COLLIGNON HARDT VANDEKEEN
GASTON-DRAGON
A L'USAGE DES MAL-COMPRENANTS
Le 10 décembre 1945 au matin, le père de ma mère, Gaston Liénard, mourait écrasé sur le verglas par un camion-benne vide. Ce drame fit de ma mère une épave nerveuse. Elle transmit à son fils l'admiration qu'elle portait à son père, et lui enjoignit de l'égaler en virilité. Ce petit-fils donc exprime ici les sentiments contrastés qu'une telle situation fit naître en son âme. Un tel idéal reste à tout jamais inaccessible. Très souvent, il se comparera au héros grec Héraklès, chargé d'effectuer ses Douze Travaux ; mais lui, petit-fils de Gaston-Dragon, comme il le nomme, n'accomplira aucun exploit : il restera noyé sous sa propre paralysie.
Le présent écrit présente une tentative de transposition, d'interprétation littéraire ; le lecteur en constatera vite les limites, ou les outrances. Ce livre n'est cependant pas plus mauvais que bien d'autres.
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EXERGUE
Les exploits d'Ulysse, accomplis par la ruse et l'intelligence, me semblent méprisables ; car je sais très bien, moi, je suis largement payé pour savoir, que l'intelligence sans la force ne mène absolument nulle part.
Mise en garde L'auteur ne croit ni à l'intelligence, ni au mérite, mais à la loi du plus fort : force physique, force séductrice, force calculatrice. S'il échoue, il n'en tirera nul enseignement. Il s'estimera plutôt victime, il élaborera plutôt les plus fourbes des scénarios, plutôt que d'admettre la moindre part de responsabilité ou la moindre chance de réhabilitation. Sa malhonnêteté intellectuelle pourra ainsi se déployer en toute impunité, sous couvert de ce quil appelle « la littérature ».
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AU LECTEUR
Lisez lentement. Lisez successivement. Ne cherchez pas à tout prix l'enchaînement. Tout se constituera en son temps, à son rythme. Formons une alliance où nous ne craindrons rien l'un de l'autre.
Note
Cet avertissement s'avère en effet de la dernière utilité pour ceux qui ne cherchent dans la lecture qu'un divertissement ; nous lisons trop vite, parfois même la télé allumée, quoique le son soit coupé... Mais l'alliance proposée ensuite, sans souci de cohérence avec ce qui précède (amenée par le simple contraste de « crainte » et de sérénité vient là comme un cheveu sur la soupe, sicut capillus in intrito.
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PERE-HISTOIRE (1)
Père-Histoire ayant expédié l'inconnu - gravé par son nom sur le monument aux morts - dans les camps du même nom (2), fut condamné au peloton. Mon père Noubrozi fut écroué par nos libérateurs (3) , en forteresse à Laon : commutation en droit commun ; quand la « cité » de la ville fut bombardée, Père-Histoire déblaya les corps dont une jeune fille anonyme à bout de bras ; il me dit que rien ne peut rendre l'odeur de la mort. Que rien n'en peut approcher. Dont rien ne donne l'équivalent. Odeur sui generis. J'en viens à penser que cette odeur donne faim ; les pisse-presse, après l'incendie parlant immanquablement d'une « ignoble odeur de brûlé ». Les plus précis hasardent : « sucrée ».
Notes
(1) Il s'agit du père véritable, historique en quelque sorte, de l'auteur, « Noubrozi » (voir cette œuvre, publiée dans le premier numéro de la revue « Le Bord de l'Eau » ; l'auteur se réfère ici à des faits platement exacts.
(2) Cet inconnu, bien que je pense connaître son nom, reste ici anonyme. Il ne sera plus fait mention de lui par la s) uite.
(3) Les Américains
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PARTURITION
Mes trois prénoms chrétiens sont Gaston, Lucien, André. Dieu dessécha mon âme, et purifia mes lèvres d'un charbon ardent; et Isaiae labra carbone ardenti purificavit.(4) La cathédrale de Limoges présente en bas-relief sous le buffet d'orgues les Douze Travaux d'Hercule, paganisme patent, dont nulle notice ne fait mention (5). André, l'Homme, deuxième prénom, fut d'abord le nom de mon second père, le médecin accoucheur. "Boucher !" criait ma mère , « Boucher ! » - le
sang giclait! giclait partout ! sur les murs, sur le sol, les cuisses ouvertes de ma mère et la table aux
pattes torses où la famille a mangé jusqu'à mes treize ans.
Notes :
(4) Dans l'Ancien Testament, les lèvres du prophète se trouvent ainsi habilitées à porter la parole de Dieu. C'est ainsi que notre auteur s'égale aux plus nobles figures bibliques.
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(5) Cette observation, exacte au demeurant, ne présenta aucun lien apparent avec ce qui précède, ni avec ce qui suit...
..."Me voici. Mes yeux sont d'azur baignés."
Valéry, "L'Enfance de Sophocle"
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GOYA
Sans souvenir encore. Pourtant, passé le meurtre des serpents (6) , d'autres monstres se lèvent à l'horizon d'une mémoire antérieure, d'immenses jambes nues franchissent au loin en déchirant les brumes de longues étendues d'eau pâle, terre et mer emmêlant leurs contours indécis. Fermant un instant les yeux, puis les rouvrant, je m'aperçois que les visions s'estompent. Je porte au sommet du crâne l'ombilic ou la fontanelle des vies antérieures. Mère avant moi déjà vivante. Boute-en-train – pour étrange que soit le terme ,désignant un étalon chargé d'exciter la jument, puis qu'on éloigne pour lui substituer, en douce, le véritable géniteur. « C'était un numéro » ajoutaient les commentateurs - définition de cirque ; jusqu'à une date toute récente, j'ai cru que lres circonstances sanglantes de ma naissance l'avaient transformée en créature dépressive, or, elle l'avait toujours été, comme tous les « rigolos ». Mais le visage de ma mère m'apparaît surtout, dans ma mémoire,
comme celui d'une Gorgone, au hideux rictus (7)
Trône à seize ans ma mère en costume d'Esther sur un cliché sépia parmi les jeunes pensionnaires entorchonnées de châles. "Un jour en classe » dit ma mère « à la question "qui fut le roi de la Lorraine en 1738 ? j'ai crié : Stanislas Leszczynski !" (8)
Ma vie est le monde, et son histoire, ma cosmogonie.
Notes :
(6) Allusion aux deux serpents envoyés par Héra pour étrangler Hercule, encore au berceau. N'oublions pas que notre héros, de loin en loin, prétend se hausser au niveau du grand Héraclès ou « Hercule »(7) L'auteur exagère. Mais il ne renonce pas à transformer les évocations de son enfance en épisodes
mythologiques, sans omettre les références picturales (Goya, Valéry, Sophocle – le foutoir...)
(8) Deux circonstances où la Mère se trouve mise en valeur. Ce rappel se relie difficilement, là aussi, à ce qui précède ou à ce qui suit.
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LA MORT DU DRAGON (9)
Histoire de la mort du père d'Alcmène, Gaston-Dragon. Gaston, de « Vaast », prononcé [vâ], («gare St-Vaast »de Soissons). Saint Gaston initia Clovis aux mystères chrétiens - « Terre Guaste » signifie terre déserte, dé-vastée. Die Wüste. Un jour de verglas, 8 h 12, décembre 1945. Gaston-Dragon meurt écrasé par un camion-benne à betteraves, vide, tête broyée, plate comme un fromage au sang ; c'était de son vivant le « chien » du patron : le contremaître, celui qui aboie sur les ouvriers « Plus vite fainéants ! » Dur-à-lui-même-et-aux-autres comme on dit, universellement détesté à la sucrerie d'Aguilcourt Arrête ! Arrête ! tu viens d'écraser le père Liénard ! (là-bas en Picardie on ne dit pas « Monsieur, Madame », on dit « le père », « la mère ») - Mais je lui parlais y a pas une minute - Il vient de glisser sous tes roues !
Quinze jours avant sa retraite. Quinze jours avant Noël. « Quand j'ai vu » dit la Veuve « arriver de loin le Maire, l'Adjoint, le Patron, tous en noir chapeau bas j'ai su tout de suite qu'il était arrivé quelque chose." Notables de campagne aux phrases convenues - il se retirait toujours pour que je n'aie pas d'enfant - « Tu les préfèrerais à ma fille (10) ! » - et cette fille était ma mère Alcmène absente ce jour-là, où la Seconde Epouse du Dragon, debout, se prenait la Mort en pleine
face. Si éloignée que fût ma mère, à dix kilomètres en ces temps si lointains où le bout du monde était l'autre chef-lieu de canton, juste le téléphone du Maire en cas d'urgence, elle fit un rêve : mon père était sans tête criait-elle je ne vois pas la tête papa papa – s'il portait ou non un bandeau dans le rêve - si le sang (11) (...) - je ne sais plus répond-elle plus de tête plus de tête un souvenir coagulé comme à bout de souffle à bout de mémoire ; j'ignore encore jusqu'au bout si ma mère a pleuré crié je ne connais pas le tréfonds de ma mère (12). (En vérité Gaston-Dragon portait de larges bandes étanches et immaculées sur ce même lit d'exposition du corps où je devais plus tard enfant rejoindre Seconde Epouse devenue veuve, à sept heures du matin en été, mes parents dormant encore ; elle frappait doucement sur les conduits d'eau chaude, pour que je la rejoigne au sein de cette couche imprégnée de bergamote et d' « odeur de femme » - il faut un odorat subtil et affiné pour sentir le plus quintessencié des parfums. Je prétendis un jour en être incommodé. « Comment peux-tu » me dit la veuve «savoir ces choses-là ? » - ainsi donc loin d'en faire mystère les femmes admettaient comme allant de soi, reprenaient à leurs compte et maléfices cette appréciation révoltante... Ma mère Alcmène prétendit (j'avais là-dessus opiné de jour, en pleine cuisine) que j'avais dû « flairer » (c'était mon mot) parmi les jambes ouvertes de la bonne logée chez la Veuve et qui se fût au rebours de toute vraisemblance assoupie sur sa chaise en position propice - je ne me souvins d'aucune exploration, ni reptation, de cette espèce.)
Notes :
(9) Retour au thème de cet ouvrage : la mort accidentelle du grand-père, que l'on assimile à un dragon germanique...
(10) Telles sont bien sûr les paroles incongrues qui résonnent à ses oreilles à l'instant même où elle apprend la mort de son mari, Gaston-Dragon.
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Questions que j'ai posées, plus tard.
(12) Sept années ont passé, l'auteur évoque ici, par contraste, l'un de ses premiers souvenirs dit « voluptueux »
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FIGURES DU PERE (13)
Un père tout embarrassé, comme contaminé, de son entrave charnelle : Amfortas, Roi Pêcheur, Cophétua (« Que fais-tu là?) blessé, navré, mehaigné d'un coup de lance enmi les hanches non pas claudiquant mais bien dévergé, lacéré et castré ; à lui tout le miel et la résurrection selon son rite, lorsque la terre gaste reprendra couleurs de fleur et d'herbes, rameaux, bourgeons (14). Je consolerai ce père et oindrai ses parties de ce natron dont on conserve les momies car « il est plus grand mort encore que vivant. (15) Arthur roi des échecs - Arcturus : « L'OURS » ; à déplacer case après case, parcimonieusement, dont l'ultime campagne se fit contre le fruit de son inceste (Mordred l'Usurpateur) qui le trancha de son épée, tant qu'on vit le ciel entre les lèvres de sa plaie (16). ...Arthus figé, en son palais de Camaalot, dans une éternelle célébration de Pentecôte ou d'Annonciation ; premier célébrateur, démiurge de ce monde où nous vivons et mourons tous (17) ; sans aventure personnelle ni quête qui vaille, mais bien les ordonnant, les déléguant : tout ce qui part du roi se voit fondé, se déroulant, lui revenant, tout accomplissement s'estampille, s'authentifie par lui : assimilé de la main blanche (18) aux divinités de Rome, tout citoyen romain quoi qu'il fît en effet se référant au regard, à l'action d'une entité divine ; actions décalquées, répercutées à l'échelle du ciel, firmamentum, inscrits, portés en ombre. Père : aussi bien Wotan déchu, dépité dans l'amour des Walsung, héros humains et vaincus - ou Encélade, enchaîné sous l'Etna (19).
Je fus adoré de mon père. Il se fonda sur moi. Ainsi les mortels rachetaient-il les dieux(20) ligotés de certitudes ; tout homme est Messie ; toute femme emmure dans le temps, de la naissance au grand scellement de la mort (21) . Ni le Christ ni Oreste ; ni même Isaac fils dAbraham (22) qu'il
épargna ; je fus, avec mon père, juste un homme. Valant n'importe qui. (23)
Notes
(13) Sans lien direct avec ce qui précède, l'auteur à présent évoque la figure de son propre père, mari d'Alcmène. Il se le représente sexuellement mutilé, à l'instar du roi Amfortas.
(14) C'est ce qui se produira lorsque le roi blessé recevra le baume guérisseur : tout son domaine refleurira.
(15)Noter ici le disparate des références : d'une part, l'embaumement des momies égyptiennes ; d'autre part, les paroles prononcées dit-on par Henri III lorsqu'il aperçut au sol le corps de son ennemi Henri de Guise, qu'il venait de faire exécuter : « Qu'il est grand ! Il est encore plus grand mort que vivant. » Le roi de France put s'en apercevoir : il fut assassiné, par vengeance, moins de huit mois plus tard (1589)
(16) Allusion ici à La mort le roi Artus, de Chrétien de Troyes ; l'auteur a rassemblé ici plusieurs souverains légendaires, tous frappés d'une forme d'impuissance, politique ou sexuelle.
(17) Nulle part il n'est question de ces attributions du roi Arthur, ici purement imaginaires.
(18) Il s'agit d'une sorte de magie blanche, qui assimilerait le roi Arthur aux divinités romaines ; il y en avait un grand nombre. Toutes les activités humaines possédaient un dieu. On ne pouvait agir sans se trouver sous le regard de l'un d'entre eux.
(19) Dieu ou titan, réduits eux aussi à l'erreur ou à l'enchaînement.
(20) Thème du père que le fils rachète.
(21) L'homme sauve ; la femme est menace d'engluement.
(22) Il ne manquait plus que celui-là.
(23) ...Sartre, par-dessus le marché.
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PREMIERE APPARITION DES EURYSTHEES
Le roi de Mycènes, Eurystheus, dont le nom signifie « aux grandes forces », fut le beau-frère et le commanditaire des travaux d'Hercule (24). Un jour sur cet écran qui me tient lieu de ciel (25) sont apparues dans le jeu les Déesses Jumelles, au longues chevelures blondes, qui s'exprimèrent parlèrent ainsi : « Nous sommes les Eurysthées ; nous te révélerons les fallacieux accomplissements de la soumission (26) ; car si c'est bien par elle qu'on obtient ce qui surpasse toute rébellion, soumission s'accordant à Dieu, c'est dans la convulsion de la défaite et de la mort que toute grandeur se révèle, puisque le couinement du rat sous la serre s'inscrit à tout jamais dans le temps, dimension de l'homme dont l'éternel se trouve à tout jamais privé » (27). Lorsque Gaston-Dragon mourut, la terre s'arrêta ; seul celui qui meurt demande un nom sur sa tombe. Qui se soucie du nom d'une divinité ? «Ô Zeus, ou quel que soit le nom que l'on t'accorde... »
Innombrable est le compte de ceux qui doivent mourir. (28)
Notes
(24) Ce personnage est relativement obsédant chez notre auteur.
(25) Ecran d'ordinateur évidemment.
(26) « On obtient tout par la soumission » - « Plus fait douceur que violence » - mais ce n'est bien souvent qu'une illusion : l'on perd plus, tout compte fait, que ce que l'on gagne...
(27) ...Mieux vaudrait alors se faire écraser, mais dans la révolte et la plus orgueilleuse fierté...
(28) Les phrases apparemment erratiques se rapportent à un sentiment d'immortalité divine accordée au grand-père Gaston-Dragon ; tant le souvenir transmis est demeuré vivace dans l'esprit de son petit-fils. Comme Dieu, ou la Divinité en soi , il n'aurait pas même besoin de nom pour être invoqué (la tombe de Gaston n'est plus visible, et se trouve à présent sous un croisement d'allées du cimetière de Guignicourt, indécelable ; c'est là qu'il faut certainement chercher la raison de ce brusque épanchement mystique).
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PERE DECEDE (29)
Père décédé disait le télégramme. Un certain Evguéni, père de mon père (30), passa dans l'opinion pour le mort : buveur, pourri d'asthme et bassiné d'eucalyptus. Le tampon de la poste indiquait '"GVIGNICOVRT". En cette époque les époux naissaient à trois lieues l'un de l'autre. Les cousinages étaient légion. Les types humains, appelés races, n'étaient que des ressemblances de familles. Mais les géographes ont cru, de bonne foi, qu'il existait de telles « races », vosgiennes, meusiennes, comtoises... Gaston-Dragon, Evgueni, un seul village, de quel père s'agissait-il ? Eugène Collignon, 1873-1945 ; époux de Sinne, Wisigothe, 1883-1959. Parents de mon père.
Notes
(29) La figure du père (ou du grand-père) bascule perpétuellement de la surévaluation à l'évanescence, à l'évanouissement. L'auteur oppose ici le père de sa mère (Gaston-Dragon), présenté comme un parangon de virilité, à son propre père, estimé lâche et pleutre.
(30) Eugène Collignon, autre grand-père de l'auteur. Il n'existait aucun lien de parenté ni de ressemblance physique entre les deux grands-pères, tous deux nés près de Verdun, puis échoués, par hasard, à Guignicourt.
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PAROLES RAPPORTEES
De Sinne, Wisigothe (31) : A Guignicourt, la guigne y court.
- Pour être satisfait de son destin, toujours regarder au-dessous de soi.
"Le vin d'Arbois, plus on en boit, plus on va droit" : Une carte postale du cru représente un incoyable (1795) vacillant sur son gourdin tordu ; ajouter à la consommation du vin d'Arbois celle du pastis (Evguéni), et le guignolet-kirsch (Sinne) - je n'ai jamais dit-elle à sa bru éprouvé le moindre plaisir avec mon mari. Mon père Noubrozi m'a dit : J'ai assisté à des scènes, mon fils, dont tu n'as pas idée (le poussant quelque peu sur ce sujet, j'ai cru comprendre qu'il s'agissait de bagarres à coups de chaises entre époux plus que fortement éméchés).
Note
(31) Epouse d'Evguéni ; mère de Noubrozi, père de l'auteur. Surnommé « Mon Colonel » par son mari. Mère Fouettard...
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LE ¨PETIT HOMME DANS LE LIT DE LA VEUVE (32)
Je parlais avec elle à sept ans, Veuve de Gaston Dragon, à sept heures du matin (voir plus haut) ; je lui décrivais une base militaire secrète, sous les glaces d'Arkhangelsk, où s'exterminaient les espions des deux camps. C'était l'an 4004 de notre ère ; la naissance du Christ passait juste entre nous et la Création du monde. Les Martiens, disait Veuve Dragon, possèdent deux mille et cinquante ans d'avance. Les soucoupes parurent cette année-là dans le ciel, particulièrement nombreuses.
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Ou : l'auteur dans le lit de sa grand-mère, à Guignicourt
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DEUXIEME APPARITION DES EURYSTHEES (33)
Ce chapitre, où se précise la mission démesurée d'Héraklès, présente une fois de plus de nettes similitudes avec les indication de jeux vidéo ; le lecteur doit bien garder à l'esprit ces données du game boy, afin de ne pas céder aux désorientations. Les Jumelles Blondes ou
« Eurysthées » empruntent leur nom à celui du commanditaire, Eurysthée, beau-frère d'Héraklès, afin qu'il accomplisse les « Douze Travaux d'Hercule ». Ce subterfuge littéraire (34) est destiné à introduire l'Olympe dans l'aventure somme toute banale d'une famille d'agriculteurs ouvriers lorrains. L'écran montre un char de feu sur fond d'étoiles, et deux immenses chevelures blondes retombent sur quatre reins ; les comparatistes évoqueront qui les Walkyries, qui Guenièvre, ou Yseut, princesses dignes d'amour (et d'abnégation).
La voix des Eurysthées offre le sensuel métallisme des artefacts téléphoniques : structure hachée, voix gazées (mirliton, papier à cigarettes ?). De ces jumelles lovées, incurvées tête-bêche naguère dans la même poche utérine, émanent désormais deux souffles retournant aux mêmes bouches. Le voyeur ou le joueur éprouvent la sensation à la fois douce et confuse d'une masse de cheveux, étouffante un peu, sur les narines et la bouche. L'écran affiche ce qui fut la Mission même d'Héraklès : purger le Continent de tous fauves et reptiles. Je conclus hâtivement qu'il faut me concilier ma propre mère, en m'assimilant au père même, si célébré, de cette dernière : Gaston, ou Vaast, celui-là même qui jadis catéchisa Clovis, et périt sous les roues d'un véhicule utilitaire.(35) Les Eurysthées figurent toujours dans le ciel, sur un nuage en forme de char. Voici les chances, ou « armes » :
1°) les avantages de mes adversaires ne seront ni la Peur qu'ils inspirent ni la Force, mais l'Envoûtement, la Fascination (appelée « charme », « pitié », « langueur ») (36)
2°) étant l'offensé, j'aurai toujours le choix des armes (les autres, quoi qu'ils aient fait ou omis de faire, seront toujours dans leur tort.)
J'éprouvai à ces voix de grandes voluptés, suivant de l'œil les profils sinueux des deux sœurs jumelles ; j'aurais enfin
3°) le droit, sur mon lit de mort, de crier "Assassins, assassins" (titre de Philippe Djian) à tous ceux qui me soigneraient, devant tous vivre alors que je mourrais, infirmières décolletées, blouses transparentes et bordures de slips visibles (dans What (titre de Polanski) l'héroïne chevauche un vieillard agonisant, jupe relevée : Origine du monde au seuil de laquelle retombe foudroyé le vieux aux yeux brisés d'extase, murmurant "Que c'est beau". (37)
Notes :
(33) Personnages imaginaires, déjà rencontrés. Ces Jumelles aux longs cheveux blonds apparaissent sur l'écran
de la console de jeux de l'auteur. Il semble bien qu'elles représentent ici l'éditeur, qui passe commande auprès de l'auteur lui-même.
(34) ...et mégalomaniaque...
(35) Confusion soigneusement entretenue entre Héraklès, cha rgé de tuer le dragon, et saint Gaston, ou « Vaast », ecclésiastique ayant réellement existé (à défaut de l'Olympe, du moins l'Histoire sainte...) Tous deux ont une tâche particulièrement difficile à accomplir : purger la terre de ses monstres, ou l'esprit de Clovis, roi des Francs, de ses démons païens. L'auteur multiplie les modèles de virilité, afin sans doute de n'en élire aucun.
(36) Le thème du vaillant héros amolli par la traîtrise de ses adversaires, en particulier féminins, lui servira toujours d'excuse pour ne pas avoir accompli sa mission, pour avoir failli à son idéal. Nous sommes avertis : ce sera toujours la faute des autres, et l'auteur n'aura fait que succomber à sa confiance et à sa naïveté.
(37) Soit une (Olympe), deux (Philippe D.), trois et quatre références (Polanski, Courbet). Je m'avance donc en toute sûreté. J'utilise désormais la première personne, afin de ne rien dissimuler de ma vanité. Le mot « vanité » signifie, à l'origine, « vacuité » (de « vacuus », « vide »).
Les Eurysthées m'accordent en fait l'exorbitante autorisation de ne rien faire, de m'en trouver absous, d'accuser les autres, et par-dessus le marché de me plaindre d'eux. Est-il nécessaire de préciser que jamais éditeur n'a conseillé à son auteur de se conformer à de tels schémas ; il faut donc que ces Jumelles symbolisent tout à fait autre chose.
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MISSION (SUITE)
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Tu feras, dirent-elles (et leurs voix alternées (amœbées) (38) vibrent comme un écho (à la façon des anges d'Abraham) l'amour, aussi souvent, aussi longtemps que nécessaire ; « en effet, » poursuivait la seconde, « loin de nous l'idée que l'abstinence confère quelque pouvoir que ce soit". Tel Antée reprenant vigueur sitôt qu'il touchait du pied la Terre (sa mère), je recouvrerais mes forces sitôt que je suivrais à la lettre les indications confiées sur un phylactère (parchemin roulé passé dans la ceinture.) Muni de ce précieux viatiques et sans me battre ! j'affronte le monde entier, en évoquant les souvenirs de ces ténèbres prénatales, avec les précisions me permettant de reconstituer sur pilotis ma cité lacustre (ce concept popularisée par les historiens n'a peut-être jamais existé, les pilotis n'étant dit-on que des appuis de cloisons, le niveau des lacs s'étant alors élevé : c'est la deuxième thèse).
Je me souviens d'immenses salles de mariage, de grandes formes d'hommes et de femmes enjambant l'espace, où minuscule je cherchais à disparaître dans les forêts de jambes...
Notes :
(38) Les chants amoebées (prononcer « a-mé-bé ») sont utilisés lors de joutes verbales et poétiques entre bergers, tandis que leurs troupeaux nécessairement bucoliques paissent paisiblement...
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CORPS A CORPS
Les Eurysthées me convient à une lutte à trois (39) de type grécoromain dont je parviens à me dépêtrer (40), bien qu'elles se soient révélées plus musculeuses et souples que je ne pensais : plus d'une fois leurs clés m'ont ôté le souffle. L'Ange ayant plusieurs fois touché terre demeura
vainqueur, laissant au fils d'Isaac une boiterie de la hanche en signe d'appartenance. Les Muses
(41) m'ont tordu à ras de sol, et les voici à présent qui râlent contre le sable (42) ; reprenant leur vol, elles m'assurent que je porterai à jamais la marque d'une extrême vulnérabilité : un point particulier du corps, comme un talon d'Achille mal baigné ; Siegfried mal baigné du sang du Dragon, portant dans le dos à mi-chemin d'épaules ce point "qu'on n'atteint jamais", emplacement funeste d'une simple feuille - sexe de femme entre les épaules ? - que le traître Hagen transperce de l'épieu (43) ; il n'est cependant pas inéluctable que je périsse un jour de la sorte : les livres m'entourent de toutes parts (44)
Je me suis relevé fortifié ; une pénétrante odeur de tilleul (45) se dégagede mes épaules (dans mes vies antérieures je n'ai combattu qu'à mains nues, craignant que l'adversaire justement ne retournât mon arme contre moi ; recherchant le corps à corps et la morsure (Tu te bats comme une fille - j'en étais fier) (mais je refusai d'être femme, pour ne pas échanger de prison contre une autre (46) ) - (les Eurysthées me confirmèrent que les femmes exigent entre elles un certain nombre de contraintes que nul héros, fût-il (47) masculin, ne saurait affronter. Désormais je renonce à relater mes nombreuses entrevues avec les Eurysthées ; elles m'ont tant visité qu'elles flottent pour ainsi dire autour de moi comme la Cape d'invisibilité, die Tarnkappe (48)
Notes
(39) Il semble exclu de voir ici une représentation symbolique du triolisme ; cette note même cependant invite à la plus grande circonspection.
(40) Le but de cette lutte est en effet d'immobiliser l'adversaire, à l'aide de figures appelées « clés ».
(41) Autre façon de dire « les Eurysthées »
(42) Tantôt les unes, tantôt l'autre (comme ici) ont le dessus.
(43) Noter une fois de plus le brouillage des références. : bibliques, antiques, germaniques.
(44) Il n'est pas précisé si les livres agissent à la façon d'un rempart, qui isole, ou à celle d'une armure, qui permet de vaincre l'extérieur.
(45) Signe de victoire, mais aussi bien de vulnérabilité.
(46) La digression n'est qu'apparente.
(41) Ou « futile » ?
(48) Procédé consistant à supprimer du récit une instance, des personnages dont on ne sait plus que faire, dissimulé sous une dernière pirouette culturelle, en l'occurrence germanique.
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VOCATION DE PRETRE (49)
C'est une bien belle église que celle de GVIGNICOVRT. Enfant, bigot, bien gominé, j'escaladais par le talus d'abside la pente glissante et couverte de ronces d'où tombait, pressé, impérieux, du clocher, le premier coup de la messe (50) . J'ai dérapé dans mes souliers dominicaux, serrant dans le poing une image pieuse où l'on avait cousu en scapulaire un coupon véritable de la robe de Marie. J'ai prié, pesté contre la boue, l'âme pure et les pieds sales. Franchissant enfin le porche, qu'il m'aurait suffi de découvrir en contournant le bâtiment d'église, par la grande entrée, comme tout le monde, je constatai que pas un paroissien ne s'était encore présenté.
Déçu de leur tiédeur, fier de mon épreuve, premier de l'assemblée, j'ai attendu, à la fin de l'office, le prêtre dans la sacristie. Les enfants de chœur troussaient par-dessus tête leurs soutanelles rouges à dentelles douteuses sans mesurer un seul instant l'honneur insigne qu'ils avaient eu de côtoyer le Seigneur-même. A l'homme de Dieu j'ai déclaré « Je veux devenir prêtre » Or loin de s'extasier, ("Voyez ce jeune garçon ! il n'est pas comme vous ! il sera prêtre !") il ronchonna je ne sais quoi, me renvoyant à moi, petit merdeux. (51)
Notes
(49) Digression sur le catholicisme. L'auteur, en mal de références, donne ici uen version abrégée d'un souvenir d'enfance authentique (le souvenir, pas l'enfance. )
(50) L'enfant ne s'est pas aperçu que le véritable porche de l'église se situait de l'autre côté, à l'endroit...
(51) Il fallait bien caser ce souvenir-là quelque part.
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MA MERE EN DELEGATION (52)
Il me revint de racheter les pleurs de ma mère : toute jeune à GVIGNICOVRT, privée en son temps des funérailles de sa propre mère (« Tu n'iras pas à l'enterrement de cette traînée ») (53)
(premier oracle de Gaston-Dragon) ma mère Alcmène fut déléguée en rattrapage aux inhumation paroissiales, représentant la famille. Un jour (54) ce fut son propre tour (ou « MA MERE EN REPRESENTATION ») (55) et je me suis placé le lendemain à cet endroit précis où vacillait la veille (56) , perché sur ses tréteaux, le cercueil plein d'elle afin d' y flairer cette amorce de macération -
que rigoureusement ma mère
m'interdit de nommer ici – (57)
du sol où j'ai sentis ce lendemain, physiquement, la vibration d'une masse de chêne verni fantôme dont mon père l'instituteur m'avait jadis transmis la dénomination magique : parallépipède rectangle. Ma mère désira - des obsèques religieuses : "Si nous n'attendions pas » disait le prêtre « la résurrection, à coup sûr nous ne serions pas ici réunis" - c'était bien là une réponse à cette faconde de mon père qui cabotina sans doute (60) : "Je ne crois pas à toutes ces histoires de Résurrection, de Bon Dieu, de jJugement" - du ton faraud de celui qui suça le lait sûri de l'Ecole Normale et républicaine. A qui on ne la fait pas. Sur le corps de ma mère le prêtre agita le goupillon, et ce fut tout. (61)
Notes
(52) Le plan de l'ouvrage consiste en un cheminement sinueux ; ici, l'auteur veut montrer combien il était difficile d'appréhender le caractère dépressif de sa mère.
(53) Bien se souvenir que cette épouse indigne avait trompé son mari tandis qu'il combattait sur le front.
(54) Beaucoup plus tard, le 2 août 1984.
(55) Elle représentait, dans le rôle principal, et bien malgré elle, son propre enterrement
(56) Et non pas « la vieille », humour.
(57) Brassens, évidemment...
(58) Ma propre fille, que je croyais ainsi éduquer à la mort, me reprocha plus tard de lui avoir imposé cette épreuve bien trop tôt (elle n'avait que onze ans).
(59) Je reviens désormais au lendemain de l'enterrement, où je suis revenu, à la même heure, devant l'autel, à l'endroit précis où avait été déposé le cercueil de maman.
(60) Lors de l'entretien supposé qu'il eut avec le prêtre pour définir les modalités de la cérémonie.
(61) Paragraphe particulièrement difficile à suivre, en raison du glissement perpétuel entre le jour de l'enterrement, la veille de celui-ci (où peut-être mon père s'est entretenu avec un prêtre ) (mais je ne le pense pas), et le lendemain, où moi-même suis revenu sur les lieux ; j'y ai ressenti d'étranges phénomènes, peu perceptibles, ici amplifiés.
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DE MA MISSION, ET DERECHEF (62)
"Tue le Dragon » dit mon père ; « délivre-nous toi et moi en atteignant Gaston où qu'il se trouve, Enfer ou Ciel. (63) Jamais, mon fils, jamais ta mère Alcmène, telle que tu l'as connue, n'a pu admettre que je fusse en quoi que ce soit l'équivalent de son père des Terres Guastes (64) . Si tu te baignes dans le sang de ce Gaston-Dragon, il te révèlera son règne et sa longévité. Tu deviendras lui, et vous ne serez plus qu'un, moins maléfique pour moi, je sais que tu m'aimes. Pour toi tout bénéfice : pourvu à ton tour de toute supériorité, tu consoleras ta mère la tête haute, et ton père sera plein d'estime (65), et toi-même deviendras à ton tour Fondateur (66) . Il n'est pas exclu que le cycle se reforme parmi ta descendance - que t'importe ? » Il n'ajouta pas que j'aurais enfin dénoué le fil des générations, devenant père de mon père et de ma mère. (67) Je ne promis rien et fis bien ; mais il me défendit de l'imiter, ni de me soucier de lui. Ce qui me fut impossible. (68)
Notes
(62) L'auteur veut faire croire qu'il a volontairement commis une maladresse, sous forme de pédante répétition. En réalité, il s'agit d'un rafistolage.
(63) En clair : « Débarrasse ta mère du souvenir de son propre père ; imite-le, remplace-le, mais débarrasse-nous tous de cette présence morbide. »
(64) Nous rappelon que « Gaston » ou « Vaast » a peut-être pour origine le germanique « gouast », qui signifie à la fois « dévasté » et « désert ». Cela renvoie au roi mutilé Amfortas, dont le royaume était dévasté, jusqu'à ce qu'on trouve de quoi guérir son souverain...
(65) Le père de l'auteur, Noubrozi, parle de lui-même, tel qu'il sera une fois délivré de ce pesant fantôme.
(66) Fondateur d'une nouvelle dynastie, repartant de zéro, et parfaitement purifiée de ses miasmes.
(67) Le pouvoir de rédemption que je m'attribue aisi s'étendrait aussi bien sur mes ascendants, mon père et ma mère, que sur mes éventuels descendants.
(68) En clair : au lieu d'imiter Gaston-Dragon, père de ma mère, décédé avant que j'aie pu vraiment le connaître, j'ai fortement été imprégné par la personnalité de mon père, bien plus névrosé ; ma mission aura donc échoué. De toute façon tout ce monde-là est mort, « et moi-même je ne me sens pas très bien » (Woody, évidemment)...
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ENQUETE
Consultant alors les Eurysthées j'appris :
-
que Gaston, fervent joueur d'échecs, initia mon père son gendre à ce jeu pendant neuf mois d'état de grâce après les noces ; que jamais du vivant du Dragon, avant que la Roue n'eût fait éclater son crâne, mon père ne l'avait vaincu - la diagonale de l'Evêque ( Bischofsdiagonale) surgissant de l'angle opposé sans qu'il eût jamais pu parer la Tenaille de la Mort (Todeszange) ;
-
chose ignorée de tous les acteurs de cette histoire : l'homme des terres-guastes (69) ne pouvait se fléchir que par le recours à la femme (70) ; à tout homme il ne laisserait nulle chance, le combattrait à mort. En ce temps-là je consultai beaucoup. Or ma mère s'écria : "Jamais mon père ne m'a manqué de respect" - il est tant d'autres façons, Lotharingienne Alcmène, de manquer de respect à sa fille. (71)
Notes
(69) Est constamment désigné ainsi Gaston-Dragon lui-même, dont le nom (Gaston/Vaast) signifie « désertée »
(70) J'ai donc fort peu de chances, en tant que garçon, de fléchir l'esprit courroucé de Gaston-Dragon, décédé
de mort violente.
(71) Ne pas autoriser sa fille à revoir sa propre mère, fût-ce le jour de son enterrement, constitue un traumatisme aussi destructeur que celui de l'inceste.
20
LES EBRANLEURS DU MONDE - ENOSICHTHONES (72)
Mes investigations menées à bien (dans ce lieu idéal où l'on ne mange ni ne dort, où l'on demeure sans cesse éveillé sans fatigue, où le temps lui-même obéit à des lois inconnues) (73) j'ai reçu à nouveau la vision des ébranleurs du monde : Héraklès encore parut en ses dimensions véritables, torse nu de trois-quarts, tête, épaules. Effaré je contemplais cette expression massive, dominant de la barbe et des bras musculeux la plaine brumeuse où fuyaient les foules sur leurs chariots, traînant leur exode éperdu sous les cuisses mêmes du monstre (Francisco Goya y Lucientes). Je le vivais en ma vision, ce tableau, de toute ma frayeur ; craignant que le monstrum, signe des dieux, qui proprement démonstre leur puissance, ne se retournât. Devais-je en vérité m'affronter à ce Colosse, afin de refonder l'harmonie de leur Monde, recousant leurs lèvres et les miennes ? (74)
Notes
(72) Les Grecs appelaient ainsi Poséidon : l'Ebranleur du sol ; il présidait également en effet aux tremblements de terre.
(73) L'auteur veut désigner ainsi, de façon inutilement alambiquée, ces régions de soi-même profondément enfouies, à l'abri des atteintes extérieures.
(74) Il n'y a pas ici à proprement parler de succession chronologique ou même dialectiquement logique ; la réflexion procède à la façon d'une ellipse, revenant souvent sur ses pas, ou bien élargissant son champ d'investigation de manière imprévisible. C'est la seule justification que nous ayons pu trouver à ces redites et autres redondances de l'auteur.
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DIEU EN SOI (75)
Rien ne garantit que l'intuition, ou la raison seules, m'eussent mené sur la bonne voie : l'ignorance et la malédiction humaines l'emporteront toujours (76) De Gilgamesh à Faust, la seule chose qui importe est de se garantir, « seul animal » dit-on « qui sait qu'il doit mourir » : "Si vous goûtez de cet arbre de vie » - nous en avons goûté, nous sommes morts - « vous connaîtrez le bien et le mal » - nous sommes dévorés de différences - « et vous serez comme des Dieux » - car tout dieu abolit toutes différences, toutes contradictions poussées à l'extrême, et cependant fondues - toutes découvertes ne sont-elles pas conjointement le plus grand blasphème et la mort du dieu, son remplacement, sa succession ?
Alcmène, mère mythologique et véritable d'Héraklès, répond à Zeus (il ne s'agit que d'une obscure famille picarde) : "Ne me parle pas de ne pas mourir tant qu'il restera un légume immortel" (Amphitryon 38 Acte II Scène 3). S'il n'y avait plus de mort, tenant compte des infinies possibilités des temps, toutes les virtualités successives ou simultanées de l'homme pourraient s'accomplir, il ne serait plus alors besoin d'une multitude d'hommes, et seul existerait Moi-Dieu ; qu'importerait alors qui je suis, ou mon nom. J'aime donc qui je suis à présent, nommé dans et par ma mort, mon corps et ses déplacements, et sur ma tombe on lira : Ci-gît Héraklès, homme de lettres - deux dates, le trait d'union. C'est donc pour l'épitaphe seule que je vis, le nom, et non l'éternité, son exact contraire.
Notes
(75) Le texte vise à se hausser au niveau de la recherche métaphysique. Nous avons ici des réflexions assez élémentaires, sincèrement ressenties, mais volontiers boursouflées.
(76) Il ne s'agit donc plus seulement de neutraliser les forces maléfiques de Gaston-Dragon, mais de découvrir, ou d'approcher, à l'occasion de cette quête, les mystérieux rapports ou oppositions entre l'homme et le Divin.
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LA MORT DU JUSTE (77)
Gaston-Gustave, dit le Dragon (1885-1945), mourut sans que je l'aie frappé (78). Avant que j'eusse pu le faire, soit lors de ma petite enfance. L'affliction ne s'applique pas au tiède (79); Evguéni, évoquant les derniers sacrements de l'Eglise, prononça ces mots : « Si ça ne me fait pas de
bien, ça ne me fera toujours pas de mal ». Et il les accepta (80) - l'affliction sincère, en revanche, vole à tire-d'aile vers Gaston maître-chien, ce qui désigne chez les betteraviers le contremaître haï de tous, l'accélérateur de cadences, dur à soi-même dur aux autres. Son crâne a fini broyé entre roue et verglas. (Pour moi je suis tendre à moi-même ; de dureté pour moi les autres se sont bien assez chargés (81). Lorsque Gaston-Dragon de nuit rentrait du bistrot, il aboyait à toute force en faisant gueuler tous les clébards enchaînés du village et les hommes juraient : Ce con de Dragon !(82)
Notes
(77) Retour sur la scène obsédante de l'écrasement du crâne. Peut-être l'auteur âgé de treize mois s'est-il rendu compte de ce drame qui frappait sa propre mère. Il serait utile de savoir à qui il fut confié durant cette épouvantable épreuve.
(78) C'est en effet parvenu à un certain âge (non autrement déterminé) que le héros, si l'on peut dire, se vit confier par « les Eurysthées » la mission de se débarrasser, post mortem, de ce fameux « Gaston-Dragon » si envahissant.
(79) Le « tiède », c'est Evguéni, grand-père cette fois-ci paternel, qui ne suscitait aucune affection ni d'un côté ni de l'autre, sorte de patriarche bourru, cloîtré dans l'alcools...
(80) Nous rappelons que les deux grands-pères moururent à deux mois d'intervalle : Gaston-Dragon le 10 décembre 1945, Evguéni en février 1946. Mais le télégramme « père décédé », envoyé en décembre donc, était ambigu.
(81) Cette réflexion est appelée par association d'idée avec la dureté du crâne.
(82) Autre association d'idées, consécutive cette fois à l'emploi du mot « chien ». Le lecteur chercherait en vain une cohérence logique à ces textes.
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LA TUNIQUE DU MORT (83)
Sa mort me ronge à la façon d'une tunique enduite de poison (83) ; chair corrodée ; incorporation ; acrylique belge repassé à même le bras (84). Investi, revêtu de la Chair de Dragon, depuis le front, les mâchoires, jusqu'à la taille ; rival d'un mort qui est tout autre chose qu'un Arthur, Cophétua, le Méhaigné - dont une lance a cisaillé le sexe – celui (85) de mon père était l'harmonie même. D'abord nous proposerons « Les Oracles du mort » (86), Paroles de Dragon, objets, depuis des lustres, de vénération. Or ces formules, communes à tous terriens de mon pays lotharingien (« à tous les paysans lorrains »), témoignent de la plus vaine tyrannie. Ce sont vantardises. En dépit des idolâtries dont ma mère honora les moindres proférations du Dragon son père ; imitations scrupuleuses dans la mesure où la sexuation des voix les laisse entrevoir ; mais tout cela n'a pris naissance, ne s'est substratifié, que sur un amoncellement, sur un ciment d'atavique sottise. Sotte prérogative de la mort tenant à bout de bras je ne sais quel flambeau... (87)
Notes
(83) Allusion à la tunique de Nessus, qui provoqua chez Hercule d'horribles brûlures. L'auteur cherche toujours, en dépit du bon sens le plus élémentaire, à rattacher son expérience à celle des travaux et autres exploits d'Hercule, auquel il est diamétralement opposé... Quant à la tunique, les chrétiens ne pourront s'empêcher d'observer le rapprochement d'Hercule au Christ, tous deux suppliciés, tous deux envoyés vivants aux régions supérieures...
(84) Fait divers belge authentique : une épouse avait cru bon de repasser en vitesse une manche de chemise en tissu synthétique à même le bras de son mari ; on imagine la suite. Le rire est facultatif.
(86) Mon père, devenu gâteux, pissait devant moi pendant les promenades à l'hôpital d'Aubricourt, dont un médecin aurait volontiers coffré toute notre famille pour raison psychiatrique... Je crois qu'il exerce encore, ce connard...
(86) Vont suivre à présent toutes sortes de propos que ma mère, Alcmène, jugeait caractéristiques de son père Gaston-Dragon, donc tout à fait dignes d'admiration, et qu'elle m'a transmis, afin de perpétuer sa mémoire.
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Contrairement à une croyance très répandue, la mort ne grandit personne. Elle est même d'une extrême banalité.
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DE LA FRATERNITE - DE LA TRANSMISSION (88)
L'homme vit seul. La seule existence de l'homme est de se contempler. D'échanger d'un semblable à l'autre d'ineffables signaux : Je suis un homme. - Je suis un homme. Regarde-moi. Interprète-moi. Croâssements de corbeaux. Cacardements collectifs de bernaches sur les sables, en errance, à marée basse, avant de prendre leur envol. Signaux d'identité, valeur phatique – je suis ici - emphatique du discours - regarde-moi, je te regarde – fraternité animale perdue, ignorance réduite au pressentiment de l'espèce, fondue parmi les brumes, vers une destinée-destination commune ; liens sociaux, où se découvrent si tôt chez les hommes les aimantations de la cruauté. Il ne sert à rien en vérité de connaître un homme. Connaître un homme n'apprend rien. La multiplicité ramène à l'unité. (La multiplicité comme attribut de Dieu ?) (89)
Notes
(88) Attention, je vais philosopher.
(89) Le raisonnement est celui-ci : un homme immortel connaîtrait à la fin toutes les destinées. Il serait Dieu. Mais comme il meurt, la multiplicité infinie des destins a besoin de sa multiplication pour se réaliser. Voir plus haut.
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DU MAGNETISME – DES PÔLES
Gog et Magog : dans les littératures juive, chrétienne et musulmane, personnifient les forces du mal. Nos Ecritures les peignent sous forme d'une double montagne. Rappelons que les forces juvéniles d'Héraklès défirent au berceau les deux serpents d'Héra. L'adolescent s'il veut vivre écrase les têtes de ses père et mère (l'Hydre aux cent Têtes ?) ; les émanations du Dragon mort ici pestilencisent et faussent les vibrations de l'un à l'autre entre Gog et Magog ; les adultèrent, les frelatent. C'est à l'enfant de déjouer, au-delà ou en deçà des magnétismes parentaux, les frémissements antérieurs, la menace ancestrale et diffuse du Dragon. Père et Mère ainsi transmettent leurs conflits couvés sous la menace immense où nous avons vécu. Vastes orages (Saint Vaast) (90), mous et inaboutis, brumes infiltrées sous les chairs.
L'esprit méphitique de Gaston-Dragon, ni tout à fait mort ni dissous, sans absolution reçue BERNARD COLLIGNON GASTON-DRAGON 22
ou donnée – fomente (91) un grésillement à la fois pesant et délétère, une dissolution de nerfs ; je parviens au pied des Monts Jumeaux « Gog et Magog » dans ce repli organique et chancreux appelé Guignicourt - à Guignicourt la guigne y court. (92)
Notes
(90) « Gaston » fait au nominatif « W/Vaast » (« vaste »).
(91) En français : « provoque »
(92) Vous aurez compris qu'il s'agit d'un itinéraire non pas matériel, mais spirituel, symbolisé par des lieux.
26
UNE VILLE ETRANGERE ET DETRUITE
Plus tard je suis en train de vivre (93) en une ville étrangère et détruite où toits et terrasses abondent de ces herbes au suc jaune, herbe aux mendiants, qu'ils appliquaient (94) sur leurs plaies pour les ulcérer. Se dissimule en ces contrées d'arrière-gorge (95) telle cité aux crépis jaunes et gris, ou bien vieux rose, échappée aux tapis de bombes, souffrant sur son asphalte une irruption de vieux hommes niant leurs propres exactions (96) : Polonais, Hébreux...) : "Les prisonniers marchaient sur deux colonnes ; peut-être y avait-il des exécutions sommaires (Hinrichtungen) dans l'autre colonne. J'entendais bien des coups de feu. De mon côté je n'ai rien remarqué." (97) Vienne. (98) Décor, dédale poudreux où survivent vieux et vieilles aux yeux vides cachant sous leurs cabans des armes enrayées, non point tant toutefois qu'elles n'exécutent, de loin en loin, quelque cible choisie pour sa beauté ; je me souviens de certains noms, Arrigo, Nadia ; Martino, des territoires irrédentistes de Trieste.
Autant de morts sans traces ; mais Roswitha donnait, de son deux pièces ouvrant sur les deux voies d'un pont autoroutier, des ordres de liquidation. Elle portait une perruque rousse et bouffante dont les volutes sales couvraient à peine sa calvitie. (99) Je la surnommais "Robespierre", certains affirment sans preuves qu'il s'agissait de ma mère (100) ; l'Hôpital Général (Allgemeines Krankenhaus) vantait le souvenir de son extrême compétence lorsqu'elle officiait, jadis, dans la section des grands vieillards (101). De retour en France j'écrivais à ma mère une carte postale, où je disais que Roswitha serait le titre d'un roman, d'une imagination en cours dont elle serait l'héroïne - je ne reçus pas de réponse. Depuis quand les Sibylles répondent-elles à ceux qui les BERNARD COLLIGNON GASTON-DRAGON 23
consultent ? (102)
Notes
(93) L'auteur fait toujours semblant de raconter ses rêves. C'est le même procédé que celui de Nerval dans Aurélia, mais en nettement plus chiant.
(94) Au Moyen Âge, bien sûr. Qui mendie encore aujourd'hui ?
(95) Allusion au pélerinage proprement surréaliste de certains jacquaires derrière les dents du géant Pantagruel...
(96) Allusion cette fois au roman Roswitha, du même auteur, auquel ce dernier espère bien que le lecteur se reportera ; le décor en est la ville de Vienne, où l'auteur vécut de 1978 à 1982.
(97) C'est en effet par de tels arguments foireux que les gentils accompagnateurs des marches d'évacuation de camps (« Marches de la mort ») tentent de s'innocenter. A noter que le gouvernement autrichien a tout de même réussi un championnat de foutage de gueule international, lorsqu'il prétendit avoir été la première victime du nazisme par l'Anschluss, alors que les Autrichiens moyens n'auront jamais été les derniers à soutenir la politique d'Adolf (de « adelphos », le frère).
(98) Qu'est-ce que je disais ?
(99) Ces allusions vous deviendront claires si vous lisez Roswitha, de Bernard Collignon (je plaisante...)
(100) Non, là, j'en rajoute.
(101) On s'amusait bien, dans les services de nuit de la section « vieillards » . Depuis, en France, nous avons eu l'affaire Malèvre.
(102) L'auteur a seulement consulté une généraliste, dont le prénom l'a fait flipper. De retour en France, il a effectivement écrit à cette praticienne.
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DE GOG ET DE MAGOG (103)
Gog et Magog sont les jumeaux de tous les maux (104) ; sur leurs chemins extérieurs ou secrets il m'appartient de recenser, au fond des ravins, des dépressions marécageuses, les taureaux et les hydres. Ces deux monts semblables s'enlevaient sur la plaine tels deux seins, écrêtés, ravinés - en vérité j'œuvrais pour la gloire de l'homme, la civilisation même (105) ; dans le réseau d'étroits boyaux reliant Gog à Magog je rencontrais souvent deux êtres malheureux et délétères, Père et Mère, cherchant en vain à m'entraver : fascination d'enfance, et du malheur passé (106) - eh oui, gémissaient-ils, eh oui, d'une longue intonation fascinante(107). Dans ces tranchées j'avais subi ces BERNARD COLLIGNON GASTON-DRAGON 24
tortures passées (108), sous les yeux ronds cerclés d'or (les phares chromés) du "Masey-Ferguson" (109), tracteur au mur sous cellophane, illustration sans fin de l'« Ephéméride Perpétuel » (« fabriqué à Etrépagny – Eure »). (110)
Notes
(103) Et on remet ça.
(104) Au lieu de se livrer à ces jeux de mots à la con, l'auteur ferait mieux de rappeler que ces deux montagnes jumelles symbolisent le Mal dans les écrits mystiques, bibliques ou autres.
(105) Et revoilà Hercule, qui rit quand il articule.
(106) Notre héros qui se dresse à lui tout seul contre toutes les misères que lui ont infligées son papa et sa maman, perdu qu'il est dans les contrées mythiques, et de plus en plus empêtré dans ses références.
(107) « Eh oui ! »m'a toujours semblé la formule qui résumait le mieux toute la condition humaine. C'est l'unique phrase que se renvoient les petits vieux sur leur banc, le menton appuyé à la crosse de leurs cannes. Pour une version plus comique, voir Javaloyès, Christine.
(108) « Il s'agit de l'aveu de mes premières baises », devant ma mère éplorée ; mon père fit semblant d'être écœuré au point de ne plus vouloir me parler.
(109) Illustration en noir et blanc, au mur de la cuisine de ma grand-mère ; elle servit plusieurs des années, seules changeaient les fiches de jours et de quantièmes.
(110) Là, j'en rajoute ; ce sont les vieux harmoniums de campagne qui sont fabriqués à Etrépagny.
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LA VEUVE EN SA CUISINE
Assistait au supplice (111) la Veuve, Seconde Epouse, survivante, les traits carrés d'une calandre de radiateur, ne se départissant jamais de son rôle (112), ni des indélébiles contusions qu'imprime le décès violent de l'être cher, du sceau de l'épreuve sur sa face spongieuse ; seule justification de son être. Les enfants compatissent peu – âge sans pitié : je répétais sur ses genoux macchabée, macchabée, macchabée) (113). Sa cuisine aux quatre murs gluants de badigeon vert gras exhibait, détachait - faisant maigre pendant à l'énorme cuisinière en fonte ronflant d'une mangeaille à l'autre (il fallait préciser dès le repas fini fût-ce en pleine canicule ce que nous voulions pour le soir) - se détachait une pendule carrée (114), d'un vert blafard jurant sur le vert bouteille. Il en tombait le tic-tac lentement saccadé de la mitraille à vieux (115) –
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« Et tout battait encore au cœur du Disparu. »
Notes
(111) Toujours cet aveu, que nul ne me demandait de faire ; j'étais sujet en ce temps-là aux accès de délire masochiste les plus vomitifs.
(112) Grand-Mère Fernande arborait habituellement un air particulièrement rébarbatif et rogue.
(113) L'écrasement de Gaston-Dragon ne remontait qu'à une huitaine d'années ; mais huit ans, pour un enfant , quelle éternité !
(114) Vous avez bien compris n'est-ce pas ? En face l'une de l'autre, et de dimensions tout à fait différentes, la cuisinière et la pendule plate, accrochée au mur.
(115) Oui, bon, Jacques Brel...
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L'ENFANT, LE TEMPS (116)
J'ignorais qu'il fût si proche encore (117), qu'il m'eût tenu lui-même dans ses bras : le temps commence pour l'enfant à sa venue au monde ; son atelier restait maniaquement rangé : gouges, poinçons, chignoles par rang de tailles sur le mur. Je sentais le parfum des copeaux (estompé au cours des années), je touchais l'établi couvert de cicatrices. Couturé. Gaston-Dragon irréparable avait tourné de sa main mutilée (scie circulaire) cette petite meule verticale et roussâtre que je lançais : accélération, extinction progressive, dans un mugissement de rame de métro – ces voies souterraines récemment découvertes (un voyage à Paris pour L'auberge du cheval blanc) me pénétrèrent de ravissement - je pouvais donc m'échapper ; les souterrains devant la meule s'étendent à l'infini, perdus à l'extrémité clignotante de longues lignes perdues - j'annonce à haute voix toutes sortes de noms.
Avant de m'endormir je me chuchote une infinité de toponymes villageois, par ordre alphabétique. Je me souviens d'être allé jusqu'à « V ».
Notes
(116) Encore un paragraphe victimaire.
(117) Gaston-Dragon, bien sûr.
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L'ENFANT, LE PÉCHÉ (118)
Le temps de la Question Ordinaire sous les yeux cerclés d'or du Masey-Ferguson survient deux ans plus tard – au sein d'un temps immobile - quand je m'avise d'avouer à ma mère - n'est-ce pas dans ce gros volume d'Histoire Sainte – lis donc, tu nous foutras la paix - que je découvre entre deux gravures - Massacre des Macchabées / Daniel dans la fosse aux lions - l'assertion sans réplique suivante : les bons enfants n'ont aucun secret pour leurs parents. Je confie donc à ma mère l'étrange chose que nous commettions cousine Berthe et moi dans cet autre village - ah ! ce sont là de bien étranges époques pour vous autres - comment Valery Larbaud a-t-il bien pu parler sans frémir du "vert paradis des amours enfantines" ...?
Cousine Berthe - qu'elle soit bénie, et à jamais - se branle au-dessus de moi, très loin, très longuement et très vigoureusement, comme font les filles, sans révéler jamais, sans m'expliquer ce qu'elle fait, tandis qu'à l'intérieur d'elle j'attends qu'elle s'achève, sans jamais révéler à l'enfant le plaisir qu'elle se donne. On me cachait des choses. Forcément, à un gosse. Juste avant je fais mes prières - on les recommencera les cochonneries d'hier soir ? - Tais-toi, tais-toi si tu veux qu'on puisse continuer – tout mon répertoire de prières m'affluait aux lèvres, Confiteor compris, je me vidais ensuite, tout l'esprit, pour m'étanchéifier ; pour me dédoubler ; me dédouaner, m'insensibiliser.
Juste après l' « acte de contrition ». L'acte bien. Merveilleux. Extraordinaire. Bien que je ne connusse pas l'éjaculation. Ou puisque. Sous le calendrier « Masey-Ferguson » aux phares cerclés d'or ma mère feignait d'étouffer devant la Veuve Gaston en se couvrant les yeux de son mouchoir : "Mon Dieu !" - quel Dieu ? - mon père, écœuré, m'évita. Toute information, tout choc, me furent épargnés. Lorsque j'apprends un jour qu'ainsi se font les enfants je ne peux imaginer que je sois né au prix de cette ignominie ; je suis assurément le seul de toute la terre suffisamment dépravé pour imaginer semblable saleté, d'introduire son sexe dans le sexe d'une fille, fille du frère de son père – la chose est en vérité si lointaine que j'ai grand tort, promis à de si hautes destinées, de m'y attarder aussi sottement.
Notes
(118) Il me faut donc absolument y revenir...
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L'ENFANT ET LE SING-KIANG (119)
Reçu ce jour de Pékin l'autorisation formelle. Ou mieux l'injonction. De me rendre au Sing-Kiang (Xin-Jian) « région désertique ; élevage ovin ; extraction du pétrole » - sous réserve, sous restriction expresse de ne jamais franchir le Kunlun Shan (7724 m) limite administrative du Tibet (Xi-Zang. Je revis en rêve (120), du verbe « revivre », ces hôtels miteux d'oasis dont le gérant me poursuit d'étage en étage (Toi payer ! Toi payer !), ces toilettes pour femmes où je me réfugie, géantes, inondées, labyrinthiques, ces combles pourris couverts de gravats (Ecole de Pub du XXe ) et ce cimetière - avec ma propre tombe au fond, mal tenue, sable passant sous les quatre planches en haut de la pente – le porche entre ses deux piliers doriques, devant l'aiguillage du tram, le bordel juste en face et son juke-box bariolé comme un cul de mandrill.
Le Sing-Kiang offre à l'exploration une matière inépuisable. Sur les plateaux brumeux qui le dominent j'évoque les jumelles Eurysthées que j'ai vues enterrées côte à côte se pelotant de leur vivant sur le lit de leur mort avec leurs blonds cheveux de nymphes. Ma mère Alcmène s'indigne : "N'avez-vous point de honte, entre sœurs? » En riant elles répondent « Non vraiment, dans six mois on est là-dessous ». Ce qui advint. La seule vérité je vous le dis consiste en ce sommeil qui se poursuit sans trêve au fond de nous de la naissance à notre mort.
Notes
(119) Et nous voici repartis pour des métaphores plus ou moins géographiques ; fastidieuses ou non, je ne saurais le dire... Mais quoi que vous disiez, je serai toujours d'avis contraire.
(120) Ne pas oublier que l'auteur, d'après les sous-sartriens de sous-préfecture, a « choisi » la paralysie, a « choisi » de ne vivre qu'en rêve.
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MISE EN PRESENCE (121)
Gaston-Dragon s'étant glissé un jour sous la bête, le dos contre le ventre, sous les quatre jambes d'un cheval souffrant
(Pris de tranchées. ("On purge bébé").
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"Sentant sa fin prochaine"
et le massant risqua ainsi sa propre vie : "Si le cheval se couche, la bête écrase l'homme » affirma l'assistance, admirative, ajoutant quand ce fut fini : "Ces bestiaux-là, ça sent quand même si on leur fait du bien."
Notes
(121) Le lecteur se voit désormais plus régulèrement mis en présence de Gaston-Dragon, dans sa vie quotidienne, telle qu'elle a été transmise par Alcmène à son fils, auteur de ces lignes.
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ORACLES DE GASTON (122)
1) pétant : "Si y pleut de ce vent-là, y tombera de la merde" (« y » prononcé correctement (fusil, sourcil) ; amuissement du "l" en finale ; nul n'a jamais dit "s'il"). Gaston-Dragon mange bien, boit bien – "On m'appelle : Bouffe-Tout-Boit-le-Reste" : ainsi se complimentent en Lotharingie les gros appétits ; des « Bouffe-Tout Boit-le-Reste » ; le comique provient de ce qu'après le « tout », il n'y a rien – puis brusque passage du quantitatif au qualitatif : il reste donc encore à boire ! Sa fille ma Mère m'a dit: « Je ne ne l'ai jamais vu soûl. ». Il disait aussi : « Un Pou(r)la Gueule » (ne pas prononcerle « r »). Ou bien : « De c'plat-là, j'en mangerais sur la tête d'un pouilleux ! » Pas une mauviette le Gaston-Dragon, mais un bon gros paysan lorrain Nam'donc, ("Notre-Dame donc" ?) qui récitait au lit "Notre Père qui êtes aux cieux" et s'endormait tout sec sans avoir fini sa prière. (« ...si fatigué qu'il commençait juste « Notre Père... » « ...et plouf ! il s'endormait.") La Veuve me mimait son élocution ensommeillée. Il n'y avait pas que la fatigue ; le père Dragon n'était pas le dernier à caresser l'amphore. Et c'est peut-être à ces beuveries campagnardes qu'il faut rattacher
2) le deuxième oracle "Dégueule, cochon, t'auras de la rave", car tout cochon malade, atteint de vomissements - et celui-là ne buvait pas - se soignait par d'abondantes pâtées de raves. Un jour la Fernande, à la ferme, Seconde Epouse à venir, avait dû enjamber un cochon en plein passage. "Voilà-t-il pas que le cochon se relève et me trimballe à travers BERNARD COLLIGNON GASTON-DRAGON 29
toute la cour de la ferme ; y avait pas moyen de l'arrêter."
3) ayant mangé : "Débarrassez, sez !" Note préalable : sitôt que tel ou tel a dit ou fait telle ou telle chose, une seule fois - le voilà immanquablement affublé de l'imparfait de l'épopée. « Il fit » devient « fesait ». Cela prolonge, fige, répète ; fonde en coutume un évènement apogée.
(exemple inverse : ayant schématisé sur une table d'écolier un coït, je fus sévèrement puni : "Passe son temps à dessiner des obscénités" – C'est une seule fois ! - Oui, mais c'est la tienne. ») Explication (« débarrassez, sez ! ») : à la fin du repas le café tardant, Gaston-Dragon tira d'un coup la nappe à soi, tout fut précipité au sol ; la répétition de la dernière syllabe se réfère explicitement au commandement militaire, qui se conçoit exécuté à la fraction de seconde.
Note
(122) Nous allons nous apercevoir que les expressions ainsi rapportées et transmises àson fils par Alcmène, avec toute sa piété filiale, ne consistent qu'en des expressions toutes faites appartenant, selon toute vraisemblance, au fond commun du discours populaire des campagnes de ce temps-là et de ce pays-là.
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PASSIVITE DE SECONDE EPOUSE (suite du précédent)
Note
(123) Astucieux, non ? Présenter la suite comme une rupture, très brève... A rapprocher de la « rime en écho ».
xxx 59 10 19 xxx
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IMPUDENCES (124)
A ma mère "Est-ce que tu veux une demi-livre de bifteck sans enlever les os ?" - ma main sur la gueule. Alcmène jeune fille répondait en serrant les dents, à reculons comme un bête rétive : "Eh ben alors... Eh ben... - Dis que j'en ai menti ? dis voire que j'en ai menti ?" Un Dragon ne ment pas.
Notes
(124) Il est très malaisé de déterminer ce qui a bien pu suggérer à l'auteur telle succession de chapitre plutôt que telle autre. Ici, deux séquences brèves, destinées à montrer comment à cette époque un homme se faisait respecter de sa femme, et de sa fille.
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ORACLES DECLAMES (125)
"Nous disions donc, Mathéos" - prononcez "matéheausse" - que le bruit de la mer-d'empêchait les poissons de dormir" - Alcmène se demanda quelle avait bien pu être cette fameuse "Théôs" - j'imaginais quelque solide bellâtre entourant de son bras les frêles épaules d'une poupée en costume régional, contemplant la mer pour la première fois... ou plutôt un nommé "Mathéos" - de quel opéra-comique tenait-il ces formules - quel Parisien connu dans les tranchées (...) -
Note
(125) Reprise, donc, des paroles immortelles que ma mère a cru bon de me transmettre (et elle avait raison).
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ORACLES CHANTES scato crescendo
Il chantait : « Au bain Marie j'ai vu tes charmes
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« Au bain Marie j'ai vu ton cul » (« bain-marie, hihi !)
Il chantait "Dégueule de tout ce que tu voudras
"Dans les sentiers remplis de mè-è-è-rd- (feignant de se reprendre) - ...leuh... ("de merles", ah ah !)
Il chantait « J'avais mis ma main dans la...
reprenant « J'avais mis ma main dans la... eh merde, je n'sais plus ! » Mimer avec les mots la glissade dans la merde. Ou bien, au dernier moment, l'éviter, second degré paysan.
Il chantait « Ah c'que c'est beau d'chier dans l'eau
« On voit sa merd' qui nâ-âge
« Si j'avais su qu'c'était si beau
« J'aurais fait davantâ-âge.
Virgile on vous dit. (126)
Note
(126) Il semble que cette fois, les notes en fin de §§ s'avèrent moins nécessaires.
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DES FEMMES
Un homme exprimait-il des idées tant soit peu favorables à l'émancipation féminine, Dragon grommelait :
Aux femmes du lavoir : « Vous lavez toujours ?" ("votre pucelage")(du verbe « avoir », évidemment). Elles répondaient "vieux cochon", "vieux machtagouine !" (127)
A une qui courait, l'interrompant dans sa course :
- C'est la fête au Paradis ?
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- Pourquoi ?
XXX 64 07 02 XXX 39
ETYMOLOGIE, tenant lieu de la note 127 :
Je demande à ma mère, qui l'emploie sans malice, la signification du mot « machtagouine », qu'elle trouve très pittoresque, sans pouvoir le rattacher de près ou de loin à quelque particularité linguistique lotharingienne que ce soit. Gaston Dragon l'employait pour désigner plus vieux que lui : « Vieux machtagouine » ! Ce n'est qu'à cinquante ans passés que sa fille en comprend l'étymologie de ce mot : il désigne les vieux impuissants incapables de faire jouir leurs femmes autrement que par une pratique bucco-génitale réservée (croyait-on) aux (« Mâche ta ») - gouines.
. C'est moi également qui apprend à l'innocente Alcmène, consultant les prescriptions d'un remède combattant le "prurit vulvo-anal", la différence entre "vagin" et "vulve" : ma mère ignorait ce dernier mot. Quant à Gaston-Dragon, il avait rebaptisé le village natal de ma mère : de « Vavincourt », dans la Meuse, (127) il fit "Vagin-Court".
Note
(127) En Allemand, « die Möse » signifie « le sexe féminin ». Trop fun.
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SECONDE EPOUSE
Il se retire d'elle. Tu préfèrerais tes propres enfants.
Il l'appelle « la mère » : « Ho ! La mère !... » Elle ne le fut jamais. Pure malignité. Gaston Dragon sait parfaitement qu'il n'est pas question d'envisager qu'elle le devienne, ni par lui ni par aucun autre (j'appelai toute ma vie Alcmène "la mère", "maman" m'écorcha toujours la gueule). bouche). En revanche le grand homme plia devant Seconde Epouse : Fernande obtint que "la Simone" (c'est ainsi qu'on se surnomme) accomplirait l'essence de sa fémité en étudiant l'Art du BERNARD COLLIGNON GASTON-DRAGON 33
Ménage à l'Ecole Ménagère de Guny. Ma mère interne retrouva chaque semaine, passés cinq jours ou plus de promiscuités scolaires, son trop faible bourreau embelli.
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ECOLE MENAGERE
Il existait en ce temps-là de ces écoles où les filles se voyaient confirmer qu'elles étaient bel et bien
de vraies femmes, destinées par la configuration de leur sexe à "tenir un ménage", écoles où tout un essaim de Ménagères leur apprenait à coudre, à cuisiner, récurer, lessiver, ravauder.
"Molière ne pouvait pas savoir que ces travaux ménagers si méprisés par Armande ("de se claquemurer aux choses du ménage") seraient un jour enseignées dans des établissements spécialisés comme une science" (« Les Femmes Savantes », éd.Belin, 1932, note en bas de page) [sic]. En tant que science.
La femme à sa place.
Notre plus grand comique, Molière.
Ainsi s'imprégnait dans les cœurs de toute une génération féminine l'aigreur et la férocité de la répression bitardo-connassière. Alcmène apprend à foutre son doigt dans le cul des poules pour les aider à pondre ; ce qu'elle fait consciencieusement plus tard à son garçon, quand l'intestin rebelle et masculin tarde à fonctionner. D'ailleurs ça gouinait ferme à l'Ecole Ménagère. C'est ma mère qui me l'a dit. Ecole ménagère de Gouiny. « Mais c'est que les hommes nous respectaient, dans le village, quand on défilait pour les promenades ! il n'y en aurait pas eu pour nous adresser un seul mot déplacé. » Braves rustauds de ces temps-là... toutes gouines, dont elle... J'avais pris un air écœuré - qui es-tu, petit merdeux, pour juger ? Plus tard, je m'en souviens, ma mère minaudait sur le siège avant où est-ce que vous m'emmenez ? où on va comme ça ? - la peau plaquée hideuse sur son crâne - du fond de la petite bagnole d'ami (128) Alcmène s'extasia une dernière fois devant son bâtiment de bois l'Ecole Ménagère, conservé du fond des âges, avec son pignon brun, ses bardeaux opaques.
Note
(128) ...Un ami...
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LE SOURIRE DE MA MERE
Je voudrais revenir sur ce "hideux sourire" d'Alcmène
("...et ton hideux sourire
"Voltige-t-il encore sur tes os décharnés") (129)
lors d'une arrestation de mon père - il avait passé à l'orange. Le temps d'un sermon de flic, j'ai vu ma propre mère, depuis le siège du passager, se pencher, fardée à plâtre, de tout son long jusque par-dessus les genoux de mon père en souriant de toutes ses rides, pour charmer le gendarme, charme très exactement semblable, ce jour-là, aux grâces d'un transi (« sur un tombeau, effigie d'un cadavre plus ou moins décomposé. »). Voir sourire ma mère, la bouche en fer à cheval renversé, fut pour moi aussi obscène qu'un sexe ouverte dégoulinant de bave (mentionner ici les deux rêves où je fornique le squelette et les chairs de ma mère, couverte de bijoux, puis qui se décompose sur la plage en mugissant "n'as-tu pas honte de m'abandonner dans cet état ».
Jason qui conquit la toison pourchassa et tua les Harpyes, oiseaux griffus qui souillaient de leur merde les mets de Phinée, vieillard aveugle, et s'envolaient hors d'atteinte en poussant des cris affreux.
Je n'ai jamais beaucoup aimé Jason, ce concurrent surfait.
Note
(129) Vers de Musset, appliqués à Voltaire.
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TRANSMISSION
...Ma vie débuta sur ce lit par cet homme, Gaston-Dragon, qui commença par mourir, et bien que je ne fusse ni ne susse rien, tout cependant déjà tenait dans mon berceau (que si jamais Gaston n'eût été aplati sous une double roue arrière, jamais sa fille Alcmène ne m'eût transmis tant de choses sur l'homme qu'il fut et qui me fit frapper dans sa main : "Plus fort ! Plus fort ! Ah ! tu seras un vrai Dragon !")
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Or j'étais dans le treizième mois de mon enfance. (130)
Note
(130) Ça va ? Vous suivez ? Vu, les imparfaits du subjonctif ?
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MANQUEMENT (131)
Quatorze du Bélier dans l'ère bâtarde (132). Gaston-Dragon déchire l'enveloppe adressée à sa fille : Ange pur, ange radieux – ainsi s'adressait à sa bien-aimée son fiancé mon père pas mal con, n'ayant rien trouvé de mieux qu'un librettiste de musicastre (133) pour exprimer son inflammation de cœur. Tandis que sa fille folle de rage poursuivait Gaston-Dragon à travers la cuisine, ce dernier brandissait la missive à bout de bras, vociférant grassement l'ignoble opéra suite de Gounod (ce Faust que les Germains couverts de honte n'osent appeler que Marguerite) : «Porte mon ââââme au fond des cieueueueueux...! »
Notes
(131) Ici Gaston-Dragon va faire quelque chose de pas bien du tout.
(132) Quatorze avril du calendrier chrétien.
(133) « Mauvais musicien ». L'œuvre de Gounod, Faust, étale tant de platitudes et de mièvreries petites-bourgeoises (c'est là que l'on peut entendre le fameux Air des bijoux) que les Allemands, rougissant en effet de l'insondable distance qui le sépare de son modèle, le Faust de Goethe, ne le désignent jamais autrement...
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« LES BAS COULEUR PEAU D'CUL » (134)
Pour l'éternité relative de la si brève consomption du corps humain, ma mère porte en son cercueil ces bas couleur peau de cul raillés par Evguéni. C'était le temps de la grande misère d'après-guerre, quand les filles allaient cuisses nues. Et l'Evguéni jusqu'à sa mort d'asthmatiqueet d'ivrogne alla répétant : « Tiens v'là la Simone (135), avec ses bas couleur peau d'cul ! »
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Notes
(134) Allez, on change de grand-père. C'est du père de mon père cette fois qu'il s'agit.
(135) Dans la réalité, ma mère s'appelait Simone et non « Alcmène » . Ça fait nettement moins prestigieux, mais au moins, c'est prononçable. Quant au grand-père, il disait évidemment « la Simone, avec ses bas », etc., et non pas « la Simone, cent trente-cinq », etc...
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ULTIMA VERBA (136)
...Mon père à qui sa propre sœur disait par raillerie Amphitryon, ne veux-tu pas être curé ? - Non, non ! se récriait mon père. « Pourquoi n'épouses-tu pas l'Alcmène, qui est toute seule et bien malheureuse ? »
« Nous marchions sur le bord de l'Alphion, disait-il (137) , près du pont démoli de 1918 ; et nous ne savions quoi nous dire...
-
Assez ! beugle ma mère sur son lit d'hôpital ; pas de passé ! pas de passé ! (voix forte, rogue) – et moi : « Veux-tu voir le curé ? » - il errait, le romain, l'apostolique, le cou perdu dans sa soutane, comme un diable en peine – « a-t-elle encore sa conscience ? » demandait-il d'une voix timide - Je m'en fous ! a hurlé ma mère à travers tout l'étage. Le curé décampa.
Notes
(136) « Les dernières paroles » (du Christ je suppose) (n'oubliez pas qu'il n'y a plus que les fascistes à présent pour savoir le latin).
(137) « Il », c'est mon père, Noubrozi, qui raconte sa vie au chevet de ma mère mourante.
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AMOUR SACRE DE LA PATRIE (138)
Ancien combattant de Sailly-Saillisel (Pas-de-Calais) : Gaston-Dragon portait la soupe en gros bidons. Moins exposé qu'au front. A ce qu'on dit. Jamais de « roulement » ; faut-il tant de métier pour nourrir le soldat ? L'obus dans la marmite. Trois morts.Ou les gros paquets de boue dans la soupe. «On bouffait tout. »
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Je me rends au cimetière militaire de Sailly-Saillisel. Je vois des gratteurs de tombes, groins de porc sur la gueule, pulvérisateur en bandoulière, projetant des gouttelettes au chlore, méphitiques, vert sombre, dans la pénombre crépusculaire, sur les dalles british, dont la pierre exsude un imputrescible lichen. « Tous pédés » disait G-D. « On leur sciait la branche par-dessous, dans les feuillées. Ils tombaient tous dans la merde » - et Gaston imitait les gargouillis indignés de la langue anglaise. Ça c'était de la vanne.
La Marseillaise. Gaston-Dragon l'écoute au garde-à-vous, tandis que mon père s'est assis en tailleur, exprès, sur l'herbe : « Je ne me lève que pour L'Internationale. » Gaston grommelle : « Je te la lui ferais écouter la Marseillaise moi, à grands coups de pied dans le cul... »
Gaston-Dragon a perdu (fait de guerre ? scie circulaire ?) une phalange. Un jour il réclame à l'administration une revalorisation de pension. Le préposé du guichet répond : « Pour avoir droit à la tranche supérieure, il faudrait que vous ayez perdu une phalange de plus. -Ma phalange, vous savez où vous pouvez vous la mettre, ma phalange ?
Pendant la sonnerie aux morts, Gaston-Dragon se sent envahi d'une extraordinaire émotion. C'est comme un frisson de larmes et de fierté. Cela commence par deux notes plaintives et nobles, chevauchées à l'arrière par des fla de tambours à contre-temps : un, un-deux, un-deux trois. Puis tout s'éteint dans un dernier roulement assourdi, le linceul retombe sur la plus grande mélancolie du monde...
Alcmène jeune fille a visité tous les charniers. Douaumont. Lorette, où reposent les six autres Soldats Inconnus. Elle en a contracté une haine farouche de la mort. Ce qui ne se compense absolument pas, pas du tout, par un quelconque amour de la vie : elle ne la hait pas moins. Elle raâle, ma mère, elle geint, elle gâche tout.
Note
(138) Ce sont des anecdotes, relatives à Gaston-Dragon, sur le même sujet : la Patrie.
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SAPIENTIA DRACONTEA (« de dragon »)
Pour mettre un terme aux discussions sans fin, que ce soit en matière politique, ou religieuse, mon BERNARD COLLIGNON GASTON-DRAGON 38
grand-père Gaston-Dragon use d'une formule magistrale, ménageant toutes les susceptibilités ; pour peu que le ton vire à l'aigre, il coupe court : « Ecoute » dit-il, - tu as raison, et moi je n'ai pas tort. » Suprême sagesse -
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Je n'ai pu connaître l'épreuve de la guerre.
Mon absence totale de ce qu'il est convenu d'appeler Virilité me permet en revanche de surmonter plus tard L'EPREUVE DE LA JALOUSIE.
Note
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LES EPREUVES D'ALCMENE, MA MERE
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Toute sa vie ma mère malade. Hideux sac à chagrin. Pourquoi ? Remontons un peu : Gaston-Dragon, poilu, cocu, la rime est bonne. On ne cocufie pas un poilu. Un héros. Beaucoup ont dû s'en accommoder. Mais pas Dragon. Dont le vrai fils, le Légitime, est mort (de la peste espagnole) tandis que le Bâtard, le fils de l'autre, a survécu. « On ne l'a jamais appelé que le Bâtard », dit ma mère, « je ne me souviens même plus de son nom » - honte au « bon vieux temps » : l'ivrogne, le boiteux, le cocu du village. Alcmène détestait tout ce qui rappelait le passé, jusqu'aux « films à costumes » : « Regarde-moi toute cette misère », disait-elle au milieu des plus belles mises en scène – « toute cette misère » - c'était vrai ; tout était miséreux dans le temps, préjugés, superstitions. Les hommes crevaient à trente ans et les femmes frottaient leurs linges tous les mois sur la planche.
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Ma mère Alcmène, à sept ans, derrière les rideaux de sa fenêtre – Tu resteras à la maison pour garder l'bâtard - assista au départ du convoi funèbre du vrai petit frère. De mon petit oncle de BERNARD COLLIGNON GASTON-DRAGON 39
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huit ans, Lucien fils légitime de Gaston-Gustave, dans la boîte -Tu n'as pas su le garder en vie celui-là – sans qu'on me l'ait dit je suis sûr qu'il l'a crié à sa femme, Delphine Bort, comme Bort-les-Orgues disait-elle, Tu n'as pas su le soigner celui-là répétait Gaston-Dragon - et Bâtard de survivre, Alcmène réquisitionnée « Toi, tu resteras à la maison pour garder le bâtard »- bébé tout de même – voyant s'éloigner son petit frère dans le cercueil à travers la vitre et la pluie (140)
(140) Je sais bien que je me répète, mais je trouve ça si poignant...
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SUITE DES EPREUVES
Assassins, assassins... (141)
Je vous parle d'un temps qui vous semble aussi révolu que la cour vue par Saint-Simon, le vrai, le Duc : cocufiage avec fruit (142). Mais cour misérable, cour de ferme plutôt que royale... Alcmène idolâtra son père à proportion du mal qu'il lui avait causé. C'est lui qui l'a coupée de sa propre mère. : jamais de pardon. Tu ne reverras plus ta mère ! Ma mère ne l'a plus revue ; fille de femme adultère, fille de répudiée. D'un coup, et sans interruption, de huit à seize ans. Cette année-là sa mère Delphine mourut, d'une crise d'urémie ; on ne soignait donc rien de ce temps-là ? Trente-huit ans. Elle souffrit tant pour mourir qu'elle tordit les barreaux du lit de la force de ses seuls pieds. Une mort à la Zola (143)
...Et Gaston-Dragon dit, et ce fut sa seule épitaphe, le seul véritable oracle : « Elle est morte par où elle a péché. » « Comme si une crised'urémie avait un rapport avec ces choses-là » dit Alcmène. (144) Interdite d'enterrement de sa mère. Le crime jusqu'au bout. Ne plus jamais parler. Interdiction de se souvenir. Je n'ai qu'une photo sépia de la Delphine.
Notes
(141) Titre de Djian. J'en suis profindément jaloux. Ce sont les mots que j'aurais aimé prononcer sur mon lit de mort, en grinçant des dents, pour maudire l'humanité entière. Depuis, je suis devenu tout mou.
(142) On sait que le Duc de Rouvroy de Saint-Simon haïssait toute espèce de bâtardise, et contribua aux piétinements des bâtards de Louis XIV après la mort de ce dernier.
(143) Voir la mort de Coupeau dans L'assommoir.
(144) Les genitalia, bien entendu – les pudenda, « dont on doit avoir honte ».
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VESTIGES D'INCESTE
Ma mère me transmit scrupuleusement les mots les plus crus de Gaston-Dragon. Rien sur sa mère. Etait condamné toute dévotion non exclusivement consacrée au Héros, Ancien Combattant et Père. L'époux, le gendre, mon père à moi, ne fut rien. Alcmène laissa même entendre qu'il y aurait bien peu d'importance aux relations plus intimes qu'il n'eût fallu entre elle et moi. Quinze années sans plus séparèrent plus tard la fillette de sa marâtre, Seconde Epouse, triomphante et nouvelle promue : la Fernande, plantureuse, que j'ai connue, bien dodue. Alcmène accrochée à ses jupes cria : « Je vous interdis de coucher avec mon père ! » On riait très fort en ce temps-là des petits mots d'enfants.
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LECTEUR INGRAT, MON FRERE
Vous avez déjà cela sans doute dans vos familles : « Un homme parmi les hommes » disait Sartre « et qui vaut n'importe qui . » J'ai renoncé à me prendre pour Hercule. A représenter ma famille sous forme olympienne - voyez d'où vient l'expérience aux vieillards : du racornissement hormonal des méninges. La sagesse, fille de l''impuissance : quelle leçon...
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LA FOLIE MA MERE
Après la mort de Gaston-Dragon, Alcmène devenue folle fut internée à Sainte-Anne, l'asile d'Althusser, celui dont j'ai longé les murs blafards, et d'où l'on ne ressortait pas (existe-t-il encore un refrain de Bruant - "A sainte-A-a-a-nneûeûeûh..." (A Belleville, A St-Lazare) ? J'ignore, chose incroyable, combien de temps ce fut après l'écrasement du Dragon - il suffirait d'écrire, de solliciter tels témoignages encore vivants, les preuves tangibles... ont-ils conservé les archives ? J'ignore si ce fut bref. Insidieux. Mon père signa de sa main l'ordre d'internement – s'attirant une inextinguible et sauvage rancune : car le mari alors avait autorité sur sa femme.
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L'ENFANT SANS MERE
Je fus placé enfant à Trézels, dans l'Allier. Pensionnaire chez un vieil homme que j'appelai "le pépé de Trézels". (épisode très net encore du manège d'enfants, où son épouse et lui m'avaient emmené : - Tu fais un tour, et ça revient" – je pleure et ne veux pas monter - je ne reviendrais plus - peut-être ; le tapis roulant se déroule en ligne droite à l'infini, peut-être ; je ne crois plus aux explications d'adultes.
Les portes de Sainte-Anne un jour se rouvrirent sur ma mère, à force de volonté : « Tu seras retournée sur le gril par tout un aréopage de médecins ; répète-toi je dois tenir – je dois montrer ma cohérence et tu seras libérée ».
Notes
(145) Mes notes se sont raréfiées. J'espère que vous continuez à comprendre ? Merci.
56
L'ENFANT STOÏQUE
Douze ans plus tard : une éternité ! Je suis peut-être enfin débarrassé d'Alcmène (146) en danger de mort. Cette opération a pour nom la totale. Cette mutilation. J'ai vécu en pension (147) chez M.Hall, instituteur s'origine anglaise à V., père de trois enfants. Dans leurs albums je fait connaissance avec le Marsupilami dessiné par Franquin : je lis toutes ses aventures, je ris aux éclats. Dans une lettre à mon correspondant allemand j 'écris : "Die Unglück ist auf unserem Haus", piétinant la grammaire allemande : "Le malheur est sur notre maison". Je laisse lire mon voisin d'étude par-dessus mon épaule. Je me sens très intéressant.
Je découvre chez Mr Hall ce merveilleux instrument appelé "kaléidoscope".
J'ignore à quoi je dois attribuer ce brouillage permanent de toutes les époques de ma vie (148) Je compare cela aux transistors dont toutes les longueurs d'ondes se sont superposées, ne laissant ouïr qu'un inaudible, universel crachouillis - le vaste monde entier rendu définitivement incompréhensible. Tous âges confondus. Ma mère a survécu. (149)
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Notes
(146) Il s'agit de ma propre mère ; quelle inhumanité, n'est-ce pas ? - rien de plus banal en fait. Malgré tous les artifices plus ou moins littéraires, je ne parviens pas à persuader le lecteur que mon expérience m'a semblé exceptionnelle...
(147) Notez le rapprochement des deux séjours chez autrui : 1946, 1958. Deux ans, quatorze ans.
(148) Ce rapprochement du kaléidoscope et du transistor déréglé n'est-il pas éminemment suggestif ? NON ? Allez chier...
(149) Et cette distorsion narrative ? Que dites-vous de ma distorsion narrative ? ...Vous ne savez pas ce qui est beau...
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LE TOIT DU MONDE
Le Sing-Kiang, à l'extrême nord-ouest de la Chine, est une étrange contrée. Tout le monde s'apitoie bruyamment sur le Tibet ; du Sing-Kiang on ne connaît que les déserts - ou les half-tracks ; cela s'étend sur des dizaines de milliers de km², bordé de vagues chaînes de montagnes à peine surélevées, dessinant sur la carte d'improbables boudins, dont aucun relevé orographique véritable n'est jamais effectué. Avec des lacs salés aux contours pointillés, sitôt gonflés sitôt taris. Faites rouler par milliers, pendant des siècles, les plus lourds et sophistiqués des engins militaires, faites gueuler par des officiers des ordres aussi gutturaux que la langue chinoise les puisse imaginer : jamais les rocs, les sables ou les neiges du Sing-Kiang, son ciel métallique, ne retiendront la moindre empreinte d'occupation humaine. (150)
Notes
(150) Oui je sais, ça vient là comme un cheveu sur la soupe. Et la liberté de l'artiste ? - La liberté du lecteur consiste à ne plus lire. Et toc.
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LA FEMME DU LAC
Dans cette dimension prétemporelle m'apparut un lac bleu soutenu, de sel et d'acide, où flottait sur sa barque une jeune femme ; seule et droite sur le poison liquide teinté de curaçâo ; sans BERNARD COLLIGNON GASTON-DRAGON 43
rémission dissoute au moindre geste dépourvu de précision. Elle ramait debout à petits coups presque immobiles. Ses mouvements s'étant progressivement amenuisés, son souffle suspendu, je parvins pied nu à la rive en même temps qu'elle. Si bien des femmes aux Enfers ont guidé les hardis voyageurs, Shub-ad-Ur Enlil, la Sibylle Virgile, et Béatrice Dante (151) , ce n'est que moi, Liliom, qui réduisis mes gestes aux berges de l'acide avec ces infimes précautions que l'on voit aux joueurs méticuleux levant tour à tour sans frémir les jonchets emmêlés. (152)
Ce fut donc cette femme que j'aimai sur décision des Jumelles Eurysthées, ramenant du Sing-Kiang ces herbes dont je devins fou. (153)
Notes
(151) Noter que ces trois groupes de mots devraien tcomporter le verbe « a guidé » ; les trois seconds termes sont donc des compléments d'objet, des COD ( les instituteurs ont d'abord eu recours aux initiales, ce qui fait plus scientifique, puis à la suppression de la notion, au nom du juste combat de la goche contre l'élitisme. Noter que l'on ne met pas d'accent circonflexe sur le mot satirique « goche », car alors, le son [o] redeviendrait fermé, comme dans « gauche ». C'est pourquoi il serait si expédient d'adopter dans ce cas une graphie anglo-saxonne : the gosh (by gosh ! Tudieu ! )
(152) Vous pensez bien que si je gigote au bord du lac d'acide, je risque des éclaboussures extrêmement dangereuses...
(153) Traduction : les Eurysthées m'ont encoyé là-bas pour y rencontrer ma future épouse, et j'y ai cueilli de l'herbe qui rend fou, c'est-à-dire de l'herbe de la Liberté : enfin, je vais pouvoir fuir ma famille et me marier ! La liberté, on vous dit...
...Avez-vous observé que cette fois, le descriptif ou le visionnaire a fait place à des éléments narratifs ?
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MA VIE
Une ligne à construire jusqu'à totale érection de cette geôle (154) , dont la Femme à la fois constitue la cloison, la porte et la fenêtre, les barreaux, partie de moi-même (155) - c'est ainsi que dit-on Héraklès s'est extrait (156) d'Hippolyte, reine des Amazones, abaissé sous Omphale(157), heureux de filer la laine à ses pieds.
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Notes
(154) « construction de cette prison »
(155) la femme est à la fois ce qui emprisonne et ce qui délivre ; mais peut-être tout cela n'est-il que « partie de moi-même », une imagination.
(156) « a fini par plaquer »
(157) Reine de Lydie, que le colossal Hercule, amoureux, a servi en tant qu'esclave, fileur de laine...
Sens : La vie du narrateur s'est construite à partir de sa position vis-à-vis des femmes : seraient-elles sa délivrance, ou plutôt sa prison ? Il se demande s'il n'a pas gaspillé sa force à s'imaginer qu'il était leur esclave.
Questions : Repérez le jeu des métaphores, en rapport avec les références mythologiques
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A QUOI REVENT LES MERES
Ce qu'elles deviennent. Alcmène chlorotique, aimante, pâmée entre les bras et les gants blancs d'un officier supérieur autrichien soutaché d'or.
Sens : Il s'agit des rêveries amoureuses de la mère du narrateur (« Alcmène » : l'auteur aime à se rapprocher d'Hercule, avec lequel il ne possède nul point commun). « « Soutaché » : les uniformes autrichiens, avant 1914, comportaient des soutaches, c'est-à-dire des revers de manches brodés d'or sur fond blanc immacué. Le belle-mère de l'auteur, quant à elle, préférait les officiers russes, et les promenades nocturnes en traîneau, toutes sonnailles dehors.
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MISSION ACCOMPLIE (158)
A présent revenus de tant de chevauchées (159) nous contemplons ces photos éparses, infimes solutions de nitrate d'argent. "Je sens dit-elle (160) un ennui, la misère, une haine ; sur toutes ces photos d'enfance tremblées où je ne suis pas, autant d'imperfections techniques en noir et blanc de temps et de lieux si lointains sertis (161) par les gros cadres dentelés de ces clichés de pauvres" – depuis je vis dans une immense nuit (162), prenant les dimensions de la fondation du monde, nuit multipliée où je m'étends pour toujours auprès d'elle (163) , avant l'étincelante nuit de tous les tombeaux. Je vois de longs repas, des cafés d'où la fumée s'élève (164), où tandis que les BERNARD COLLIGNON GASTON-DRAGON 45
tasses tiédissent naissent les phrases de nos lèvres, franges de rêves effleurant ces mondes d'ailleurs, étranges marécages qui nous dissoudraient.
Notes
(158) N'oublions pas que le narrateur a été investi d'une mystérieuse mission par les Eurysthées ; ces jumelles blondes représentent en réalité son éditeur, unique, mâle et brun. Eurysthée, dans la mythologie, fut le commanditaire des fameux Travaux d'Hercule.
(159) Notez la confusion sciemment entretenue entre la mission du narrateur, la mythologie et la quête des chevaliers médiévaux ; en effet, Héraklès/Hercule n'a jamais à proprement parler « chevauché ».
(160) « Elle » : Alcmène, mère du narrateur ; elle déteste tout ce qui se rapporte au passé.
(161) « serties » : « entourées »
(162) Le narrateur revient décidément à sa personne ; ce qui le fascine est cette continuité des nuits, qui se prolongent de l'autre côté du globe, pendant sa journée, puis qui reviennent, comme s'il n'y avait qu'une seule nuit continue, de l'une à l'autre, devant à la fin l'engloutir, comme de juste (« l'étincelante nuit de tous les tombeaux »)
(163) « elle » : sa femme ? sa mère ? l'auteur n'évite pas toujours ces lourdeurs dans le sous-entendu...
(164) de longues années durant, l'auteur achevait ses repas, en compagnie de son épouse (« mit Bobonne »), en devisant autour des tasses de café ; on parlait de rêves, mais sans aller trop loin, de peur d'être engloutis, et de ne plus savoir revenir dans le monde réel (c'était l'homme qui éprouvait cette crainte).
Sens : après avoir accompli sa mission (mais il ne semble pas qu'elle ait porté ses fruits), le « héros » se repose en prenant du café en pantoufles avec sa femme.
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TRANSMISSION, SUITE
Les Eurysthées (163), dont je me disais libre, m'enjoignirent de formellement régurgiter, sur la tête d'innombrables disciples répartis sur quarante années d'existence, tout le venin du Dragon afin de m'en purger (164); toute cette impuissance et ce savoir qui m'étouffaient. Les disciples s'en emparèrent à leur guise. Ils dévorèrent mon viatique (« ce que le pélerin porte avec soi pour manger dans ses étapes. ») Sans cesse il en vint d'autres (165), et le temps fut sacrifié, car je transfusais tout le sang du dragon pour ne pas mourir ; en vérité je vous le dis ce furent de bien incontrôlés débordements, les jaillissements de la vasque d'un mort. Si les druides sont sanctifiés, c'est en raison de ceux qui les ont irrigués, et non d'eux-mêmes.
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Je ris de tant de nouveautés que l'on propose(166), car toute transmission, de toute éternité, consiste en un Maître assis sous son chêne(167) , dont il tire son ombre et sa susbstance ! ... répandant sur les disciples en cercle ce dont lui-même se dépouille afin qu'ils prêchent à leur tour la divine parole... Que les actifs aillent donc, tels des porcs, fouiller du groin entre les racines de l'arbre ; ils cherchent le fruit grossier des glands, afin de s'en goinfrer ; nous autres, touchés peut-être par la grâce, mortifions-nous, car nous ignorons le peuple : prêts à mourir pour lui, mais damnés, plus que quiconque, au moindre mouvement d'orgueil. Et croyez-moi, c'est difficile.
Notes :
(163) Il s'agit toujours de ces fades jumelles intermédiaires, portant le nom du commanditaire des travaux d'Hercule, sans lesquelles notre héros semble éprouver bien des difficultés à rassembler ses esprits...
(164) Le narrateur prétend ici que les enseignements (bien minces) de son grand-père Gaston-Dragon doivent être transmis à ses élèves ; il purifiera le « venin » de ces paroles ancestrales et le transformera en suc nourricier... En réalité, le grand-père n'est aucunement responsable de tant de haines et de rancunes accumulées. Il s'agit plutôt de ce que l'esprit de l'auteur s'est cru obligé de thésauriser en son arrière-boutique, en réponse aux mauvais accueil de sa mère, et aux conflits conjugaux qu'il a subis, mais aussi abondamment provoqués...
(165) D'innombrables élèves e collège...
(166) Il s'agit ici des abondantes réformes, toutes plus inefficaces les unes que les autres, qui ont agité l'Education Nationale en un prurit incessant, durant les 39 ans et demi de sa carrière.
(167) ...ou derrière son bureau en contreplaqué... ne voilà-t-il pas que notre narrateur se prend pour saint Louis à présent...
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LES INNOCENTS
J'ai lu dans Héraklès que l'infâme Euripide (164), m'avait imaginé, moi, héros éponyme, dans un accès de démence : je massacrais mes propres enfants ; et ce massacre atroce intervenait non avant mes exploits (on les aurait destinés à payer, à racheter ce meurtre), mais après eux : sans plus aucun rachat possible (165) ; juste pour démontrer l'imposition brutale du joug divin sur les épaules mortelles : ils devaient s'humilier devant les dieux (même Héraklès, fils de Zeus), sans se rapporter à leurs propres forces, entendez-vous, Mortels Actifs ? tas de cons agités ? l'éclat de vos exploits ! eh bien ! une minute, une seule minute de folie suffit à démolir le Temple de vos BERNARD COLLIGNON GASTON-DRAGON 47
Gloires ! Ah ! Pauvres hommes d'action de mes couilles ! Aussi j'ai tué mes enfants, j'ai brûlé mes propres livres (166). Et quand mon œuvre s'est embrasée, le crépuscule s'est abattu ! (« les livres » en allemand se dit "Bücher", le bûcher : je suis le premier mortel à établir un tel rapprochement...)
Notes :
(164) C'est le seul qualificatif trouvé par Charles Péguy, dans la seule occurrrence de ce mot présentée par son œuvre
(165) Notez ici l'incohérence de la métaphore : jamais il n'a été question que, tel Héraklès, je massacrasse mes propres enfants, mes élèves... Peut-être cependant l'envie ne m'en a-t-elle pas manqué (et réciproquement...)
(166) Ah ! « celui-ci ne s'attend pas du tout ! » («Les Femmes savantes »)
Questions (167)
1. Montrez que la trivialité du langage exprime le désespoir d'Héraklès. (3 points)
2. N'y a-t-il pas dans ce passage une survivance obstinée des thèses de l'auteur, qui à tout propos et hors de propos tient absolument à s'acharner sur tous ceux qui veulent agir, pour guérir le monde de sa souffrance ? (2 points) Montrez la contradiction avec la mission d'Héraklès proprement dit, qui voulait purger la terre de ses monstres. (3 points)
(167)De telles questions devaient figurer à la suite de chaque petit chapitre. Mais j'ai la flemme, et le temps presse.
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POUVOIR, FEMME ET SOLITUDE (165)
J'ai lu que la Femme, à qui nous accordons tant de pouvoirs, n'a que celui de nous mettre au monde. Ensuite nous restons seuls. Abandonnés. Comme elles-mêmes. Et nous ne parvenons à être, à véritablement être, qu'à l'extérieur d'elle. Mon désespoir devient tel, alors, que mes larmes
eussent pu submerger le bûcher de mes livres.(166)
Je conçus alors, en un éclair, que la quête de l'identité, gisant en ces pages brûlantes (les miennes)
ne pouvait rencontrer sa justification (167)
...que dans l'Eternité. Si tu es éternel, tu es Un ; étant Un, que t'importe l'Identité ?
ET TOC. (L'auteur pense ainsi avoir résolu une extrême aporie)
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Gaston-Dragon meurt, crâne broyé (168). Les dents enfouies dans la terre (169) , tout ce qui reste d'un homme - à moi transmis par Alcmène ma mère - donné à mon tour à deux mille disciples (170).
Notes
(165) Une fois de plus l'auteur va rejeter la faute de tout sur la Femme.
(166) Ce n'est qu'un alexandrin.
(167) Autre alexandrin, à condition de respecter la synérèse (« -tion » : une seule émission de voix.)
(168) On le saura.
(169) Seule preuve d'identité du mort ; les dents sont la partie du corps qui se décompose en tout dernier. En premier, ce sont le cerveau, et les parties sexuelles.
(170) Ainsi donc les dents du dragon figureraient le contenu même de l'enseignement prodigué par l'auteur. Ce dernier devient (encore plus) confus.
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DELITEMENT (171)
Sous ce tumulus arasé par l'érosion errent les dents du Dragon (172) . Pour ôter, transporter la terre qui les couvre, on me demande 800 schékels d'argent ("Etablissements Schönsohn")(173). A présent sur Gaston-Dragon la terre est toute plate (174) ; sur sa corpulence de Fafner (175) : il se ceignait d'une large écharpe serbe, pour prévenir le tour de rein. Tombe et ventre éclatèrent. "Je suis allée le voir; dit Seconde Epouse, comme tous les matins ; la voirie n'était pas encore passée, sinon ils m'auraient prévenue" - autre époque - "pour me dire de ne pas y aller. C'était comme si on avait bombardé la tombe. Exactement comme un trou de bombardement." J''insistai.
J'étais enfant. J'ignorais ce que donnait, ce que produisait, en vrai, "un trou de bombardement". Ce qui s'entendait pour un témoin de 14/18 restait lettre morte en 63 de l'Ere Nouvelle - "comme un trou d'obus ; tu vois ce que c'est qu'un trou d'obus, tout de même." Je me suis souvenu d'une exhumation chez Taupin, éclusier (176) : un petit crâne tout propret au fond de son entonnoir, chacun déclarant bien doctement qu'il s'agissait d'une religieuse enfouie là en toute hâte, droite sous les bombardement portant le brancard, indemne jusqu'à crevade et tombe et ventre éclatés donc de Gaston (autre exemple : à l'enterrement de Guillaume le Bâtard dit le Conquérant BERNARD COLLIGNON GASTON-DRAGON 49
(15 août 1087), par forte chaleur, le corps éclata ; "tous les murs de l'église se couvrirent d'une effroyable bouillie sanieuse, assistants de s'enfuir, clergé en tête, hurlant au Diable." Le monographe ajoute que les évêques, précautionneusement, revinrent plus tard sur leurs pas, recueillirent les restes épars et procédèrent, en privé cette fois, à de plus sobres.) « Mon Gaston, » dit Seconde Epouse. c'était comme si je le perdais une seconde fois"
N'empêche. J'aurais bien voulu voir ça.
Notes :
(171) Il s'agit de la décomposition de la tombe, mal entretenue, au-dessus des corps eux-mêmes en décomposition.
(172) Les dents de mon grand-père se trouvent au-dessous de sa pierre tombale.
(173) « Chœunn-zônn » : « beau fils »
(174) La pierre tombale s'est cassée, on l'a jetée aux gravats ; le tumulus s'est aplati.
(175) Fafner et Fenrir sont les deux dragons de Wagner.
(176) M. Taupin était éclusier. Vous n'entendrez plus jamais parler de lui.
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MISE AU TOMBEAU DE SECONDE EPOUSE (C'EST SON TOUR A PRESENT)
J'ai refusé de la revoir en 77. Quand ce fut son tour. Ses restes tenaient deux misérables chaises en guise de tréteaux, dans un cercueil ratatiné – quand j'était petit, je jouais à prendre sur mes jambes Seconde Epouse tout entière, la suppliant de ne pas tricher, de ne pas se retenir, pour se laisser peser de tout son poids ; mais elle ne s'abandonna pas, pour ne pas me blesser. Pendant sa dernière maladie, les médecins de Reims l'avaient fait fondre. Quand on la mit en terre au-dessus du Dragon, Alcmène ma mère gueula comme un veau "Papa ! Papa !", en pleine cérémonie, au bord du trou. Comme une plaie rouverte. Il a fallu la retenir de sauter dans la fosse. « C'était répugnant", répétait mon père, « absolument répugnant". Mes parents dormirent chez une femme du peuple, meilleure amie de ma mère (177), qui témoigna toute sa compassion. Puis ils sont repartis, puis on avait oublié quelque chose, ils sont revenus, et la femme du peuple à ce moment-là s'est montrée extrêmement désagréable, et froide.
Mon père a déploré cette attitude.
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PUTAIN ON LES AVAIT ASSEZ VUS TOUS LES DEUX.
Mon père a toujours été un naïf.
Notes
(177) Cette connasse n'arrêtait pas de dire du mal de son mari. C'était là toute sa conversation.
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SCENES D'HERITAGE
Délégué plus tard au palais de la défunte (178), mon père Noubrozi trouva là tous les neveux qui ripaillaient comme des Vandales ; jamais ils ne s'étaient souciés de la Seconde Epouse, les neveux de La Fère. Leur père, frère e la défunte, était un pâtissier qui se tuait au travail à soixante-sept ans passés, pour sa femme. Tous étaient accourus, sauf lui, et se gobergeaient en grands soiffards : main basse sur la cave à vins, tous soûls comme Pégase (179), gambadant de la cave au grenier - "Pas un mot de regret, disait Noubrozi, pas le moindre respect, tous bourrés, une honte, une honte." Il était intervenu, mon père. Il était intervenu courageusement, ah mais ! quand les héritiers avaient brûlé toute une masse d'archives familiales qu'est-ce qu'on en a à foutre maintenant qu'elle est crevée. Il leur avait dit mon père, il avait dit, "Vous n'êtes pas malades d'allumer ce feu-là juste en dessous du poirier ?" - des arguments à leur portée - "vous voulez qu'il soit complètement foutu le poirier ?" Ils s'en foutaient les neveux, ils en étaient au raisin fermenté, et ça cavalcadait sur trois étages, "une honte mon fils, une honte".
Elle avait bonne cave la Femme Dragon, elle aimait la bonne chère, elle avait reproché à mes parents de "vivre chichement", un souvenir de La Fontaine, "chichement", répétait mortifiée ma mère, "chichement". Pour ma mère, la répétition d'un mot sur un certain ton de mépris tenait lieu de suprême argument.
Notes :
(178) Il s'agit de la maison de Fernande, Seconde Epouse, après le décès de cette dernière.
(179) Canasson de l'inspiration poétique. Cette allusion est ironique.
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LA DERNIERE FOIS
Je me demandais ce que je pourrais bien lui apporter pour améliorer son ordinaire ; Seconde Epouse n'aimait guère régaler, faisait même payer à mes parents leur entretien lors de leurs visites. J'achetai au dernier moment un gâteau et une bouteille de blanc ; Fernande - son véritable nom - refusa ma bouteille, m'envoya quérir à la cave un meilleur cru, plus doux - connaisseuse, avec ça... J'avais pris aussi de une bande magnétique. C'est surtout moi qui ai parlé, saccadé, tremblant de n'être pas naturel et ne l'étant pas du tout. Rien d'autre n'arriva rien qu'un profond ennui. Je répétais tout ce qu'elle disait. Je quittai GVIGNICOVRT en hurlant, au volant : "
Ça sent la mort ! ça sent la mort!" - et ne m'arrêtai qu'aux confins du Département du Nord...
Commentaire
Ma quête d' Eternité aboutit dans une certaine mesure.
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PEGGY DARK
Je dois racheter les pleurs de ma mère. Ma Mère Peggy Dark : n'était-ce pas elle qui toute jeune, s'étant vu écarter des propres funérailles de sa mère, fut déléguée aux mises en terre de tout le bourg. Aux enterrements. De GVIGNICOVRT (Aisne) (belle église). ...Me faudra-t-il un jour, et pour le peu de temps qu'il me reste à m'en souvenir, porter mes pas à GVIGNICOVRT en cet endroit précis / que rigoureusement ma mére / m'interdit de nommer ici - où l'on (ex)posait sur leurs catafalques maints cercueils accompagnés par elle jeune fille, afin d' y flairer (moi) cette amorce de macération de chair sentie cinquante-cinq ans plus tard au lendemain de son enterrement dans cette autre église, sans style, à l'autre bout de la France et de cette vie - n'ayant pas même averti, pour sa mort la plus proche famille - en cette boîte où Peggy Dark le matin même, ma mère, décongelée, fraîche et d'un rose malsain [il manque un bout d'oreille !] - sanglée dans sa chemise à ramages oranges – espace donc au-dessus du dallage, au milieu de la nef, où je sentis physiquement, le lendemain de la cérémonie, la vibration morbide, mortelle, subsistante, exactement coïncidant avec ce volume appelé par mon père parallépipéde rectangle , à l'emplacement exact et vide désormais – du cercueil...
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IMMORTALITE, SUITE
Supposons que nous devenions immortels. Nous aurions alors en nous toutes les vies vécues : toutes les virtualités, avec la capacité de les réaliser toutes. Plus ne serait besoin que la vie se scindât alors en une multitude d'individus. Ou bien nous échouerions dans le marais infini de nos propres vies, marais-cage, où se décomposeraient au sol toutes nos mollesses, et la force des Choses (ici, serrement de gorge). Telle serait l'Immortalité, sans besoin même d'un chat bâtard, survivant des bombardements de toutes les Allemagnes (180). Il ne nous resterait plus qu'à trembler. Ainsi sombre(181) l'épopée d'un croquant (182) qui s'est pris, l'espace de 50 pages, pour Héraklès dit Hercule, fils de Zeus et d'Alcmène, elle-même fille d'Electryon.
Notes :
(180) Bébert.
(181) Part en couilles
(182) C'est moi.
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