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SIDOINE APOLLINAIRE I 61-72

  1. 44

V, 89-97-107

Nous refouillons du groin le texte au vers 84, lorsqu’un sanglier homérique vient s’encastrer dans la déclamation de l’Afrique : c’est le gibier par excellence, celui de l’épieu, qui permet le mieux la démonstration de force physique. Plus tard, le cerf, élancé, christique, détrônera ce monstre velu, bien digne ici de symboliser l’immonde Genséric, retranché dans sa bauge : avec ses boutoirs blancs, son visage noir, Le morceau de bravoure est inévitable. Dieu sait de quelle chaîne d’imitations il est issu, de quel pont-aux-ânes il est le schibboleth.

Rien ne manque : la meute des Romains qui aboie, en remuant la queue, qui le débusquent pour « se battre dans la plaine », tandis que la bête se gonfle d’orgueil superbit, mais dans ses buissons, le lâche ! Et hardiment, le traducteur se fend d’un « taïaut » pour nous rendre le « heia » de toutes les langues. Répondit l’écho. Les chiens se sont raffermis à la voix de leur maître Majorien, et tout est rentré dans l’ordre. Élève Apollinaire Ducobut, vous avez bien passé votre épreuve. Quant aux universitaires, ils n’ont pas manqué d’en faire tout un répertoire statistique. «  ..."alors la rage aveugle dédaigne de sentir les blessures..." - « poursuite »: ce mot désigne aussi le projecteur suivant sur scène l'acteur dans son faisceau. jute,balbutiement,maçons

Voici Majorien, empereur de l'ombre, "pourquoi remettre les combats ? Pourquoi redoutes-tu la mer, toi que si souvent le ciel même aide à triompher?" Reprends des forces, Majorien, dirige tes armées, repousse les avis contraires et les Vandales, accorde-toi l'estime qu'on te dispute. "Bien plus, ne possèdes-tu pas à présent », Rome, « un empereur éminent" – tibi princeps est nunc eximius "dont les siècles prophétiques proclament qu'il viendra pour la destruction de la Libye" : et tu débarqueras sur le Rivage des Syrtes et tu repousseras le Vandale ainsi que les tribus du désert, en cet isthme si mince du monde romain. ("Cette déclaration qui étonne dans la bouche de l' Afrique s'explique par le désir de Sidoine d'enchâsser dans son vers une célèbre expression virgilienne (Enéide, I, 22) – laissons à d’autres un peu d'érudition à glaner, et qui, le troisième, recevra de moi son nom ? Scipion l'Africain vainquit Hannibal à Zama (202), le Second détruisit Carthage (146), mais plus personne ne s’abaisserait à apprendre ces choses-là.

Majorien sera le troisième - prévu par les siècles des siècles - il aura tant œuvré, tant laboré, qu'il recevra nécessairement son dû, des mains mêmes du destin. Bélisaire, en 535, réalisera la prophétie, sous l’empereur Justinien. 80 ans d’erreur, Sidoine – qui ne trouve rien de mieux dans son panégyrique - moyennant finances et honneurs, "au pluriel, au pluriel !" - que d'emboucher l'ancienne trompette : rappel des nobles origines, exploits militaires (chaudron de noces en pleins champ glorieusement renversé), espoirs fondés sur cette nouvelle paire de biceps – en vain, bis. Empoisonné, le Majorien.

Deuxième fuite au galop de Sidoine, cette fois-ci, pour longtemps. Il compose chez lui des lettres, se baigne, se délasse et supervise ses domaines. "Voilà, Majorien, la récompense que le destin doit à tes travaux" – debent hoc fata labori. Aide-toi, le ciel t'aidera. C'est écrit, mais tu l'as fait quand même. "Pourquoi je désire le voir s'embarquer sur la flotte, entrer dans mes ports, tu enculeras mes truies (pauvres bêtes), pénétreras dans ma Ville » Carthage : ainsi s'affronteront nos deux vestiges - voir Carthage et mourir - « je vais, si tu permets, le dire brièvement, com-pen-di-eusement, dans l'ordre des évènements." Croisons les jambes sur nos sièges, aiguisons nos oreilles et notre entendement. Il y aura des plaies et des bosses, des chasses glorieuses, de hauts exploits sous de grands chefs, et quelque illustre commandement précurseur de celui-ci : chef des métèques au service de Rome complètement pourrie.

Pourquoi le souffle de Majorien gonfle-t-il ainsi sa cuirasse ? drapant dans sa ruine les lambeaux de sa pourpre autour de ses pieds plats. Remontons donc nos bretelles jusqu'au "grand-père de Majorien" : "On rapporte que son grand-père gouverna l'Illyricum et les marches du Danube, aux lieux où la martiale Acincus de Pannonie affirme sa puissance" : avant de passer par la note finale, étonnons-nous toujours de cette faculté de franchir tant d'escarpements albanais.

V 97/107 OUI

 

 

  1. 45 V, 107-115

Après les flatteries viennent les exploits, les "enfances", à la tête de l'armée de métèques dite "romaine". On raconte, fertur, V 107 les prouesses du grand-père : il s’empare de la forteresse d'Acincus : c'était Alt-Ofen,"connu par sa célèbre fabrique d'armes”. Ce fameux aïeul dirigea l'Illyricum : vaste territoire, à l’écart des circulations contemporaines. Ces antiques tardifs se vantaient de leurs si récents ancêtres, palmiers de bien plates racines.

L'Illyrie, la Pannonie sont de rudes contrées souvent infertiles, balayées par les queues des chevaux. Des ordres retentirent, les chevaux hennirent, et les éphémères humains s'empressèrent de s’affronter. Quelques clampins empanachés firent cortège vers Constantinople, côte après côte, sous le soleil et les averses. "On trouve consigné dans les fastes romains les actes de ce général, ses campagnes contre les habitants de la Scythie" – les Goths ? - "quand ses armées foulèrent l'Hypanis" – "l'Hypanis", c’est le Bug.

...Théodose, à l'époque où il prit à Sirmium le titre d'Auguste, eut un Majorien comme maître des deux milices, au moment de partir pour les régions orientales de l'Empire." Théodose, dernier empereur des deux moitiés à la fois de l'Empire. l'empereur Théodose, eut la brillante idée de séparer en deux l'empire de Rome, et l'autre non moins brillante de massacrer le peuple d'une ville à poil dans une arène, se trouvait donc à Sirmium soit Belgrade, alors exempte de Slaves. Dans cette ville promise à son brillant avenir, il prit le titre d'Auguste, qui n'évoque plus pour nous qu'un clown barbouillé qui déconne.

Théodose, sur le point de partir en orient, eut donc un Majorien, et non pas Majorien lui-même, comme maître des deux milices : fentes à seins, et cavaliers. -"On trouve consignées dans les fastes romains les actes de ce général" - "les fastes" ("romains » n'est pas dans le texte, mais nous devons toujours, nous autres barbares, nous faire préciser les choses) étaient les jours porte-chance, où se déroulaient les victoires de Rome. On y trouve combien de fois on a levé les trompettes contre "les habitants de la Scythie", V, 115. Puis nous reprenons pied dans le dérisoire,- "et que le vivandier lui-même, saluant les frimas" – salut, frimas ! comment va ? - "se rit en son cœur... des glaces de Peukè" - du grain à moudre – ils s’essuyaient d’un revers de main et riaient comme nous.

V, 107-115

 

  1. 46 (V, 114-115)

 

L"Hypanis, mais c'est un fleuve ! Si les armées le foulent, c'est qu'il est gelé ! Ô exploit ! Si le vivandier l'entame, c'est pour le faire fondre, qu'on puisse enfin boire, par Hercule ! Et ces touchants points de suspension, ne sont-ils pas là pour amener un bon jeu de mots ? .Peukè - n'est-ce pas là cette île au large du delta danubien, où il faisait bien froid dans la glace, "'mais pas tant toutefois qu'ici" ! Et notre vivandier de se marrer, de se tordre, de se boyauter ! moins cinquante, vous pouvez toujours bomber le torse avec vos moins quarante ! ...eh bien non, cette ponctuation annonce une coupure – à moins qu’un vers ici ne soit tombé, d'où ces points de suspension d'une lacune supposée…

...Il n'y avait donc pas de plaisanterie. Juste le rappel du froid et du chaud, que tout général se doit de supporter sans broncher. Le cercle des clichés antiques est tout aussi étroit que les nôtres.

(V, 114 – 115)

 

 

  1. 47

V, 116-125

 

Les vers 116 à 118, à première lecture, semblent obscurs : il est question d’un gendre, d'un triomphe militaire, et d'un ami que l'on aurait gagné : "Le père du souverain actuel fut le gendre, socerum, du précédent". C'était "un homme de valeur", comment pourrait-il en être autrement. Au siècle dernier encore, la vertu du père portait à l'indulgence les juges - « qui se contenta toujours d'une seule charge éminente", militaire s'entend, afin de suivre son seul ami", ou "un seul ami", tant le fractionnement entre plusieurs factions était fréquent. L'homme dont on parle est républicain, c’est-à-dire attaché à la "chose publique".

Honnête et droit. Il suit son ami, fût-ce dans "les circonstances douteuses" ou "les mauvais jours" - ainsi, pas de dilemme. Il refusa toute promotion, car on lui présenta les faisceaux, oblatis fascibus. Ce fut même la cour qui les lui offrit, « pour l'arracher à son cher Aétius," Mais il resta fidèle. Et c'est ainsi que croissait son prestige. V, 120. Nous n'avons plus ce sens de l'amitié. Un Danois nous le redisait en 64 de l'ancien style : et l'amitié n'avait rien à voir avec l'homosexualité, surtout en ces contextes officiellement très chrétiens. Cet ami, c'était Aétius, qu'il n'a pas trahi : "sa fidélité, insensible au prix, (pretio non capta) n'en devenait que plus précieuse" – bien plus concis et fort en latin, comme de coutume ! Notre homme rappelait Caton, chacun pouvait lire dans son patrimoine, et même, "gardait tant de modération que le bruit courait qu'il épargnait déjà les biens de son fils" : Latin, paysan, radin. il épargnait sur l’argent de ses enfants, tout en "administrant" les biens publics "en toute souveraineté". "Il était ce que fut autrefois le questeur pour les consuls" : celui qui distribue le pécuniaire aux troupes.

À l'origine en effet, le consul était suivi par son questeur : celui qui distribuait la solde. Cette fonction était alors totalement dévoyée ; les questeurs étaient remplacés par des personnes plus versées en comptabilité. Lui cependant traitait les deniers publics en fonction de sa loi morale particulière ou plus précisément "en toute souveraineté". Les pièces tintent au fond de la sacoche. Pourtant nous ne connaissons "ni le nom ni les fonctions exactes du père de Majorien"Tel était Majorien Senior Avoir un père honnête était un bon point. Nous punirions donc plus les fils de voyous ? ...que penser du fait que nous enquêtions toujours sur le milieu d'où sont issus les criminels ? L'opinion publique fait peut-être état de ces antécédents ; la justice ne le devrait pas - mais il résista, plus grand que ceux qui recevaient les honneurs - Major honoratis : deux mots pour le latin, 7 pour le français – "plus grand que ceux qui recevaient des honneurs", misère ! Cerveaux et cœurs identiques : Péguy opposant l'honneur aux honneurs ("au pluriel, au pluriel !") - or Aétius devait se faire trucider par l'empereur Valentinien III lui-même – ...ô vieux livres effrangés, affectionnés, que nous avions coutume de railler dans les mains de nos vieux maîtres... V, 116-125

.

 

  1. 48

V, 126-132

Mais voici qu'intervient la femme d'Aétius. Les clichés vont ici se heurter. Une sorcière se déchaîner. Pire, une Gothe, qui boit et qui pue l'oignon. Elle reproche à son homme, Valentinien III, de favoriser son valeureux fidèle au détriment de son détritus de fils : "Mais par malheur, sed forte, l'épouse du général, jalouse déjà, s'était aperçue que la réputation du jeune homme grandissait" – Majorien. Envahie par la bile » - au moins ! - elle avait distillé en son cœur de barbare (per barbara corda) un poison intérieur" – précisons : la femme d'Aétius est gothe d'origine ainsi que ma grand-mère - Jeuteborg à présent musulmane – femme et barbare, passions, déchaînements, rien à tirer de ces animaux-là. "Aussitôt elle observe toutes les fureurs du ciel, consulte les ombres et les constellations mises à contribution, manque le foie de crapaud bouilli et autres sensibleries.

Examine des "fibres" entendez les entrailles, afin de ravir à Dieu, oui, le Dieu des chrétiens, ses secrets, par tous les moyens. Maman j'ai peur. L'ensemble des combinaisons chiffratoires, aussi. bien que le zodiaque (l'interprétation du traducteur me semble un peu forcée : la science (des nombres) aurait amplement suffi). V, 130

Et la voici enfin, Mesdames et Messieurs, mane Damen und Spermien, la sempiternelle Médée, pétard délavé de carton-pâte (qui fait "ouh-ouh" sur son balai etc.) V, 132.

 

L'épisode suivant fait allusion à la fuite de Médée, qui découpe son petit frère par morceaux qu'elle jette derrière le char de son ravisseur, afin que son père soit retardé par cette pieuse collecte, et ne la rattrape plus. V, 126-132

 

  1. 49

"Telle la Colchidienne, Colchis, V, 133 - que va-t-elle faire ? ...se conformer à son cliché (seule Pina Bausch, dans ses ballets de notre millénaire, a su parfaitement représenter les hommes et les femmes, si démunis l'un et l'autre - mais nul n’écrivait cela) : Sidoine substitue aux connaissances absentes un beau vide éculé. "Elle parcourt l'astrologie, méditant sur les nombres, science suprême, garante de l'équilibre des astres au-dessus de nos têtes «  - car la mathématique règne dans les cieux, Poussière d'étoiles que nous sommes, pourquoi donc échapperions-nous aux lois d'attirance et de répulsion, fondés sur les mêmes équations ? - « ...interroge les morts, scrute les éclairs (fulmina rimatur), examine les entrailles, se réjouissant d'avoir ravi à Dieu son secret par tous les moyens" 132 que tout cela serait palpitant si nous n'avions mille fois lu ces affres de la divination ; l'homme d'alors adore les femmes investies de pouvoirs interdits… « Sur la poupe du vaisseau pélasge, se tenait farouche à côté de son mari terrifié" – Jason et Médée jamais ne furent mariés – voyez comme les Romains révèrent les terrifiantes, graves et sèches criminelles endurcies, près de Jason simple vainqueur de taureaux et de guerriers surnaturels : voulant s'adjoindre les secours de la magie, le voici lié aux puissances vaginales. Médée, "prête à jeter les lambeaux du corps d'Absyrte devant son père", 134 scelle son amour sur le fratricide, découpe son frère en morceaux, le "dépèce" comme disent les journaux, afin de retarder sa poursuite. Son père qui la pourchasse ensevelit les débris de son propre fils avec les honneurs qui lui sont dus : interminables rituels pour un bras, pour une jambe, sans rattraper jamais la meurtrière, prête "à commettre un crime plus impie que la mort de son frère assassiné : combattre avec son cadavre et employer comme traits (sibi tela // facit) les membres fraternels" jetés par morceaux d'un char au grand galop. ? 136 elle avait des dispositions, la sorcière. Nous ne comprenons pas le sentiment qui pousse les assassins à prendre une scie, une épée, pour trancher dans la chair humaine. "Telle la Colchidienne farouche", Sic torua (...) Colchis - la Colchidienne, c'est la sorcière. "employant comme des projectiles les membres de son frère ? A-t-elle jeté les morceaux de son frère depuis un navire, ou depuis un char ? Vérifions : elle ne le découpera que sur la terre ferme, à Tomis (ville signifiant "découpe"...)

Sidoine opère un savant brouillage. Il veut terroriser son auditoire, à qui assurément il en faut plus. C'est Jason, "mari" par les faits, qui sera terrorisé par son épouse. V 133/136

 

  1. 50 vv. V 136-139

C’est la chair que je vois, fragile, putréfiable - contagieuse... T'abaisserais-tu, homme indigne, à cette épouse au cœur de bourreau, aimerais-tu cette femme ? Jason traîné plus tard jusqu'au feu, qui le consumera. Éloignez de nous toute grandeur et toute épouvante. L'appartenance au sexe importe peu. Le berserk, l’amok d'amour, n'entraîne plus de tels démons. V, 136 La magie, assurément, a raison. Mais nul ne l'a démontré. Seulement, la Raison ne doit pas broyer tout le reste, car l'Irrationnel, acculé à ses millénaires, venime encore. L'épouse d'Aétius sera donc assimilée à qui donc ? Mais à Médée la magicienne, voyons ! ô pauvreté des références ! Ô similitude effroyable des films et romans ! Petit vieux, repenche-toi sur ces écrits fanés ; sous tes doigts naît la survie.

Au moins la Bible nous épargne-t-elle, autre message de profonde humanité, le détail des coups portés par Caïn. Le frère découpé, le père contemplant les débris de son fils et les faisant incinérer l’un après l’autre ! Mais Sidoine opère un retour en arrière : "Telle encore le jour où elle étouffa le feu lancé par les taureaux (ignem taurorum),136-137 bien qu'elle fût elle-même plus brûlante" : il nous manque ici, passés les ridicules balancés en pleine face, les parallèles de nos puissants anthropologues - « elle enveloppa de flammes gelées le héros tremblant et celui-ci, dit-on, grâce au philtre protecteur grelottait au milieu des bêtes embrasées".

Cet épisode m'avait émerveillé à dix ans, quand j'avais découvert dans ces "Contes et légendes", tirés de l'Antiquité, ce récit fantastique des taureaux soufflant le feu par les naseaux. Je lisais cela sur un lit, tout blanc. Devant ces légendes si contournées, si incroyables. Il n'y a pas plus aujourd'hui de barbarie qu'autrefois : mais la culture se mesure à présent à la proportion de populace qui s'instruit : il n'y en a pas plus que jadis, par l'excellente lapalissade que ces gens-là n'éprouvent nulle envie de connaître, ni de jouissance à profiter des arts, plastiques ou littéraires. V, 136-139 -"et le héros tremblant, grâce au philtre protecteur, grelottait au milieu des jeunes taureaux embrasés". V, 139

Médée ne lésine pas sur les moyens : flammes brûlantes transformées en flux glacés, tandis que le Héros, ridicule, tremblote. C'est un jouet, ce Jason. Quelle mouche l'a donc piqué d’aller ainsi subtiliser la toison d'or ? Nous n'avons plus à notre disposition que l'horreur telle quelle, et n'adorons plus l'irrémédiable divinité. Vains propos de remplissage. "Elle enveloppa de flammes gelées le héros tremblant – et celui-ci, dit-on, grâce au philtre protecteur, grelottait au milieu des bêtes embrasées." Flammes gelées" qui laissent froid, sans autre écho que leur cliquetis.

V, 136/139

  1. 51 V, 140- 146 Retour à la femme d’Aétius

"Donc, quand la femme d'Aétius, depuis longtemps impuissante à se dominer, animi dudum impatiens, eut appris que l'empire, et pour longtemps, était destiné à Majorien, ., à "ce type-là" dit le latin, elle pénétra, les bras déchirés, dans la chambre de son époux et laissa éclater sa fureur en ces termes" - le traducteur prend ici quelques libertés, rajoute "la femme d'Aétius", que nous avions oubliée . (les hystériques, ne font jamais dans la demi-mesure) " elle pénètre "la chambre" – bref : nous aurons droit à ces mugissements de furie qu'on leur attribue afin de se faire octroyer les pires choses, assassinats et autres.

La femme pousse en avant et reste à l’arrière. Sait mieux que nous ce qu'il faut faire mais ne fait rien. Laisse éclater sa fureur en ces termes" – faut-il que le débat en soit tombé là ?. Le public masculin sourit machistement : il y a bien longtemps que les hommes commandent. Le Christ a remis les femmes à leur place. Ce général n'est qu'un pleutre à l'ancienne, qui ne mérite que le plus plat mépris. Souvent naguère encore la femme excitait le mari à bander socialement, "c'est toi l'homme, et moi, ta femme, j'ai l'air de me soumettre à un mou du cul". Ici de même, nous lisons, sans la moindre pointe d’humour : "Sans soucis, tu reposes (iaces, tu gis), "oublieux des tiens, s'pèc'eud fainéant, et Majorien sera le souverain du monde" – enfin, ce qu'il en reste – "(ainsi l'exigent les destins)".

144 Ô démesure de l'hystérie ! ô exaspération ! (du grain à moudre aux machos) - lorsqu’une femme, incapable de gicler d'elle-même au premier rang, pousse à toute force son mari pour qu'il en prenne plein la poire, pour la gloire er pour ses bijoux ! "Les astres le proclament dans leurs constellations, Claman hoc sidera signis, 145 – pitoyable Aétius, qui sera poignardé de la propre maisn dit-on de Valentinien III, empereur d’opérette.

... Ici la femme se livrera aux pratiques magiques les plus effrénées - jusqu'où, dans les sphères huppées, les antiques superstitions n'infectaient-elles pas les narines ? ...ces destinées de Majorien, qu'il s'agit de connaître à l'avance, "les hommes [les] réclament dans leurs vœux, hoc homines votis. V, 140 ​/ 146

 

 

 

  1. 52

146-149

Elle s'interrompt : "Pourquoi évoquer les astres, quand l'amour lui a fait un destin plus beau ? 146 « un tout autre destin. Vox populi, vox Dei." L'amour des peuples. L'espoir du guerrier salvateur. Rien n'est plus beau que l'affection des peuples", assurément, la fin de phrase est ajoutée par le traducteur. Le peuple, si flatté aujourd'hui, ne possédait en ce temps nulle préoccupation politique. Peu lui important qui le gouvernait, pourvu qu'il pût vivre en paix, C'est pourquoi l'histoire des populations et de leurs mœurs, pour passionnantes qu'elles soient, ne doit pas se substituer à celle de la succession des princes et des héritages territoriaux. Infinie fluctuation des usages et des dynasties, tels doivent être les deux pôles de l'Histoire, immobiles par définition.

L'éditeur peut à présent se fendre d'un sous-titre, Les éminentes qualités de Majorien, dernier guerrier de Rome, venu trop tard, tué trop tôt (voilà que je sidonise...) :puisque cet intertitre apparaît dans nos marges. C'est Loyen, ignoré d'Anglade, qui l'affirme et le plante là comme un jalon. Attendons-nous aux tartines obligées sur les glorieux ancêtres, l'éducation forcément spartiate, le chaud et le froid, les premiers succès ; je plonge : "Bien qu'adolescent, il ne se montre jamais avide de posséder : est cupidus nunquam ; il est au contraire modéré dans ses désirs" – parcus : économe, comme son père. Sans doute était-il assez riche lui-même.

Je ne suis plus qu'un vieux qui a des manies.

146-149

 

 

  1. 53

149 - 151

Ses qualités restent d'un païen. Vertu bien chrétienne, bien romaine, mais peu conquérante. L'abondance des pourritures ecclésiastiques à venir chez le futur évêque se compense ici par une absence totale d'allusions à Dieu ou à l'Évangile dans tout ce qui précède, spécialement les panégyriques. L'empereur, chrétien pourtant, n'incarne pas les valeurs chrétiennes, mais ancestrales. Le christianisme n'est qu'un badigeon. Plus tard Sidoine s’y engluera. On accapare, mais c'est pour tout gratter : avare voulait dire aussi cupide. Le christianisme est passé par là, et se vautre depuis suffisamment de temps sur les cœurs pour les avoir modelés - « ...l'adolescence » : ne pas oublier que ce mot n'est pas chargé du respect sulfureux que nous lui attribuons de nos jours, en phase avec "branlette", "fragilité", "sensibilité". Il s'agit alors d'une pleine jeunesse, ardente, puérile encore, capricieuse dès qu'elle en voit un autre en possession de ce qu’elle n'a pas. "Encore pauvre, il distribue déjà des richesses". Il s'agirait donc chez le jeune Majorien du manque de cupidité personnelle, qui ne diminue en rien le désir de reconquérir, pour sa patrie ; "il ne se contente pas de conseiller de grandes entreprises, il s'y attache" – suadet consilia et sequitur. 150 Conseilleur et payeur. . Le mot "grandes" n'est pas dans le texte, monsieur Loyen fait ce qu’il peut.

Le chrétien Majorien, sans que le Christ soit mentionné, distribue ses biens aux pauvres et ne désirera pas le commandement pour les avantages matériels qu'on en peut tirer : grosses payes, beaux vases et blondes à gros seins : la largesse, largitio, sera toujours appréciée, au Moyen Âge, pourvu que ce ne soient pas sur les fonds d'État - quand exactement les hommes se sont-ils mis à blâmer le gaspillage clientéliste ? "Tout ce qu'il médite est haut, il accélère ce qu'il espère" : "Toutes ses pensées sont élevées – totum quod cogitat altum est. 150

Latin de basse espèce. Alternance peut-être de hauts et de bas, inversés dans la traduction ; "il presse la réalisation de ses espoirs", urget quod sperat – parallélisme des deux quod ! ô vanité des miens ! Brave petit jeune homme prometteur, brave condescendance envers le blanc bec prometteur ! - mais volonté, d'un bloc. D'une pièce, comme il convient à l'instrument du destin de tout temps. Pas d'atermoiements ; ni de glissement de la francisque à la rose… Flatter Majorien, c'est pour l'instant flatter Ricimer

 

La civilisation étouffe sous ces lieux communs. Habilement utilisés sans doute, pour un nouvel empereur qui n'hésitera pas à courir en tête de ses troupes, au lieu d'intriguer comme un scorpion au fond de son palais ; au fait, qui vit jamais Ricimer charger à cheval depuis qu'il tire les ficelles à Rome ? il était ami de Majorien, sous le commandement d'Aétius ; puis avec Majorien, il renversa Avitus. Et voici le drame : la gloire personnelle avant la patrie. Autre lieu commun… « Ricimer liquide les successeurs sitôt qu'ils prennent la moindre supériorité. "

V, 149 – 151, 66 09 09

  1. 54

 

V, 151 / 159

Nous poursuivons pour l'instant comme ceci : V, 151. : Ludum si forte retexam, « faut-il à nouveau décrire ses jeux ? » "S'il fallait retisser ses prouesses" - " "Faut-il à nouveau décrire ses jeux ?" - pitié ! Le traducteur Loyen introduit ici un mouvement factice absent de la phrase latine, mais correspondant bien au caractère rebattu, rabâché, d'une telle prétérition : il est de coutume en effet, ô combien, de relater les exploits d'une jeunesse nécessairement guerrière et sportive, depuis Héraklès ou Achille, jusqu’à l’empereur Majorien ou qui que ce soit. . .Sidoine Apollinaire se lance alors dans un sinueux rappel mythologique, par un tour de clown acrobate, sous forme d'énigme, Sans doute nous étalera-t-on des records de javelot ou d'exploits cynégétiques : « Une seule de ses journées a surclassé tous les exploits que l'on prête à ton javelot ». Ainsi des « enfances », plus tard, de Roland, Gargantua, et autres. Notre empereur aux increvables pectoraux se lance donc dans l'archerie :

« Trois flèches lui ont suffi pour faire trembler devant lui un serpent, un cerff, un sanglier. » Ce double « f » pour indiquer aux cuistres que les deux prononciations coexistent. Ces trois animaux renvoient sans doute à quelque allégorie symbolique : faudra-t-il dépouiller le Dictionnaire des symboles de Gheerbrandt ? « Moins habile à balancer ses traits contre l'ennemi fut celui... » - début de l'énigme. Il s'agit d'Alcon, sur lequel se déchaîneront tous les calembours. Plus fort que Guillaume Tell le Fictif. Il éprouva "plus" de crainte "que" l'enfant : serpentis corpore cincto. « voyant son fils enlacé par un serpent, éprouva plus de crainte que l'enfant, quand il courut à son secours, jusqu'au moment où, du même coup, il donna le trépas et la vie, » 155/157( une platitude traînait sur le bas-côté, Sidoine n'a pas manqué de la ramasser) «tenant ferme sa main, malgré son cœur tremblant » (et de deux).« Son inquiétude, » « mêlée d'un espoir grandissant, l'avait poussé à déployer toute sa science, pour ne donner la mort qu'à un seul des deux êtres dont les corps étaient confondus ». 157/158 – un tel exploit ne s'applique ordinairement qu'à des créatures mythologiques. L'exercice de flagornerie est obligatoire !

C’est donc à juste titre qu’il écrit "tout ce que l'on peut faire en un jour avec des traits" (flèches, javelots), "une seule de ses journées l'accomplit" ; Majorien, capable de viser si industrieusement, ne pourra qu’annoncer le desserrement des anneaux étouffants du Vandale. .. V, 160

 

  1. 55

V 160 / 164

Toutes les enfances de chef se ressemblent. Nous les lisons pourtant avec avidité, curieux d'apprendre à quel moment la destinée bifurque. Parfois le biographe manque de documents. Nul doute, par conséquent, que le jeune Majorien n'excellea au coup de poing ganté de plomb : libeat decernere cestu ? « Eryx le Sicilien s'efface » (le Marcel Cerdan d'époque) (puisque les futurs empereurs romains se détectent à la force du biceps) (plus coup de poing américain) (.(or le ceste avait été interdit depuis 500 ans) – et « Sparte ne vit pas fleurir pareille science aux temps où l'athlète frotté d'huile » (ils l'étaient tous) du gymnase de Thérapné terrassa Amycus sur les sables des Bébryces, suscitant son admiration ». V, 160 Nous aurons une idée de l'anachronisme en imaginant qu'on puisse, de nos jours, vanter l'excellence d'un président qui aurait si bien jouté pour jeter bas le cavalier adverse...

Attendons-nous donc, passé l'obligatoire boniment de foire, au reportage sportif de rigueur, gueule en sang et que le meilleur gagne. Eryx le Sicule éliminé, puis les Spartiates en vrac, fût-ce à leur apogée. Pollux casse la gueule à l'athlète Amycus en provoquant son admiration - V, 161/163 -

Sidoine était-il con ? Ou toute son époque ? ou les seuls milieux du pouvoir ? Furent-ils tous ainsi frottés d'ail militaire, tandis que de puérils ludions poétiques leurs torchaient le cul en suçant leur argent ? Me serais-je donc entiché d'un esprit frivole, nourri de sottises – "Quelle vigueur dans les jarrets !" s'exclame-t-il, dans les pieds, Loyen, foin de ce jarret qui sent le veau  Qui vigor in pedibus ! - plutôt le "jeu de jambes" des boxeurs.

Sidoine en effet ne sait rien. Il meuble. Il flagorne, il antiquise, il suit les modèles éculés - louer les jambes du Président ? À présent c'est d'Euryale qu'il s'agit, il n'y eut donc pas un athlète depuis Virgile, fallait-il sans cesse recourir aux vieilles peaux gonflées de muscles  ? V, 164

 

  1. 56

V 166 176

Comment peut-on extrapoler de la force physique à la capacité de soutenir un Empire ? Euryale dans l'Enéide prétendait-il à quelque gouvernement ? c'était le pédéraste de Nisus, tous deux périrent noblement.

Voici "Parthénopée, fils d'Atalante", championne de course, qui, dédaigneuse, avait même consenti à partir en retard, dont Sidoine rappelle l'exploit cent fois relaté, raccrochant ses wagons sans trêve : « elle parcourut d'un pied superbe » (je préfère « d'un pied léger, parce que cela se dit LÉVI PÉDÉ , ce qui vaudrait à présent deux procès) « l’aride forêt de Némée »("lui dont la mère, volant sur la poussière d'Étolie, avait fait frémir Hippomène", assez ! assez ! – pour "la jeune athlète" (la virago, dit le texte) cuisses au vent, « qui s’élance, légère, sous les yeux du public frémissant" – pitié ! pitié ! « effleurant à peine le sol du bout de son pied », V 171 quoi de plus beau qu'une femme qui court.

...Souvenirs de mes dix ans, quand les pères donnaient à leurs enfants, pour leur meubler l'esprit, Contes et légendes tirées de la myshologie, au lieu de les abandonner à leurs tablettes ! - hélas, les émerveillements n’ont pas survécu à l’enfance. Nous seront encore infligés les épisodes de ce conte, sans en omettre un seul détail

Comme il est facile de railler : il vient une grande modestie, une honte, elles aussi spectaculaires et cent fois attendues, rien de vivant dans ce spectaculaire, rien où batte le sang, que du vieux, du sage, du résigné. Après tout, ces auditeurs s'attendaient à de tels verbiages et couvraient de récompenses les dispensateurs de tels divertissements  - notre Hippomène, "se retournant tout pâle, vit qu'il n'avait derrière lui que la moitié du chemin", medium campum, "et que la distance était encore longue jusqu'au but". V, 172 - revois tes calculs camarade nous ne sommes pas ému - tout est rebattu

Pour nous, il nous faut ralentir au contraire, à partir du latin lui-même, bien plus épineux, impossible à rendre sans virtuosité :

. « Pressus », « serré de près par le souffle tout proche, flatuque propinquo, ici la fin du vers correspondant à la suspension du souffle, mystère, suspension, parenthèse, il courait maintenant plein d'angoisse dans l'ombre de son adversaire, lorsqu'au détour de la borne, au moment d'être dépassé, il brisa son élan en jetant par trois fois une pomme » - V 175/176 soit trois de suite, et non trois fois la même...

La belle se baissera, ramassera les fruits d'or, perdra la course. V, 168-176.

iam curreret anxius, in hostili umbra, "dans l'ombre de son adversaire" – celle qui le fera tuer s'il est tant soit peu dépassé. Rien de plus figuratif finalement, de plus évocateur, que cet homme courant dans l'ombre, sous la menace immédiate de la nuit mortelle. Nous voici soulagés, l'espoir rebondit en début de verre, le héros va trouver quelque chose : trois pommes d'or lâchées successivement sur la piste, pommes qu'il avait préparées, à tout hasard, dans sa large ceinture. V, 166/176

 

 

 

 

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  1. 57

LUMIÈRES, LUMIÈRES »

LOYEN « SIDOINE APOLLINAIRE ET L'ESPRIT PRÉCIEUX EN GAULE »

 

Sidoine Apollinaire et l'esprit précieux en Gaule  me parvint de l'étranger dans un état lamentable. C'est un fascicule des Belles-Lettres, « série de guerre » (1943). ...Imaginez  : la Chute de Rome, en 476, serait notre année 1976 (ancien style) ; nous serions donc, nous autres, en 520, plus ou moins dans les mêmes peurs, car aujourd'hui, comme toujours, l'Empire s'écroule. Quant aux grands propriétaires lettrés, issus de la noblesse et ne frayant que peu avec les basse couches, aussi longtemps qu'on ne viole pas leurs arpents, ils composent des vers. En pagaïe et à grandes brassées, à grand renfort de plagiats et de citations.

En imitant outrageusement les anciens, car bien sûr plus rien de bon ne pouvait naître. Ou bien sous forme de petits jeux de salons, niveau versiculets sans conséquence. Ils s’entrecongratulent en louanges dithyrambiques : le collègue enfonçait Virgile et Homère, et s'il s'était mêlé d'écrire de l'histoire, c'est bien alors que Tacite en serait demeuré... tacite, jeu de mots ! Virgile en personne, qui n'a su composer à peu près – le pauvre ! - qu'en hexamètres dactyliques, n'était qu'un amateur. La moindre des politesses en revanche exige que l’on dénigre ses propres productions, « bagatelles » ou « jappements de chiots » ; et lorsqu'en toute modestie, en toute verecundia, l'on a reçu sa brouettée de compliments, il est du dernier chic de se récrier : « Il ne fallait pas ! » Aussi chercherions-nous en vain une once de sincérité, de confidence intime.

Dans l'effondrement de l'Empire, il est sidérant de voir ce ramassis de singes savants rivaliser de contorsions huppées tandis que la civilisation croule, que s'affrontent les armées de Barbares :

« et les poétaillons entassent leurs vétilles ».

 

  1. 58

Les plumitifs latins illustrent cette décadence, en pratiquant leurs petits jeux versifiés - Sidoine pourtant, dans ses vers, livre parfois des renseignements précieux, au bon sens du terme. Par la suite, il adopte la seule attitude possible pour un aristocrate : afficher ses convictions chrétiennes (rappelons que les Barbares sont déjà christianisés, sans croire toutefois à la divinité du Christ), puis accéder à l’épiscopat. Meilleur moyen de maintenir son rang social. C'est alors chez Sidoine un déferlement de mauvais goût dans ses écrits, où toutes les figures bibliques dansent un gélatineux sabbat en compagnie de tout l'Olympe. Les fausses modesties d'artiste laissent place aux pires clichés masochistes de repentir et d'adulation, dont le très diarrhéique Augustin

avait déjà fourni le répugnant modèle.

Et ce sont les textes de Sidoine qui transmirent à travers siècles, jusqu'à Chateaubriand, jusqu'à un Huysmans, leur potentiel d'admiration. Même les textes administratifs de Clovis se vautrent alors dans le galimatias, où le choix des mots se trouve systématiquement le plus opposé à leur sens premier, tandis que le peuple, qui ne lit plus, qui n'écrit plus, comme tous les peuples de toutes les époques, sombre dans la langue la plus abâtardie.

Pourtant nous avons sur le tard adoré, de Sidoine, ces coruscations, ces heurts de syllabes, ces beaux balancements ; jamais ne me lasse, en dépit des meuglements de notre temps, de faire bruire sur mes lèvres les éclats de ces vieilles orfèvreries explosées de la syntaxe...

R.59

Jungle, salmigondis de références et de clichés. Les philosophes ne sont plus connus que par un bon mot ou un tic, ne sont plus lus que par l'intermédiaire de résumés ; les descriptions abondent, surchargées de couleurs rose et or, les femmes de la mythologie ressemblent avant l'heure à des sapins de Noël, on n'a plus rien à se dire et les Latins se sont épuisés à ressasser Orphée, Médée, Scipion vainqueur d'Hannibal et autres passages du Rhin par César. La poésie précieuse est devenue un embrouillamini de métaphores filées comme des perles, un condensé de tout ce que le goût peut produire de plus boursouflé.

« Il offre à son lecteur » poursuit Loyen André « un décor de féerie – non sans le ramener sur terre par l'évocation réaliste des bruits de la route et du fleuve : entre lesquels s'élève l'édifice : «Des incrustations de marbre aux reflets variés courent sur la voûte, » - tougoudoup, tougoudoup, « tracent leurs dessins chatoyants sur les vitraux d'émeraude – on ronfle. Sur la façade s'appuie le triple portique d'un atrium, fier – fier, il est fier le portique - de son marbre d'Aquitaine (…) « D'un côté, c'est le bruit de la route, de l'autre, le vacarme de la Saône – le vacarme de la Saône ! - [où] le chœur des bateliers lève vers le Christ » ça faisait longtemps « son refrain de marinier, tandis que les rives lui répondent alléluia » - répondit l'écho  - c'en est au point où même la note 11 fait figure de halte reposoir : « (...) Il s'agit de la cathédrale Saint-Jean, à Lyon, où des fouilles récentes ont fait retrouver sous le chœur les restes d'une église gallo-romaine. »

 

  1. 60

 

« Epistula » n'est pas la question angoissée de la maîtresse de maison surprenant un de ses amants lâchement soulagé derrière un radiateur, mais un mot latino-grec signifiant « lettre ». « Ep. II, 10, 1. voir le résumé substantiel du rapport de Wuilleumier-Cornabœufs de Saint-Broutard à l'Acad. des Inscript. et Belles-Lettres le 21 fév. 1936, p. 47 et s.) ; sur le plan de l'église, malgré ses entortillis, notre Sidoine constitue un témoignage valable du point de vue archéologique.

Il s'agit aussi d'inscriptions chargées d'orner plaques, objets, bibelots et autres. De façon rigolote et astucieuse, car la poésie, n'est-ce pas, est un jeu, merci J.R., qui nous a fait chier entassés à 38 deux heures de file dans une salle de classe. « On trouve chez [Sidoine] des inscriptions destinées à accueillir le visiteur à l'entrée de la piscine ou des bains d'Avitacus, » - aujourd'hui Aydat, dans le Puy-de-Dôme et défiguré par les pavillons de vacances, « des invitations à dîner, des billets accompagnant un cadeau. »

 

« Toutes ces petites choses » convient le commentateur « tirent leur valeur de la manière parfois exquise avec laquelle un sentiment vrai est mis en relief, ou encore d'une pointe finale, d'un jeu de mots plaisant, d'une malice gentiment amenée : « La nuit dernière a attaché quatre poissons à mes hameçons ; j'en ai gardé deux, accepte les deux autres/ Ceux que je t'envoie sont les plus gros et rien n'est plus naturel : n'as-tu pas la plus grande part de mon cœur ? » - goût de chiottes.

Ou encore : « C. XXI » Viens avec ta femme, hâtez-vous tous les deux, mais l'an prochain... vous viendrez trois : c'est mon vœu. » - nous sommes atterrés. « L'œuvre de Sidoine », poursuit le courageux Loyen, « n'offre qu'un exemple d'épigramme galante : cette éclipse du genre est révélatrice de la situation faite à la femme » (fermée du haut, ouverte en bas) « dans la société du Ve siècle. » ; la cuisine, le hidjab, et c'est tout. Voici donc une vision gracieuse :

Bienheureux le métal qu'enferme l'éclat du métal et (caressant) la bouche de votre Majesté, plus éclatante encore, car lorsque Elle daigne y plonger les lèvres, c'est son visage qui communique à l'argent sa pureté » - le français ne rend que très imparfaitement la magnificence de ce rond-de-jambe ; nous avons apporté quelques adoucissements euphoniques à la traduction de Loyen. Ailleurs, « le déséquilibre initial entre le sujet traité : un incident de la vie quotidienne et l'étendue du poème (...) est masqué (du moins on s'y efforce) par le développement de brillants lieux communs (...). « Lambeaux de pourpre » disait Horace « faits pour resplendir au loin » : le bois sacré et l'autel de Diane, (…) l'arbre décoratif autour duquel s'équilibre un tableau - (…) « décor de bergerie ou » de « mythologie »etc. Euric, royal époux de Ragnahilde avait assassiné son frère pour parvenir au pouvoir, et occupait l'Auvergne: plus très regardant, notre Sidoine…

 

  1. 61

Le chapitre IV se poursuit comme ceci : « On peut regretter que Sidoine n'ait pas limité son activité poétique à ces jolis bibelots. Il se trouvait, hélas ! à l'étroit dans le cadre resserré de l' « épigramme ». Sa faconde naturelle, le goût de son époque l'entraînaient vers les développements plus amples et son ambition vers la « grande poésie ». » Notre commentateur a de l'humour, non dépourvu d'une certaine tendresse : « Si l'on reprochait à mon poème dit Sidoine d'être trop long et de dépasser les limites de « l'épigramme », on prouverait clairement par là qu'on n'a lu ni les Bains d'Etruscus, ni l' Hercule de Sorrente, ni la Chevelure d'Earinus, ni le Tibur de Vopiscus, ni aucune des Sylvettes de Stace, mon préféré - mis à part que Sidoine est à Stace ce que Dubosc est à Bedos, Stace lui-même étant à Horace ce que Bedos est à Beaumarchais, s'il en rester encore pour savoir de quoi je parle. « Ainsi, » (reprenons notre fascicule) « entre l'école de Catulle et celle de Stace, Sidoine choisit-il la dernière. Il s'autorise du précédent des Sylves » - « pour consacrer lui aussi de longues pièces, écrites dans le mètre de l'épopée, l'hexamètre dactylique, aux menus sujets de la poésie de circonstance.»...

Nous vous renvoyons à votre Sidoine Apollinaire et l'esprit précieux en Gaule de chevet, par André Loyen, en 1943 maître de conférences à la faculté des lettres de Rennes, car nul n'est parfait. Rennes a supprimé sa chaire de grec : elle a sans doute’ supprimé celle de latin. Bientôt la littérature française

pas de vers dûment répertorié

FIN DE « L'ESPRIT PRÉCIEUX en Gaule »

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  1. 62 v. 177/184

Nous rejoignons le texte en V, 177 - cinq vers à présent touffus comme des taillis : "Qui voit à cheval Majorien méprise le fils de Léda » V 177- d'abord, "Majorien" ne figure pas dans le texte, le nom propre n'apparaît pas. Coups de menton, louanges fanées, Castor je m'en fous, « et le jeune héros aimé de Sthénébée » : Bellérophon. Quant au "fils de Léda", c'est Castor, vous alliez le dire. V 178 « Le jeune héros aimé de Sthénébée » : Bellérophon, tueur de monstres, dompteur du « cheval ailé", plus exactement « empenné » - Pégase, vous l’aviez sur le bout de la langue.

...Ancêtre de St Georges et de saint Michel qui écrasèrent leurs dragons respectifs. Bellérophon « triompha, dit-on, de la chimère de Lycie, supprimant d'un seul coup trois existences. » V 180 / 181 la Chimère était chèvre, lion, et serpent par la queue. « Si les destins t'avaient fait naître alors, intrépide Majorien, Maioriane ferox ! Pourvu de toutes les qualités d'une bête, fera ! -il ne s'agit que d'exterminer le plus d'ennemis possibles  - «  tu n'aurais pas permis que Castor connût les rênes" (de cheval), et ne lui eusses pas même accordé la grâce de l'apprentissage, "Pollux le ceste" ("Castor et Pollux, le retour") - en ces vitrines arides hantées de carton-pâte. "Tu aurais ridiculisé les trophées de Bellérophon" - "Le scalp de la Chimère" - beau titre) – c'était me dit sainte Wikipédie le fils de Glaucos et le petit-fils de Sisyphe, lequel engendra tous les Atrides. V, 177-184

XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXR. 63

Les auditeurs lyonnais et autres sourient d'un air entendu. Rites, mythes, gestes. Ces embouteillages mythiques annoncent les nôtres, encombrés de Démocratie, d'Égalité des Chances et de Communauté internationale, chimères de nos logorrhées. Ces grands noms antiques ridés jusqu’à la moelle, tissés d'inextricables liens de parenté, n'étaient-ils pas aussi riches en résonances, en sujets de dissertations, que nos fumées contemporaines ? Savons-nous de quels rêves seront hantés les cerveaux futurs ?

Ces panégyriques excessifs étaient passés dans les mœurs. Nul n'y prenait plus garde. Nous croyons encore en nos idoles ; un jour prochain nous n'y croirons plus : "Saisit-il le bouclier ? Il l'emporte sur le fils de Télamon" ( c’est le grand Ajax) qui défendit contre la torche d'Hector, contra Hectoris ignem – au milieu des vaisseaux grecs au sec sur la sable, la flotte même d'Ulysse, malgré sa perfidie". V 185 187

 

 

  1. 64 V 188 / 198

S'il est ma foi bien souhaité que Majorien puisse sauver l'empire en flammes, était-ce bien judicieux de rappeler la perfidie d'Ulysse ? Perfidie cependant incontournable. La préciosité remédie à sa fadeur par la surabondance. L'intempérance. L'avalanche. Quant aux emphases du traducteur (« Saisit-il un bouclier ? (... ) Veux-tu connaître sa maîtrise... ? »), elles sont d'aussi mauvais goût... ma foi, que Sidoine lui-même : « Veux-tu connaître sa maîtrise dans le lancer du javelot ? » Le poète se fendra d'une comparaison de plus, à l'avantage de Majorien bien sûr.  Ce passage est un embrouillamini de la plus belle espèce – on pense à autre chose en le lisant. C'est aussi vain ma foi que le 300e western. Ces allusions renvoient au chant onze de L'Enéide, que l'on n'étudie plus, car il est bien connu que Virgile a moins bien réussi ses passages guerriers. V, 188-191 - on s'entretue pour voir de quels agrégats nos corps sont composés, comme un premier pas de l’investigation, qui de la cellule à l'étoile expose le secret des matières pensantes. "C'est avec moins de force que » (Thésée) "perça de sa lance marathonienne Créon » ) - V 192 193 c'est bien de Créon, tonton d’Antigone, qu'il est question - curieux télescopage en vérité ; la légende n'y regardait pas de si près.

Grands hommes, à vous la gloire, à nous la graine. "C'est avec moins de vigueur", poursuit l'increvable Sidoine – j’agonise - "que la déesse vengeresse (…) brandit la foudre contre les Danéens" – la peste, sur l'armée grecque.de l’ Iliade, la boucle est bouclée...

Est-ce que Majorien n'était pas en train de plaisanter avec son entourage en attendant que le Panégyrique se passe, ou de sourire d'un air entendu, de même d'ailleurs que l'auteur - « c'est nul, mais ça se fait » ? V 194 195. Quant à la faculté de discerner le juste et l'injuste, je n'y crois pas - la culture, ni même la connaissance, ne garantissent pas une grande âme, ni la noblesse ou l’impartialité d’un jugement - images, images encore : le fils d'Oïlée », le petit Ajax, empalé sur les récifs et vomissant des flammes – splendide - consultant ces volumes c'est moi que je scrute, ce sont mes côtes que j'écarte - tandis que le public se racle un peu la gorge : Parva loquor, « Soyons brefs ».

V, 188-198

 

  1. 65

 

Que nous reste-t-il ? l'attitude. Et quelle attitude plus légitime, en temps de troubles, que l'érudition ou son semblant même ? « ...lorsque la Grèce eut sa nuit de Troie et un embrasement semblable » - je suis écrasé

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