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  • Florence Dupont remet en cause la langue des connards

    Florence Dupont est intelligente, érudite, bouscule nos idées reçues, en possède elle-même trois ou quatre, mais a le tort pour nous autres de les délayer, de les expliquer, de les expliciter, ce qui est assurément indispensable, sur plus de 300 pages. C'est donc le moment de juger sur pièces de cette Antiquité, territoire des écarts, dont malgré tous les efforts de l'autrice je n'ai pu comprendre le sens.
        Donc, Oreste, assassin de sa mère pour venger son père Agamemnon, va passer de la douleur à la colère, et voudra racheter l'offense faite à la mère-patrie, deux mots qui unissent paternité et maternité, patricide et matricide : cependant, poser en axiome l'idée de mère soluble dans l'idée de mère patrie   nous semble une commodité voisine de l'entourloupette, mais voyons.  Les spectateurs viennent pleurer en écoutant l'aulos, flûte double non sans parenté avec le duduk arménien. Toutes les péripéties, inventées par les auteurs antiques bien souvent, ne sont là que pour se lamenter avec le flûtiste, car un des moyens de créer le paradoxe est de traiter l'essentiel comme accessoire et l'accessoire comme l'essentiel, à vous Florence : la douleur se transforme en colère, « deux moyens y contribuent : la musique et le récit », car les tragédies antiques tenaient du futur opéra. « Le chœur annonce lui-même qu'il va utiliser d'autres rythmes musicaux, des rythmes phrygiens encore plus douloureux » - c'est là qu'il va falloir pleurer, public : nous sommes en pleine distanciation brechtienne, hé oui... «Parallèlement, sans chanter, Electre » (sœur d'Oreste) « raconte les souffrances que Clytemnestre » (la mère) « et Egisthe » (amant de la mère) « lui ont infligées, pour susciter l'indignation d'Oreste et ainsi alimenter la douleur créée par la musique. Avec succès. La musique s'arrête. Elle est devenue inutile. Oreste va venger son père, Electre va pouvoir se marier. L'un et l'autre vont devenir un homme (anèr), une femme (gunè).
        C'est donc cette substitution du récit à la musique, dit une collègue avec laquelle Florence Dupont dialogue, qui constitue le cœur de la critique que vous faites d'Aristote ce « vampire » de la tragédie...
        Je connaissais bien, répond Florence, le texte de la Poétique d'Aristote ; j'avais suivi régulièrement dans les années 70 le séminaire de Jean Lallot et de Roselyne Dupont-Roc à rue d'Ulm » (et non pas rue d'U-L-M comme on l'a entendu à l'antenne) : chaque samedi matin l'on étudiait tous les termes du texte à la lumière de la linguistique contemporaine. Jean Lallot et Roselyne Dupont-Roc ont ensuite publié au Seuil cette édition qui est aujourd'hui l'édition de référence » (note 1, Aristote, La Poétique, texte, traduction, notes par Roselyne Dupont-Roc et Jean Lallot. Paris, Seuil, coll. « Poétique », 1980). « Et c'est à ce moment-là que j'ai remarqué la place qu'Aristote donnait au muthos, au récit, qui devenait le but (telos) de la tragédie. J'ai entrepris de travailler  la question après la parution de L'Insignifiance tragique » (ou la « Non-Signifiance », ce qui serait mieux) et après avoir lu le livre de Sophie Klimis sur ce sujet » (nous vous épargnons la note 2, tant pis pour Sophie Klitis pardon Klimis). « C'est elle qui a achevé de me convaincre que le  muthos, » le mythe, l'intrigue, « est une catégorie créée par Aristote afin de faire de la tragédie un texte et non un évènement spectaculaire. À force de travailler sur les tragédies, je savais qu'elles n'étaient pas la représentation d'un récit ; par conséquent, le texte d'Aristote était en porte-à-faux par rapport aux pratiques réelles des Athéniens.
        « J'ai regardé systématiquement comment la Poétique était fabriquée pour comprendre ce qu'était le muthos », le récit mythologique, « et je suis arrivée à la conclusion qu'Aristote a retiré la codification externe qui construit la tragédie, c'est-à-dire l'action musicale, la récurrence des chœurs » qui ne viennent pas là du tout comme des cheveux sur la soupe, « le jeu codifié des acteurs, bref tout ce qui préexiste à ce qu'on appelle le texte et ce dans quoi il va se loger et prendre forme comme dans une coque. Je continue la comparaison. Si l'on retire cette coque, comme on sort un mollusque de sa coquille, on obtient une chose molle et sans forme. Aristote va faire de ce mollusque un vertébré et lui inventer une colonne vertébrale : ce sera le muthos, » le mythos, « le récit, à partir de quoi il réorganise les parties de la tragédie comme des membres. Voilà pourquoi, en termes aristotéliciens, le muthos est l'âme (psuchè), c'est-à-dire la forme de la tragédie.
        « L'analyse aristotélicienne de la tragédie est une construction intellectuelle extraordinaire, mais qui n'a rien à voir avec les concours musicaux des Grandes Dionysies. Le discours d'Aristote est clos sur lui-même, bétonné jusqu'à l'absurde. Il va jusqu'à affirmer, par exemple, que le chœur est un personnage comme un autre. Et la conclusion s'impose, paradoxale : la tragédie pour s'accomplir n'a pas besoin d'être jouée ; la lecture suffit, comme pour l'épopée. Même la fameuse catharsis », la purification des passions,  est réalisée dans la lecture.

    La robe de chambre.JPG


    « Que nul n'entre ici », intervient l'interlocutrice, « avec la Poétique d'Aristote, telle est devenue la devise de votre séminaire...
        Parce que je ne voulais pas, » poursuit Florence Dupont, « à chaque cours sur le théâtre, avoir à recommencer la démonstration qu'Aristote ne nous servirait à rien. Il faut traiter la Poétique comme un texte philosophique, construit, systématique, et ne jamais le considérer comme un traité sur le théâtre, dont finalement il ne parle pas. Laissons la Poétique aux philosophes professionnels et abordons les théâtres anciens non par le récit, mais par le chant, la musique et la danse.
        « Le premier à l'avoir fait est Pierre Letessier » (note 1 : Agrégé de Lettres classiques, auteur, comédien, metteur en scène et omettons le reste par pitié) « en montrant que les comédies romaines étaient des comédies musicales composées à partir de l'alternance de scènes chantées et dansées (cantica) sur une musique de tibia, équivalent romain de l'aulos et de scènes parlées sans gestuelle (diuerbia). Cette alternance est régie par une codification qui organise tout le jeu des acteurs ; par exemple, quand un personnage sort d'une scène chantée, la musique de tibia » (une flûte, évidemment...) « s'arrête, et la fin de la scène est parlée. Autre exemple où l'on voit que la musique organise aussi l'espace de jeu. Le devant de la scène (platea) sert aux entrées de rôles lorsqu'un personnage fait son entrée pour la première fois, en dansant sur un type particulier de canticum en vers polymètres. Il s'installe dans la platea et, tant que dure le canticum polymètre, personne ne peut engager le dialogue avec lui ni entrer dans son espace (la platea). Les autres acteurs en sont réduits à des apartés depuis le fond de la scène. Cette règle induit un type fréquent de séquence : la rencontre, c'est-à-dire le passage négocié entre deux personnages, parfois sur des dizaines, voire des centaines de vers, du canticum polymètre » (disons pour simplifier « de plusieurs sortes de vers »)  au canticum monomètre (le plus souvent des septénaires trochaïques), c'est-à-dire du monologue au dialogue qui va les opposer. Le basculement a lieu quand l'un et l'autre s'interpellent par leur nom et se saluent (salutatio). »
        Nous voyons donc l'imbécillité des commentaires sur le réalisme et la vraisemblance, qui n'ont rien à faire ici. Absurdissimes et malhonnêtes sont aussi les éditions qui présentent le théâtre antique avec des notions d' « actes » et de « scènes » qui ne correspondent à rien. Plus encore quand ces éditions présentent des listes de personnages, en français, soit, mais aussi en latin reconstitué, pour faire joli. L'Antiquité, territoire des écarts, par Florence Dupont née Grimal, chez Albin Michel, collection « itinéraires du fascisme » pardon « du savoir ».

  • Achoura ("tamkharit")

    ACHOURA  (au Sénégal, Tamkharit)
    GENERALITES

        Les sunnites (musulmans orthodoxes pour lesquels les quatre premiers califes sont les successeurs de Mahomet) considèrent cette célébration comme mineure ; certains organisent des festivités. En 680 – 61 de l'Hégire – Hussein, 4e calife de l'islam, lève une armée  à La Mecque et marche sur l'Irak, pour faire valoir ses droits à la succession  califale après l'assassinat de son père Ali, gendre de Mahomet. Après un siège de dix jours de la ville appelée Koufa, Hussein et son armée sont défaits par les troupes du calife Yazid 1er. La tradition rapporte que Hussein fut décapité et son corps mutilé à Kerbala, où se trouve son tombeau, lieu saint des chiites. Les têtes de Hussein et des membres de sa famille furent exposées sur des lances. En revanche, les chiites (fidèles aux descendants d'Ali mort en 661) célèbrent en ce jour cet assassinat des deux petits-fils du Prophète, Hassan et Hussein, et de 72 de leurs disciples, en l'an 61 de l'Hégire (680).

    DATE
        Le 10e jour du mois de Mouharram («achara » signifie « dix »), il se mène un grand deuil. Mais selon les haddiths pris en compte, ce jour-là commémore aussi bien l'échouage de l'arche de Noé, Moïse dans le feu, Adam quittant le paradis terrestre.
        En 622, Mahomet trouvait à Yathrib (la future Médine) une tribu juive. Le jour de son arrivée, elle célébrait le Yom Kippour. Mahomet reprit ce jeûne rituel. Or, deux ans plus tard, l'obligation du jeûne de Ramadan lui était révélée : Achoura devient alors simplement recommandé, mais non plus obligatoire, à condition de jeûner deux jours pour se différencier du judaïsme. Ce serait donc à l'origine une fête juive. Le Prophète, interrogé par ses disciples sur la nécessité d'observer un jeûne ce jour-là, répondit que Moïse était « plus proche » d'eux que les autres.  « Dieu remet les péchés d'une année passée à quiconque jeûne le jour d'Achoura. » Cette fête marque la liaison entre deux religions, le Judaïsme et l’Islam. C’est un « lien naturel et historique entre deux communautés fraternelles » que tout semble opposer de nos jours, expliquent unanimement M Rais et Merrun Khalil

    PELERINAGE DE KERBALA
         C'est à Kerbala qu'a lieu, en Irak, le pèlerinage principal. On y célèbre le martyre du second et dernier fils de l'imam Ali, Sidna al Hosseïn. En Iran se donnent des représentations théâtrales (les tazieh, « Passions d'Al-Hosseïn »), et des centaines de milliers de pèlerins procèdent à des cérémonies expiatoires (flagellation, coups que l'on s'inflige sur la tête et sur tout le corps, jusqu'au sang). C'est pour les chiites un grand jour de deuil, et non pas une fête. Le blanc, couleur du deuil, était aussi la couleur des Omeyyades (qui ont régné à Damas de  661 à 750) ; le noir fut celle des Abbassides, alliés, au moins au début, des chiites contre les Ommeyyades.


    COUTUMES
        Elles ne figurent pas dans le Coran, ne sont donc pas « recommandées », mais demeurent très populaires.
        En Tunisie, on visite les morts. On allume des bougies autour de la tombe du saint patron du cimetière. « Que Dieu entende les plaintes des vivants. Que Dieu exauce les vœux des démunis. Puisse Dieu alléger les souffrances des plus faibles. En ce jour toutes nos pensées se tournent vers eux. » On saute au-dessus des feux pour se purifier. Les enfants récoltent de maison en maison des bonbons et des pièces de monnaie, dans un roseau qu'on appelle, à Gabès, « achoura ».
        Habillés de neuf, les enfants marocains reçoivent des cadeaux, tambours, trompettes, s pétards – et pistolets à eau. Cela peut ressembler à un carnaval ou à un quatorze juillet... On mange un couscous au « gueddid », viande séchée depuis la Fête du mouton, des noix, des amandes, des dattes. Le lendemain de l'Achoura, c'est « Zem-Zem », allusion au puits du même nom en Arabie Séoudite, où se désaltéra la caravane de Mahomet. Les enfants aspergent les passants avec leurs pistolets, ou des bombes à eau (sacs et ballons de plastique), des seaux... tout est bon ! Le soir, la fête continue avec a « chouâla » (feu rituel) au-dessus duquel on saute. Fête de l'enfance donc, et des traditions familiales.
        Au Sénégal, un « carnaval » est organisé.

    SIGNIFICATION

         Cette manifestation revêt une signification spirituelle et sociale indéniable. C'est aussi un jour de partage et de charité. Il rappelle l'obligation de faire l'aumône, contribution matérielle (zakat), destinée à assister les plus démunis.  Elle revêt toutefois différentes significations : pour les sunnites, elle marque le début de festivités, pour les chiites, c’est une journée de deuil  C'est aussi un jour de partage et de charité.

  • De Gaulle, ne reviens pas, nous ne sommes pas fous.

    Le chevalier au torse nu.JPGCE "CHEVALIER AU TORSE NU" est d'ANNE JALEVSKI

    Notre général, enrayeur sans plus du déclin de la France, distribue les compliments avec condescendance, pour mieux assommer par la bande. Les régiments (…) de Tunisie, bien qu'ils aient été naguère partagés en tendances variées, se montraient unanimement ombrageux de leur esprit de corps. De Gaulle, seul recours de l'unité française... Grand rassembleur des énergies, mais j'interromps la litanie. Mais, quels que fussent les détours par où le destin avait mené les uns et les autres, la satisfaction de se trouver côte à côte, engagés dans le même combat, l'emportait sur tout le reste dans l'âme des soldats, des officiers, des généraux. C'était la même chose, mon général, au temps de l'amalgame révolutionnaire, en 1792/93.
        Le combat est le meilleur ciment, et l'on aura trouvé bien des voix, dans nos féminines dissertations de premières, pour blâmer ce barbare qui souhaitait la guerre afin de ressouder la nation sur le corps de l'Allemagne. Ces demoiselles contemporaines auront vigoureusement blâmé ce désir de meurtres, au nom des principes qui nous étouffent, par exemple : « Un chien vivant vaut mieux qu'un philosophe mort ». De même, en Yougoslavie, nous n'allions tout de même pas, Messieurs les Politiciens, « ajouter la guerre à la guerre » en secourant les Bosniaques... Notre nation n'est plus qu'une pâte à chewing-gum. Il faut dire que, dans les villes et les villages traversés, l'accueil de la population ne laissait pas le moindre doute sur le sentiment public. A notre tour donc d'enfourcher le cheval à clichés, d'opposer les acclamations populaires aux tribuns aux sages consultations électorales censées représenter la démocratie.
        Ajoutons que le général de Gaulle n'était souvent connu de nous qu'à travers les revues satiriques, et mes ressentiments personnels à l'égard d'une personnalité puritaine, alors que j'étais en pleine éclosion postpubertaire. Nous nous apercevons à présent qu'il y avait de quoi ressentir de la fierté devant tant d'acclamations, et que nous eûmes de la chance d'échapper à ces monstrueux cultes de personnalités qui se sont manifestés avant et bien après notre libération. Autre élément ayant orienté nos appréciations, le fait que le général ait souvent résidé, dirigé aussi, depuis Alger, qu'il connaissait bien, s'appuyant sur l'Empire colonial quand il le fallait, jouant au petit maître du monde avec ses moyens dérisoires et prétentieux, mais sachant s'en débarrasser à temps sous la pression soit des contraintes financières (la France désormais ne pouvant plus ni exploiter éhontément l'Afrique, ni la hausser socialement à notre niveau comme l'exigeait enfin l'humanisme, ni conserver l'Algérie après tout le reste sous les yeux d'une opinion internationale déchaînée).
        Moyennant quoi, nous pouvons passer au général de Gaulle une certaine estime de soi-même, et un certain orgueil, voire un orgueil certain. Depuis nous nous avachîmes jusqu'à François Hollande.  En vérité, l'armée française, dans les proportions malheureusement réduites où il était possible de la refaire, montrait une qualité qu'elle n'avait jamais dépassé. Combien d'hommes, mon général ? Et pourquoi n'a-t-on voulu se souvenir que des troupes débandées parmi la population fuyante ? Pourquoi n'avons-nous pas voulu revivre les horreurs de Quatorze, et les Allemands, si ? Nous aurait-il donc fallu la propagande nazie ? Sans compter que, dès Le chagrin et la pitié, le mythe gaullien de la résistance universelle volait en éclat sous les sarcasmes.
        C'est ainsi que la France, donc, échappant à la fois aux dictatures et aux partis uniques, tels qu'il s'en formera dans nos anciennes colonies, marquait alors une belle unité. C'était le cas, au premier chef, pour la 2e Division Blindée. C'est elle qui délivrera Strasbourg, qui possède une avenue à son nom. Ma directrice de traduction allemande s'étonnait que l'on pût donner une appellation si peu pacifique à une grande avenue. Sacrés germaniques, devenus pacifistes ! Le 25 septembre, quittant la zone du général de Lattre, j'allai la voir à Moyen, Vathiménil, Gerbéviller. Ce sont là de beaux pays, mon général, proches depuis mille ans de l'ennemi héréditaire, ce qui soude d'emblée tout le monde, loin des « divisions » celles-là « partisanes », contre lesquelles vous ne cesserez de lutter. Pendant son court séjour à Paris, cette division avait recruté plusieurs milliers de jeunes engagés.

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  • La crémation

    C'"est curieux : avant, j'étais "contre". Ayant écrit ou projeté un article VI-RU-LENT pour dissuader de se faire profaner le corps par une pratique barbare. Et j'ai assisté à une cérémonie toute simple et grande à la fois, avec un personnel d'un tact parfait, sans désinvolture mais sans affectation non plus. C'est au crématorium de Mérignac-Pessac en Gironde, où tout le monde est traité avec tact et sans lourdeur. La crémation s'effectue ailleurs, on n'entend aucun bruit ni même une rumeur. De quoi songer sinon à modifier mes conditions du moins à nuancer mon appréciation.

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  • Wing, Wang, Wong

            Autre fille chinoise, occidentalisée, rédigeant en français son roman qui s'appelle Héroïque. Ou l'art et la manière de s'inventer une vie héroïque, lorsqu'on n'est qu'une hôtesse d'accueil au chômage, et que son père, un « sale Arabe », je cite, vient de se faire virer de son poste de chauffeur routier. Après tout, l'autrice a peut-être essuyé des insultes du style « sale chinetoque »,  le racisme comme la connerie n'a pas de frontières. Donc notre hôtesse d'accueil, prénommée Jeanne pour faire vraiment français, et teinte en blonde, se fait refuser un emploi par une nommée Mayou, elle-même patronnée par le nommé M. Merle. Ce Merle est un parfait salaud, qui essaye de lui faire croire qu'elle sera embauchée à coup sûr si elle accepte de passer une après-midi par semaine avec lui, et pas pour jouer aux cartes. 

     

     

    CETTE PHOTO S'APPELLE "DE BAS EN HAUT"
     038.JPG   Et le roman ne cesse de faire des aller-retours entre ce que Jeanne observe et constate, ce qu'elle imagine (à propos de son père, du sexe répugnant de M. Merle, des actes héroïques accomplis par elle-même) et les évènements qui pourraient se produire si, et si, et si. Selon cet outil d'appréciation, le lecteur peut admirer cette souplesse, cette ingéniosité, dans l'imagination d'une jeune femme un peu détraquée, prête à tout pour se faire embaucher, même à conduire des camions à la place de son père, ou bien à tuer M. Merle en lui balançant une bouteille de Coca dans la gueule  (ce qu'elle fait en effet, mail il l'évite par réflexe). Elle pense même avoir découvert que cet embaucheur sans scrupule est un tueur en série : elle se penche sous le siège de la belle bagnole de cet homme pour y découvrir un chewing-gum ou n'importe quel indice qui lui prouverait le caractère criminel de ce mufle, comme dans un policier qu'elle a vu à la télévision.
        Mais elle ne voit rien qu'une moquette impeccable. Ou bien, ledit lecteur peut se lasser de ces interminables méandres d'une imagination de petite fille prolongée, se lasser de ces robots qui ne pensent que par sautes d'idées. Il peut ne plus se souvenir du tout d'avoir lu ce livre, un de ceux qui défilent sur son bureau de vieux maniaque : quel maniaque peut supporter un autre maniaque ? Entre ce qui est vrai et ce qui est faux, peu de différences ; entre ce que l'on pense (« alors je ferais ceci, alors il ferait cela, j'aime bien mon père et ce patron est excitant à vomir »), ce que l'on aurait pu dire et ce que l'on dit réellement, peu de différences également : à l'intérieur du cerveau d'un enfant les imaginations défilent, chaque situation est considérée soit du point de vue réel soit du point de vue potentiel, comme dans notre tête, après tout, à nous tous.
        Le lecteur se voit donc en face du banal extraordinaire ou réciproquement, et le style, clair, direct, académique, ne lui permet pas de se raccrocher à son propre intérêt. Il peut s'imaginer avoir
    lu ce qu'il a lu, il peut décréter que ces personnages schématiques ne sont que des figures d'exercices, apprécier l'exercice mais laisser son âme en dehors de tout cela, sauf s'il est fille, arabe ou chinoise ou les trois. Nous aurions là un excellent point de départ pour des observations sociologiques ou psychologiques, pour étudier l'humour froid et le détachement, la condition des chômeurs infantilisés issus de l'immigration sur le chemin d'une intégration indéfiniment repoussée, pour nous pencher sur la manière hitchcockienne de présenter un scénario étincelant de cristallisations banales, mais n'est pas Hitchcock ni les frères Dardenne qui veut.
        Il semble que le roman dit Héroïque ferait un excellent film, centré sur la personne d'une dingue, style Muriel, et notre lecteur devrait posséder la souplesse de s'adapter à de nouveaux procédés de narration : mais il n'a peut-être jamais su acquérir cette faculté de perception. Vous en savez peu, mais suffisamment pour goûter déjà ce fragment situé ves la fin, qui pourrait vous rappeler Pas d'orchidées pour Miss B. : nous vous guiderons s'il y a lieu. Notre Jeanne arabo-chinoise (c'est une supposition) arrive en passagère devant la maison de M. Merle, présumé tueur en série :
        « Elle était effrayante. Une fille naïve qui ne savait pas qui était Merle l'aurait trouvée sublime ». En effet, notre héroïne présente la particularité non seulement d'imaginer, mais aussi de juger ses imaginations, en vraie cabotine de onze ans et demie d'âge mental ; notre auteur ici ne se contente donc pas d'énumérer tout ce que fait son personnage, mais se figure omniscient à l'intérieur du cerveau de cette jeune femme). « Tous ses os devinrent aussi mous que du fromage blanc. Cette maison ressemblait à un long paquebot à 2 étages, échouée au milieu de nulle part. Jeanne eut beau scruter l'horizon aussi loin que ses yeux le permettaient, aucune forme d'habitation humaine ne se laissait deviner. Il n'y avait que la forêt qui s'étendait à perte de vue et, au-dessus d'elle, une immense colline noire, très longue et toute râpée. Même si la maison paraissait très propre – les façades étaient d'une blancheur immaculée comme si elles avaient été repeintes la veille, les rideaux attachés derrière les 6 fenêtres étaient tous semblables et tous parfaitement symétriques – et même s'il y avait sur la pelouse très tondue et d'un lumineux vert pomme, des sculptures amusantes d'animaux - » (le vrai série B pour télévision allemande) « Jeanne savait qu'elle était habitée par un tueur. Et 2 indices lui donnèrent raison. Elle aperçu, collé contre le côté gauche de la maison, à l'opposé de la porte du garage, un hors-bord monté sur une remorque. La mer se trouvait à plus de 300km et ici » (dans le Puy-de-Dôme apparemment) « il n'y avait pas le moindre brin d'eau.

  • De Gaulle, England & C°

    Le 10 septembre, Londres annonçait que les forces britanniques avaient pris pied à Majunga et qu' « une administration amie, désireuse de collaborer pleinement avec les Nations Unies et de contribuer à la libération de la France, serait établie dans l'île." Etrange avec le recul de considérer le général de Gaulle s'appliquant avec hauteur de sauvegarder les intérêts de notre pays dans ses colonies, alors qu'elles seront toutes bradées moins de vingt ans plus tard, au nom du réalisme économique. Faut-il provisoirement conclure que le Général savait s'adapter aux circonstances, et que la situation d'après-guerre, en Afrique et ailleurs, n'avait plus grand-chose à voir avec celle des années  41-42 ?
        Le suspense continue, pour les ignorants que nous sommes. Le 11, M. Strang déclarait à Maurice Dejean : «Dans l'esprit du gouvernement britannique, le Comité national français doit être « l'administration amie » mentionnée dans le communiqué. Nous sommes passés bien près de la disparition, de la réduction au fantoche. De même nos gouvernements actuels, tant gaullistes que socialistes, ardents défenseurs de l'action gaullienne, s'empressent-ils aujourd'hui de nous fondre dans une Europe impersonnelle, tout en prétendant le contraire à grands coups de menton. Bon ! Il n'y a donc pas que de Gaulle à se contredire à vingt ou trente ans de distance, et l'historien du futur, s'il en reste, ne pourra que disserter sur le « long déclin » de la France...      Je ne connais plus le nom de l'artiste ; qu'il se manifeste s'il le souhaite.                         SUITE :
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        Poursuivant cette longue épopée, nous parvenons aux laborieuses tractations (toute la carrière du Général ne fut que laborieuses tractations) pour convaincre les Alliés de marcher sur Paris, au lieu de foncer, avec Patton, à travers la Lorraine. L'argument est que Paris déjà s'insurge, laissant sur le flanc gauche des Alliés un abcès de fixation très dangereux ; ces derniers atteignent déjà la Seine en aval et Melun, mais seul Paris demeure à l'écart. Décidément, ce que j'aurai appris, même en tenant compte de la paranoïa chatouilleuse du général de Gaulle, est que les Américains ne nous auront délivrés qu'à contre-cœur, considérant la France en tant que champ de bataille, certes, mais au grand jamais comme un partenaire politique valable : nous fûmes copieusement méprisés, juste bons à devenir un protectorat.
        Noter cependant que les Italiens, sur qui pesaient les soupçons d'une obédience mussolinienne encore toute proche, parvinrent à surmonter ce mépris, redevenant souverains sans problèmes. En dépit du mépris pour les Macaroni. Les Français se sont battus en Italie, avec leurs trois soldats et demi emplis de vaillance. Ils ont remonté la vallée du Rhône. Personne ne parle de cette session de rattrapage, où l'héroïsme et la vaillance... mais le langage gaullien me rattrape... Un orgueil exaspérant c'est vrai. Une époque épique, bien perdue de vue. Une méfiance ô combien justifiée envers le Parti Communiste, qui fit tout je suppose pour évincer le grand Charles, parvenant à des résultats pharamineux lors des élections de 1954, alors que le goulag battait son plein dans la plus parfaite ignorance tu parles. Rien n'est pur, et je barbote dans les clichés, n'ayant pas dépassé les bonnes rédactions de première, puisque ces classes planchent sur les Mémoires de guerre. Il est bon toutefois d'avoir porté ces épisodes à la connaissance des minorités féminines et littéraires (pléonasme) des lycées.
         Je ne pense pas que les scrutins s'en ressentent, mais si notre pays pouvait avoir envie de se relever, ce ne serait pas plus mal. [A]u sujet des évènements de Paris,(...) le ton réservé, voire empreint d'un peu d'aigreur, de la « Voix de l'Amérique » me donnaient à entendre que, cette fois, Londres et Washington ne s'accordaient pas tout à fait pour ce qui concernait la France. Londres a vu le feu de plus près, il est vrai. Churchill n'a fini par admettre de Gaulle que bien malgré lui aussi. Le général a résisté à partir de Londres et Alger. Il s'est vaillamment débrouillé avec ses bouts de ficelle. Mais je reprends les préjugés et les persiflages. Il me sera difficile d'émettre des commentaires pertinents ou renouveleurs à propos de politique, étant de l'avis du dernier venu. Des  picotements me sont même montés aux yeux à lire ces envolées de lyrisme de caserne à propos des drapeaux qui claquent au vent du Mans à la banlieue sur le passage du Général, avec des allocutions de maires qui se terminent en sanglots : c'était vrai.
        De Gaulle exaspère par ses moulinets de rodomont. Mais il force l'admiration, par sa capacité de transformer le vide en plein, qui est le sort de nous autres, condamnés par la mort à ne plus agiter que des symboles. Et moi, simple Parménion (« J'arrêterais, si j'étais Alexandre. - Moi aussi, j'étais Parménion. ») j'avoue que mille fois j'aurais renoncé s'il m'avait fallu combattre autant de mépris et de basses manœuvres, cinq années durant, qui finirent par entraîner la démission du général de Gaulle, vaincu par les nains. Je ne l'aimais pas. Peut-être à cause de l'Algérie, abandonnée après une flagrante victoire militaire. Mais surtout parce qu'il représentait, avec son infecte bonne femme, le puritanisme le plus étouffant ; or Pompidou, bien qu'il n'imitât pas toujours la chasteté du général de Gaulle, ne montra aucune différence avec son prédécesseur sur ce point.     Quant à 68, comme chacun sait, ce fut là aussi une folle surenchère verbale, qui permit aux petits malins baiseurs de faire croire que c'était arrivé pour tout le monde alors que rien n'était changé pour les nigauds. Mon vieux crachat lancé, revenons aux faits : Je renvoyai à Paris le vaillant Favreau, porteur de la réponse que j'adressais à Luizet, dont j'ai ma foi oublié la fonction : préfet ? J'aime cette façon de lancer un adjectif louangeur à ses bons serviteurs et soldats par de Gaulle, comme un os de satisfaction à ronger, un bon point. Mais c'est lui, de Gaulle, qui a fait tout le boulot. Certains, je le rappelle, déclarent que sans la Résistance, le Général n'eût rien pu faire. J'y précisais mon intention d'aller d'abord, non point à l'Hôtel de Ville où siégeaient le Conseil de la Résistance et le Comité parisien de libération, mais « au centre ». Bien, de Gaulle : ne pas avoir l'air, si peu que ce soir, d'entériner l'emprise des communistes et apparentés, de sembler solliciter un adoubement ; mais jouer le peuple, la rue, contre les appareils d'apparatchiks.
        Je crois bien que des bruits sur les exactions de Staline avaient largement filtré, mais qu'il ne fallait pas que le peuple les sût. J'ai beaucoup aimé ce coup de menton du Général à Carcassonne, lorsqu'il refusa de recevoir au premier étage les délégués résistants en armes, les forçant à s'en débarrasser au rez-de-chaussée avant de monter à son bureau. Ça c'était de l'orgueil, et du bon, et à bon escient. Il y acvait déjà eu des soviets plus ou moins provisoires, dans l'Aude et dans les Savoies. Dans mon esprit, cela signifiait au ministère de la Guerre, centre tout indiqué pour le gouvernement et le commandement français. Nous ne disons plus « de la Guerre » à présent. Ce n'était point que je n'eusse hâte de prendre contact avec les chefs de l'insurrection parisienne. Nous comprenons ces réticences, cette progression cauteleuse sur les lignes de crête. 
        Les dirigeants marchent tous sur ce fil du rasoir. Comme il est compliqué d'être roi sans verser dans la cruauté. Toujours tenir compte de l'avis de tous, en maintenant le sien. Fragilité du pouvoir, etc. Mais je voulais qu'il fût établi que l'Etat, après des épreuves qui n'avaient pu ni le détruire, ni l'asservir, rentrait d'abord, tout simplement, chez lui. Vraiment ? Pourquoi pas l'Elysée ? Pas asservi, l'Etat français ? D'où vient alors ce haut-le-cœur de l'Etat-Major allemand (nous le rappelons) lorsqu'il aperçut, au nombre de la délégation des vainqueurs, le représentant de la France ? De Gaulle n'avait pas cédé, donc la France non plus ? Dans la paranoïa du Général, certes ; mais dans les faits ?
        Nos bravoures diverses avaient sauvé l'honneur, brillamment sans doute ; mais l'Etat ? De Gaulle considérait les résistants comme une bande de dépenaillés touchants, mais à prendre avec des pincettes à guenilles, car une bonne part s'étaient laissé tenter par les sirènes d'un communisme stalinien alors au faîte de son prestige, et comptaient bien transformer la France en conglomérat de
    territoires soviétiques, ainsi que je l'ai entendu dire pour l'Aude et les Savoies. XXX