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Tillinac

 

 

Ce n'est un secret pour personne : Tillinac est ami de Jacques Chirac, ou de ce qu'il en reste. Ses Considérations inactuelles parues chez Plon, qualifiées sur la couverture de « scandaleusement antimodernes » , seront vous n'en doutez pas profondément réactionnaires, adjectif qu'il revendique plutôt que « droitières ». Il n'a pas confiance en l'avenir, du moins immédiat, mais en la nature humaine, tout de même. Il se voit, et ceux qui pensent comme lui, comme un méfiant, à l'égard de quiconque prétend nous dicter nos comportements, nos indignations, nos goûts et nos états d'âme. Comme tout réactionnaire, il réagit à tout ce qui détruit nos repères, socioculturels, historiques, linguistiques, politiques.

 

Mais un homme qui aime bien les petits coups de pinard, et Cyrano de Bergerac né dans la vallée de Chevreuse, ne peut pas être totalement mauvais. Il ne parlera certes ni de la stituation scandaleuse des travailleurs du Qatar, ni de l'exploitation de l'homme par l'homme, ni des rétributions scandaleuses des patrons incompétents, comparées aux indemnités minables des chômeurs, ni des naufragés de Lampeduse ou de Malte. D'autres s'en chargent, avec bien plus de talent, et de rage sincère. Mais Tillinac prend ses distances, débusque certaines tartufferies, quitte à ne pas voir les siennes, ce qui est humain. Il propose, mais n'impose pas, contrairement à ce qu'il est convenu (et véridique) d'appeller « la tyrannie des médias ».

 

Est-ce à dire qu'il donne des leçons ? Non, des conseils, que chacun suivra ou non selon son caractère, son conditionnement, sa liberté. Il est optimiste, tout de même, à long terme, et récuse le fameux « sens de l'Histoire », que tout le monde adore encore comme une divinité : nous devions tous devenir communistes, ou écologistes, ou mondialistes, ou égalitaristes, ou libéraux, ou islamistes, et chacun de gueuler derrière sa pancarte avec ses partisans. Il semble que Tillinac aborde la question du monde à travers un individualisme dépourvu cependant de repli, dépourvu d'aigreur ou d'égoïsme : tous les -ismes sont bannis par lui. Surtout, il ne culpabilise personne : vous ne pensez pas comme lui ? vous en êtes parfaitement libres, et si l'illumination vous vient d'ailleurs, prenez-là et lancez-la sur ceux qui vous entoure, dans la plus complète tolérance.

 

Les paragraphes qu'il nous adresse, bien rédigés (il a progressé depuis le temps où ce qu'il écrivait relevait de la rédaction de quatrième d'avant les réformes – d'avant toutes les réformes), nous laissent libre d'approuver ou de nous récuser : mais les points d'interrogation en marge restent bien moins nombreux, sur mon livre de vieux que les phrases soulignées. Rien de dogmatique, des omissions éloquentes, un repli sur les vraies valeurs selon lui, et surtout, une confiance totale en sa boussole interne, si difficile malgré tout à trouver pour chacun. Sont battus en brèche, mais par Tillinac, les convictions humanitaires, l'idée que chacun peut devenir artiste, que de la satisfaction des egos surdimensionnés côte à côte surgira une société plus égalitaire, que de l'effacement des frontières et des sexes viendra la fraternité universelle, que la réalisation de tous les désirs suffira à nos âmes par nature insatiables, que d'une égale répartition des richesses résultera le bonheur universel, mais sont recommandées les vertus de modération, d'efficacité sur son entourage immédiat, de respect de la nature humaine avec ses imperfection y compris la méfiance à l'égard des immigrés (là, on tique, Tillinac, mais mieux vaut connaître ses défauts pour essayer d'y remédier).

 

En gros, les idéaux révolutionnaires ou soixante-huitards ont été dévoyés selon lui, par des tarfuffes, des profiteurs, des interprétateurs, des imposteurs sans le savoir qui égalent un bon rappeur au niveau de Mozart, au nom de l'égalité devant la mort ; mais surtout, par des dogmatiseurs (les gens de 68 ne se savaient pas dogmatiques, il fallait se dresser contre les injustices, mais comme les autres, pas comme soi), et plus encore, par les gens du commun, vous et moi, qui trop souvent avons donné raison à ceux qui se donnaient raison en faisant le plus de bruit. A présent (air connu) il n'y a plus de foi, plus de littérature, plus d'artistes, ou alors, c'est tout le monde, surtout les enfants et les pensionnaires d'asiles psychiatriques prochainement totalement supprimés au nom de la fraternité, il n 'y a plus de saison, tout le monde se nivelle par le bas e tutti quanti, ne pensez pas que Tillinac (et Chirac moins encore) se soit montré novateur.

 

Personnellement, je suis profondément persuadé que l'homme est un ramassis de pensées médiocres, mélangé à quelques conceptions sublimes, assaisonné de névroses de premier jus, et qu'il est très difficile de sauver tout ça, Jésus a échoué, le Bouddha aussi, Marx aussi, et pour moi je ne me sens pas très bien comme disait Woody Allen. Mais nous essaierons, un par un ou touso ensemble, selon notre tempérament. Donc, ma position est celle-ci : je ne suis ni pour ni contre, bien au contraire. Et lorsque nous lirons Tillinac, dans un instant, n'oublions pas que les Antiques, sottement, demandaient à leurs philosophes, en premier lieu, de s'appliquer à eux-mêmes ce qu'ils recommandaient aux autres, ce que nos penseurs d'aujourd'hui n'appliquent pas trop.

 

Il se pourrait que notre auteur vive tout à fait autrement. Nous dirons alors avec saint Paul ou Sénèque ou Diderot ou je ne sais plus qui, « je ne peux m'empêcher de vouloir ce que je ne veux pas ». Donner des conseils n'empêche pas d'avoir une vie de merde, et fouetter ses fils d'être un excellent instituteur. Mais je préfèrerais encore un auteur qui mette en accord ses préceptes et sa vie, Tillinac est sans doute du nombre. Voyons cela : « Ne « gère » pas tes désirs comme un comptable », tiens, attrapez, les bonnes femmes. « Aucune provision, aucune prévision : libre envol sur les ailes de tes songes. » N'oublie pas d'avoir du pognon. « La suite dépend de l'altitude : s'ils percent les nuages pour frôler les étoiles, ils t'offriront davantage que ce que tu en escomptais ».

 

Pas terrible. Fumeux. Tout le monde a de ces désirs qui « percent les nuages ». C'est d'ailleurs ce que demandaient les fameux soixante-huitards : « Soyez réalistes, demandez l'impossible ». Et tout le monde ou presque se casse la gueule. Question de pognon, mais aussi de relations, de volonté, bref, nous commençons mal notre lecture : c'est le plus fort qui gagne, comme d'hab. Passons au paragraphe suivant : « La vie est courte ». C'est du Prudhomme, exprès. « Evacue le plus vite possible ton « refoulé social » - tes complexes d'enfants de pauvre, ou de parvenu, ou de déchu, ou de nulle part. Sans renier tes ascendances, décrète-toi, tel le maréchal Lefebvre, ancêtre-fondateur d'une lignée, et lâche ta vie allègrement sur une perspective cavalière ».

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Cela devient plus grave : un livre que j'ai profondément aimé, approuvé, souligné, devient par la magie du tirage au sort une collection d'aphorismes fumeux, montrant ainsi son envers après nous avoir séduit par son endroit. D'abord, vérifions cette histoire de maréchal Lefebvre, mari de Madame Sans-Gêne (nous aurions préféré Bernadotte, ancêtres des rois suédois) : il semble en effet que de ses treize enfants, douze sont morts en bas âge, ce qui laisse peu de place pour une lignée ; cher Tillinac, vous avez confondu, renseignez-vous. De plus, personne n'est plus complexé d'être fils de femme de ménage de nos jours et heureusement. Mais ceux qui lâchent leur vie « allègrement sur une perspective cavalière » sont les garçons et filles qui en ont eu les moyens, et l'esprit d'audace et d'indépendance s'acquiert difficilement quand dans toute son enfance on a compté les bouts de ficelle pour boucler les fins de mois, et quand tout simplement l'argent a manqué pour faire des études.

 

Certains, oui, y sont parvenus, à force de courage et de volonté. Mais il en faut beaucoup plus que d'autres pour vaincre lorsqu'on sort de certains milieux. Facile de dire « n'ayez point de complexes » : mais nous rappellerons que la caractéristique du complexe, c'est justement qu'on ne s'en rend pas compte. Renseignez-vous, M. Tillinac.

 

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