Proullaud296

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  • Tèmüdjin

     

     

     

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    Le loup mongol, c'est le titre. Gengis Khan, le héros, pour l'instant, "Tèmüdjin", "le Forgeron". Qui se débat pour sauver sa vie contre l'usurpateur, pour délivrer sa bien aimée enlevée, qui évolue parmi ses immenses steppes, et sa famille pléthorique : un arbre généalogique sera indispensable pour bien tout suivre. Grand amour des chevaux, atmosphère d'espaces sans fin, souffle épique, d'où le pseudonyme de l'auteur (Frédéric Dion, plus connu dans la rubrique hippique de Libération). Au XIIe siècle à proximité des frontières chinoises, on ne s'embarrassait pas d'humanité ni d'humanisme. On mutilait, on trucidait, et la fiancée pissait sur les mains de son prétendant pour signifier son accord.

     

    Mais sous les jupes, tout de même. Et Max, lecteur de pavés, jusqu'aux Bienveillantes, a cassé sa tirelire pour mon anniversaire, pensant que j'apprécierai cette épopée médiévale. Assurément. C'est dense, d'un style très soutenu, parfois profus au point d'atteindre les limites de l'enflure. Ce n'est pas un diovertissement, mais une roborative escalade. Revenant sur Le loup mongol et Les Bienveillantes ("Les Euménides"), je me pose une question naïve et sacrilège : pourquoi trouvons-nous tout naturel, typique, franc et fruste, guerrier même, et vaillant, les supplices et massacres de vieillards et d'enfants, les combattants coupés en deux, la volupté des cavaliers sabrant tout ce qui se présente, et reculons-nous d'horreur voire d'épouvante au récit des massacres de juifs en Ukraine ou l'évocation des cervelles éclatées ?

     

    Alors que les nazis voulaient restaurer ce climat de bienfaisante barbarie, dépourviue de toute hypocrisie ? Non : chez eux c'est barbarie pure et simple, chez les Mongols fureurs animales, sans conscience de cruauté. Pourquoi cela ne les rebutait-il pas, pourquoi nulle répugnance, nul dégoût de soi, nulle envie de disparaître après un poing tranché à table juste avant les desserrts ? Les bourreaux nazis, au moins, devaient passer des entretiens de motivation, afin de ne pas défaillir à leurs tâches ; certains avaient même, les pauvres ! une dépression nerveuse. Imagine-t-on un Mongol, vers 1190, consulter un psychiatre ? Conclusion : il n'existait pas de "bon vieux temps", et nous ferions mieux de clore ce débat, autrement, nous pourrions bien dire des conneries – trop tard ? ah bon.

     

    Rabattons-nous sur les amours ? Les amitiés, d'abord : deux hommes devenaient "anda" s'ils s'entaillaient les veines et se croisaient les bras pour échanger leurs sangs. Puis rien ne pouvait plus les séparer, toute trahison les déshonorait à tout jamais. Les mariages, quant à eux, résultaient de calculs d'alliance, et même si l'obéissance de la femme y tenait lieu d'amour, il arrivait que des unions fussent mal assorties, surtout après un viol légal. Bo'ortchou, "anda" du future Gengis Khan, n'approche sous la couette sa femme revêche que si cette dernière espère engendrer un fils. Autrement, le mari se verra moqué pour son infertilité. Donc, notre Bo'ortchou court non pas la gueuse mais une certaine Reine des Fleurs, d'une tribu voisine, bien plus fraîche et appétissante. Il suffit de 48h au trot pour la rejoindre et s'unir à elle : dans ce cas, le guerrier fiche sa lance verticale dans le sol, pour que l'on voie bien de loin que là-bas, dans un repli de terrain, il est fort question de baise.

     

    Ô réjouissante simplicité patriarcale ! Impliquant massacres et mutilations, mais allons-nous chicaner ? Les amants s'échangent des mots tendres, et des poèmes improvisés. Les Mongols étaient plus raffinés qu'on ne croit : "Les poulains naissent, l'herbe grimpe d'une traite et les agneaux se dressent sur leurs petits sabots de laine dans la rosée." Très attendrissant. Très naturel, comme le meurtre, mais je vais dire des conneries ; le moyen de parler avec un rigolo... Maintenir la balance entre l' adhésion inconditionnelle et le ricanement convenu. Malaisée ligne de crête : "Tu verras, Lune Blanche a trouvé son soleil et celui-ci la couvrira de ses rayons". Quand les juments se font couvrir, même bréhaignes, pourquoi les humains ne s'y joindraient-ils point ?

     

    Peur d'Ours, l'étalon du héros, a détourné la plus belle femelle du haras, du harem rival ; tout le troupeau les a suivis, jusqu'en lisière de forêt, où les plus beau couple chevalin s'est ébattu à l'abri: les animaux respectent également les saillies de l'espèce. Lune Blanche sera-t-elle fécondée ? Reine des Fleurs ouvrira-t-elle ses cuisses pour son vaillant chevaucheur ? Mais je vais déraper sans doute. "Leurs silhouettes minuscules réapparurent sur les sommets". Il ne fait aucun doute pour moi que l'auteur s'est rendu au paradis équestre, la Mongolie, d'Ulan-Bator à Ulan-Udé, pour évoquer si bien les mœurs et les espaces de ces contrées. Nous sommes loin de la "saillie en main" de nos étalons. "Ils regardèrent un instant les lointaines étendues et disparurent dans le dernier éclat du jour".

     

    Nous aurions tort d'épingler ici les clichés, car ils sont impossibles à éliminer dans une épopée comme celle-ci ; et même, on comprendrait mal qu'elle en fût purgée : que serait un ample récit dépourvu de la moindre envolée lyrique ? Le tout est de savoir les doser, les utiliser à bon escient, discrète comme ici, plus élaborées en d'autres épisodes ? Nous serions fortement déçus de ne trouver que platitudes ou banalités. Ou plaisanteries distancées. Nous voulons de l'oxygène. Beauté, grandeur et dignité. Cruauté aussi, parfois, et crudité. "L'air était chaud et tout indiqueit que la nuit serait belle." Pour les amoureux aussi. "Nous ne pouvons retourner sans nos chevaux." Ce sera donc un excellent prétexte pour s'attarder. "Voilà une situation qui t'arrange, dit-elle en m'administrant un coup dans les côtes." Elle arrange aussi la femme. Tout est simple pour ceux qui s'aiment. On baise en camarades. Francs du collier. Que les chevaux ne portent pas. "Elles me conviennent toutes pourvu que tu sois à mes côtés" – les deux côtés à la fois ? Curieuse expression toute faite en effet. Mais l'amoureux ne manque pas de répartie ; dans le jeu amoureux, il convient que les partenaires ne demeurent jamais à court de galanteries.

  • Tillinac

     

     

    Ce n'est un secret pour personne : Tillinac est ami de Jacques Chirac, ou de ce qu'il en reste. Ses Considérations inactuelles parues chez Plon, qualifiées sur la couverture de « scandaleusement antimodernes » , seront vous n'en doutez pas profondément réactionnaires, adjectif qu'il revendique plutôt que « droitières ». Il n'a pas confiance en l'avenir, du moins immédiat, mais en la nature humaine, tout de même. Il se voit, et ceux qui pensent comme lui, comme un méfiant, à l'égard de quiconque prétend nous dicter nos comportements, nos indignations, nos goûts et nos états d'âme. Comme tout réactionnaire, il réagit à tout ce qui détruit nos repères, socioculturels, historiques, linguistiques, politiques.

     

    Mais un homme qui aime bien les petits coups de pinard, et Cyrano de Bergerac né dans la vallée de Chevreuse, ne peut pas être totalement mauvais. Il ne parlera certes ni de la stituation scandaleuse des travailleurs du Qatar, ni de l'exploitation de l'homme par l'homme, ni des rétributions scandaleuses des patrons incompétents, comparées aux indemnités minables des chômeurs, ni des naufragés de Lampeduse ou de Malte. D'autres s'en chargent, avec bien plus de talent, et de rage sincère. Mais Tillinac prend ses distances, débusque certaines tartufferies, quitte à ne pas voir les siennes, ce qui est humain. Il propose, mais n'impose pas, contrairement à ce qu'il est convenu (et véridique) d'appeller « la tyrannie des médias ».

     

    Est-ce à dire qu'il donne des leçons ? Non, des conseils, que chacun suivra ou non selon son caractère, son conditionnement, sa liberté. Il est optimiste, tout de même, à long terme, et récuse le fameux « sens de l'Histoire », que tout le monde adore encore comme une divinité : nous devions tous devenir communistes, ou écologistes, ou mondialistes, ou égalitaristes, ou libéraux, ou islamistes, et chacun de gueuler derrière sa pancarte avec ses partisans. Il semble que Tillinac aborde la question du monde à travers un individualisme dépourvu cependant de repli, dépourvu d'aigreur ou d'égoïsme : tous les -ismes sont bannis par lui. Surtout, il ne culpabilise personne : vous ne pensez pas comme lui ? vous en êtes parfaitement libres, et si l'illumination vous vient d'ailleurs, prenez-là et lancez-la sur ceux qui vous entoure, dans la plus complète tolérance.

     

    Les paragraphes qu'il nous adresse, bien rédigés (il a progressé depuis le temps où ce qu'il écrivait relevait de la rédaction de quatrième d'avant les réformes – d'avant toutes les réformes), nous laissent libre d'approuver ou de nous récuser : mais les points d'interrogation en marge restent bien moins nombreux, sur mon livre de vieux que les phrases soulignées. Rien de dogmatique, des omissions éloquentes, un repli sur les vraies valeurs selon lui, et surtout, une confiance totale en sa boussole interne, si difficile malgré tout à trouver pour chacun. Sont battus en brèche, mais par Tillinac, les convictions humanitaires, l'idée que chacun peut devenir artiste, que de la satisfaction des egos surdimensionnés côte à côte surgira une société plus égalitaire, que de l'effacement des frontières et des sexes viendra la fraternité universelle, que la réalisation de tous les désirs suffira à nos âmes par nature insatiables, que d'une égale répartition des richesses résultera le bonheur universel, mais sont recommandées les vertus de modération, d'efficacité sur son entourage immédiat, de respect de la nature humaine avec ses imperfection y compris la méfiance à l'égard des immigrés (là, on tique, Tillinac, mais mieux vaut connaître ses défauts pour essayer d'y remédier).

     

    En gros, les idéaux révolutionnaires ou soixante-huitards ont été dévoyés selon lui, par des tarfuffes, des profiteurs, des interprétateurs, des imposteurs sans le savoir qui égalent un bon rappeur au niveau de Mozart, au nom de l'égalité devant la mort ; mais surtout, par des dogmatiseurs (les gens de 68 ne se savaient pas dogmatiques, il fallait se dresser contre les injustices, mais comme les autres, pas comme soi), et plus encore, par les gens du commun, vous et moi, qui trop souvent avons donné raison à ceux qui se donnaient raison en faisant le plus de bruit. A présent (air connu) il n'y a plus de foi, plus de littérature, plus d'artistes, ou alors, c'est tout le monde, surtout les enfants et les pensionnaires d'asiles psychiatriques prochainement totalement supprimés au nom de la fraternité, il n 'y a plus de saison, tout le monde se nivelle par le bas e tutti quanti, ne pensez pas que Tillinac (et Chirac moins encore) se soit montré novateur.

     

    Personnellement, je suis profondément persuadé que l'homme est un ramassis de pensées médiocres, mélangé à quelques conceptions sublimes, assaisonné de névroses de premier jus, et qu'il est très difficile de sauver tout ça, Jésus a échoué, le Bouddha aussi, Marx aussi, et pour moi je ne me sens pas très bien comme disait Woody Allen. Mais nous essaierons, un par un ou touso ensemble, selon notre tempérament. Donc, ma position est celle-ci : je ne suis ni pour ni contre, bien au contraire. Et lorsque nous lirons Tillinac, dans un instant, n'oublions pas que les Antiques, sottement, demandaient à leurs philosophes, en premier lieu, de s'appliquer à eux-mêmes ce qu'ils recommandaient aux autres, ce que nos penseurs d'aujourd'hui n'appliquent pas trop.

     

    Il se pourrait que notre auteur vive tout à fait autrement. Nous dirons alors avec saint Paul ou Sénèque ou Diderot ou je ne sais plus qui, « je ne peux m'empêcher de vouloir ce que je ne veux pas ». Donner des conseils n'empêche pas d'avoir une vie de merde, et fouetter ses fils d'être un excellent instituteur. Mais je préfèrerais encore un auteur qui mette en accord ses préceptes et sa vie, Tillinac est sans doute du nombre. Voyons cela : « Ne « gère » pas tes désirs comme un comptable », tiens, attrapez, les bonnes femmes. « Aucune provision, aucune prévision : libre envol sur les ailes de tes songes. » N'oublie pas d'avoir du pognon. « La suite dépend de l'altitude : s'ils percent les nuages pour frôler les étoiles, ils t'offriront davantage que ce que tu en escomptais ».

     

    Pas terrible. Fumeux. Tout le monde a de ces désirs qui « percent les nuages ». C'est d'ailleurs ce que demandaient les fameux soixante-huitards : « Soyez réalistes, demandez l'impossible ». Et tout le monde ou presque se casse la gueule. Question de pognon, mais aussi de relations, de volonté, bref, nous commençons mal notre lecture : c'est le plus fort qui gagne, comme d'hab. Passons au paragraphe suivant : « La vie est courte ». C'est du Prudhomme, exprès. « Evacue le plus vite possible ton « refoulé social » - tes complexes d'enfants de pauvre, ou de parvenu, ou de déchu, ou de nulle part. Sans renier tes ascendances, décrète-toi, tel le maréchal Lefebvre, ancêtre-fondateur d'une lignée, et lâche ta vie allègrement sur une perspective cavalière ».

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    Cela devient plus grave : un livre que j'ai profondément aimé, approuvé, souligné, devient par la magie du tirage au sort une collection d'aphorismes fumeux, montrant ainsi son envers après nous avoir séduit par son endroit. D'abord, vérifions cette histoire de maréchal Lefebvre, mari de Madame Sans-Gêne (nous aurions préféré Bernadotte, ancêtres des rois suédois) : il semble en effet que de ses treize enfants, douze sont morts en bas âge, ce qui laisse peu de place pour une lignée ; cher Tillinac, vous avez confondu, renseignez-vous. De plus, personne n'est plus complexé d'être fils de femme de ménage de nos jours et heureusement. Mais ceux qui lâchent leur vie « allègrement sur une perspective cavalière » sont les garçons et filles qui en ont eu les moyens, et l'esprit d'audace et d'indépendance s'acquiert difficilement quand dans toute son enfance on a compté les bouts de ficelle pour boucler les fins de mois, et quand tout simplement l'argent a manqué pour faire des études.

     

    Certains, oui, y sont parvenus, à force de courage et de volonté. Mais il en faut beaucoup plus que d'autres pour vaincre lorsqu'on sort de certains milieux. Facile de dire « n'ayez point de complexes » : mais nous rappellerons que la caractéristique du complexe, c'est justement qu'on ne s'en rend pas compte. Renseignez-vous, M. Tillinac.

     

  • Lisboètes

     

    Malheureux : d'être à Lisbonne, en face des Hiéronymites ou Jéronimoches, et de ne rien trouver d'autre à noter que l'esquintage de son appareil photo, le mal aux os ischiaux et la lecture de “L'Assommoir”, tout noir, qui la fout mal. Ville épuisante, aux pavés disjoints, et ce soir c'est la Saint Dominique. Je verrai si je ne peux pas plutôt faire éditer mes trucs ailleurs. Décidément, comme l'autre, j'emporte mon scrabble avec moi, et je savais bien que je ne devais pas bouffer de raisin pour avoir des gaz gazouillants. J'ai pété en entrant dans le cloître, il y a une Italienne derrière moi qui s'en est pris plein les narines.

     

    L'italien est noble, ensoleillé, coruscant. Le portugais avale ses mots, mange sa chair. Le français, c'est de la flûte, une petite langue toute mince, toute fine et toute précieuse. Il reste 18 minutes du Singe Vert à faire, au fait. Je suis le lendemain matin 9 août, dans mon lit, le cul menaçant l'escarre, les pieds dans les cors. Cette ville de Lisbonne est un tas d'épluchures qui se chauffe aus oleil. Les premiers temps c'était bien de l'honneur. Ötez les touristes, ajoutez la crasse. Les trottoirs littéralement défoncés, en permanence. Les touristes (il y en a quand même), l'air égaré, avec leur plan longitudinal à la main.

     

    J'essaie de n'avoir pas l'air d'un touriste. Ils tiennent à s'entasser dans les tramways jaunes, qui semblent des boîtes à sardines. Je n'ai pas eu l'occasion d'en prendre un. Il me reste moins de onze heures à passer ici, à tout jamais. Les Portugais sont de petites gens, qui sortent de petites maisons par de petites portes dans des petites rues. Ils sont aimables et individualistes. Une inscription que l'on retrouve partout : fechar a porta, fermez la porte. Toutes les portes sont féchées. Il n'y a pas de courant d'air. On étouffe. La presse annonce une vague de chaleur au Portugal. N'exagérons rien. Hier il faisait 27°. Mais je crevais de chaud : ce sont 27° de Lisbonne. Ce qui est fermé aussi, ce sont les magasins. Tout doit, autrement, grouiller. Le bar de Pessoa est fermé, avec son couloir d'accès. Je suis allé dans sa chambre, il m'a semblé y être fortement ému. Ce n'est peut-être que la chaleur – et l'encaustique. Les cimetières ressemblent à des cabines de bain, les unes à côté des autres. On les croirait, elles aussi, fermées pour les vacances. Des alignements de petits chalets blancs, étroits. Puis l'on se penche et l'on aperçoit derrière ces portes des cercueils, empilés comme à la parade, chacun sur son étagère, enveloppé d'un épais macramé blanc.

     

    Ça pourrit là-dedans, le cercueil est intact. Il est minuscule. A-t-on fait réduire le corps? Je suis sorti de San João couvert de soleil sur la tête. Je me suis installé dans un minuscule jardin public, où il y a des chaises et des tables en pierre. L'inspiration m'est venue instantanément et pour longtemps. Plusieurs fois j'ai profité de ces tables qui permettent de s'avachir en avant, car l'étirement sur un banc provoque de la lassitude. Hier soir, face au musée Vieira da Silva, je ne savais comment m'étendre. Les lattes du banc ne flattent pas le flanc. Un garçonnent passait inlassablement le long de moi sur son tricycle. Je lisais de l' ”L'Assommoir”. Cet ouvrage est trop contrasté avec la lumière que j'ai vue.

     

    Se pourra-t-il que Lisbonne, la lumineuse, demeure à tout jamais liée à cette saloperie fumeuse d'Assommoir dans mes souvenirs, comme Prague et “Anna, Soror” de Yourcenar ? Nous verrons cela. Dans cette dernière ville, un garçon d'ascenseur vieux et osseux m'avait tripoté en lâchant des obscénités tchèques. Je ne suis pas une femme, je n'ai pas voulu faire renvoyer un vieux serviteur. Ici, à Lisbonne, un petite boulotte m'a aidé à me faire comprendre auprès des employés d'une boutique à sandwiches. Elle riait encore en partant : “Vous savez où me retrouver si vous avez besoin de moi”.

     

    Mais le rire me paralyse, comme toute autre attitude des femmes d'ailleurs. Un rien, et vous êtes recalés. Un sourire de trop, une niaiserie émise, et adieu la femme. Je crains trop d'être refusé pour stupidité comme si souvent. Que faudrait-il dire ou faire ? Hélas, 56 ans ; la nature commence à faiblir. Je regretterai toujours toutes ces choses que j'ai ratées, et que les femmes ne font rien pour faciliter. Me voici reparti dans des rêveries, comme si j'avais encore la vie et les conquêtes devant moi. Pas même un désir sexuel de ces cinq jours. Voici l'enchaînement de mes pensées : impuissance, crâne rasé.

     

    Il faut faire croire à Philippe que me raser le crâne empêche que je bande. Cela coïnciderait avec ce que je lui avais dit pour jouer “Le Banquier anarchiste” en février puis en mai : “Jamais je n'oserais me présenter à une femme mutilé de la sorte. Y compris et surtout la mienne. Si tu ne bandes pas pendant deux mois à ton âge, ça se rattrape. Au mien, c'est définitif. C'est dans les livres, c'est scientifique.” Ce petit discours sera répété si la pièce tient toujours en 2001 à Avignon. Envoyé à Pbilippe et Silvia une carte de Lisbonne en souvenir du “Banquier anarchiste”. Beaucoup de cartes seront envoyées, car il est bien évident que je n'ai pas su enrouler le rouleau de pellicule photo.

     

    La Kafetière élecrique.JPGA la rigueur deux rouleaux seront impressionnés, mais je crains bien que les manœuvres de la vendeuse incompétente de la FNAC n'aient tout fait échouer. La photo n'est pas mon fort, comme rien de ce qui est technique. D'autres pensées me traversent l'esprit, à moins que ce ne soit l'idée de me rendormir. J'écris couché, sur mon bidon gras et poilu. Il faudrait inventer une position debout, où l'on ne repose point sur ses pieds. Les pensées courent. Il ne faut point tout noter: les bains de pieds dans le bidet et autres bourgeoiseries. Il faut paraître noblement. Dans un journal personnel, pensez donc ! Je devrai, dans le train du retour, méditer un excellent article sur “Le Perroquet de Flaubert” - je reprends vendredi mes émissions radio.