoire de bouffon : je le suis, certes, et l'on pourra bien me reprocher de n'avoir composé œuvre qui vaille ; de n'être ni lu ni parcouru ni renommé. Qu'il me soit permis d'avouer, de plus, que je n'ai lu ni parcouru aucun ou presque de l'auguste assemblée des Quarante, excepté Bianchiotti, Carrère d'Encausses ou d'Ormesson.

Enclin de plus à confondre Decaux et Decaunes, d'estimer bien surfaits les accords d'Eon, bien usurpés les Rois Maudit de feu Druon, bien compassés les édito du Tourd, sans compter l'immense Romilly, Serres et Troyat, Votre très humble et obéissant serviteur. Et je crois que c'est tout. A ce niveau les Immortels sont vaccinés, je pense, contre la vanité ! Pas moi. Vous savez bien, même du bout des lèvres, à quel point le « relationnel » sélectionne sans états d'âme quiconque n'apporte pas sa thune à l'Editeur, à son Mac – soyons clair. Pas d'argent, pas de Suisse – cooptation, publication – hors des salons, point de salut. C'en est au point que je je suis absolument convaincu de l'immense inutilité, voire de la nocivité, des éditeurs. Perdu dans le grouillement même des recalés du Comité de lecture (dont les membres ne peuvent se regarder dans les yeux sans rire), j'entends et prétends que désormais le Public se trouve assez mûr pour opérer son tri lui-même, sna qu'un malotru commercial (ce qu'est avant tout l'éditeur) vienne décréter du bout de son gros groin ce qui est littéraire et ce qui ne l'est pas.

Ces plaintes désormais bien usées, autant que deux et deux font quatre, ont désormais convaincu « les meilleurs d'entre nous » que l'écrivain occidental est à présent aussi brimé que sous l'ère soviétique – à part, oui, bon, tout de même, qu'il ne risque ni bagne ni peloton d'exécution – un « détail de l'histoire » comme dit l''autre. Ce qui fait que ma foi, me grattant « la région anale » avec la modestie d'un Michel Leiris, je me dis que Mes dizaines de volumes de Mes Œuvres, pas plus mauvaises que d'autres largement réécrites, constituent un corpus non moins respectable que celui de maint académicien. C'est la tchatche qui m'aura manqué, la tchatche utile, des amitiés utiles, des coucheries utiles, une politique utile, et surtout une éééénorme dose de conformisme, surtout dans l'originalité (j'avais beaucoup aimé, dans l'aigreur ! ce commentaire d'un ancien normalien sur le jeune Julien Gracq : On voyait bien que c'était un original ; en effet il portait une cravate – ici un temps – blanche !) - ah ! la « cravate blanche » de Julien Gracq, on en rigole encore chez moi.

Cela dit Julien Gracq est un maître, à la cheville duquel je ne prétends pas me hausser. Mais le conformisme épais du comportement, ça aide, tout de même. Par exemple, on est original comme un salonnard de bon ton qui fait glousser les dames, seulement, on ne s'exclame pas d'un coup « PUTAIN BORDEL CON je viens encore d'en lâcher un bien bruyant » - simple exemple. Pourtant, « putain », « boredl », « con », figurent dans le dctionnaire de l'Académie. Vous m'objecterez encore, chers non-confrères, que la tradition exige des visites. Certes, vous la représentez, cette Tradition, avec le grand thé Lipton – mais il y a des tradition, parole, à éliminer, comme l'absence de femme à l'Adadémie, ou la clitoridectomie ; Mitterrand avait condamné l'abandon des nouveaux-nés aux cochons en Papouasie – bel académicien, s'il eût survécu – pas le porc – et Simone de Beauvor l'usage du knout. Permettez-moi de rappeler non sans malice que M. d'Ormesson, recevant Marguerite Yourcenar, avait trouvé le moyen de faire voisiner les termes de façon exquise : « La règle veut que les femmes n'entrent pas à l'Académie Française ; mais les règles sont faites pour être violées » - la clâsse, mec, la clâsse. Ne pas fourcher de la langue, Monsieur le Secétaire Perpétuel, surtout sur le cas Yourcenar... Ce sont là des insolence grand style qui renvoient mes borboygmes génitaux de naguère à l'innocence de l'enfant de chœur. Mais parmi les coutumes qui me fonch, comme disent les djeunnz, il y a celle des contacts humains.

Je vous l'ai déjà dji, comme on dji en banlieue, seuls ceux qui savent jpoindre la souplesse d'échine à l'élégance des manières en ce momnde ô combien bas parviennent à quelque chose. Pourquoi irais-je me ridiculiser, me salir à esquisser des contacts insincères, mon rêve étant de ne plus entretenir que des liens virtuels avec des entités virtuelles, puisqu'aussi bien les contacts dits « réels » sont fabriqués et tissés de part et d'autre dans un perpétuel malentendu ? Virtuel pour virtuel, autant l'être pour de bon. Et ne me parlez pas des femmes s'il vous plaît, il y a longtemps que je trouve celles des films infiniment plus réelles, sympathiques et splendides que les femmes réelles, dont Lacan je crois disait « La femme cherhe un maître pour le dominer » : ces jeux de cons, je n'en ai rien à foutre.

Mais alors, pourquoi voulez-vous entrer à l'Académie Française ? Pour dominer sans avoir vendu. Sans m'être sali sur les étagères des libraires. Directement du cabinet aux bibliothèques. Tel Gustave Moreau, dont les toiles passèrent directement de l'atelier au musée, puisque le Musée Gustave Moreau n'est autre que son atelier. Quel besoin de passer sous les fourches Caudines du Pognon ? Est-il sain d'avoir mon Dieu les yeux incessamment fixé sur le fond de sa bourse ? On voit ce que ça donne pour l'édition. Peut-être, sûrement même, que si j'étais édité, convenablement, et bien vendu, je chanterais les louanges d'un système « qui n'a jamais abandonné personne sur le bord de la route », prenant la suite d'un Bernard Pivot, d'un Bernard Clavel qui osèrent affirmer (ce dernier devant moi) que «Jamais un talent n'est laissé de côté par l'ensemble des éditeurs » - permettez-moi d'en douter...

Bernard Lavilliers, tenez – troisième Bernard – ne cessait de râler au chanteur persécuté, jusqu'à ce qu'il devienne, à juste titre, une référence de la chanson française – il est depuis evenu franchement hideux, une vraie pub à lesbiennes, mais ceci est une autre histoire. Mais c'est fou ce qu'il a mis d'eau dans son vin. Et je ne parle pas ici de ceux qui se sont fait plein de fric en jouant les

contestataires. En tout cas, je n'ai aucune envie d'avoir un contact humain même de politesse. Je ne sais pas comment on parle aux « gens », moi. Juste comment on fait le guignol devant une classe, et encore, ces temps-ci ça me lasse, Guignol sent le sapin. Chez « les autres », je déconne, je lâche quelques phrases décousues, je réponds un peu pour faire plaisir, et je m'en vais à la fin en poussant un gros ouf. Les autres ne m'aiment pas : c'est logique. Pourquoi l'Académie m'aimerait-elle ? Je n'en sais rien. Vous voyez bien que par-dessus le marché je me montre incapable de conduire un raisonnement sans me casser la gueule. J'ai peur de l'échec, c'est la réalité. Mon cas, pas original du tout, se trouve dûmet répertorié dans la nosologie courante. « Si la pierre qui tombe, dit Spinoza, avait conscience de sa chute, elle se croirait libre ».

C'est la seule phrase que je connaisse de Spinoza, je la ramène à tout bout de champ. Laissez-moi mes illusions. Moi je fonctionne comme une boîte à musique : ti-di-di-di, ti-di-di-di... Les autres aussi, allez leur dire, vous verrez comme ils seront fâchés. Il se vexent, et en plus, ils vous excluent. Je les emmerde, et réciproquement. Vous savez, moi, la logique... vous, la logique... Ce qui me plaît, c'est l'Institution des Immortels – d'un coup, comme ça... Directement au but. Dans la mère. On a tout de même plus de chance d'être immortel en faisant partie des Immortels, qu'en voulant courir sa chance avec les francs-tireurs, les Balzac, les Flaubert, les Baudelaire... Tandis qu'avec vous, c'est bingo illico, voir Jules Romains dans Les hommes de bonne volonté – il y a combien de francophones quécrivent, déjà ?

Plusieurs millions je crois. Y a pas photo. Et ne comptez pas sur moi pour faire l'éloge de mon prédécesseur (j'ai tout prévu), je m'en contrefous, de mon prédécesseur. Un bref rappel, et puis ma pomme, tant de choses à dire. Par exemple, de conchier – avec vous ! - l'abandon de la langue française – tenez : je suis allé à Lisbonne (grande nouvelle !) - et j'ai entendu parler, comme de juste, portugais ; une langue magnifique, chantante, sensuelle, qui donne une impression de bouche pleine : extraordinaire. L'espagnol : vivace, tenace, pugnace. L'italien, alors là l'italien, Mamma mía ! - d'un bout à l'autre de la rue, la langue des princes, la langue reine, la reine du soleil, éclatante comme lui.

Ces jours-là Dieu merci ni anglais ni allemand - et le français ? ...Le français, j'avais du mal à l'entendre. Une petite langue toute fluette, toute fine, toute distingués, avec des « ü », des « ss », des chuintantes, un tout petit flûtiau de bibliothèque, une minuscule brindille toute menue, toute fragile, même chez ceux qui proféraient des gauloiseries, un ton bas, discret, humble et mesuré, petit mécanisme frêle, aristo, distingué, poussiéreux – langue de petit marquis, belle, émouvante, en voie de disparition. Mais quelle répulsion quand j'ai etendu brailler une Française brailler en anglais au pied de la Giralda de Séville, pour obtenir ses billets, en faisant bien sonner sa maîtrise de la langue des marchands de gomme à mâcher ! (en français, chewing-gum). Putain ! quand je vais à Séville, c'est pour entendre de l'espagnol, des Andalous, des guitares derrière es persiennes – et non pas des connasses rougeaudes et niçoises éructer l'anglo-saxon comme on chie !

N'écoutez pas, Messieurs les Académiciens, les railleurs qui daubent sur l'inutilité de votre institution ; les langues ne peuvent pas se traiter de la même façon. Nulle autre je vous le dis plus que le français n'a besoin d'une Académie pour veiller sur elle : c'est la plus intellectuelle, la plu fragile de toutes. On ne pisse pas sur les portes de la Basilique Saint-Marc. On ne maltraite pas la langue française, cet autre prestigieux monument. Et merde aux progressistes. Et remerde à ceux qui vont prétendre que le combat pour la « préservation » n'obéit qu'à des objectifs de prestige et d'économie – quand cela serait ! pourquoi serait-ce à moi, français, de nuire au prestige de mon pays, ou à ses intérêts commerciaux ?

Pourquoi faire du français une langue d'oppression ? C''est ainsi que l'enseignement du français, jusqu'à la simple orthographe, se voit ravalée au rang d'auxiliaire de l'esclavage ! Académie égale vieux égale gâteux égale fachos. C'est nous qu'on dit comment qu'on parle et qu'on dit comment qu'y faut qu'on cause. Je leur ai dit un jour à mes élèves qui me hululaient dessus : « Ah ce serait de l'angliche, vous seriez tous à vous tordre la gueule pour attraper le bon son, la bave aux lèvres ; mais la bonne prononciation française, que dalle ! » C'est malheureux ça : tout un chacun veut avori son mot à dire sur le français, sous prétexte que c'est « l'usage » qui en régit le bon emploi.

...Mais qu'est-ce que « l'usage », ignoranti, ignoranta, ignorantum ? Cette notion n'a plus rien à voir désormais avec celle du Grand Siècle, et vous affublez de ce mot la moindre faute commise par un de ces grands-prêtres de l'idiot-visuel ; d'où les ignobles « nominés », qui ont la vie dure, et pis encore les gens qui vont « supporter » leur équipe au lieu de la soutenir, alors que ma foi oui c'est sa femme, ou sa belle-mère, ou les cons, qu'il faut bien suppporter... L'usage, moi je ne sais pas ce que c'est, mais ce n'est surtout pas monsieur Jean-Claude Narcy, qui se révèle incapable de distinguer à la prononciation « notre » et « nôtre », malgré sa récompense linguistique... Et ne croyez pas non plus ceux qui vont claironnant que « le français, c'est fini », sous prétexte que les langues sont des organismes qui naissent, vivent et meurent – et alors ? Ma grand-mère aussi, mais nous l'avons soignée jusqu'au bout, et nous y avons mis les moyens, pour qu'elle subsiste le plus longtemps possible. Ces criminels qui proposent d'abandonner la partie avant la fin seront les mêmes à se précipiter chez le toubib au moindre bobo, afin de prolonger leur précieuse carcasse, et je le fais aussi, mais je refuse de laisser à l'abandon le fait francophone, si pourri qu'il soit par la politicaillerie, parce qu'on n'achève pas un mourant qu'il ne l'ait demandé à maintes et intelligibles reprises, n'est-ce pas Messieurs de l'Académie ?

Et encore. Je ne souffre pas de parler français. Ma patrie, c'est ma langue. Tant que je tiendrai debout je la défendrai. D'autres après moi j'espère. Surtout les Canadiens. Et les Noirs, parfaitement, s'exprimeront bientôt en français mieux que nous. La bataille sera perdue ? Mais je la livrerai jusqu'aux dernières minutes. Comme la chèvre de monsieur Seguin. Et l'anglais aussi crèvera un jour. Nom de Zeus. Et voilà pourquoi je vuos prierais bien instamment, bien humblement, Messieurs et Dames, de bien vouloir mettre aux voix la candidature du Singe Vert.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

COLLIGNON HARDT VANDEKEEN LE SINGE VERT T. IV 46 – 50

DES FILMS X

 

 

 

4386. Rien n’est plus neuf et rafraîchissant, intellectuellement, poétiquement, que ce concept de la “ lontanité ” d’un artiste, de sa lontanezza, après qu’on nous a tant bassinés avec la prétendue contemporanéité de Shakespeare, de Molière (...) RENAUD CAMUS “ La Campagne de France ” Journal 1994Nantes, hôtel de France, samedi 17 décembre, neuf heures du matin

 

 

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DES FILMS X

 

 

Ainsi donc, CHER Télérama, nous n'indiquons plus l'horaire des films porno ? Le programme s'arrête à 1 h 35, et c'est la ligne blanche ? il reste pourtant bien assez de place : "Les branleuses", "Les suceuses", non ? vous n'allez pas me faire croire ça, que le programme s'interrompt, sur Ciné-Cinéma 1, 2, 3 ? ...Vous pensez donc que le porno pervertit la jeunesse ? Pousse à l'acte ? Vous croyez vraiment que le porno pousse à l'acte ? Les tournantes dans les caves, c'est la faute au porno ? Il n'y a jamais de scènes de "tournantes" dans le cinéma porno : vous ne saviez pas cela ? "Ca fait longtemps que je n'en ai pas regardé" - ah bon, je me disais aussi - quoi ? vous n'avez jamais regardé... menteur ! - vous avez oublié ?____Et puis les couples aussi, du Cantal ou d'ailleurs, trop heureux de se stimuler du fond de leur petite pantoufle lassante. Et puis les pas beaux, les plutôt cons, qui n'y arrivent pas, que les gonzesses envoient chier au nom de la morale Marie-Claire - mais tel prof de philosophie de mes amis n'a-t-il pas dit que "ceux-là, ils n'ont qu'à ne pas exister" c'est beau l'amitié, ça résiste à tout - morale de magazine féminin très en vogue parmi les Chiennes de Garde - lu dans un magazine à l'usage des futures connasses encore jeunes "quoi ? il n'y a pas que les garçons qui se masturbent ? ah ben ça alors !" - ta gueule, enlève ton doigt. ______Bref ! Le désir féminin, une fois de plus ! est chou comme tout, attendrissant, le désir de l'homme n'est que d'une bitte à pattes vulgaire à remettre à sa place ah mais, nous ne voulons baiser que quand nous voulons, pas vous, c'est nous toutes seules qu'on désire. Nous pataugeons en plein ridicule, en plein odieux, voulez-vous que je vous dise ? ...en plein pathétique. Du coup nous nous sentons tous, nous les mecs, abandonnés, désespérés - "mais qu'est-ce qu'elles ont toutes ? on est pestiférés ou quoi ?" - il ne nous reste plus que les putes, ou le porno. __

Quant à celles qui prennent des airs affolés de petites filles qu'on abuse parce que dans le film, elles devront en tant qu'actrices ôter leur sous-tif et pratiquer une fellation, ah ce que je peux les plaindre, c'est fou... Tartufe est une femme, ça je vous en fous la main au feu. Voilà tous ceux que ça va gêner, Monsieur, sans compter les petits vieux à qui vous ôtez leurs derniers plaisirs, Monsieur... j'ai oublié votre nom... Nous vous appellerons Monsieur X... __ ...Vous gênerez tous ceux qui n'en ont plus rien à foutre, de passer la batterie de tests que leur feraient subir les femmes, parfois lassées de leurs masturbations effrénées (sans avoir besoin de films, elles... Oh mon Dieu que la Vvvvertu des femmes m'émeut...) - voilà ceux que vous allez gêner. Ca en fait tout de même un paquet. Mon petit fils va avoir treize ans. Qu'est-ce que je lui dis des filles ? Rien, cela vaudra mieux. De toutes façons, il a reçu l'hormone mâle de naissance, il les trouve "gentilles". Vous voyez bien qu'il y a des jeunes gens normaux. __Alors parlons d'enfants, justement. Que jacte le Père La Morale ? Queue - pardon que - si un enfant risque de voir un porno - ils en auraient presque tous vu - eh bien ! (mouvement de menton) "peu importent les désabonnements massifs de Ciné-Cinéma 1, 2 ou 3, je préfère ôter ce risque d'au-dessus de leurs têtes." Mais mon pauvre Monsieur. Vous les avez vus les enfants. Vous les avez bien entendus. Bon d'accord, il y a le petit mot frais et joyeux d'une fillette de sixième criant dans le couloir "Va te faire enculer par une autre fille, mais t'es plus ma copine". __ Mais franchement. Vous croyez que ce sont les films porno qui les ont mis "au courant", les enfants ? "C'est toute l'époque" - laissez donc l'époque tranquille. Elle est "permissive" ? ...pas tant que ça. Elles l'ont toutes été, permissives, pour les petits malins, les "débrouillards", ceux qui se trouvent des femmes comme ils veulent, et jamais assez pour la grande majorité de couillons qui butent sur l'obstacle de la Femme fermée à double tour sur sa branlette.

Retenez bien ceci : c'est toujours aux enfants que les censeurs de tout poil (j'ai dit poil ! j'ai dit poil !) ont fait référence pour justifier leurs sales castrages. Mais il me semble que dans les familles normales (les autres trouvent toujours le moyen de bousiller leurs enfants) les chers ubins sont surveillés, non ? sans être brimés ! ou alors, ils ne trouvent pas la chose si désastreuse que ça ! "Le porno est déséquilibrant dans la mesure où il ne montre que des filles qui disent oui" : mais espèces de nazes, c'est le scénario !

Et puis c'est un conte de fées ! ça change du monde réel, où les filles disent toujours non, vous poussant carrément dans les bras des putes ! Allez ! ce n'est pas tout ça ! Nous allons durcir nos sexes pardon nos textes : les enfants ! qu'il faut protéger ! auront au moins autant de chances de surprendre leurs parents en train de jouer la bête à deux dos ! hein ! (c'est du Rabelais). UNE SEULE SOLUTION : EMPECHER LES PARENTS DE BAISER. Dès fois qu'ils engendreraient un censeur ; des fois qu'ils auraient mal fermé la porte ; oublié de blaxonner leurs murs ("d'insonoriser", pour ceux qui ne sont pas carrossiers ; à propos : "Ma grand-mère admirait les rossignols du caroubier". Elle est vieille mais je l'adore. La grand-mère bien sûr, mais aussi la contrepèterie...) ______________ Et pis faudrait aussi empêcher les salauds de chien de sauter sur les salopes de chiennes (il était une fois un clébard, charentais, qu'on avait enfermé toute la journée dans une pièce obscure , et qui hurlait, qui hurlait - salauds de paysans. Vous comprenez, y o des infints qui pourraient vouâr çâ - paysans, salauds) - et les coqs - qu'est-ce qu'il fait le coq ? - Il cherche les poux sur la tête de la poule je pensais qu'il en trouvait beaucoup, des poux, et souvent - c'est bien cela, Monsieur XXL ?

C'est à cette belle époque si romantique que vous voulez revenir, où les filles (et les garçons à l'occasion) croyaient que les enfants se faisaient par le nombril ? Vous voulez aussi interdire la prostitution, si si ! ne niez pas ! en coffrant les prostituées, en les mettant à l'amende pour qu'elles soient obligées de se prostituer pour la payer - vous êtes fous - en tabassant leurs clients, comme aux Etats-Unis ? Mais on va où là ? "Je ne veux pas que mon fils apprenne les choses de l'amour comme ça " - mais s'il est moche, votre fils ? ou con ? ou pauvre ? ou bloqué ? il va faire quoi votre fils ? des tentatives de viol ?__ "Les hommes ont plus de besoin que les femmes" "ben voyons", rétorque la Chienne Alonso, ben désolé, "ben voyons" n'a jamais été un argument, non plus que "allons donc" ou "à d'autres". Ou "pssschchttt". Ça ne démontre rien, "allons donc". Il va falloir trouver autre chose. Allez, soyons bon singe, admettons (ce qui reste à démontrer) que les femmes aient autant de désir que les hommes (si c'était vrai, ça se saurait) (ce n'est pas un argument, OK). __ Mais il se trouve que les femmes, mon Dieu comme c'est étrange, réagissent tout à fait différemment des hommes. Elles se masturbent, seules ou entre elles. Leur terreur des mecs entretenue par les journaux télévisés (viols à la une en série) et relayée par les mouvements de je ne sais quelle libération féminine dont vous n'êtes qu'une pâle continuatrice la terreur dis-je les écartant avec répugnance des hommes qui ne leur garantissent pas la sécurité, le trois-pièces-cuisine le gosse le chien la paye à la fin du mois et la demi-pension du mari pendant les vingt années de veuvage.

Et comme les gonzes, contrairement aux femmes (après tous, je ne blâme ni les uns ni les autres !) éprouvent la faiblesse psychique de ne pas tellement apprécier la consolation entre hommes (ça change, les femmes sont bien contentes, enfin des hommes (les pédés) qui ne nous embêtent pas) (pour les femmes ? pas de problème ; on est libérées ou on ne l'est pas) et que la branlette les déprime (les femmes, ça les requinque) eh bien ils auraient envie, les hommes, d'une femme à peu près, je dis bien à peu près, parce qu'il y a des aigries et ça se comprend, qui leur reviendrait finalement bien moins cher qu'une légitime, car commem le dit Jacques Brel (vive lui ) (vous n'auriez pas voulu le châtrer non plus, celui-là ?) les putains, les vraies, c'est celles qui font payer pas avant, mais après.) __ Et je ne pense pas que ce soit en faisant de l'homme une créature sexuellement aussi molle et timide que la femme ("Pourquoi les femmes aiment-elles les hommes insignifiants ? ...parce qu'ils leur ressemblent", ouâh excellent [oui bon enfion euh "enfin" putain de machine] ) que nous contribuerons au sans rire "progrès moral". Je pense au contraire que l'homme ayant durant des siècles confisqué à son profit les comportements de liberté, c'est à la femme d'accéder à ces altitudes non pas masculines mais universelles.

Et s'il doit y avoir des prostitués hommes pour femmes, tant mieux, bordel. A condition que ce ne soient pas une fois de plus les hommes qui otrouducupent le terrain. Au passage, je suis contre la réouverture des maisons closes. Au nom des timides, justement, qui n'oseront plus en franchir les portes. Tandis qu'au hasard de la rue, c'est ni vu ni connu. Du courage, plus qu'une page. Reprenons : le porno, c'est un espace de rêve et de liberté. Le porno est un conte de fées confer supra. Il est faux de dire (comme on voit bien que vous n'en avez jamais vu, Monsieur X ! ...vous aussi sans doute vous faites partie de ces 95% d'hommes qui ont pris un verre au bar mais qui ne sont jamais "monté" à l'étage ? quel commerce florissant pourtant !) (sans compter ceux qui prétendent "n'avoir jamais pu regarder un porno jusqu'au bout" - j'ai une explication toute simple...) que "la femme est placée dans la situation de ne pouvoir jamais refuser" - j'espère bien ! __ Si c'est pour revoir les mêmes situations que dans la vie, autant revoir "La Leçon de piano" ou "Meurtres dans un jardin anglais", chefs-d'oeuvre certes mais sexuellement obscènes, puisqu'on y voit des deux côtés une baise par contrat, par petits morceaux (avec dans le second la femme qui dégueule le sperme dans un baquet ah ! salauds d'hommes, ah ! salauds d'hommes), ou tout autre film moyen d'ailleurs où l'on peut voir baiser au quart de tour amour toujours et la pucelle qui jouit au premier coup en deux minutes trois secondes mais où avez-vous vu cela ? on n'y croit pas.

Dans les films porno on voit la chose, il y a une preuve. Quelle que soit la nullité des scènes à Rio (bonjour Bébel) (tu vois, tes vannes à la con, ça nuit à tes démonstrations - Ta gueule) - des tas de femmes de décision, qui font les premiers pas, PDG, chercheuses, fonceuses, qui traquent les hommes, qui n'ont pas froid aux yeux ni ailleurs, qui ligotent les mecs, qui se font doigter, lécher (d'ailleurs les mecs lèchent soigneusement à côté - entre femmes c'est génial parce qu'elles le font pour de bon et bien méticuleux avec des roulements de clite au ralenti sur la langue et là dites, Monsieur le Censeur, quelle est la femme qui "humilie" l'autre ? toutes les deux parce qu'elles obéissent au metteur en scène mais ça ne va pas ? vous croyez qu'elles ont attendu l'apparition des metteurs en scène pour inventer le cunnilingus ? ...

Et les hommes, ils n'y obéissent pas non plus au metteur en scène ? vous faites semblant de confondre la situation dans le scénario et la situation sur le plateau ! Mais encore une fois tout le monde st volontaire ! Et je ne vois pas pourquoi le mec serait plus macho ou plus autoritaire ou moins souillés si vous y tenez vraiment que les femmes ! Moi je dis qu'il faut être héroïques pour baiser devant les caméras ! Plus pour les mecs justement, non seulement parce qu'il est plus facile "d'avoir la bouche ouverte que le bras tendu" merci Monsieur Guitry, mais parce qu'avec trois tubes de vaseline une femme volontaire je répète y arrivera toujours matériellement !

Souvenez-vous de ce proverbe de Patrick Sébastien :

"Un peu de patience et beaucoup de saindoux

"Et l'éléphant encule le pou" - bref, pas moyen d'être sérieux un instant.

Mais, savez-vous comment on se retrouve acteur ou -trice de porno ? Eh bien parce que les fistons, cousines, beaux-frères et copains de copines encombrent tellement tout le terrain qu'il n'y a plus de place pour les acteurs qui crèvent la dalle. C'est un peu pour cela aussi qu'il y a du porno. Alors qu'on arrête de crier au charron, qu'on surveille ses gosses et qu'on nous foute la paix avec cette censure à la con. Merci.

COLLIGNON HARDT VANDEKEEN LE SINGE VERT T. IV 47 – 56

Z-ZAMAN – LE TEMPS

 

4495. Je trouve qu’il n’y a pas beaucoup de choses plus agréables à voir qu’une jolie femme en robe basse qui mange de bon appétit de belles viandes saignantes.

	Valery LARBAUD 
« Journal intime d’A.O.Barnabooth »
	

	Le temps. Z-Zaman. C'est ce qui me saute dessus dès que j'écoute certains morceaux de musique, tu vois, certaines chansons de ma jeunesse. de ce que je suis bien obligé d'appeler ma jeunesse. Saloperie. Tout l'air du temps est là, comme le tabac froid dans les mailles du pull. Tu ne peux pas l'enlever. C'est concentré. Plus même dans la musique, dans l'air justement, que dans les photos, parce qu'au moment même où tu m'as prise, tu savais que c'était de l'éphémère, du mortel, du funèbre. 
	Les photos tu sais que ça va ternir, que ça va se craqueler, se délaver - les teintures vieillottes des films de 70 ! - virer sépia comme sur les médaillons de cimetières - mais la chanson ! mais la danse que tu dansais ! tu ne pouvais pas savoir, tu ne sentais rien venir forcément, parce que ton corps bougeait, tandis que pour la photo tu dois te prendre la pause, des deux côtés de l'objectif, tu dois te figer une seconde, comme quand tu te peaufine bien l'orgasme avant de lâcher ta purée de mort, y a pas photo. 
	Quand tu danses, tu danses, ni plus ni moins que le vieux Michel Montaigne, et le vieux rythmos que tu récoutes, il te repénètre intact, pareil, tout vierge tout net, avec charriés dedans tout frais tout incorporés (le crapaud dans le goudron) toutes les parties de ton âme d'alors tous les espoirs les désespoirs toutes les salades  telles quelles pêle-mêle et tes amours et tout l'avenir que tu croyais t'avoir pauvre pomme avec toute l'énergie qui va avec et la connerie de ta jeunesse tiens comme l'insecte, quand il est pris dans l'ambre tout vivant tout frais.  
	Je dis les amours mais même quand tu ne dansais pas quand tu ne faisais pas frotti-frotta parce qu'avec ta gueule les filles elles préféraient encore faire tapisserie c'est de vos mères que je parle pétasses, tu rageais tu pétais sur ton banc tout seul "Je me vengerais" tu disais "je me vengerais" maintenant que  te v'là tu t'es vengé de quoi pauvre con, qui c'est que t'as écrasé sauf toi, tu es devenu Vieux-Tendre, en plus on te félicité On c'est les autres, enfin d'autres autres parce que
t'as déménagé maintes fois et qu'on t'a dit je ne sais combien de fois que non c'était pas bien, c'était pas beau, c'était vilain comme tout la rancune, que ce n'était pas en réglant ses comptes ni par désir de revanche qu'on devient grand écrivain ou quoi que ce soit, doux doux, fais ronron, allez crève. 
	Et ce qui ne va pas non plus, ce qui est tout faux tout faux (c'est fou ce que les aûûûûtres te trouvent tout de suite ce qu'il ne faut pas que tu fasses trop tard tu l'as fait et c'est toi et tu les emmerdes)  c'est de t'imaginer, de laisser entendre et de proclamer que si tu fais le clown, si tu fais le zouave, c'est par opposition ah mais, tu le fais exprès si si, c'est pour bien montrer un jour, un jour vous verrez tous, vous tous qui vous foutez de ma gueule, que je vous vaux bien, que je vous surpasse, que j'obtiens les meilleurs résultats scolaires, Prix d'Excellence en sixième et  la croix d'honneur chez les bonnes soeurs, jusqu'au jour où tu te fais rétamer huit fois de suite à l'agrèg ça te fout la claque et t'es par terre et t'es cul nu t'es juste un pitre sans faire semblant guignol premier degré, "manque d'ordre et de logique, vision superficielle des perspectives littéraires" et toc, ce n'était donc pas calculé, ce n'était qu'en dépit de ta connerie que tu parvenais à ces EXcellents résultats de onze sur vingt - tu n'étais qu'un insecte voir plus haut qui palpait qui tapotait sur la paroi tes antennes et tes six pattes qui trépignaient contre ta vitre juste à côté de la fente que t'as pas vue qui t'aurais mené droit sur la flamme, t'aurais flambé t'aurais vécu.  
	Tout écrivain écrit contre le temps ça se dit zaman en arabe zman en hébreu tu dirais des coups de faux se peut-il se peut-il que tous mes souvenirs meurent avec moi , je relis tous les jours mes vieux carnets jour après jour s'maine après s'maine depuis le premier janvier soixante qu'est-ce que je faisais tel jour aujourdhui y a huit ans, vingt ans, trente ans  et y a plus rien, plus rien d'essentiel dans toutes ces heures dans tous ces mois jamais jamais  je ne trouve de ces jours de ces instants "qui décident de la vie d'un homme", " à compter de cet instant tout a basculé" que dalle, "celui qui perd l'heure perd le jour perd le mois et l'année et la vie" et la tête alouette, si vous voulez savoir jour après jour la vie de Mahler, Gustav, vous lisez je ne sais plus quels épais volumes de je ne sais plus qui où tout tout est mentionné précisé épinglé maniaquement tout tout absolument transparent, le 20 juin 80 à huit heures et le 22 avril 1900 au soir tout vous dis-je sauf la vie intérieure sauf l'esprit sauf la pulpe. 
	Pour connaître la vie de Mahler écoutez ses symphonies, plus encore les Kindertotenlieder ou les Chants du Compagnon Errant et rrran, au temps au temps pour moi qu'est-ce que j'ai fait moi,
qu'est-ce que j'ai fait ? On dit en Chine entre lettrés qu'on a déjà vécu, en s'excusant par politesse (car c'est leur politesse) tant et tant d'années "si inutilement". Et l'on se congratule en inclinant la tête entre vieux mandarins, de la vraie Chine s'entend, celle d'antan ( cent ans).
	Or justement Mahler (n'ayons pas honte) a si fort prodigué sa vie (dirigeant son orchestre ou son opéra tout au long de l'année, bouffé par ses obligations, allant jusqu'à auditionner les candidats chanteurs ou compositeurs ("Il a mieux réussi que les fois précédentes ! cher Maître, revoyez votre appréciation ! - Je n'ai jamais vu, assena-t-il un jour, un marronnier se mettre à produire des oranges"), cette vie, que l'illustre compositeur passait à des conneries tout comme un autre, j'en fais, moi, très inférieurement, mes choux gras, ma matière, passant très obscènement mon Temps à expliquer pourquoi j'ai agi, surtout non agi, de telle ou telle sorte, bref à me justifier ("c'est pas ça qu'il faut faire" - "ta gueule") au double sens de ce mot : sire d'une part pourquoi j'avais eu raison, ou tort, le mettre en scène et repasser sur chacun de mes actes et non-actes cette patine dont ils furent et demeurent singulièrement dépourvus (j'ai mis 18/20 à cette élève qui m'avait déclaré un jour  Monsieur on sent bien que vous avez eu une vie de con, et que vous montez en épingle  les
 moindres choses qui vous sont arrivées) .
	Il s'agit d'autre part pour moi (deuxième sens du mot "justifier") de sauver, de racheter, de rédimer en tant que tels, de garantir, de certifier, d'estampiller comme un vétérinaire ("a vécu") chacun de mes instants, et moi-même comme la somme des consciences propres de tous ces instants. Alors que la vie est bien sûr autre chose que la somme de tous ses instants...
	...De quoi auraient eu l'air les vies horriblement médiocres de Kafka, Hoffmann ou Maupassant, s'ils n'avaient su que magnifier, sublimer - ou décortiquer - leurs sublimes émois ! de scribouillards ! Car s'il est une chose qui me manque absolument, définitivement, irrévocablement, c'est bien l'imagination - j’espère bien d’ailleurs que ça me servira au moment de ma mort. A moins de consteller mes écrits de projections météoriques (c'est ainsi qu'on appelle les diarrhées qui giclent sur les cuvettes de chiottes, elles sont  littéralement constellées) - si je cesse en effet, comme me le conseillent toutes les bonnes âmes, d'écrire "bite" et "bordel de Dieu", je cesse d'être, à la lettre, je perds toute originalité, je rentre dans le rang, et je suis, horreur, accepté. 
	Banal comme Flaubert. Comme Greene; Comme Genet. Couverts d'opprobre aux débuts. J'aurais des amis, des ennemis, aucune passion ne se lèvera plus dans mon sillage, il faudra que j'oeuvre dans le relatif, non plus dans l'absolu, mais dans le modeste... Dix ans, vingt ans, trente ans ! qu'elles me le promettent pourtant, l'avenir, le vrai, ces surnaturelles musiques dont je parlais plus haut, ces rocks super-sauvages, alors qu'elles étaient, sans que je m'en doutasse, et d'une façon traîtreusement dégueulasse, l'avenir et la  promesse de l'avenir à la fois, tromperie ! kolossale imposture ! pathétique morsure de queue, contamination sémantico-ontologique ! 
	Car les écoutant, je me voyais, je me sentais de tout mon corps déjà pris dans cet avenir, où j'avais déjà triomphé de tout, ce qui me dispensait du moindre effort, d'envisager même la moindre forçure !  Assassins ! Assassins !  comme disent les djians ! Ah phûmiers, vous m'y avez fait croire ! Ah salopards d'Autres (car je dansais seul, les autres ne me laissaient pas  faire partie d'eux, jamais, jamais) - vous m'avez fait obstacle ! Comme ça, vous m'avez trahi ! (air connu) - et ce n'est pas à vous, paraît-il, que je dois m'en prendre, mais A MOI-MEME ! 
	...Jamais ! Jamais ! puisque je ne le sens pas ! alors je gueule contre qui, moi ? le Temps ? dont le seul tort est de passer ? "c'est toi qui te construis ton avenir" tu veux mon poing sur la gueule Donneur de Leçons ? depuis que je le fais tu dois avoir la tronche comme un trou ! du cul ! parfaitement ! Tu veux que je te le dise, le Problème ? Il est le même que celui de toutes les minorités, et qui est plus minorité que moi, Individu ? Voilà, je parle à tous les Individus, moi aussi je fais mon petit prêchi-prêcha, ma petite Démo : le dilemme est celui du funambule, sur le fil du Moi.
	...Tu bascules d'un côté dans le conformisme, de l'autre dans la folie. L'homme est un bouffon qui danse au-dessus d'un précipice, Pascal. Ca fait deux précipice, bouffon : l'acceptation résignée, l'assimilation - ou la révolte, la dinguerie. Et qu'est-ce qui nous empêche de tomber, dans cette nauséeuse oscillation ? C'est quoi le balancier ? la Dignité ? la Mémoire ? ...la Conscience? vous voyez bien que je ne peux pas m'empêcher de dire des gros mots ; l'hippocampe a-t-il une conscience ? une mémoire ? une peur de la mort, une peur de ne pas s'intégrer dans la communauté des hippocampes  à venir, après sa mort ?
	 Bifurquons. MOI MA VIE, TOI TA VIE, c'est un mauvais film, ça c'est vrai putain qu'il est mauvais, qui est-ce qui m'a foutu ce rôle de figurant à la con, alors j'espère en la vie future, Cicéron dans  les Tusculanes pensait que le désir de gloire, de survie, prouvait l'immortalité de l'âme, qui devait bien par quelque partie survivante prendre conscience de son encensement après la mort, pauvre Cicéron ! qui a dit également que "rien de si absurde n'a pu exister qui n'ait été dit par  quelque philosophe,  nihil tam absurdum est quod non ab aliqui philosopho dici potuerit, bref l'humain animé de ce beau  souci (piétiné par les penseurs modernes, par la doxa contemporaine, traduction par la pensée de Monsieur Machin) - que doit-il faire ? 
	Mettre de côté ses maladresses et crapahuter dans l'Universel du Lagarde et Michard, ou les accentuer au contraire ("Ce qu'on te reproche, cultive-le, c'est toi"), façon Cocteau ? jamais en retard d'une mode d'ailleurs... Parce que les élucubrations brut de décoffrage, mon ex éditeur en reçoit par paquets de dix, il ne répond même plus aux courriers tellement c'est NUL. Telle est la question : montrer sa misère, sa déchirure, et sa plaie, sans s'écarter du cadre, sans déborder hors du champ opératoire. Gesticuler, mais dans l'humain - le Singe est-il humain ? 
	D'où ma rage. Car les révolutions viendront de l'animal, ou des étoiles : manipulations génétiques du fond de notre animal, ce que je souhaite de tout mon coeur - enfin, enfin dépasser la condition humaine ! ceux qui hululent contre les "apprentis sorciers" me font penser à ceux qui ne croyaient pas accoucher sans douleur, "parce que c'était contre nature"; quand tu seras immortel, pauvre con, tu seras bien content. Enfin moi oui : pouvoir décider quand je meurs... Ce pied !
	De plus, maîtrise un jour des énergies inter-galactiques, transposable sur notre petit cosmos à nous. "Je meurs au moment précis où ça devient intéressant" (Ampère). Ma rage donc, notre rage, parce que je n'en peux plus de tant de sagesse, de résignation noble à la Yourcenar + Platon + Bossuet... Marre... Sans compter que ma rage s'éteint, par simple évolution physiologique, je me mets à présent à philosopher au lieu de hurler, et tout le monde autour de moi : "C'est bien ! tu deviens enfin insignifiant, confiant et résigné, comme nous, tu vois bien que tu n'es pas si méchant" - je hurle.
	Trop humain. Trop fini. Trop mort. 
	Trop de police. Je parle imprimerie. Car c'est ainsi qu'ils règnent, c'est ainsi qu'il faut régner. Par le langage policé des puissants, qu'il faut que les inférieurs imitent s'ils veulent se faire entendre. Clodos, exprimez-vous à l'imparfait du subjonctif. Peut-être serez-vous écoutés dans les hautes sphères, grammatically and politically correct. Pourtant Dieu sait combien je méprise ces couches de population (une partie de moi bien sûr, l'autre sait que j'ai tort, démerdez-vous). 
	...Ces couches d'ignorance crasse... Je disais à ma psy ("tu disais à ta psy, il ou elle disait à sa psy") qu'un ouvrier, c'était quelqu'un "qui rote à table et qui crie Vive Le Pen". Indignée mais calme elle me rétorqua : "C'est ainsi que vous voyez l'ouvrier ?" Je répondis non moins calmement : "Oui." Récemment encore, déclarant à table que les plombiers m'ennuyaient, ainsi que leur conversation dès les trente premières secondes, je vis une collègue s'étrangler devant son assiette : son mari était plombier, et mes allégations la mettaient hors d'elle. 
	Je lui souris, elle me sourit, à plusieurs reprises les jours qui suivirent, mais je ne saisis pas la perche de politesse, ne présentai aucune excuse ou atténuation : telle est mon opinion, je maintiendrai : un ouvrier qui pense, ça fait trente ouvrier qui rotent. Et je me soucie peu de ce que ces bipèdes à peine articulés pourront me sortir sur "les youtres et les bicots", merci, sans façons. Ces gens-là doivent être éliminés du mécanisme démocratique. Ne devraient pouvoir voter que des bacheliers. "La république des profs" me conviendrait parfaitement. 
	Et si le peuple est si peu représenté à l'Assemblée, c'est que tout simplement, et dans le même esprit qui poussa les petites gens en 1789 à confier la rédaction de leurs Cahiers de Doléances aux nobles et aux bourgeois, parce qu'obscurément tout le monde sent bien qu'il faut pour gouverner  de bonnes bases éducatives, et qu'il n'existe pas de "culture bourgeoise" ; pour l'excellente raison encore que tout homme qui se cultive devient par le fait même un "bourgeois".
	Notre brave ministre prétend qu'un mécanicien est aussi cultivé qu'un philosophe, pardon, pardon : sortez le mécanicien de sa mécanique, il ne saura pas aligner deux idées correctes ; le philosophe ne s'y connaîtra peut-être pas en mécanique, mais il saura discourir du monde entier ; et le peu de bon sens et de connaissances qu'aura très, très, très éventuellement le mécano, eh bien il les devra ou il le saura empruntés... à la culture dite "bourgeoise"... Quant à celui qui se sent opprimé, il ne lui reste, ou il ne lui revient à la bouche, s'il a quelque instruction, que le bas langage des perdants, car on peut être intello et perdant : il sera soit vulgaire ("faut-il vous l'envelopper ma p'tit' dam' ?") soit bouffon. 
	Le bouffon, ou Singe Vert, ne saura défier l'autorité que par son impuissance, justement, à la singer correctement, et sans vouloir en fait le moins du monde la moindre parcelle de pouvoir, car il ne saurait qu'en faire, ni d'efficacité, car il ne croit plus en l'efficacité. A supposer que la Dérision accède au Dirigisme, elle n'engendrerait en effet que la folie, ou la terreur. C'est pourquoi le meilleur soutien du pouvoir est le fou, et sa marotte. Quant au clochard, au jacques, au Palestinien, il ne peut avoir d'autre rôle que de subir la répression : toujours les seigneurs ont massacré leurs croquants et botté le cul de leurs fous. 
	Mais alors, Singe Vert aujourd'hui bien poli, bien sentencieux bien chiant, que deviennent ces imprécations, ces histoires de cul, qui sont à la grammaire et à la littérature ce que sont les bombes en territoires occupés, sinon des prétextes décoratifs ? Faudra-t-il que les rebelles et les mal embouchés déposent leurs explosifs et leurs insultes afin d'être entendus ? Faudra-t-il qu'ils deviennent bourgeois ? pour combattre les bourgeois ? On nage en plein Jean-Marc Sylvestre là, en plein Minc...  
	...Mais c'est à se flinguer ! Mais je ne l'ai pas fait exprès ! Ne me louez pas de ma modération !  Les ans en sont la cause...  Donc pour me rattraper, et reconférer au Singe Vert cette "mauvaise image" que paraît-il on lui prête, voici quelques réflexions sur un sujet qui fâche : coincé nu dans ma chambre spartiate à l'Hôtel de Provence, il m'a bien semblé ouïr du fond d'une radio le mot "Israël". Aussitôt m'ont assailli une foule de mauvaises pensées (autrefois, je pensais que "mauvaises pensées" se rapportait au pagne couvrant sur la Croix les Parties du Christ ; mais on l'aurait bel et bien crucifié nu, puis l'on satisfit à la décence (de lit) des bigotes) - les mauvaises pensées sont en fait ce qui permet de soulever le voile et de voir le roi nu. 
	...Israël a toujours suscité en moi l'admiration. Suspecte, je n'en disconviens pas. Mais suffisante pour me  faire suspecter, moi et ma revue, de "mauvaise presse". Israël représente pour moi, colonie ou pas, la démocratie, la discussion, la civilisation. En face je ne vois, je ne veux voir, qu'aveuglement et fanatisme, ce qui montre sans doute mon aveuglement. Je ne peux pas imaginer que des hommes - sont-ce encore des hommes ? - capables avant d'actionner une bombe de se représenter les dix-huit vierges, pas une de plus pas une de moins, qui l'attendent au Paradis d'Allah après son crime, soient dignes s'ils survivent de se voir accorder le moindre droit de vote. 
	Des chiens barbares capables de transformer des mariages en boucheries ne sont pas dignes de mourir pour un Etat, pour quelque cause que ce soit, car leur geste dégrade et souille ipso facto toutes les causes. "Les forces du coeur sont souvent les facteurs qui en dernière instance emportent la décision, dans le bien comme dans le mal. Lorsqu'elles ne volent pas au secours de notre raison, celle-ci est le plus souvent impuissante." JUNG. 
	Souhaitez que le cœur, le vrai, triomphe un jour de l'excès du coeur qui a nom fanatisme, de quelque bord qu'il soit, souhaitez-moi d'être moins con, je voulais juste parler du temps, de la reconnaissance de l'individu, de la mort et de l'immortalité, de la paix, de la gloire, de Dieu et de moi-même, et je crois bien, ma parole, que je me suis un peu laissé emporter. 

COLLIGNON HARDT VANDEKEEN LE SINGE VERT T. IV 48 – 63

HOMMAGE A PASCALE DE BOYSSON

 

 

 

4496. Mais il y a en moi, comme en chacun de nous sans doute, un esprit de ténèbres, une force qui me fait craindre l'audace de ma pensée et qui me fait adopter, en guise de vérité, le premier mensonge qui se présente parmi la provision de mensonges en cours autour de nous. Et un jour j'ai vu cet Esprit de ténèbres, et c'était mon amour- propre.

Valery LARBAUD

Journal intime d'A.O.Barnabooth 3 mai 19**

 

Dernièrement mourut Pascale de Boysson, qui fut sur scène comme à la ville la compagne de Laurent Terzieff. Ca n'a pas fait la une des journaux. Parce que les vrais, les grands comédiens, n'ont pas besoin de racolage. Ils travaillent, vivent et souffrent en silence, auréolés de la ferveur de leur art. Et si vous cherchez ici les laborieuses pitreries du Singe Vert, vous ne les trouverez pas : je n'ai voulu qu'apporter un petit témoignage de reconnaissance et de sympathie.

L'admiration, c'est trop. C'est le théâtre qu'il faut admirer, ce sont ses serviteurs qu'il faut respecter, comme on respecte un luthier, un cavalier, dans l'exercice de sa profession. Ce mot est aussi qu'on y songe bien celui que l'on retrouve dans profession de foi. C'est une telle démarche à laquelle Terzieff s'est livré, après avoir subi la tentation des succès paraît-il faciles du cinéma, et d'autres tentations narcissiques : il a vu le diable dans son miroir, et il ne l'a pas trouvé laid.

Puis il suivit le chemin d'austérité qu'on lui connaît. Nous ignorons tout de la façon dont certains se sont trouvés sur sa route, mais nul doute que le hasard n'y fut pour rien : ce n'est pas le simple hasard qui place sur le chemin des croyants ceux et celles qui un jour, sans qu'on y ait pris garde, partagent depuis des années votre existence. Mais nous avons toujours observé sur la scène, lorsque Laurent Terzieff descendait dans nos contrées, la présence de Pascale de Boysson, dans des rôles souvent ingrats.

Nous voulons dire ces rôles qui exigent un abandon total de toute vanité, servante rabrouée du "Bonnet de fou", mère déplorable de "Temps-Contretemps", mère encore et catastrophique d'un soldat nazifié, qui nous donna à entendre lors de cet inoubliable récital de Brecht au château de Villandrault, les si difficiles et délicats accents d'une femme orpheline de son enfant - tombé du mauvais côté. Ce n'était pas pour se montrer que Pascale de Boysson montait sur

les planches, pour faire admirer sa coiffure ou son rôle, de pin-up ou de garce, mais pour donner toute son âme, toute sa voix, qu'elle avait grave, voilée, infiniment nuancée, à des emplois dont nulle n'aurait voulu.

Or il serait inexact de penser qu'elle soit restée dans l'ombre, voire d'affirmer comme je l'ai entendu dire qu'elle s'est montrée grande et pleinement femme dans la mesure où elle se serait "effacée" pour servir l'homme qu'elle aime (conception incomplète à mon sens de la grandeur féminine, dont Pascale de Boysson ne manqua pas : quiconque la voyait sentait émaner d'elle cette puissance équilibrée, ce rayonnement sourd et prenant, cette autorité même devant laquelle plient et baissent le tête les plus acharnés des démons intérieurs), car il semble dépourvu de pertinence d'évoquer l'ombre à propos de celle qui demeure pour nous, et pour Laurent Terzieff, l'incarnation d'une lumière.

Jusqu'au dernier moment, atteinte, marquée, condamnée, Pascale de Boysson aura voulu monter sur scène, non par orgueil, mais parce que c'est ainsi : de même que le capitaine ne doit sous aucun prétexte abandonner son navire, de même un acteur ne peut pas disparaître ailleurs que sur le plateau. C'est comme ça. Ce n'est même pas une question de déontologie : c'est dans le contrat. Le contrat le plus astreignant qui soit, celui qu'on passe avec soi-même. Dès l'instant où l'on décide d'embrasser la carrière du théâtre. Sans qu'il soit même besoin de l'exprimer, oralement ou par écrit, voire d'en être pleinement conscient : l'un de ces réflexes constitutifs, dirons-nous, de la psychologie de l'acteur.

Si j'avais pris le temps de réunir une documentation, j'aurais pu rendre un hommage bien plus précis, élargir l'éventail des masques incarnés par Pascale de Boysson. J'aurais précisé ce que son travail d'investigation, d'adaptation, et pour quelle pièce, a su apporter aux apparitions des interprètes, protagonistes et seconds rôles - mais y a-t-il des seconds rôles...

En écrivant tout cela, malgré sa sincérité ou justement à cause d'elle, le Singe Vert se fait l'effet d'un piétineur de plates-bandes, d'éléphant dans un service de porcelaines. Je voulais simplement témoigner à l'acteur que j'estime plus que tous un peu de ma présence, fût-elle indirecte, loin en tout cas de ces indiscrétions de charognards dont il aura su j'espère se préserver.

Le spectacle continue, car la fonction de représenter l'homme, de le présenter à nouveau, pour une sorte de consécration, de même qu'on élevait l'enfant à la face des dieux pour qu'ils décident de le faire vivre s'ils l'estimaient ou non viable ; le ministère sacerdotal d'élever l'homme à la face de l'homme, pour que ce dernier, en son propre miroir, se constitue, incessamment se reconstruise, est non seulement sacré, ce qui serait peu et grandiloquent, mais indispensable.

Le spectacle continue, il ne peut pas être interrompu, parce qu'il participe du sacré, qu'il tire après lui l'humanité vers le haut dans sa course insensée vers le ciel, quitte à s'y heurter, quitte à retomber, car il est du devoir le plus absolu de l'artiste de ne jamais révéler, de ne jamais laisser sous-entendre au Public - qu'il va mourir - qu'il mourra - ce qui se passerait, et immanquablement, et immédiatement, si le spectacle, ne fût-ce qu'un moment, s'interrompait.

Impensable disions-nous que l'on s'en dispense, car du jour même où le théâtre disparaîtrait, ce serait l'homme qui disparaîtrait. Ecoutez bien : "L'homme s'ennuie, et l'ignorance lui est attachée depuis sa naissance.

"Et ne sachant de rien comment cela commence ou finit, c'est pour cela qu'il va au théâtre.

"Et il se regarde lui-même, les mains posées sur les genoux.

"Et il pleure et il rit, et il n'a point envie de s'en aller."

C'est du Claudel. Et c'est pour moi le plus beau texte qu'on ait écrit sur le théâtre. Mais ce pourrait être de n'importe qui de ces interminables dynasties de fous, de gueux, d'itinérants, de moines (oui !) et d'ascètes, qui depuis l'aube des temps se succédèrent, jusqu'à celui qui ne veut être que l'un d'entre eux, et fit en des temps si lointains et si proches, triompher l'auteur de "Tête d'Or" dans le rôle de Cébès.

Nous ne nous quittons pas. S'il est vrai que les plus anciennes coutumes antiques voulaient que les restes des ancêtres fussent enfouis sous le seuil même de la demeure, afin qu'en les foulant chaque membre de la fratrie sentît passer en lui et s'élever plus haut la flamme sacrée de ses prédécesseurs, ne doutons pas que le souvenir de Pascale de Boysson, dans le coeur de tous ceux qui l'auront aimée, ne féconde et n'exalte les âmes errantes dès ce bas monde des officiants du temple du théâtre...

COLLIGNON HARDT VANDEKEEN LE SINGE VERT T. IV 49 – 66

ISRAËL

 

 

 

39.- Mais les ouvriers que nourrit la Nation ne se trouvent jamais assez nourris.

Louis MADELIN (parent de l'autre ? Qui sait...) (« C'est le plombier...!)

 

« La Révolution » p. 117

......................................

Eh bien ça y est il va falloir que je m'y mette. Depuis le temps que tout ce que j'écris disparaît dans les entrailles d'un ordinateur que je ne parviens pas à maîtriser (« Ben, que t'es con ! C'est pourtant simple, écoute :... - TA GUEULE » ) - c'est peut-être le signe que c'est mauvais.

Je voulais en effet rédiger un vrai brûlot, des appels au meurtre carrément.

Tâtons de la prétérition. Ca commence par la lettre d'une charmante collègue et amie, qui se demande pourquoi on ne me lit pas plus souvent, dans des tas d'autres journaux que (ici une publication à qui je ne veux pas faire du tort). Réponse, chère amie : parce que j'ai une tête de con. Vous allez vous récrier : pas du tout je sais de quoi je parle. L'autre jour je suis envoyé à la cantine chercher un kilo de sucre pour le café. L'employée qui distribue les repas a évidemment autre chose à foutre, et me dit de repasser à un autre moment. Les collègues envoient Nicolas, jeune, beau, sympa : il revient aussitôt avec le kilo de sucre.

Et il me lance : « T'es nul ! » Ben vous voyez, l'histoire du kilo de sucre, c'est l'histoire de ma vie. Multipliée par mille. Et mille kilos, si vous savez calculer, ça fait une tonne. Et j'en ai marre, et je hais les gens. C'est comme ça. (« Ben que t'es con ! C'est pourtant simple : tu demandais où étais le kilo de sucre, tu allais le chercher toi-même, et... - TA GUEULE. JE N'Y AI PAS PENSE. Il y a des gens qui pensent à tout, qui savent se débrouiller. MOI QUAND ON ME DIT NON, C'EST NON. Je ne mendigote pas, moi. Je ne m'adapte pas, moi. Les adaptés de la vie, je les emmerde. Et ils se permettent de me faire la morale, en plus. JE LES CONCHIE. ET JE ME PLAINS. PARFAITEMENT. Je t'en foutrais moi de la logique.

 

Allez, deuxième chapitre. Les ouvriers. Y en a plus ? Mettons les gens de peu. L'expression est à la mode. Je maintiens que ce sont des cons. Qui détestent la culture. Un pote à moi metteur en scène a ouvert un petit théâtre (deviendra grand) sympa, tous publics, intellos, populo, enfants, tout. Il a dit aux mecs du bistrot d'à côté : « Si vous voulez venir c'est gratuit. » Il n'y en a pas un qui est venu. Pas un en huit ans. Ils préfèrent se roter leurs ricards à la gueule,

wââ putaing kong. Ce sont des connards. Je maintiens. Alors voilà-t-y pas que ma correspondante me dit : « Qui est-ce qui fabrique les programmes de télé ? Qui est-ce qui tient absolument à les empêcher de penser ? »

D'accord ma poule, mais qui est-ce qui paye ? Les annonceurs. Et ainsi de suite. On ne peut pas chambouler comme ça tout le système de la télé. Ca dépend du contrat capitaliste et otut le tremblement, bon, total, on va faire la révolution, mais tu ne touches pas à ma bagnole. Ben c'est pas demain qu'on pourra illuminer la télé avec ta culture, et en attendant, je suis navré, les gens de peu sont et seront toujours pou rmoi des cons. Deuxième exemple ? Une autre collègue fait les marchés avec des marchandes prolos.

Jusque-là tout va bien. Arrivent des touristes russes. La collègue, qui a appris le russe, se trouve toute contente de parler avec ex, de les guider dans leurs achats. Le soir, les prolotes lui disent : « T'es d'origine russe toi ? - Non, j'ai appris à l'école. » Du coup elles lui ont fait la gueule, parce que c'est une offense pour ces gens-là de paraître en savoir plus qu'eux, en fait de savoir quoi que ce soit. Et elle a rompu avec les « femmes du peuple », qui elles au moins étaient « comme tout le monde » et ne « cherchaient pas à faire leurs intéressantes ». LES DESCHIENS SONT DES CONS. ILS NE ME FONT PAS RIRE; ILS SONT TROP VRAIS, PLUS VRAIS QUE NATURE, Y EN A PLEIN DES COMME ÇA ILS VOTENT LE PEN ET JE NE PEUX PAS LES ENCAISSER.

Allez troisième volet, encore plus grave. Les Palestiniens. « Les » - bon, certains. Ceux qui se suicident dans les bus. Si admirables n'est-ce pas, si admirés, désavoués du bout des lèvres, et encensés aux murs de certaines écoles avec le nombre de juifs – pardons, d'Israéliens – qu'ils ont bouzillés. Proposés en modèles, même aux petites filles. Il manque le portrait d'Himmler au mur : lui au moins avec ses camps de concentration, il a battu tous les records. Il est vrai que ça m'étonneerait beaucoup qu'on enseigne l'existence de la Shoah dans ces... comment déjà , « écoles »?

Désolé, je n'ai jamais compris comment le fait de lancer des bombes sur des gosses et des femmes enceintes constituaient une méthode reluisante pour faire avancer « la noble cause du peuple palestinien ». On me parle de désespoir. « Il ne leur a été laissé que les bombes ». Ils sont humiliés. Ben moi aussi je suis désespéré. Les femmes m'ont toutes envoyé chier (du moins pour faire l'amour : mon corps, c'est de la merde) (j'ai une femme ; mais il paraît que ça doit me suffire) –

est-ce que je prône le viol collectif pour me « venger » des innombrables gamelles que j'ai subies ? Est-ce que je leur fous mon poing sur la gueule quand je passe dans les rues ?

Les éditeurs ont toujours refusé mes manuscrits (sauf un : il paraît que ça doit me suffire, 150 exemplaires vendus) – je ne fais pas partie des copains qui remportent les kilos de sucre- est-ce que j'ai appelé au meurtre des éditeurs ? À l'incendie de leurs bureaux ? Non, juste au boycott, dont ils se foutent éperdûment. JAMAIS le meurtre ne se justifie, quelle que soit l'intensité de l'humiliation qu'on a subie. Quel que soit son désespoir. Même si on me tue ma famille devant moi, je ne tuerai pas. TU NE TUERAS PAS. Enfin j'espère. Je me tuerais plutôt moi-même. Je me laisserais tuer, en insultant copieusement mes bourreaux (je ne suis qu'une grande gueule au sein de mes pantoufles) plutôt que de mutiler seulement un de mes semblables.

Comment des centaines de milliers de personnes rationnelles, intelligentes, sensibles, peuvent-ils justifier, comprendre, le meurtre ? L'attentat aveugle ? Ça me dépasse. La racaille sanguinaire peut crever par paquets de mille, ça ne me fait ni chaud ni froid. Un négationniste ignare et pétri de barbarie peut se faire crever avec sa bombe, un con de moins. D'accord, aux Etats-Unis tu n'es pas d'accord avec la ligne directrice du journal tu te fais virer, mais en Algérie tu te retrouves avec une balle dans la tête. Je préfère être chômeur et vivant. Le désesppoir, je t'en foutrais du désespoir.

Le dingue du conseil municipal de Nanterre était un désespéré lui aussi. Qu'auraient dit les braves gens du fast-thinking s'il avait été un désespéré palestinien ? Ah ! La question sacrilège ! «Ca n'est pas du tout le même chose ! C'est uen honte de faire de tels rapprochements ! » Bien sûr que je respecte la douleur des victimes, martyres de la république, mais je la pose quand même la question, je le fais tout de même le rapprochement : parce que la chose se produira peut-être un jour, quand on aura fini en France de lècher le cul aux terroristes pour éviter d'avoir des attentats sur notre territoire.

...Je serais curieux d'entendre les commentaires des journalistes à ce moment-là. Je serais curieux de savoir s'ils continueront à trouver admirable en Palestine ce qui serait odieux en France. Connards. Dès qu'il y a un attentat là-bas, on montre la peur des Palestiniens, « parce qu'ils vont se venger, les salauds d'Israéliens. » C'est tout de même un comble : la faute aux victimes, une fois de plus. « Israël est un état guerrier ; il ont élu des extrémistes. » Si j'ai bien compris ils devraient se laisser tous tuer jusqu'au dernier ; et s'il en restait, on enverrait les gaz ? Ça fait deux mille ans que les Juifs tendent l'autre joue. Maintenant ils se défendent. C'est ça qui fâche. C'est ça le scandale. Quand on aura créé un Etat islamiste aux portes d'Israël, qui est-ce qui ira crier au charron pour défendre les femmes voilées, les pédés lapidés, et autres joyeusetés de la charia ? Il sera bien temps de chialer, crocodiles de gauche enfin si on peut appeler ça la gauche.

La gauche, les intelos, l'intelligentsia, voit les choses de bien plus haut que ça mon con, de bien plus abstrait : il faut s'attaquer aux causes profondes. Oui ben elles sont tellement profondes, tellement liées aux structures capitalistes ou de fonctionnement de l'humanité voire de l'esprit humain qui est pervers n'en déplaise à Jean-Jacques Rousseau et à tous ses sectataires bêlants, qu'il faudra des générations avant que ça ne change. Et en attendant, il faut encenser les assassins sanguinaires... Quand un mec tire sur la foule avec une kalachnikov, je l'arrête lui, je le juge lui, je ne vais pas accuser le vendeur de l'arme, le fabricant de poudre, le responsable du trafic d'armes entre les pays de l'est, la France (qui n'est pas la dernière)et tant qu'on y est le milieu marseillais. Les repsonsabilités se diluent, total on ne fait rien et on se lamente.

Ah ils adorent ça les lamentations et les incantations dans le milieu intellectuel enfin autoproclamé. Je vais vous dire comment ça fonctionne : l'intello en sait plus que les autres. Et c'est vrai. On ne peut pas le nier. Il se sent supérieur, mais comme ça fait vilain, et pas démocratique, il ne veut pas avoir l'air supérieur, avec son système bien pratique pour amener la paix dans le monde. Il a découvert comme a dit Prévert « la balance à peser les balances ». Alors il demande pardon aux ignorants, il les pare de toutes les vertus. Et ce qui le fascine, lui le totalitaire refoulé, lui le despote éclairé, lui le marxiste qui a tout trouvé, c'est le totalitarisme adverse.

Et que je te soutiens le stalinisme, et l'hitlérisme (n'est-ce pas Drieu La Rochelle, n'est-ce pas Malraux, parfaitement, qui a toujours nié avoir rencontré Doriot sur la Côte d'Azur pour discuter de la manière la plus sûre d'amener la récolution : la gauche ou le fascisme ? Parce que les fascistes aussi se disaient révolutionnaires !) - et que j'admire Mao-Tsé-Toung, et Pol-Pot, et Castro, et les Palestiniens, si désespérés, si romantiques, si gavroches, contre le méchant occupant !

...Avec la différence que les Résistants attaquaient des militaires, eux (ce qui arrive aussi aux Palestiniens, d'accord) , mais n'allaient pas faire sauter des bébés (notons qu'à Dresde et à Dantzig, nos chers Alliés et nous-mêmes n'avons pas hésité à le faire).

Les totalitaristes élitistes sont paralysés, fascinés, hypnotisés par les totalitaristes de la tyrannie. Moi aussi j'ai envie d'exister, j'estime qu'il y a d'autres moyens pour le faire que de tirer à l'aveuglette dans la foule, n'en déplaise au surréaliste de mes couilles André Breton. Histoire drôle : quelle est la différence entre un enfant palestinien et un enfant Israélien ? Ben pour tuer un enfant israélien, il faut vraiment aller le chercher dans le bus qui l'amène à l'école. Si je comprends bien c'est encore la faute à ces salauds de victimes qui arment les bras de leurs bourreaux. On m'a fait croire ça toute ma vie à moi aussi toutes proportions gardées : il paraît que mes merdes, je les avais bien cherchées. C'est même le grand truc des psychiatres. Salauds d'Israéliens.

Le Singe Vert va même vous raconter une autre histoire drôle : il apprécie vachement Sarkozy. Parce qu'il a beau interroger ses élèves, il n'y a pas une seule famille qui serait prête à accueillir chez soi un Kurde fugitif. Il faudrait les mettre dans un grand trou, ce serait le trou du Kurde – « on ne plaisante pas avec ces choses -là ! - je plaisante avec tout et je t'emmerde. » A part ça tout va bien mais ça va chier. La solution ? Que les Palestiniens soient raisonnables, et s'en aillent. Il ne manque pas de pays antidémocratiques tout autour où ils pourront exercer à loisir leur manie de la bombinette : la Libye, l'Arabie Séoudite (et non pas saoudite, ignares), la Syrie... Qu'est-ce que c'est que ces gens qui se croient déracinés dès qu'ils sont à 25 km de chez eux ? Au bout de ma rue il y a des gonzes qui n'ont pas déménagé depuis 30 ans ! Putain l'horreur ! Savoir dans quelles chiottes tu vas avoir ta dernière crise cardiaque ! Moi je voudrais bien qu'il n'y ait pas la guerre. Mais je ne suis qu'un trou du cul. Et j'ai chié, forcément. Forcément je me sens gêné. Forcément j'aimerais bien la fraternité universelle. Forcément j'aimerais bien le renversement de Bush et de Sharogne. Forcément j'aimerais bien la réconciliation générale. Et bêler tous en choeur. Et faire l'amour et pas la guerre. Et que je m'emmerde à l'avance des actualités où vont défiler pendant un an tout ce que la bidasserie a pu produire de plus con sur des chars tout neufs à nourrir trois villages du Burkina-Faso pendant une semaine. Mais défendre les attentats, jamais. Tout ce que j'ai dit, mettons que ce soit des conneries. J'en suis tout en sueur, avec un début de larmes aux yeux. Ca me gêne d'avoir écrit ça. Mais je veux exister. Alors j'excite les gens. Mais je ne crois pas que vous serez excités. Vous êtes moins cons que j'en ai l'air. Moins cons que je ne l'ai dit. Au point de vue littéraire, au point de vue philosophique, il va falloir que je fasse des progrès. Mais plus d'attentats s'il vous plaît, plus de tripes au soleil, plus de petit garçon qui se précipite sur le cercueil de son papa en hurlant sur le beau drapeau au fond de la fosse, si je vous dis que je viens de pleurer ça va faire obscène alors je ne le dis pas. CHALOM, SALAM, et puis merde...

COLLIGNON HARDT VANDEKEEN LE SINGE VERT T. IV 50

LA DOCTE ASSEMBLEE

 

 

 

144. Le beau est la manifestation du divin dans le terrestre, de l'infini dans le fini.

 

SCHELLING

 

Ecrits philosophiques

 

C'EST POURQUOI

 

pour son numéro 50 d'Octobre 2002

paraisssant en mars/avril 2003

 

LE SINGE VERT VOUS PRESENTE LE PLUS INFECT DE SES FONDS DE TIROIRS

 

 

- Ta gueule !

- La porte !

N. voit dans l'ombre une douzaine de formes enveloppées autour d'une table.

- Fais chier !

- Courant d'air !

Il passe, la porte se ferme, deux fous à l'attache (des chauves, petits, hargneux, blêmes) s'aplatissent au sol. )

Lutti désigne un siège entre deux formes humaines ; elle même, tout en rouge, s'installe vis-à-vis, de biais, les lumières montent d'un ton, les formes s'émeuvent progressivement, révélant une épaule, une main ; une tête qui rejette le voile : de longs murmures, des étirements. Des bribes de phrases,des bâillements d'hommes, de femmes. Tous se débarrassent pour finir de leurs étoffes : en tordant légèrement les épaules. A présent tous les personnages, ordinairement vêtus, se lèvent précipitamment pour disparaître par les battants du décor ; Lutti, N., se regardent par-dessus la table , et reçoivent dans les oreilles le concert solennel des chasses d'eau. Puis tous reviennent s'asseoir, très naturellement, et s'entretiennent.

Mais chacun parle devant soi, en mélopées, mêlées de silences et de soupirs, sans paraître s'adresser à tel ou tel. Or ces mots indistincts se perdent tous dans un étang noir, c'est-à-dire la longue table vitrée qui s'étale entre eux.

Dans son dos, trois baies basculantes donnent sur une cour cimentée, face à lui l'assemblée, alignée, têtes basses et prodigieusement lasses, entre ces bustes avachis se dressent sur le mur des plaques de marbre (douze), formant douze rectangles en hauteur ornés d'autant de demi-cercles, un dessus, l'autre dessous, soit 24 demi-cercles. Et le long du plafond une cimaise gris argent. Nous sommes par un chaud après-midi d'octobre.

N. reconnaît face à lui Douce et Biff, dont Lutti lui a parlé : Douce au visage de plâtre rose (fond de teint), où saillent les forteresses écarlates des pommettes et la tranchée rouge des lèvres. Ses dents sont tachées de fard, ses yeux cernés de cils trop noirs, sur sa tête de Douce un amas médusien de boucles blondes au petit fer.

A son côté rampe tout assis ce petit homme Biff à grosse tête déformée, crépuet blême, nez crochu : il formait avec Douce un couple inséparable. Il se lève, il est bossu. Ces deux personnages donnent au nouveau venu, à N., l'idée de sa propre supériorité - Lutti lui fait signe de se détromper : elle lui montre face à lui sa voisine, du menton.

- Celle-là ?

- Oui.

C'est une géante, aux longues retombées de tifs roux et raides, le nez puissant, la bouche au rasoir et les yeux de serpent d'eau. « N'y a-t-il personne à qui je puisse me fier? » pense-t-il. Lutti lui fait parvenir un message plié que les autres font glisser sur la table de vitre opaque. « Méfie-toi », dit la lettre, « tends tout ton esprit », et plus bas, en démotique (στά δημοτικά) «Préfère la colère à tout autre sentiment. » Il se souvint de ce qu'ils avaient dit : " les insurgés se sont présentés à la porte aujourd'hui condamnée ; à leur tête, Djiwom,la géante rousse. Elle a vociféré en leur nom » Immédiatement LES déprédations ont commencé. Les insurgés ont réclamé un droit de regard sur « nos activités », le renvoi de Biff et la Douce, la suppression de l'Instance - comme si l'on pouvait supprimer l'Instance !

- Nous les avons supportés une heure durant », disait Lutti. « Nous ne pouvions articuler une phrase complète : Djiwom prenait la parole, retirait la parole. Tu verras comme elle est silencieuse. Elle digère son fiel : à présent, elle siège parmi nous, les sentences de la Géante figurent parmi les plus sévères. Il est bien question d'insurgés ! Elle te fera des ouvertures d'amitié‚ dont tu pourras tirer profit si tu sais garder la mesure."

A côté de Lutti encore et de biais face à lui figurent deux autres femmes en parfait contraste : Noffe, la plus âgée, minuscule, en bleu cru, fourrage sa tignasse d'une main, curant de de l'autre ses dents sales avec une allumette au bout pointu ; son visage tiré vers le nez évoque le museau des rongeurs, où deux petits yeux myopes (μυ – οψ, « regard de la souris ») - fixent le vide avec inquiétude. Et ses mandibules sont agitées d'un exaspérant mouvement de grignotage.L'autre femme, grande blonde aux langueursde lionne, porte au cou trois rangs de rides concentriques où serpente un collier d'or : Séphora, opposée dès le début aux insurgés ; ses longues phrases égales disparaissent puis reviennent à la surface, et le silence revient juste après qu'elle a parlé.

Mais bien qu'il tende l'oreille, N., pas plus que les autres, ne parvient à comprendre ses propositions aristocratiques. Le flux des voix la couvre encore sans qu'elle ait daigné y prendre garde.

Ce que dit Séphora – ce qui s'est passé la veille :

Noffe « Souris Bleue » avait obtenu par ses cris suraigus l'admission de la Géante au sein de l'assemblée, pourvu qu'elle renonçât au soutien des insurgés ; la reconnaissance publique auréole visiblement ce couple disparate.

 

Retour au temps présent

... Fermant la longue table à l'opposé N. reconnaît le maître des lieux, flanqué des deux fous (ou « bouffons ») à l'attache : Maître Luhács (« Louhatch »), froid, hiératique, mains à es à plat sur la table translucide, il fixe le vide.

Premier bouffon, ou fou : un paysan vosgien puissamment taillé, cheveu ras, tête étroite et longue – dolicocéphale. Les tics le ravagent : mains, avant-bras ; la bouche qui se fend, l'haleine qui flamboie, indépendamment d'autres tics de l'oreille, du larynx. Face à lui la folle, tailleur gris perle, les yeux pétillants de méchanceté niaise ; sa tête minuscule assiégée d' « anglaises » tic-taque sans cesse du Maître à l'Assemblée, de l'Assemblée au Maître. « Chaffa » est son nom. La folle et le fou se font des niches sous la table ; il faut pour cela passer par-dessus les genoux du Maître. « Méfie-toi de Luhac », a dit Lutti. « Il n'a pas son pareil pour jeter bas les flatteurs. Il ne croit pas à l'amitié mais tous le recherchent. Il est en relation avec l'Instance. »

N. avait demandé ce que c'était que l'Instance. « Nous dépendons tous » avait dit

Lutti « d'une Autorité qui règle nos départs et nos entrées. Celui qui vient ne peut plus se repartir sans notification expresse de l'Instance.

Personne ne sort d'ici ?

- Personne ne sort.

 

Nouhaut (tel est son nom) a évoqué par plaisanterie la possibilité d'intrigues en vase clos : « C'est un conclave mixte », dit-il. « Ces intrigues existent », lui dit Lutti. Nouhaut a demandé à Lutti si ce n'était pas elle, l'Instance. « Autrement, dit-il, comment vais-je pouvoir m'introduire dans cette Docte Assemblée ? » Lutti a répondu qu' « il y a[vait] des voies parallèles ». L'entretien préalable s'était déroulé dans un salon attenant, tout en cuir, communiquant par uen porte aux bâtiments carcéraux ; Nouhaut ne se souvient plus à présent qu'il y ait un monde exté rieur, à supposer qu'il y ait vu le jour. Il a compris qu'on l'introduisait dans un monde plus clos encore, où il lui faudra observer, manoeuvrer. Quelle improbable intervention extérieure peut-elle donc l'ébranler ?

Toutes les imaginations antérieures de N. (« Nouhaut ») se résument ainsi : un héros, fraîchement libéré, extrait de son champ clos, introduit par une femme, doit affronter quelque nouveau Monarque en son nouveau champ clos, mais, inmmanquablement, échoue ; le monde s'écroule, et le héros sombre, inévitablement, dans la folie- qu'il s'imagine originelle. Notre héros sort de ses réflexions : « Echec au Monde » dit-il à mi-voix – personne ne l'entend, mais il se souvient de l'avertissement « Luhac met à profit tous les faux-sens. Garde-toi des paroles à double portée. - Je te promets de me taire ; mais j'aimerais gagner cette fois ». Il n'a pas tenu parole. Il repasse dans sa mémoire les péripéties de l'entretien ; Lutti se tenait bras écartés,

jambes croisées, livrant la poitrine et fermant le sexe ; ce jour-là son ensemble rouge se détachait sur le canapé de vrai cuir. Il pensa qu ' « un jour [il] lui ferai[t] croiser les bras et ouvrir les cuisses ».

A présent il ne quitte plus des yeux Luhacs qui le regarde précisément ; mais il n'en est pas ému, car les yeux morts du Maître percent sans les voir les objets qu'il contemple ; ainsi Luhac fait-il le tour de la table, tandis que de part et d'autre Chaffe et Souvy, les deux bouffons, se houspillent en feignant l'hilarité.Quand il les a secoués de lui, ils se tiennent alors de part et d'autre froids et raides. Luhac prend la parole, et tous se tournent vers lui :

Que veulent les insurgés ? dit-il ; « nous renverser. Mais, que proposent-ils? rien qui vaille. »

Nouhaut note : voix mesurée, nasale mais très claire. « Notre pouvoir, nos connaissances, l'étendue de nos attributions ne sauraient se partager ni se transmettre au demi-monde des Moyens-Courriers ou de leurs protégés, le peuple.

A ces mots une exclamation d'extrême dégoût parcourt l'assistance.

« Nous avons su adapter nos énergies à des pensées nouvelles, par le système bien appliqué de la cooptation. Permettez-moi de remercier M. Nouhaut de s'être joint à nous. » Murmure d'approbation. Les têtes pivotent dans sa direction. Il se demande pourquoi il n'est pas fait mention de Lutti. L'Assemblée s'attache de nouveau à Luhac. Lutti imite en tout leurs mouvements.

« Ils aspirent au savoir » poursuit le Maître. « Ils appellent cela "démocratie" ; or les Barbares ne manquent jamais de l'emporter. Du moins faut-il en retarder le plus possible l 'avènement, afin que par la suite ils s'inspirent de nous. Quatre cents ans séparent Marc-Aurèle des Burgondes. » Un voile d'ignorance passe sur les yeux de l'assemblée ; Lutti baisse les yeux. Dan l'impossible extérieur ( ou « lointain ») Nouhaut perçoit le brouhaha d'une multitude déterminée. Les autres l'entendent-ils ? « Une seule fois » reprend Luhacs, « nous avons enfreint nos lois »

Il se passe la main sur la barbe). « C'est pour cettte femme » - son doigt se pointe sur Djiwom (N.B. : géante rousse ) « que nous avons ouvert la première brèche. » Douce proteste que la Géante « [leur] est plus dévouée que quiconque ». La Folle s'exclame grossièrement : Djiwom serait « le ver dans le fruit » (rappel : le nom du clown femelle est « Choffa »).

Luhac poursuit son discours monocorde. Sans élever la voix, il énumère ses griefs: Djiwom ne présenterait aucune des garanties exigées des membres les plus anciens ; il serait à prévoir qu'après cela bien d'autres viendraient inconsidérément altérer la composition ou les décisions de l'Assemblée ; «  il est pour le moins irréfléchi que d'aucuns se soient cru habilités à investir un inconnu de privilèges mal justifiés » - tous regardent Nouhaut, puis Lutti, puis Nouhaut.

«D jiwom » poursuit le maître « s'est immiscée parmi nous à la faveur d'un climat insurrectionnel instauré peut-être justement par ceux-là même qui l'ont installée sur ce siège. Il n'est jusq'à sa récente conversion aux vues de l'Assemblée qui ne doive exciter d'autant plus la défiance. Elle a berné la loyauté des siens. Elle n'hésitera pas à duper son second camp. » Un ton plus haut, vers Souris Bleue et Séphora aux colliers d'or : « Vous

avez disputé devant moi pour introduire cette Géante Rousse : elle n'est pas de notre race. »

Noffe redresse son faciès de rongeur. Elle a repoussé son siège, prenant appui d'un bras sur la table, secouant l'autre comme une possédée. Elle braille, la Noffe : « Le peuple a besoin d'instruction ! il doit savoir où on le mène ! ...Qu'on lui donne des livres ! »

 

X

 

Trois semaines plus tard, N. (Nouhaud) demande à Lutti, son instructrice :

- Et Luhac ?

- Il ne pouvait plus ouvrir la bouche ! dit-elle. Les vitres volaient sous les jets de pierres ! C'était un vacarme à ne plus s'entendre !

- Avez-vous résisté ?

- Nos gardes se seraient faits tuer ! ...Noffe (« Souris Bleue ») disait encore : « Notre systŠme est pourri ! Luhacs détient tout le pouvoir ! Au nom de quoi ? " Les autres autour d'elle protestaient :

«  - L'Instance ! L'Instance !

«  - Qu'est-ce qui le prouve ? Criait-elle.

«  - Pas besoin de preuves !

«  - Ignorants ! hurlait-elle. Plus nuls que les Extérieurs ! «  Elle proposait de voter, de destituer Luhacs, de « régénérer nos institutions... »

Retour au temps présent

Luhacs poursuit : « ...Et vous aussi, Séphora, êtes devenue hautement indésirable au regard de l'Instance...

- Des preuves, dit Biff (les bouffons, mâle et femelle, négligent d'aboyer.)

...vous nous avez défendus, Séphora. Vous avez certes préservé in extremis le Savoir de l'invasion des masses ; mais sur un ton si mesuré, que l'on y décelait de l'ironie Parfaitement. C'est vous qui avez suggéré cette demi-mesure » - sa voix se fit suavement méprisante – prétendûment démocratique, et véritablement détestable, d'admettre Djiwom-la Géante au Conseil : « Prendre la tête » disiez-vous, « jeter le corps" – à présent, c'est votre tête que réclame l'Instance. »

Lorsque Luhac se tait, sans avoir de beaucoup élevé la voix, il se fait un instant de silence. Séphora intervient brusquement, voix sifflante. Elle se lance du haut de ses colliers dans une longue et sincère dissertation, portant fréquemment la main à son cou ; elle a toujours eu l'intime conviction que les Masses tireront le plus grand profit de l'Instruction ; cette dernière cependant ne doit leur être fournie que très progressivement, eu égard à leur abrutissement, à leur turbulence, « dont nous pouvons encore percevoir les chocs et manifestations extérieurs ». Il lui est encore apparu judicieux que « les plus libéraux de Notre Aréopage » et « les plus évolués de « ce qu'il est convenu d'appeler « le Peuple » - joignent leurs savoir-faire afin de mettre en oeuvre quelque « injection homéopathique » de la culture dans l' « organisme populaire ».

«Rien ou presque n'a été jusqu'à présent initié, mais je ne désespère pas que la collusion de la droite progressive et de la gauche modérée n'entraîne une " évolution significative de la conjoncture" - « Faites-la taire !» hurle Souvy, le Fou Vosgien. Mais l'inexpressivité de Luhàcs tourne à la performance – tandis qu'une hilarité nerveuse gagne l'assistance. Lutti elle-même, l'Introductrice, cligne de l'oeil, Nouhaut croit donc pouvoir sourire. Djiwom prend la parole, Nouhaut trouve le temps long, les autres se grattent le corps ou jouent avec leurs mains, la Géante a de larges épaules, un regard bleu pâle sans un cillement, la mâchoire agitée, la voix rauque ; le

buste droit, les bras sans expression - Nouhaut dessine une petite carte de son invention, avec des fleuves, des rivières, des routes et même une capitale.

Lutti lui passe à travers la table un papier plié, le papier dit «  A la première pause

je me mets à côté de toi", à quoi Nouhaut répond « Djiwom a un dentier, elle croit que ça ne se

voit pas », Lutti répond "Elle s'en sort bien, la vache. "

Nouhaut dit à mi-voix : « Lutti – malgré tes cinquante ans – tu gardes tes yeux de braise ».

Il a parlé à ras de table. Le son s'est propagé à merveille. Noffe Souris-Bleue se dresse pour mettre en valeur sa petite taille. Elle commence. Tout le monde se tasse au fond de son siège. Luhàcs la fixe. Elle a des sourcils très touffus. Lutti dit à son protége qu' « [il] n'[est] pas là pour regarder les femmes. » Elle lui enjoint de préparer son intervention. N. (Nouhaut) regarde à droite, à gauche, effaré : des têtes s'inclinent, des signes s'échangent. Souris-Bleue se défend avec énergie. Son petit museau se plisse et se déplisse. Elle parle de Droits de l'Homme, personne ne l'interrompt. Soudain Nouhaut :

« Crois-tu qu'il faille donner de l'instruction à tous ? »

Bien sûr répond Lutti ; comment penser autrement ?

Mais ce sont des Barbares ! (interruption de Biff, qui a intercepté le message suivant, sur un papier plié : Les Barbares sont toujours vainqueurs ».

Nouhaut, à Lutti : CE N'EST PAS L'INSTRUCTION QU'ILS VEULENT, C'EST LE POUVOIR. Supporterez-vous plus longtemps Luhàcs ?

« C'est pourquoi poursuit Souris-Bleue qui n'a pas été interrompue nous devons leur accorder les moyens d'uen vigoureuse et définitive organisation », elle se rassoit.

Or Nouhaut tient devant lui une feuille parfaitement vide. Tout le monde rit, c'est la première fois. Le décor, lui, demeure immuable : des carreaux de marbre noir veiné blanc, plaqués au mur.

Biff : Fasciste ! Niais !

DOUCE, outrageusement fardée : Débat dépassé ! Regarde ses yeux : plissés, ou déplissés ? Sa bouche : vers le haut, vers le bas ?

NOUHAUT, change d'avis : Lukàcs, tu est le meilleur. Tu racontes des histoires drôles, tu profères d'excellentes férocités, tu connais chacun de nous...

BIFF : Il l'a appris par cœur !

DOUCE, outrageusement fardée : Il n'y avait rien sur sa feuille !

SOURIS-BLEUE : ... et la politique extérieure ?

LUHACS ne manifeste aucune émotion. SEPHORA, par-dessus ses colliers, le considère avec angoisse.

NOUHAUT : ...C'est pourquoi nous nous en remettons en définitive – à toi, ô Lukàcs, quelles que puissent être tes imperfections, comme ils disent. Nous tiendrons tête pour l'éternité, si c'est toi qui nous guides.

Murmures désapprobateurs.

LUHACS se lève. CHAFFA et SOUVY (deux bouffons) se soulèvent aussi, la sottise est sur leurs visages.

CHAFFA, voix précipitée, mains en grappins sur les seins : Nos livres ! Ne touchez pas à nos livres !

SOUVY, crétin des Vosges, menaçant : Le savoir ! Le savoir au peuple !

LUHACS : Wechselt ! « Changez... »

SOUVY, docile : Le pouvoir – à ceux qui en sont dignes !

CHAFFA, secouant la tête : Brûlez tout, tous les documents, le chef et les bibliothèques ! Brûlez !

(Chantant ) Power to the people !

LUHACS, remontant sa cravate : Vous êtes grotesques. Voyez combien les révoltés vous trompent. Ils ne sont pas malheureux. Mettons un frein à la démagogie. Tout peuple est rebelle au savoir. Ou il ne serait pas le peuple.

SEPHORA, se rengorgeant : Tout de même, le niveau général de culture...

CHAFFA : Ta gueule.

SEPHORA : Tout vaut mieux que...

SOUVY, crétin des Vosges : Ta gueule.

LUTTI, en rouge, se levant : Je ne comprends pas le poids de ces bouffons.

BIFF : Que pensez-vous du concept d'épuration ethnique ?

LUHACS : Je m'en contrefous.

DOUCE (outregeusement fardée) et BIFF se consultent.

DOUCE : Si je comprends bien, le style hésite entre satire et psychologie.

LUTTI : Exactement. Les personnages manquant d'épaisseur, tout ce qu'on peut retenir – en dernière analyse – est ce désastreux discours en faveur du chef.

NOUHAUT se rengorge. A tout hasard.

BIFF : Et les types qui gueulent là dehors, pour la liberté d'expression ?

SEPHORA : C'est du décor.

Une vitre vole sous un pavé.

SEPHORA : Trucage.

DJIWOMM, Géante, Rousse :Permettez, permettez...

CHAFFE et SOUVY : Ta gueule.

SEPHORA : Et puis j'en ai ma claque de ces colliers de chair.

LUHACS : Ne baissez pas les bras ! L'essentiel, je vous le révèle : nous sommes enfermés à clef. Le but n'est pas d'en savoir la cause.

DOUCE et BIF : Ah si ! Ah si !

LUHACS : Bon, ben, plus tard.

NOUHAUT : Sous la culture, on voit la plage.

LUHACS : Nous saurons tout bien assez tôt. Pour en sortir, vous devez me juger – m'éliminer.

CHAFFE et SOUVY : Ta gueule.

LUTTI : C'est malheureux tout de même qu'on ne puisse pas ouvrir la bouche sans que...

CHAFFE ET SOUVY prennent un air menaçant. LUHACS s'interpose : ils baissent les yeux. LUHACS invite LUTTI à poursuivre, elle fait signe qu'elle a terminé.

LUHACS : C'est à vous, chers collègues...

TOUS : « Collègues » ???

LUHACS : ...qu'il appartiendra de déterminer, en votre âme et conscience...

Coups vifs à la porte.

 

DEUXIEME TABLEAU (le premier, c'était avant)

NOUHAUT est pris d'un rire nerveux.

BIFF : Vous voyez bien, qu'on peut entrer.

SEPHORA : Cette nouvelle intrusion...

CHAFFE et SOUVY se dressent au bout de leur chaîne, SEPHORA se tait, entre LE

BALAYEUR. Noir, avec un balai de plastique vert. Avec lui PAQUITA, les yeux noirs, le profil aquilin ; elle fixe LUHACS d'un air féroce.

NOUHAUT la reconnaît.

TOUS : Mais c'est NGWADJA, le balayeur !

« On n'a pas tous les jours l'occasion de se fendre la gueule. »

NGWADJA désigne sa compagne de la main ouverte. Il s'exprime dans un français impeccable, avec un accent des bords de la Loire :

Je suis sorti de la prison de Sarreguemines.

NOUHAUT, à part : Que fait ici cette femme que j'ai tant aimée ? ...S'ils ont libéré cette femme, c'est que tous ceux que je vois autour de cette table sont fous ; assassins, ou assassins devenus fous... (à haute voix) Tant pis... (Tous le regardent).

NGWADJA : Luhàcs vous le dit : il faut le croire. Il faut le renverser. Luhacs ne demande que cela. Et d'autres tomberont avec lui.

NOUHAUT, à part : Pourquoi me regarde-t-il ?

NGWADJA : Voici le récit d'une tromperie ; d'une séduction ; d'un viol. (désignant PAQUITA) Elle ne connaîtra pas le père de son enfant.

NOUHAUT, à part : Et l'éducation du peuple ? Qui se soucie désormais de l'éducation du peuple ? ...L'infirmière-chef ne s'est même pas dérangée en personne...

NGWADJA, solennel : Le père, c'est lui (il désigne LUHACS) ou lui (il désigne NOUHAUT).

NOUHAUT crie : Je n'ai jamais touché cette femme !

PAQUITA : ...mais tu l'aurais bien voulu.

NOUHAUT : Comment s'appelle ton enfant ?

PAQUITA : Nicolas.

NOUHAUT approuve de la tête.

NGWADJA crie : Il sait son nom !

LUHACS : Et moi alors ?

SOUVY, crétin des Vosges : Ta gueule. Tu es un personnage incohérent, à qui personne ne s'identifie.

SEPHORA, du haut de ses colliers, à NGWADJA : Vous parliez d'un viol...

BIFF : C'est bien la première fois que tu vouvoies un Noir.

PAQUITA : Parfaitement. Séduite et abandonnée.

DOUCE, du fond de ses fards : C'est bien le moment d'avoir l'accent espagnol.

NOUHAUT, à part : Tout ça ne me dit pas ce que je dois faire de l'éducation du peuple...

PAQUITA rectifie avec aigreur : Catalan. L'accent catalan. (Désignant LUHACS du doigt) « C'est lui. »

LUHACS se montre ravi.

NGWADJA, appelant derrière lui : Les demoiselles de Luhàcs !

Une demi-douzaine de jeunes personnes, de 16 à 26 ans, se répartissent autour de la table, chacune derrière un membre de l'Assemblée.

NOUHAUT : Apparemment, aucune n'est enceinte.

DES MANIFESTANTS, dans la rue : Ins-truc-tion ! Ins-truc-tion !

LUTTI, en rouge : Ça ne vaut rien. Depuis le début nous hésitons : registre mystique, documentaire, pamphlet – partout, partout, la même superficialité. A présent nous en sommes au vaudeville. Même pas trace d'humour juif.

NOUHAUT, d'un ton coupant : Je ne suis pas Juif.

LUTTI : ...ni pédé...

NOUHAUT : Non plus.

LUTTI : Comment voulez-vous qu'on s'y retrouve ?

LUHACS : Mais de qui parlez-vous ?

Silence consterné.

NOUHAUT découvre que son siège est pivotant.

 

Troisième tableau

 

Fondu au noir. Tout le décor disparaît. NOUHAUT seul dans une cellule d'asile, au pain et à l'eau. Sur les murs les portraits de toutes les femmes précédentes, jeunes ou moins jeunes. NOUHAUT se lève, parle silencieusement à chacun de ses portraits, se rassoit pour écrire fébrilement dans un grand carnet de cuir rouge.

NOUHAUT : Toutes enceintes... et de LUHACS... « ...Une salle aux marbres gris, avec sa longue table en bakélite.

« Mesdames, Messieurs – Considérez la richesse de coeur que c'est – d'avoir si souvent senti ce pincement de coeur, cette électricite subtile autour de l'occiput – dans les commencements de l'amour.

Protestations furieuses de voix féminines en coulisses.

NOUHAUT, devant le portrait de CHAFFA, la bouffonne : Je t'ai connue jeune et désemparée, j'ai su tout ce que tu cachais, avec la plus grande précision. Tout ce que tu vivais. J'aurais aimé vivre avec toi, dès le début de la vie.

Mais dès qu'elle prend de l'assurance, une femme cesse de m'en imposer.

Petit à petit les personnages font leur entrée dans la cellule, en silence, et s'accroupissent le long des murs.

BIFF, à mi-voix : Nous perdons notre temps.

DOUCE, outrageusement fardée : nous entendons des choses – que nous ne devrions pas entendre.

LUHACS, voix feutrée : Rien- de tout cela – ne saurait m'ébranler. (Raffermissant sa voix) En conséquence, et en vertu des pouvoirs qui me sont conférés... J'expulse toutes les grandes gueules : Séphora (elle se lève) , Souris-Bleue (même jeu).

SOURIS BLEUE : Nous avons pourtant fait tout notre possible.(Exit)

LUHACS : Djiwomm la Géante (Djiwomm se lève)

SEPHORA : La dictature est inexpugnable.

DJIWOMM : Démerdez-vous. (Exit)

 

Quatrième tableau

 

Le décor pivote. Un amphithéâtre se découvre soudain. Le peuple occupe tous les gradins. (On peut aussi plus simplement inverser les éclairages, le public jouant le rôle du peuple. ) Bruits de gorges, raclements de pieds, un ou deux applaudissements dérisoires.

 

LUHACS : Le voici donc, ce peuple que je repoussais. Il s'apprête à rugir – ou à se taire...

SOUVY, crétin des Vosges : Sire, ils ne sont pas armés.

LUHACS : Ont-ils payé leurs places ?

SOUVY : Qu'est-ce qu'on fait ? Qu'est-ce qu'on fait ?

LUHACS : Chers amis, bonsoir !

LE ¨PEUPLE : Ta gueule !

Deux femmes dans le public agitent les bras, tendant des papiers.

LUHACS : La question ne sera pas posée.

UNE FEMME : Comment vous représente-vous une forêt ?

LUHACS : Haute, claire, les troncs bien espacés. De beaux sous-bois, couleur orange.

NOUHAUT : Touffue, pleine de ronces. Infranchissable.

TOUS LES ACTEURS se regardent avec uen gêne extrême. On entend « Qu'est-ce qui lui prend ? » - « Ce n'est pas à lui de parler » - etc.

BIFF : Il va tout foutre par terre.

CHAFFA, à voix basse : Ta gueule.

Scène muette. LA FEMME et LUHACS échangent questions et réponses en mimiques. NOUHAUT les observe et prend des notes, fébrilement, sur un registre entre ses genoux.

LA FEMME, depuis le public : Vous voyez une clef sur le chemin.

LUHACS : Je la fourre dans ma poche.

LA FEMME : Sans savoir à qui elle appartient ? Sans chercher une maison, une porte qu'elle pourrait ouvrir ?

LUHACS : Rien à foutre.

NOUHAUT : Bien dit.

LA FEMME : Vous rencontrez un lac. Que faites-vous ?

LUHACS : Je plonge. Je nage le plus longtemps possible. J'aménage une piscine, des courts de tennis, un hôtel – et des golfs.

NOUHAUT, soulignant rageusement : Il ment.

LA FEMME : Vous rencontrez, au milieu du chemin – un lion.

LUHACS : Je l'hypnotise, et je passe.

NOUHAUT, face au public : La question est mal posée. Elle ne spécifie pas si le lion dort, ou non. S'il vous voit, ou s'il ne vous voit pas. S'il dort, je le contourne, à pas de loup, de très loin. S'il ne dort pas, j'effectue le détour le plus long possible, fût-ce à travers les fourrés les plus épineux.

BIFF : Le lion symbolise les responsabilités. Monsieur Luhàcs (il salue obséquieusement) ne manifeste quant à lui aucune lâcheté – ni aucune témérité – affrontant le fauve à mains nues : c'est l'arme la mieux appropriée.

Applaudissements d'abord du public, puis de la Docte Assemblée. NOUHAUT fait seulement semblant.

LA FEMME, du public : Vous affronterez un mur, immensément haut, immensément étendu de part et d'autre, infranchissable.

NOUHAUT : Je le scrute ; pierre à pierre – chaque mousse, chaque insecte.

LUHACS : Je le franchirai, quelles que soient les impossibilités.

Nouveaux applaudissements.

LUTTI : Le mur, c'est la mort.

NOUHAUT saute sur ses pieds : Vous assistez à une imposture. Ce public ne devrait pas se trouver ici mais devant sa télé ! Jamais il n'a été question de faire appel à vous ! Puisque c'est noue qui décidons de tout, entre personnes compétentes. Ce n'est pas vous qui avez conféré à LUHACS des pouvoirs exorbitants. Ce n'est pas à vous d'y mettre fin !

UN HOMME au premier rang : C'est nous qui avons installé Luhàcs.

NOUHAUT : Et l'Instance ?

LE PUBLIC : A bas l'Instance !

« Il n'y a pas d'Instance !

«  Ta gueule !

« Pourri ! ... Fumier !...

«  Pourquoi qu'on a chassé les vieilles ?

LA FEMME : Pourquoi tant de femmes ?

L'HOMME : Les vieilles possèdent la sagesse ! Les vielles connaissent toutes les solutions !

LA DOCTE ASSEMBLEE se tord de rire, sauf LUTTI et NOUHAUT. NGWADJA fait un signe : les jeunes femmes s'en vont, les vieilles prennet leur place.

DJIWOMM, au peuple : Peuple ! Nous aussi nous avons été belles, et silencieuses. Mais, pas plus alors qu'aujourd'hui, personne ne nous a accordé d'exhiber nos véritables personnes. Je vous renvoie aux Ecritures.

Elle se rassoit.

SOURIS-BLEUE : Vous... et puis merde. (Semblant reprendre un fil)Vous êtes tous là à vous foutre de moi sous prétexte que j'ai réussi malgré moi.

SEPHORA : En dépit de ma méfiance antérieure, j'accepte d'être prise à parti par le peuple.

NOUHAUT : Bénissons la présence du chef, Coordinateur sans précédent, sous la férule duquel a prospéré la Caste des Flamines. Jamais de tels rôles n'auraient dû s'inverser ! Haute trahison du destin ! (Premières huées) Ecoutez ! (Solennel) C'est l'histoire du Belge qui encule un travelo, il passe sa main par-devant et dit : Merde, je l'ai transpercé, une fois ! »

LUTTI affiche un air écoeuré. DOUCE, outrageusement fardée, et BIFF, admiratifs.

LE PUBLIC, prononçant à la con : Le – veaute ! Le – veaute ! (Meuglements)

NOUHAUT : Etes-vous français ?

LE PUBLIC : Yes we are !

NOUHAUT : Le vot-tt-te sera donc effectué par nouzigues ici présents biscotte vous valez que dalle et que j'me tape du vote popu comme eud'ma première branlette !

Il lève le bras flappi de LUHACS

SEPHORA : Jamais l'Instance n'avalisera un tel changement de cap.

NOUHAUT : Fais chier avec l'Instance !

Vote, ramassage, dépouillement. BIFF et BLONDE, outrageusement fardée, scrutateurs. LUHACS réélu à l'unanimité moins un blanc.

NOUHAUT : Au nom de la pitié qu'inspirent l'enflure et le pouvoir déchu, je proclame LUHACS réélu !

VOIX OFF (Haut-parleur venu des cintres) : Ici l'Instance... Ici l'Instance... Vous vous payez Ma Très Sainte Tête... Réélire LUHACS est contraire à tout ce qu'il y a de plus honnête en Moi... La Démocratie n'a pas de soutien plus actif que l'Instance... La Fraternité...

Hourvari généralisé. Hurlements de rire.

VOIX OFF DE L'INSTANCE : ...l'Antiracisme, c'est Moi ! L'Anti-émeutes, c'est Moi.

Tous se regardent épouvantés.

DOUCE, outrageusement fardée : C'est la voix de NOUHAUT !

SEPHORA : Il fallait s'y attendre.

DJIWOMM : Pas du tout.

VOIX DE L'INSTANCE : Je proclame élu NGWADJA, Noir et Balayeur ! Approche, brave négro, toi y en a pas peur – présentez... balai !

LE ¨PUBLIC : Non ! Non !

CHAFFE et SOUVY, bouffons, traînent le Noir sous l'œil vertical du haut-parleur à présent descendu des cintres.

SEPHORA : Un Noir, soit ; mais un balayeur !

BIFF : Un inconnu !

DJIWOMM : Un non-diplômé ! (Elle se mord les lèvres – trop tard...)

LUHACS : Je m'empresse de m'intéresser à tout, de peur de l'intéresser à rien !

BIFF : Il se réveille...

VOIX DE L'INSTANCE : Je vais tous vous mettre d'accord...

Tous se tassent les uns sur les autres, côté jardin. L'INSTANCE EN PERSONNE descend les marches de la cabine de régie. Il ressemble au Bonhomme Michelin.

DJIWOMM : Je ne le voyais pas du tout comme ça.

SEPHORA : Ne m'en parlez pas ma chère, je croyais que ce n'était qu'une voix.

LUHACS tente un bras d'honneur, puis se raffaisse. Absence totale de réaction dans le public.

L'INSTANCE : Ben alors ?

L'INSTANCE se débarrasse de tout son attirail boudinant. Il est exactement semblable à quelqu'un dans la rue. Il regagne les coulisses.

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204. Déployez votre esprit, mais ne servez pas d'amusement aux autres ; car sachez bien que, si votre supériorité froisse un homme médiocre, il se taira, puis dira de vous : “Il est très amusant !” terme de mépris.

 

BALZAC

“Le Lys dans la vallée”

 

Le Singe Vert vous présente certains de ses numéros de clown favoris.

I LES FEMMES

II L'EDUCATION NATIONALE

III LE FASCISME DE BASE

Il ne croit pas un mot de ce qu'il dit. Ou plutôt, il sait qu'il ne fait que le croire. Que la vérité, comme la Vraie Vie, est ailleurs. Et que (Dieu merci) – jamais il ne convaincra personne. C'est pourquoi il ne se gêne pas. Estimant qu'il a passé son indigne existence à se faire ignorer, piétiner, mollarder, il ne se sent tenu à aucun, mais alors absolument aucun respect pour qui que ce soit, surtout pas pour ses lecteurs. Qui d'ailleurs ne payent rien, et reçoivent sa revue ou son torchon à travers la gueule sans l'avoir demandé. Ce que le Singe Vert ne supporte pas, c'est de se voir refusé, ou agressé, alors qu'il agresse les autres. Ce n'est pas logique, mais je vous emmerde.

Penser que des connasses se sont permis de le menacer de poursuites pour agression, en découvrant – quel scoop ma mère ! - que cette publication était “nulle” et “vulgaire” (la nullité, que je sache, et la vulgarité, n'ont pas encore été cataloguées par nos chieuses de vertu au rang de délits d'Etat, si tous les nuls vulgaires étaient en taule ça ferait du monde) le jette, lui le Singe Vert, dans des rages billieuses. Ce qui l'exaspère encore, c'est l'appel à la logique : pourquoi veut-on à tout prix que je “veuille en venir” à quelque chose, que je “propose” quoi que ce soit, que je “serve” tel ou tel projet ?

La seule réalité, c'est la mort. Un jour je crèverai, tu crèveras, il crèvera. Et en attendant, le Singe Vert s'agite et pue. Rien de plus banal vous voyez. Mais tous ceux qui se demandent pourquoi le Singe Vert ne ferme pas sa gueule au lieu d'être ordinaire s'agitent eux aussi, au nom d'idéologies ou de larmoiements bien casse-couilles, et n'ont en fait en tête que le projet commun à tout individu de cette putain d'humanité, moi y compris : écraser l'autre, le réduire au silence, en faire son clone ou son “paillasson admiratif, en dépit de toutes ses dénégations. Ce que je veux ? Faire du bruit, semer sa merde, le tout minuscule, en attendant que ça passe. Il paraît que je fais la leçon en détestant les donneurs de leçon. Dont acte.

Je répète. Ceux qui ont tout compris, je les emmerde.

Quant à la vulgarité, voici : au commencement, j'étais vulgaire. Je me suis fait rejeter, normal. Je me suis donc mis à la correction. Je me suis fait rejeter. Alors maintenant je suis vulgaire et banal, et bitte, poil, couilles. Très, très banal.

Ceux qui n'ont rien demandé, ils font comme avec les papiers de pub : direct poubelle. Ou un petit mot de refus, de ceux qu'ils ne se fatiguent jamais à faire pour les entreprises à pub, parce que celles-là, elles sont normales, elles cherchent à vous soutirer de l'argent. La seule chose que le Singe Vert aimerait vous soutirer, ce sont les timbres. Die Briefmarken. Sells. On y va ? Tournez la page. Alors les femmes coco. Croco. Je lis dans le sacro-saint Télérama, rubrique “Courrier des lecteurs” - la plus passionnante : “Où sont passés les hommes ? Ils n'osent plus vous aborder. Ou alors la grosse drague “Tu viens pour le week-end” ? Moi je préférerais tomber amoureuse. Depuis la libération de la femme, je suis toute seule. On en est réduites à draguer nous-mêmes” et autres larmoiements.

Ma grande, je vais t'expliquer. Depuis qu'on dit aux hommes qu'ils sont emmerdeurs, qu'ils sont chiants, qu'on voudrait bien pouvoir se promener tranquillement dans la rue ; que les mecs c'est tous des violeurs, des tripoteurs de petites filles et des machos qui tapent sur leurs gonzesses. Depuis que des traîtres comme Renaud prétend que nous sommes des manieurs d'armes à feu, des toreros, des guerriers, des SS et j'en passe, eh bien nous nous écrasons, nous nous les écrasons. Je ne vois pas l'intérêt à se faire insulter ou frapper à coups de sac à main dans la rue. Si tu abordes une femme, mon mec, tu risque de te retrouver en prison (harcèlement). Si tu la touches, évidemment – attouchements.

N'oubliez jamais mes frères le programme des connasses :

PLUS DE PROSTITUTION

PLUS DE PORNOGRAPHIE

PLUS DE SODOMIE

PLUS DE FELLATION

PLUS DE PENETRATION

PLUS D'ERECTION

FICHAGE DE TOUS LES MECS A L'ADN

CASTRATION DES GARÇONS A LA NAISSANCE PAR PRINCIPE DE PRECAUTION.

Vous aurez compris bien entendu que dans les 5 premières propositions, “plus” se prononce [plü], et qu'il s'agit d'abolir, non d'augmenter. Alors pas de quartier. Il n'y a que l'avant-dernière proposition qui m'agréerait : le viol me fait horreur, les types qui font ça ne sont pas des hommes, ils contribuent à détruire l'image du mec – mais comment veut-on abolir le viol et en rester, Mesdames, à la mentalité du XIXe siècle ? Vous haïssez les hommes, vous ne pouvez pas sentir l'acte d'amour, vous appliquez aux hommes exactement la même attitude que celle des antisémites aux juifs : tous les hommes (juifs) sont dégueulasses, excepté MON (meilleur ami juif) mec-à-moi.

Et à part ça vous vous étonnez de la recrudescence des viols, de la prostition et de la pédophilie tant qu'on y est. Vous dites qu'il est facile de vous obtenir, que vous draguez, que tout cela a bien changé : à d'autres. Vou ssouriez aux mecs, et vous appelez cela “draguer” : personne ne s'y laisse prendre ; aucun homme n'a envie, après avoir répondu à votre sourire, après avoir essayé d'aller un tout petit peu plus loin, de se faire traiter de gros porc- macho, de préférence très fort et en public, du style “Mais où c'qui s'croit çui-là ?”

Je vais vous raconter une histoire drôle : il était une fois une fille “folle de son corps”, ou du moins qui lefaisait croire. Dès que tu la voyais, tu avais envie de passer avec elle dans uen pièce fermée. Evidemment, les autres femelles la traitaient de pute, alors qu'elles ne lui arrivaient pas à la cheville question beauté. Elle s'habillait à peine, on la sentait prête à faire n'importe quoi. Plusieurs années après, je la revois, élégante, mystérieuse, distinguée, raffinée, grande dame, carrément intimidante. Une amie me dit : “Ah ! La voilà bien mieux tout de même ! de la classe, du

maintien, une vraie femme ! Tu ne la préfères pas comme ça, Bernard Singe ?

Non. Je la préférais en pute. Parce que c'était bien franc, bien affiché, on pouvait y aller, c'était franc, sans bavure. Tandis que dans son nouveau et je le crains définitif avatar, elle était devenue comme toutes les autes femmes : aguicheuse, sensuelle, provocattrice, vamp, mais surtout ! Surtout ! Surtout ! ON NE TOUCHE PAS. On respecte. On voit de loin. On en pense pas à ça. Est-ce qu'elle pense à ça, elle ? Pas du tout. De quoi tomber amoureux fou. L'oeil, la chevelure, la douceur, le caractère, le coin des lèvres, le fond de teint, la féminité exquise, mais surtout : ON NE TOUCHE PAS. Respectable on vous dit. Plus question de faire l'amour. Une femme, une vraie. Qui inspire les passions et ne les ressent pas.

La femme gère sa sexualité. Très tôt elle apprend à faire l'amour quand elle veut, quand il le faut, jamais en fonction d'une impulsion. Parce que si impulsion, un gosse à la clef. C'est risqué d'être une femme. T'avais oublié ça. QUANT A ETRE AMOUREUX MA VIEILLE, c'est bien simple : LES FEMMES VEULENT LE BEURRE ET L'ARGENT DU BEURRE. ETRE PROMUES SOCIALEMENT CERTES, MAIS AUSSI PROFITER DE TOUTES LES PETITES ATTENTIONS, MENER PAR LE BOUT DU NEZ UN HOMME A TRAVERS TOUT CE DEDALE DE VULGARITES ET DEMESQUINERIES QU'ELLES APPELLENT L'AMOUR ? Et qui pouvaient se comprendre LORSQUE LE CODE INTER-SEXES S'APPLIQUAIT HARMONIEUSEMENT. MAIS COMMENT VOULEZ-VOUS TOMBER AMOUREUX D'UNE FEMME QUI N'A PLUS LE MOINDRE CARACTERE ATTIRANT, DONT ON SAIT QU'ELLE VOUS ATTEND AU TOURNANT POUR VOUS PROUVER SOIT SA SUPERIORITE, SOIT SON CARACTERE DE VICTIME, DE VICTIME, DE VICTIME ? ... DES HOMMES BIEN ENTENDU.

ET C'EST VRAI IL Y EN A ENCORE? EN PAGAÏE. MAIS MERDE? CE N'EST TOUT DE MËME PAS MA FAUTE A MOI QUI AIMERAIS TOUT SIMPLEMENT AVOIR CONFIANCE... ADIEU LA CONFIANCE, “ADIEU TOUTES LES FEMMES” COMME DISAIT LE REFRAIN...

 

2È article, 2E NUMERO DE CLOWN : L'EDUCATION NATIONALE

J'EN AI ECRIT DES CONNERIES LA-DESSUS AUSSI .MA DERNIERE

TROUVAILLE ? LA VOICI : SUPPRESSION DE L'OBLIGATION DE SCOLARITE.

DANS “TELERAMA” - ON SE SIGNE - ON EST TOUJOURS EN RETARD D'UNE GUERRE:

IL FAUT” REPETE, RADOTE UNE VIEILLE BARBE STYLE JULES FERRY, “QUE LES FILS D'OUVRIER ET DE PAYSAN” - C'EST QUOI PAPA UN OUVRIER, UN PAYSAN ? - “PUISSENT AVOIR ACCES A LA CULTURE.” MAIS MON PAUVRE POTE ! Tu prends le problème à l'envers ! Les fils disons de chômeurs ou de blaireaux de banlieue ils n'en ont plsu rien à foutre maintenant de Victor Hugo ou de Jean-Paul Sartre : ILS VEULENT NE PLUS RIEN FOUTRE ! DU TOUT , DU TOUT, DU TOUT ! VENDRE DE LA CAME A LA RIGUEUR ! DEVENIR ZIDANE A LA RIGUEUR ! MAIS SANS AVOIR RIEN FOUTU ! ET CEUX QUI NE PENSENT PAS COMME EUX, ILS LES PERSECUTENT ! LE PETIT ELEVE PORTOS OU ARAMIS QUI VEUT TRAVAILLER, IL SE FAIT RETOURNER SON CARTABLE, CACHER SES AFFAIRES, PISSER DANS SES BOUQUINS ! ALORS QU'EST-CE QU'ILS VIENNENT FAIRE EN COURS, CES PETITS CONS-LA, A PART LE SABORDER ? A L'USINE ET VITE ! AU PATRON, COMME AU TAUREAU, ET VITE ! A BALAYER LA COUR A COUPS DE PIED AU CUL !

ET IL LE RESPECTERA LE PATRON ! AUTREMENT QU'UN CONNARD DE PROF MEME PAS FOUTU DE GAGNER QUATRE MILLE EUROS EN FIN DE CARRIERE ! PARCE QUE LE PATRON C'EST LUI QUI DONNE LE HHHARGENT ! C'EST CA QU'IL FAUT RESPECTER, LE HHHARGENT ET CELUI QUI LE DISTRIBUE ! QUELQU'UN QUI EST ASSEZ DIMINUE DU CERVELET POUR ALLER DIRE A SON PROF QUE “LUI, IL EST PAYE” ALORS QUE L'ELEVE NON, SANS SE RENDRE COMPTE QUE C'EST LA FRANCE ENTIERE QUI SE COTISE POUR LUI PERMETTRE D'ALLER A L'ECOLE, DEHORS !

TIENS JE T'ENVERRAI TOUT ÇA AU BURKINA-FASO MOI, AUX SYNDICALISTES BELANTS ÇA NE LEUR FERAIT PAS DE MAL NON PLUS, DES

classes DE 90 MOMES QUI ECOUTENT LEUR PROF EN SILENCE SOUS DES HANGARS OUVERTS, JE T'EN FOUTRAIS DES EFFECTIFS SURCHARGES MOI, ET QUI ONT ENVIE DE TRAVAILLER PARCE QUE SINON C'EST LA FAMINE... QUI PLEURENT PARCE QU'ILS N'ONT PAS PU SE FAIRE INSCRIRE ! TOUS LES FOUTEURS DE MERDE DE BANLIEUE, ALLEZ HOP ! AU BURKINA FASO, EN MAURITANIE ! ILS VERRAIENT UN PEU LEUR PETITE PR2TENTION, LEUR PETIT RIDICULE ! Y A QU'A ! FAUT QU'ON ! SEULEMENT, TOUS LES BIEN PENSANTS VONT SE RECRIER ! PRIVER LES ENFANTS DU PPPEUPLE DE L'EEEDUCATION ! SACRILEGE ! FASCISME !

TOUT LE MONDE S'EN TOUT DE L'EDUCATION MON POTE ! LES PROFS NE VEULENT PLUS RISQUER LEUR SANTE AVEC DES CLASSES DE MALADES MENTAUX, DE

PETITS VIEUX, DE CASSEURS DE GUEULE ! J'entendais dans une bouquinerie que le jour où ils ne voudraient plus enseigner “Ce serait fini” : mais c'est déjà fini ! LES ENSEIGNANTS SE METTENT EN GREVE DES SEMAINES DURANT A PRESENT, ET L'ETABLISSEMENT NE TOURNE PAS PLUS MAL ! SIMPLEMENT LES PARENTS D'ELEVES NE SAVENT PLUS OU PLACER LEUR PROGENITURE !

ESSAYEZ VOIR DE FAIRE GREVE TROIS SEMAINES SI VOUS ETES EBOUEUR, LA VOUS LES VERREZ VITE SATISFAITES VOS REVENDICATIONS ! VIDER LES POUBELLES, VOILA DE L'INDISPENSABLE ! MAIS FAIRE LE PROF, OUAH MINABLE ! SI AU MOINS LES SALAIRES ETAIENT EN CONSEQUENCE ! AU LUXEMBOURG ILS EMBAUCHENT A 3000 EUROS, ILS FINISSENT A 7000 ! EN FRANCE, APRES BAC PLUS SIX, ILS SONT PAYES COMME A BAC PLUS DEUX EN BOITE ! JE M'EN PASSERAIS BIEN DES VACANCES MOI ! SI JE POUVAIS GAGNER PLUS ! TOUS CES CONS QUI ME SUSSURRENT L'AIR NIAIS : “ALORS, ENCORE EN VACANCES ?” ... ET QU'EST-CE QUE VOUS CROYEZ QUE JE FOUS PENDANT MES VACANCES BANDE DE CONS ?

QUE JE VAIS A LA PECHE , QUE JE JOUE AUX BOULES ? ÇA NE VOUS VIENT PAS A L'IDEE QUE JE LIS, QUE JE LIS, QUE JE LIS, QUE J'ECRIS, QUE JE COMPOSE PARFAITEMENT POUR SAVOIR DE QUOI JE PARLE QUAND JE JACTE LITTERATURE ? UNE DE MES COLLEGUES M'APREND QU'AU COSTA-RICA ILS FONT 40 HEURES DE COURS PAR SEMAINE ! MAIS AU BOUT D'UN AN T'ES FOUTU, QU'EST-CE QUE TU VEUX LEUR TRANSMETTRE A TES GOSSES SI TU ES TOUJOURS A FAIRE COURS ? QU'EST-CE QUE TU AS EU LE TEMPS DE LIRE, D'ECOUTER, DE VOIR AU CINE ? RIEN, QUE DALLE.

PARCE QUE JE VAIS VOUS DIRE MOI : LES AUTRES METIERS, QUI TRAVAILLENT

PARAIT-IL BIEN PLUS QUE VOUS, ILS SE COMPTENT LES HEURES DE TRANSPORT PARMI LES HEURES DE TRAVAIL ! ET CELLES DES “REPAS D'AFFAIRES” ! BEN MERDE ALORS ! MOI AUSSI JE VAIS ME COMPTER LES REPAS, ON Y PARLE D'ELEVES ! ET LES TRANSPORTS ! COMME LES AUTRES ! ET CEUX QUI VIENNENT ME DIRE QUE LES MEDECINS TRAVAILLENT UN TEMPS FOU (C'EST VRAI D'AILLEURS, ET HOMMAGE A EUX) – ET QU'EN PLUS, VOUS AVEZ BIEN LU, EN PLUS, ILS SE METTENT AU COURANT DES DERNIERES TECHNIQUES ET DU DERNIER ETAT DE LA RECHERCHE MEDICALE !

FAUX COCO : POUR ÇA ILS ONT DES STAGES. AUTREMENT QUAND EST-CE QU'ILS AURAIENT LE TEMPS DE BOUFFFER, DE PISSER, TES FAMEUX MEDECINS SUPERMAN ? JE REFUSE DE PARLER D'ENSEIGNEMENT AVEC QUELQU'UN DONT CE N'EST PAS LA SPECIALITE. RIEN DE PLUS EXASPERANT QUE D'ENTENDRE CES BRAVES CONS DE CITOYENS LAMBDA QUI T'APPRENNENT COMMENT TU DOIS FAIRE COURS, PARLER AUX ELEVES ET MAINTENIR LA DISCIPLINE ! Et qui te traitent de feignant par-dessus le marché ! Ah ! Le jour où j'interdirai aux masses turbe-inantes l'accès à la culture, le beau tollé que ça sera parmi les intello de broussailles ! ...LES AUTEURS D'ARTICLES HUMANISTES DE TELERAMA ! LES GENSSES DE GOCHCHE ! ...ET LE SOULAGEMENT CHEZ LES CANCRES ! PLUS DE BOUQUINS OUAH LE PIED LA PUTAIN DE TA MERE ! PEUT-ETRE D'AILLEURS QU'ILS VONT S'Y RUER ? PARCE QUE JUSQU'ICI ON S'Y RUE PEU ! ET SI JE PROPOSE DE REMPLACER NE SERAIT-CE QUE LA MOITIE DES EMISSIONS DE TELE COMPLETEMENT CONS PAR DES EMISSIONS CULTURELLES, POUR COMPENSER LA RUINE PROGRAMMEE DE L'ECOLE, ALORS LA ! ALORS LA ! CE SERA TOUT LE GRATIN DE LA MEDIOCRITE QUE JE VAIS AVOIR SUR LE DOS !

TOUS CEUX QUI PRETENDENT QUE SI LE PEUPLE TE DEMANDE DE LA MERDE TU DOIS LUI DONNER DE LA MERDE AU NOM DE LA DEMOCRATIE ! ALORS QUE LE PEUPLE EST TELLEMENT JE NE DIS PAS CON MAIS MOU, SUIVISTE, MOUTONNIER, QUE SI ON LUI DONNE TOUS LES SOIRS DU SHAKESPEARE, DU BEETHOVEN ET DU FOUCAULT (MICHEL, PAS L'AUTRE) – EH BIEN IL S'Y FERA ET EN REDEMANDERA ! A CONDITION BIEN SUR QU'IL N'Y AIT PAS (ET IL Y AURAIT, HELAS) TOUTE UNE CAMPAGNE DE PRESSE DENONÇANT LES INTELLECTUELS SALONNARDS, PARCE QUE LE PEUPLE EST TELLEMENT CON N'EST-CE PAS QU'IL N'Y A QUE LES INTELLOS SALONNARDS POUR APPRECIER BALZAC OU LIGETI !

LES HOMMES DE TELE SE COMPORTENT EXACTEMENT COMME DES PARENTS QUI REFUSERAIENT D'APPRENDRE A LEURS ENFANTS A MARCHER, A PARLER OU A CHIER AU POT SOUS PRETEXTE QUE ÇA LEUR COUTERAIT DES EFFORTS AUX PAUVRES CHERIS, ET QUI LAISSERAIENT DEMOCRATIQUEMENT LEURS ENFANTS SE TRAINER A QUATRE PATTES DANS LEUR MERDE...

III LE FASCISME DE BASE

TO BE OR NOT TO BE AMERICAN. LE SINGE VERT SOUTIENT ISRAEL. ET TOC. IL EST REPUGNE JUSQU'AU VOMISSAGE DE TRIPES PAR LES ATTENTATS-SUICIDES, QUI ENTRE PARENTHESES NE SONT PAS DU TOUT L'EXPRESSION D'UN DESESPOIR INCONTROLABLE, MAIS UNE MANIPULATION PARFAITEMENT MISE AU POINT SUR LE DOS DE QUELQUES NEVROSES FANATIQUES : VOUS EN AVEZVU BEAUCOUP VOUS D'ATTENTATS-SUICIDES PENDANT L'ATTAQUE DES TROUPES AMERICAINES ? ...NON. Les Palestiniens faisaient bien trop petit cul. Ce n'était pas le moment de se faire sauter. J'ai la flemme de développer ici, mais je crois que les Ricains feraient aussi bien de renverser trois ou quatre régimes dictatoriaux dans le secteur, évidemment ça fera des morts Coco, sous les bombes allées à Dresde et Hiroshima aussi il y avait des femmes et des enfants qui n'avaient rien fait ni demandé, mais on ne parle que des Japonais, qui avaient pourtant un régime largement aussi terroriste que celui de Hitler (100 000 fusillés à Nankin en 1938).

JE VOIS TRES BIEN L'US ARMY PATROUILLER DANS LES RUES DE DAMAS, AMMAN ET JERUSALEM POUR FAIRE REGNER L'ORDRE, UN COUP DE PIED AU CUL A SHARON UN AUTRE A ARAFAT OU A CE QU'IL EN RESTE, ET IMPOSITION D'UN TRAITE DE PAIX. ON N'A PAS FAIT AUTREMENT APRES LA GUERRE 40 : LES ALLEMANDS D'UN COTE, LES POLONAIS DE L'AUTRE ET LES TCHEQUES DANS LE TROISIEME COIN, CE QUI DONNE BEAUCOUP DE MORTS ET DE SOUFFRANCES, SEULEMENT MAINTENANT CHACUN RESTE TRANQUILLE DANS SON COIN.

JE PREFERE MILLE FOIS L'AMERICAN WAY OF LIFE AU MUSLIM WAY (“FAÇON DE VIVRE MUSULMANE) . D'ACCORD, QUAND TU N'ES PAS EN PHASE AVEC LE JOURNAL RICAIN QUI T'EMPLOIE TU TE RETROUVES AU CHOMEDU, MAIS SI TU ETAIS EN ALGERIE MON POTE, TU AURAIS DEUX BALLES DANS LA TETE, ENCORE HEUREUX SI TU ECHAPPES A LA TORTURE PREALABLE. ET GUEULEMENTS D'EXTREME-GAUCHE OU PAS, JE PREFERE ETRE CHOMEUR QUE MORT.

LES PALESTINIENS NE SONT DANS LEUR IMMENSE MAJORITE QU'UNE MASSE INCULTE, QUI APPRENNENT ESSENTIELLEMENT DANS LEURS ECOLES CORANIQUES A DISTINGUER UN JUIF VIVANT D'UN JUIF MORT (ETC. ETC. ETC.) Telles sont donc les élucubrations habituelles du Singe Vert, qui viennent de paraître effroyablement répétitives à ceux qui le lisent habituellement, et horribles à d'autres qui découvrent ce caca vomitif.

RELISEZ DONC L'AVANT-PROPOS ÇA NOUS FERA DU BIEN A TOUS.

Bientôt, un numéro littéraire. Ouf.

Ecrit en majuscules par incapacité du rédacteur à éliminer ces petites chenilles rouges si exaspérantes.

Quand on ne sait pas se servir d'un ordinateur on ne publie pas.

Ta gueule.

L E S I N G E V E R T D E R G R Ü N E A F F E 52

TI SENTO

 

 

 

283. Presque toutes les fictions ne consistent à faire croire d'une vieille rêverie qu'elle est de nouveau arrivée.

André MALRAUX Préface aux Liaisons dangereuses

 

 

Collé au mur Boris Sobrov tend l'oreille, ce sont des frôlements, des pas, un robinet qu'on tourne, une porte fermée doucement - parfois, sur la cloison, le long passage d'une main. Le crissement de l'anneau sur le plâtre. Un froissement d'étoffes, presque un souffle - une chaleur ; puis une allure nonchalante qui s'éloigne, vers la cuisine, au fond, très loin, des casseroles. Un bruit de chasse d'eau : une personne vit là seule, poussant les portes, les tiroirs – il glisse plus encore à plat, à la limite du possible, sa joue sur le papier peint gris, mal tendu au-dessus de l'oeil droit : il voit d'en bas mal punaisées une vue gaufrée de Venise, « La Repasseuse » à contre-jour.

Boris habite un deux pièces mal dégotté, au fond d'une cour du 9 Rue Briquetterie sans rien de particulier sinon peu de choses, des souvenirs de vacances posés dans l'entrée sous le compteur et soudain comme toujours la cloison qui vibre plein pot sous la musique le tube de l'été OHE OHE CAPITAINES ABANDONNES toute la batterie dans la tronche il est question de capitaines, d'officiers trop tôt devenus vieux abandonnés par leurs équipages et voguant seuls à tout jamais, suivra inévitablement LA ISLA ES BONITA en anglais scandée par Madona - les plages de silence sur le vinyl ne laissent deviner ni pas de danse ni son d'aucune voix parole ou chant.

D'autres Succès 86 achève la Face Un, Boris a le temps de se faire un café, d'allumer une Flight ; la tasse à la main, il fait le tour de son deux pièces, jette un œil dans la cour, le jour baisse, ce n'est pas l'ennui, mais la dépossession, comme de ne pas savoir très bien qui on est. Sur la machine à écrire une liste à compléter. Boris s'est installé à Paris depuis quinze ans, il s'y est marié, y a divorcé, n'a jamais donné suite aux propositions des Services. La naturalisation lui a donné une identité : né le 20-10-47, 1,75m - petit pour un Russe - , teint rose, râblé, moustache intermittente.

- Les exilés attendent beaucoup de moi.

- Tu es Français à présent.

Un jour Macha je t'emmènerai en Russie.

Mon frère m'écrit d'Ivanovo.

- Je ne l'ai jamais vu.

- Moi-même je ne le reconnaîtrais pas.

Boris tire sur sa cigarette. Le mur de la chambre demeure silencieux. D'ici la fin de la semaine il aura trouvé un logement pour un dissident. Ici ? Impensable. Trois ans écoulés depuis ce divorce. Où est Macha? ...trois ans qui pèsent plus que ces vingt-cinq lourdes années de jeunesse, grise, lente, jusqu'à ce jour de 73 où il a passé la frontière, à Svietogorsk Le voici reclus rue de M., à deux pas de Notre-Dame de Lorette., tendant l'oreille aux manifestations sonores d'une cloison - qui habite l'autre chambre? il n'y a pas de palier ; ce sont deux immeubles mitoyens ou plutôt, car le mur est mince, deux ailes indépendantes qui se joignent, précisément, sur cette paroi.

Pas de fenêtre où se pencher.

Ce n'est pas un chanteur, ce n'est pas un danseur, ce n'est pas un écrivain, il ne fait pas de politique et ne sait pas taper à la machine.

C'est une femme.Un homme roterait, pèterait. C'est une jeune fille, qui fait toujours tourner le même disque. Elles font toutes ça : quand un disque leur plaît, elles le passent toute la journée. Les mêmes rengaines, deux fois, dix fois. Boris n'ose pas frapper du poing sur la cloison : A, un coup, B, deux coups, le fameux alphabet des prisonniers - il ne faut pas imaginer. «Je ne connais pas le sexe de cette personne » répète Boris. « Capitaines abandonnés ». « La Isla es bonita ». Et pour finir, toujours, en italien, « Ti sento ». "Ti sento tisento ti sento" sans reprendre souffle - la Voix, voix de femme, la ferveur, le son monté d'un coup, « ti sento - je t'entends - je te comprends"- ti sento - la clameur des Ménades à travers la montagne, le désespoir - la volupté - l'indépassable indécence - puis tout s'arrête – la paroi.grise - le sang reflue.

Déperdition de la substance.

Mais cela revient. Cela revient toujours. TI SENTO c'est toi que j'entends toi qu'à travers ta voix je comprends tu es en moi qui es-tu. Il est impossible. Boris frappe au mur, se colle au plâtre lèvre à lèvre, mais on ne répond pas, mais on ne rompt pas le silence, Boris halète doucement, griffe le mur : « C'est la dernière fois. » Il se rajuste plein de honte, se recoiffe, jette un œil en bas dans la cour : c'est l'heure où sur les pavés plats passe en boitant une petite fille exacte aux cheveux noirs, son cabas au creux du bras ; Boris renifle, se lave les mains, se taille un bout de fromage, la fillette frappe et entre.

- Bonsoir Morgane dit Boris la bouche pleine.

- Tu le fais exprès d'avoir toujours la bouche pleine?

Elle pose le cabas sur la table : « C'est des poireaux, des fromages, une tarte aux pommes, un poulet ; des bananes. Ça ira? »

C'est une gamine de dix ans, la peau brune, la frange noire et les dents écartées. « Comment va ta mère? - C'est pas ma mère, c'est la concierge. Aide-moi à décharger. Tu te fous l'estomac en l'air à bouffer ce que tu bouffes. » Boris fait semblant de se vexer. Marianne (c'est son nom) passe toujours le cinq-à-sept chez la mère Vachier, à la loge, en attendant que sa mère sorte du travail. La gamine fait les courses en échange d'une heure de maths. Voilà qui est convenu. « Qu'est-ce que tu m'apportes aujourd'hui?

- Le quatre page cent.

- Vous avancez vite!

- La prof a dit "Ça vous fera les pieds".

Boris se plonge dans les maths et dans la cuisine, à même la table – à chaque fois le même jeu, la vue de la bouffe lui met les crocs. «  Tu ne peux pas éplucher tes poireaux ailleurs ? ça pique les yeux.

Soit un carré A B C D , une sécante x, une circonférence dont le centre... « c'est horrible, tu es sûre que c'est au programme?

- Punition collective. Moi j'ai rien fait.

- Ca m'étonnerait.

Marianne attaque une banane. Boris prépare une vinaigrette, tache le bouquin , jure en russe, écrit d'une main et s'enfonce la fourchette de l'autre.

- Tu pourrais fermer la bouche quand tu manges.

- Un peu de poireau?

- Après ma banane?

Boris s'étrangle de rire.

- T'es franchement dégueulasse, Boris. T'as fini au moins?

- Sauf la troisième question.

- Tant mieux, elle croira pas que j'ai pompé.

Boris ne comprend toujours pas pourquoi Marianne tient absolument à lui proposer des problèmes de maths.

Et tes quatre en français? - Je sais tout de même mieux le français qu'un Russe.

Même pas. »

Marianne engloutit un yaourt. « Pour une fois » pense Boris « elle ne m'a pas dit T'es pas mon père" pense Boris.

Marianne se penche sur l'ordinateur : « Qu'est-ce que c'est que tous ces noms à coucher dehors? - C'est la liste de tous les émigrés russes de Paris. - A quoi ça te sert ? - L'association verse de l'argent aux plus nécessiteux. - Aux plus pauvres?...C'est tous des pauvres? 

J'appuie sur le bouton? - elle appuie sur le bouton. Deux heures de travail perdues. Boris l'engueule. Ils se séparent fâchés comme d'habitude.

X

 

Le travail à domicile permet de choisir l'heure de son lever. Boris ne dépasse jamais huit heures - la robe de chambre, les bâillements, la barbe qui tire ; le placard, le bol, la cafetière, le réchaud. Un yaourt pour commencer, surtout pas de radio. Les biscottes, le café bu bruyamment, ramassage de miettes, envie de pisser - un homme très ordinaire, en Russie comme à Paris. A huit heures et demie, de l'autre côté du mur, il, ou elle, s'éveille. Pas de bâillement, pas de chanson, pas de jurons, juste des pieds qui se posent, des pantoufles qui s'agitent, un pas léger vers les toilettes.

Comme la porte est fermée, on ne peut pas distinguer si c'est le jet d'un homme ou d'une femme. Les coups de balai, dans les plinthes, ne prouvent rien non plus : il existe des petits nerveux, soigneux comme des femmes, qui font le ménage tous les jours. Sans oublier la toilette du matin, sans exception, même le dimanche : eau chaude, eau froide ; puis le petit-déjeuner : cette personne mange après s'être lavée. Logique. Le bol, la cuillère, le raclement dans le beurrier en fin de semaine, jusqu'à la fermeture caoutchoutée du réfrigérateur : aucune différence d'une cellule à l'autre ! ces bruits-là passent les murs. Pas les voix. Puis le claquement exaspérant des quatre pieds de chaise. Mais il y a des femmes brusques.

Et le déclenchement des crachouillis du transistor. Indifféremment des infos, de la pub, de la musique de bastringue, du boniment de speaker. Inutile de coller l'oreille au mur. D'un coup tout s'éteint, la vaisselle dans l'évier d'alu, les chaussures qu'on enfile - pas de hauts talons - pas de clé qui tombe, pas de juron - pas de monologue – pas de sifflotement - la porte claque. Boris peut enfin procéder à ses ablutions. Un soir, Boris perçoit un cliquetis étouffé‚ la clé tourne, le battant s'ouvre, des voix se mêlent dans le vestibule - ce doit être un vestibule – vite un bloc-notes : un homme, une femme.

Qui invite l'autre?

Chacun ôte son manteau ; que se disent-ils? des choses gaies, des choses quelconques. Boris s'appuie si fort que son coeur doit s'entendre, ou le plâtre se fendre. Les répliques se chevauchent, un homme, une femme, peut-être homosexuels tous les deux, Boris ne désire rien d'autre qu'une conversation banale, mais enfin compréhensible - « Je ne suis pas un espion soviétique » - répète-t-il entre ses dents. Les intonations sont franches. Il existe entre les deux êtres une forte intimité. Mais toujours un bruit parasite (chaise heurtée, glaçon frappant le verre) embrouille les phrases à l'instant précis où les syllabes se détachent.

L'homme et la femme se séparent. L'homme répond en mugissant du fond des toilettes; il ssont décidément très intimes - la femme répond de la cuisine. Puis l'homme se lave les mains, la voix de femme plus étoufée répond d'une chambre. Voilà une disposition de pièces facile à déduire : de l'autre côté du mur, ce serait la cuisine, plus au fond donc - les toilettes (bruit de chasse d'eau), la chambre à gauche avec son petit cabinet de toilette (des flacons qui s'entrechoquent). Boris esquisse un plan. Au nombre de pas, le logis mitoyen ne doit pas être beaucoup plus grand que le sien ; quand le couple élève la voix, Boris comprend qu'ils se tutoient ; il se félicite de n'avoir jamais introduit de femme chez lui – à présent ils se sont rejoints dans la chambre. Le reste va de soi. Tout cependant n'est pas si facile. Il y a discussion. L'homme exige des preuves. La femme proteste et veut se laisser convaincre. C'est la première fois qu'ils couchent ensemble. Dans ce cas de figure c'est la femme qui reçoit ; mais elle peut être venue sans préméditation. Quoique. Le ton monte. On se bat. « Suffit! » gueule Boris. On ne l'entend pas. Bon sang ils se foutent dessus. C'est un viol. Par où entre-t-on chez ces gens-là ? Il passe la main sur le combiné - des rires, à présent. « J'aurais passé pour un imbécile. ». La lutte s'affaiblit.

Ça devient autre chose. Evidemment. Mais le lit a beau lancer du fond de son appartement toute une rafale de grincements, les deux salauds peuvent bien se tartiner des couches de gueulements à travers la gueule, la quique à Boris continue à pendouiller. Quand ils se sont relevés, lavés, rhabillés, quittés, Boris bande d'un coup, se précipite à la vitre et se reprend juste à temps pour ne pas soulever le rideau. De sa fenêtre il n'aperçoit que la cage d'escalier de l'autre aile d'immeuble : d'en bas, les jambes - de face, le buste sans la tête, d'en haut, les crânes. Le soir (la scène se répète le lendemain, mais impossible de savoir qui de l'homme ou de la femme, reste sur place...) il faut compter avec les irrégularités de la minuterie, réglée très serrée ; ce n'est pas facile.

D'après la disposition des lieux, l'Occupant Contigu tient donc dans un deux-pièces au troisième, avec un retour peut-être sur la droite ; même en passant la tête et tout le torse par la fenêtre, l'alignement du mur interdit toute vision. Boris imagine un invraisemblable jeu de miroirs, de périscopes, de potences orientables. En tout cas le vingt-quatre avril, dans l'immeuble d'à côté, la loge sera vide ; tout fonctionnera au Digicode - bientôt il faudra réintroduire les concierges dans Paris comme les lynx dans les Vosges. La mère Vachier fait la gueule à tout hasard, garde la petite Marianne et refuse toute collaboration : « A côté? c'est l'interphone. » Démerdez-vous. « Code BC24A. » Boris n'a rien demandé.

Il n'a même pas posé de questions sur la petite fille. « C'est une voisine, comme ça. ». La portière a besoin de se confier. De l'autre côté de la cour se trouve une deuxième cage d'escaliers aux vitres encore plus sales encore. Moins animée. Boris n'y regarde jamais. « Tu as peut-être tort » suggère Marianne- Boris aussi a besoin de se confier. Tous les soirs avant la télé- on n'entend plus rien,a-t-il – a-t-elle – déménagé ? - Boris s'assoit devant la fenêtre la tête dans l'ombre et observe le défilé des locataires ou visiteurs. Ça monte, ça descend, avec des arrêts dans le trafic, des reprises, des précipitations,des temps morts ; des crânes sautillent de marche en marche, des mollets s'embrouillent, des jupes, des pantalons, des profils : graves, riants, tendus, le plus souvent sans expression. Il y a des hommes qui se grattent le cul, des femmes qui se sortent la culotte de la raie ; personne ne se raccroche du bras, ni ne s'arrête pour bavarder. Normal. Les clients de la psy du troisième se succèdent exactement dans le même ordre. Notaire au deuxième droite. Une manucure, le détective - au n° 26 donc, juste à droite en sortant – là où précisément l'inconnu ou toute nue fait son nid - il ou elle est revenu(e), les habitudes sont les mêmes, les disques aussi : « "Ti sento", le rock italien, à intervalles réguliers.

Peut-être un peu moins souvent. Boris guette. Il note dans le noir sur ses genoux. Le carnet comprend une feuille par nom : "A-X", « Tête à l'Air", "l'Oignon Bleu". Ou bien  François Debracque, Aline Aufret, Gérard Manchy : les symboliques, les sobriquets, les noms communs. Pas un russe. Plus de femmes que d'hommes , aucune vraiment qui plaise. « Tu connais bien des bonnes femmes à ton boulot, dit Marianne. Pourquoi tu ne les dragues pas? » Boris a du mal à expliquer que ces femmes-là, justement, à l'Institut Pouchkine, ne se soucient pas de flirter ; elles suspendent leurs organes génitaux aux patères. Ou c'est tout comme. Maintenant c'est Marianne qui mate ; elle soupèse les femmes : « ...Pas mal..Un peu forte. - Et les hommes ? - Tu deviens pédé ? - Je veux savoir qui habite à côté ; il n'y a plus de concierge. » Marianne redouble d'attention. « Mais tu connais tout le monde, Marianne – non ?

- Pas du tout - ce cul ! - eh, mes maths?

- Plus tard.

- Je reprends le cabas.

- Garde un éclair pour toi, n'oublie pas l'huile la prochaine fois.

- Ciao.

Boris joue le tout pour le tout. Il va se poster, sans se montrer, sur le trottoir, tout près de la porte ; le code est faux ; alors il se glisse derrière un locataire qui lui tient la porte. Il voit tous les noms d'un coup sur les boîtes aux lettres : des Italiens, des Français de Corse, des Bretons. Un certain Dombryvine. Abdelkourch. Lornevon. Le courage lui manque ? non, l'idée même de monter au troisième – "bon sang, c'est trop stupide, j'y vais" - mais dans le couloir, là-haut, les portes sont anonymes ; la minuterie allume sur le bois des lueurs de montants de guillotine. Boris redescend très vite dans le noir en s'insultant ; il aura mal retenu la disposition des lieux. Mais le lendemain, il récidive. La rue grouille. Le même homme lui tient la porte. Cette fois il s'attarde : au troisième – ni médecin donc, ni voyante, rien de ce qui se visite – il distingue vers le fond une fenêtre sale : exactement dans l'angle mort de sa fenêtre à lui. Impossible de voir ; de retour au 24, Boris fait son croquis : appartement 303.

Manque l'âge, le nom, le sexe. Le sexe manque. Ne pas lâcher prise. “Qu'est-ce que tu lui veux à Madame Vachier ? - Juste parler avec elle. Tu vas aussi lui demander ce qu'elle pense de moi, d'où je viens, qui c'est ma mère... - Ce ne serait peut-être pas inutile. Tu veux savoir qui habite à côté  ? Tu manques de femme?... - Il y a toi. - Cochon. - Je ne veux pas que tu ailles chez la concierge. - Moi aussi je manque de femme. - Elle est grosse, elle est moche, elle est mariée, dit Boris. Il va voir le mari de la concierge. C'est un Alsacien à gros ventre et bretelles, loucheur, boiteux ; Boris met au point une histoire à dormir debout : « Je suis fonctionnaire à l'immigration ; la locataire - il choisit le sexe - du 237 n'est pas en règle. » Monsieur Grossmann - il ne porte pas le même nom que sa femme - est l'honnêteté même. « Pourriez-vous me prêter dit Boris votre passe ? je suis sûr d'avoir oublié mon portefeuille chez Madame Schermidtau 237...

- Vous connaissez son nom?” Le souffle coupé, Boris voit le concierge détacher du clou le grand anneau qui tient les trente clés plates. «.C'est elle gui remplace M. Laurent ?” Boris acquiesce, la boule dans la gorge. « Je vous accompagne. » Grossmann est bavard. Il faisait partie des "Malgré Nous" sous le Troisième Reich. Il en est miraculeusement revenu. Il aime bien raconter. Le portail vitré du 26 s'ouvre sans effort : « J'ai le même passe que le facteur » dit Grossmann.Boris monte les étages avec le boiteux. « Dix ans qu'on attend l'ascenseur...Regardez l'état de la moquette... - Il faut bien que les escaliers servent à quelque chose." Vous dites des conneries, Monsieur Grossmann. Voici la porte ouverte. Boris écarquille les yeux et grave tout dans sa tête : le corridor de biais, très court, très étroit, vers la gauche ; trois portes ouvertes, la salle à vivre claire, avenue Gristet, bruyante; la chambre au fond, sombre, retirée - « salle de bain, cuisine » dit le portier - « je vois bien » dit Boris. Difficile après cela d'imaginer, de l'autre côté, son propre foyer, solitaire – il ne ressent pas son appartement – où est-ce qu'il colle-t-il son oreille? Très exactement ? ...Ça n'a pas du tout la forme d'un L... Boris ne cherche rien. Il ne bouge pas. Grossmann comprend ; il reste en retrait, muet. Trop d'immobilité, trop de respect dans le corps du Russe lorsqu'il s'approche enfin des étagères et lit les titres lentement, le "Zarathoustra" de Nietzsche, "l'Amour et l'Occident", « Deutsches Wörterbuch », « A Rebours" de Huysmans, un Traité de Diététique – une Bible - quelques ouvrages sur le vin.

Une collection de "Conférences" des années trente - dis-moi ce que tu lis...? La penderie est restée ouverte ; ils y voient une proportion égale de vêtements féminins et masculins - chacun sa moitié de tringle : des habits soignés, sans originalité excessive. Revenant au salon à pas précautionneux Boris aperçoit contre son mur un tourne-disque. J'aurais dû commencer par-là. Sur la platine "Ti sento", rock-pop italien. Boris coupe le contact; le voyant rouge s'éteint. Qui relèverait mes empreintes ? La pochette, luisante, à l'ancienne, représente une femme fortement décolleté‚ cuisses nues, décoiffée, en justaucorps lamé. «Madame Serschmidt ne vit pas seule, dit le concierge. Boris a inventé ce nom. Il s'informe gauchement (« Reçoit-elle des visites ») - Vous devez le savoir, Monsieur Sobrov.» Boris repère encore la Cinquième de Beethoven, la Celtique d'Alan Stivell, René Aubry et un double album de folklore maori.

Plus la Messe en si mineur, BWV 232. Jamais il n'a rien entendu de tout cela. Le concierge propose de manger un morceau. Boris refuse, effrayé. « Mais elle ne revient pas avant six heures ! » Boris se retient si visiblement de poser des questions que l'Alsacien précise malignement : « Je reçois les loyers au nom de Monsieur Brenge". Il prononce à l'allemande, "Brenn-gue". - C'est peut-être son frère qui paie ? ...Serschmitt est son nom d'épouse, elle a divorcé... » Grossmann ne confirme rien. Il se dirige vers le réfrigérateur : « Vous saurez toujours ce qui se manche ici ! » - des oeufs, des pots de crème de langouste, un rôti froid en tranches et trois yaourts. « A la myrtille », dit le concierge ; il se sert, rompt du pain, choisit du vin. “Tant pis pour la langouste”, dit Boris - ils s'empiffrent - Boris veut faire parler le gros homme. Seulement, il n'y a plus rien à ajouter. Le portier tente d'en faire croire plus qu'il n'en sait. Il prétend que "tout le monde défile » dans ce studio. « N'importe qui tire un coup ici, puis s'en va. » Ils se défient du regard en mâchant. Rien ne correspond aux longues attentes, aux exaltations de Boris dans son antre – à moins qu'il ne s'agisse d'une autre chambre ? « Gros porc » dit Marianne le lendemain ; « Tu y es allé. Je sais que tu y es allé. Je ne voulais pas que tu y ailles. Saligaud. Vulgaire. Je t'ai vu entrer dans l'immeuble avec le mari de la mère Vachier. « Tout le monde y vous a vus monter la cage d'escalier. Même que tu es entré dans l'appartement, et que tu as regardé partout, fouillé partout, dans les livres, dans les disques, même entre les robes. Et vous avez bouffé du saucisson et du pâté de langouste et ça c'est dégueulasse. Au goût j'veux dire.

- C'est chez toi ? - Ça ne te regarde pas. Déjà que tu me fais reluquer les grosses qui descendent les escaliers, et quand il y a de la musique tu arrêtes la leçon de maths même si j'ai rien compris et tu colles ton oreille au mur comme un sadique.

- C'est ta mère qui habite là ? - Dans ton quartier pourri ? on est riches nous autres, on a une BMW, on va aux sports d'hiver et c'est pas toi qui pourrais te les payer pouffiard. - Tu veux une baffe ? - .Je le dis à maman et tu ne me revois plus et tu seras bien emmerdé parce que tu es amoureux de moi mais tu peux courir et si tu me touches j'appelle les flics.

- Tu t'es regardée? - C'est dégoûtant d'espionner les gens t'as qu'à te remarier ou aller aux putes. - Ça suffit Marianne merde, c'est chez toi oui ou non ?” Marianne prend son souffle et lâche tout d'une traite «Avant c'était chez moi maintenant on a déménagé mais c'est pas une raison t'as pas le droit d'entrer fouiller partout avec tes pattes de porc pour piller dans le frigo et si on avait su que tu devais habiter là on se serait tiré encore plus vite - C'est le concierge qui... - Parfaitement que c'est le concierge - Et pourquoi tu ne vas pas l'engueuler lui ? - Parce qu'il est pas tout le temps à me chercher.Tu ne m'as pas encore tripotée mais c'est dans tes yeux. » Boris Sobrov demande pourquoi le concierge éprouve le besoin de raconter tout ce qu'il fait;

Marianne répond que sans ça il ne serait pas concierge, elle ajoute encore qu'elle préfère s'amuser avec Grossmann que de rester à faire des maths avec un vieux grognon - "chez toi il n'arrive jamais rien ». Puis ça s'arrête, la petite fille aux cheveux noirs revient le lendemain avec les provisions. Boris s'est arrogé le droit de contrôle sur tous les résultats scolaires de Marianne ; il consulte le carnet de notes, il joue au père, l'exaspération croît de part et d'autre. Boris lui dit qu'elle a les mêmes yeux noirs que sa fille à lui, qu'il n'a pas revue depuis longtemps. « Elle faisait les mêmes fautes que toi. - Elle est dans ma classe.” Boris est bouleversé. Il demande doucement, comme on tâte l'eau, la manière dont elle se coiffe, si elle travaille bien. Si elle parle de lui...Marianne se rebiffe. « Elle est dans une autre section, ta fille, on se voit aux récrés, ce n'est pas ma meilleure copine, ma copine c'est...

- Je m'en fous - attends, attends ! - comment elle s'appelle ta meilleure amie ? - Ah tout de même! Carole.” Boris demande si Carole travaille bien, si Marianne et elle ne se sont pas disputées, si elles ne pourraient pas venir travailler ensemble... « Je ne l'amènerai jamais ici ; tu nous forcerais à faire des choses.” Boris pousse un soupir d'exaspération.

Il la laisse en plan, passe à la cuisine pour bouffer du fromage blanc, à même les doigts. Il est bien question de leçon de maths. Quand il revient Marianne de l'air de se payer une tête. Boris fouille dans une pile de dossiers, les dossiers s'effondrent, il les reclasse. Récapitulons. « Tu n'es pas mon père". Elle ne me l'a pas encore faite celle-là. « Tu n'es pas ma mère ». « Tu ne sais rien de moi" - ne pas raisonner. "Intuiter". J'ai divorcé depuis six mois. Cette fillette est déposée chez les concierges par une femme qui n'est pas sa mère. Marianne ressemble à sa fille qu'il n'a pas vue depuis six mois – putain de juge – une femme. Marianne connaît Carole Sobrov. Non seulement c'est sa meilleure amie, mais elles sont devenus demi-sœurs par remariage – sa femme s'est remariée avec le père de cette petite guenon de Marianne.

Il se cache le front dans la main. “J'ai très mal à la tête. - Je m'en vais, ciao”.

 

X

A peine Marianne et sa tignasse ont-elles tourné le coin du palier que Boris dévisse la minuterie. Panne. « Merde » dit l'enfant. Boris se faufile en chaussons derrière elle dans l'escalier. Juste la lumière du puits de cour. Il dérape sur les marches. La rampe est encaustiquée. Devant lui, Marianne s'arrête dans le noir, relève la tête. Au premier, elle réussit à renclencher la minuterie. Boris la suit toujours. Au rez-de-chaussée, la loge forme l'angle dans la cour. Les vitres laissent tout voir. Boris, dans la cour profonde, se colle contre un mur entre deux poubelles. Comme dans un film. Dans les couples, ce que Boris déteste, c'est le mari : il n'a rien d'intéressant entre les jambes. Tant de femmes raffinées collées à des butors. Le père de Marianne, c'est pareil. Trop grand, trop fort, la voix désagréablement masculine. Ses gestes sont brusques. Il ressemble à une bite. Tous les hommes ressemblent à des bit es.

La petite fille pleure, à présent. Même si c'est une teigne Boris se sent bouleversé. Tout le monde s'engueule, le père et le concierge se menacent mais c'est Marianne qui se prend une claque. Boris bondit, arrache presque la porte et se mêle au tas. Le beau-père le prend à partie : « Vous laissez traîner vos pattes sur la petite. Vous faites espionner un appartement privé par l'intermédiaire de cet individu. Vous êtes un fouille merde. Je vous en foutrai des cours de maths. » Tout le monde se quitte pleurant, gueulant, Boris s'en remonte chez lui, brouillé avec Grossmann et sans espoir de fillette à venir.

A ce moment "Ti sento" se déclenche dans la pièce voisine, et cette fois, on danse.

X

 

"Chère, Lioubaïa Tcherkhessova !

"Je souffre à crever parce que le voisin ou la voisine fait gueuler un tube infect en italien, "Ti sento". C'est pire qu'une rage de dents et je ne peux pas m'en passer. Je ne sais toujours pas si c'est un homme ou une femme qui passe le disque, et qui danse. Ce qui chante, c'est féminin, ça crie toujours les mêmes voyelles avec chambre d'écho, mes cours d'arménien vont bien, je m'embrouille encore dans le tatar. "Ti sento" est le meilleur morceau, les autres braillent le rock à la sauce Eighties', je suis sûr qu'on le fait exprès pour m'emmerder, si tu n'habitais pas à l'autre bout de Paris ce serait toi.

"D'ailleurs j'y suis allé l'autre jour avec le concierge et son passe-partout. Je n'ai rien fouillé, rien dérangé du tout. D'après le père Grossmann ce serait une sorte de chambre de passe, une fois j'ai surpris des baiseurs à travers le mur mais ce n'était pas toi. Le concierge ment. Il y a là quelqu'un. Qui paye son loyer. Qui n'emmerde que moi. Un jour je le coincerai. Le ou la. Si c'est une femme, ça va chier. Terminé les petites astuces : Marianne c'est ta fille, enfin, celle de ton homme, un vrai, un gros porc - pour l'insolence, la morveuse, impeccable. Elle a craché le morceau.

C'est vous qui me l'envoyez depuis trois mois pour espionner. Il n'y a rien à espionner. Il n'y a pas de femme ici. Pas d'homme. Pas d'argent. Comme un moine. Et je suis en règle avec les services d'immigraiton si tu tiens à le savoir. Et je suis sûr qu'elle cache autre chose, ta Marianne. Elle me cache ma fille. La vraie. Elle sait quelque chose sur l'appartement d'à côté. Elle a pleuré quand elle a su ma visite avec Grossmann. Elle est allée se répandre comme une poubelle à la loge devant ton mari de mes couilles, qui a failli me taper dessus.Elle raconte que je la tripote.

"Toi, ça fait un temps que je ne t'ai pas vue. La dernière fois c'était au grand bureau. Soixante-dix ordinateurs. A devenir fou. Je ne sais plus comment ça a commencé. Tu as toujours une engueulade de réserve. Moi aussi. Ce n'était pas la même. Petit à petit les soixante-neuf têtes se sont levées, les ordinateurs se sont tus, nos paroles se perdaient dans l'épaisseur de l'air, tu t'es fait virer puis aussitôt réintégrer pour "bons antécédents", pour moi c'était définitif, je travaille pour la misère, tu crois que ‡a m'intéresses de vérifier des listes, de faire le compte des morts, vérifier les adresses , les patronymes : «Ivanovitch » ou « Pavlovitch? »

...Sagortchine a-t-il reçu sa pension ? Que devient Berbérova? A-t-elle trouvé un

emploi en rapport avec sa formation ? A quels cours sont inscrits les frères Oblokhine ? Pourquoi Sironovitch a-t-il divorcé ? de quoi est morte la Bibliskaia ? Quel nom portait-elle en Espagne ? Le KGB a-t-il relâché Dobletkine ? Pourquoi tous ces gens-là n'adoptent-ils pas définitivement un nom bien français ? toi au moins tu ne t'es pas remariée avec un Russe. Mais ton Léon Nicolas, dont je viens de faire la connaissance, c'est just un gros tas de vulgarité - le Russe, c'est un prince, ou un moujik. Je sais comment ça va finir : toujours la faute de l'homme ! Je ne suis tout de même pas le seul éjaculateur précoce de France et de Russie Blanche réunies !

"Avant l'informatisation nous travaillions ensemble. Avec de vraies fiches, dans les vraies mains. Tu dictais, j'écrivais. Maintenant je travaille seul. J'ai une carte de Paris et de l'Ile-de-France où je peux lire qui, et à quelle heure, dort dans quel lit, et en quelle compagnie. Je te promets de t'aider à la cuisine, j'essuierai mes pieds, je ne te tromperai plus sans en avoir vraiment envie, je ne ramasserai plus de chiens dans la rue, en ce moment je n'en ai pas. Nous écouterons autre chose que de la musique classique, tu pourras aller seule au ciné, tu ne peux pas savoir à quel point ces vingt-cinq semaines m'ont transformé‚ reviens." Le surlendemain Boris reçoit un télégramme ainsi conçu :

"VA CHIER. "

 

"Ti sento" se déclenche, Boris prend le métro jusqu'à La Râpée, pour visiter la rue Brissac : il la remont‚ il la redescend, la rue est à lui, il en est à la lettre B. Il hume le parfum du métro, il trace dans les couloirs carrelés, bifurque sans ralentir sous les plaques bleues, suit des épaules, un cul, des talons, s'accroche aux barres, marque ses doigts sur le chrome, invente les coucheries des femmes, note les rides de fatigue, évite les haleines, joue avec son reflet sur la vitre noire et le tunnel qui court, tâte son portefeuille, ne cède jamais sa place. Dans Paris, Boris prend la première à gauche puis à droite et ainsi de suite, ça le mène parfois très loin, il voit des maisons, des trottoirs, des voitures ; des crottes, des gouttières avec les petites annonces collées dessus, la pierre des immeubles, des vitrines de coiffeurs, de bouchers, d'ordinateurs ; des prismes Kodak, des servantes en carton "Menu à 60 F" "Menu à 120 F" – et des gens.

Des gens comme s'il en pleuvait, comme s'il en chiait, mal fringués, super-chic, soucieux, d'âge moyen, noirs, enfants, groupés, par couples qui s'engueulent, qui s'aiment, en débris, "alors j'ui ai dit", "pis elle a répondu", "forcément » - les oreilles qui traînent, les narines à l'essence, et le grondement continu de marée montante qui fait Paris.

Comme au débouché de sponts, ou sur les places circulaires, il est difficile de trouver "la première à gauche", "la première à droite", Boris s'immobilise, tend les bras dans la foule indifférente, se décide pour un cap. Derrière la Bastille, en un quartier cent fois parcouru, voici qu'il découvre un quartier - "...j'aurais pourtant juré..." - où jamais ni lui, ni personne, n'a mis le pied. Il s'avance en flairant , deux murailles, un trottoir déjeté, une vitre fêlée, « CREPERIE », plus bas en biais « en faillite » et des pavés. Un petit vent. Un caniveau qui pue. Peut-être un vieux qui crochète une poubelle avec application. Peut-être un chien.

Et là-haut, dans les étages, "Ti sento ti sento ti sento » - Boris immobilisé - sur le tuyau de gouttière un papier périmé "La Compagnie de l'Oreille » joue "La Cerisaie"- le soleil ne perce pas, un pigeon pique du bec, le chien nez au sol, le pigeon s'envole, fin du disque, le portail s'ouvre, le heurtoir retombe, une femme jeune, vive, sur le trottoir en cape orange ; peut-être que là-haut chez elle les fenêtres donnent sur (le bassin de l'Arsenal ?) Boris lui laisse une bonne distance d'vance, la suit (la cape orange !) place Mazas, à la Morgue au Pont d'Austerlitz. Il baptise la femme "Ysolde", au-dessus de la Seine l'odeur de l'eau emplit les narines ou le devrait, un jeune homme dépasse Boris en rejetant son foulard sur son dos.

Place Valhubert, face au jardin des Plantes, il la suit de très près, de feu rouge en feu rouge, la cape orange court et court dans le déferlement des roues, un grondement continu remonte par le Quai d'Austerlitz, les voici côte à côte.

Elle a très exactement le nez de Paris, les cheveux bouclés, le sac à main est vert – il la perd – bouche de métro – figure obligée - couloirs d'Austerlitz. Chacun sa voiture. Station, station - près de la porte – montant de chrome - pivote, s'efface - pivote, redescend, remonte – bienfaisante affluence - le nez dans les cheveux d'autres femmes ou sur les calvities, les pellicules - « Place d'Italie » - facile - la cape orange force - Boris lourd et vif contourne les épaules, les hanches, passe de biais, trébuche devant le dos des vieilles.

Une autre rame et même jeu. C'est elle, la rockeuse latine – mais à la station vide, enfin, où elle descend, la femme fait volte-face, l'insulte, le frappe avec son sac à main - « Attendez! Attendez ! » - Boris court, trébuche. Ils débouchent tous deux à l'air libre [Nuit, Pluie] :

« Qu'est-ce que tu me veux ?

- Vous parler.

- Me parler, me voir, me toucher, me sauter, dégage!

- "Ti sento, ti sento , ti sento"!

Ils crient, ils courent [pluie renforcée] - Votre nom? Votre prénom?

Un portail lui claque au nez. 26 rue de M. Le même disque aux deux adresses. Boris s'essuie la joue, tourne le dos, s'engouffre dans son propre escalier, tourne la clef de son enclos – aussitôt le disque se déclenche, très fort – alors Boris danse, comme un ours, comme un boeuf sous électrochoc ; le lendemain il se demande pourquoi le père de Marianne amène sa fille à la loge. Soit pour le narguer. Hypothèse exclue : le divorce fut aux torts exclusifs de Boris. Soit pour se débarrasser de Marianne - haine réciproque. Possibilité de récupérer l'affection de sa femme = ? Boris lutte cinq minutes contre la nostalgie. « A moins que » poursuit-il « le nouveau mari ne dépose Marianne chez le concierge que pour se rendre chez une maîtresse - Mauricette » - il l'appelle Tcherkessova - me reviendrait - ah non ! »

Le concierge est suspect : parfaitement, Grossmann. Impossible à filer. « Il s'introduit là-dedans comme il veut ; il se sert en saucisson , il prétend que l'appartement sert de chambre de passe ; il déclencherait lui-même « Ti sento" sans parler - quand le disque se déclenche Boris ferait mieux de lorgner par-dessus la loge depuis là-haut plutôt que de courir s'écraser l'oreille au mur, Grossmann lit dans sa chaise longue, bientôt dans son fauteuil roulant – ce n'est pas lui. A moins qu'il ne tienne une télécommande sous le journal ? "Acheter des jumelles".

Boris se pla soque au mur, haletant, les lèvres sur la peinture sale, soud ain le disque ralentit, la voix vire au grave en pleurant, c'est la panne, c'est grotesque. Silence. La cour est noire. Grossmann est rentré. Dans le ciel la rougeur de Paris, les meubles se découpent peu à peu, Boris se déplace avec des précautions de poisson-chat. Les autres cours résonnent, lointaines, aquatiques. Un faisceau mobile sous la verrière de la loge. Et voici les fenêtres partout qui s'éclairent. Fin de la panne. « Sauf chez moi ». Le disque ne reprend pas.

Boris frappe à la cloison. C'est la première fois. Dans l'épaisseur du mur en dessous une tuyauterie transmet un message , la minuterie des cages d'escaliers se rallume. A côté, personne. Pénombre. Inquiétude. Boris téléphone : « Concierge ! Concierge !

- Vous êtes obstiné, M. Sobrov.

On a trouvé en Chine centrale une touffe de poils n'appartenant ni à l'espèce animale, ni à l'espèce humaine.

ILS Y RETOURNENT.

Le concierge souffle au deuxième palier ; il resserre ses bretelles . -...Vous n'avez jamais vu de petite femme blonde, frisée?...Nez en trompette, cape orange ?

- Les femmes changent souvent de vêtements. Je ne sais pas ce que vous trouvez à cet appartement. Il est loué. Personne n'y habite. Vous feriez mieux de consulter les petites annonces.

- Je ne veux pas déménager.

- Les annonces matrimoniales.

Vous me prenez pour un cinglé.

ILS ATTEIGNENT LE TROISIEME ETAGE

- Le r'v'là votre appartement...C'est ouvert. Il y a de la lumière. »

En bleu de travail à même le sol, un coffret d'électricien entre les jambes, les yeux levés la bouche ouverte, le père de Marianne. Il dit : «J'installe. - J'installe quoi ? » Il se redresse. Un mètre quatre-vingt dix. Des cheveux gris blanc. Boris ne lui serre pas la main. L'Alsacien est de la même taille. « Vous ne m'avez pas dit que vous étiez électricien, dit Grossmann.

- A l'occasion.

Le concierge sort trois bières du frigo. « C'est petit ici dit-il. Je me suis trompé dans les branchements l'année dernière. Moi aussi je bidouille de temps en temps." Il prononce « pitouille ». Boris demande lâchement au père de Marianne ce qu'il tient dans la main. L'autre appuie sur les touches d'une espèce de boitier blanc ; chacune d'elles correspond à un bruit particulier. Il fait entendre successivement : l'ouverture d'une porte, le déclenchement de la radio, la chasse d'eau, une baise. Tout cela sort d'une bonne dizaine de haut-parleurs habilement dissimulés dans tous les angles des plafonds.

- Je peux aussi allumer ou éteindre les lumières, lever ou baisser les stores.

Ses doigts pianotent avec désinvolture, c'est un vrai tonnerre de stores.

« Vous pouvez mettre un disque en route ?

- Je n'y ai pas encore pensé.

"Ti sento" trône sur le tourne-disque, noir, insolent .

 

X

 

Les trois hommes se retrouve au « Rétro" pour de bons instants de gueule. On a les amis qu'on peut. Les garçons portent des tabliers blancs, des moustaches en crocs et des rouflaquettes. Décor ordinaire, prix modérés. L'Alsacien picore des moules en faisant des grâces, , Boris ne quitte pas des yeux le grand Auguste, père de Marianne, second mari de sa femme, qui décortique l'os de son petit salé. « Tu comprends Boris dit Auguste en mastiquant – ce tutoiement me souille l'estomac - nous sommes quatre à louer cet appartement ; Heinrich - il montre l'Alsacien qui empile ses valves au bord de son assiette - nous a signalé une belle occase.

"En revanche il ne paie rien et peut baiser à deux pas de chez lui - tu ne manges pas ? » Boris enfourne précipitamment sa fourchette de nouilles : « Je ne crois pas ce que vous dites, fait-il la bouche pleine.Grossmann avale d'un trait un verre de Traminer. « T'entends ça Heinrich, v'là l' Russkoff qui se la joue fleur bleue. Mais y a personne là-dedans, mon vieux, rien que des couples de passage, comme toi et moi! » L'Alsaco rit très fort. Boris : « Connaissez-vous une femme blonde avec une cape orange ? avec un sac à main. » J'aurais bien revu ma femme ; Auguste me protégerait contre les rechutes.

A haute voix : « Je peux venir avec vous ? » Auguste devient dur. Il dit que c'est trop tôt. L'Alsacien bien rempli devine tout. Il se rejette en arrière, repousse les moules : « Ma femme ébluche des patates à la loge - tranquille! La sienne vient souvent au 126 faire des passes. » Et Boris ne bondit pas. « Vous êtes tous montés sur ma femme ? ...On ne peut pas satisfaire une femme en la faisant pute !... Est-ce qu'elle va bien ? - Comme une pute dit Auguste. - Vous mentez. » Le ton monte. Boris dit qu'on lui vole un amour immortel, juste au-delà du mur ; que c'est une jeune femme isolée qui vit là, chaste, mystérieuse, attirante, d'origine italienne, et silencieuse. « Quant à la connasse qui partage ton lit maintenant, elle ne mérite pas tant de recherches. »

De retour chez lui Boris, calmé, examine la situation. Il avait failli

nouer des liens : ces hommes indignes ne

l'impressionnaient plus.

 

X

Ce que se disent les petites filles

 

- Je vois ton père tous les jours dit Marianne.

- Plus maintenant dit Sandra.

- Tu t'appelles Sandra dit Marianne c'est naze.

 

 

Sandra souffre de son prénom : une idée qu'elle a. Sa mère la couve ou l'engueule, c'est selon : « Tu ne verras plus ton père. - C'est pas juste. - Il me tirait par les cheveux. - Pourquoi Marianne elle peut le voir, papa ? » C'est Marianne qui répond, un soir, sous les draps : « Un jour il me tripotera, et comme ça il aura des emmerdes ; les étrangers, c'est tous des anormaux. - Pourquoi tu fais ce qu'il te demande alors ? - Ça m'intéresse de me faire tripoter. - Il le fait ? - De toutes façons je ne peux plus y aller. - Tu lis que des cochonneries. - Toi aussi. - C'est pas les mêmes livres.

 

X

 

Lettre d' Irène (“Tcherkhessova”) à son ancien mari

 

 

Cher Boris,

Auguste nous laisse de plus en plus tomber. Il s'absente, et ne boit pas. Son humeur est de pire en pire. Tu m'as parfois claquée mais après on s'embrassait, lui, c'est ni l'un ni l'autre. Je m'ennuie tellement que je me mets à lire. Marianne, c'était pour avoir de tes nouvelles, mais elle ne dit que des méchancetés, Auguste ne veut plus qu'elle te revoie, il a peur que je te rencontre, il nous boucle toutes les trois, il revient à deux heures du matin, il ne sent même pas la femme, on peut dire que je n'ai pas de chance.

L'après-midi va sur sa fin, il y a encore du soleil. Sandra lit beaucoup. Je t'embrasse.

Irène.

X

 

Suite

Une femme blonde en cape orange, très à la mode en ce temps-là, Sandra, et Marianne, en jupe vert crado, se faufilent dans l'appartement mystérieux ; les pièces ne conservent aucune trace d'occupation : murs propres, meubles d'hôtels, fringues bon marché sur les cintres, autant d'hommes que de femmes ; Sandra déchiffre les titres sur l'étagère : « Ainsi parlait Zarathoustra », "Vieux crus de Bourgogne", les "Fables" de La Fontaine, qu'elle ouvre sur un canapé bleu, les genoux bien droits. « Qu'est-ce qu'on est venues foutre ici ? » dit Marianne. La tête plate d'Irène (une idée qu'elle a) pivote à la recherche des judas décrits par Auguste. Marianne se dirige à pieds joints vers le tourne-disque. "Ti sento", qu'est-ce que ça veut dire ? - "Je t'entends", "je te sens", dit Clotilde.

Elle applique son oeil au viseur : juste aux dimensions de son orbite. Sandra, qui lève les yeux, ne voit de sa mère que la tresse blonde remontée en crête, à l'indienne - "Ti sento ti sento ti

sento..." - Marianne ! Qu'est-ce que tu fais dans mon dos ? » La rhytmique passe d'un baffle à l'autre (échos stéréo, effets de vagues, caisse claire – "ti sento ti sento") - « Les Italiennes crie Marianne faut que ça gueule ! »

Irène voit tout par l'œilleton : Boris qui danse avec des grâces d'ours, qui se balance,qui tourne sur soi-même, puis d'un seul coup fonce droit sur le judas. La perspective déformée fait voir une grosse tête de tétard avec un petit corps et des petites pattes derrière. Si Irène se retire, il verra la lumière, il se saura observé – deux yeux de part et d'autre se fixent de trop près pour se voir, c'est Boris qui recule, qui montre le poing, qui prend un gros cendrier puis qui le repose, pour finir il se tourne et se dégrafe la ceinture, sa femme s'enlève du trou, le disque continue à gueuler.

Quand le silence est revenu, les trois espionnes se sont regroupées sur le canapé, elles se parlent tout bas, un verre se brise de l'autre côté de la cloison – "et s'il s'ouvre les veines ?" dit Sandra, "Tu connais mal ton père" répond sa mère. « Ce qu'il faudrait dit Marianne ce serait de faire venir ici une femme très jeune et très blonde. Moi j'aimerais devenir une jeune femme blonde. - Ça m'étonnerait ricane Irène. Marianne dit d'une voix bizarre qu'elle en connaît une qui lui plairait bien, qui serait prête à emménager ici ; elle n'a qu'un seul défaut : « Elle a voulu me tripoter. - Tu ne penses qu'à ça dit Sandra. - Où as-tu connu cette femme ? Dit sa mère.

De l'autre côté une porte claque, une clef tourne dans la serrure, Marianne n'a pas répondu, « Il s'en va » dit Clotilde. Elles quittent précipitamment toutes les trois le 127 et descendent quatre à quatre les escaliers. « C'est papa ! C'est papa ! » crie Sandra . Elle saute contre le carreau sale ; en face dans la cage vitrée symétrique Boris tête basse - « vite ! » - Sandra fait le tour, pousse le vantail du rez-de-chaussée, reçoit son père dans ses bras, Boris chancelle, Marianne et sa femme se sont rejetées à l'intérieur, Auguste rapplique sur le trottoir les deux hommes se gueulent dessus en même temps Qu'est-ce que vous foutez là ? - Sandra s'enfuit en pleurant, on l'entend courir dans la rue de l'autre côté du vantail.

« Elle remonte vers le métro dit la mère, pour une fois elle se prend Marianne dans les bras - « tu trembles ? » A voix contenue les deux hommes continuent à se quereller, ils ne veulent pas se battre, ils n'ont rien à se reprocher, rien de bien précis - « Le judas ! » crie Boris – puis tous s'enfuient, Marianne et Irène repassent la porte cochère en retenant leur souffle, Sandra est sur le quai, elle n'a pas osé prendre le métro toute seule.

 

X

 

Boris viole des domiciles

Boris tient à la main une lampe sourde. Il a juré qu'il finirait bien par savoir « ce qui se passe ailleurs ». Au moins savoir « ce qu'il y a » : des objets, des profils de vases dans la lumière,

des coins de meubles, des coudes de fauteuils. Et puis la peur, l'envie d'être surpris, d'être abattu : les intestins, le coeur. L'intérieur. Il a eu l'idée d'envelopper ses souliers. Il voit des.piles de livres, un bureau, un miroir où il se reconnaît avec sang-froid - pourquoi ces portes intérieures ouvertes ? qui est-ce qui bouge dans l'armoire ? - autant de sourdes palpitations. Déjà Boris aimait de jour longer les murs où les fenêtres au rez-de-chaussée se défendent sous leurs jalousies de bois ; il regardait furtivement, par-dessus, la préparation du repas et les lèvres qui remuent dans le vacarme des voitures, la blême électricité du jour qui tombe ; plus au premier étage, parfois, des têtes coupées par des larmiers, des bras levés dans des armoires, qui ferment des volets.

Ce qui instruit aussi c'est de se porter en avant des passants, pour capter leurs propos tronqués, insensés, « alors je lui dis... » - « et elle a répondu... » - Boris choisit les appartements momentanément vides, c'est toute une enquête, toute une filature, il épie les femmes seules mais toutes se méfient, instinctivement, se retournent à l'improviste, il se rabat sur la loge du concierge, un soir qu'ils sont au cinéma – rien d'exceptionnel : des tiroirs, des ficelles, des cartons, des rideaux champêtres et la Bible en allemand. Il flotte une odeur de loge. Non, le bon plan, ce serait d'entrer juste sur les pas d'une femme mariée, sans viol, avec des enfants bruyants, un mari dans un fauteuil qui demanderait "Qu'est-ce qu'il y a au programme à la tévé ?" - les gens auraient laissé la porte ouverte.

...Il s'est introduit par la cuisine, s'est glissé dans le vestibule‚ aplati dans l'allée du lit, la peur au ventre et la retraite coupée, s'est dévoilé. « J'aimerais qu'on viole mes intimités », c'est ce qu'il a dit, le mari a gueulé «Appelle la police ou les dingues », il s'est enfui d'un bond. L'étape suivante est de surprendre un couple pendant son sommeil. Il dort deux heures à l'avance. Plusieurs fois il s'enfuit sous les signaux d'alarme. Il acquiert une grande dextérité dans le maniement des clés plates. La marche à l'aveuglette : silence absolu, retraite assurée. Les doigts sur la lampe, translucides et rosâtres, l'ombre des os – des sens d'aveugle – aucun heurt. et ne heurte rien.

Les enfants n'entendent rien. Eviter les chiens, à tout prix éviter les chiens. Mais parvenu sur place : jamais - les gens ne ferment leurs portes intérieures. Boris hésite, sent s'épancher l'onde mixte d'un couple, devine formes, souffles, parfois le néon de la rue - la veilleuse - ou la lune – qui surlignent un profil ou modèlent un visage entier – sur les lits de doux mouvements de dessous l'eau. Les couples aux yeux fermés se regardent ou se tendent le dos, jamais ne font l'amour, ni ne s'éveillent. Boris ensuite redescend à pied la rampe du parking souterrain, sans arme, sous le plafond trop bas la lumière et la forte musique où se fondraient les cris de victimes, sur fond de vrombissement d'extracteurs d'air.

Le sol est noir semé de paillettes, les voitures de longs corbillards aux chromes troubles, Boris ne sent pas le danger. Il ouvre les portes, ne trouve qu'un parapluie télescopable qu'il jette sous de grosses roues, plus loin. Il couche dans le duvet vert qu'il tenait sur son dos et s'allonge place 27 ou 30, à 7 h une équipe de réanimation le tire à demi asphyxi », il doit se présenter chez un psychiatre commis d'office, il maigrit, ne parle plus, reste en liberté, ressort plus fréquemment - ti sento ti sento ti sento" – chaque soir de plus en plus fort, la cloison tremble il n'en parle pas pour éviter de passer pour fou - ses déplacements ne sont pas encore sous contrôle, une nuit, mouvant paisiblement ses doigts en coquille rose, il se sent soudain saisi au- dessus du coude : « Qui t'a mis sur le coup ? »

- Personne, personne, dit Boris.

Le cambrioleur fait main basse sur tout ce qu'il trouve avec une banalité de toute beaut‚ le Couple sur sa Couche sommeille dans la présence, Boris suit le voleur sur le palier, le frappe et le laisse évanoui, il a le coeur qui bat à se rompre, c'est à présent une nécessité : repérer l'immeuble et les allées et venues, s'introduire de jour dans l'escalier, chercher refuge dans des coins très exposés, les concierges n'existent plus, les siens sont les derniers ; il reconnaît volontiers qu'il lui serait totalement impossible de travailler en banlieue.

Cela devient de plus en plus monotone, de plus en plus excitant. Un homme seul soudain sortit de son sommeil, ouvrit les yeux, se dressa, le fixa sans frayeur. Boris sortit à reculons, heurtant une chaise, ce n'est rien murmura l'homme à sa femme qu'il n'avait point vue. Aussi les jours suivants Boris se livra à une frénésie d'effractions, perdit toute maîtrise, mangeant peu, ne buvant plus une goutte de vin. Il s'engagea dans une interminable suite de pièces de plus en plus profond devant une file de - fauteuils, tables, dressoirs, houssés de blanc, et comme une lueur l'attirait il se trouva auprès d'une veilleuse comme on en voit souvent au chevet des enfants.

Le mort est sur le dos, nez découpé, bras le long du corps, femme à son côté les yeux grand ouverts, boucles noires détachées sur le blanc cassé de l'oreiller. Un souffle passe ses lèvres entrouvertes et la femme sourit, découvre sa poitrine et son bras jaune, Boris éclate en sanglots et se retire au pas de charge à travers tous les meubles, dévale les étages et sur le trottoir lâche une clameur de victoire. Il se barricade chez lui jusqu'à midi. Il a dormi sans rêve, sa bouche n'est pas sèche, vérifiant son haleine au creux de la main il la trouve très pure, le soleil donne à travers un trou du rideau.

Tirant du lit son bras gauche il observe à présent l'étrange phénomène de la terreur, un frisson dressant chaque poil au sommet d'une minuscule pyramide, quoiqu'il éprouve une intense irradiation de paix. Il respire profondément, rejette le drap des deux jambes et se prépare un café‚ des chansons plein la tête, il se fait des grimaces en se rasant. Il sait qu'il ne retournera plus dans les appartements obscurs où s'endorment les spectres. Il change tous ses habits de la veille. En promenade il s'achète des chocolats et des pralines pour vingt francs‚ et, l'estomac délicieusement barbouillé, passe rue Broca, traverse Port- Royal, son pas est vif, l'atmosphère encore matinale, je suis heureux de vivre seul..

Il se tient droit, respire le trottoir fraîchement arrosé, se perd place Censier, remonte vers la Mosquée, repère une affichette contre l'invasion du Tibet, voit sortir de Jussieu une marée d'étudiants. Puis Boulevard Saint-Germain, le pont, rue Chanoinesse le cœur neutre, indolore à présent, rue Massillon, puis le métro. Il se récite des vers, personne ne fait attention aux fous dans le métro. Demain – trois mois depuis le divorce – finies les scènes de soixante-douze heures – nuits comprises - bénie soit la solitude, la solitude, la solitude. Il revient chez lui, chez son disque, chez une femme imaginée dont il est fier de se passer.

Il jette sa veste sur le lit, court se coller à la cloison et frappe au mur, c'est la première fois qu'il ose, que ça lui vient à l'esprit, les solutions les plus simplistes vous surprennent comme ça, d'un coup, de taper comme les prisonniers de partout - un coup pour A , deux coups pour B, c'est l'illumination, c'est l'évidence, il tape 17, 21, 9 ; 5, 20, 5,19 ; 22, 15, 21, 19 « QUI-ETES-VOUS ? » ça répond "M-O-N-I-C-A" puis le mur dit « 21, 5, 14, 5, 26 » - « Venez me voir » - cest un appartement de passe pas vrai dit une voix ce n'est pas vrai TI SENTO TI SENTO TI SENTO chant de cristal tout en écho tout en feed-back « estatua spaventosa, io son la tua schiava, ti sento ti sento ti sento" - « statue effrayante je suis ton esclave car je t'aime perchè ti amo et Boris danse, danse, depuis Monteverdi, Gesualdo, Lulli, toujours, toujours dans l'opéra italien la modulation en finale "perchè ti amoooo" - Boris danse, danse, "this is a long-playing record" - l'amour est d'être l'écho de l'Autre l'infinie répétition de miroirs face à face à l'infini qui se recourbent il est sûr qu'elle aussi danse de l'autre côté du mur il sait qu'ils s'effondreront haletants sur les divans exactement symétriques il sait que ce moment ne devra pas cesser.

Viens dit le mur vien me voir - et la voix,la voix du disque interminable crie, vivante, en boucle, fend le plâtre et bat dans l'aorte, dans l'occipitale – ils sont bien habillés tous deux, pâles, très pâles, calmes. Elle a souri la première, il a ouvert les bras, il ne la connaît pas mais c'est comme

si l'on se revoyait, se remerciait – vous avez tous connu cela - dans les deux sens du mot reconnaissance : le vrai désir vient des traits du visage « j'ai pensé à vous Ne me regarde pas comme tu as tardé » peu importe qui parle, ils s'assoient loin l'un de l'autre.

X

 

A quatre rues de là une famille unie regarde la télé un captivant programme : ce sont deux captifs en effet, l'homme, la femme, tournant dans un petit appartement, frappant les portes et fenêtres, sondant les murs, balançant leurs gros plans de gueule sur les caméras repérées hors d'atteinte et les insultent, cherchant sous l'évier des pots de peinture et de n'importe quoi, s'étreignent désespérément ; juste à l'instant où ils s'exclament "s'ils veulent du spectacle ils en auront", Auguste tourne la tête vers son épouse en larmes qui éloigne les enfants, deux filles sans expression, qui se tiennent par les épaules : « Vous avez assez regardé. Sandra, Marianne, on part en promenade » et les filles cherchent le plus longtemps possible leurs vêtements de pluie.

Auguste dit alors qu'il faut en finir, sort de sa poche un téléphone, Sandra pose la main sur le poignet de son beau-père, atteint la télévision avec de grandes difficultés respiratoires.

Boris et Monica, nouvelles connaissances, se trouvent déjà rendus aux dernières extrémités de leurs adieux : allongés sur le petit lit de reps rouge, ils se sont pris aux épaules, par la taille, la bouche et les larmes, et se sont placés côte à côte, sans se toucher. Le pli de leur bouche s'est effacé, puis ils se sont souri, se sont pris la main, se sont relevés pour vérifier posément la fermeture des portes, ont adopté le comportement le plus ordinaire.

Ils ont attendu. Monica s'est levée pour passer le disque, ils ont dansé en se serrant, la harpe électronique dans les oreilles comme une armée en marche ; à quatre rues de là Sandra et Marianne réconciliées dévalent l'escalier : « Je ne peux pas supporter dit l'une d'elle qu'on tue, qu'on torture, il y a trop longtemps que l'école est finie, que les seuls événements sont ceux des parents et des beaux-parents. » C'est à peu près ce qu'elles se disent. «  Nous allons vivre ensemble ajoute Sandra, et Marianne sous ses cheveux raides se moque d'elle : « Il faudra chercher des hommes, comme les grandes ! »

Les deux filles donnent l'adresse au Commissaire le plus proche. Elles parlent de « torture ». « Séquestration » rectifie le Commissaire. Pendant ce temps, Auguste le Nouveau Mari et Irène la Nouvelle Femme décident pour Boris (et Monica, qu'ils ont recrutée dans la rue) un châtiment pire que la mort, la Perpète :

Marions-les. As-tu vu comme ils s'aiment ?

Tu as laissé sortir les filles ?

Monica sera comme un taureau qui survit à la corrida : irrécupérable ; tomber amoureuse de sa cible ! Je n'aime pas la banalité.

 

- Tu te rends compte de ce qui peut leur arriver seules dans la rue ?

- Elles sont déjà au Commissariat.

- On va leur rire au nez. Je ne veux pas que mon ancien mari – que Boris soit tué.

- Ne t'en fais pas. Tout le monde comprend tout au moment de mourir.

 

X

 

Dans l'appartement 127, Boris prend une résolution : armé d'une paire de ciseaux, il tranche tous les fils qui se présentent. Le disque s'interrompt, le silence tombe comme une masse, Boris parle dans un micro qu'il a découvert sous un pot ; peut-être sa voix débouche-t-elle dans un gros mégaphone au milieu d'une pièce vide : plus la peine de l'écouter. (il crie à s'en péter les veines). Derrière une armoire qu'il fait pivoter s'enfonce un escalier, où s'entassent des journaux, des cageots, de la poussière ; descendant plusieurs étages, il parvient au niveau des caves – quatre étages exactement - "Ti sento" se déclenche « Qu'ils y viennent, qu'ils y viennent » dit-il ; Auguste et Irène font alors irruption au 127 abandonné, baissent le son. Ils sont accompagnés d'une demi-douzaine de gabardines grises mettant à sac tout ce qu'ils trouvent dans les deux appartements, dans les deux immeubles.

« Regarde, crie Auguste en brandissant des disquettes : rien n'est plus à jour ! Il ne foutait plus rien, rien du tout ! »

Les filles sont ravies.

Il règne un tumulte hors de toute mesure ; tous se bousculent dans le boyau qui mène aux caves, on s'interpelle en français, en itlaien, en russe, pas un coup de feu n'est tiré, cependant, Boris s'est faufilé dans un dédale. Partout règnent des portes à claire-voie, des planches verticales, des dos d'armoires en biais. La sciure, et la pénombre qui descend des soupiraux. Les couloirs se retournent sur eux-mêmes. Le tapage des poursuivants permet d'abord très bien de fuir sans discrétion, puis le silence s'établit. On n'entend plus, là-haut près des trottoirs, que les passages espacés des voitures. Boris est cerné, dans un labyrinthe de bois. Sa main serre une solive hérissée d'échardes, il est assis sur une cuisse, s'il dégage son pied le couvercle d'un seau (par exemple) s'écroulera. Sa respiration courte soulève sous son nez la poussière d'un abat-jour et les sbires se rapprochent. Ils écartent les obstacles avec la précision

des joueurs de jonchets  Mikado. Les deux filles arrondissent les yeux et mettent le doigt sur la bouche, Boris se minimise - « Il nous le faut vivant » - et lorsqu'il s'aperçoit que sans l'avoir senti sa manche imperceptiblement glisse contre un vieil étui de violon, Marianne pointe exactement sur lui son doigt et souffle à mi-voix : « Ti sento ti sento ti sento ».

 

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