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der grüne Affe - Page 36

  • NOUBROZI

    n o u b r o z i père,martyre,famille

     

    Récit poignant – chef-d'œuvre à son pépère

    Éditions du Tiroir

    publié dans le numéro 1 du « Bord de l'Eau »

     

    Semper clausus

     

    Mesdames, Messieurs les Jurés, Noubrozi fut mon père et mon instituteur.

     

    Trop père en classe, trop instituteur à la maison, est-ce pour m'avoir dans sa « classe unique » qu'il refusa toujours d’habiter la ville ?

    - Ta mère n'avait que son Certificat d'Études mais c'était une bonne ménagère, me répétera Noubrozi.

     

    Pourtant j'imagine mon père en victime.

    Dès l’enfance, je dis : « Pauvre papa ! »

    Il joue bien son rôle. Ma mère le persécute. Nous formons un triangle où chacun se croit persécuté par les deux autres.

     

    Mon père s’agite au rez-de-chaussée. J’écris sur lui, sans documentation. Cette dernière est une entrave. Mais je ne veux ni mentir, ni inventer ; ni broder mes constipations sur l’œdipe du Père (prononcez Édipe, comme ma mère, bande d'ignares)… Depuis le temps, je n’ai que moi… Mon père, fruste, repousse l’analyse au cas où apparaîtraient des Sentiments.

     

    Tu vis seul à présent. Tu n'en sembles pas souffrir, à moins de dissimulation.

     

    Quatre frères et sœurs à chaque étage. De Maubeuge à Namur en passant par la Suisse.

    Le berceau s'appelle la Meuse (Clermont – Stenay – Verdun).

    Mon Père et moi n'avons pas besoin de langage.

     

    Mon père s'appelle Roland, mon grand-père Eugène, le père d'Eugène Louis, Louis fils de Nicolas…

    Or, la responsabilité se mue en hérédité, la scolastique freudienne se substitue à la Providence : j'ai repris à mon compte les névroses de mon père, pour les absoudre, les justifier, les vivre. J'endosse. Le fils garant du Père. Nous nous comprenons, nous nous emboîtons, enceints l'un de l'autre. Comme je n'ai pu être Moi, je serai Lui, mais pour le punir de m’avoir entravé, et Lui, comment pourrait-il en être autrement, sera Moi.

     

    J'évoquerai les deux enfances conjointes (tant de zigzags, tant de reprises en taches d'huile, de retouches, de ponçages et de repentirs, pour parler de soi).

    Mon père fut rejeté par sa famille. Sa mère prodiguait du martinet. Roland venait après une sœur morte et regrettée. Il y eut une autre sœur après lui, Raymonde II. Mon père eût dûn naître fille. Il fut un faux aîné, faux responsable, chargé de tout et accusé si les cadets tournaient mal. Au Cours Complémentaire de Vouziers il fut placé interne. Ses parents habitant la ville même, pendant la promenade des pensionnaires il tournait la tête vers la maison maternelle. Le surveillant le rappelait à l’ordre. Ses camarades s’étonnaient. Son frère Jean, externe, lui, venait porter le chocolat de quatre heures à l’enfermé. Il y eut des pleurs sur ce pain-là. Si j’étais biographe je pousserais plus loin la multiplication des faits.

     

    Mon père accumula les bourdes pour se faire aimer-punir, avec cependant une épreuve terrible : soixante-douze (72) jours sans boire ni manger : péritonite, inversion du transit intestinal, exemple : vomir sa merde. À treize ans. Plus de deux mois sous perfusion. Il but une nuit l’eau du radiateur. « Il s’en sortira » dit le médecin.

     

    Ne pas être en reste, moi. De ces parents me posant en victimes je fis mes bourreaux.

    Je n’aimerais pas noircir le tableau. Mon père s’est toujours plaint de son enfance : misère matérielle, à elle seule rien de grave, mais sans le vouloir il a reconstitué autour de moi l’atmosphère d’anxiété, de carences affectives qu’il a subies : chacune de ses tentatives vers le monde extérieur s’est soldé par une torgnole. Telle fut l’enfance que je dois racheter avec talent, mon talent.

    Quand je geignais (j’étais, je suis grand geignard) mon père m’assenait : « Tu n’as jamais manqué de rien. »

    Noubrozi si.

    En ce temps-là, Noubrozi menait paître la chèvre sur les remblais ; il usait en tiers les culottes de ses frères et les plats qu’il n’avait pas aimés lui étaient représentés tout pourris qu’ils fussent jusqu’à consommation complète.

    « J’ai assisté à des scènes dont tu n’as pas idée » me dit Noubrozi. Mon père se vantera de n’avoir jamais bu, ni supporté de boire, ni fumé. J’ai de la chance : à soixante-seize (76) ans mon père semble fait pour durer.

    J’ai de la chance : à soixante dix-neuf (79) il est mort. Bois. Bois donc. Et moi j’ai bu, je fume encore, le sang du grand-père, verrier à Buneos-Ayres en 1892 ; le sang du père, Grand Nerveux, se sont faisandés chez moi, en sang d’intello. Mon père a voulu m’épargner son enfance, coups et connerie, or, dès l’âge de six ans mes lunettes m’ont soustrait aux violences. Je n’ai vécu que de l’alcool des livres, et j’écris.

     

    Je n’ai pas été frappé. On ne peut pas tout avoir. Mon père a longtemps dévoré ses remords (de guerre) : moi je n’ai RIEN fait. « Il vaut mieux des remords que des regrets » (refrain connu). Mon père a bu de l’eau de lessive (de la vraie), mon père est tombé dans la manchette d’alimentation en eau de la loco ; mon père a fait sauter « les plombs » de la gare avec une épingle à cheveux ; mon père a arrêté le Calais-Bâle en se suspendant au contrepoids du signal ; mon père…

     

    Mes oncles, les frères de Noubrozi, ne se sont-ils donc jamais livrés à des sottises comparables ? Invariablement les récits de mon père s’achèvent par « J’ai reçu une bonne tournée ». Le martinet passé dans la ceinture de ma grand-mère Alphonsine n’a-t-il fonctionné que pour lui ?

    Freud prétend quant à lui qu’un évènement n’a pas besoin d’avoir eu lieu dans la réalité pour impressionner à vie un enfant… Mon père n’a pas connu d’excès de tendresse. Il n’a pas plus regretté sa mère que moi la mienne.

    Je n’ai pas regretté mon père non plus.

     

    « Vous me gâchez ma jeunesse ! » Voilà ce que je répétais à mes parents.

    Il y a comme ça des banalités transcendantes . Et j’ajoutais : « Je me vengerai. »

    De fait je les abandonnai dans leur vieillesse. « Tu étais dur tu sais ! » J’étais devenu dur.

     

    Pourquoi ma mère, gueularde éternelle, s’est-elle toujours traînée de maladie en maladie, dans un état de parfaite robustesse ? Non ; les malades ne sont pas coupables. Toute maladie procède de la névrose, et c’est aussi une punition. Toute mort n’est peut-être qu’un suicide.

     

    Mon père vomit ses excréments. Mon père fut hospitalisé. On le nourrit de perfusions et de clystères. On lui ouvrit, on lui rouvrit l’abdomen. J’ignore à quoi il a pensé. Il en mourut soixante ans plus tard. De quoi mourrai-je ?

    Les forces de résistance sont infinies. J’ai connu mon père desséché : « sombre et rêveur » (c’était son mot). Soudain il partait d’un rire puéril et vulgaire. Mon père criait beaucoup, par à-coups, sans raisons apparentes. La seule constante de ses gueulantes fut la haine des hiérarchies, de tout ce qui l’avait écrasé.

     

    Que dire d’une réflexion qui se dispenserait de la chronologie ?

    Les ouvrages d’Histoire Antique de Dauzat et de Piganiol ne font qu’allusion aux évènements. On les comprend mal. Tout mythe veut du mystère ; le père doit demeurer vénéré. Ce n’est pas qu’il faille jeter le manteau de Noé : nul ne serait plus ravi que moi d’apprendre des horreurs sur mon père. Non, c’est de moi que je crains de trop savoir.

     

    L’Internat est mon sujet à présent : mot proche de « l’internement », connu par mon père en citadelle de Laon. Avant cela, jeune homme, il connut l’E.P.S. de Mézières (École Première Supérieure) et, dans une moindre mesure, l’École Normale de Laon.

     

    « Quand j’étais à l’E.P.S. de Mézières » est devenu le sésame, la clé de la Saga du Père, bien avant la mort. Mon père hochait la tête : « Moquez-vous tant que vous voudrez, c’était quelque chose de terrible. »

    Noubrozi n’avait pas fait Verdun ; il avait fait Mézières.

    Ma mère le faisait taire, non tant par haine du radotage que par haine viscérale du passé. Elle en venait à détester tous les films « d’époque « .

    - Regarde-moi ça, disait-elle. Quelle misère ! Quelle misère !

    Il ne fallait pas lui parler du Passé. Uniquement de ses vertèbres (autre mythe) et de ses maux divers, d’un sphincter l ‘autre. On les rejetait, elle et mon père. Ils ont fini tout seuls par n’avoir d’autres sujets de conversation que Mézières et les vertèbres.

     

    Il est étrange de se souvenir de son bonheur. Stendhal place son apogée de ses dix-huit à vingt-quatre ans. Mon père, lui, a sommité entre quarante-huit et cinquante-deux ans, à Tanger. Il n’en parlait jamais, comme honteux d’avoir joui quelques fois de sa vie. Il revient sans cesse sur Mézières, où il expia la faute essentielle et commune d’être né : « Vois Dieu des laïcs, je me suis racheté. N’oublie pas cela au jour de ma mort. J’ai subi les épreuves, j’ai couronné ma malédiction d’enfance. Ce châtiment me justifie. »

    De tout cela naturellement mon père n’a pas conscience, mais l’auditeur, son fils, conserve consciemment un amalgame d’admiration et d’horreur : « Ce fut extraordinaire ; j’étais enfin tenu, puni, par tout un ensemble de professeurs, de Règlements ; ce fut atroce, j’ai beaucoup souffert. »

    Je le poussais dans ses retranchements : des mots d’internat ordinaire, le froid, la nourriture, la puanteur et la promiscuité. Je souffris moins que lui, je fus renvoyé dès le mois suivant. Père Puni obtint plus tard un poste de surveillant à l’École Normale de Laon, à charge pour lui de préparer le Brevet Supérieur (nourri, logé, enseigné).

    Cinquante ans plus tard mon père me présentait ses Maîtres comme autant de héros de l’Iliade. En ces casernes-forteresses, lui qui lisait peu, il s’imprégna avec avidité d’une petite manne de culture. Les Maîtres, Pères multipliés, savaient tout. Sévères et justes. JUSTES.

    Plus de femmes. L’Ordre était Respecté. Il ressassait, il ressassait ses anecdotes, mises en scène, emphatiques. J’aime pousser mon père au noir, ça lui fera les pieds.

    J’ai besoin d’un pèe malheureux, sinon, pour quoi l’aurai-je été ?

     

    Mais il eut plus d’amis que moi. Premier en allemand Noubrozi, il découvrit l‘amitié, que plus tard je ne connus pas. L’amitié ne m’inspire pas : je ne comprends pas en quoi elle consiste.

     

    Mon père et Doriot ne se quittaient pas.

    Ce fut un autre ami (Thomas) qui lui apprit à jouer aux échecs.

    Pendant les promenades d’internat Thomas et mon père, sur un petit échiquier tenu à deux mains, jouaient en marchant. Noubrozi m’apprit à jouer aux échecs. Jamais je n’ai battu mon père : je refusais tous les conseils, me vexant. Après qu’il eut soixante-dix ans ses facultés s’émoussèrent, je parvins à gagner quelques parties, mais ça ne « comptait » plus, il était trop vieux.

    Noubrozi remporta le tournoi du Journal de l’Union en 51. Il aurait pu participer au tournoi des Ardennes, il aurait pu affronter les champions nationaux.

    Moi j’évite l’amitié. D’un mâle, rien à tirer. Les amis me semblent des pédés, refoulés cela va de soi. Je hais tant les hommes que je crains de les désirer.

    Les femmes ne font pas tant de manières.

    Mes parents, surveillant étroitement mes fréqunetations, me poussèrent tant qu’ils purent vers l’homosexualité.

    Frais émoulu de mes notions psychanalytiques, j’ai un temps placé les amitiés du père sous le signe de l’homosexualité refusée. Je n’étais pas sans avoir raison. Mon père se lamenta en levant les bras au ciel. Ma mère (de quelle complicité de faiblesse, de quel accord profond ne fus-je pas ce soir-là témoin et acteur ?) ma mère me pria de cesser.

    Mon père est vieux à présent. Ma mère, valétudinaire, est morte : je viens visiter Noubrozi dans sa maison de Bergerac. Ce sont les mêmes conversations qui reviennent puis qu’il oublie. Tous les ans ce sont les mêmes thèmes, que je reprends avec indulgence, avec délectation ; avec amour. L’un d’eux concerne cette vaste période : « Quand j’étais à l’É. P. S. de Mézières... » ou « À l’École Normal de Laon, après le régiment. »

    Il me reparle de ses camarades, de ses professeurs surtout. Les Ardennes continunet de l’attirer. Elles sont là, au bout de la route.

    À présent qu’il est veuf (ma mère n’ayant fait que du lit au tombeau) il pourrait piquer aux Ardennes. Puis il est mort. Il n’y va pas. Il n’y trouverait personne.

    Pourquoi, de toute sa vie, n’a-t-il pas eu l’idée de retourner là-bas ?

     

    «  C’était terrible ».

     

    Mon père est un velléitaire.

     

    Mon père a décidé de m’aguerrir : il m’envoie en colonie de vacances pour voir si je m’adapterai bien à un éventuel internat : connerie, grossièreté, obsession sexuelle ; manie que les autres ont toujours de me prendre pour un khon.

    Ma mère, dûment édifiée par les récits de son mari, s’était exclamée : « Je suis sûre qu’il sera malheureux ».

     

    Jamais lingère d’internat n’avait vu si volumineuse valise.

    « En colonie de vacances on vous tue de sports, on n’ouvre pas un livre. » Mal vu ! Je me suis enfui en pleine forêt, enfui pour lire, vite et n’importe quoi. La fille du directeur m’a prêté L’opale noire. J’ai lu. J’ai demandé ce que signifiait le mot « parcimonie ». Elle m’a renseigné en tordant les lèvres, comme si j’avais demandé la dernière des cochonneries :

    « Comment, à ton âge, tu ne sais pas ça ? »

     

    Toute la section m’a cherché dans le bois en braillant. Bien fait pour leurs gueules. J’en avais marre de construire des cabanes en bois pour jouer la Guerre des Boutons. Bande de connards.

    « Ton père, il fait la classe aux oies et aux lapins » dit un colon.

    Aussitôt je me suis forcé à pleurer, pour défendre papa. Désespéré bien sûr de ne rien éprouver.

    Heureusement que la monitrice des filles ne m’a pas montré son cul. Elle m’a fait venir dans sa chambre : « Pourquoi dis-tu toujours trou du cul de poule, trou du cul de poule ?

    Je ne connaissais que l’oiseau.

    Elle me garda longtemps dans sa chambre, se recoiffant, se remaquillant. Je me suis ennuyé. J’ai fini par lui demander la raison de ses questions. Elle parut se raviser, et me renvoya. Elle fit bien : je caftais tout à mes parents. Belle affaire de pédophilie en prespective, et pour UNE fois, impliquant une femme. Les commentaires et réactions de mes parents m’auraient profondément traumatisé. Il se peut que de nos jours même, les réactions de l’entourage provoqunet au moins autant de dégâts que les attouchements d’une femme.

    Quand Noubrozi est venu, le 18 juillet 54, il ne m’a pas repris avec lui. Il est resté parfaitement indifférent à la défense héroïque de sa personne et de sa fonction. Il ne m’a pas repris avec lui.

    « C’est signé jusqu’au 30, tu reste jusqu’au 30 ».

     

    Ma mère est morte le 30 juillet. Le 30 juillet 1984.

    Je suis retourné en internat pour mes dix-huit ans. Mon père a pensé : « Il s’adaptera cette fois. » Mais non. Mêmes promiscuités, peur, crasse, ennui, rhume. J’ai laissé tomber les amitiés de ce temps-là. Cinq (5) de moyenne toutes les matières, à moi, le génie ! Viré pour indiscipline. Le chant du coq à cinq heures du matin, les hurlements devant la porte des appartements du directeur, les poteaux flagellés à coups de ceinture « Sale juif j’aurai ta peau », les autres taquinés, taraudés, laminés jusqu’à ce qu’ils explosent. Noubrozi renonça. Je ne pus ni poursuivre, ni expier ; je passai pour fou. Le proviseur le dit à ma mère. J’allais traîner dans le quartier aux Putes les jours de sortie. Des noms ? Le lycée Monaigne de Bordeaux.

    Quant au service militaire il  me fut épargné. C’est toujours ça de gagné.

     

    Ce que j’essaie de démontrer ? Que l’on est malheureux en internat ? Que mon père fut malheureux ? Qu’il m’a délégué une partie de sa vie ?

    Je proclame, expie et rachète les péchés du père.

    « A l’E.P.S. de Mézières » (en vérité je vous le dis) mon père obtint une compensation de taille : se hisser au premier rang de la langue allemande, et s’y maintenir.

    Aimer l’Allemagne et les Allemands lui valut à la fin de la deuxième guerre une condamnation à mort, l’amnistie, et une kyrielle de séquelles où je fus partie prenante…



    Dans l’Est, rien de plus ordinaire que d’apprendre l’allemand ; à Mézières donc, les garçons possédaient ou croyaient posséder un solide bagage de trois ans d’étude. Mon père, le nouveau, dut rattraper son retard. Ses parents payèrent des cours particuliers. Il suivit du fond de la classe, notant tout ce qu’il pouvait. On l’interrogea, et les autres : « Pas lui m’sieu, pas lui !… Il est nul ! » Le prof s’obstinaà interroger mon père. Il sut répondre parfaitement, passa en tête et s’y maintint. Ses condisciples lui passèrent la bite au cirage. Puis Noubrozi assura toute la correspondance allemande et féminine de ces messieurs.

     

    Les Allemands, les vais, sont venus plus tard. Mon père les a reçus : des gens comme les autres, qui voulaient assurer l’unité européenne, qu’il avait vu entrer à Bruxelles au pas de l’oie, la botte à hauteur d’omoplate - des gens disait-il plus francs, bien nets, avec lesquels on pouvait exercer cette belle langue à cravache : mon père hachait l’allemand. « Pourquoi la France et l’Allemagne se font-elles la guerre depuis des siècles ? Hitler est un fou, à moins qu’on puisse un jour s’entendre avec lui. La paix reviendra…

     

    « On n’était pas au courant de ces choses-là, tu sais…

    La délation, les déportations…

     

    « On mangeait des tomates du jardin ta mère et moi quand la radio a annoncé la déclaration de guerre… » Adieu ma mère la propreté des torchons.

    Moi j’aurais crevé de trouille. Je me serais fait passer pour dingue-dangereux.

     

    Mon père a menti.

    Il décida d’obéir. Il fut secrétaire de mairie à Essises. Il l’était quand les Allemands sont arrivés. Il le resta.

    « Monsieur C., vous établirez la liste des fermiers, de leurs biens et de tous ceux qui possèdent une chambre à réquisitionner.

    - Jawohl !

    Et Noubrozi de remplir les papiers : 3 vaches, 18 lapins ; trois chambes chez Pichelin (j’ai vu ce nom sur le Monument aux morts).

    - Pourquoi n’avez-vous pas démissionné ?

    - J’aurais dû.

     

    Mon père avait trente-trois ans, treize ans de moins que moi écrivant cela.

    Chez les couillus c’est l ‘âge adulte. Chez nous autres…

     

    Mon père me raconta quil avait mangé le lapin en compagnie de l’occupant ; qu’il allumait Radio-Londres. L’officier posa la main sur le poste, le trouva chaud, et, regardant l’aiguille : « Ach… London ! » Il aurait pu faire fusiller mon père, que les Allemands étaient gentils. Qu’il était brave mon papa de balayer les merdes fraîches des vaillants patriotes sur les tombes allemandes de 14 – 18 !

    «  Cest malin ce que vous faites! un jour à cause de vous on se fera tous fusiller ! »

    Auprès des… euh… « tribunaux » F.F.L. mon père plaida qu’il dérobait des vélos « pour pédaler dare-dare chez les fermiers : Cachez tout ; ils arrivent. »

    - Je faisais semblant de ne pas comprendre ce qu’ils disaient, et je fonçais sur mon vélo…

    ...Tu faisais semblant de ne pas comprendre l’allemand, Noubrozi ? Tu as fait croire cela aux tribunaux ; tu ne le feras pas croire à ton fils.

    Mon père aussi volait des vélos par kleptomanie. Plus tard il essaiera de me convaincre qu’un kilo de beurre volé fut la seule et unique cause de son emprisonnement. Papa, tu as peu fauché, peu collaboré. Mais cela suffit amplement aux mépris de ma mère, de ton beau-père, de tous tes frères. Ach… les purs, ceux qui n’avaient RIEN fait. Et moi aussi, anch’io, en 44 je frappais si fort l’intérieur de ma mère tant j’avais hâte de cogner du Boche ! Pourquoi n’ai-je pas de médaille ?

    Mon père fut condamné à mort. Il semble avoir supporté cette attente, en prison, avec cette indifférence des sages et des sots. Ma mère lui faisait parvenir des messages d’encouragement à l’intérieur des saucisson : « NOUS nous occupons de toi. » Noubrozi fut tiré de là par les Américains qui le lavèrent de l’accusation de traîtrise, mais retinrent les délits de droit commun. Les frères de mon père, glorieux résistants méconnus, condescendirent à témoigner en sa faveur. Puis, grâce à l’amnistie gaullienne, mon père réintégra l’éducation nationale, à l’échelon le plus bas.

    Son goût de l’Allemagne et la Hiérarchie lui avait coûté son avenir.

    J’étudiai l’allemand à mon tour. Je devins amoureux comme un enfant de mon professeur, un pète-sec. Je fus premier de la classe. Avec mon béret imposé, mes principes de peur, je devins proie rêvée du décor hitlérien. Le Pouvoir sur les foules me tint lieu de bien suprême.

    L’idéologie nazie me convint, à l’exception du racisme, « une erreur ». Je lus tout ce que je pus trouver sur la période en cause, sans rien découvrir sur mon père bien entendu.

    (Puis j’émigrai en Autriche sans me mêler à la Population, et je créai entre ma fille et moi un langage secret : l’allemand).

     

    Surtout je ne manquai pas une occasion de minimiser, de dénigrer la Résistance.

     

    J’héritai d’un complexe non répertorié de piédestalisation du Père et d’un tenace sentiment de persécution. Banal.

     

    Mais il est absurde d’écrire sur la vie de Noubrozi sans parler de ma mère (Nnozi), et de leur union. Dont acte.

     

    Mes parents se sont connus dès l’enfance. École et catéchisme communs, dans le village de G. Je ne sais ce qu’ils se dirent, ni s’ils furent amis. Plutôt deux camarades parmi d’autres, unis par une vague indifférence à mon avis.

     

    Les familles ne se fréqunetaient point. D’un côté Gaston, contremaître, exploiteur-sucrier ; de l’autre Eugène, chef de gare de gauche, tous deux buveurs. Leurs enfants respectifs avaient passé vingt ans, lorsque la sœur de Noubrozi prit la chose en main : « Roland, dit-elle à mon père-Noubrozi, on ne te voit jamais avec une fille ! Est-ce que tu veux devenir curé ?

    - Non, non.

    - Pourquoi ne fréquneterais-tu pas la fille M. Elle est toute seule et bien malheureuse.

     

    Je suppose que les choses furent ainsi. Comment ma mère et mon père se rapprochèrent-ils ? Comment se sont-ils convaincus ? « Nous marchions le long de l’Aisne sans savoir quoi se dire. »

     

    « Tais-toi, tais-toi, dit ma mère, mourante, plus de passé, plus de passé !

     

    Le jour des noces, à 24 ans, tous deux étaient vierges.

    À présent tentons de résumer : pendant la Grande Guerre, mon Grand-père Gaston M. fut cocu. De Delphine l’infidèle naquit un enfant, un bâtard que ma mère soigna. Gaston divorça de Delphine, épousa Fernande mais se retira toujours afin de ne pas avoir d’enfant d’elle.

    Nnozi ne put jamais revoir sa mère, sa vraie mère, Delphine vivante.

    Delphine mourut à 38 ans d’urémie. « Elle est punie par où elle a péché » dit Gaston.

    Pour ma mère un peu de son père demeure en moi. Il tomba de vélo et passa sous un camion de sa sucrerie, quatorze mois après ma naissance.

     

    Quand nous revenions à G. pour les vacances ma mère s’enfermait à l’étage , dans la chambre de son père. Noubrozi et moi dormions dans la chambre du bas.

     

    Mon père ne s’est ni découvert, ni levé pour la Marseillaise. Gaston parla de lui apprendre le respect à coups de pied au cul.

    Gaston lisait les lettres d’amour de mon père à ma mère et les déclamait dans la cuisine : « Ange pur, ange radieux... »

    Quand j’étais jeune, jamais je n’ai réfléchi à ce que pouvait être cette maison de G. : le lieu de vie de ma mère jeune fille.

    Elle me rapportait tous les propos de son père. Ça, c’était un homme. Pas comme son mari. Quand l’opinion d’autrui ne lui plaisait pas : « Tout ça, c’est des opinions de pédé ! » Le seul rival de mon père fut un mort. Je l’ai échappé belle.

    Où ma mère a-t-elle pris qu’on la méprisait ? Cela revenait dans les disputes : « On me l’a assez reproché de ne rien savoir ! »

    Éloge de mon père après la mort de ma mère : « Elle n’avait que son Certificat d’Études ; mais c’était une bonne ménagère.

    Elle avait été interne à l’école ménagère de Guny, dans l’Aisne. On y apprenait à tenir son ménage, à enfoncer son doigt dans le cul des poules pour les faire pondre. Le fin du fin pour les filles. Comme j’étais constipé, ma mère me mit le doigt au cul. Au pensionnat, il s’en passait, des choses. J’affectai la plus profonde répugnance : « C’est encore plus écœurant qu’avec des garçons ». D’autres fois ma mère me coupait :

    « Jamais mon père ne m’a manqué de respect ».

     

    Mon père justifia enfin la défiance du gros Gaston qui le tenait pour un freluquet:il chaparda, collabora, petitement, mais le paya. Toutes les portes se fermèrent. Ma mère le soutint, peut-être lui sauva-t-elle la vie. Si elle avait couché avec l’avocat, cela justifierait l’horreur qu’elle a toujours brandi pour l’acte sexuel :

    « Vous en faites des histoires avec ça ! dans les livres, au cinéma ! C’est pourtant pas plus important que d’avaler un verre de vin ! »

    Et toutes les amies de ma mère de faire chorus. Je n’ai jamais connu que des femmes comme ça pendant mon enfance. Avec de grosses paires de seins. Et dont la seule conversation était de dire du mal de leurs maris. « On n’a pas besoin de ça, nous autres ». « De toute façon ils ne peuvent pas grand-chose, allez... » Le petit garçon n’y entendait pas malice. « Oh les hommes, ça ne vit pas vieux vous savez ».

    À 18 ans passés j’entendais encore des jeunes femmes bien en chair, dynamiques, revendicatrices : « On leur fait faire tout ce qu’on veut ! ...Il n’y en a donc plus un pour nous mater ? » Je cite. « Vous verrez, un jour il nous poussera une petite quéquette, à nous autres ! » Je cite encore.

     

    *

     

    ...Ma mère sauva donc la vie de mon père. Mais ce fut pour mieux la lui faire perdre, ensuite, à coups d’épingle venimeuse. Elle ne perdit jamais aucune occasion de lui rappeler qu’il avait enfreint la loi. Mon père se jeta dans des remords excessifs et théâtraux. Et on se moqua de ses comédies. Ma mère ne cessa de le juger : ma mère imitait son propre père, qui condamna, punit, et bannit sa femme adultère.

    Mon père trinqua ;

     

    Jamais je n’excuserai l’ignorance de soi. Jamais je ne pardonnerai qu’on passe sa vie à se tromper de cible.

     

    Je ne considère pas mes parents avec une nostalgie bienveillante ; la plupart des mémorialistes évoquent leurs « chers disparus ». Pour moi, mes parents sont des insectes dont je me demande comment j’ai pu descendre.

     

    Notre famille est un triangle où chacun se croit persécuté par les deux autres.

    Toujours je penchais vers mon père.

     

    P. 23 TAPUSCRIT 68 REVUE

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

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  • KHYRRS ET TZAGHÎRS

    COLLIGNON

    KHYRS ET TZAGHÎRS

    1. La stèle

     

    Ici le fleuve entaille la falaise. Six cents doghs de dénivelé. Au sommet, la ligne des arbres – en bas, la trouée du rapide et son ravage de troncs. L’eau fume jusqu’aux premières savanes sous la pente : c’est là, au bout de la dernière piste, que se devine sous les herbes la stèle d’Alloum-Khéfi.

    « Lis ce qui est écrit !

    - Comment serait-ce possible, ô Badjar, à celui que tu as privé de la vue ?

    - C’est juste.Qu’on l’achève.

    Un esclave pousse le Blanc, qui tombe à quatre pattes et reçoit sur la nuque le froid tranchant du ssûtak ; un autre entraîne le corps et la tête hors de la piste, à portée de hyènes.

    « Blanc, lis-nous le texte de la stèle.

    - De la dixième année de mon très glorieux Règne

    « Quiconque, homme ou femme, de peau noire, ayant franchi la borne du Royaume

    «  Sera sur-le-champ exécuté ».

    Un vaste éclat de rire secoue les Suivants sur leurs méharis, et gagne la colonne des guerriers sur toute sa longueur. Le prisonnier halète. Le ssûtak recourbé s’élève sur sa tête, mais le Badjar fait un geste condescendant : « Laissez-lui la vie ». L’homme est tiré en arrière par la corde qui lie ses poignets. Le Badjar tend le bras vers la stèle. Aussitôt dix guerriers s’arc-boutent à sa base et s’écartent d’un bond quand la pierre s’abat dans un creux d’eau sous les herbes, avec le bruit lourd d’un hippopotame touché à mort.

    Alors une clameur remonte la colonne jusqu’aux lisières de forêts, et plus loin, où l’on n’a rien vu. Le Badjar a levé trois fois le ludabeth, sa lance-d’appui, qui descend jusqu’au sol le long de sa monture, et rythme la marche vers le nord : Hy-bâ !

    Hy-bâ ! crient les flancs-gardes.

    Le Badjar marche en tête sur son méhari. Ses lèvres sont bleues. Son crâne aux tempes poncées porte une crête rousse de la nuque au front. De sa ceinture partent huit longues étoles rouges, tendus en étoiles par huit esclaves à pied, aux lèvres bleues, le torse nu. Ainsi maintenu à mi-corps, il avance avec majesté, comme une rutilante mygale.

    Les tendeurs d’étoles trébuchent sur les longues-herbes, prenant soin de toujours garder le tissu soigneusement tiré. Leurs traits et leurs muscles luisent. Sous la taille écartelée par les écharpes tendues à se rompre, un pantalon bouffant d’étoffe blanche à crevés rouges. Les pieds sont nus. Derrière l’imposante pyramide formée par le Badjar et ses étoliers, les treize fouroukh montent des chevaux noirs à crinière courte. Les fouroukhs ou maréchaux ont la tête rousse et la bouche bleu saphir ; mais leurs cheveux sont plus ras, et leurs prérogatives ne vont pas jusqu’à s’autoriser la garance pour se peindre, ou la poudre d’indigo.

    Ainsi se règle la tenue des officiers, reconnaissables au nombre de leurs bagues.Les serre-files agitent leurs baguettes de cuivre. Le peuple tzaghîr est en marche : hommes et femmes en état de porter les armes. Ils ont tous les cheveux roux, les lèvres bleues et vernies, et lorsque le Badjar tourne la tête, il aperçoit, en file interminable jusqu’aux Gorges de Lazb, un immense dégorgement humain de braises rouges et de peaux noires.

    X

     

    TZAGHÎR FRANÇA1S

     

    « Mior utimer wendrè halemu «  Nous avons ainsi cheminé

    « horpowo biongak cho rikao, «  jusqu’au coucher du soleil,

    «  pö ruzuerru rok mispa fwonga. «  qui s’abaissa sur notre gauche.

    «  Ja bunsuéla u jumbu ku nkéakè, «  Le bounsouéla a lancé la prière,

    «  nör mior utimer diklu «  puis nous avons formé

    « diklu kar bakbar chuzuma. «  les cercles d’ébène.

    « Ha nikhuè jami  «  Je portais le numéro 743

    «  rior kaq ipshkar Schebbi «  sous les ordres d’Ebbi

    «  as ha gor runuzu «  et je fus séparé

    «  sha Hamaoua. « de Hamaoua.

    «  Ba riok-jou, ha bilnwè «  Ce soir-là, je comptai

    «  tchoumer ju turmankwèma «  dans la vaste plaine

    « …. «  plus de 50 cercles,

    « …e aucun Blanc n’apparaissait encore. Mon tour de garde n’intervenait qu’aux quatrièmes «  veilles. Je dégainai mes deux épées-de-main, l’une plus courte pour la gauche, et l’autre «  pour la droite, et les plantai dans le sol comme il m’avait été enseigné. Puis je déroulai le « çèmo qui ceignait mes reins pendant la marche, et m’y enveloppai. Je ne pouvais dormir, «  enfin parvenu au Pays Blanc... »

     

    X

    X X

     

    « Maîtresse !

    - Que me veux-tu, à cette heure de la nuit ?

    - Pose ton Rouleau-des-Lois, viens à la fenêtre !

    - Je suis trop âgée pour pouvoir m’étonner.

    - Tu n’entendais pas ce bruit par la ville ?

    - Me voici près de toi. La nuit est restée chaude.

    - Les guerriers se sont rassemblés sur la place et les rues voisines remplies.

    - Les flambeaux luisent sur les murs de sable.

    «  Au-dessus des ruelles invisibles je vois le tunnel pourpre des torches.

    - Ils partent cette nuit pour le pays des Khyrs ! »

    Djezirah et sa servante demeurent accoudées sur le balcon. Tous les contingents mobilisables d’Aïn-Artoum se sont agglutinés, bloquant la place au coude à coude. Les lances tendues à l’alignement jettent des éclairs roux. Devant le premier rang est ménagé un espace libre. Une vaste gifle de métal:lesl ances se sont redressées. Le Dovi paraît, escorté de deux colosses aux lèvres violacées. Ils élèvent sans effort le Chef sur le pavois.

    « Troupes aimées, guerriers !

    « Il est venu, le temps des prophéties.

    «  Plusieurs fois nos marchands sont allés au gras pays des Blancs

    « Les Khyrs, les Gorgés.

    « Plusieurs fois leurs curieux ont grimpé sur nos plateaux Tzaghîrrs.

    « Nous sommes curieux, nous aussi.

    «  À présent nos marchands sont armés

    « notre noir empire est plus ancien qu’eux :

    «  nous sommes les fils de la Lune et du Vent, Enfants de Toutes-Aures.

    «  Que le Premier Croissant nous éperonne.

    «  Lune a promis la Terre à nos conquêtes

    «  Depuis .540. années pour .540. autres années

    «  - Peuple Têtes-Rousses !

    2. La bataille de Drinop

     

     

    a)

    ! k

    ! k Les Khyrs

    !k !k tentent

    !k de déborder les Tzaghîrrs

    >>>>>>>>

    TZA !k Ceux-ci percent

    >>>>>>>> leur centre

    !k !k et se rabattent

    sur ceux qui

    !k voulaient les déborder.

    Le centre Khyr est en fuite.

    ‘’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’

    b)

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    !k TZ

     

    TZ<TZ

    Récit d’un jeune Tzaghîr, Héri

    (dans le style de sa nation)

     

    « Ma taille n’excédant pas le rayon du soleil (1), je fus introduit au corps agile des

    «  Archers. Ce sont les plus parfumées de nos guerrières. Choyé d’une majorité de

    « femmes, mon tempérament s’épanouit. Nos exercices alliaient la grâce à la prompti-

    «  tude. Comme prescrit par la pratique et les incantations, nous prouvons sur le terrain

    «  nos qualités d’infiltration et de repli, et la plus grande souplesse du poignet. Gliss é s

    «  parmi le trot des chameaux, nous décochons de bas en haut nos traits courts et mor -

    «  tels ; de nos couteaux nous achevons qui choient sur le sol.

    «  Nous avons adopté la position du Croissant. Notre aile tenait le nord.

    «  À peine avait paru sur le tranchant de l‘horizon la muraille des Blancs.

    «  À peine les chefs de pointe avaient-ils levé leur lance de signal que nous fûmes enve -

    «  loppés sur notre gauche. Les sauvages escadrons lourds des Khyrs, si véloces sur leurs

    «  bêtes, frappaient lourdement comme une mâchoire de pince. Les guerrières f roissées

    «  s’abattaient sur leurs arcs flexibles. Les clameurs mêlaient leurs panaches. Pressés

    «  comme nous étions, dans une extrême excitation, le mouvement tournant sur la gauche

    «  nous fut freiné, mais ceux qui périrent sont tombés sur place. Chameaux et ar c h è r e s

    «  mêlées, nous autres quelques hommes, parvinrent à faire front : cohue, retrait du bras,

    «  corde bandée, flèches tirées d’en bas.

    «  Que notre combat semblait solitaire !

    «  Nous avons tenu, enveloppant les chevaux des Blancs sous nos nuées de pennes. Et les

    «  Blancs à leur tour chantèrent l’atroce mélodie de la souffrance : jarrets tranchés des bê-

    «  tes, cous harassés qu’on égorge, dards fichés au creux des tripes. Nos parfums tournè -

    «  rent sous la fadeur, alors les Blancs pleurèrent. Leurs arrières sentirent le poids des lan -

    «  ces d’avant-garde, qui s’étaient refermées sur eux comme une coque. Nous en a v o n s

    «  consommé un grand massacre, fabuleusement regorgeant d’hymnes d’amour, et les « archères mourantes jetaient leur dernière œillade. Nous avons appris qu’un autre fruit de « guerre s’était refermé côté sud, autour du second bataillon des Blancs : deux lunes « digérantes avaient donc tournoyé, côte à côte et s’ignorant.

    Prévenus par leurs éclaireurs, les Khyrrs ont mis leur point d’honneur à progresser sans se dissimuler, avec tout l’apparat possible ; les Tzaghîrs ont adopté, pour se déployer, la formation du Divin Croissant (Tchétem), particulièrement adaptée en terrain plat. Au centre, les Chameaux Lourds (Djoulavor), peu rapides mais pourvus de longues piques de 15 pieds. Aux ailes les chameaux de charge, les archers, et les « Petites Tailles » ou fantassins (Nassar). Les Khyrs, eux, de peau blanche, se sont tenus aux normes classiques, en quinconces. Les cavaliers portent sur leurs épaules un voile flottant de couleur claire, attaché au cou par un système d’agrafes d’or. La disposition en croissants des Tzaghîrs offrant à leur course un large espace, ils l’attribuent à la lâcheté de leurs adversaires. Atsahî, sous ses pans de toile blanche, caracole sur le front des troupes : lançant sa monture, il la bride d’un coup tous les cent pas, afn de haranguer les guerriers : la bête se cabre et bat des sabots à hauteur des têtes. N’avancez pas ! crie le hobozem aux troupes d’infanterie. « Vous devez tenir sur place, tant que nos cavaliers n’auront pas tourné les forces des Lèvres-Bleues ! » Les recrues, au comble de l’exaltation, saluent de leurs épées levées.

    À cent pas, Atzahî réitère son appel, la même scène se répète, hallucinante. Les Khyrrs des ailes nord et sud ont engagé la charge. Leur confiance est forte. Très vite les chevaux lourds se truvent aux prises avec les petits chameaux ; lesTzaghîrs ont à peine eu le temps de se rabattre de côté. Mais les pertes sont lourdes à cause des archères.

    C’est alors que les jeunes Khyrrs, demeurés calmes en dépit du désir, virent fondre sur eux la lourde masse des piquiers montés, visages durs, lourdes lances noires abaissées à quatre pieds du sol au niveau des poitrines, quinze rangs de chameaux géants trottant l’amble ; chaque pique est forgée de façon différente, multiples clés d’une serrure unique : la mort. Les jeunes Dix-Huitenaires ne tentent pas de résister. Ils se laissent glisser sur les ailes ; quand les lourds chevaux khyrrs, sentiront sur leurs flancs prêts à les seconder les vaillants fantassins bouillonnants de jeunesse, quelle ardeur ne les poussera point, cœurs d’homme à poitrail de bête !

    ...Car ces Tzaghîrs ne savent combattre que de loin, pique ou arc ; qu’on presse leurs thorax, bien peu résisteront- mais voici des cris qui s’élèvent au dernier rang des fuyards, stratèges malhabiles : les Chameaux-Lourds et les piques entrent en danse, côté dos. Et il faut bien se retourner, faire face trop tard aux longues barres, découpant les poitrines en dentelles variées. . De part et d’autre de la percée, les Chameliers se sont rabattus : chaque parti de Khyrs se trouve encerclé. Chaque boule d’épines, furieuses, pressent et perçoit les appels de l’autre part, également bloquée. La pression s’accentue, jusqu’à la curée. Très peu auront survécu à ce casse-noix.

    Les rescapés, jeunes conscrit, se sont bel :et bien enfuis vers Pikâr, la ville la plus proche, y semant la confusion. Les fuyards furent poursuivis et troués dans le dos sur plusieurs lieues de course. Cependant les Grands Chameliers ne les exterminèrent pas, comptant sur la terreur des survivants pour désorganiser l’arrière., mais obéissant avant tout

    à une coutume ancestrale et absurde : chaque engagement d’importance, victorieux en particulier, nécessitait le tirage des sorts, afin de décider de la marche en avant ou de l’immobilisation du front. Dans le passé, une telle superstition avait souvent causé la défaite.

    Les soldats tzaghîrs ont vu les Grands Chameliers revenir sur leurs pas, avec des huées de désappointement.

    Ebbi fit rassembler ses neuf meilleurs guerriers, couverts du sang ennemi. Puis neuf hommes blancs, les plus robustes, mais qui s’étaient laissé capturer. On les réunit sous une tente circulaire, la Tente d’Amitié. Tous s’y mirent nus, ce qui n’alla pas sans difficulté pour les Blancs, accoutumés à la pudibonderie. On se moqua d’eux pour commencer, à cause de leurs sexes scarifiés dans le sens de la longueur. Ensuite, le plus grand des neuf Noirs déclara : « Nous, qui vous avons défaits, nous vous servirons toute cette nuit. Nous nous témoignerons toutes les marques de la plus vive amitié ».

    Tous étaient nus et graves. La coupe de sang de bœuf circula lentement. Les pans lourds de la tente s’agitaient au vent réfléchi de la nuit. Chaque couple, se tenant par l’épaule, buvait joue contre joue l’âcre breuvage rituel. On se parlait à voix basse et assurée. L’interprète, au centre, faisait son office. On échangeait des poésies, des chansons fredonnées, et ces hommes devenaient proches. Un Tzaghîr expliqua, au milieu de la nuit, qu’il fallait échanger de son sang. Il montra l’exemple avec un jeune homme à peau rose qui se tenait accroupi à son côté ; l’incision à l’épaule fut brève, il s’accolèrent pour une mutuelle succion. Les sautres agirent de même. Puis Blancs et Noirs s’assirent en silence contres les parois, en alternance de couleurs. Posée sur le sol devant chacun d’eux, les lampes à huile projetaient sous leurs mentons des lueurs déjà cadavériques, creusant les joues et les mâchoires.

    La plupart s’hypnotisaient sur les flammèches. Si l’un d’eux venait à surprendre les traits de son compagnon, il baissait les yeux. L’un des Tzaghîrs, pour éviter que la nuit ne fût souillée par le sommeil, murmura le premier couplet d’une chanson d’amour. À ce moment tous entendirent, précis dans la nuit, les premiers coups des charpentiers.

    « C’est l’uñuosh qu’on assemble devant la tente ». L’interprète traduisit. Les Blancs écoutèrent. Les Noirs se résignèrent : l’ uñuosh, c’était l’échafaud, vaste ring surélevé, rond et ceint de cordes, où le combat terminal se tiendrait. Les hommes s’apprirent leurs chants, chacun dans leur langue.

    Au petit matin, quatre courtes cornes de brume s’étranglèrent aux quatre points cardinaux. Les hommes-sous-la-tente urinèrent, puis ceignirent un pagne, de couleur opposée à la sienne. Très vite les quatre cornes résonnèrent une seconde fois. Les hommes accoururent deux par deux. Ils s’étreignirent avec émotion, tout en courant, car l’un ou l’autre devait mourir. Les Blancs portaient un gorgerin de fer, les Noirs un casque – rapidement noués par un diacre-bourreau. Les affrontements furent brefs, étant donné la frayeur de chacun. Les diacres avaient recouvert le plancher d’une épaisse couche de sable. Après chaque duel, ils la creusaient et la déblayaient, aussi loin que le sable avait bu.

    La matière ainsi recueillie trouvait place dans des seaux de métal hermétiquement clos, qu’on enfouirait dans un lieu tenu secret. En une heure de soleil, les combats furent achevés. Les corps brûlés avec le bois de l’ uñuosh, l’armée observa le repos rituel d’un jour.

     

    * * * * * * * * * * * * * *

     

    «  Le couple de chameaux, fines jambes rapides,

    «  Bat l’amble dans les hautes herbes

    «  Kassim et Oultaïla

    «  L’ellipse orange peinte sur leur crâne d’or

    «  Court annoncer la victoire…

    (poème d’Agattîr)

     

    «  Un témoin raconta qu’il les avait vus, criant et riant, se lancer le message de l’une «  à l’autre monture : la boîte de bois verni tournoyait comme une hache, touchant la

    «  main droite ou la gauche, le coude ou la coquille du poignard. Leurs lèvres étirées

    «  - comme des saphirs fendus vola sur la crête des herbes.

    (Houbizé, XI, 11)

     

    «  Portés par l’élan, ils eurent franchi le défilé d’un seul bond, traversèrent la Terre

    «  du Cacao, la Terre Rouge, et proclamèrent à grande allure la victoire à travers les

    «  places d’Ikattan. Or on était en cinquième heure, en pleine agitation du Grand

    «  Commerce. Par l’enthousiasme qu’ils éprouvèrent, les marchands renversèrent « leurs étals, invitant la population à se servir, afin qu’elle festoyât. De toute part

    «  s’élevèrent les clameurs, toute la nuit le Peuple aux Crêtes Rouges célébra le

    «  combat de Gozar Gatzar. »

     

    3. L’arrivée des fuyards

     

     

    Bravant les dieux 300 hommes montés suivaient la retraite des Blancs. Ceux-ci, passéela débandade, s’étaient recomposés, sans courir. La nuit les trouva au lieu-dit Armalak. Les survivants des chefs firent panser les blessés : seuls les chirurgiens, regroupés dans un pli du terrain, purent allumer des feux de braise. La garde fut montée, les rondes assurées.

    Au matin, les soldats en retraite aperçurent, dans trois directions, les chameaux tzaghîrs à l’arrêt, à un quart de lieue, épiant.

    Des mouvements d’âme agitèrent les guerriers. Les uns voulurent achever les blessés, fuir vers le nord, et la ville. Les autres, plus nombreux, parlèrent de charger les Noirs insolents. Thérif, simple moyaf (1) promu chef, opta pour un moyen terme : on s’avancerait à leur rencontre, mais sans rechercher le contact. « Le Tzaghîr apprendrait à respecter le lion, même à reculons ». On fit ainsi qu’il avait dit. Chacun pouvait dénombrer, dans les rangs adverses, les silhouettes. Mais on ne distingua pas les visages. Aucun acte d’indiscipline ne fut tenté : pas un cri.

    Les Noirs n’étaient que trois cents, dépourvus de l’accord rituel des dieux. Le terrain les favorisait, car le sol ne cessait de descendre, si bien que les Blancs pensaient avoir dans leur dos l’avant-garde d’une puissante formation. Le jour suivant, les Noirs étaient plus proches. Cette fois-ci, l’armée entière suivait à courte distance. Les Khyrrhs devinrent nerveux. Peu après le milieu de la journée, Thérif aperçut d’autres troupes de son pays, qui s’étaient enfuies par des chemins différents. « Que font les Noirs ? » leur demanda-t-il. « Les Tzaghîrs nous suivent de près » lui fut-il répondu.

    La réunion des deux bribes d’armée, au lieu de restaurer la confiance, accentua la crainte. Le camp fut levé plus tôt. Les Tzaghîrs suivaient à présent, bien visibles, narquois. L’allure s’accélérait insensiblement, les alignements se défaisaient malgré les cris des serre-files. À présent les Noirs lançaient des quolibets. Les Blancs forçant l’allure, les Crêtes Rousses allongèrent le pas, et des guerriers, par jeu, lançaient le cri de guerre. Les chameaux, reconnaissant l’injonction, mais comprenant peu la plaisanterie, accélérèrent. Certains les freinèrent, d’autres non. Le reste de l’armée noire ayant rejoint ses éclaireurs se montrait à présent compacte.

    Une formidable huée jaillit des Lèvres Bleues, à quoi fit écho la plus faible et honteuse clameur des paniques. Les moïavt (lieutenants) exécutèrent de leurs propres mains les plus proches d’entre eux qui jetaient les armes. Mais tout fut emporté. Les cavaliers blancs s’ouvrirent le chemin à coup de lance dans la masse et la nuque des fantassins. La fuite se déploya sur une largeur de trois lieues. La plaine ruisselait de lâches meurtres et de piétinements. Des hameaux et des bourgs, raflés par cette gigantesque cohue giclaient des files d’expulsés, molécules chargées de meubles et de ballots, qui couraient tous s’agglutiner.

    Or les Tzaghîrrs ne frappaient point ! ils ne tiraient pas de flèches, se poussant seulement contre les blanches épaules convulsives. C’étaient leurs clameurs de joie que les Blancs prenaient pour des cris d’assaut, et le massacre ne venait que des Blancs eux-mêmes, se piétinant, se foulant sans vergogne, les cavaliers sur les soudards, les soudards sur les valets, ces derniers sur les femmes et les marchands.

    Le premier de la ville qui vit converger des trois points de l’horizon cette triple lame grouillant de poussière, fut la vigie de la Tour Sud des Pères. Déjà la foule propulsée par la panique battait les redans de la barbacane.

    La ville dePhytallia, comme la plupart des cités de Khyrs, était fortifiée « à la pieuvre », c’est-à-dire que les murs s’étiraient en fins tentacules creux, sur une longueur d’un quart de lieue, à partir du cercle de l’enceinte ; hérissant le tentacule à intervalles réguliers, des ventouses fortement remparées. Mais une seule porte, à l’extrémité du tentacule exclusivement. On imagine l’épouvante de cette foule traquée, face aux seules ouvertures praticables. De plus les Tzaghîrrs, mis en appétit, commençaient à lâcher quelques flèches et coups de lance pas tous inoffensifs.

    Une porte fut ouverte. Une longue contre-éjaculation ébranla les murailles parallèles. Sous les passages couverts le grondement redoublait. Là-haut, sur les chemins de ronde, la garde se mutinait ; ses chefs ordonnaient d’arroser de flèches les déserteurs.

    « Les moïavt juraient par tous les Dieux qu’il n’était pas meilleure perte pour un peuple « que des traîtres fuyards ; ajoutaient qu’ils voyaient très bien les Tzaghîrs emportés mêlés « au torrent, et qu’ils tuassent au moins ces ennemis. À quoi répondaient les gardiens qu’ils « auraient mieux couru de même vers leurs refuges, tout armés comme ils l’étaient ; que ce « n’était raison de flécher leurs camarades lesquels à leur endroit eussent agi de même ; « enfin baguenaudoient certains qu’ils aimaient ainsi se remplir du spectacle sans en obturer « l’ordonnance. »

    YOTH, XV, 37

    (« Par ainsi se répandit la tourbe tumultueuse enmi les rues et voies de la ville du sud »)

     

    Figure p. 20 Phytallia présente un système de défense propre aux Khyrrs. On obaerve sur cette figure le dessin concentrique des voies principales, an centre duquel se

    dresse une île conique sommée d’une citadelle. Les flèches représentent le

    trajet des fuyards. Les deux moitiés d’armée blanche s’entretuèrent d’abord

    à leur point de jonction, faute de se reconnaître. Nombreux furent ceux qui

    se précipitèrent dans lac tout armés, et s’y engloutirent.

     

     

    ...Mais la population de Phytallia se ressaisit à sa façon. Les civils, barricadés dans leurs hautes demeures, bombardèrent les fuyards de tout ce qu’ils purent trouver de plus lourd : meubles, candélabres, et jusqu’aux pierres descellées de leur maison…

    Cependant sur la place aux Étrèbes, les étals du marché, tentures, tréteaux, fruits, toiles, marchands, furent foulés pêle-mêle par les cavaliers en déroute, couverts jusqu’aux genoux du sang des leurs qu’ils avaient tailladés pour se frayer retraite. Des masses gagnées par la panique se bousculèrent aux parvis des temples, hurlant leurs prières. Des rues surgissaient encore des bandes enragées, lançant des pierres et des sarcasmes :

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    (1) 1,65m

     

     

     

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  • ITINERRANCES

    COLLIGNON ITINERRANCES

    LISBOÈTES 1

     

     

     

    Je n’écrirai jamais Lisboètes. Pure lusophobie. Et puis j’aurais la rage de ne jamais plus pouvoir y retourner. C’est contradictoire. C’est unbehagen. Malaise profond indéfinissable. Comme la répugnance à revenir sur la tombe d’un membre, jambe ou bras. Que l’on m’aurait coupé. J’ai fait un plan, par flashes, illogique, sans chronologie. Voici une suite d’éclairs :

    - la Juive de Calcutta, rencontrée dans un train frontalier, et répétant toute les sept phrases: « I’m Jew… I’m Jew... » justification, compassion, meurtre.

    - la Cap-Verdienne du Zürich-Genève, avec laquelle j’ai parlé de clitoridectomie pour toutes les oreilles du compartiment, et l’autre Blanche, qui se lavait sans cesse.

    - le Coca et les pêches, les glaces, de Lisbonne ou de Carthagène (mais à présent tout le monde a voyagé, ou croit l’avoir fait) (le faire, devoir le faire)

    - Cimetières de Lisbonne, les Plaisirs, la tombe horizontale d’Amalia Rodrigues, amatrice de paix sociale et de Salazar, à quels bordels n’a-t-il pas succédé ?

    J’ai des vagues de sang dans la tête, un ressac obstiné qui annonce ma mort ; poursuivons :

    - L’Assommoir de Zola, pluie et bruine dans les vapeurs d’alcool, alors qu’au dehors, à Lisbonne, il fait 36°.

    - Le plaisir des langues, entendues ici dans les rues, le flûtisme tendre de mon français, les clairons espagnols et pas d’anglais Dieu merci pas d’anglais

    - Drague à la FNAC : il y a donc la FNAC à Lisbonne ? Qui a dragué qui ? a dragué quoi ? ne rien perdre surtout ne rien perdre.

    - Le métro : de Lisbonne, aux deux lignes si mal foutues, de Paris si complet, si merveilleux, de Prague engloutissant Alphaville !

    - Les églises de Lisbonne, vernissées comme des momies

    - Gulbenkian, seul endroit frais, qui fait aimer l’art contemporain juste pour la clim

    - Fr. que j’ai failli voir et consommer sur place, et qui m’a aimé, que j’ai rejetée comme un mufle fasciste disait-elle, raciste, xénophobe.

    Cela tient une colonne. Mais en face, une classification ébauchée, avec des chiffres, c’est trop avan dans ma vie, 2000, plus que 2008, je cherche, je cherche des griefs et n’en trouve pas, voici,

    1. Filles dans le train, que je draguais toutes à la fois, par mon silence, la fixité de mes regards

    gisant à mes pieds sur le tapis de train. Développer.

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    2. Petits pavés noirs et têtus de Lisbonne, tranches coupantes.

     

    3. Croisière du bateau fluvial, et ces immigrés incultes qui s’étonnent de l’aspect du Tejo, parfaitement, du Tejo,

    4. Le Monument des Conquistadores, avec juste une femme, la Reine Isabelle, au pied de la bite – Erotisme plus fort des blottissements que toute sorte de pénétration.

     

    5. La Tour de l’Estoril, toute petite et qu’on ne visite pas, et non loin le banc où je me suis assis, photographié comme point le plus à l’ouest de ma vie.

     

    6. Les Jéronymes (ou Jéromines?) (Vasco, Camoès dont j’ai caressé le front en priant, et Pessoa inaccessible (travaux).

     

    7. Pourquoi les magasins sont-ils toujours fermés à Lisbonne ? Dents et langue en avant.

     

    8. Je devrais voir le quartier Moniz – Importunité du Mâle

     

    9. Les montées, les descente – Livraison des visages dans l’innocence

     

    10. L’Ombre et le Cagnard – Qu’est-ce que la beauté ?

     

    11. Délices de la pensião – Imaginations de gouineries entre compagnes de voyage

     

    12. De petites gens, de petites portes, de petites maisons, de petites rues. Imaginer les sexes se chargeant de sueur et de crasse pendant la nuit.

     

    13. Château St-Jorge - « Ils dort tous[sic] – y a que le vieux qui dort pas.

     

    14. - Vieira da Silva- Finir par « Vous n’avez pas fermé l’oeil. Je sentais votre œil sur nous ».

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    15. Wagon-restaurant

    …ce ne sera pas long… vous verrez… Conclusion : elles savent que je mate

    Parler de Cortàzar à la fin, sur ses parkings d’autoro

     

    Je suis allé à Lisbonne. Tout le monde va à Lisbonne.

    « Voici la relation de mes cheminements »

    Si j’étais… (Cortàzar, Vargas Llosa) (Paul Morand), ce serait passionnant.

     

     

    DANS LE COMPARTIMENT

    C’est si vieux. Ça ne veut pas venir. Un interminable enfermement, deux heures silencieuses en rase campagne, Huit places en face à face. Le seul homme. Des jeunes femmes. Bien trop jeunes et frappées d’une extrême fatigue. Seul mâle de cinquante-huit ans. Monde envahi de jeunesse. Des jambes blanches des deux sexes sous les sacs ado.

     

    Trop vieux pour moi les sacs à dos. Bien fait de ne pas en prendre - trop vieux pour y prétendre.

     

    Mes seules valises,.

     

    Colonie de vacances pour filles de vingt ans. Fauchées n’ayant ni avion ni billet couchette. Moi non plus. Avec qui voulez-vous coucher ? personne. Toutes ensemble et moi. Bavardent non de cul jusqu’à1h 18. Je ne suis pas ta mère, je lui dis. - J’en ai tant pris avec les hommes que je préfère la solitude pour l’instant – dormiront enfin, raffalées, repliées.

     

    Harem de sept, Sept d’un coup. Épuisées… éreintées… Pauses de pantins sans une once de lascivité. Elles ballottent, leurs poitrines retombent, tressautent, sans harmonie ni suite. La fesse sous le vêtement plus suggestive et ronde, régulière et statuaire, attirant la courbe accompagnatrice – esquissée dans l’œil et du fond de la tête à l’extrémité du nerf.

    Insomnie féroce. Que le vie devienne vision. Que le mot justifie ce qui vit. Cause entendue.

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    Sur l’une d’elles la pureté du sommeil, sur l’autre un profil pur sous sa main repliée,comme parant un coup, plus tard d’autres et d’autres encore dans l’avancée de la nuit, à Santander, a Venta de Banhos, 5 femmes et 3 hommes font 8, parler aussi des mecs. Une jeune mariée avec un Asiatique – piercings à l’oreille, confiscateur, poseur de danses simiesques. Déjetés les deux. Colliers. Blousons. Contrefaçons tous deux trop mâles ou trop femelles. Inapte à capter mon quelconque intérêt mais bientôt le harem assoupi (j’écarte les façons des hommes) (la rhétorique d’un désir) (encore invisible)

    ...Moins que mise à nu mais livrée dans ces enveloppes vestimentaires dévolues aux femmes – la mariée sur le côté me tend sa fesse qu’elle appuie à ma chair, compromis entre l’inconscience et la concession (elle ignore,elle sait, elle tolère) – ou bien : le blotissement est plus érotique, plus pénétrant que la simple érection – bientôt le harem ballotté (…) - déjà usité -

     

    RUES

     

    Pierres noires. Lisbonne ville noire. Rues ombragées et sombres. Perpétuel bossellement de la plante des pieds. Les sandales n’ont pas lâché. Aires très restreintes. Saleté des restaurants.

    Baudelaire notait dans Pauvre Belgique : les rues de Bruxelles, disait-il, toujours en pente, sont peu propices à la flânerie – qu’eût-il dit de celles de Lisbonne !

    On marche 20mn, on s’arrête : comme à Prague (Praha-Brüssels-Lisboa – triangle d’Europe) rien pour s’assoir, et comme le notait Baudelaire encore, impossible de se soulager dans la rue. Rien d’autre à voir, que l’ambiance. Les numéros d’immeubles se succèdent rapidement. Ce sont des petites gens qui quittent leurs petites maisons par de petites portes d’appartement donnant sur de petites rues.

    Impression d’une capitale arrêtée en 56 (de mille neuf cent), avant le Grand essor économique, une ville corsetée dans un réseau archaïque, anarchique. Surtout ne rien changer. La capitale s’étend vers le nord-ouest, où s’entr’aperçoivent des barres de HLM : qu’elle s’étende ! Surtout ne rien détruire. Epargner à Lisbonne le sort de Pékin.

    Pékin manquait.

    Une petite vieille, rogomme, acide, revêche. Jamais elles ne se consolent. Avoir été la cible des

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    regards et des flèches dressées, puis passé cinquante ans à se retrouver comme un homme, qu’on ne regarde jamais… Bien fait pour leur gueule dans un premier temps, mais compréhension aussi des hommes. Eux aussi ne sont plus que des Vieux Messieurs asexués, dont les femmes ne comprennent plus pourquoi ils se permettent encore de les regarder. Degré de plus dans le déclin, dans la déchéance. Et le visage de la vieille s’attendrit, les rides se repassent, s’aplatissent, les méplats élargis de sa face recaptent la lumière, autant que les rides l’avaient absorbée. C’est un petit chien qui pataude et clabaude au-delà des arceaux sur l’herbe.

    Elle redevient pré-ménopausée, on l’entrevoit toute jeune, avec, simplement, quelques ombres. Elle ne tient plus à la vie que par un chien. Phénomène accentué chez cette autre, sur ce fauteuil.

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    2016, 2040 : DRAGUIGNAN, FOUGÈRES ET TRAIN DE BANLIEUE

     

    J'ai fait du stop dans ces coins-là, une camionnette m'avait pris à bord, le type était beau, j'ai dragué (plutôt vers Digne) : « Et quelle est votre profession ? - « T'trichian ». - Comment ? - « T'trichian. » - Hein ? - « T'trichian ». Et il se foutait de ma gueule parce que j'étais sourd. Lorsque je suis redescendu, j'ai pu lire sur la portière, bien visible, « électricien ». Jamais je n'aurais pu supporter l'accent. Le Var n'est pas la France. « La France est déshonorée par son midi », dixit Huysmans, Flamand bilieux, raciste comme-tout-le monde. Il ne faudrait pas grand-chose pour que ça revienne, les provinces, la xénophobie, les luttes armées d'un bourg à l'autre, Nouvion contre Laval, Meulan contre Mantes - RACAILLE DE CITÉ pouilleuse impersonnelle.

    En 93 (19.., nous ne sommes plus dans Victor Hugo), avec Maître Balzach et avec Maître Dom, son beau-frère, nous visitâmes ces splendides fortifications ; bretonnes de chez Breton. Puis nous nous sommes assis sur un banc. Juste en face, sur l'autre banc, siégeaient à dix mètres, à des années-lumière, trois jeunes gens de vingt ans, fringués en « zoulous ». Ils nous semblèrent infiniment exotiques, et nous nous échangeâmes entre anciens des grognements ironiques ; mais nous ne leur paraissions pas moins inimaginables. Et j'ai bel et bien perçu, proféré à mi-voix mais bien audible, cet authentique commentaire : “Regarde les trois vieux en face... enfin, vieux...”. Deux espèces se dévisageant l'une l'autre, voilà ce que nous étions, chacune avec son attitude, ses vêtements, et ses occupations supposées par ceux d'en face. Je me suis trouvé vers la même époque dans un train de banlieue, tout seul, en veston de minet décati – un Noir, « zoulou » dernier cri et falzar « baggy », se foutait bruyamment de ma gueule aux longs tifs ; je me suis penché vers lui à travers l'allée, affable, cherchant la conversation, quelque ancien élève peut-être avec qui échanger mes souvenirs ; mais au lieu de cela, jetant les yeux autour de lui et se découvrant seul, sans personne de sa tribu pour faire chorus, mon zoulou cessa de s'esclaffer.

    Il se détourna, au comble de la gêne, et baissa les yeux, prenant mon sourire pour du mépris.

     

     

     

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    BURGOS, ETC.

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    Confusion des temps et des villes ; mais c'est bien ici, à Burgos, que j'ai préféré siroter du vin vieux avec des vieux, debout contre un tonneau, que d'aller m'en jeter un dans le troquet d'à ccôté avec des mickeys de vingt ans. Même chose à Sagonte (« Sagunt » : ces langues prétenduments régionales m'ont toujours profondément agacé ; à Bilbao, je n'ai pas entendu un seul mot de basque, bien que tous les panneaux fussent pourvus d'inscriptions scrupuleusement bilingues) ; même Bergerac, en pays occitan, s'est crue obligée de doubler son panneau d'agglomération : « Brageira », alors que le dernier petit vieux susceptible de jargonner le patois s'est éteint depuis plusieurs dizaines d'an-nées, comme ils prononcent...).

    A Sagunt donc, je vis ce soir-là une immense place carrée envahie par toute une tribu , mille cinq cents personnes assurément, sortie d'on ne sait où, plus de mille jeunes campés sur leurs deux pieds les mains dans les poches de leurs vestons trop clairs et cacardant en espagnol à qui ieux mieux (le castillan, si noble, si courtois, si empesé, devient, manié en foule, un véritable bruissement de basse-cour, famille des anatidés : autant de nasillards canards). Je l'avais déjà constaté, au grand détriment de mes tympans, au pied de ces affreux immeubles directement empilés sur le sable de plage, d'où s'échappaient parmi les relents de fritures et de chorizo de véritables bourrasques d'oies en partance ou reprenant des forces sur quelque banc de marée basse ; les immeubles assurément s'apprêtaient à battre des ailes avant de s'enfoncer à-haut dans le ciel bleu.

    L'industrie du bâtiment espagnole ne semble pas encore s'être départie du fameux essor des années 60 : lourds balcons sur les quatre côtés, empilements de dix à quinze étages. Mais ce jour, à Sagonte, j'ai le cheveu trop long, la démarche trop souple. J'ai fui cet infini quadrilatère où caquetaient les insolents de tous sexes. Et à Burgos, ils étaient deux à s'être simplement poussés du coude, puisque je ressemblais exactement à ces mannequins mâles des Soixante-Dix, avec pat' d'eph et crinière dégoulinante. Ailleurs encore, je me suis croisé certain jour avec mon double. Il fait toujours très chaud quand je voyage, c'est le lot commun. Venait à ma rencontre un revenant vêtu d'un jean, mains dans les poches, l'air piteux et le bassin balancé.

    Erreur d'époque. La ressemblance était si forte que j'eus envie de l'inviter mais la chose était

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    BURGOS

     

     

     

    si attendue que nous avons baissé ou détourné les yeux en même temps, pour ne pas parler de nous, pour ne pas finir ensemble dans un lit. Voilà ce que m'inspire, de proche en proche, ce séjour à Burgos en 2050, où je viens de me prendre un P-V de 60 € pour stationnement interdit…

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    Etranges circonstances, d'un hôtel frisquet à venir et d'un carnet à spirales “J'écris pour la gloire” offert par Muriel. Dans deux mois c'est Noël. Je dois écrire 25 mn. Journal du voyage. Nous avons déposé Sonia en gare pour 13 h 11. Elle a peur d'être abandonnée. Attention, ceci est une recomposition, un travail de littérature. Si je dis du mal de toi, ce ne sera plus toi. David était avec nous, il avait emporté un livre avec lui. Anne et moi surgîmes du petit tunnel, puis gagnâmes le pont de Bergerac. Nous roulâmes à travers nos souvenirs. La route de Branne est connue par cœur, j'en ai fait un roman.

    Les romans que je fais sont toujours trop courts. Des digressions me viennent, que j'abandonne (Sonia n'est pas une digression). Anne dormait sur le siège. Son buste retombait, se redressait, ligoté. Nous avons passé Ste-Foy sans qu'elle reprît véritablement conscience. Le lycée de cette ville est désormais défiguré par son avant-corps, qui se veut moderne. Est-il banal ? Ne dois-je pas accepter les évolutions de l'architecture ? Puis nous sommes parvenus à l'entrée de Bergerac, défigurée cette fois, et depuis longtemps, par des panneaux publicitaires et des bâtiments sans âme : “Zone industrielle”, ou “commerciale”.

    Je n'ai pas reconnu l'embranchement qui menait chez mes parents. Les feux rouges, les haricots directionnels : trop modernes ! La Rue Neuve en sens unique : tant mieux ! Les signes du temps sont le vieillissement de mon visage et l'inexorable rajeunissement des équipements urbains. Nosu avons voulu consommer au Tortoni, établissement bergeracois. Deux hommes en bleu de travail accoudés au bar des filles, et des femmes partout, en couples ou en trios. Mes conclusions sont vite faites ; elles sont stupides. Difficile de se faire servir un chocolat. Enfin je poursuis une fille de 17 ans qui vient de se rasseoir et lui commande pour ma table “deux petits chocolats”.

    Elle est épuisée, une autre plus âgée prend le relais et nous sert immédiatement avec un grand sourire. Parenthèse : ce sont pourtant de tels incidents qui furent édités sur la Toile pour “Le Phare de Frazé”. Ainsi, du courage. Moi je m'imaginais que ma tête stupide – du moins, étrange - était cause de quelque refus de servir. Je ne dois pas sombrer dans la paranoïa. Puis nous sommes allés nous promener, passant devant le cinéma où se joue le film de Marie Trintignant sur Joplin ; devant le tribunal en réfection où mon père m'a fait propriétaire de ses biens : la donation entre vifs. Nous nous entendions, lui et moi, très bien. Et nous avons tourné, Anne et moi, rue de la résistance, que j'appelle rue des Tondeurs, car il n'y a pas eu la moindre Résistance à Bergerac, juste

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    des bandes rivales qui attendait que l'autre attaque. “Nous n'avons pas reçu d'ordres”, disaient les Résistants. La Maison de la Presse fait librairie. C'est toujours l'occasion pour nous d'une grande exploration. L'accès à l'étage supérieur est privé. Il y a moins de choix qu'auparavant. Les rayons sont tout embrouillés, resserrés. Le présentoir des “Librio” ne présente ni “Pompée” de Corneille ni “paroles d'étoiles”, ouvrage collectif. Le gros livre sur Cocteau ne se trouve pas non plus dans cette librairie. Nous aurions bien acheté le Petit Larousse 2051 à Victoret, mais à quoi bon charrier ça dans notre coffre alors que nous l'aurions aussi bien au bout de notre rue, à Mérignac ? Il est aussi beaucoup question d'avarice stupide : autant retarder, dit l'avare, l'instant de l'achat. Puis nous avons retrouvé notre voiture sur le parking, où un flic bleu ciel scrutait le tableau de bord pour sévir contre les stationneurs abusifs...

    Nous l'avions échappé belle ! Avant de prendre place sur nos sièges, nous avons constaté que nous faisions connaissance, voici 40 ans, à trois jours près, le 28 octobre 1963. De quoi prendre un frisson de vieux, de quoi aussi se serrer les doigts tendrement, en se promettant de tenir les 40 ans à venir (nonante-huit et nonante-neuf ans). Je me retiens d'écrire depuis quelques lignes que ma femme attire les regards par son visage douloureusement bouffi, d'une pâleur maladive, et sa démarche titubante. J'espère encore la conserver longtemps, car elle est seule à me faire parvenir sur le plan métaphysique.

    Puis nous sommes parvenus, par le pont d'amont, au cimetière de mes parents. Sur ce pont cheminant un jour avec mon père, vêtus tous deux de vêtements trop amples... je m'interromps pour faire ma toilette au lavabo ; ces ponts, ces répères, sont l'occasion d'une multitude de souvenirs : en 1989, lorsque mon père avait moins d'une année à vivre, nous cheminions donc sur ce pont, voûtés, traînant des pieds, car je réglais “mon pas sur l pas de mon père”. Alors un parigot motorisé s'arrêta lentement près de nous, et décocha en rigolant “Acré vain guiou d'bon sang d'bon souaire !” Je me suis vexé, surtout pour mon père, et puis, je ne pensais pas l'imiter à ce point-là.

    J'ai vociféré en montrant le poing à l'automobiliste, qui devait bien se marrer en compagnie dans sa bagnole. Mais aujourd'hui au cimetière, mon père était déjà mort, et ma mère, en quatre-vingt quatre pour elle, en nonante pour lui. Et je pensais qu'il me disait : “J'en veux pour 90, moi !”

    Le sort l'a exaucé, non pour l'âge, mais pour le millésime : il est mort en août 1990. Et si je calcule

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    encore, ma mère étant partie en 84, nosu sommes bientôt en 2004, j'ai soixante ans l'année prochaine ; d'ici 20 autres années, j'en atteindrai 80, et je rejoindrai mes parents. Non dans cette tombe toutefois, car j'ai réservé mes quartiers à Bordeaux.

    Je suis resté peu de temps devant la tombe, car cela ne sert à rien, il faisait froid, la dalle était nue, la plus nue de toute l'allée. J'ai gravé du bout de ma clé la lettre “B”, mon initiale, suivie de la date. Il n'y a que moi pour avoir de semblables idées. Ma femme n'avait pas voulu m'accompagner, car elle ne les aimait pas beaucoup. Les deux conversations tenues par ma mère étaient de me reprocher de ne pas venir plus souvent, et de s'interroger sur la légitimité de ma fille. Mon père, en face de son épouse, n'avait plus de conversation depuis longtemps. Je lui resservais de mes cours, qu'il admirait, et il se demandait ce que je ferais après ma mort, tout surpris sans doute et inconsciemment scandalisé que je dusse un jour lui survivre.

    Le séjour devant la tombe fut de dix minutes, suivies du traditionnel pipi de cimetière, devant cette autre dalle, verticale et sans séparation ; la pisse disparaît ensuite dans un enduit plâtreux. Et la voiture s'ébranle vers Lalinde, via Mouleydiers où nous évoquerons le vieux Maître Faget, passe le pont sur la Dordogne et cherche le Buisson de Cadouin. Notre prochaine halte doit être le cimetière de Coux-et-Bigaroque, où repose (c'est le terme consacré) Pascale de Boysson, compagne douloureuse (et jadis douloureuse) de Laurent Terzieff. Au lieu de rencontrer ce dernier perdu en méditation devant la tombe bien-aimée, nous avons remonté dans une forte odeur de vache des allées soigneusement râtissées où nos pieds s'embourbaient.

    Nous avions repéré les habitants des tombes sur un plan placardé sous grillag e: “de Boysson”, au fond à gauche. Parfois l'employé municipal ignorait le nom du défunt. Il écrivait simplement “OCCUPE” dans le rectangle : c'est à la fois respectueux des corps et extrêmement désinvolte. Je crois, surtout respectueux. Mais la tombe elle-même, aux inscriptions à-demi effacées (un de Boysson né en 1881, mort en 1971, peut-être son père, quelque vieux colonel) ne présentait qu'un long rectangle de terre encadré d'un muret, sur lequel reposait à main droite un toit funéraire à deux pans, gris et muet.

    Sans doute le début d'une installation monumentale. Terzieff attend d'avoir assez d'argent pour compléter cela. Il pense aussi que le défunt n'est pas tant honoré par les dépenses somptuaires que par le souvenir amoureux qu'on a de lui. Nous avons piqué un gros bouquet de fleurs roses

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    artificielles tombées par coup de vent d'une tombe voisine, puisque je n'ai pas osé le faire à Bergerac, pour mon père ; Anne m'a dit que j'aurais pu, la tombe d'en face étant réputée abandonnée, regorgeant pourtant de gadgets : “Regrets”, et autres. Mais je ne regrette pas mes parents.

    Et je suis superstitieux. Après cela, il ne nous restait plus qu'à retrouver la route de Beynac (hôtel à 50 euros, trop cher) : “Vous ne trouverez pas moins cher dans le coin !” Évidemment, dans ta catégorie, connard. A 38 euros à la Roque-Gageac. C'est moi qui ai monté les marches de la réception. Il y avait une jeune femme tête à claques, pour me dire d'un ton rigolard qu'on ne “faisait pas de chambres” ici. “Et ça ?” Je désignais tout un panneau dans son dos, indiquant les prix. Anne a débouché à son tour des escaliers. “Mais si, on fait des chambres.” Elle nous a menés aux numéros 9 et 10, en demandant si nous restions sur le même lit, si nous n'étions pas fâchés.

    Ma femme a répondu qu'on ne voyageait pas pour se disputer. Je grommelais en allemand dès les premiers instants, j'ai été présenté comme Lorrain, originaire de Verdun. Cet accueil m'a vexé. La tenancière n'aura de moi que les mots indispensables. Et puis le radiateur est froid, et le restera toute la nuit. Nous sommes allés nous goinfrer de lasagnes tout près d'ici. C'est la débauche, le bide augmenté garanti. Les couteaux étaient flexibles, j'ai fait semblant de les lancer sur ma femme en les tenant par la pointe. Nous avons été vite bloqués par une tablée de 3 english women, bien grasses et bien épanouies, qui savaient le français, mais pas assez pour suivre notre conversation.

    J'ai été éblouissant, boulant les mots, dévidant le jars, mêlant boche, espagnol, italien, arabe et turc de pacotille. Les voisines lançaient des clins d'œil perplexes, en poursuivant de leur côté une conversation anglaise aussi animée. Nous sommes ressortis de là les jambes écartées de bouffe. De fortes brumes flottaient sur la Dordogne, prévues par la vieille mère Marqueton avant notre départ. Et, miracle, quatre gabarres, avec un ou deux r, amarrées pour des promenades : “en octobre, seulement l'après-midi”. Nous y serions bien montés, mais quid du musée de Figeac ? ...et s'il était fermé le dimanche ? “Close on Sundays” ?

    Alors nous avons admiré, lu les prospectus (je lis couramment l'occitan : ce n'est pas difficile), et nous sommes remontés nous réchauffer ici. Nosu avons joué à la belote en étendant sur la table une serviette nid d'abeilles, et Annie a gagné. Nous avons gagné le lit à 11 heures, claqués

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    mais sans plus. Il se trouve que nous nous entendons très bien. Nous avions consulté des cartes. Nous ne savons pas où nous irons après Figeac. Ce matin je me suis réveillé à 7 h après un rêve de plus à tendance homosexuelle, sans que je me rappelle autre chose qu'un contact très doux de joue d'homme.

    J'ai écrit le début de ceci sur la cuvette des chiottes fermées, la boucle est bouclée. Annie s'est douchée, moi non, parce qu'elle a trouvé le système de fonctionnement de la douche par poignée latérale sur le pommean, et moi non. (...) Nous sommes descendus à l'instant prendre le petit-déjeuner. La serveuse est la même personne qui nous a reçus la veille au soir, elle nous a proposé des jus de fruits dans un festival de plaisanteries. En bas hurlait littéralement un chorus de comédie musicale, où les humains manifestaient leur enthousiasme d'être “Tous ensemble – tous ensemble – gnouf – gnouf” - “Nous les hommes, tous les hommes, rien que des hommes”.

    Heureusement nous étions à l'étage au-dessus, nous avons tout englouti, nous avons payé, la servante ou tenancière nous a affirmé son peu de prédilection pour les musées et autres momies égyptiennes. Nous avons payé près de 54 euros, nous sommes remontés. Anne s'est lavé les dents, j'ai oublié ma brosse et mâche du chewing-gum, il ne reste plus qu'à remballer nos affaires. Impossible de chier ici, ça dauberait un max, mais j'aérerai. Anne essuie ses lunettes, je mâche assidûment, il ne reste plus, cette fois, qu'à redescendre nos quatre bagages. C'est beaucoup. C'est de notre âge.

    Adieu la Roque-Gageac. FIN..

    Suite. Nous nous levons, rassemblons nos affaires, multiplions les va-et-vient de notre chambre à notre voiture. Le petit-déjeuner se déroule sous les auspices de la serveuse piquante. Elle nous demande si nous voulons du jus de tomate, du jus de carotte. Elle précise que c'est bon, “tellement bon qu'on ne sent pas le goût”. Supposition : c'est de l'humour. Elle tend vers nous son petit pubis hérissé. Quand nous la quittons, elle est incapable de nous fournir les heures d'ouverture du Musée Champollion de Figeac. Elle nous dit : “Moi, les musées...” Pour la pousser, je rajoute qu'il s'y trouve une momie.

    Elle se rengorge dégoûtée. Pendant le petit-déjeuner, trois fois de suite, un horrible chœur de comédie musicale style soviétique avant l'assaut tchétchène, chantant “les hommes, tous les hommes, rien que les hommes”.

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  • HENRI SERPE

    KOHN-LILIOM HENRI SERPE

    Henri, dit Serpe.

    Son profil est celui d’un quartier de lune : avec le creux pour les dents. Les meules.

    Semblables à ces excroissances cornées qui sur le fil des faucilles néolithiques – sciaient l’orge.

    Il a les cheveux jaunes et le menton qui pique (une barbe rase en éteules).

    Vers quarante-cinq ans, son corps s’est incurvé : le visage est un petit croissant, posé sur un grand ; quand il met les mains dans les poches, ses genoux fléchissent et les tibias forment le manche.

    Il fait paître sa chèvre sur un terrain vague.

    Il ne voit guère que sa chèvre.

    Il lui raconte des histoires, le bras autour de son cou : l’oreille, cornet soyeux, frémit, et la bête mâchonne, pensive. Il scrute les protubérances à la base des cornes et passe ses doigts sur les bourgeons. Sa chèvre s’appelle Lydia. Il affirme que « lythia » signifie « chèvre » dans une langue morte d’Asie Mineure.

    Henri habite un réduit de bois. Pour passer « en ville » on pousse une planche. Jadis il fut portier dans un grand hôtel italien. Il portait une casquette à côté du tambour, dans un uniforme bleu métallisé. Il lui en est resté un besoin de musique rapide, assouvi au Bordel. Il ne monte pas. Il boit, au bar, de la chartreuse ou de la bénédictine : liqueurs cuites de moines. Les filles rigolent :

    « Grand Serpe ! Tu te les es coupées ?

    C’est lui qui alimente le juke-box, le patron Fred lui sourit.

    Il regagne son terrain vague : Robinson de banlieue – au loin, il entend le ressac : autoroute A43.

    Le mercredi les gosses jouent sur le parking.Le ballon passe les haies hirsutes ; un gone surgit, s’excuse et retourne au parking : Henri Serpe est soulagé. Mais ce n’est pas un sauvage : il écoute son transistor, à l’heure des offices israélites shema Yisrael etc. Son voisin, Meyer, affirme que « Serpe » est une déformation de « serfati », « j’ai brûlé ». Les juifs voient des juifs partout. Meyer habite un pavillon, derrière une haie. Quand Henri Serpe chie dans la haie de seringuas, Meyer gueule. C’est un homme à barbe noire et ses cheveux bouclent.

    Meyer avait voulu fonder un commerce de baignoires, en s’associant le robinson Henri. Lorsqu’il avait fallu nommer l’association, Serpe avait déclaré :

    « Serpe et Meyer » sonne mieux que « Meyer et Serpe ». L’affaire en est restée là.

    Meyer disait : « Je suis propriétaire de ce pavillon de banlieue. Sans une erreur du cadastre, votre enclos n’existerait pas ».

    Henri Serpe appelait son abri « la cabane à outils ». Il y avait trouvé une pioche. Une toile goudronnée lui servait de toit. Henri eût aimé agrandir son « chez soi » : il aurait creusé le sol, percé des galeries, amené l’eau et l’électricité. Mais il n’était pas propriétaire. Il invita un jour son ami Meyer au bloc C, appartement 144, vide.

    La porte s’ouvre en traînant sur le sol une croûte de gruyère. Meyer porte dans son sac une flûte de pain, des cerises, un saucisson et du rosé. Serpe a volé en terrasse des restes de cantal et un yaourt. Les deux amis se sont assis dans la poussière.

    Après le repas, Meyer a joué de la flûte. Les pièces vides renvoyèrent les échos, mystérieux, anachroniques. Des rites de pharaons. Meyer vivait à l’aise, dans des meubles bon marché, avec sa femme et sa fille. Son cousin militaire parfois s’invitait le dimanche, pour bouffer. Il était sec comme le schnaps. Serpe y fut convié. Au dessert, plutôt allumé, Meyer proposa au clodo bien propre la main de sa fille Héloïse. Héloïse sursauta, le cousin militaire essuya ses gerçures labiales. Mais Serpe remit l’assistance à l’aise en déclarant que sa masturbation bi-hebdomadaire lui suffisait amplement.

    Héloïse sursauta plus fort. Sa mère apprit ainsi un mot de français, accompagné par Serpe d’un geste sans équivoque. Meyer apprécia, in petto, mais le déjeuner tourna court, on n’offrit pas de cigare à Henri Serpe qui s’en fut. Lui parti, le cousin capitaine déclara, crachant un noyau de cerise qui tinta de façon menaçante sur le bord de l’assiette, que lui vivant, il n’était plus question que cet individu franchît le seuil de cette demeure. Meyer poursuivit cependant ses visites anthropologiques. Henri lui narra l’épisode de sa « Gameline », une clocharde qu’il avait autorisée à cuver sous son toit.

    Elle s’était traînée près de lui, puis avait tiré de sa poche un vieux missel, sans lire, pour se soûler de l’odeur de vieille encre et de papier bible. Elle avait soupiré, s’était endormie, avait ronflé toute la nuit. Tous les soirs, pendant trois semaines, elle était revenue, tenant son missel. Henri Serpe se voyait parfois octroyer la permission de le respirer. Il respecta la Gameline jusqu’au bout. On la trouva morte un soir dans la rue des Roses. Il ne disait pas s’il l’avait regrettée. Il racontait volontiers cette histoire.

    Dans son chez lui sur une étagère trônaient dix volumes d’Henry Miller. Quand il avait fini la rangée, il relisait tout en partant de la gauche. Et un beau jour, hanté par cette vie grandiose et nébuleuse, il décida de « faire un tour », un grand tour, un tour définitif, comme on dit « jouer un tour ». Il prit sur lui Sexus et s’en fut dans les rues tout le jour : mais le soir, il était revenu sur le Terrain par le trou de la planche basculante. Le surlendemain, il emporta de quoi écrire, puis incendia sa cabane, qui brûla longuement, tandis qu’aux fenêtres de l’immeuble voisin les locataires se penchaient en se bouchant le nez parmi les fumées de goudron.

    Dès que Lydia la chèvre avait humé le désastre, elle s’était enfuie. Un camion la renversa. Henri Serpe ne l’apprit que beaucoup plus tard. Il ne dit pas non plus s’il l’avait regrettée. Et tandis qu’il marchait, sentant déjà son estomac gargouiller – est-ce qu’on ne pouvait pas s’empêcher de manger ? - il reconnut, levant les yeux sur celui qu’il avait heurté, Meyer et sa barbe noire et son nez au couteau. « J’ai faim », dit Henri Serpe. « je n’ai pas pu supporter la fumée de ton goudron, répondit Meyer, ni de ta crasse ». Ils ont éclaté de rire. Ils se promirent, à ce moment leurs rires devinrent quasi hystériques, de ne plus jamais avoir faim, et d’envoyer au diable tous ces foutus raisonnements corporels, qui entravent la vraie vie : « Et nous vivrons d’Esprit, pour l’Esprit et en l’Esprit ».

    Ils furent arrêtés au coin de la rue des Violettes.

    Au commissariat de la rue Poilut, Meyer s’esclaffa à l’idée que sa femme et sa fille auraient pu mourir – du moins l’avaient-elles glapi – dans l’Incendie ; on les avait relogées au 5e étage de l’HLM, côté non goudronné – ce détail, asséné d’un air sombre par le brigadier, excita particulièrement leur hilarité. La femme n’avait pu lâcher les fruits au kirsch, qu’elle tenait encore sur ses genoux, assise de l’autre côté du mur, sur la banquette en bois du corridor d’attente. On leur fit passer la jatte, dont ils avalèrent alternativement un fruit, puis l’autre, entre les bourrades de l’interrogatoire.

    Mais les flics les empiffraient de gruyère sec entre deux fruits pour en dénaturer le goût. Quand ce fut le moment de lamper le kirschwasser, le brigadier ôta la jatte que Meyer inclinait goulûment vers sa vaste barbe, et le siffla lui-même avec satisfaction. Puis, dans un rot tonitruant, il les chassa à grands coups de pompes dans le train. Les deux hommes s’éloignèrent sur la Nationale, bourrés de bouffe, hoquetant de l’alcool dont les fruits étaient imbibés. Au bout d’un kilomètre, ils se sont arrêtés : « Que faire ? » Crevés d’ennui, comme le soir tombait, ils s’allongèrent dans un fossé, bien enlacés pour se tenir chaud : car ils avaient, lors d’une discussion où chacun renchérissait de plus belle, radicalement éliminé toute connotation homosexuelle.

    Meyer imagina qu’au bout de quelques jours chacun pouvait bien, tout en marchant, se branler à côté de l’autre sans que l’autre sourcillât ; et comme il étalait volontiers sa culture, il rappela cette anecdote sur Ésope, qui, « voyant un jour son maître marcher en pissant : « Eh quoi ! s’exclama-t-il ; nous faudra-t-il donc chier en courant ? » Pour chier, en fait, c’était une autre histoire, et la pudeur de Serpe revenait au galop. Il se cachait derrière les fougères, sans s’en torcher toutefois parce que ça fait pisser le sang par le cul, et Meyer… faisait le pet. Un matin, sortant d’un de leurs fossé, ils entendirent un bruit de cloches : non loin béait le porche d’une église. Une foule superstitieuse s’y engouffrait pour la grand-messe, Pâques ou Pentecôte. « Allons-y », propose Meyer, qui était juif (il le reconnaissait enfin). Les bancs s’allongeaient dans la pénombre. « Si nous nous allongions côté femmes ? » dit Serpe. « Elles placeraient leurs gros culs sur nos visages ». Meyer fit observer, en fin connaisseur de la liturgie chrétienne, que l’opposition des sexes ne se pratiquait plus guère. Il instruisit même Henri à mi-voix de toute la symbolique de la messe, pestant lorsque le curé bâclait un signe de croix ou un verset. Le prêtre fronça les sourcils dans leur direction. « Je vais te raconter un souvenir d’enfance » chuchota Meyer. À ce moment le curé descendit de l’autel et les expulsa vers la sacristie. Aussi sec il revint à la Sainte Table afin de distribuer le reste des hosties , toutes lippes pendantes.

    Dans la sacristie, ça puait l’encens froid et le soufflet d’harmonium. Meyer fouilla les armoires, Serpe l’en empêcha : « On attend le curé » dit-il. Ils se sont assis sur des chaises à la fois boiteuses et paillées. Un tuyau de poêle maintenu à l’horizontale traversait obliquement la pièce pour s’enfoncer dans un trou du mur. Amen ! Le prêtre surgit en se frottant les mains :  « Une messe, ça creuse ! » Il ouvre d’un coup les battants de la penderie, et tire une batterie de jambons de derrière les amicts et des pots de rillettes, comme un chien qui déterre un os. Dans son dos les autres attrapent tout au vol : « Prenez et mangez ! » s’écrie le curé. « Car ceci est le corps du Porc qui périt pour nous ! » Quant ils eurent chassé la faim et l’appétit, le prêtre dit : « J’aurais sacrément bien de partit avec vous autres, car vous me paraissez gens qui savez vivre. - Et vos ouailles ? s’inquiète Meyer. - Sans moi ! Il y a là de vieux trumeaux qui pratiquent, qui pratiquent depuis soixante ans et plus. Elles récitent la messe en latin, et à l’envers. Les femmes devraient dire la messe. Ma Deux-Chevaux nous attend devant la porte du transept. Je m’appelle Darguin.

    - Nous serons, dit Serpe, les musiciens de Brême. J’ai ma flûte. Nous gagnerons de l’argent ». Les deux autres demeurent sceptiques ; Meyer fait observer que les musiciens de Brême étaient 4. «...avec la Deux-Chevaux nous serons 5 » - elle démarre. La foule, dépêchée avec pierres et fourches par Mgr l’ Évêque, se lance à leur poursuite : véhicule immatriculé 897 HX 48 . «Ne vous souciez pas, dit le prêtre ; j’ai dans la boîte à gants tout un jeu de Chiffres et de Lettres ». Ils s’échappent donc. De joie, le curé veut effectuer des sauts périlleux sans cesser de rouler. Ce doit être extrêmement périlleux, surtout dans les virages. Meyer objecte que les situations de ce genre se reproduisent à longueur de pages de Raymond Queneau, du génie duquel il commence à douter. « Herr Meyer, dit l’ecclésiastique, votre culture littéraire m’emmerde. Apprenez que je n’ai rien lu de ce Queneau, et que je ferai ma galipette ».

    Et il fit une galipette au-dessus du volant, et Meyer siffla d’admiration, et la 2CV s’effondra dans un fossé (fracas).

     

    X

    Serpe décide de les abandonner, voit sans regret disparaître dans un virage la deuche remise sur pied, heureux d’être seul. Glad to be lone.

    Comme le soleil est haut, Serpe se sent libre et supérieur, et marche en direction de deux collines, la tête merveilleusement vide, comme après une journée de plage (souvenir lointain). Très vite cependant, se coucher ou manger lui paraissent de grosses difficultés. Au milieu d’une montée sous les pins, il s’affale au sol, et quand il se réveille, la nuit est venue.

    Il se relève péniblement, considère les étoiles en pissant contre un tronc, marche jusqu’au matin ; son découragement s’est évanoui au lever du soleil. Mais il n’est pas si facile de vagabonder. Pourtant le monde lui appartient : à quelques pas de là gît Meyer, qui a planté là son curé après l’avoir délestéde son argent. Tous deux redescendent de l’autre côté des collines. Ils se montrent les billets de banque : « Nous allons prendre un splendide petit-déjeuner. »

    Le village s’appelle Réalmont, dans le Tarn. Ils s’installent sous les arcades. Le bourg a depuis longtemps pansé les plaies d’un vieux massacre anticathare : tout le monde dans le puits, et hop ! Soleil du matin, pain y café con leche. « J’ai été marié, dit Serpe (très lointain souvenir).

    - Je parie que tu as un enfant, dit Meyer, qui parierait sur n’importe quoi.

    - Un garçon de six ans (mettons que c’est tout ce que vous apprendrez sur le passé d’Henri Serpe) – et ta fille ? »

    Meyer hausse les épaules et rattrape le guéridon en terrasse qui perd l’équilibre. Voilà ce que c’est que de parler d’enfants. «Tes chaussures sont dégueulasses », dit-il à la place. Rachètes-en des neives : il y a un magasin en face.

    - Il n’est pas encore neuf heures.

    Le patron débarrasse les guéridons voisins de leur rosée. Il empoche l’argent des Clodos-de-Frais,leur débarrassant le petit-dèj de sous leur nez – Henri raccroche de justesse un dernier bout de pain de la corbeille, que le gros homme courroucé lève déjà fort haut.

    « C’est bien de voyager quand on est riche, dit Serpe.

    - C’est même la seule façon, renchérit Meyer. Il tire de son veston un portefeuille épais comme un sein.

    « Tu vas balancer ça tout de suite!s’écrie Serpe.

    - Pas question ! »

    Le patron ressort de sa boîte :

    « Qu’est-ce qu’ils veulent encore, ces deux peigne-culs ?

    - Vous avez un peigne ?

    ...Meyer entraîne Serpe à travers la place : « On change tes souliers d’abord…

    - Ça va puer des pieds…

    - Çà…

    Ils reparaissent tous deux chaussés de neuf.

    - C’est la réflexion de la vendeuse qui t’emmerde ?

    - Je t’avais bien dit que ça allait puer.

    - La pureté du clodo, c’est sa crasse !

    - D’où tu sors ça ?

    - D’un catéchisme à moi, dit Meyer.

    Quelques kilomètres plus loin, route d’Albi :

    « À Paris, reprend Meyer, ils ont des cabines où tu peux te laver un quart d’heure, avec serviettes, gants etc. Sortie d’Austerlitz.

    - Austerlitz ?

    - Ben la gare. « 

    Ils quittent la nationale.

    « À quoi penses-tu ? dit Meyer.

    - À ma chèvre.

    - J’ai lu ce matin sur un bout de journal qu’elle s’est fait saccager par un camion.

    - Tu est sûr que c’est elle ?

    - En pleine ville, à deux rues de chez moi ?

    - Pourquoi dis-tu encore « chez poi » ?

     

    *

     

    Ils arrivent à l’hôtel des Trois Bougnats. « Ça sonne bien » dit Meyer. Sur le mur on voit deux queues de billard entrecroisées, avec deux boules. « C’est devenu rarissime » dit Meyer.

    Comme on n’est pas très loin dans la journée, toutes les chambres sont inoccupées. Une boutonneuse de 19 ans, toute en clite, regarde leurs fripes de travers. Meyer veut tirer une liasse de banknotes, Serpe l’arrête d’un geste, et se met à extirper, avec force mimiques, deux billets crasseux de sa poche de pantalon. La pucelle les saisit en reniflant. Ils la suivent, raides dans l’escalier raide. Elle leur donne deux chambres communicantes. Puis elle se retourne dans sa robe verte avec suspicion, et rengloutit ses os dans l’escalier quasi de meunier. Les deux hommes se regardent par l’encadrement. Serpe se passe le dos de la main sur les poils de barbe : « J’ai encore faim. Où est le portefeuille ?

    - Regarde, dit Meyer.

    Il tire de sa pochette le large larfeuille de cuir : « Tu croyais que c’était de l’argent… Ce sont des cartes d’État-Major du Pas-de-Calais.

    - Qu’est-ce que tu veux qu’on fasse de ça ?

    Il lui tire les cartes des mains et les balance dans la corbeille d’hôtel.

    « Il ne reste pas d’argent ?

    - Tu pues.

    - Je croyais que c’était toi.

    - Faudra plus descendre à l’hôtel ».

    Serpe, seul, appuie son front à la fenêtre. Il entend Meyer se relever, ouvre la porte communicante : « Et si on rejoignait les hippies ? Paraît que les filles…

    ...ne baisent pas plus qu’ailleurs, répond Meyer à travers la cloison. Ce sont les mêmes qu’avant, qui baisent – mais en faisant plus de bruit qu’avant.

    - On irait sur la Côte !

    - Je déteste la Côte.Toutes les Côtes. Je déteste les hippies. D’abord, y en à plus. C’est dans le journal.

    - Viens, dit Meyer. Descendons manger, il nous reste tout de même 57 francs, on va se faire servir par la branleuse de clite. »

    Pendant le repas, ils sifflent chacun leur litre. Ils se racontent leurs histoires de cul, la fille en vert leur passe les plats du bout du bras en détournant la tête. Elle pue des aisselles, mais finit par s’assoir avec eux au dessert. Ils prennent trois cafés. Dans la chambre 6, elle les lave, les rase, les change, avec de vieux falzars de son défunt père. Au petit matin, elle voulait partir avec eux en emportant la caisse.

    Après leur sperme, les deux compagnons exprimèrent de sérieuses réserves. La fille aux habits verts plaida sa cause, passant outre les mufleries de Serpe qui chantait l’un après l’aure les couplets de Jean-Gilles mon gendre. Serpe finit par se tourner contre le mur ; au boudin instant, il ronflait. Gina (c’était elle) tenta de l’égayer, sans succès : « J’introduirai la variété dans votre ennui ! » dit-elle.

    Un ricanement surgit du matelas :  « T’entends ça Meyer ? Notre ennui ! Henri n’avait ronflé que d’un trou. « Vous n’allez pas me faire le coup de la misogynie ?! » sexe-clama Gina ; il manque une femme, dans votre histoire !

    - Laisse-nous crécher 3 jours là sans payer, proposa Serpe en se retourna. Après, on verra. »

    Gina répondit avec frayeur qu’elle n’était pas la seule à s’occuper des Trois-Bougnats : que si elle accordait la gratuité, so, frère s’en apercevrait ; qu’au vu de leurs têtes, il avait parlé d’avertir la police. « Fais-toi virer », suggéra Meyer.

    - Attends.

    Elle descend au rez-de-chaussée, lui lançant un baiser, mais toise Serpe, allongé, avec défiance. Celui-ci détourne la tête : « Après avoir lu tout Miller ! » l’engueule Meyer. - Quoi, « Miller » ? - ...Celui qui s’envoyait toutes les femmes qu’il croisait ! - Je n’ai pas besoin de bouquins pour me faire une opinion.

    Ils entendent soudain une violente tambourinade à la porte. Meyer pâlit sous sa barbe et se dirige vers le loquet. Un gros homme obstrue toute l’embrasure. Quand il s’avança, le plancher plia. Serpe lui-même sur son lit ramena ses genoux au menton. Mais le colosse ne semble pas furieux. Il repousse la porte dans son dos. Qu’est-ce qu’elle a ma sœur ? Meyer hoche la tête en avalant sa salive.

    Le gros frangin s’est dirigé vers le lit, glisse la main par dessus Henri, la redescendit entre mur et sommier. On entendit un claquement d’interrupteur : le bonhomme a désigné d’un air farce un aérateur qui s’était mis à grésiller : « Ça ne sent pas la rose chez vous ». Il réclama 6000 francs pour sa sœur, plus un pourcentage mensuel. Il écartait les bras d’un air avantageux, de part et d’autre de son bide.

    Serpe se leva, commença placidement à se rhabiller. Meyer fit observer à l’autre que ni Serpe ni lui n’avaient le premier sou nécessaire. « À moins, ajouta-t-il, que nous ne vous supprimions, ne vous dévalisions, et ne ravissions votre sœur ». Serpe siffla admirativement : il avait toujours estimé le beau langage. « Comme ça, d’accord » dit le gros frère. De sa poche, que le ventre comprimait, il tira à grand-peine un revolver, qu’il leur tendit.

    Serpe rigolait. Il manipulati l’arme sous l’œil ahuri de Meyer lorsque le coup partit. L chemise du colosse se déchira, il s’écroula sans un cri. Il n’y eut pas de sang. La sœur survint, « échevelée, livide », se griffa les joues ; pour quitter la pièce, les deux hommes enjambèrent le corps. Au moment où Serpe passait le pied par-dessus la poitrine de l’obèse, l’œil s’ouvrit fixement sur les pantalons neufs du père mort que le fugitif emportait sur lui. Les deux hommes et la femme ne ralentirent qu’au bord d’un canal. Une péniche rouillée mouillait là. Serpe voulut monter à bord, mais un chien se mit à aboyer férocement. « Passons », dit Meyer – « de toute façon, nous n’aurions pas dépassé la première écluse. Puis il faut du mazout, un permis, toutes sortes de paperasses… - ...je sais, interrompit Serpe.

    Tout ttrois marchaient désormais entre le ciel et le rang de peupliers du chemin de halage. Meyer et Serpe serraient très fort les mains de Gina, chacun de leur côté. Ils fixaient la cimes des arbres sans tomber. À la cabane de l’éclusier, ils quittèrent le canal, et par un petut chemin gravillonneux, regagnèrent la route en contrebas. Longtemps ils ont déambulé. Gina parlait, on ne l’écoutait pas.

    Serpe a continué de manifester son hostilité à la gent féminine par d’infimes détails de comportement. Puis avec Meyer se sont échangés d’obscurs propos, phrases ébauchées, caramels d’expressions mal dégluties. Puis une scène violente éclata. Meyer et Gina sont partis de leur côté, « pour fonder une famille ». Serpe a ricané lourdement : c’était une fuite. Mais pour arroser la décision prise, qui valait mariage, Meyer et Gina ont disparu derrière un talus hanté de fourmilières, tandis que lui restait en bas, sans rire, à réfléchir.

    Il finit par compter les fourmis : Meyer ne romprait jamais. Lui-même, Serpe, croyait avoir rompu. Mais plus il y pensait, plus il avait envie de rire. Il n’était pas assez en colère. Les fourmis qui couraient sur ses jambes l’avaient apaisé. Quand il se sentait dans ces états de sérénité, rien au monde n’eût pu le faire accéder aux délices de l’angoisse ou du déchirement. Il regrettait de n’avoir rien à regretter.

    Gina et son compagnon reparurent, époussetant leurs fourmis respectives : ils allaient s’éloigner pour de bon, décision confirmée. Serpe les applaudit : Meyer, grâce à ses diplômes, parviendrait à se refixer, irréversiblement cette fois. Les adieux se scellèrent autour d’une tranche rance de Vache qui Rit – Dieu merci, c’était l’été. Ce bond dans l’absolu serait châtré dès les premiers froids.

    Seconde séparation – mais Henri Serpe s’assurait que celui-là, Michel Meyer, ne cesserait de revenir se faire plaindre ou pardonner, tenter ou se faire tenter. Serpe n’en marcha que plus vigoureusement. Il contempla les nouveaux amants qui s’éloignaient sur le versant d’une colline, au sommet de laquelle trônait quelque carcassonnette locale : close, et dominante. Serpe s’en détourna dans l’allégresse,  « enivré à la coupe des orgies éternelle ».

    La route s’allongeait, frôlée de part et d’autres par les méandres d’un cours d’au ou par le canal sournoisement tangent, se rapprochant, s’éloignant. Il écouta sur la rivière le bruit d’étrave d’une branche immobile, coincée dans le courant. L’air devint lumineux. S’étant assis, il arracha une touffe d’herbes avec ses racines, qu’il se mit à émietter entre ses souliers neufs : l’odeur des pieds menaçait de percer celle du cuir.

    Il n’avait plus pour argent que trois billets, laissés par Meyer avant son départ : la femme avait exigé une plus grosse part pour « Eux-Deux ». Henri marcha, bien contrarié de ne pas savoir exactement où il se trouvait. Il ne pouvait rejoindre le Pas-de-Calais, dont il possédait quelques cartes d’État-Major, que d’ici cinq bonnes semaines de marche.

    Il se demanda pourquoi lui, Henri Serpe, avait repris la route : ce n’était en tout cas ni par curiosité, ni par révolte – mais comment se nourrir, une fois les billets épuisés ? Vol, ou prostitution ? à 47 ans ! d’après l’Américain Miller (qu’il prononçait « Miyé »l’avait), il suffisait de demander : l’argent venait tout seul.

    Il se récitait des passages où Miller extorquait, dans la plus pure gentillesse, maints dollars à ses victimes consentantes. Or la première âme rencontrée fut une paysanne, poussant deux bidons de lait dans une carriole ; comme il portait des souliers neufs, elle lui rendit son salut sous son foulard. Il se proposa pour pousser la carriole, menant une conversation inodore. Parvenus à la ferme, il obtint une mesure de lait qu’il but sur-le-champ.

    Le corps d’Henri, en quartier de lune, l’avait mis à l’abri de toute boulimie – cependant, il sentait que toute faim signifierait immanquablement une diminution de ses facultés intellectuelles : Henri Serpe exigeait de spéculer à vide, c’est-à-dire hélas l’estomac plein – sans compter une tentation grandissante de se confier à toutes ces organisations caritatives, heureusement abstraites et déficientes aussi longtemps qu’il fuirait les agglomérations de quelque importance.

    La deuxième rencontre fut celle d’un paysan mâle ; car la campagne grouille de  paysannes et zans qui, derrière chaque buisson, attendant patiemment le vagabond pour l’accompagner en lui fournissant matière à philosopher. C’était un homme râblé. Il refusa de se laisser porter sa fourche pour de l’argent. Il avait peur d’en recevoir un coup, en mémoire de tous les clochards qu’il avait expulsés de sa grange ou de son pailler. Serpe, se retrouvant seul, revit Meyer en son esprit. Peut-être fallait-il vagabonder en été, s’enfermer l’hiver ? Meyer n’avait rien trouvé de mieux que de se rengluer avec une femme, de refermer la porte ; les femmes étaient décidément de vrais pots de colle, ne fût-ce qu’anatomiquement parlant. Il était libre. Il avait faim. Il pensait, pour l’instant. Il mendia, une fois, six francs dix.

    Il rencontra un groupe de hippies, dont c’était l’époque. C’était la première fois qu’il en voyait de près. Il leur parla un peu, il leur sembla stupide ; d’autre part, il était vieux. Il n’avait pas beaucoup lu, en dehors de Miller, qu’il prononça Mi-yé. L’un de ces hippies l’aurait bien accepté dans le groupe, mais le fait d’ignorer jusqu’au nom d’Artaud le déconsidéra. Ils étaient donc aussi humains que les autres.

    Henri Serpe, hochant la tête, retrouva sa misanthropie. Et il marcha plus loin, mais cette fois, il s’en rendait compte, la nuit tombait. Il dormit dans des roseaux, se réveilla tout courbatu, bouffé aux moustiques, sans avoir vu d’étang.

     

     

     

     

     

     

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  • Gaston-Dragon

    COLLIGNON HARDT VANDEKEEN

    GASTON-DRAGON

     

    A L'USAGE DES MAL-COMPRENANTS

    Le 10 décembre 1945 au matin, le père de ma mère, Gaston Liénard, mourait écrasé sur le verglas par un camion-benne vide. Ce drame fit de ma mère une épave nerveuse. Elle transmit à son fils l'admiration qu'elle portait à son père, et lui enjoignit de l'égaler en virilité. Ce petit-fils donc exprime ici les sentiments contrastés qu'une telle situation fit naître en son âme. Un tel idéal reste à tout jamais inaccessible. Très souvent, il se comparera au héros grec Héraklès, chargé d'effectuer ses Douze Travaux ; mais lui, petit-fils de Gaston-Dragon, comme il le nomme, n'accomplira aucun exploit : il restera noyé sous sa propre paralysie.

    Le présent écrit présente une tentative de transposition, d'interprétation littéraire ; le lecteur en constatera vite les limites, ou les outrances. Ce livre n'est cependant pas plus mauvais que bien d'autres.

     

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    EXERGUE

    Les exploits d'Ulysse, accomplis par la ruse et l'intelligence, me semblent méprisables ; car je sais très bien, moi, je suis largement payé pour savoir, que l'intelligence sans la force ne mène absolument nulle part.

     

    Mise en garde L'auteur ne croit ni à l'intelligence, ni au mérite, mais à la loi du plus fort : force physique, force séductrice, force calculatrice. S'il échoue, il n'en tirera nul enseignement. Il s'estimera plutôt victime, il élaborera plutôt les plus fourbes des scénarios, plutôt que d'admettre la moindre part de responsabilité ou la moindre chance de réhabilitation. Sa malhonnêteté intellectuelle pourra ainsi se déployer en toute impunité, sous couvert de ce quil appelle « la littérature ».

     

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    AU LECTEUR

     

     

     

    Lisez lentement. Lisez successivement. Ne cherchez pas à tout prix l'enchaînement. Tout se constituera en son temps, à son rythme. Formons une alliance où nous ne craindrons rien l'un de l'autre.

    Note

    Cet avertissement s'avère en effet de la dernière utilité pour ceux qui ne cherchent dans la lecture qu'un divertissement ; nous lisons trop vite, parfois même la télé allumée, quoique le son soit coupé... Mais l'alliance proposée ensuite, sans souci de cohérence avec ce qui précède (amenée par le simple contraste de « crainte » et de sérénité vient là comme un cheveu sur la soupe, sicut capillus in intrito.

     

     

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    PERE-HISTOIRE (1)

    Père-Histoire ayant expédié l'inconnu - gravé par son nom sur le monument aux morts - dans les camps du même nom (2), fut condamné au peloton. Mon père Noubrozi fut écroué par nos libérateurs (3) , en forteresse à Laon : commutation en droit commun ; quand la « cité » de la ville fut bombardée, Père-Histoire déblaya les corps dont une jeune fille anonyme à bout de bras ; il me dit que rien ne peut rendre l'odeur de la mort. Que rien n'en peut approcher. Dont rien ne donne l'équivalent. Odeur sui generis. J'en viens à penser que cette odeur donne faim ; les pisse-presse, après l'incendie parlant immanquablement d'une « ignoble odeur de brûlé ». Les plus précis hasardent : « sucrée ».

     

    Notes

    (1) Il s'agit du père véritable, historique en quelque sorte, de l'auteur, « Noubrozi » (voir cette œuvre, publiée dans le premier numéro de la revue « Le Bord de l'Eau » ; l'auteur se réfère ici à des faits platement exacts.

    (2) Cet inconnu, bien que je pense connaître son nom, reste ici anonyme. Il ne sera plus fait mention de lui par la s) uite.

    (3) Les Américains

     

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    PARTURITION

     

     

     

    Mes trois prénoms chrétiens sont Gaston, Lucien, André. Dieu dessécha mon âme, et purifia mes lèvres d'un charbon ardent; et Isaiae labra carbone ardenti purificavit.(4) La cathédrale de Limoges présente en bas-relief sous le buffet d'orgues les Douze Travaux d'Hercule, paganisme patent, dont nulle notice ne fait mention (5). André, l'Homme, deuxième prénom, fut d'abord le nom de mon second père, le médecin accoucheur. "Boucher !" criait ma mère , « Boucher ! » - le

    sang giclait! giclait partout ! sur les murs, sur le sol, les cuisses ouvertes de ma mère et la table aux

    pattes torses où la famille a mangé jusqu'à mes treize ans.

     

    Notes :

    (4) Dans l'Ancien Testament, les lèvres du prophète se trouvent ainsi habilitées à porter la parole de Dieu. C'est ainsi que notre auteur s'égale aux plus nobles figures bibliques.

      1. (5) Cette observation, exacte au demeurant, ne présenta aucun lien apparent avec ce qui précède, ni avec ce qui suit...

     

    ..."Me voici. Mes yeux sont d'azur baignés."

    Valéry, "L'Enfance de Sophocle"

     

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    GOYA

    Sans souvenir encore. Pourtant, passé le meurtre des serpents (6) , d'autres monstres se lèvent à l'horizon d'une mémoire antérieure, d'immenses jambes nues franchissent au loin en déchirant les brumes de longues étendues d'eau pâle, terre et mer emmêlant leurs contours indécis. Fermant un instant les yeux, puis les rouvrant, je m'aperçois que les visions s'estompent. Je porte au sommet du crâne l'ombilic ou la fontanelle des vies antérieures. Mère avant moi déjà vivante. Boute-en-train – pour étrange que soit le terme ,désignant un étalon  chargé d'exciter la jument, puis qu'on éloigne pour lui substituer, en douce, le véritable géniteur. « C'était un numéro » ajoutaient les commentateurs - définition de cirque ; jusqu'à une date toute récente, j'ai cru que lres circonstances sanglantes de ma naissance l'avaient transformée en créature dépressive, or, elle l'avait toujours été, comme tous les « rigolos ». Mais le visage de ma mère m'apparaît surtout, dans ma mémoire,

    comme celui d'une Gorgone, au hideux rictus (7)

    Trône à seize ans ma mère en costume d'Esther sur un cliché sépia parmi les jeunes pensionnaires entorchonnées de châles. "Un jour en classe » dit ma mère « à la question "qui fut le roi de la Lorraine en 1738 ? j'ai crié : Stanislas Leszczynski !" (8)

    Ma vie est le monde, et son histoire, ma cosmogonie.

    Notes :

     

    (6) Allusion aux deux serpents envoyés par Héra pour étrangler Hercule, encore au berceau. N'oublions pas que notre héros, de loin en loin, prétend se hausser au niveau du grand Héraclès ou « Hercule »(7) L'auteur exagère. Mais il ne renonce pas à transformer les évocations de son enfance en épisodes

    mythologiques, sans omettre les références picturales (Goya, Valéry, Sophocle – le foutoir...)

    (8) Deux circonstances où la Mère se trouve mise en valeur. Ce rappel se relie difficilement, là aussi, à ce qui précède ou à ce qui suit.

     

     

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    LA MORT DU DRAGON (9)

    Histoire de la mort du père d'Alcmène, Gaston-Dragon. Gaston, de « Vaast », prononcé [vâ], («gare St-Vaast »de Soissons). Saint Gaston initia Clovis aux mystères chrétiens - « Terre Guaste » signifie terre déserte, dé-vastée. Die Wüste. Un jour de verglas, 8 h 12, décembre 1945. Gaston-Dragon meurt écrasé par un camion-benne à betteraves, vide, tête broyée, plate comme un fromage au sang ; c'était de son vivant le « chien » du patron : le contremaître, celui qui aboie sur les ouvriers « Plus vite fainéants ! » Dur-à-lui-même-et-aux-autres comme on dit, universellement détesté à la sucrerie d'Aguilcourt Arrête ! Arrête ! tu viens d'écraser le père Liénard ! (là-bas en Picardie on ne dit pas « Monsieur, Madame », on dit « le père », « la mère ») - Mais je lui parlais y a pas une minute - Il vient de glisser sous tes roues !

    Quinze jours avant sa retraite. Quinze jours avant Noël. « Quand j'ai vu » dit la Veuve « arriver de loin le Maire, l'Adjoint, le Patron, tous en noir chapeau bas j'ai su tout de suite qu'il était arrivé quelque chose." Notables de campagne aux phrases convenues - il se retirait toujours pour que je n'aie pas d'enfant - « Tu les préfèrerais à ma fille (10) ! » - et cette fille était ma mère Alcmène absente ce jour-là, la Seconde Epouse du Dragon, debout, se prenait la Mort en pleine

     

     

    face. Si éloignée que fût ma mère, à dix kilomètres en ces temps si lointains où le bout du monde était l'autre chef-lieu de canton, juste le téléphone du Maire en cas d'urgence, elle fit un rêve : mon père était sans tête criait-elle je ne vois pas la tête papa papa s'il portait ou non un bandeau dans le rêve - si le sang (11) (...) - je ne sais plus répond-elle plus de tête plus de tête un souvenir coagulé comme à bout de souffle à bout de mémoire ; j'ignore encore jusqu'au bout si ma mère a pleuré crié je ne connais pas le tréfonds de ma mère (12). (En vérité Gaston-Dragon portait de larges bandes étanches et immaculées sur ce même lit d'exposition du corps où je devais plus tard enfant rejoindre Seconde Epouse devenue veuve, à sept heures du matin en été, mes parents dormant encore ; elle frappait doucement sur les conduits d'eau chaude, pour que je la rejoigne au sein de cette couche imprégnée de bergamote et d' « odeur de femme » - il faut un odorat subtil et affiné pour sentir le plus quintessencié des parfums. Je prétendis un jour en être incommodé. « Comment peux-tu » me dit la veuve «savoir ces choses-là ? » - ainsi donc loin d'en faire mystère les femmes admettaient comme allant de soi, reprenaient à leurs compte et maléfices cette appréciation révoltante... Ma mère Alcmène prétendit (j'avais là-dessus opiné de jour, en pleine cuisine) que j'avais dû « flairer » (c'était mon mot) parmi les jambes ouvertes de la bonne logée chez la Veuve et qui se fût au rebours de toute vraisemblance assoupie sur sa chaise en position propice - je ne me souvins d'aucune exploration, ni reptation, de cette espèce.)

     

    Notes :

     

    (9) Retour au thème de cet ouvrage : la mort accidentelle du grand-père, que l'on assimile à un dragon germanique...

    (10) Telles sont bien sûr les paroles incongrues qui résonnent à ses oreilles à l'instant même où elle apprend la mort de son mari, Gaston-Dragon.

    1. Questions que j'ai posées, plus tard.

    (12) Sept années ont passé, l'auteur évoque ici, par contraste, l'un de ses premiers souvenirs dit « voluptueux »

     

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    FIGURES DU PERE (13)

    Un père tout embarrassé, comme contaminé, de son entrave charnelle : Amfortas, Roi Pêcheur, Cophétua (« Que fais-tu là?) blessé, navré, mehaigné d'un coup de lance enmi les hanches non pas claudiquant mais bien dévergé, lacéré et castré ; à lui tout le miel et la résurrection selon son rite, lorsque la terre gaste reprendra couleurs de fleur et d'herbes, rameaux, bourgeons (14). Je consolerai ce père et oindrai ses parties de ce natron dont on conserve les momies car « il est plus grand mort encore que vivant. (15) Arthur roi des échecs - Arcturus : « L'OURS » ; à déplacer case après case, parcimonieusement, dont l'ultime campagne se fit contre le fruit de son inceste (Mordred l'Usurpateur) qui le trancha de son épée, tant qu'on vit le ciel entre les lèvres de sa plaie (16). ...Arthus figé, en son palais de Camaalot, dans une éternelle célébration de Pentecôte ou d'Annonciation ; premier célébrateur, démiurge de ce monde où nous vivons et mourons tous (17) ; sans aventure personnelle ni quête qui vaille, mais bien les ordonnant, les déléguant : tout ce qui part du roi se voit fondé, se déroulant, lui revenant, tout accomplissement s'estampille, s'authentifie par lui : assimilé de la main blanche (18) aux divinités de Rome, tout citoyen romain quoi qu'il fît en effet se référant au regard, à l'action d'une entité divine ; actions décalquées, répercutées à l'échelle du ciel, firmamentum, inscrits, portés en ombre. Père : aussi bien Wotan déchu, dépité dans l'amour des Walsung, héros humains et vaincus - ou Encélade, enchaîné sous l'Etna (19).

    Je fus adoré de mon père. Il se fonda sur moi. Ainsi les mortels rachetaient-il les dieux(20) ligotés de certitudes ; tout homme est Messie ; toute femme emmure dans le temps, de la naissance au grand scellement de la mort (21) . Ni le Christ ni Oreste ; ni même Isaac fils dAbraham (22) qu'il

    épargna ; je fus, avec mon père, juste un homme. Valant n'importe qui. (23)

    Notes

    (13) Sans lien direct avec ce qui précède, l'auteur à présent évoque la figure de son propre père, mari d'Alcmène. Il se le représente sexuellement mutilé, à l'instar du roi Amfortas.

    (14) C'est ce qui se produira lorsque le roi blessé recevra le baume guérisseur : tout son domaine refleurira.

    (15)Noter ici le disparate des références : d'une part, l'embaumement des momies égyptiennes ; d'autre part, les paroles prononcées dit-on par Henri III lorsqu'il aperçut au sol le corps de son ennemi Henri de Guise, qu'il venait de faire exécuter : « Qu'il est grand ! Il est encore plus grand mort que vivant. » Le roi de France put s'en apercevoir : il fut assassiné, par vengeance, moins de huit mois plus tard (1589)

    (16) Allusion ici à La mort le roi Artus, de Chrétien de Troyes ; l'auteur a rassemblé ici plusieurs souverains légendaires, tous frappés d'une forme d'impuissance, politique ou sexuelle.

    (17) Nulle part il n'est question de ces attributions du roi Arthur, ici purement imaginaires.

    (18) Il s'agit d'une sorte de magie blanche, qui assimilerait le roi Arthur aux divinités romaines ; il y en avait un grand nombre. Toutes les activités humaines possédaient un dieu. On ne pouvait agir sans se trouver sous le regard de l'un d'entre eux.

    (19) Dieu ou titan, réduits eux aussi à l'erreur ou à l'enchaînement.

    (20) Thème du père que le fils rachète.

    (21) L'homme sauve ; la femme est menace d'engluement.

    (22) Il ne manquait plus que celui-là.

    (23) ...Sartre, par-dessus le marché.

     

     

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    PREMIERE APPARITION DES EURYSTHEES

    Le roi de Mycènes, Eurystheus, dont le nom signifie « aux grandes forces », fut le beau-frère et le commanditaire des travaux d'Hercule (24). Un jour sur cet écran qui me tient lieu de ciel (25) sont apparues dans le jeu les Déesses Jumelles, au longues chevelures blondes, qui s'exprimèrent parlèrent ainsi : « Nous sommes les Eurysthées ; nous te révélerons les fallacieux accomplissements de la soumission (26) ; car si c'est bien par elle qu'on obtient ce qui surpasse toute rébellion, soumission s'accordant à Dieu, c'est dans la convulsion de la défaite et de la mort que toute grandeur se révèle, puisque le couinement du rat sous la serre s'inscrit à tout jamais dans le temps, dimension de l'homme dont l'éternel se trouve à tout jamais privé » (27). Lorsque Gaston-Dragon mourut, la terre s'arrêta ; seul celui qui meurt demande un nom sur sa tombe. Qui se soucie du nom d'une divinité ? «Ô Zeus, ou quel que soit le nom que l'on t'accorde... »

     

     

    Innombrable est le compte de ceux qui doivent mourir. (28)

     

    Notes

    (24) Ce personnage est relativement obsédant chez notre auteur.

    (25) Ecran d'ordinateur évidemment.

    (26) « On obtient tout par la soumission » - « Plus fait douceur que violence » - mais ce n'est bien souvent qu'une illusion : l'on perd plus, tout compte fait, que ce que l'on gagne...

    (27) ...Mieux vaudrait alors se faire écraser, mais dans la révolte et la plus orgueilleuse fierté...

    (28) Les phrases apparemment erratiques se rapportent à un sentiment d'immortalité divine accordée au grand-père Gaston-Dragon ; tant le souvenir transmis est demeuré vivace dans l'esprit de son petit-fils. Comme Dieu, ou la Divinité en soi , il n'aurait pas même besoin de nom pour être invoqué (la tombe de Gaston n'est plus visible, et se trouve à présent sous un croisement d'allées du cimetière de Guignicourt, indécelable ; c'est là qu'il faut certainement chercher la raison de ce brusque épanchement mystique).

     

     

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    PERE DECEDE (29)

    Père décédé disait le télégramme. Un certain Evguéni, père de mon père (30), passa dans l'opinion pour le mort : buveur, pourri d'asthme et bassiné d'eucalyptus. Le tampon de la poste indiquait '"GVIGNICOVRT". En cette époque les époux naissaient à trois lieues l'un de l'autre. Les cousinages étaient légion. Les types humains, appelés races, n'étaient que des ressemblances de familles. Mais les géographes ont cru, de bonne foi, qu'il existait de telles « races », vosgiennes, meusiennes, comtoises... Gaston-Dragon, Evgueni, un seul village, de quel père s'agissait-il ? Eugène Collignon, 1873-1945 ; époux de Sinne, Wisigothe, 1883-1959. Parents de mon père.

     

    Notes

    (29) La figure du père (ou du grand-père) bascule perpétuellement de la surévaluation à l'évanescence, à l'évanouissement. L'auteur oppose ici le père de sa mère (Gaston-Dragon), présenté comme un parangon de virilité, à son propre père, estimé lâche et pleutre.

    (30) Eugène Collignon, autre grand-père de l'auteur. Il n'existait aucun lien de parenté ni de ressemblance physique entre les deux grands-pères, tous deux nés près de Verdun, puis échoués, par hasard, à Guignicourt.

     

     

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    PAROLES RAPPORTEES

    De Sinne, Wisigothe (31) : A Guignicourt, la guigne y court. 

    - Pour être satisfait de son destin, toujours regarder au-dessous de soi.

    "Le vin d'Arbois, plus on en boit, plus on va droit" : Une carte postale du cru représente un incoyable (1795) vacillant sur son gourdin tordu ; ajouter à la consommation du vin d'Arbois celle du pastis (Evguéni), et le guignolet-kirsch (Sinne) - je n'ai jamais dit-elle à sa bru éprouvé le moindre plaisir avec mon mari. Mon père Noubrozi m'a dit : J'ai assisté à des scènes, mon fils, dont tu n'as pas idée (le poussant quelque peu sur ce sujet, j'ai cru comprendre qu'il s'agissait de bagarres à coups de chaises entre époux plus que fortement éméchés).

     

    Note

    (31) Epouse d'Evguéni ; mère de Noubrozi, père de l'auteur. Surnommé « Mon Colonel » par son mari. Mère Fouettard...

     

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    LE ¨PETIT HOMME DANS LE LIT DE LA VEUVE (32)

    Je parlais avec elle à sept ans, Veuve de Gaston Dragon, à sept heures du matin (voir plus haut) ; je lui décrivais une base militaire secrète, sous les glaces d'Arkhangelsk, où s'exterminaient les espions des deux camps. C'était l'an 4004 de notre ère ; la naissance du Christ passait juste entre nous et la Création du monde. Les Martiens, disait Veuve Dragon, possèdent deux mille et cinquante ans d'avance.  Les soucoupes parurent cette année-là dans le ciel, particulièrement nombreuses.

     

    1. Ou : l'auteur dans le lit de sa grand-mère, à Guignicourt

     

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    DEUXIEME APPARITION DES EURYSTHEES (33)

    Ce chapitre, où se précise la mission démesurée d'Héraklès, présente une fois de plus de nettes similitudes avec les indication de jeux vidéo ; le lecteur doit bien garder à l'esprit ces données du game boy, afin de ne pas céder aux désorientations. Les Jumelles Blondes ou

    « Eurysthées » empruntent leur nom à celui du commanditaire, Eurysthée, beau-frère d'Héraklès, afin qu'il accomplisse les « Douze Travaux d'Hercule ». Ce subterfuge littéraire (34) est destiné à introduire l'Olympe dans l'aventure somme toute banale d'une famille d'agriculteurs ouvriers lorrains. L'écran montre un char de feu sur fond d'étoiles, et deux immenses chevelures blondes retombent sur quatre reins ; les comparatistes évoqueront qui les Walkyries, qui Guenièvre, ou Yseut, princesses dignes d'amour (et d'abnégation).

    La voix des Eurysthées offre le sensuel métallisme des artefacts téléphoniques : structure hachée, voix gazées (mirliton, papier à cigarettes ?). De ces jumelles lovées, incurvées tête-bêche naguère dans la même poche utérine, émanent désormais deux souffles retournant aux mêmes bouches. Le voyeur ou le joueur éprouvent la sensation à la fois douce et confuse d'une masse de cheveux, étouffante un peu, sur les narines et la bouche. L'écran affiche ce qui fut la Mission même d'Héraklès : purger le Continent de tous fauves et reptiles. Je conclus hâtivement qu'il faut me concilier ma propre mère, en m'assimilant au père même, si célébré, de cette dernière : Gaston, ou Vaast, celui-là même qui jadis catéchisa Clovis, et périt sous les roues d'un véhicule utilitaire.(35) Les Eurysthées figurent toujours dans le ciel, sur un nuage en forme de char. Voici les chances, ou « armes » :

    1°) les avantages de mes adversaires ne seront ni la Peur qu'ils inspirent ni la Force, mais l'Envoûtement, la Fascination (appelée « charme », « pitié », « langueur ») (36)

    2°) étant l'offensé, j'aurai toujours le choix des armes (les autres, quoi qu'ils aient fait ou omis de faire, seront toujours dans leur tort.)

    J'éprouvai à ces voix de grandes voluptés, suivant de l'œil les profils sinueux des deux sœurs jumelles ; j'aurais enfin

    3°) le droit, sur mon lit de mort, de crier "Assassins, assassins" (titre de Philippe Djian) à tous ceux qui me soigneraient, devant tous vivre alors que je mourrais, infirmières décolletées, blouses transparentes et bordures de slips visibles (dans What (titre de Polanski) l'héroïne chevauche un vieillard agonisant, jupe relevée : Origine du monde au seuil de laquelle retombe foudroyé le vieux aux yeux brisés d'extase, murmurant "Que c'est beau". (37)

     

    Notes :

    (33) Personnages imaginaires, déjà rencontrés. Ces Jumelles aux longs cheveux blonds apparaissent sur l'écran

    de la console de jeux de l'auteur. Il semble bien qu'elles représentent ici l'éditeur, qui passe commande auprès de l'auteur lui-même.

    (34) ...et mégalomaniaque...

    (35) Confusion soigneusement entretenue entre Héraklès, cha rgé de tuer le dragon, et saint Gaston, ou « Vaast », ecclésiastique ayant réellement existé (à défaut de l'Olympe, du moins l'Histoire sainte...) Tous deux ont une tâche particulièrement difficile à accomplir : purger la terre de ses monstres, ou l'esprit de Clovis, roi des Francs, de ses démons païens. L'auteur multiplie les modèles de virilité, afin sans doute de n'en élire aucun.

    (36) Le thème du vaillant héros amolli par la traîtrise de ses adversaires, en particulier féminins, lui servira toujours d'excuse pour ne pas avoir accompli sa mission, pour avoir failli à son idéal. Nous sommes avertis : ce sera toujours la faute des autres, et l'auteur n'aura fait que succomber à sa confiance et à sa naïveté.

    (37) Soit une (Olympe), deux (Philippe D.), trois et quatre références (Polanski, Courbet). Je m'avance donc en toute sûreté. J'utilise désormais la première personne, afin de ne rien dissimuler de ma vanité. Le mot « vanité » signifie, à l'origine, « vacuité » (de « vacuus », « vide »).

    Les Eurysthées m'accordent en fait l'exorbitante autorisation de ne rien faire, de m'en trouver absous, d'accuser les autres, et par-dessus le marché de me plaindre d'eux. Est-il nécessaire de préciser que jamais éditeur n'a conseillé à son auteur de se conformer à de tels schémas ; il faut donc que ces Jumelles symbolisent tout à fait autre chose.

     

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    MISSION (SUITE)

    • Tu feras, dirent-elles (et leurs voix alternées (amœbées) (38) vibrent comme un écho la façon des anges d'Abraham) l'amour, aussi souvent, aussi longtemps que nécessaire ; « en effet, » poursuivait la seconde, « loin de nous l'idée que l'abstinence confère quelque pouvoir que ce soit". Tel Antée reprenant vigueur sitôt qu'il touchait du pied la Terre (sa mère), je recouvrerais mes forces sitôt que je suivrais à la lettre les indications confiées sur un phylactère (parchemin roulé passé dans la ceinture.) Muni de ce précieux viatiques et sans me battre ! j'affronte le monde entier, en évoquant les souvenirs de ces ténèbres prénatales, avec les précisions me permettant de reconstituer sur pilotis ma cité lacustre (ce concept popularisée par les historiens n'a peut-être jamais existé, les pilotis n'étant dit-on que des appuis de cloisons, le niveau des lacs s'étant alors élevé : c'est la deuxième thèse).

    Je me souviens d'immenses salles de mariage, de grandes formes d'hommes et de femmes enjambant l'espace, minuscule je cherchais à disparaître dans les forêts de jambes...

    Notes :

     

    (38) Les chants amoebées (prononcer « a-mé-bé ») sont utilisés lors de joutes verbales et poétiques entre bergers, tandis que leurs troupeaux nécessairement bucoliques paissent paisiblement...

     

    15

     

    CORPS A CORPS

    Les Eurysthées me convient à une lutte à trois (39) de type grécoromain dont je parviens à me dépêtrer (40), bien qu'elles se soient révélées plus musculeuses et souples que je ne pensais : plus d'une fois leurs clés m'ont ôté le souffle.  L'Ange ayant plusieurs fois touché terre demeura

     

    vainqueur, laissant au fils d'Isaac une boiterie de la hanche en signe d'appartenance. Les Muses

    (41) m'ont tordu à ras de sol, et les voici à présent qui râlent contre le sable (42) ; reprenant leur vol, elles m'assurent que je porterai à jamais la marque d'une extrême vulnérabilité : un point particulier du corps, comme un talon d'Achille mal baigné ; Siegfried mal baigné du sang du Dragon, portant dans le dos à mi-chemin d'épaules ce point "qu'on n'atteint jamais", emplacement funeste d'une simple feuille - sexe de femme entre les épaules ? - que le traître Hagen transperce de l'épieu (43) ; il n'est cependant pas inéluctable que je périsse un jour de la sorte : les livres m'entourent de toutes parts (44)

    Je me suis relevé fortifié ; une pénétrante odeur de tilleul (45) se dégagede mes épaules (dans mes vies antérieures je n'ai combattu qu'à mains nues, craignant que l'adversaire justement ne retournât mon arme contre moi ; recherchant le corps à corps et la morsure (Tu te bats comme une fille - j'en étais fier) (mais je refusai d'être femme, pour ne pas échanger de prison contre une autre (46) ) - (les Eurysthées me confirmèrent que les femmes exigent entre elles un certain nombre de contraintes que nul héros, fût-il (47) masculin, ne saurait affronter. Désormais je renonce à relater mes nombreuses entrevues avec les Eurysthées ; elles m'ont tant visité qu'elles flottent pour ainsi dire autour de moi comme la Cape d'invisibilité, die Tarnkappe (48)

    Notes

    (39) Il semble exclu de voir ici une représentation symbolique du triolisme ; cette note même cependant invite à la plus grande circonspection.

    (40) Le but de cette lutte est en effet d'immobiliser l'adversaire, à l'aide de figures appelées « clés ».

    (41) Autre façon de dire « les Eurysthées »

    (42) Tantôt les unes, tantôt l'autre (comme ici) ont le dessus.

    (43) Noter une fois de plus le brouillage des références. : bibliques, antiques, germaniques.

    (44) Il n'est pas précisé si les livres agissent à la façon d'un rempart, qui isole, ou à celle d'une armure, qui permet de vaincre l'extérieur.

    (45) Signe de victoire, mais aussi bien de vulnérabilité.

    (46) La digression n'est qu'apparente.

    (41) Ou « futile » ?

    (48) Procédé consistant à supprimer du récit une instance, des personnages dont on ne sait plus que faire, dissimulé sous une dernière pirouette culturelle, en l'occurrence germanique.

     

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    VOCATION DE PRETRE (49)

    C'est une bien belle église que celle de GVIGNICOVRT. Enfant, bigot, bien gominé, j'escaladais par le talus d'abside la pente glissante et couverte de ronces d'où tombait, pressé, impérieux, du clocher, le premier coup de la messe (50) . J'ai dérapé dans mes souliers dominicaux, serrant dans le poing une image pieuse où l'on avait cousu en scapulaire un coupon véritable de la robe de Marie. J'ai prié, pesté contre la boue, l'âme pure et les pieds sales. Franchissant enfin le porche, qu'il m'aurait suffi de découvrir en contournant le bâtiment d'église, par la grande entrée, comme tout le monde, je constatai que pas un paroissien ne s'était encore présenté.

    Déçu de leur tiédeur, fier de mon épreuve, premier de l'assemblée, j'ai attendu, à la fin de l'office, le prêtre dans la sacristie. Les enfants de chœur troussaient par-dessus tête leurs soutanelles rouges à dentelles douteuses sans mesurer un seul instant l'honneur insigne qu'ils avaient eu de côtoyer le Seigneur-même. A l'homme de Dieu j'ai déclaré « Je veux devenir prêtre » Or loin de s'extasier, ("Voyez ce jeune garçon ! il n'est pas comme vous ! il sera prêtre !") il ronchonna je ne sais quoi, me renvoyant à moi, petit merdeux. (51)

     

    Notes

    (49) Digression sur le catholicisme. L'auteur, en mal de références, donne ici uen version abrégée d'un souvenir d'enfance authentique (le souvenir, pas l'enfance. )

    (50) L'enfant ne s'est pas aperçu que le véritable porche de l'église se situait de l'autre côté, à l'endroit...

    (51) Il fallait bien caser ce souvenir-là quelque part.

     

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    MA MERE EN DELEGATION (52)

    Il me revint de racheter les pleurs de ma mère : toute jeune à GVIGNICOVRT, privée en son temps des funérailles de sa propre mère (« Tu n'iras pas à l'enterrement de cette traînée ») (53)

    (premier oracle de Gaston-Dragon) ma mère Alcmène fut déléguée en rattrapage aux inhumation paroissiales, représentant la famille. Un jour (54) ce fut son propre tour (ou « MA MERE EN REPRESENTATION ») (55) et je me suis placé le lendemain à cet endroit précis vacillait la veille (56) , perché sur ses tréteaux, le cercueil plein d'elle afin d' y flairer cette amorce de macération -

    que rigoureusement ma mère

    m'interdit de nommer ici(57)

    • de sournoise décongélation (visage d'un rose malsain [il manque un bout d'oreille - chuchotait ma fille épouvantée (58) - papa, regarde] ) ma mère tout entière drapée dans la robe de chambre plaquée sur ses chairs suspectesvolume abstrait (59) suspendu désormais à 120 cm

    du sol j'ai sentis ce lendemain, physiquement, la vibration d'une masse de chêne verni fantôme dont mon père l'instituteur m'avait jadis transmis la dénomination magique : parallépipède rectangle. Ma mère désira - des obsèques religieuses : "Si nous n'attendions pas » disait le prêtre « la résurrection, à coup sûr nous ne serions pas ici réunis" - c'était bien une réponse à cette faconde de mon père qui cabotina sans doute (60) : "Je ne crois pas à toutes ces histoires de Résurrection, de Bon Dieu, de jJugement" - du ton faraud de celui qui suça le lait sûri de l'Ecole Normale et républicaine. A qui on ne la fait pas. Sur le corps de ma mère le prêtre agita le goupillon, et ce fut tout. (61)

     

    Notes

    (52) Le plan de l'ouvrage consiste en un cheminement sinueux ; ici, l'auteur veut montrer combien il était difficile d'appréhender le caractère dépressif de sa mère.

    (53) Bien se souvenir que cette épouse indigne avait trompé son mari tandis qu'il combattait sur le front.

    (54) Beaucoup plus tard, le 2 août 1984.

    (55) Elle représentait, dans le rôle principal, et bien malgré elle, son propre enterrement

    (56) Et non pas « la vieille », humour.

    (57) Brassens, évidemment...

    (58) Ma propre fille, que je croyais ainsi éduquer à la mort, me reprocha plus tard de lui avoir imposé cette épreuve bien trop tôt (elle n'avait que onze ans).

    (59) Je reviens désormais au lendemain de l'enterrement, où je suis revenu, à la même heure, devant l'autel, à l'endroit précis où avait été déposé le cercueil de maman.

    (60) Lors de l'entretien supposé qu'il eut avec le prêtre pour définir les modalités de la cérémonie.

    (61) Paragraphe particulièrement difficile à suivre, en raison du glissement perpétuel entre le jour de l'enterrement, la veille de celui-ci (où peut-être mon père s'est entretenu avec un prêtre ) (mais je ne le pense pas), et le lendemain, où moi-même suis revenu sur les lieux ; j'y ai ressenti d'étranges phénomènes, peu perceptibles, ici amplifiés.

     

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    DE MA MISSION, ET DERECHEF (62)

    "Tue le Dragon » dit mon père ; « délivre-nous toi et moi en atteignant Gaston où qu'il se trouve, Enfer ou Ciel. (63) Jamais, mon fils, jamais ta mère Alcmène, telle que tu l'as connue, n'a pu admettre que je fusse en quoi que ce soit l'équivalent de son père des Terres Guastes (64) . Si tu te baignes dans le sang de ce Gaston-Dragon, il te révèlera son règne et sa longévité. Tu deviendras lui, et vous ne serez plus qu'un, moins maléfique pour moi, je sais que tu m'aimes. Pour toi tout bénéfice : pourvu à ton tour de toute supériorité, tu consoleras ta mère la tête haute, et ton père sera plein d'estime (65), et toi-même deviendras à ton tour Fondateur (66) . Il n'est pas exclu que le cycle se reforme parmi ta descendance - que t'importe ? » Il n'ajouta pas que j'aurais enfin dénoué le fil des générations, devenant père de mon père et de ma mère. (67) Je ne promis rien et fis bien ; mais il me défendit de l'imiter, ni de me soucier de lui. Ce qui me fut impossible. (68)

     

    Notes

    (62) L'auteur veut faire croire qu'il a volontairement commis une maladresse, sous forme de pédante répétition. En réalité, il s'agit d'un rafistolage.

    (63) En clair : « Débarrasse ta mère du souvenir de son propre père ; imite-le, remplace-le, mais débarrasse-nous tous de cette présence morbide. »

    (64) Nous rappelon que « Gaston » ou « Vaast » a peut-être pour origine le germanique « gouast », qui signifie à la fois « dévasté » et « désert ». Cela renvoie au roi mutilé Amfortas, dont le royaume était dévasté, jusqu'à ce qu'on trouve de quoi guérir son souverain...

    (65) Le père de l'auteur, Noubrozi, parle de lui-même, tel qu'il sera une fois délivré de ce pesant fantôme.

    (66) Fondateur d'une nouvelle dynastie, repartant de zéro, et parfaitement purifiée de ses miasmes.

    (67) Le pouvoir de rédemption que je m'attribue aisi s'étendrait aussi bien sur mes ascendants, mon père et ma mère, que sur mes éventuels descendants.

    (68) En clair : au lieu d'imiter Gaston-Dragon, père de ma mère, décédé avant que j'aie pu vraiment le connaître, j'ai fortement été imprégné par la personnalité de mon père, bien plus névrosé ; ma mission aura donc échoué. De toute façon tout ce monde-là est mort, « et moi-même je ne me sens pas très bien » (Woody, évidemment)...

     

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    ENQUETE

    Consultant alors les Eurysthées j'appris :

    • que Gaston, fervent joueur d'échecs, initia mon père son gendre à ce jeu pendant neuf mois d'état de grâce après les noces ; que jamais du vivant du Dragon, avant que la Roue n'eût fait éclater son crâne, mon père ne l'avait vaincu - la diagonale de l'Evêque ( Bischofsdiagonale) surgissant de l'angle opposé sans qu'il eût jamais pu parer la Tenaille de la Mort (Todeszange) ;

    • chose ignorée de tous les acteurs de cette histoire : l'homme des terres-guastes (69) ne pouvait se fléchir que par le recours à la femme (70) ; à tout homme il ne laisserait nulle chance, le combattrait à mort. En ce temps-là je consultai beaucoup. Or ma mère s'écria : "Jamais mon père ne m'a manqué de respect" - il est tant d'autres façons, Lotharingienne Alcmène, de manquer de respect à sa fille. (71)

     

    Notes

    (69) Est constamment désigné ainsi Gaston-Dragon lui-même, dont le nom (Gaston/Vaast) signifie « désertée »

     

    (70) J'ai donc fort peu de chances, en tant que garçon, de fléchir l'esprit courroucé de Gaston-Dragon, décédé

    de mort violente.

    (71) Ne pas autoriser sa fille à revoir sa propre mère, fût-ce le jour de son enterrement, constitue un traumatisme aussi destructeur que celui de l'inceste.

     

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    LES EBRANLEURS DU MONDE - ENOSICHTHONES (72)

    Mes investigations menées à bien (dans ce lieu idéal où l'on ne mange ni ne dort, où l'on demeure sans cesse éveillé sans fatigue, où le temps lui-même obéit à des lois inconnues) (73) j'ai reçu à nouveau la vision des ébranleurs du monde : Héraklès encore parut en ses dimensions véritables, torse nu de trois-quarts, tête, épaules. Effaré je contemplais cette expression massive, dominant de la barbe et des bras musculeux la plaine brumeuse où fuyaient les foules sur leurs chariots, traînant leur exode éperdu sous les cuisses mêmes du monstre (Francisco Goya y Lucientes). Je le vivais en ma vision, ce tableau, de toute ma frayeur ; craignant que le monstrum, signe des dieux, qui proprement démonstre leur puissance, ne se retournât. Devais-je en vérité m'affronter à ce Colosse, afin de refonder l'harmonie de leur Monde, recousant leurs lèvres et les miennes ? (74)

     

    Notes

    (72) Les Grecs appelaient ainsi Poséidon : l'Ebranleur du sol ; il présidait également en effet aux tremblements de terre.

    (73) L'auteur veut désigner ainsi, de façon inutilement alambiquée, ces régions de soi-même profondément enfouies, à l'abri des atteintes extérieures.

    (74) Il n'y a pas ici à proprement parler de succession chronologique ou même dialectiquement logique ; la réflexion procède à la façon d'une ellipse, revenant souvent sur ses pas, ou bien élargissant son champ d'investigation de manière imprévisible. C'est la seule justification que nous ayons pu trouver à ces redites et autres redondances de l'auteur.

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    DIEU EN SOI (75)

    Rien ne garantit que l'intuition, ou la raison seules, m'eussent mené sur la bonne voie : l'ignorance et la malédiction humaines l'emporteront toujours (76) De Gilgamesh à Faust, la seule chose qui importe est de se garantir, « seul animal » dit-on « qui sait qu'il doit mourir » : "Si vous goûtez de cet arbre de vie » - nous en avons goûté, nous sommes morts - « vous connaîtrez le bien et le mal » - nous sommes dévorés de différences - « et vous serez comme des Dieux » - car tout dieu abolit toutes différences, toutes contradictions poussées à l'extrême, et cependant fondues - toutes découvertes ne sont-elles pas conjointement le plus grand blasphème et la mort du dieu, son remplacement, sa succession ?

    Alcmène, mère mythologique et véritable d'Héraklès, répond à Zeus (il ne s'agit que d'une obscure famille picarde) : "Ne me parle pas de ne pas mourir tant qu'il restera un légume immortel" (Amphitryon 38 Acte II Scène 3). S'il n'y avait plus de mort, tenant compte des infinies possibilités des temps, toutes les virtualités successives ou simultanées de l'homme pourraient s'accomplir, il ne serait plus alors besoin d'une multitude d'hommes, et seul existerait Moi-Dieu ; qu'importerait alors qui je suis, ou mon nom. J'aime donc qui je suis à présent, nommé dans et par ma mort, mon corps et ses déplacements, et sur ma tombe on lira : Ci-gît Héraklès, homme de lettres - deux dates, le trait d'union. C'est donc pour l'épitaphe seule que je vis, le nom, et non l'éternité, son exact contraire.

     

    Notes

    (75) Le texte vise à se hausser au niveau de la recherche métaphysique. Nous avons ici des réflexions assez élémentaires, sincèrement ressenties, mais volontiers boursouflées.

    (76) Il ne s'agit donc plus seulement de neutraliser les forces maléfiques de Gaston-Dragon, mais de découvrir, ou d'approcher, à l'occasion de cette quête, les mystérieux rapports ou oppositions entre l'homme et le Divin.

     

     

     

     

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    LA MORT DU JUSTE (77)

    Gaston-Gustave, dit le Dragon (1885-1945), mourut sans que je l'aie frappé (78). Avant que j'eusse pu le faire, soit lors de ma petite enfance. L'affliction ne s'applique pas au tiède (79); Evguéni, évoquant les derniers sacrements de l'Eglise, prononça ces mots : « Si ça ne me fait pas de

    bien, ça ne me fera toujours pas de mal ». Et il les accepta (80) - l'affliction sincère, en revanche, vole à tire-d'aile vers Gaston maître-chien, ce qui désigne chez les betteraviers le contremaître haï de tous, l'accélérateur de cadences, dur à soi-même dur aux autres. Son crâne a fini broyé entre roue et verglas. (Pour moi je suis tendre à moi-même ; de dureté pour moi les autres se sont bien assez chargés (81). Lorsque Gaston-Dragon de nuit rentrait du bistrot, il aboyait à toute force en faisant gueuler tous les clébards enchaînés du village et les hommes juraient : Ce con de Dragon !(82)

     

    Notes

    (77) Retour sur la scène obsédante de l'écrasement du crâne. Peut-être l'auteur âgé de treize mois s'est-il rendu compte de ce drame qui frappait sa propre mère. Il serait utile de savoir à qui il fut confié durant cette épouvantable épreuve.

    (78) C'est en effet parvenu à un certain âge (non autrement déterminé) que le héros, si l'on peut dire, se vit confier par « les Eurysthées » la mission de se débarrasser, post mortem, de ce fameux « Gaston-Dragon » si envahissant.

    (79) Le « tiède », c'est Evguéni, grand-père cette fois-ci paternel, qui ne suscitait aucune affection ni d'un côté ni de l'autre, sorte de patriarche bourru, cloîtré dans l'alcools...

    (80) Nous rappelons que les deux grands-pères moururent à deux mois d'intervalle : Gaston-Dragon le 10 décembre 1945, Evguéni en février 1946. Mais le télégramme « père décédé », envoyé en décembre donc, était ambigu.

    (81) Cette réflexion est appelée par association d'idée avec la dureté du crâne.

    (82) Autre association d'idées, consécutive cette fois à l'emploi du mot « chien ». Le lecteur chercherait en vain une cohérence logique à ces textes.

     

     

     

     

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    LA TUNIQUE DU MORT (83)

    Sa mort me ronge à la façon d'une tunique enduite de poison (83) ; chair corrodée ; incorporation ; acrylique belge repassé à même le bras (84). Investi, revêtu de la Chair de Dragon, depuis le front, les mâchoires, jusqu'à la taille ; rival d'un mort qui est tout autre chose qu'un Arthur, Cophétua, le Méhaigné - dont une lance a cisaillé le sexe – celui (85) de mon père était l'harmonie même. D'abord nous proposerons « Les Oracles du mort » (86), Paroles de Dragon, objets, depuis des lustres, de vénération. Or ces formules, communes à tous terriens de mon pays lotharingien (« à tous les paysans lorrains »), témoignent de la plus vaine tyrannie. Ce sont vantardises. En dépit des idolâtries dont ma mère honora les moindres proférations du Dragon son père ; imitations scrupuleuses dans la mesure où la sexuation des voix les laisse entrevoir ; mais tout cela n'a pris naissance, ne s'est substratifié, que sur un amoncellement, sur un ciment d'atavique sottise. Sotte prérogative de la mort tenant à bout de bras je ne sais quel flambeau... (87)

     

    Notes

    (83) Allusion à la tunique de Nessus, qui provoqua chez Hercule d'horribles brûlures. L'auteur cherche toujours, en dépit du bon sens le plus élémentaire, à rattacher son expérience à celle des travaux et autres exploits d'Hercule, auquel il est diamétralement opposé... Quant à la tunique, les chrétiens ne pourront s'empêcher d'observer le rapprochement d'Hercule au Christ, tous deux suppliciés, tous deux envoyés vivants aux régions supérieures...

    (84) Fait divers belge authentique : une épouse avait cru bon de repasser en vitesse une manche de chemise en tissu synthétique à même le bras de son mari ; on imagine la suite. Le rire est facultatif.

    (86) Mon père, devenu gâteux, pissait devant moi pendant les promenades à l'hôpital d'Aubricourt, dont un médecin aurait volontiers coffré toute notre famille pour raison psychiatrique... Je crois qu'il exerce encore, ce connard...

    (86) Vont suivre à présent toutes sortes de propos que ma mère, Alcmène, jugeait caractéristiques de son père Gaston-Dragon, donc tout à fait dignes d'admiration, et qu'elle m'a transmis, afin de perpétuer sa mémoire.

    1. Contrairement à une croyance très répandue, la mort ne grandit personne. Elle est même d'une extrême banalité.

    2.  

     

     

    BERNARD COLLIGNON GASTON-DRAGON 21

     

     

     

     

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    DE LA FRATERNITE - DE LA TRANSMISSION (88)

    L'homme vit seul. La seule existence de l'homme est de se contempler. D'échanger d'un semblable à l'autre d'ineffables signaux : Je suis un homme. - Je suis un homme. Regarde-moi. Interprète-moi. Croâssements de corbeaux. Cacardements collectifs de bernaches sur les sables, en errance, à marée basse, avant de prendre leur envol. Signaux d'identité, valeur phatique – je suis ici - emphatique du discours - regarde-moi, je te regarde – fraternité animale perdue, ignorance réduite au pressentiment de l'espèce, fondue parmi les brumes, vers une destinée-destination commune ; liens sociaux, où se découvrent si tôt chez les hommes les aimantations de la cruauté. Il ne sert à rien en vérité de connaître un homme. Connaître un homme n'apprend rien. La multiplicité ramène à l'unité. (La multiplicité comme attribut de Dieu ?) (89)

    Notes

    (88) Attention, je vais philosopher.

    (89) Le raisonnement est celui-ci : un homme immortel connaîtrait à la fin toutes les destinées. Il serait Dieu. Mais comme il meurt, la multiplicité infinie des destins a besoin de sa multiplication pour se réaliser. Voir plus haut.

     

    25

     

    DU MAGNETISME – DES PÔLES

    Gog et Magog : dans les littératures juive, chrétienne et musulmane, personnifient les forces du mal. Nos Ecritures les peignent sous forme d'une double montagne. Rappelons que les forces juvéniles d'Héraklès défirent au berceau les deux serpents d'Héra. L'adolescent s'il veut vivre écrase les têtes de ses père et mère (l'Hydre aux cent Têtes ?) ; les émanations du Dragon mort ici pestilencisent et faussent les vibrations de l'un à l'autre entre Gog et Magog ; les adultèrent, les frelatent. C'est à l'enfant de déjouer, au-delà ou en deçà des magnétismes parentaux, les frémissements antérieurs, la menace ancestrale et diffuse du Dragon. Père et Mère ainsi transmettent leurs conflits couvés sous la menace immense où nous avons vécu. Vastes orages (Saint Vaast) (90), mous et inaboutis, brumes infiltrées sous les chairs.

    L'esprit méphitique de Gaston-Dragon, ni tout à fait mort ni dissous, sans absolution reçue BERNARD COLLIGNON GASTON-DRAGON 22

     

     

     

     

    ou donnée – fomente (91) un grésillement à la fois pesant et délétère, une dissolution de nerfs ; je parviens au pied des Monts Jumeaux « Gog et Magog » dans ce repli organique et chancreux appelé Guignicourt - à Guignicourt la guigne y court. (92)

     

    Notes

    (90) « Gaston » fait au nominatif « W/Vaast » (« vaste »).

    (91) En français : « provoque »

    (92) Vous aurez compris qu'il s'agit d'un itinéraire non pas matériel, mais spirituel, symbolisé par des lieux.

     

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    UNE VILLE ETRANGERE ET DETRUITE

    Plus tard je suis en train de vivre (93) en une ville étrangère et détruite où toits et terrasses abondent de ces herbes au suc jaune, herbe aux mendiants, qu'ils appliquaient (94) sur leurs plaies pour les ulcérer. Se dissimule en ces contrées d'arrière-gorge (95) telle cité aux crépis jaunes et gris, ou bien vieux rose, échappée aux tapis de bombes, souffrant sur son asphalte une irruption de vieux hommes niant leurs propres exactions (96) : Polonais, Hébreux...) : "Les prisonniers marchaient sur deux colonnes ; peut-être y avait-il des exécutions sommaires (Hinrichtungen) dans l'autre colonne. J'entendais bien des coups de feu. De mon côté je n'ai rien remarqué." (97) Vienne. (98) Décor, dédale poudreux où survivent vieux et vieilles aux yeux vides cachant sous leurs cabans des armes enrayées, non point tant toutefois qu'elles n'exécutent, de loin en loin, quelque cible choisie pour sa beauté ; je me souviens de certains noms, Arrigo, Nadia ; Martino, des territoires irrédentistes de Trieste.

    Autant de morts sans traces ; mais Roswitha donnait, de son deux pièces ouvrant sur les deux voies d'un pont autoroutier, des ordres de liquidation. Elle portait une perruque rousse et bouffante dont les volutes sales couvraient à peine sa calvitie. (99) Je la surnommais "Robespierre", certains affirment sans preuves qu'il s'agissait de ma mère (100) ; l'Hôpital Général (Allgemeines Krankenhaus) vantait le souvenir de son extrême compétence lorsqu'elle officiait, jadis, dans la section des grands vieillards (101). De retour en France j'écrivais à ma mère une carte postale, où je disais que Roswitha serait le titre d'un roman, d'une imagination en cours dont elle serait l'héroïne - je ne reçus pas de réponse. Depuis quand les Sibylles répondent-elles à ceux qui les BERNARD COLLIGNON GASTON-DRAGON 23

     

     

     

     

    consultent ? (102)

     

    Notes

    (93) L'auteur fait toujours semblant de raconter ses rêves. C'est le même procédé que celui de Nerval dans Aurélia, mais en nettement plus chiant.

    (94) Au Moyen Âge, bien sûr. Qui mendie encore aujourd'hui ?

    (95) Allusion au pélerinage proprement surréaliste de certains jacquaires derrière les dents du géant Pantagruel...

    (96) Allusion cette fois au roman Roswitha, du même auteur, auquel ce dernier espère bien que le lecteur se reportera ; le décor en est la ville de Vienne, où l'auteur vécut de 1978 à 1982.

    (97) C'est en effet par de tels arguments foireux que les gentils accompagnateurs des marches d'évacuation de camps (« Marches de la mort ») tentent de s'innocenter. A noter que le gouvernement autrichien a tout de même réussi un championnat de foutage de gueule international, lorsqu'il prétendit avoir été la première victime du nazisme par l'Anschluss, alors que les Autrichiens moyens n'auront jamais été les derniers à soutenir la politique d'Adolf (de « adelphos », le frère).

    (98) Qu'est-ce que je disais ?

    (99) Ces allusions vous deviendront claires si vous lisez Roswitha, de Bernard Collignon (je plaisante...)

    (100) Non, là, j'en rajoute.

    (101) On s'amusait bien, dans les services de nuit de la section « vieillards » . Depuis, en France, nous avons eu l'affaire Malèvre.

    (102) L'auteur a seulement consulté une généraliste, dont le prénom l'a fait flipper. De retour en France, il a effectivement écrit à cette praticienne.

     

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    DE GOG ET DE MAGOG (103)

    Gog et Magog sont les jumeaux de tous les maux (104) ; sur leurs chemins extérieurs ou secrets il m'appartient de recenser, au fond des ravins, des dépressions marécageuses, les taureaux et les hydres. Ces deux monts semblables s'enlevaient sur la plaine tels deux seins, écrêtés, ravinés - en vérité j'œuvrais pour la gloire de l'homme, la civilisation même (105) ; dans le réseau d'étroits boyaux reliant Gog à Magog je rencontrais souvent deux êtres malheureux et délétères, Père et Mère, cherchant en vain à m'entraver : fascination d'enfance, et du malheur passé (106) - eh oui, gémissaient-ils,  eh oui, d'une longue intonation fascinante(107). Dans ces tranchées j'avais subi ces BERNARD COLLIGNON GASTON-DRAGON 24

     

     

     

     

    tortures passées (108), sous les yeux ronds cerclés d'or (les phares chromés) du "Masey-Ferguson" (109), tracteur au mur sous cellophane, illustration sans fin de l'« Ephéméride Perpétuel » (« fabriqué à Etrépagny – Eure »). (110)

     

    Notes

    (103) Et on remet ça.

    (104) Au lieu de se livrer à ces jeux de mots à la con, l'auteur ferait mieux de rappeler que ces deux montagnes jumelles symbolisent le Mal dans les écrits mystiques, bibliques ou autres.

    (105) Et revoilà Hercule, qui rit quand il articule.

    (106) Notre héros qui se dresse à lui tout seul contre toutes les misères que lui ont infligées son papa et sa maman, perdu qu'il est dans les contrées mythiques, et de plus en plus empêtré dans ses références.

    (107) « Eh oui ! »m'a toujours semblé la formule qui résumait le mieux toute la condition humaine. C'est l'unique phrase que se renvoient les petits vieux sur leur banc, le menton appuyé à la crosse de leurs cannes. Pour une version plus comique, voir Javaloyès, Christine.

    (108) « Il s'agit de l'aveu de mes premières baises », devant ma mère éplorée ; mon père fit semblant d'être écœuré au point de ne plus vouloir me parler.

    (109) Illustration en noir et blanc, au mur de la cuisine de ma grand-mère ; elle servit plusieurs des années, seules changeaient les fiches de jours et de quantièmes.

    (110) Là, j'en rajoute ; ce sont les vieux harmoniums de campagne qui sont fabriqués à Etrépagny.

     

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    LA VEUVE EN SA CUISINE

    Assistait au supplice (111) la Veuve, Seconde Epouse, survivante, les traits carrés d'une calandre de radiateur, ne se départissant jamais de son rôle (112), ni des indélébiles contusions qu'imprime le décès violent de l'être cher, du sceau de l'épreuve sur sa face spongieuse ; seule justification de son être. Les enfants compatissent peu – âge sans pitié : je répétais sur ses genoux macchabée, macchabée, macchabée) (113). Sa cuisine aux quatre murs gluants de badigeon vert gras exhibait, détachait - faisant maigre pendant à l'énorme cuisinière en fonte ronflant d'une mangeaille à l'autre (il fallait préciser dès le repas fini fût-ce en pleine canicule ce que nous voulions pour le soir) - se détachait une pendule carrée (114), d'un vert blafard jurant sur le vert bouteille. Il en tombait le tic-tac lentement saccadé de la mitraille à vieux (115) –

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    « Et tout battait encore au cœur du Disparu. »

     

    Notes

    (111) Toujours cet aveu, que nul ne me demandait de faire ; j'étais sujet en ce temps-là aux accès de délire masochiste les plus vomitifs.

    (112) Grand-Mère Fernande arborait habituellement un air particulièrement rébarbatif et rogue.

    (113) L'écrasement de Gaston-Dragon ne remontait qu'à une huitaine d'années ; mais huit ans, pour un enfant , quelle éternité !

    (114) Vous avez bien compris n'est-ce pas ? En face l'une de l'autre, et de dimensions tout à fait différentes, la cuisinière et la pendule plate, accrochée au mur.

    (115) Oui, bon, Jacques Brel...

     

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    L'ENFANT, LE TEMPS (116)

    J'ignorais qu'il fût si proche encore (117), qu'il m'eût tenu lui-même dans ses bras : le temps commence pour l'enfant à sa venue au monde ; son atelier restait maniaquement rangé : gouges, poinçons, chignoles par rang de tailles sur le mur. Je sentais le parfum des copeaux (estompé au cours des années), je touchais l'établi couvert de cicatrices. Couturé. Gaston-Dragon irréparable avait tourné de sa main mutilée (scie circulaire) cette petite meule verticale et roussâtre que je lançais : accélération, extinction progressive, dans un mugissement de rame de métro – ces voies souterraines récemment découvertes (un voyage à Paris pour L'auberge du cheval blanc) me pénétrèrent de ravissement - je pouvais donc m'échapper ; les souterrains devant la meule s'étendent à l'infini, perdus à l'extrémité clignotante de longues lignes perdues - j'annonce à haute voix toutes sortes de noms.

    Avant de m'endormir je me chuchote une infinité de toponymes villageois, par ordre alphabétique. Je me souviens d'être allé jusqu'à « V ».

     

    Notes

    (116) Encore un paragraphe victimaire.

    (117) Gaston-Dragon, bien sûr.

     

    • BERNARD COLLIGNON GASTON-DRAGON 26

     

     

     

     

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    L'ENFANT, LE PÉCHÉ (118)

    Le temps de la Question Ordinaire sous les yeux cerclés d'or du Masey-Ferguson survient deux ans plus tard – au sein d'un temps immobile - quand je m'avise d'avouer à ma mère - n'est-ce pas dans ce gros volume d'Histoire Sainte – lis donc, tu nous foutras la paix - que je découvre entre deux gravures - Massacre des Macchabées / Daniel dans la fosse aux lions - l'assertion sans réplique suivante : les bons enfants n'ont aucun secret pour leurs parents. Je confie donc à ma mère l'étrange chose que nous commettions cousine Berthe et moi dans cet autre village - ah ! ce sont là de bien étranges époques pour vous autres - comment Valery Larbaud a-t-il bien pu parler sans frémir du "vert paradis des amours enfantines" ...?

    Cousine Berthe - qu'elle soit bénie, et à jamais - se branle au-dessus de moi, très loin, très longuement et très vigoureusement, comme font les filles, sans révéler jamais, sans m'expliquer ce qu'elle fait, tandis qu'à l'intérieur d'elle j'attends qu'elle s'achève, sans jamais révéler à l'enfant le plaisir qu'elle se donne. On me cachait des choses. Forcément, à un gosse. Juste avant je fais mes prières - on les recommencera les cochonneries d'hier soir ? - Tais-toi, tais-toi si tu veux qu'on puisse continuer – tout mon répertoire de prières m'affluait aux lèvres, Confiteor compris, je me vidais ensuite, tout l'esprit, pour m'étanchéifier ; pour me dédoubler ; me dédouaner, m'insensibiliser.

    Juste après l' « acte de contrition ». L'acte bien. Merveilleux. Extraordinaire. Bien que je ne connusse pas l'éjaculation. Ou puisque. Sous le calendrier « Masey-Ferguson » aux phares cerclés d'or ma mère feignait d'étouffer devant la Veuve Gaston en se couvrant les yeux de son mouchoir : "Mon Dieu !" - quel Dieu ? - mon père, écœuré, m'évita. Toute information, tout choc, me furent épargnés. Lorsque j'apprends un jour qu'ainsi se font les enfants je ne peux imaginer que je sois né au prix de cette ignominie ; je suis assurément le seul de toute la terre suffisamment dépravé pour imaginer semblable saleté, d'introduire son sexe dans le sexe d'une fille, fille du frère de son père – la chose est en vérité si lointaine que j'ai grand tort, promis à de si hautes destinées, de m'y attarder aussi sottement.

    Notes

    (118) Il me faut donc absolument y revenir...

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    L'ENFANT ET LE SING-KIANG (119)

    Reçu ce jour de Pékin l'autorisation formelle. Ou mieux l'injonction. De me rendre au Sing-Kiang (Xin-Jian) « région désertique ; élevage ovin ; extraction du pétrole » - sous réserve, sous restriction expresse de ne jamais franchir le Kunlun Shan (7724 m) limite administrative du Tibet (Xi-Zang. Je revis en rêve (120), du verbe « revivre », ces hôtels miteux d'oasis dont le gérant me poursuit d'étage en étage (Toi payer ! Toi payer !), ces toilettes pour femmes où je me réfugie, géantes, inondées, labyrinthiques, ces combles pourris couverts de gravats (Ecole de Pub du XXe ) et ce cimetière - avec ma propre tombe au fond, mal tenue, sable passant sous les quatre planches en haut de la pente – le porche entre ses deux piliers doriques, devant l'aiguillage du tram, le bordel juste en face et son juke-box bariolé comme un cul de mandrill.

    Le Sing-Kiang offre à l'exploration une matière inépuisable. Sur les plateaux brumeux qui le dominent j'évoque les jumelles Eurysthées que j'ai vues enterrées côte à côte se pelotant de leur vivant sur le lit de leur mort avec leurs blonds cheveux de nymphes. Ma mère Alcmène s'indigne : "N'avez-vous point de honte, entre sœurs? » En riant elles répondent « Non vraiment, dans six mois on est là-dessous ». Ce qui advint. La seule vérité je vous le dis consiste en ce sommeil qui se poursuit sans trêve au fond de nous de la naissance à notre mort.

     

    Notes

    (119) Et nous voici repartis pour des métaphores plus ou moins géographiques ; fastidieuses ou non, je ne saurais le dire... Mais quoi que vous disiez, je serai toujours d'avis contraire.

    (120) Ne pas oublier que l'auteur, d'après les sous-sartriens de sous-préfecture, a « choisi » la paralysie, a « choisi » de ne vivre qu'en rêve.

     

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    MISE EN PRESENCE (121)

    Gaston-Dragon s'étant glissé un jour sous la bête, le dos contre le ventre, sous les quatre jambes d'un cheval souffrant

    (Pris de tranchées. ("On purge bébé").

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    "Sentant sa fin prochaine"

    et le massant risqua ainsi sa propre vie : "Si le cheval se couche, la bête écrase l'homme » affirma l'assistance, admirative, ajoutant quand ce fut fini : "Ces bestiaux-là, ça sent quand même si on leur fait du bien."

     

    Notes

    (121) Le lecteur se voit désormais plus régulèrement mis en présence de Gaston-Dragon, dans sa vie quotidienne, telle qu'elle a été transmise par Alcmène à son fils, auteur de ces lignes.

     

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    ORACLES DE GASTON (122)

     

    1) pétant : "Si y pleut de ce vent-là, y tombera de la merde" (« y » prononcé correctement (fusil, sourcil) ; amuissement du "l" en finale ; nul n'a jamais dit "s'il"). Gaston-Dragon mange bien, boit bien – "On m'appelle : Bouffe-Tout-Boit-le-Reste" : ainsi se complimentent en Lotharingie les gros appétits ; des « Bouffe-Tout Boit-le-Reste » ; le comique provient de ce qu'après le « tout », il n'y a rien – puis brusque passage du quantitatif au qualitatif : il reste donc encore à boire ! Sa fille ma Mère m'a dit: « Je ne ne l'ai jamais vu soûl. ». Il disait aussi : « Un Pou(r)la Gueule » (ne pas prononcerle « r »). Ou bien : « De c'plat-là, j'en mangerais sur la tête d'un pouilleux ! » Pas une mauviette le Gaston-Dragon, mais un bon gros paysan lorrain Nam'donc, ("Notre-Dame donc" ?) qui récitait au lit "Notre Père qui êtes aux cieux" et s'endormait tout sec sans avoir fini sa prière. (« ...si fatigué qu'il commençait juste « Notre Père... » « ...et plouf ! il s'endormait.") La Veuve me mimait son élocution ensommeillée. Il n'y avait pas que la fatigue ; le père Dragon n'était pas le dernier à caresser l'amphore. Et c'est peut-être à ces beuveries campagnardes qu'il faut rattacher

    2) le deuxième oracle "Dégueule, cochon, t'auras de la rave", car tout cochon malade, atteint de vomissements - et celui-là ne buvait pas - se soignait par d'abondantes pâtées de raves. Un jour la Fernande, à la ferme, Seconde Epouse à venir, avait dû enjamber un cochon en plein passage. "Voilà-t-il pas que le cochon se relève et me trimballe à travers BERNARD COLLIGNON GASTON-DRAGON 29

     

     

     

     

    toute la cour de la ferme ; y avait pas moyen de l'arrêter."

    3) ayant mangé : "Débarrassez, sez !" Note préalable : sitôt que tel ou tel a dit ou fait telle ou telle chose, une seule fois - le voilà immanquablement affublé de l'imparfait de l'épopée. « Il fit » devient « fesait ». Cela prolonge, fige, répète ; fonde en coutume un évènement apogée.

    (exemple inverse : ayant schématisé sur une table d'écolier un coït, je fus sévèrement puni : "Passe son temps à dessiner des obscénités" – C'est une seule fois ! - Oui, mais c'est la tienne. ») Explication (« débarrassez, sez ! ») : à la fin du repas le café tardant, Gaston-Dragon tira d'un coup la nappe à soi, tout fut précipité au sol ; la répétition de la dernière syllabe se réfère explicitement au commandement militaire, qui se conçoit exécuté à la fraction de seconde.

     

    Note

    (122) Nous allons nous apercevoir que les expressions ainsi rapportées et transmises àson fils par Alcmène, avec toute sa piété filiale, ne consistent qu'en des expressions toutes faites appartenant, selon toute vraisemblance, au fond commun du discours populaire des campagnes de ce temps-là et de ce pays-là.

     

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    PASSIVITE DE SECONDE EPOUSE (suite du précédent)

     

    • ...et elle ne disait rien ?

    • Oh non, tu penses ! (123)

     

    Note

    (123) Astucieux, non ? Présenter la suite comme une rupture, très brève... A rapprocher de la « rime en écho ».

     

    xxx 59 10 19 xxx

     

     

     

     

     

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    IMPUDENCES (124)

    A ma mère "Est-ce que tu veux une demi-livre de bifteck sans enlever les os ?" - ma main sur la gueule. Alcmène jeune fille répondait en serrant les dents, à reculons comme un bête rétive : "Eh ben alors... Eh ben... - Dis que j'en ai menti ? dis voire que j'en ai menti ?" Un Dragon ne ment pas.

     

    Notes

     

    (124) Il est très malaisé de déterminer ce qui a bien pu suggérer à l'auteur telle succession de chapitre plutôt que telle autre. Ici, deux séquences brèves, destinées à montrer comment à cette époque un homme se faisait respecter de sa femme, et de sa fille.

     

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    ORACLES DECLAMES (125)

    "Nous disions donc, Mathéos" - prononcez "matéheausse" - que le bruit de la mer-d'empêchait les poissons de dormir" - Alcmène se demanda quelle avait bien pu être cette fameuse "Théôs" - j'imaginais quelque solide bellâtre entourant de son bras les frêles épaules d'une poupée en costume régional, contemplant la mer pour la première fois... ou plutôt un nommé "Mathéos" - de quel opéra-comique tenait-il ces formules - quel Parisien connu dans les tranchées (...) -

     

    Note

    (125) Reprise, donc, des paroles immortelles que ma mère a cru bon de me transmettre (et elle avait raison).

     

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    ORACLES CHANTES scato crescendo

     

    Il chantait : « Au bain Marie j'ai vu tes charmes

    BERNARD COLLIGNON GASTON-DRAGON 31

     

     

     

     

    « Au bain Marie j'ai vu ton cul » (« bain-marie, hihi !)

    Il chantait "Dégueule de tout ce que tu voudras

    "Dans les sentiers remplis de mè-è-è-rd- (feignant de se reprendre) - ...leuh... ("de merles", ah ah !)

     

    Il chantait « J'avais mis ma main dans la...

    reprenant « J'avais mis ma main dans la... eh merde, je n'sais plus ! » Mimer avec les mots la glissade dans la merde. Ou bien, au dernier moment, l'éviter, second degré paysan.

     

    Il chantait « Ah c'que c'est beau d'chier dans l'eau

    « On voit sa merd' qui nâ-âge

    « Si j'avais su qu'c'était si beau

    « J'aurais fait davantâ-âge.

    Virgile on vous dit. (126)

     

    Note

    (126) Il semble que cette fois, les notes en fin de §§ s'avèrent moins nécessaires.

     

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    DES FEMMES

     

    Un homme exprimait-il des idées tant soit peu favorables à l'émancipation féminine, Dragon grommelait :

    • Tout ça, c'est des opinions de pédé...

     

    Aux femmes du lavoir : « Vous lavez toujours ?" ("votre pucelage")(du verbe « avoir », évidemment). Elles répondaient "vieux cochon", "vieux machtagouine !" (127)

    A une qui courait, l'interrompant dans sa course :

    - C'est la fête au Paradis ?

    BERNARD COLLIGNON GASTON-DRAGON 32

     

     

     

     

    - Pourquoi ?

    • Parce que les seins dansent !

     

    XXX 64 07 02 XXX 39

     

    ETYMOLOGIE, tenant lieu de la note 127 :

    Je demande à ma mère, qui l'emploie sans malice, la signification du mot « machtagouine », qu'elle trouve très pittoresque, sans pouvoir le rattacher de près ou de loin à quelque particularité linguistique lotharingienne que ce soit. Gaston Dragon l'employait pour désigner plus vieux que lui : « Vieux machtagouine » ! Ce n'est qu'à cinquante ans passés que sa fille en comprend l'étymologie de ce mot : il désigne les vieux impuissants incapables de faire jouir leurs femmes autrement que par une pratique bucco-génitale réservée (croyait-on) aux (« Mâche ta ») - gouines.

    . C'est moi également qui apprend à l'innocente Alcmène, consultant les prescriptions d'un remède combattant le "prurit vulvo-anal", la différence entre "vagin" et "vulve" : ma mère ignorait ce dernier mot. Quant à Gaston-Dragon, il avait rebaptisé le village natal de ma mère : de « Vavincourt », dans la Meuse, (127) il fit "Vagin-Court".

     

    Note

    (127) En Allemand, « die Möse » signifie « le sexe féminin ». Trop fun.

     

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    SECONDE EPOUSE

    Il se retire d'elle. Tu préfèrerais tes propres enfants.

    Il l'appelle « la mère » : « Ho ! La mère !... » Elle ne le fut jamais. Pure malignité. Gaston Dragon sait parfaitement qu'il n'est pas question d'envisager qu'elle le devienne, ni par lui ni par aucun autre (j'appelai toute ma vie Alcmène "la mère", "maman" m'écorcha toujours la gueule). bouche). En revanche le grand homme plia devant Seconde Epouse : Fernande obtint que "la Simone" (c'est ainsi qu'on se surnomme) accomplirait l'essence de sa fémité en étudiant l'Art du BERNARD COLLIGNON GASTON-DRAGON 33

     

     

     

     

    Ménage à l'Ecole Ménagère de Guny. Ma mère interne retrouva chaque semaine, passés cinq jours ou plus de promiscuités scolaires, son trop faible bourreau embelli.

     

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    ECOLE MENAGERE

    Il existait en ce temps-là de ces écoles où les filles se voyaient confirmer qu'elles étaient bel et bien

    de vraies femmes, destinées par la configuration de leur sexe à "tenir un ménage", écoles où tout un essaim de Ménagères leur apprenait à coudre, à cuisiner, récurer, lessiver, ravauder.

    "Molière ne pouvait pas savoir que ces travaux ménagers si méprisés par Armande ("de se claquemurer aux choses du ménage") seraient un jour enseignées dans des établissements spécialisés comme une science" (« Les Femmes Savantes », éd.Belin, 1932, note en bas de page) [sic]. En tant que science.

    La femme à sa place.

    Notre plus grand comique, Molière.

    Ainsi s'imprégnait dans les cœurs de toute une génération féminine l'aigreur et la férocité de la répression bitardo-connassière. Alcmène apprend à foutre son doigt dans le cul des poules pour les aider à pondre ; ce qu'elle fait consciencieusement plus tard à son garçon, quand l'intestin rebelle et masculin tarde à fonctionner. D'ailleurs ça gouinait ferme à l'Ecole Ménagère. C'est ma mère qui me l'a dit. Ecole ménagère de Gouiny. « Mais c'est que les hommes nous respectaient, dans le village, quand on défilait pour les promenades ! il n'y en aurait pas eu pour nous adresser un seul mot déplacé. » Braves rustauds de ces temps-là... toutes gouines, dont elle... J'avais pris un air écœuré - qui es-tu, petit merdeux, pour juger ? Plus tard, je m'en souviens, ma mère minaudait sur le siège avant où est-ce que vous m'emmenez ? où on va comme ça ? - la peau plaquée hideuse sur son crâne - du fond de la petite bagnole d'ami (128) Alcmène s'extasia une dernière fois devant son bâtiment de bois l'Ecole Ménagère, conservé du fond des âges, avec son pignon brun, ses bardeaux opaques.

     

    Note

    (128) ...Un ami...

    BERNARD COLLIGNON GASTON-DRAGON 34

     

     

     

     

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    LE SOURIRE DE MA MERE

    Je voudrais revenir sur ce "hideux sourire" d'Alcmène

    ("...et ton hideux sourire

    "Voltige-t-il encore sur tes os décharnés") (129)

    lors d'une arrestation de mon père - il avait passé à l'orange. Le temps d'un sermon de flic, j'ai vu ma propre mère, depuis le siège du passager, se pencher, fardée à plâtre, de tout son long jusque par-dessus les genoux de mon père en souriant de toutes ses rides, pour charmer le gendarme, charme très exactement semblable, ce jour-là, aux grâces d'un transi (« sur un tombeau, effigie d'un cadavre plus ou moins décomposé. »). Voir sourire ma mère, la bouche en fer à cheval renversé, fut pour moi aussi obscène qu'un sexe ouverte dégoulinant de bave (mentionner ici les deux rêves où je fornique le squelette et les chairs de ma mère, couverte de bijoux, puis qui se décompose sur la plage en mugissant "n'as-tu pas honte de m'abandonner dans cet état ».

    Jason qui conquit la toison pourchassa et tua les Harpyes, oiseaux griffus qui souillaient de leur merde les mets de Phinée, vieillard aveugle, et s'envolaient hors d'atteinte en poussant des cris affreux.

    Je n'ai jamais beaucoup aimé Jason, ce concurrent surfait.

     

    Note

    (129) Vers de Musset, appliqués à Voltaire.

     

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    TRANSMISSION

    ...Ma vie débuta sur ce lit par cet homme, Gaston-Dragon, qui commença par mourir, et bien que je ne fusse ni ne susse rien, tout cependant déjà tenait dans mon berceau (que si jamais Gaston n'eût été aplati sous une double roue arrière, jamais sa fille Alcmène ne m'eût transmis tant de choses sur l'homme qu'il fut et qui me fit frapper dans sa main : "Plus fort ! Plus fort ! Ah ! tu seras un vrai Dragon !")

    BERNARD COLLIGNON GASTON-DRAGON 35

     

     

     

     

    Or j'étais dans le treizième mois de mon enfance. (130)

     

    Note

    (130) Ça va ? Vous suivez ? Vu, les imparfaits du subjonctif ?

     

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    MANQUEMENT (131)

    Quatorze du Bélier dans l'ère bâtarde (132). Gaston-Dragon déchire l'enveloppe adressée à sa fille : Ange pur, ange radieux – ainsi s'adressait à sa bien-aimée son fiancé mon père pas mal con, n'ayant rien trouvé de mieux qu'un librettiste de musicastre (133) pour exprimer son inflammation de cœur. Tandis que sa fille folle de rage poursuivait Gaston-Dragon à travers la cuisine, ce dernier brandissait la missive à bout de bras, vociférant grassement l'ignoble opéra suite de Gounod (ce Faust que les Germains couverts de honte n'osent appeler que Marguerite) : «Porte mon ââââme au fond des cieueueueueux...! »

     

    Notes

    (131) Ici Gaston-Dragon va faire quelque chose de pas bien du tout.

    (132) Quatorze avril du calendrier chrétien.

    (133) « Mauvais musicien ». L'œuvre de Gounod, Faust, étale tant de platitudes et de mièvreries petites-bourgeoises (c'est là que l'on peut entendre le fameux Air des bijoux) que les Allemands, rougissant en effet de l'insondable distance qui le sépare de son modèle, le Faust de Goethe, ne le désignent jamais autrement...

     

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    « LES BAS COULEUR PEAU D'CUL » (134)

    Pour l'éternité relative de la si brève consomption du corps humain, ma mère porte en son cercueil ces bas couleur peau de cul raillés par Evguéni. C'était le temps de la grande misère d'après-guerre, quand les filles allaient cuisses nues. Et l'Evguéni jusqu'à sa mort d'asthmatiqueet d'ivrogne alla répétant : « Tiens v'là la Simone (135), avec ses bas couleur peau d'cul ! »

    • Et j'étais mauvaise, disait ma mère, j'étais mauvaise !

    BERNARD COLLIGNON GASTON-DRAGON 36

     

     

     

     

    Notes

    (134) Allez, on change de grand-père. C'est du père de mon père cette fois qu'il s'agit.

    (135) Dans la réalité, ma mère s'appelait Simone et non « Alcmène » . Ça fait nettement moins prestigieux, mais au moins, c'est prononçable. Quant au grand-père, il disait évidemment « la Simone, avec ses bas », etc., et non pas « la Simone, cent trente-cinq », etc...

     

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    ULTIMA VERBA (136)

    ...Mon père à qui sa propre sœur disait par raillerie Amphitryon, ne veux-tu pas être curé ? - Non, non ! se récriait mon père. « Pourquoi n'épouses-tu pas l'Alcmène, qui est toute seule et bien malheureuse ? »

    « Nous marchions sur le bord de l'Alphion, disait-il (137) , près du pont démoli de 1918 ; et nous ne savions quoi nous dire...

    • Assez ! beugle ma mère sur son lit d'hôpital ; pas de passé ! pas de passé ! (voix forte, rogue) – et moi : « Veux-tu voir le curé ? » - il errait, le romain, l'apostolique, le cou perdu dans sa soutane, comme un diable en peine « a-t-elle encore sa conscience ? » demandait-il d'une voix timide - Je m'en fous ! a hurlé ma mère à travers tout l'étage. Le curé décampa.

     

    Notes

    (136) « Les dernières paroles » (du Christ je suppose) (n'oubliez pas qu'il n'y a plus que les fascistes à présent pour savoir le latin).

    (137) « Il », c'est mon père, Noubrozi, qui raconte sa vie au chevet de ma mère mourante.

     

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    AMOUR SACRE DE LA PATRIE (138)

    Ancien combattant de Sailly-Saillisel (Pas-de-Calais) : Gaston-Dragon portait la soupe en gros bidons. Moins exposé qu'au front. A ce qu'on dit. Jamais de « roulement » ; faut-il tant de métier pour nourrir le soldat ? L'obus dans la marmite. Trois morts.Ou les gros paquets de boue dans la soupe. «On bouffait tout. »

    BERNARD COLLIGNON GASTON-DRAGON 37

     

     

     

     

    Je me rends au cimetière militaire de Sailly-Saillisel. Je vois des gratteurs de tombes, groins de porc sur la gueule, pulvérisateur en bandoulière, projetant des gouttelettes au chlore, méphitiques, vert sombre, dans la pénombre crépusculaire, sur les dalles british, dont la pierre exsude un imputrescible lichen. « Tous pédés » disait G-D. « On leur sciait la branche par-dessous, dans les feuillées. Ils tombaient tous dans la merde » - et Gaston imitait les gargouillis indignés de la langue anglaise. Ça c'était de la vanne.

    La Marseillaise. Gaston-Dragon l'écoute au garde-à-vous, tandis que mon père s'est assis en tailleur, exprès, sur l'herbe : « Je ne me lève que pour L'Internationale. » Gaston grommelle : « Je te la lui ferais écouter la Marseillaise moi, à grands coups de pied dans le cul... »

    Gaston-Dragon a perdu (fait de guerre ? scie circulaire ?) une phalange. Un jour il réclame à l'administration une revalorisation de pension. Le préposé du guichet répond : « Pour avoir droit à la tranche supérieure, il faudrait que vous ayez perdu une phalange de plus. -Ma phalange, vous savez où vous pouvez vous la mettre, ma phalange ?

    Pendant la sonnerie aux morts, Gaston-Dragon se sent envahi d'une extraordinaire émotion. C'est comme un frisson de larmes et de fierté. Cela commence par deux notes plaintives et nobles, chevauchées à l'arrière par des fla de tambours à contre-temps : un, un-deux, un-deux trois. Puis tout s'éteint dans un dernier roulement assourdi, le linceul retombe sur la plus grande mélancolie du monde...

    Alcmène jeune fille a visité tous les charniers. Douaumont. Lorette, où reposent les six autres Soldats Inconnus. Elle en a contracté une haine farouche de la mort. Ce qui ne se compense absolument pas, pas du tout, par un quelconque amour de la vie : elle ne la hait pas moins. Elle raâle, ma mère, elle geint, elle gâche tout.

     

    Note

    (138) Ce sont des anecdotes, relatives à Gaston-Dragon, sur le même sujet : la Patrie.

     

    48

     

    SAPIENTIA DRACONTEA (« de dragon »)

    Pour mettre un terme aux discussions sans fin, que ce soit en matière politique, ou religieuse, mon BERNARD COLLIGNON GASTON-DRAGON 38

     

     

     

     

    grand-père Gaston-Dragon use d'une formule magistrale, ménageant toutes les susceptibilités ; pour peu que le ton vire à l'aigre, il coupe court : « Ecoute » dit-il, - tu as raison, et moi je n'ai pas tort. » Suprême sagesse -

    • FIN des oracles de Gaston.

     

    49

     

    • A MOI MAINTENANT (139)

    Je n'ai pu connaître l'épreuve de la guerre.

    Mon absence totale de ce qu'il est convenu d'appeler Virilité me permet en revanche de surmonter plus tard L'EPREUVE DE LA JALOUSIE.

     

    Note

      • (139) On le voit, la liste de mes épreuves réussies se limite à ces deux lignes ; il ne s'agit que d'un exploit négatif.

    50

     

    LES EPREUVES D'ALCMENE, MA MERE

    • Toute sa vie ma mère malade. Hideux sac à chagrin. Pourquoi ? Remontons un peu : Gaston-Dragon, poilu, cocu, la rime est bonne. On ne cocufie pas un poilu. Un héros. Beaucoup ont dû s'en accommoder. Mais pas Dragon. Dont le vrai fils, le Légitime, est mort (de la peste espagnole) tandis que le Bâtard, le fils de l'autre, a survécu. « On ne l'a jamais appelé que le Bâtard », dit ma mère, « je ne me souviens même plus de son nom » - honte au « bon vieux temps » : l'ivrogne, le boiteux, le cocu du village. Alcmène détestait tout ce qui rappelait le passé, jusqu'aux « films à costumes » : « Regarde-moi toute cette misère », disait-elle au milieu des plus belles mises en scène – « toute cette misère » - c'était vrai ; tout était miséreux dans le temps, préjugés, superstitions. Les hommes crevaient à trente ans et les femmes frottaient leurs linges tous les mois sur la planche.

    • Ma mère Alcmène, à sept ans, derrière les rideaux de sa fenêtre – Tu resteras à la maison pour garder l'bâtard - assista au départ du convoi funèbre du vrai petit frère. De mon petit oncle de BERNARD COLLIGNON GASTON-DRAGON 39

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    • huit ans, Lucien fils légitime de Gaston-Gustave, dans la boîte -Tu n'as pas su le garder en vie celui-là – sans qu'on me l'ait dit je suis sûr qu'il l'a crié à sa femme, Delphine Bort, comme Bort-les-Orgues disait-elle, Tu n'as pas su le soigner celui-là répétait Gaston-Dragon - et Bâtard de survivre, Alcmène réquisitionnée « Toi, tu resteras à la maison pour garder le bâtard »- bébé tout de même – voyant s'éloigner son petit frère dans le cercueil à travers la vitre et la pluie (140)

      • S'étonner après cela qu'elle ait été si malheureuse, si dramatique. Si malade.

    (140) Je sais bien que je me répète, mais je trouve ça si poignant...

     

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    SUITE DES EPREUVES

    Assassins, assassins... (141)

    Je vous parle d'un temps qui vous semble aussi révolu que la cour vue par Saint-Simon, le vrai, le Duc : cocufiage avec fruit (142). Mais cour misérable, cour de ferme plutôt que royale... Alcmène idolâtra son père à proportion du mal qu'il lui avait causé. C'est lui qui l'a coupée de sa propre mère. : jamais de pardon. Tu ne reverras plus ta mère ! Ma mère ne l'a plus revue ; fille de femme adultère, fille de répudiée. D'un coup, et sans interruption, de huit à seize ans. Cette année-là sa mère Delphine mourut, d'une crise d'urémie ; on ne soignait donc rien de ce temps-là ? Trente-huit ans. Elle souffrit tant pour mourir qu'elle tordit les barreaux du lit de la force de ses seuls pieds. Une mort à la Zola (143)

    ...Et Gaston-Dragon dit, et ce fut sa seule épitaphe, le seul véritable oracle : « Elle est morte par où elle a péché. » « Comme si une crised'urémie avait un rapport avec ces choses-là » dit Alcmène. (144) Interdite d'enterrement de sa mère. Le crime jusqu'au bout. Ne plus jamais parler. Interdiction de se souvenir. Je n'ai qu'une photo sépia de la Delphine.

     

    Notes

    (141) Titre de Djian. J'en suis profindément jaloux. Ce sont les mots que j'aurais aimé prononcer sur mon lit de mort, en grinçant des dents, pour maudire l'humanité entière. Depuis, je suis devenu tout mou.

    (142) On sait que le Duc de Rouvroy de Saint-Simon haïssait toute espèce de bâtardise, et contribua aux piétinements des bâtards de Louis XIV après la mort de ce dernier.

    (143) Voir la mort de Coupeau dans L'assommoir.

    (144) Les genitalia, bien entendu – les pudenda, « dont on doit avoir honte ».

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    VESTIGES D'INCESTE

    Ma mère me transmit scrupuleusement les mots les plus crus de Gaston-Dragon. Rien sur sa mère. Etait condamné toute dévotion non exclusivement consacrée au Héros, Ancien Combattant et Père. L'époux, le gendre, mon père à moi, ne fut rien. Alcmène laissa même entendre qu'il y aurait bien peu d'importance aux relations plus intimes qu'il n'eût fallu entre elle et moi. Quinze années sans plus séparèrent plus tard la fillette de sa marâtre, Seconde Epouse, triomphante et nouvelle promue : la Fernande, plantureuse, que j'ai connue, bien dodue. Alcmène accrochée à ses jupes cria : « Je vous interdis de coucher avec mon père ! » On riait très fort en ce temps-là des petits mots d'enfants.

     

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    LECTEUR INGRAT, MON FRERE

    Vous avez déjà cela sans doute dans vos familles : « Un homme parmi les hommes » disait Sartre « et qui vaut n'importe qui . » J'ai renoncé à me prendre pour Hercule. A représenter ma famille sous forme olympienne - voyez d'où vient l'expérience aux vieillards : du racornissement hormonal des méninges. La sagesse, fille de l''impuissance : quelle leçon...

     

     

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    LA FOLIE MA MERE

    Après la mort de Gaston-Dragon, Alcmène devenue folle fut internée à Sainte-Anne, l'asile d'Althusser, celui dont j'ai longé les murs blafards, et d'où l'on ne ressortait pas (existe-t-il encore un refrain de Bruant - "A sainte-A-a-a-nneûeûeûh..." (A Belleville, A St-Lazare) ? J'ignore, chose incroyable, combien de temps ce fut après l'écrasement du Dragon - il suffirait d'écrire, de solliciter tels témoignages encore vivants, les preuves tangibles... ont-ils conservé les archives ? J'ignore si ce fut bref. Insidieux. Mon père signa de sa main l'ordre d'internement – s'attirant une inextinguible et sauvage rancune : car le mari alors avait autorité sur sa femme.

     

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    L'ENFANT SANS MERE

    Je fus placé enfant à Trézels, dans l'Allier. Pensionnaire chez un vieil homme que j'appelai "le pépé de Trézels". (épisode très net encore du manège d'enfants, où son épouse et lui m'avaient emmené : - Tu fais un tour, et ça revient" – je pleure et ne veux pas monter - je ne reviendrais plus - peut-être ; le tapis roulant se déroule en ligne droite à l'infini, peut-être ; je ne crois plus aux explications d'adultes.

    Les portes de Sainte-Anne un jour se rouvrirent sur ma mère, à force de volonté : « Tu seras retournée sur le gril par tout un aréopage de médecins ; répète-toi je dois tenir – je dois montrer ma cohérence et tu seras libérée ».

     

    Notes

    (145) Mes notes se sont raréfiées. J'espère que vous continuez à comprendre ? Merci.

     

    56

     

    L'ENFANT STOÏQUE

    Douze ans plus tard : une éternité ! Je suis peut-être enfin débarrassé d'Alcmène (146) en danger de mort. Cette opération a pour nom la totale. Cette mutilation. J'ai vécu en pension (147) chez M.Hall, instituteur s'origine anglaise à V., père de trois enfants. Dans leurs albums je fait connaissance avec le Marsupilami dessiné par Franquin : je lis toutes ses aventures, je ris aux éclats. Dans une lettre à mon correspondant allemand j 'écris : "Die Unglück ist auf unserem Haus", piétinant la grammaire allemande : "Le malheur est sur notre maison". Je laisse lire mon voisin d'étude par-dessus mon épaule. Je me sens très intéressant.

    Je découvre chez Mr Hall ce merveilleux instrument appelé "kaléidoscope".

    J'ignore à quoi je dois attribuer ce brouillage permanent de toutes les époques de ma vie (148) Je compare cela aux transistors dont toutes les longueurs d'ondes se sont superposées, ne laissant ouïr qu'un inaudible, universel crachouillis - le vaste monde entier rendu définitivement incompréhensible. Tous âges confondus. Ma mère a survécu. (149)

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    Notes

    (146) Il s'agit de ma propre mère ; quelle inhumanité, n'est-ce pas ? - rien de plus banal en fait. Malgré tous les artifices plus ou moins littéraires, je ne parviens pas à persuader le lecteur que mon expérience m'a semblé exceptionnelle...

    (147) Notez le rapprochement des deux séjours chez autrui : 1946, 1958. Deux ans, quatorze ans.

    (148) Ce rapprochement du kaléidoscope et du transistor déréglé n'est-il pas éminemment suggestif ? NON ? Allez chier...

    (149) Et cette distorsion narrative ? Que dites-vous de ma distorsion narrative ? ...Vous ne savez pas ce qui est beau...

     

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    LE TOIT DU MONDE

    Le Sing-Kiang, à l'extrême nord-ouest de la Chine, est une étrange contrée. Tout le monde s'apitoie bruyamment sur le Tibet ; du Sing-Kiang on ne connaît que les déserts - ou les half-tracks ; cela s'étend sur des dizaines de milliers de km², bordé de vagues chaînes de montagnes à peine surélevées, dessinant sur la carte d'improbables boudins, dont aucun relevé orographique véritable n'est jamais effectué. Avec des lacs salés aux contours pointillés, sitôt gonflés sitôt taris. Faites rouler par milliers, pendant des siècles, les plus lourds et sophistiqués des engins militaires, faites gueuler par des officiers des ordres aussi gutturaux que la langue chinoise les puisse imaginer : jamais les rocs, les sables ou les neiges du Sing-Kiang, son ciel métallique, ne retiendront la moindre empreinte d'occupation humaine. (150)

     

    Notes

    (150) Oui je sais, ça vient là comme un cheveu sur la soupe. Et la liberté de l'artiste  ? - La liberté du lecteur consiste à ne plus lire. Et toc.

     

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    LA FEMME DU LAC

    Dans cette dimension prétemporelle m'apparut un lac bleu soutenu, de sel et d'acide, où flottait sur sa barque une jeune femme ; seule et droite sur le poison liquide teinté de curaçâo ; sans BERNARD COLLIGNON GASTON-DRAGON 43

     

     

     

     

    rémission dissoute au moindre geste dépourvu de précision. Elle ramait debout à petits coups presque immobiles. Ses mouvements s'étant progressivement amenuisés, son souffle suspendu, je parvins pied nu à la rive en même temps qu'elle. Si bien des femmes aux Enfers ont guidé les hardis voyageurs, Shub-ad-Ur Enlil, la Sibylle Virgile, et Béatrice Dante (151) , ce n'est que moi, Liliom, qui réduisis mes gestes aux berges de l'acide avec ces infimes précautions que l'on voit aux joueurs méticuleux levant tour à tour sans frémir les jonchets emmêlés. (152)

    Ce fut donc cette femme que j'aimai sur décision des Jumelles Eurysthées, ramenant du Sing-Kiang ces herbes dont je devins fou. (153)

     

    Notes

    (151) Noter que ces trois groupes de mots devraien tcomporter le verbe « a guidé » ; les trois seconds termes sont donc des compléments d'objet, des COD ( les instituteurs ont d'abord eu recours aux initiales, ce qui fait plus scientifique, puis à la suppression de la notion, au nom du juste combat de la goche contre l'élitisme. Noter que l'on ne met pas d'accent circonflexe sur le mot satirique « goche », car alors, le son [o] redeviendrait fermé, comme dans « gauche ». C'est pourquoi il serait si expédient d'adopter dans ce cas une graphie anglo-saxonne : the gosh (by gosh ! Tudieu ! )

    (152) Vous pensez bien que si je gigote au bord du lac d'acide, je risque des éclaboussures extrêmement dangereuses...

    (153) Traduction : les Eurysthées m'ont encoyé là-bas pour y rencontrer ma future épouse, et j'y ai cueilli de l'herbe qui rend fou, c'est-à-dire de l'herbe de la Liberté : enfin, je vais pouvoir fuir ma famille et me marier ! La liberté, on vous dit...

    ...Avez-vous observé que cette fois, le descriptif ou le visionnaire a fait place à des éléments narratifs ?

     

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    MA VIE

    Une ligne à construire jusqu'à totale érection de cette geôle (154) , dont la Femme à la fois constitue la cloison, la porte et la fenêtre, les barreaux, partie de moi-même (155) - c'est ainsi que dit-on Héraklès s'est extrait (156) d'Hippolyte, reine des Amazones, abaissé sous Omphale(157), heureux de filer la laine à ses pieds.

     

     

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    Notes

    (154) « construction de cette prison »

    (155) la femme est à la fois ce qui emprisonne et ce qui délivre ; mais peut-être tout cela n'est-il que « partie de moi-même », une imagination.

    (156) « a fini par plaquer »

    (157) Reine de Lydie, que le colossal Hercule, amoureux, a servi en tant qu'esclave, fileur de laine...

    Sens : La vie du narrateur s'est construite à partir de sa position vis-à-vis des femmes : seraient-elles sa délivrance, ou plutôt sa prison ? Il se demande s'il n'a pas gaspillé sa force à s'imaginer qu'il était leur esclave.

    Questions : Repérez le jeu des métaphores, en rapport avec les références mythologiques

     

     

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    A QUOI REVENT LES MERES

    Ce qu'elles deviennent. Alcmène chlorotique, aimante, pâmée entre les bras et les gants blancs d'un officier supérieur autrichien soutaché d'or.

     

    Sens : Il s'agit des rêveries amoureuses de la mère du narrateur (« Alcmène » : l'auteur aime à se rapprocher d'Hercule, avec lequel il ne possède nul point commun). « « Soutaché » : les uniformes autrichiens, avant 1914, comportaient des soutaches, c'est-à-dire des revers de manches brodés d'or sur fond blanc immacué. Le belle-mère de l'auteur, quant à elle, préférait les officiers russes, et les promenades nocturnes en traîneau, toutes sonnailles dehors.

     

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    MISSION ACCOMPLIE (158)

    A présent revenus de tant de chevauchées (159) nous contemplons ces photos éparses, infimes solutions de nitrate d'argent. "Je sens dit-elle (160) un ennui, la misère, une haine ; sur toutes ces photos d'enfance tremblées où je ne suis pas, autant d'imperfections techniques en noir et blanc de temps et de lieux si lointains sertis (161) par les gros cadres dentelés de ces clichés de pauvres" – depuis je vis dans une immense nuit (162), prenant les dimensions de la fondation du monde, nuit multipliée où je m'étends pour toujours auprès d'elle (163) , avant l'étincelante nuit de tous les tombeaux. Je vois de longs repas, des cafés d'où la fumée s'élève (164), où tandis que les BERNARD COLLIGNON GASTON-DRAGON 45

     

     

     

     

    tasses tiédissent naissent les phrases de nos lèvres, franges de rêves effleurant ces mondes d'ailleurs, étranges marécages qui nous dissoudraient.

     

    Notes

    (158) N'oublions pas que le narrateur a été investi d'une mystérieuse mission par les Eurysthées ; ces jumelles blondes représentent en réalité son éditeur, unique, mâle et brun. Eurysthée, dans la mythologie, fut le commanditaire des fameux Travaux d'Hercule.

    (159) Notez la confusion sciemment entretenue entre la mission du narrateur, la mythologie et la quête des chevaliers médiévaux ; en effet, Héraklès/Hercule n'a jamais à proprement parler « chevauché ».

    (160) « Elle » : Alcmène, mère du narrateur ; elle déteste tout ce qui se rapporte au passé.

    (161) « serties » : « entourées »

    (162) Le narrateur revient décidément à sa personne ; ce qui le fascine est cette continuité des nuits, qui se prolongent de l'autre côté du globe, pendant sa journée, puis qui reviennent, comme s'il n'y avait qu'une seule nuit continue, de l'une à l'autre, devant à la fin l'engloutir, comme de juste (« l'étincelante nuit de tous les tombeaux »)

    (163) « elle » : sa femme ? sa mère ? l'auteur n'évite pas toujours ces lourdeurs dans le sous-entendu...

    (164) de longues années durant, l'auteur achevait ses repas, en compagnie de son épouse (« mit Bobonne »), en devisant autour des tasses de café ; on parlait de rêves, mais sans aller trop loin, de peur d'être engloutis, et de ne plus savoir revenir dans le monde réel (c'était l'homme qui éprouvait cette crainte).

    Sens : après avoir accompli sa mission (mais il ne semble pas qu'elle ait porté ses fruits), le « héros » se repose en prenant du café en pantoufles avec sa femme.

     

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    TRANSMISSION, SUITE

    Les Eurysthées (163), dont je me disais libre, m'enjoignirent de formellement régurgiter, sur la tête d'innombrables disciples répartis sur quarante années d'existence, tout le venin du Dragon afin de m'en purger (164); toute cette impuissance et ce savoir qui m'étouffaient. Les disciples s'en emparèrent à leur guise. Ils dévorèrent mon viatique (« ce que le pélerin porte avec soi pour manger dans ses étapes. ») Sans cesse il en vint d'autres (165), et le temps fut sacrifié, car je transfusais tout le sang du dragon pour ne pas mourir ; en vérité je vous le dis ce furent de bien incontrôlés débordements, les jaillissements de la vasque d'un mort. Si les druides sont sanctifiés, c'est en raison de ceux qui les ont irrigués, et non d'eux-mêmes.

    BERNARD COLLIGNON GASTON-DRAGON 46

     

     

     

     

    Je ris de tant de nouveautés que l'on propose(166), car toute transmission, de toute éternité, consiste en un Maître assis sous son chêne(167) , dont il tire son ombre et sa susbstance ! ... répandant sur les disciples en cercle ce dont lui-même se dépouille afin qu'ils prêchent à leur tour la divine parole... Que les actifs aillent donc, tels des porcs, fouiller du groin entre les racines de l'arbre ; ils cherchent le fruit grossier des glands, afin de s'en goinfrer ; nous autres, touchés peut-être par la grâce, mortifions-nous, car nous ignorons le peuple : prêts à mourir pour lui, mais damnés, plus que quiconque, au moindre mouvement d'orgueil. Et croyez-moi, c'est difficile.

     

    Notes :

    (163) Il s'agit toujours de ces fades jumelles intermédiaires, portant le nom du commanditaire des travaux d'Hercule, sans lesquelles notre héros semble éprouver bien des difficultés à rassembler ses esprits...

    (164) Le narrateur prétend ici que les enseignements (bien minces) de son grand-père Gaston-Dragon doivent être transmis à ses élèves ; il purifiera le « venin » de ces paroles ancestrales et le transformera en suc nourricier... En réalité, le grand-père n'est aucunement responsable de tant de haines et de rancunes accumulées. Il s'agit plutôt de ce que l'esprit de l'auteur s'est cru obligé de thésauriser en son arrière-boutique, en réponse aux mauvais accueil de sa mère, et aux conflits conjugaux qu'il a subis, mais aussi abondamment provoqués...

    (165) D'innombrables élèves e collège...

    (166) Il s'agit ici des abondantes réformes, toutes plus inefficaces les unes que les autres, qui ont agité l'Education Nationale en un prurit incessant, durant les 39 ans et demi de sa carrière.

    (167) ...ou derrière son bureau en contreplaqué... ne voilà-t-il pas que notre narrateur se prend pour saint Louis à présent...

     

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    LES INNOCENTS

    J'ai lu dans Héraklès que l'infâme Euripide (164), m'avait imaginé, moi, héros éponyme, dans un accès de démence : je massacrais mes propres enfants ; et ce massacre atroce intervenait non avant mes exploits (on les aurait destinés à payer, à racheter ce meurtre), mais après eux : sans plus aucun rachat possible (165) ; juste pour démontrer l'imposition brutale du joug divin sur les épaules mortelles : ils devaient s'humilier devant les dieux (même Héraklès, fils de Zeus), sans se rapporter à leurs propres forces, entendez-vous, Mortels Actifs ? tas de cons agités ? l'éclat de vos exploits ! eh bien ! une minute, une seule minute de folie suffit à démolir le Temple de vos BERNARD COLLIGNON GASTON-DRAGON 47

     

     

     

     

    Gloires ! Ah ! Pauvres hommes d'action de mes couilles ! Aussi j'ai tué mes enfants, j'ai brûlé mes propres livres (166). Et quand mon œuvre s'est embrasée, le crépuscule s'est abattu ! (« les livres » en allemand se dit "Bücher", le bûcher : je suis le premier mortel à établir un tel rapprochement...)

     

    Notes :

    (164) C'est le seul qualificatif trouvé par Charles Péguy, dans la seule occurrrence de ce mot présentée par son œuvre

    (165) Notez ici l'incohérence de la métaphore : jamais il n'a été question que, tel Héraklès, je massacrasse mes propres enfants, mes élèves... Peut-être cependant l'envie ne m'en a-t-elle pas manqué (et réciproquement...)

    (166) Ah ! « celui-ci ne s'attend pas du tout ! » («Les Femmes savantes »)

    Questions (167)

    1. Montrez que la trivialité du langage exprime le désespoir d'Héraklès. (3 points)

    2. N'y a-t-il pas dans ce passage une survivance obstinée des thèses de l'auteur, qui à tout propos et hors de propos tient absolument à s'acharner sur tous ceux qui veulent agir, pour guérir le monde de sa souffrance ? (2 points) Montrez la contradiction avec la mission d'Héraklès proprement dit, qui voulait purger la terre de ses monstres. (3 points)

    (167)De telles questions devaient figurer à la suite de chaque petit chapitre. Mais j'ai la flemme, et le temps presse.

     

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    POUVOIR, FEMME ET SOLITUDE (165)

    J'ai lu que la Femme, à qui nous accordons tant de pouvoirs, n'a que celui de nous mettre au monde. Ensuite nous restons seuls. Abandonnés. Comme elles-mêmes. Et nous ne parvenons à être, à véritablement être, qu'à l'extérieur d'elle. Mon désespoir devient tel, alors, que mes larmes

    eussent pu submerger le bûcher de mes livres.(166)

    Je conçus alors, en un éclair, que la quête de l'identité, gisant en ces pages brûlantes (les miennes)

    ne pouvait rencontrer sa justification (167)

    ...que dans l'Eternité. Si tu es éternel, tu es Un ; étant Un, que t'importe l'Identité ?

    ET TOC. (L'auteur pense ainsi avoir résolu une extrême aporie)

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    Gaston-Dragon meurt, crâne broyé (168). Les dents enfouies dans la terre (169) , tout ce qui reste d'un homme - à moi transmis par Alcmène ma mère - donné à mon tour à deux mille disciples (170).

     

    Notes

    (165) Une fois de plus l'auteur va rejeter la faute de tout sur la Femme.

    (166) Ce n'est qu'un alexandrin.

    (167) Autre alexandrin, à condition de respecter la synérèse (« -tion » : une seule émission de voix.)

    (168) On le saura.

    (169) Seule preuve d'identité du mort ; les dents sont la partie du corps qui se décompose en tout dernier. En premier, ce sont le cerveau, et les parties sexuelles.

    (170) Ainsi donc les dents du dragon figureraient le contenu même de l'enseignement prodigué par l'auteur. Ce dernier devient (encore plus) confus.

     

    65

     

     

    DELITEMENT (171)

    Sous ce tumulus arasé par l'érosion errent les dents du Dragon (172) . Pour ôter, transporter la terre qui les couvre, on me demande 800 schékels d'argent ("Etablissements Schönsohn")(173). A présent sur Gaston-Dragon la terre est toute plate (174) ; sur sa corpulence de Fafner (175) : il se ceignait d'une large écharpe serbe, pour prévenir le tour de rein. Tombe et ventre éclatèrent. "Je suis allée le voir; dit Seconde Epouse, comme tous les matins ; la voirie n'était pas encore passée, sinon ils m'auraient prévenue" - autre époque - "pour me dire de ne pas y aller. C'était comme si on avait bombardé la tombe. Exactement comme un trou de bombardement." J''insistai.

    J'étais enfant. J'ignorais ce que donnait, ce que produisait, en vrai, "un trou de bombardement". Ce qui s'entendait pour un témoin de 14/18 restait lettre morte en 63 de l'Ere Nouvelle - "comme un trou d'obus ; tu vois ce que c'est qu'un trou d'obus, tout de même." Je me suis souvenu d'une exhumation chez Taupin, éclusier (176) : un petit crâne tout propret au fond de son entonnoir, chacun déclarant bien doctement qu'il s'agissait d'une religieuse enfouie là en toute hâte, droite sous les bombardement portant le brancard, indemne jusqu'à crevade et tombe et ventre éclatés donc de Gaston (autre exemple : à l'enterrement de Guillaume le Bâtard dit le Conquérant BERNARD COLLIGNON GASTON-DRAGON 49

     

     

     

     

    (15 août 1087), par forte chaleur, le corps éclata ; "tous les murs de l'église se couvrirent d'une effroyable bouillie sanieuse, assistants de s'enfuir, clergé en tête, hurlant au Diable." Le monographe ajoute que les évêques, précautionneusement, revinrent plus tard sur leurs pas, recueillirent les restes épars et procédèrent, en privé cette fois, à de plus sobres.) « Mon Gaston, » dit Seconde Epouse. c'était comme si je le perdais une seconde fois"

    N'empêche. J'aurais bien voulu voir ça.

     

    Notes :

    (171) Il s'agit de la décomposition de la tombe, mal entretenue, au-dessus des corps eux-mêmes en décomposition.

    (172) Les dents de mon grand-père se trouvent au-dessous de sa pierre tombale.

    (173) « Chœunn-zônn » : « beau fils »

    (174) La pierre tombale s'est cassée, on l'a jetée aux gravats ; le tumulus s'est aplati.

    (175) Fafner et Fenrir sont les deux dragons de Wagner.

    (176) M. Taupin était éclusier. Vous n'entendrez plus jamais parler de lui.

     

    66

    MISE AU TOMBEAU DE SECONDE EPOUSE (C'EST SON TOUR A PRESENT)

     

    J'ai refusé de la revoir en 77. Quand ce fut son tour. Ses restes tenaient deux misérables chaises en guise de tréteaux, dans un cercueil ratatiné – quand j'était petit, je jouais à prendre sur mes jambes Seconde Epouse tout entière, la suppliant de ne pas tricher, de ne pas se retenir, pour se laisser peser de tout son poids ; mais elle ne s'abandonna pas, pour ne pas me blesser. Pendant sa dernière maladie, les médecins de Reims l'avaient fait fondre. Quand on la mit en terre au-dessus du Dragon, Alcmène ma mère gueula comme un veau "Papa ! Papa !", en pleine cérémonie, au bord du trou. Comme une plaie rouverte. Il a fallu la retenir de sauter dans la fosse. « C'était répugnant", répétait mon père, « absolument répugnant". Mes parents dormirent chez une femme du peuple, meilleure amie de ma mère (177), qui témoigna toute sa compassion. Puis ils sont repartis, puis on avait oublié quelque chose, ils sont revenus, et la femme du peuple à ce moment-là s'est montrée extrêmement désagréable, et froide.

    Mon père a déploré cette attitude.

    BERNARD COLLIGNON GASTON-DRAGON 50

     

     

     

     

    PUTAIN ON LES AVAIT ASSEZ VUS TOUS LES DEUX.

    Mon père a toujours été un naïf.

     

    Notes

     

    (177) Cette connasse n'arrêtait pas de dire du mal de son mari. C'était là toute sa conversation.

     

    67

     

    SCENES D'HERITAGE

    Délégué plus tard au palais de la défunte (178), mon père Noubrozi trouva là tous les neveux qui ripaillaient comme des Vandales ; jamais ils ne s'étaient souciés de la Seconde Epouse, les neveux de La Fère. Leur père, frère e la défunte, était un pâtissier qui se tuait au travail à soixante-sept ans passés, pour sa femme. Tous étaient accourus, sauf lui, et se gobergeaient en grands soiffards : main basse sur la cave à vins, tous soûls comme Pégase (179), gambadant de la cave au grenier - "Pas un mot de regret, disait Noubrozi, pas le moindre respect, tous bourrés, une honte, une honte." Il était intervenu, mon père. Il était intervenu courageusement, ah mais ! quand les héritiers avaient brûlé toute une masse d'archives familiales qu'est-ce qu'on en a à foutre maintenant qu'elle est crevée. Il leur avait dit mon père, il avait dit, "Vous n'êtes pas malades d'allumer ce feu-là juste en dessous du poirier ?" - des arguments à leur portée - "vous voulez qu'il soit complètement foutu le poirier ?" Ils s'en foutaient les neveux, ils en étaient au raisin fermenté, et ça cavalcadait sur trois étages, "une honte mon fils, une honte".

    Elle avait bonne cave la Femme Dragon, elle aimait la bonne chère, elle avait reproché à mes parents de "vivre chichement", un souvenir de La Fontaine, "chichement", répétait mortifiée ma mère, "chichement". Pour ma mère, la répétition d'un mot sur un certain ton de mépris tenait lieu de suprême argument.

     

    Notes :

    (178) Il s'agit de la maison de Fernande, Seconde Epouse, après le décès de cette dernière.

    (179) Canasson de l'inspiration poétique. Cette allusion est ironique.

     

    BERNARD COLLIGNON GASTON-DRAGON 51

     

     

     

     

    68

     

    LA DERNIERE FOIS

    Je me demandais ce que je pourrais bien lui apporter pour améliorer son ordinaire ; Seconde Epouse n'aimait guère régaler, faisait même payer à mes parents leur entretien lors de leurs visites. J'achetai au dernier moment un gâteau et une bouteille de blanc ; Fernande - son véritable nom - refusa ma bouteille, m'envoya quérir à la cave un meilleur cru, plus doux - connaisseuse, avec ça... J'avais pris aussi de une bande magnétique. C'est surtout moi qui ai parlé, saccadé, tremblant de n'être pas naturel et ne l'étant pas du tout. Rien d'autre n'arriva rien qu'un profond ennui. Je répétais tout ce qu'elle disait. Je quittai GVIGNICOVRT en hurlant, au volant : "

    Ça sent la mort ! ça sent la mort!" - et ne m'arrêtai qu'aux confins du Département du Nord...

     

    Commentaire

    Ma quête d' Eternité aboutit dans une certaine mesure.

     

    69

    PEGGY DARK

    Je dois racheter les pleurs de ma mère. Ma Mère Peggy Dark : n'était-ce pas elle qui toute jeune, s'étant vu écarter des propres funérailles de sa mère, fut déléguée aux mises en terre de tout le bourg. Aux enterrements. De GVIGNICOVRT (Aisne) (belle église). ...Me faudra-t-il un jour, et pour le peu de temps qu'il me reste à m'en souvenir, porter mes pas à GVIGNICOVRT en cet endroit précis / que rigoureusement ma mére / m'interdit de nommer ici - où l'on (ex)posait sur leurs catafalques maints cercueils accompagnés par elle jeune fille, afin d' y flairer (moi) cette amorce de macération de chair sentie cinquante-cinq ans plus tard au lendemain de son enterrement dans cette autre église, sans style, à l'autre bout de la France et de cette vie - n'ayant pas même averti, pour sa mort la plus proche famille - en cette boîte où Peggy Dark le matin même, ma mère, décongelée, fraîche et d'un rose malsain [il manque un bout d'oreille !] - sanglée dans sa chemise à ramages oranges – espace donc au-dessus du dallage, au milieu de la nef, où je sentis physiquement, le lendemain de la cérémonie, la vibration morbide, mortelle, subsistante, exactement coïncidant avec ce volume appelé par mon père parallépipéde rectangle , à l'emplacement exact et vide désormais – du cercueil...

     

     

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    IMMORTALITE, SUITE

    Supposons que nous devenions immortels. Nous aurions alors en nous toutes les vies vécues : toutes les virtualités, avec la capacité de les réaliser toutes. Plus ne serait besoin que la vie se scindât alors en une multitude d'individus. Ou bien nous échouerions dans le marais infini de nos propres vies, marais-cage, où se décomposeraient au sol toutes nos mollesses, et la force des Choses (ici, serrement de gorge). Telle serait l'Immortalité, sans besoin même d'un chat bâtard, survivant des bombardements de toutes les Allemagnes (180). Il ne nous resterait plus qu'à trembler. Ainsi sombre(181) l'épopée d'un croquant (182) qui s'est pris, l'espace de 50 pages, pour Héraklès dit Hercule, fils de Zeus et d'Alcmène, elle-même fille d'Electryon.

    Notes :

    (180) Bébert.

    (181)  Part en couilles

    (182) C'est moi.

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  • Les grandes fêtes religieuses dernière version

    É P I P H A N I E

    L'Epiphanie est aussi appelée « la fête des Rois », et c'est encore l'occasion de partager un bon repas. Son nom signifie « apparition », de l'enfant Jésus aux Rois mages, qui ont suivi l'Etoile du berger pour s'en venir saluer le sauveur dans sa crèche.

     

    DATE, GENERALITES

    Le six janvier (depuis le Concordat de 1801), 12 jours après Noël, se fête l'Epiphanie. Douze jours : c'est l'intervalle moyen entre une année lunaire et une année solaire. Depuis que la naissance du Christ a été fixée au 25 décembre, les communautés chrétiennes ont interprété le 6 janvier de façon différenciée : l'Adoration des mages à Rome, et en Grèce, le baptême du Christ dans l'eau du Jourdain (ou ce qu'il en reste...) (13 janvier pour les catholiques).

    L'Evangile selon saint Luc parle de l'adoration des bergers, représentée dans les crèches ; Mathieu n'en parle pas, mais mentionne « les Mages d'Orient », sans dire leur nombre, ni leurs noms. Mais la tradition les appelle Gaspar, Melchior et Baltazar, offrant le premier de l'or, le deuxième de l'encens, le troisième de la myrrhe. Ces noms nous ont été transmis par la tradition. Un mage, c'est un prêtre persan, versé en astronomie ou astrologie (ce qui, à l'époque, ne se distinguait pas...) Cette date serait aussi la jour du premier miracle de jésus aux noces de Cana – peut-être les siennes...

    ORIGINES

    Elles sont païennes, et latines, comme il se doit. Certains affirment en effet qu'à la fin des Saturnales, où tout était permis, les Romains tiraient au sort (à la fève) un condamné à mort que l'on traitait comme un roi, puis qu'on exécutait : on est bien peu de choses..

     

    TRADITIONS

    Les orthodoxes lancent une croix dans un fleuve russe ou roumain soigneusement glacé, où les jeunes gens téméraires la repêchent à la nage. En Grèce, même coutume parfois : la fête est appelée « apparition de Dieu », « Théophanie », d'où sont dérivés les prénoms de Tiphaine et Tiffany. C'est

    autrement plus revigorant qu'une simple fève dans une galette : on « tirer les rois » ; cette fève peut être une figurine de céramique ; ses collectionneurs s'appellent des « fabofiles »le détenteur de la fève choisit sa reine. Chaque fois que l'un des convives lève le coude, l'assemblée s'écrie « Le Roi boit ! » (ou « la Reine boit »). Et l'on garde une part « pour les pauvres », « pour le Bon Dieu », ou « pour la Vierge » - justement, cette galette coïncidait sous l'Ancien Régime avec la période des redevances féodales.... .

      Que diable disait [M. Fergus] en agitant ses gros sourcils noirs) vient-on nous parler des mages et de leurs présens, à propos d'un usage dont l'origine profane est si bien connue ? Qui est-ce qui ne sait pas que cette plaisanterie du Roi de la Fève nous vient des Romains, dont les enfans, pendant les saturnales, tiraient au sort à qui serait roi du festin ? Cet emploi de la fève, pour interroger le sort, remonte aux Grecs, qui se servaient de fèves pour l'élection de leurs magistrats. Étienne de Jouy, L'hermite (tome V) termine ce récit en affirmant : — Je sais fort bien (répondis-je à mon savant en us) qu'on peut tout désenchanter à force d'érudition ; mais je vous avouerai que la lecture du mémoire le mieux fait sur l'origine du Roi de la Fève ne m'amusera jamais autant qu'une de ces fêtes de famille, devenues beaucoup trop rares aujourd'hui. »

    En Espagne, c'est plus souvent le jour de l'Epiphanie que les enfants reçoivent leurs cadeaux (en Amérique latine, « El Dia de los tres Magos »). Ne pas oublier que c'est la « Befania » et non le Père Noël qui distribue les friandises aux petits Italiens !

     

     



    SIGNIFICATION

    L'or de Melchior, l'Européen, représenterait la royauté du Christ (« le Nouveau Roi des Juifs »), l'encens de Gaspar, l'Asiatique, sa divinité, la myrrhe de Balthazar l'Africain, qui se récolte sous forme de suintement, la souffrance et la mort du Sauveur – on se servait aussi de myrrhe pour embaumer les momies... - et signifie d »e plus le don de prophétie. Nous pouvons aussi parler des trois Personnes de la Trinité, ou des trois âges de la vie (Melchior, barbu, est le plus âgé).

    Les protestants ont tendance à passer sous silence cette fête, peu conforme à la tradition biblique.

    BERNARD COLLIGNON FETES RELIGIEUSES 65

    LES FETES CHRETIENNES

     

     

     

    Quant à Benoît XVI, il a déclaré ceci : « La venue des Mages de l'orient à Bethléem pour adorer le Messie nouveau-né est le signe de la manifestation du Roi universel à tous les peuples et à tous les hommes qui cherchent la vérité''.

     

     

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    LES FETES CHRETIENNES

     

     

     

    LA CHANDELEUR

     

    DATE

    La Chandeleur : son nom vient du latin « festa candelorum » ou « fête des chandelles » (on les allumait à minuit). Ce jour, 40e après Noël, soit le 2 février (le 15 chez les orthodoxes) commémore la présentation au temple de l'enfant Jésus, et la Purification de la Vierge (après l'accouchement) (selon les prescriptions du Lévitique)

     

    Historique

    Comme toujours, nous pouvons retrouver des rites païens coïncidant plus ou moins avec cette date : Brigid, génitrice des dieux celtes, se fêtait le 1er février par des processions aux flambeaux dans les champs. Le 2 février, ce fut aussi en Europe la fête de l'Ours, où ce dernier sortait de son hivernage... ou rentrait se mettre à l'abri, comme un coucou suisse. On en profitait pour simuler des enlèvements (voire pis...) de jeunes filles... Certaines régions appelaient même ces réjouissances « chandelours », jusqu'au XVIIIe siècle !... Les Lupercales à Rome, pour la fécondité des troupeaux... et des hommes ; le 2 février, les Romains célébraient les Parentalia, qui s'achevaient par des veillées aux chandelles : on honorait Pluton, (« le Riche »), Dieu des morts, et son épouse Proserpine, fille de Cérès. St Gélase, pape (492-496), y substitue la Chandeleur, et fait distribuer des crêpes aux pèlerins qui se rendent à Rome. D'autres sources mentionnent Vigile (735-755) ou saint Serge (687-701)A partir de 1372, on célèbre aussi la Purification de Marie.

     

    Coutumes

    Puisque c'est le début des semailles, la farine qui reste de l'année précédente permet de confectionner des crêpes ! (« crispae » : « ondulées », en latin) Ce sont des tantimolles en Champagne, des vautes en Ardennes, des roussettes en Anjou, des crupets en Gascogne. Elles doivent retomber dans la poêle, surtout si l'on tient contre le manche une pièce d'or. Ou bien sur l'armoire – où elles doivent rester jusqu'à l'année suivante – mais pas toutes... Ce jour-là, les familles chrétiennes rangent la crèche, jusqu'à Noël...

    Quelques dictons :

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    LES FETES CHRETIENNES

     

     

     

    A la Chandeleur, l'hiver se meurt ou prend vigueur.

    A la Chandeleur, la neige est à sa hauteur (maximale) (au Québec)

    Rosée à la Chandeleur, l'hiver à sa dernière heure.



    Signification

    Les chandelles purifient le monde, et la présence du Christ l'illumine ! Il peut bien, par la même occasion, bénir les champs... Lumières et ténèbres, vie et mort, monde souterrain des graines, et des récoltes sous le soleil... tout se tient.

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    LES FETES CHRETIENNES

     





    LES RAMEAUX

    Généralités

    Lorsque Jésus fit son entrée à Jérusalem, sous les acclamations de la foule mais cinq jours avant sa crucifixion, il venait en pèlerinage au Temple, comme de nombreux Juifs à l'occasion de la Pâque ; et chacun agitait des palmes, ce qui n'est pas sans rappeler le rituel de souccoth : élévation du loulav (mêlés à une branche de palmier-dattier, du cédrat, du myrte et du saule).

    ORIGINE ET HISTOIRE

    A Jérusalem, on célébrait dès le IVe siècle l'entrée de Jésus dans la ville par une procession solennelle. Certaines représentations prouvent que cette fête fut célébrée tout au long du Moyen Age. Mais son véritable développement ne remonte qu'aux XVIe-XVIIe siècles. Depuis quelques années, Les Rameaux incluent également la célébration de la Passion du Christ, mais aussi... celle de la jeunesse.

    LITURGIE

    Le dimanche des Rameaux, les ornements liturgiques sont rouges. Cette couleur est le signe à la fois de la royauté de Jésus et de sa passion. La célébration comporte en effet deux parties : les Rameaux proprement dits, et la Passion (depuis la réforme de 1970, sous le pontificat de Paul VI). Le prêtre lit l'Evangile correspondant à l'entrée solennelle de Jésus à Jérusalem.



    COUTUMES

    La messe des Rameaux comporte un préalable : la bénédiction du buis, qui sous nos latitudes remplace les palmes. Mais ailleurs, d'autres rameaux sont utilisés : en Alsace et en Allemagne, du BERNARD COLLIGNON FETES RELIGIEUSES 69

    LES FETES CHRETIENNES







    buis mélangé de Katzenpfötchen (« papattes de chat », très duveteuses) ; en Pologneet en Russie, des branchettes de saule. L'Evangile de Jean (12,13) précise que c'était la coutume d'accueillir le triomphateur en agitant des palmes.

    Une procession, où chacun porte son rameau de buis béni, rappelle le triomphe (non militaire, celui-là) de Jésus. L'âne porte sur son dos une croix de poils bruns, depuis qu'il a porté le Christ... Dans le sud de l'Espagne, en Italie, au Portugal, en Corse, on trouve des palmes sans difficulté. Les Andalous suspendent des feuilles de palmier séché à leurs balcons : elles protègent contre les voleurs et les fantômes. Mais au nord de l'Espagne, ce sont des rameaux d'olivier que l 'on bénit. En Hollande, du houx. En Suède, une tradition antérieure au christianisme célébrait le renouveau végétal ; il ne fut pas difficile de l'intégrer aux coutumes chrétiennes. Un peu partout, les Rameaux sont appelés « pâques fleuries », en raison des nombreuse fleurs que l'on répand partout, comme jadis la foule sous les pieds de l'ânesse qui portait le Christ ! On dit en Corse que l'âne a cette croix depuis qu'il a été sanctifié en servant de monture au futur crucifié. En plus des rameaux de palmes, on porte aussi en Corse des rameaux d'olivier, signe de paix et d'abondance.

    Les buis bénits sont glissés derrière les crucifix dominant le lit des fidèles. On en place également sur les tombes. Et la combustion de ces rameaux, devenus secs, procure les cendres du Mercredi des Cendres, justement, qui est le premier jour du Carême.



    VOCABULAIRE DES RAMEAUX

    On appelle encore ce dimanche capitilavium, car c'était le jour où on lavait la tête des catéchumènes qui venaient tous ensemble demander la grâce du baptême, qu'on leur administrait le dimanche suivant : le jour de Pâques.

    BERNARD COLLIGNON FETES RELIGIEUSES 70

    LES FETES CHRETIENNES







    Le dimanche des Rameaux se dit en espagnol et en portugais Domingo de ramos, Domenica delle Palme en italien. En anglais, Palm Sunday, Willow, Yew, ou Blossom Sunday. Allemand : Palmsonntag. En néerlandais : Palmzondag. En danois et en norvégien : Palmsøndag, et Palmsöndagen en suédois. Niedzewa Palmowa en polonais (« dimanche des Palmes), Tsvenitas en bulgare (de tsvété, fleur).

    Revenons en France : «  Pâques à buis » en Picardie, « les Paumes » (« les palmes ») en Lorraine. En Limousin, les Rameaux s'appelaient Hozanne, Dimanche Ozannier ; aussi appelait-on « croix hosannière » la croix de carrefour et celle du cimetière, lorsqu'elle était ornée, puis en tout temps.

    SIGNIFICATION

    Le Christ fait son entrée sur un âne, pour annoncer la modestie de sa royauté, qui n'est pas de ce monde. Et chacun criait : « Hochannah ! De par ta Grâce, sauve-nous ! » Le nom de Jésus, apparenté à la même racine, signifie « le salut par Yahweh », « Yého - shouah », de « yash », « sauver ». "Seigneur, aujourd’hui commence la Semaine Sainte. Je ne veux pas que cette semaine ressemble à n’importe quelle autre semaine de l’année. Je ne veux pas demeurer indifférent aux mystères de ta passion et de ta mort. Ainsi je viens à toi dans la prière pour méditer et réfléchir sur ce qui s’est passé les derniers jours de ta vie sur terre. Chaque jour de cette semaine je veux prendre le temps pour contempler ces mystères. Aujourd’hui, dimanche des Rameaux, tu entres triomphalement à Jérusalem, accompagné des acclamations de la foule. Aide-moi en ces quelques minutes de prière à pénétrer plus profondément dans la signification de cette célébration."

    L'entrée des fidèles ce jour-là symbolise à l'avance la marche de l'humanité lorsqu'elle fera son entrée dans la Jérusalem ou dans le Paradis ; au choix : On ira tous au Paradis ou bien Oh when the Saints / Go marching in...

     

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    LES FETES CHRETIENNES

     





    P Â Q U E S



    GENERALITES

    Définition du dictionnaire de Furetière (1690) : Pasque : la plus solennelle des Festes qui se célèbre chez les Juifs en mémoire de leur délivrance de la captivité en Egypte, et chez les Chrestiens en mémoire de la résurrection du Sauveur. Pascha est un mot Hébreu qui signifie passage. On appelloit autefois dans l'Eglise « Pasques » toutes les festes solemnelles. On dit encore en Espagnol, Pascha de Navidade. » (d'où l'expression ¡ Felices Pascuas ! - Joyeux... Noël !) Les juifs parleront de la Pâque ; au Moyen Age, on utilisait aussi bien le singulier que le pluriel. Les orthodoxes préfèrent parler de « la Pâque ».



    PÂQUES CHRETIENNES ET PÂQUE JUIVE – GENERALITES

    La fête de Pâques marque la fin du Carême et célèbre la résurrection du Christ. La mort de Jésus étant célébrée le Vendredi Saint, et l'Evangile affirme qu'il est ressuscité le troisième jour, il s'agit donc du dimanche suivant, car les Romains, les Grecs et les Hébreux comptaient le premier jour. Certains affirment que la fête catholique de Pâques (le même jour que chez les protestants) serait décalée pour ne pas coïncider avec la Pâque orthodoxe, ni juive, cette dernière religion ayant de plus fourni le nom de cette fête de la Résurrection du Christ... laquelle se produisit durant la semaine de ladite Pâque. Il est vrai en effet que le concile de Nicée décida de calculer la date de Pâques de façon qu'une telle coïncidence fût le plus possible évitée...



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    LES FETES CHRETIENNES

     





    DATE

    Les Pâques chrétiennes se célèbrent donc le quatorzième jour de la lunaison de printemps (ou, si ce jour était un vendredi, au lendemain, samedi) (ou, de préférence, le dimanche qui suivait) (autrefois, la date de Pâques pouvait tomber un jour de semaine). Voici la formulation exacte : « Le dimanche qui suit la pleine lune venant après l'équinoxe de printemps » (fixé au 21 mars), soit entre le 22 mars et le 25 avril. » Le calcul de cette date s'appelle le « comput », à partir de la « lune de comput », qui n'est pas la nouvelle lune réelle, mais fictive, en rapport avec un calendrier lunaire perpétuel, d'où une variation minime. De nos jours, on se fonde sur l'épacte de l'année, qui est le quantième du mois lunaire à la date du 1er janvier, calculé à partir de la nouvelle lune (où cette dernière est entièrement invisible à l'œil nu.

    Mais Vatican II (reprenant en cela les conclusions du concile de Nicée en 325) ne s'opposerait pas à l'instauration d'une date fixe pour la fête de Pâques. De cette date dépendent également celles des fêtes « mobiles », Ascension, Pentecôte (cf. infra).

    L'Eglise d'Orient, séparée du catholicisme depuis l'an 1054, n'a pas accepté la réforme du pape Grégoire XIII en 1583 : le décalage atteint de une à cinq semaines avec les célébrations catholiques (le printemps orthodoxe commence début avril) – sans compter un second décalage de 4 ou 5 jours, les orthodoxes se fondant sur un calendrier lunaire devenu inexact. Nous fêterons cependant Pâques le même jour en 2011 et 2014.

    Le Vendredi Saint est férié aux USA et en Alsace-Moselle ; c'est ce que l'on appelle, en Allemagne et en Autriche, le Karfreitag.

    Autrefois, la fête de Pâques était célébrée toute la semaine.



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    LES FETES CHRETIENNES

     





    DATES A VENIR

    2011 24 4 2012 8 4 2013 31 3

    2014 20 4 2015 5 4 2016 27 4 2017 16 4

    2018 1 4 2019 21 4 2020 12 4 2021 4 4

    2022 17 4 2023 9 4 2024 31 3 2025 20 4

    2026 5 4 2027 28 4 2028 16 4 2029 1 4

    2030 21 4

    Pour finir : le lundi de Pâques, férié en France, n'a aucune signification religieuse.

    RESURRECTION

    Les chrétiens célèbrent, à Pâques, la résurrection de Jésus. Cela s'est passé aux environs de l'an 30, puisque nous avons appris plus haut que le Christ est né, selon toute vraisemblance, en 6 avant lui-même... Tous les croyants savent que Jésus fut livré aux Romains par le Sanhédrin ou Conseil des Juifs (qui ne l'ont donc pas tué eux -mêmes : la croix est un supplice romain ; des Juifs l'auraient lapidé) ; c'est le scepticisme de Ponce-Pilate (« Qu'est-ce que la vérité ? ») qui a permis sa crucifixion ; il semble que le gouverneur de Judée ait cédé aux pressions d'une certaine partie de la population – pour ne pas avoir d'histoires, dirions-nous. Ce qui est, juridiquement, impossible, compte tenu de la législation romaine.

    Certains affirment que plus tard, bourrelé de remords, Pilate se serait retiré au cœur de la Suisse, pour se précipiter dans le lac des Quatre-Cantons : le mont qui domine ledit lac s'appelle en effet « Mont Pilate ».

    Un très ancien culte célébrait la mort du dieu Atys (après autocastration), et sa résurrection le troisième jour au pied d'un pin, que les fidèles portaient en procession au sein d'une grande liesse au cours d'une grande fête appelée les « Hilaria ». Le dieu solaire Mithra est lui aussi ressuscité le BERNARD COLLIGNON FETES RELIGIEUSES 74

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    troisième jour. Les chrétiens assurent que de telles célébrations n'auraient été que de grossiers brouillons, ayant précédé la seule véritable révélation finale. Mais l'idée était dans l'air... Le Coran contient, pour sa part, cette sourate étrange célébrant la croix : « Ils [les Juifs] ne l'ont ni tué ni crucifié ; mais il le leur sembla ! Et ceux qui disputaient à son sujet sont eux-mêmes dans l'incertitude : ils n'en ont aucune connaissance certaine, ils ne font que suivre des conjectures, et ils ne l'ont certainement pas tué. » (Coran, IV.157). Ce passage a donné lieu à beaucoup de débats et de controverses entre chrétiens et musulmans.

    LITURGIE PASCALE

    Les ornements liturgiques sont blancs. Le temps pascal court du jour de Pâques à la veille du dimanche de la Trinité. Le Jeudi saint, premier jour du « triduum pascal », on dit la messe qui rappelle la Cène : ce soir-là fut instituée l'Eucharistie, reposant sur la transsubstantiation (le pain transformé en corps, le vin en sang du Christ) ; à cette occasion est rappelé le récit de la Pâque juive (Exode 12, 1-14)? Comme Jésus aurait lavé les pieds de ses disciples, le célébrant lave ceux de quelques-uns des fidèles, et le Pape ceux de ses hauts dignitaires (c'est le « lavement des pieds »). Le Vendredi Saint se déroule le Chemin de Croix, à trois heures après midi. Le samedi saint, chacun fait silence, et se recueille ; il est interdit de sonner les cloches, par conséquent, de célébrer quelque mariage ou baptême que ce soit. Et le soir, depuis Paul VI, commence la célébration de la Résurrection.

    Le cierge pascal est la présence vivante du Christ. Dans la cire est gravée une croix, mentionnant le millésime de l'année, portant un Alpha et un Oméga par-dessus et par-dessous la barre horizontale : « Je suis l'Alpha et l'Oméga », le commencement et la fin de toute chose.

    Le jour de Pâques, il est obligatoire de communier, depuis le 4e concile de Latran (1215) ; s'il y a un seul jour de l'année où l'on doit le faire, c'est en effet le jour de Pâques, à la messe. On dit que l'on « fait ses Pâques ». Il faut pour cela s'être confessé auparavant, et avoir reçu l'absolution d'un prêtre. BERNARD COLLIGNON FETES RELIGIEUSES 75

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    C'est aussi ce jour-là que le Pape, du haut de son balcon, bénit « la Ville [de Rome] et le Monde » (bénédiction Urbi et Orbi). Enfin, les catéchumènes (adultes demandant à recevoir le baptême) se font toujours baptiser à Pâques ; ils reçoivent aussi la Confirmation.

    VOCABULAIRE PASCAL

    Ne confondons pas, en français, la « semaine sainte », qui précède Pâques, à partir du dimanche des Rameaux (« Pâques fleuries »), et la semaine qui suit, dite « semaine de Pâques ». Le dimanche de Quasimodo est appelé « Pâques closes » : les premiers mots du premier chant de la messe en latin de ce jour-là sont « quasi modo geniti infantes – tels des enfants nouveau-nés... »



    En italien : Pasqua En néerlandais : Pasen En russe : Paschha

    En espagnol : Pascua En libanais : Fessa'h En basque : Pazko

    En portugais : Páscoa En roumain : Paşti En breton : Pask

    ...et le plus surprenant de tous, en arménien : Zadig, ce qui signifie « Résurrection ».

    Les noms anglais et allemand (Easter et Ostern) rappellent celui d'une déesse de la fécondité, mentionnée par Bède le Vénérable, « Ostara » ou « Eâstre », de la même famille que Ost / East / Est; la religion chrétienne a toujours préféré adapter les religions préexistantes au lieu de les nier ou de les combattre – du moins, à ses débuts...

    Pendant cette journée les orthodoxes se saluent par les mots : «  Christ est ressuscité ! » Христос васкрсе, (« Christos vaskrse ») et l'interlocuteur répond « Il est vraiment ressuscité ! » - Bаистину

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    васкрсе (pour les Grecs : « Χριστός Ανέστη ! » Christos anestè ! « Αληθώς Ανέστη ! » (Alithos anestè !)

    COUTUMES

    La Résurrection marque la fin du Carême (« Quadragesima ») (« de quarante jours »). On fabrique à cette occasion des agneaux en biscuit, on distribue des œufs ; en Grèce, où les réjouissances de Pâques dépassent celles de Noël, on mange l'agneau pascal, autrement plus riche en signification que notre dinde de Noël !

    LES ŒUFS DE PÂQUES

    Cette coutume des « œufs de Pâques » provient sans doute d'un culte de l'œuf antérieur à la religion chrétienne, et situé à l'équinoxe de printemps (précisons que s'il existait tant d'œufs à manger à Pâques, durs, nous l'espérons, c'est qu'il était interdit d'en consommer pendant tout le Carême (période de jeûne en ce qui concerne la viande et les œufs). On les ornait, on les peignait de toutes les façons. Il s'agit donc de célébrer la fécondité de la nature. Noter que l'œuf a également sa place sur la table du séder, lors de la Pâque juive, où il symbolise, cette fois, le deuil de la première destruction du Temple de Jérusalem, qui s'est produite le jour de Pessah. Les œufs peints s'offraient aussi en Egypte et en Perse antiques ; ce sont là des symboles universels parfaitement interprétables.

    Pour en revenir aux œufs de Pâques proprement dits, on ne les voit en France qu'à partir du XVIe siècle : il ne s'agit donc pas d'une survivance païenne. En Hongrie, les femmes et les fillettes peignent les œufs, qu'elles offriront le lundi de Pâques à celui qui les aura arrosées d'eau ou de parfum ; en Russie, on porte des œufs au cimetière sur les tombes de la famille.

    Ce n'est qu'au XVIIIe siècle qu'on eut l'idée de vider un œuf frais pour le remplir de chocolat... Mais dès Louis XIV, des œufs recouverts d'une feuille d'or étaient offerts à ses courtisans par le souverain lui-même ! Louis XV, quant à lui, offrit un gigantesque œuf de Pâques à sa maîtresse : il contenait une statue de Cupidon, dieu du désir... quelque chose de bien peu chrétien au BERNARD COLLIGNON FETES RELIGIEUSES 77

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    sens où on l'entendait alors ! Et chacun sait les prodiges accomplis par Fabergé à la cour des tsars: ses œufs sont de magnifiques œuvres d'art ! - le premier date de 1884, à l'occasion du mariage d'Alexandre III.



    LE LIEVRE DE PÂQUES (en allemand : die Osterhase)

    Quant au lapin, c'était à l'origine un lièvre. Nous trouvons des traces du culte du lièvre dès 3500 ans avant l'ère chrétienne ; il était sacrifié à la déesse du printemps Eostre, déesse-mère : c'est en effet un animal particulièrement prolifique ! On le rencontre à nouveau dans le courant du XVIe siècle, où il est censé garnir le jardin d'une quantité de petits œufs, que les enfants cherchent avec application dès leur réveil, au matin de Pâques. Les différentes couleurs des œufs s'expliquaient en fonction des herbes que le lièvre avait mangées la veille ! La couleur la plus anciennement connue est le rouge, symbole de l'énergie vitale, devenue celle du sang du Christ. Récupérations théologiques : la coquille est le corps ressuscité du Sauveur ; le blanc d'œuf en est l'âme et le jaune, la divinité...En Suisse, c'est le coucou qui cache les œufs ; en Westphalie (province allemande), le renard ! Et en Alsace, bien sûr, la cigogne.

    LE POISSON DE PÂQUES

    Les initiales du mot « poisson », en grec, peuvent signifier « Jésus, Fils de Dieu, Sauveur » : Hièssous, Théou Huyos, Sôtèr, ΙΧΘΥΣ, ichthus. Les chrétiens se reconnaissaient entre eux en échangeant ce signe ou mot de passe. Le signe de croix fut institué plus tard.



    L'AGNEAU DE PÂQUES

    En Alsace, l' « Osterlammele » ou « Lamala » est un biscuit en forme d'agneau. . L'agneau représente à la fois, bien entendu, celui de la Pâque juive, que les familles hébraïques sacrifièrent

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    avant de s'enfuir d'Egypte, et celui des Pâques chrétiennes : l'Agneau de Dieu représente l'innocence du Christ, sacrifié pour nos péchés : « Agneau de Dieu, qui enlèves les péchés du monde, aie pitié de nous. »  Sur le tableau de Van Eyck, visible (moyennant finances) à la cathédrale St-Bavon de Gand, le cœur de l'agneau mystique laisse jaillir son sang dans un calice d'or. Ce même sang permet la relation avec Dieu via le Christ : « C'est pourquoi Jésus aussi, pour sanctifier le peuple par son propre sang, a souffert hors de la porte. » (Hébreux 13, 12).

    LES CLOCHES DE PÂQUES

    • Les cloches ne doivent plus sonner, en signe de deuil, depuis le Vendredi saint à 15 heures (instant précis de la mort du Christ en croix) jusqu'au matin de Pâques, où les femmes constatèrent sa résurrection. Tant que le Christ est mort (visitant les Limbes), la clochette de l'office elle-même, qui retentit au moment de la consécration, est remplacée par une crécelle en bois. En Italie, on attache même le battant des cloches. D'après la tradition, elles sont allées à travers les airs à Rome, où le Pape les bénit, et en reviennent, munies d'une paire d'ailes, en carillonnant joyeusement, avec une profusion de cadeaux, là encore des œufs, véritables ou en chocolat.
    • A propos de cloches, on processionnait en Angleterre de maison en maison le lundi de Pâques pour soulever les jeunes filles, à trois reprises, sur un fauteuil garni de fleurs ; cela leur portait chance. Et le mardi, c'étaient les filles qui soulevaient les garçons !

    LE CIERGE DE PÂQUES

    Il est allumé ce jour-là, en tant que présence vivante du Christ dans l'Eglise (« Je suis la lumière et la vie ». Une croix est gravée dans la cire, avec les quatre chiffres de l'année, ainsi que la première lettre de l'alphabet grec (« alpha ») et sa dernière (« ôméga » ) : le Christ est le commencement et la fin « Je suis l'Alpha et l'Ôméga ».

     

     

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    PROVERBES DE PÂQUES

    Se faire poissonnier le jour de Pâques : s'engager dans une affaire, lorsqu'il n'y a plus aucun avantage à en espérer.

    Se faire brave comme un jour de Pâques : se parer comme en un jour de fête.

     

    SIGNIFICATION DE PÂQUES

    Il est pour le moins fâcheux, là encore, d'entendre uniquement parler de Pâques en termes de chocolat et autres frivolités. Les chrétiens, du moins les Français, seraient-ils donc les plus « profanisés » des peuples monothéistes ? nous serons bien toujours les fils de Voltaire et d'Emile Combes, héros que n'ont point subis les autres religions. Pas un seul livre de ce nom en notre langue pour expliquer aux enfants la pâque juive ou chrétienne, et pourtant, croyants ou pas, les jeunes Européens doivent connaître l'origine et le sens de ce mot, de cette fête, s'ils veulent pouvoir comprendre une crucifixion de Rembrandt, une pietà de Michel-Ange ou la Passion selon saint Mathieu de Bach.

    Le plus simple est de se référer à la Bible (Exode, 11) : Pâques fut à l'origine une fête des bergers nomades qui sacrifiaient un agneau en l'honneur de leur dieu. Nous avons vu plus haut que ce sacrifice commémorait le passage de la Mer Rouge à pied sec, tandis que les armées du pharaon s'y trouvaient englouties... La Pâque juive devint la plus importante des fêtes pour les Hébreux.

    La Pâque chrétienne célèbre la mort et la résurrection du Christ. De même que Moïse guida les Hébreux pour les sauver de l'esclavage, de même le sacrifice de Jésus, fils de Dieu, nous a-t-il racheté de l'esclavage de tous nos péchés. On emploie le pluriel, « Pâques », pour désigner la fête chrétienne, mais la Pâque juive a influencé son homologue chrétienne. Bien sûr, leurs dates respectives sont toujours proches, puisque les évènements de la vie du Christ (qui rappelons-le était juif...) auxquels cette fête se réfère se sont déroulés durant la semaine même de la Pâque juive (le 15 nissan, correspondant aux mois de mars et avril).

     

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    LA CENE

    C'est au cours du dernier repas du Christ que ce dernier institua l'Eucharistie (« action de grâces), à savoir la transformation effective (transsubstantiation) du pain en corps du Christ, et du vin en sang du Christ : « Pendant le repas, il prit du pain, et après avoir prononcé la bénédiction, il le rompit, le donna [à ses disciples] et dit «Prenez, ceci est mon corps ». Puis il prit une coupe, et après avoir rendu grâce, il la leur donna et ils en burent tous. Et il leur a dit : « Ceci est mon sang, le sang de l'alliance... » (Marc, XIV). Moins abruptement, les luthériens préfèrent parler de « présence du Christ dans l'ostie » ou « consubstantiation »).

     

    VALEUR DE LA COMMUNION

    Il s'agit de la confirmation sur le mode rituel du mystère de l'incarnation, sans lequel il n'y a pas de christianisme : est chrétien en effet celui qui croit fermement que le Christ, fils de Dieu,

    s'est incarné, afin de relier à tout jamais le ciel et la terre, rachetant ainsi le monde d'ici-bas en l'arrimant, en quelque sorte, au monde d'en-haut, au monde céleste, au monde de Dieu, où la mort est inconcevable. « Dieu se révèle comme celui qui a pris le parti de l’homme jusque dans le plus ignoble, du côté de ses échecs, de ses peurs, de ses angoisses et de sa mort. Un Dieu qui a vécu à l’extrême ce que chacun de nous peut vivre, et nous affirme que l’amour va au-delà de la mort. Un Dieu qui se révèle dans la mort sur une croix et dans l’inconcevable de la résurrection, (…) qui se révèle dans la toute puissance de l’amour. (…) L'idée même de résurrection rencontra les plus grands obstacles chez les premiers croyants, qui ne pouvait, justement, y croire.

    Pâques protestantes

    A Pâques, Dieu nous rencontre dans l’impossible... » nous dit Noémie Woodward, pasteur, depuis 2006, du Bocage Normand, et qui ajoute qu'elle préférerait quant à elle que le jeûne du Carême, au lieu de nous « préparer » à Pâques (auquel rien ne saurait nous « préparer ») serait mieux indiqué, « plus protestant », après cette fête, pour rappeler que rien ne peut s'accomplir sans la grâce de Dieu. Alain Joly, pasteur lui aussi, trouve qu'il est plus opportun de tenter l'évangélisation à Pâques plutôt qu'à Noël : «  A Noël, on s’agite dans les magasins. Dans le temps du carême, il y a une plus grande disponibilité d’ordre spirituel ».

    Noter l'initiative des Eglises réformées du Poitou, qui organisent avec les bénédictines de Pié-BERNARD COLLIGNON FETES RELIGIEUSES 81

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    Foulard, à Prailles, une marche de l’aube pascale : à 6 heures du matin, on marche en silence dans la nuit, on lit les Evangiles. De même, Pierre et Jean sont accourus au tombeau pour le trouver vide... Parvenus au monastère, tous, catholiques et protestants, se mettent à prier et à chanter « au moment même où la lumière du jour commence à emplir la chapelle. » Les baptêmes se font volontiers le jour de Pâques, puisqu'ils sont eux aussi une résurrection, un « passage » de la mort à la vie éternelle, vers où Christ nous montre la voie. « Nous devons garder ferme ce souci de l'accueil que nous avons déjà et avoir l'audace de partager avec tous cette bonne nouvelle qui nous fait vivre. Pasteur Robin Sautter.

    • Pasteur à Romont, Luc Ramoni rappelle que les protestants mettent plus en relief la fête de la résurrection que celle de la naissance, car la résurrection est l'espoir que tous les hommes un jour ressusciteront, au moins sur le plan spirituel. Les catholiques se focalisent plus sur les souffrances et la mort du Messie – à Romont existent des processions, avec pleureuses. Tandis que les Réformés ne voient plus le Christ sur la croix, où il n'est plus (les temples ne comportent pas non plus de « chemin de croix », et les protestants ne sauraient « processionner» ni déployer de fastes , ils ne reçoivent pas de « message » ni de « directives » de la part du pape. Le carême invoqué plus haut permet plutôt chez les protestants de participer à des actions humanitaires, en signe de communion.   « Nous voulons faire connaître le protestantisme et communiquer de façon positive sur son pluralisme, issu de notre esprit de liberté », affirme le pasteur réformé Jean-Yves Peter. « Nous voulons montrer » ajoute un autre « que nous sommes capables de travailler ensemble » (avec les catholiques). Luc Ramoni : « La foi est avant tout une démarche personnelle, il faut cesser de culpabiliser les croyants qui se sentiraient à leur aise dans une autre communauté que celle de leur origine.» Ce pasteur est un exemple parmi tant d'autres, car il n'existe aucune hiérarchie de type papal ! « Pour nous, Pâques, c’est tous les dimanches, la Pentecôte aussi » : la mission de l'Eglise n'est-elle pas de rappeler ce message de Pâques : « Par sa mort et sa résurrection, Jésus-Christ me rejoint et il me sauve. » L'Eglise réformée se veut essentiellement accueillante, comme on l'a si peut été avec elle.

    Ses cultes sont « joyeux et accueillants », « permettant à chacun d'approfondir ou de découvrir librement la foi. » « Oui », affirme le pasteur Sautter, «ayons l'audace de croire que nous pouvons aider notre prochain en témoignant de notre confiance en Dieu ! »

    Réformés et catholiques

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    Les propos ici recueillis pourraient faire croire que les réformés et les catholiques vivent sensiblement la fête de Pâques de la même façon. Mais les protestants accordent à cette célébration plus d'importance qu'à celle de Noël : car tous les hommes naissent ; or, seul le Christ a vaincu la mort, seul il est né pour la seconde fois, preuve pour le croyant qu'il est à jamais fils de Dieu, et promesse de résurrection pour tous les autres fils de Dieu que nous sommes... Jamais les Protestants ne s'attarderaient sur la représentation culpabilisante du chemin de croix : ce dernier n'est jamais représenté dans un temple. Et même, le plus souvent, la croix reste vide, car Christ n'y est plus, « il est avec nous » (Luc Ramoni)

    Nous avons voulu profiter de ce chapitre sur le sens de la fête de Pâques pour montrer que les Catholiques et les Protestants, quels qu'aient pu être jadis leurs affrontements, diffèrent essentiellement sur les accents qu'ils mettent plus volontiers, les uns ou les autres, sur tels ou tels aspects de la foi chrétienne, sur telles ou telles approches de Dieu. Mais tous, Protestants, catholiques, orthodoxes, se reconnaissent en la personne du Christ.

     

    CONCLUSION

    Assurément les évènements qui gravitent autour de la mort du Christ n'ont qu'une attestation historique assez problématique. Mais ce qui importe pour le chrétien, c'est la nouvelle signification accordée à la Pâque juive : l'ange qui « passe », qui « omet » les portes des juifs accorde la vie aux premiers-nés d'Israël ; or, alors que rien ou presque ne vient dans la Torah nous promettre une vie après la mort (les sadducéens, chez les Juifs, n'y croyaient pas), la résurrection du Christ nous garantit une vie éternelle, une Terre Promise... éternelle. La croix, instrument de supplice, devient ainsi la clef mystique ouvrant la porte de la survie individuelle. D'où le cantique : « Ave, crux, spes unica, Salut, croix, unique espérance. »

    Pour le croyant, Pâques nous fait passer de la mort à la vie, du désespoir et du néant à la pleine jouissance de la vie éternelle : nous déposons le poids de nos péchés (d'où la communion reçue ce jour-là) et nous entrerons au royaume de Dieu, [mourant] avec le Christ et [ressuscitant] avec lui comme le dit l'apôtre Paul. Pour ceux que cette croyance laisse dubitatif, mais qui ne renoncent pas à croire en la valeur profonde du message christique, le Christ, en esprit, restera BERNARD COLLIGNON FETES RELIGIEUSES 83

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    toujours en nous, vivant, jusqu'à la consommation des siècles. Ceci afin que nous ayons la volonté, afin que nous recevions la grâce de la transformation de notre vie spirituelle.

    Il est bien entendu tout à fait loisible de réinterpréter les survivances des rites préchrétiens dans le sens chrétien : l'œuf représenterait ainsi la vie nouvelle qui nous attendrait après notre résurrection... La signification de l'agneau se révèle particulièrement riche : le livre d'Isaïe (53, 5-7) nous assimile à un troupeau de brebis égarées, écrasées sous le poids des péchés : le fils d'Abraham, sur le point d'être sacrifié par son père, semblable à l'agneau qu'on mène à la boucherie. A une brebis muette devant ceux qui la tondent, n'a pas ouvert la bouche. Et ce sacrifice préfigure celui du Christ dans le Nouveau Testament. Le bélier que trouve Abraham devient l'Agneau de Dieu : « Le lendemain, [Jean-Baptiste] vit Jésus venir à lui et dit : « Voici l'Agneau de Dieu, qui ôte le péché du monde » (Jean, I, 29).

    Il n'est pas sans intérêt pour finir de mentionner une interprétation mystique de la fête dePâques, Jésus se délivrant enfin, par sa mort et sa résurrection, de la prison terrestre...

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    A S C E N S I O N

     

    GENERALITES

    Nombreux sont les personnages qui furent enlevés au ciel, comme Hercule, Romulus, Elie, ou Mahomet. Chez les chrétiens, poursuivant la chronologie du récit évangélique, l'Ascension célèbre la remontée du Christ aux cieux, d'où « il reviendra à la droite du Père pour juger les vivants et les morts ».Marc 16, 19

    Le Seigneur, après leur avoir parlé, fut enlevé au ciel, et il s'assit à la droite de Dieu. Voir aussi Luc 24, 50-53, dont le récit est plus complet « Etant donc réunis, ils l'interrogeaient ainsi : « Seigneur, est-ce maintenant , le temps où tu vas restaurer la royauté en Israël ? » Il leur répondit : « Il ne vous appartient pas de connaître les temps et moments que le Père a fixés de sa seule autorité. Mais vous allez recevoir une force, celle de l'Esprit Saint qui descendra sur vous. Vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et en Samarie, et jusqu'aux extrémités de la terre. » A ces mots, sous leurs regards, il s'éleva, et une nuée le déroba à leurs yeux. Et comme ils étaient là, les yeux fixés au ciel pendant qu'il s'en allait, voici que deux hommes vêtus de blanc se trouvèrent à leurs côtés ; ils leur dirent: "Hommes de Galilée, pourquoi restez-vous ainsi à regarder le ciel ? Celui qui vous a été enlevé, ce même Jésus, viendra comme cela, de la même manière dont vous l'avez vu s'en aller vers le ciel." Seuls ces Actes des Apôtres mentionnent la durée de 40 jours de présence supplémentaire de Jésus sur terre (I, 6) : C'est encore à eux qu'avec de nombreuses preuves il s'était présenté vivant après sa passion; pendant quarante jours, il leur était apparu et les avait entretenus du Royaume de Dieu. (Actes, I,3) Du fait que le jour de Pâques lui-même soit compté parmi les quarante jours, l'Ascension coïncide toujours avec un jeudi.

    La scène se serait déroulée à Béthanie. Quarante jours après Pâques, il annonce le retour de l'Esprit-Saint, troisième personne de la Sainte-Trinité. Le Christ servira si l'on peut dire de médiateur auprès de son Père, afin d'apaiser son éventuel courroux.

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    RITES Les ornements sacerdotaux sont de couleur blanche. Pour commémorer la disparition corporelle du Christ, on éteint le cierge allumé le jour de Pâques. Les fidèles chantent : « Tu as brisé la prison des Enfers, tu as délivré les captifs de leurs chaînes, et par un glorieux triomphe tu règnes en vainqueur à la droite de ton père. Que ta miséricorde se porte à guérir nos maux, et donne-nous de jouir de la bienheureuse clarté de ta face. Toi, notre guide vers les cieux, notre voie, sois l'objet de notre amour, sois notre joie dans les larmes, et la douce récompense dans notre vie. »

     

    Pourquoi une Ascension ? Le rapprochement avec celle du prophète Elie s'est souvent imposé aux exégètes : comme Elie cheminait avec son disciple Elisée, le premier lui demanda, s'il arrivait qu'il fût enlevé dans les cieux, ce qu'il pourrait léguer à son disciple. Elisée répondit : « Que me revienne une double part de ton esprit ! » Elie reprit alors : « Tu demandes une chose difficile ; si tu me vois pendant que je suis enlevé d'auprès de toi, cela arrivera ; sinon, cela n'arrivera pas. » Or, comme ils marchaient en conversant, voici qu'un char de feu et des chevaux de feu se mirent entre eux deux, et Elie monta au ciel dans le tourbillon. Elisée voyait et il criait : « Mon père ! Mon père ! Char d'Israël avec son attelage ! » puis il ne vit plus et, saisissant ses vêtements, il les déchira en deux. Il ramassa le manteau d'Elie, qui avait glissé, et revint se tenir sur la rive du Jourdain (II Rois, II, 1). Sur la Croix, le Christ l'a invoqué : lamma sabbacthani, pourquoi m'as-tu abandonné N Espérait-il qu'Elie descendrait sur son char pour le sauver de là ? Le symbole même du ciel ne peut être passé sous silence. Toutes les religions en font le séjour de Dieu ou des dieux (« Notre Père qui es aux cieux... »). Quand une personne meurt, son âme est supposée s'élever, ou gravir une haute montagne. L'Ascension du Christ est cependant exceptionnelle en ce sens qu'il est monté aux cieux après sa mort et sa résurrection, donc tout vivant... Située entre Pâques et la Pentecôte, entre la résurrection du Christ et l'effusion de l'Esprit Saint sur le groupe des 4apôtres, l'7Ascension ne peut être comprise qu'en lien avec ces deux événements.
    Si le Ressuscité a voulu apparaître à ceux qui l'avaient suivi et cru jusqu'au bout, c'est non seulement pour apaiser leur crainte que tout se soit achevé au sommet du Golgotha mais pour les

    encourager à transmettre son message, tout en étant sûrs de sa présence. Pas seulement en gardant le souvenir d'une vie et d'une parole qui pouvaient changer radicalement le sens de leur existence, mais en ayant la certitude que l'homme qui les avait appelés était, bien plus que l'envoyé de Dieu, BERNARD COLLIGNON FETES RELIGIEUSES 86

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    bien plus que le messager de Dieu, Dieu lui-même en la présence du Fils. L’Ascension nous rend plus présente, plus actuelle, la pensée du ciel : pensons-nous assez à notre demeure permanente ? Pour la plupart des chrétiens la vie dans le ciel n’est qu’un supplément – qu’ils se représentent très mal – de la vie terrestre. La vie dans le ciel serait en quelque sorte le post-scriptum, l’appendice d’un livre dont la vie terrestre serait le texte même. Mais c’est le contraire qui est vrai. Notre vie terrestre n’est que la préface du livre. La vie dans le ciel en sera le texte, et ce texte n’aura pas de fin. Pour employer une autre image, notre vie terrestre n’est qu’un tunnel, étroit et obscur – et très court – qui débouche dans un paysage magnifique et ensoleillé. Nous pensons trop à ce qu’est maintenant notre vie. Nous ne pensons pas assez à ce qu’elle sera. " Nulle oreille n’a entendu, nul œil n’a vu… ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment (Is 64,3) ". La présence du nuage indique bien le caractère symbolique de ce qu’on pourrait appeler l’aspect physique de l’Ascension. La nuée qui enveloppait le tabernacle et guidait Israël dans le désert constituait le signe visible de la présence divine. La disparition de Jésus dans un nuage n’est pas une imagerie grossière. Elle signifie que la fin de la vie terrestre de Notre-Seigneur a été l’absorption de son Corps glorifié dans le sein de Dieu.... Le ciel ? Qu'est-ce au juste ? Il n’y aurait rien de théologiquement impossible à ce que le ciel soit un " lieu ", transcendant notre espace empirique. Mais, en tout cas, le ciel est un état : un état de bonheur parfait. Ce bonheur consiste premièrement et essentiellement dans la vision de Dieu – la " vision béatifique " – et l’union intime avec les Personnes et la vie d’amour de la Sainte Trinité. La participation à la vie divine, source de toutes les perfections et de tous les bonheurs, est un océan de joie infinie. Secondairement nous trouverons en Dieu et auprès de Lui toutes les personnes et les choses dont il est le principe. Voilà ce que nous pouvons dire avec certitude du ciel – un mystère. Plus simplement, pensons à ce que peut être la vision constante de Notre-Seigneur, la vie auprès de lui, une vie pénétrée par la sienne et à jamais fixée dans la sienne. Les quarante derniers jours du Christ sur cette terre ont souvent été rapprochés des quarante jours précédant Pâques, jours de pénitence appelés Carême, mais aussi des quarante jours de jeûne du Christ au désert, des quarante ans d'errance du peuple juif dans le Sinaï. Sans oublier les « quarante jours et quarante nuits » du Déluge, ou les quarante années des glorieux règnes de David et de Salomon. Cependant l'Evangile de Luc ne mentionne pas cette période de quarante jours avant l'Ascension du Christ : ce dernier apparaît aux pèlerins d'Emmaüs et remonte aux cieux le soir même ou le lendemain. Notons que les disciples espéraient une restauration de l'indépendance d'Israël, au sens politique du terme. Or le Christ après sa résurrection n'a délivré aucun message BERNARD COLLIGNON FETES RELIGIEUSES 87

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    exceptionnel, qu'il soit politique ou spirituel, rien qui puisse en tout cas supporter la comparaison avec la richesse de sa prédication antérieure...

     

    Paroles protestantes

    Certains ne fêtent pas cet évènement, au nom d'un certain pragmatisme : pas plus qu'à la culture en effet, notre monde d'ici-bas ne semble apprécier les préceptes divins. Nous serions même quelque peu déchristianisés – bien que les guerres ou les rivalités économiques ne semblent pas avoir été moins virulentes en d'autres temps paraît-il plus chrétiens... Les Chrétiens ne sont qu'une minorité, le vrai Chrétien « un oiseau rare », disait Luther. C'est bien pourquoi le Christ serait retourné aux cieux :solidarité donc entre la terre et le Ciel, car sans ce dernier, nous ne pouvons rien faire. Appui secret certes, lueur bien voilée, mais c'est bien ainsi que le Christ apparut aux pèlerins d'Emmaüs : « Je ne prie pas seulement pour ceux qui sont là mais encore pour ceux qui accueilleront la Parole et croiront en moi» - c'est de nous qu'il s'agit, si isolés que nous puissions être. C'est à nous d'être les instruments de Dieu, car après l'Ascension viendra la Pentecôte, qui dispersera la parole de Dieu à travers le monde entier (...) Souvenons-nous du message oublié, la Bonne Nouvelle, et ne nous figurons pas que nous réinventons le monde... Notre foi, ancrée dans le passé, tend à toute force vers l'avenir, qui sera unité : « Que tous ils soient un comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi » dit le Christ - car il est si difficile de vivre en harmonie, même au sein d'un même pays, d'une même paroisse, d'une même famille. (…)

    Respectons le genre de vie auquel nous invite l'Ascension : l'effort vers une sagesse spirituelle dans une vie disciplinée, ennemie des excès, amie de la prière. Après l'Ascension de leur Maître, les disciples se sont retirés dans la chambre haute pour attendre le retour du Christ ; imitons-les, tenons-nous prêts pour le retour de Jésus. Plus austère peut-être, et plus recueilli, le Protestantisme délivre un message qui ne diffère pas, sur la plupart des points, des aspirations de la communauté catholique.

     

     

     

     

     

     

     

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    A S S O M P T I O N

    Elle suit la Dormition de la sainte Vierge, maman de Jésus, qui s'endormit entre les bras des anges et fut emportée vers les cieux ce jour-là, miraculeusement soustraite aux maltraitances de la décomposition corporelle. Les protestants n'y ajoutent pas foi, car elle ne figure pas dans les Saintes Ecritures.

    Sous l'Empire, le clergé, auteur par ailleurs d'un « Catéchisme Impérial », ne manquait pas de souligner que cette date, le 15 août, coïncidait avec la naissance de Napoléon, en 1769 ! c'était aussi comme il se doit la fête nationale. Quelle qu'en soit en tout cas la raison, les congés « de l'Ascension » et « du 15 août », agrémentés de ponts souvent transformés en aqueducs, ne sont pas près d'être universellement respectés...



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    PENTECOTE

     

    GENERALITES ET DATES

    Du grec classique Πεντηκοστή, le « Cinquantième » (jour) après Pâques, fête mobile donc, le 7e dimanche, soit 7 fois 7 jours, pour compter à l'ancienne, dix fois 24 heures s'étant écoulés depuis l'Ascension : dans un grand bruit de tous les vents, les apôtres virent sur eux descendre du ciel douze langues de feu , et chaque auditeur, présent sur la place, put les entendre prêcher dans sa propre langue : c'est le phénomène de « glossolalie », provoqué par l'Esprit Saint, véritable inversion et conjuration de la confusion des langues de la tour de Babel. La foule se trouva dans une grande stupéfaction : comment un tel phénomène avait-il pu se produire ? L'Evangile ainsi fut prêché à travers toute les nation, quels que fussent leurs langages, et les Apôtres en reçurent une irrésistible impulsion

    De même, le jour de Chavouoth, la communauté juive a-t-elle reçu le texte fondateur de sa religion, celui de la Torah, des mains mêmes de Moïse descendant le Sinaï. Jésus avait annoncé à ses disciples, le soir de la Cène, la venue du Saint-Esprit sous le nom de « paraclet » (« le Défenseur ») - les musulmans interprétant cette parole en faveur du Sceau du Prophète, « qui fera ressouvenir les croyants de tout ce qui a été annoncé par la Parole de Dieu ».

    La Pentecôte est particulièrement célébrée parmi certaines communautés charismatiques.

     

    LITURGIE

    Les ornements sacerdotaux sont rouges, pour symboliser le feu de l'amour divin que le Saint-Esprit est venu apporter dans les âmes. Les chrétiens chantent « Viens, Esprit Saint, remplis le cœur de tes fidèle, et embrase-les du feu de ton amour. » (Veni, creator Spiritus, mentes tuorum visita...) Les protestants y ajoutent des psaumes luthériens ; ils ont célébré la Pentecôte à Bercy en 2009, et l'immense salle est également retenue pour 2010 et 2011.

     

    LUNDI DE PENTECÔTE

    Jusqu'au concile “Vatican II”, le lundi de Pentecôte était une fête d'obligation au cours de laquelle l'Eglise catholique s'adressait aux nouveaux baptisés et confirmés. C'était un jour férié depuis une loi de 1886. Nous savons tous les débats enflammés dont il fut l'objet lorsque le BERNARD COLLIGNON FETES RELIGIEUSES 90

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    gouvernement français, dans son désir de gloire, voulut le supprimer en 2005 afin d'attribuer le bénéfice de cette journée, par l'opération du Saint-Esprit, à l'entretien des personnes âgées. L'opposition à cette mesure fut des plus extrêmes, en particulier à Nîmes, où la Feria se déroule le jour de la Pentecôte et le Lundi qui suit. La Feria de Pentecôte, à Nîmes, est une véritable fête de cinq jours : corridas, encierros (lâchers de taureaux dans les rues), déambulation sur les boulevards des troupes musicales appelées « penas », joutes sur les canaux des jardins de la Fontaine, défilé carnavalesque de la Pégoulade le mercredi soir... Des pétitions furent signées...

    Des rencontres écuméniques (à Taizé, Saône-et-Loire) où participaient de nombreuses communautés protestantes en particulier allemandes, sentirent également leur existence menacée par l'instauration de cette loi discutable. Heureusement, tout s'est résolu dans la plus grande souplesse...

     

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