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Sidoine aussi tu m 'abandonnes...

 

C'était un geste traditionnel des consuls : couronner le dieu Janus "d'un double laurier". Ils promettaient tous la même chose. Être consul n'était plus rien. Juste une titulature décernée par l'Empereur, lui-même consulaire. "L'année écoulée tirait son éclat de l'Empereur, le lustre de celle-ci lui vient du consul, et la trabée rehausse le prestige d'un diadème bien gagné, emerita (...) diademata." "Le lustre" est ici le verbe "coruscare", il n'a rien à voir avec la période de cinq années des censeurs de la République. Précisons : Avitus est déjà Empereur, et ce premier janvier 456, il "prend les faisceaux", comme faisaient les consuls en effet de la grande époque. C'est en sorte une consécration. De juillet à janvier, l'année s'est écoulée, s'est finie. Dorénavant, la dignité impériale sera augmentée de la dignité consulaire, comme si le général en chef (imperator) montait encore en grade en parvenant au sommet de l'Etat.

 

Mais c'est véritablement se tromper d'époque. Au Ve siècle, la situation s'est inversée. Le consulat gardait cependant tout son prestige. "C'est avec des hochets qu'on gouverne les hommes", dit à peu près Bonaparte. Réalité, prestige mythique : manque seulement la mythologie. La voici : "Tu t'alarmes en vain, Muse, parce que l'Auster a frappé les voiles de notre esquif" – non, elle s'en fout, la Muse. Le vent du sud serait ici Genséric, roi des Vandales, qui s'incruste en Afrique du Nord, et contre lequel, vous allez voir ce que vous allez voir, nous allons lever une flotte ravageuse. Et gonflé d'honneur familial, notre jeune Sidoine proclame : "si nous sommes au début de notre course sur la mer de la Renommée, pelago famae, voici l'astre qui sur l'azur des flots veillera sur nous." L'astre, c'est le beau-père, Avitus, le Gaulois, le wisigophile. VII, 16. 31 01 2013. "Un jour, le père des dieux jeta du haut du ciel ses regards sur la terre" : début digne de La Fontaine, qui eût préféré Jupin.

 

Traces.JPGLisant Ammien Marcellin, nous nos apercevons à quel point cet homme révélait aux générations futures des faits qui demeureraient à jamais ignorés, inintéressants. Nous apercevons une foule grouillante et prétentieuse comme les nôtres, et que je réveille du faisceau de mon regard. Apprenant par les éditeurs à quel point Marcellinus est irrégulier, profus en digressions, recourant à des informateurs de plusieurs siècles (aurions-nous l'idée de nous référer à Voltaire pour connaître les mœurs des Allemands d'aujourd'hui ?), et constatant sa survie, nous concluons d'une part que le progrès du temps n'était pas contradictoire avec la stagnation des représentations, sauf en matière de religion ; d'autre part, que le manque de rigueur, de plan et de composition n'affecte pas l'entrée en petite gloire, que nous poursuivons par la seule persévérance de l'esprit.

 

Ainsi mon Prince viendra, peut-être une princesse noire, et ses baisers m'éveilleront. Cette personne sera pour moi un reflet de moi-même, qui éveille les cendres encore si chaudes d'Ammien Marcellin. Salut à vous, quilles renversées des obscurs naufrages. Ma fraternité, ma démocratie, passe par le sauvetage de l'oubli, et non par l'égalité des contemporains, car ce dernier idéal fauche toute joie de vivre, et tout intérêt à la vie : que peut-on espérer, quand on est homme, sinon dominer justement les autres par sa réussite de caractère ? L'ambition est la plus noble des passions, pourvu qu'elle ne soit pas la morgue. Hélas, elle est souillée par ses moyens, qui sont la corruption de l'opinion publique. Ce qui nous a manqué fut l'entregent, l'audace des rapports humains et la confiance, assurément, mais surtout, l'excellence : qui est dans le creusement de soi, incessant, car le fond se dérobe toujours. Jupiter se penche sur moi : mais nous ne voyons jamais son visage, partagés que nous sommes entre l'expectative du dieu, et la reconnaissance méfiante de nos propres mérites : à nous de moduler ces deux justifications sans être dupe d'aucune, et remettons-nous au mystère, et surtout, au travail : "aussitôt tout ce qu'il voit prend vigueur : pour ranimer le monde, il a suffi de son regard ; un seul signe de sa tête réchauffe l'univers".

 

Si Dieu ferme les yeux, la terre s'effondre ; le regard de Dieu n'étant que la force qui maintient la terre, nous nageons dans le truisme jusqu'aux mamelles. Sidoine croyait en ses clichés : un homme imbibé des préjugés de son époque les accepte comme siens. Mais nous ne savons pas si ce ne sont pas ici simples successions d'ornements sans poids. "Bientôt, pour rassembler les dieux, l'Arcadien de Tégée s'envole, Tegeaticus Arcas nunc plantis, nunc fronte volat, vole à la fois des talons et du front", nous reconnaissons Hermès et c'est là qu'il faut rire : avec Sidoine, nous sommes souvent dans l'almanach Vermot. Nous aurons mis 25 siècles à nous désencombrer de cette panoplie, "l'Olympe ! l'Olympe !" gémissait l'éditeur.

 

Encore n'est-ce là qu'une éclipse, car Giraudoux, Camus, remirent la mythologie dans leurs pages, après les derniers feux des peintres pompiers, rions à notre tour. Chacun salua ce retour des dieux, comme les commentatrices de mode les retours de l'ourlet ou de la ruche, qui n'ont jamais disparu non plus que l'espace de trois années. Suivons ce messager zélé quadruplement ailé, sans omettre de rire encore un peu : "A peine a-t-il atteint la plaine, uix contigit arua, et descendu toute la montagne de son aïeul que la mer, la terre et l'air ont envoyés leurs divinités propres." Hermès descend lui-même de Maïa, fille d'Atlas, qui symbolise tous les monts connus. La note érudite précise que Sidoine imite Virgile : rien décidément chez notre homme qui ne soit de pièces et de morceaux, surtout en ces jeunes années où Monsieur Gendre devient de famille impériale.

 

Il ne faut rien de moins que les dieux pour annoncer l'ascension du beau-père au trône. Cataloguons : notre époque a bien la manie des dictionnaires ! "C'est ton frère (...), qui vient le premier, toi qui as coutume de sillonner les flots sur ton char vert, répandant aussitôt la sérénité parmi les vagues étonnées" – cela m'eût bien étonné, justement, que les éléments inanimés, les premiers venus, n'éprouvassent pas ces exaspérants sentiments qui les rendent si fades, si platement prévisibles . Sidoine manie après tant d'autres les cartes gondolées d'un trop vieux jeu : c'est ainsi que des cons nous ressassent "démocratie", "égalité" ou autres, à grands coups de pinceaux détrempés. "Phorcus accompagne les nymphes ruisselantes, et là vous venez aussi, Glaucus, vêtu de glauque", glaucus, Glauce, c'est, pour le coup, le comble de l'exaspération, "et toi, Protée, le plus vrai des devins, sous ta vraie forme", récidive.

 

Ici se mêlent les tics de la jeunesse, qui, de Breillat à Defalvard, aujourd'hui bien éteints, parsèment leurs écrits de jeux de mots usés, car la jeunesse répète la tradition la plus éculée, croyant innover : c'est ainsi que Sisyphe est heureux, s'imaginant qu'il invente alors qu'il vomit ses merdes desséchées par l'usage.

 

Commentaires

  • Je n'aime pas le temps tout droit. J'aime le temps circulaire. Ca rassure.

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