Proullaud296

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  • ROSWITHA

    C O L L I G N O N

     

    R O S W I T H A

     

     

    Moi.

    Roswitha.

    68 ans. Murée dans mon passé.

    Condamnée.

     

    Certains de mes papiers portent mon nom : Stiers.

    Il n’est pas trop tard pour régler mes comptes. Je ne me suis fixé aucun but.

    Toute ma vie derrière moi. J’ai agi aussi absurdement dans mon ménage qu’Alexandre sur ses champs de bataille.

    (Ce débat ne m’intéresse plus).

    Veuve.

    Domicile Blumgasse 40, WIEN, 1er étage. La fenêtre de la cuisine donne droit sur la Brigitenauer qui mène au Pont du Nord, qui mène à Prague. La pièce éblouissante tremble au niveau des quatre voies de circulation surélevées. J’aime ce grondement continu. Ma circulation est parfaite.

    Je ne peux me défaire d’aucun souvenir. Leur valeur marchande est nulle. Au mur, une carte des capitales européennes où se fixent les reproductions en plastique des divers monument : j’ai conservé St-Paul de Londres, l’Escorial et le Hradschin. Mon lit a des colonnes torses.

    Je me n’ennuie jamais.

    Je possède des étagères et des Figürchenmöbel (meubles à bibelots) surchargés de poussière. J’essuie deux statuettes nues, l’une en position fœtale, l’autre sur le flanc, « offerte », comme ils disent : de mon doigt recouvert de tissu, je suis les plis des figurines, aines, seins, nombril.

    À 68 ans tout continue : j’évolue et me questionne ; ce n’est pas du tout ce repos, cette résignation que j’avais imaginée. On m’a menti : les humains ne sont pas tous semblables.

    II

     

    Je n’ai commencé à vivre que fort tard, après le mort de mon mari, c’est-à-dire après son départ avec Annette, qui l’a nettoyé en dix-huit mois.

    À son retour, je l’ai vu dormir, dormir, dormir : devant la télévision, au lit, le matin jusqu’à dix heures, l’après-midi de deux à quatre, jusqu’à cinq en été.

    ...Lorsque mon père se penchait sur moi pour m’embrasser dans mon lit, sans qu’il y prît garde ma vue plongeait par le décolleté de sa chemise de nuit.

    À dix-huit ans, je suivais mon père.

    Diplomate, désœuvré, il m’emmenait partout. Nous sommes arrivés à Puigcerda par la route de Ripoll. En 1933, l’Espagne était encore calme, et mon père passait toutes mes fantaisies. Nous sommes descendus de nos mulets, le dos scié du cul aux omoplates. L’alcade en personne m’a soulevée de la bête pour me déposer, jambes raides, face au panorama.

    Après le dîner de fonction, j’ai entraîné mon père par le bras et nous avons tourné par les rues de Puigcerda, enroulées sur leur butte comme autour d’un sombrero.

    Le lendemain matin, je suis sortie sur la terrasse, il était déjà neuf heures, et les chasseurs tiraient dans la vallée.

     

    III

     

    Arrigo

    Je mens. Je m’appelle Arrigo Sartini et je mens. Mon âge est de 35 ans, j’étouffe, je veux me venger de tout et ma dignité est grande. Je vis avec Nastassia, depuis 60 mois que j‘ai comptés . Nastassia est la petite-fille de Roswitha.

     

    L’humanité : la tenir en réserve, comme du fumier pour les fraises, sans l’admettre à sa table – et qu’ils n’aillent pas faire, les hommes, d’une solitude, que j’ai choisie, une solitude imposée.

     

    IV

     

    Nastassia

    C’est la petite-fille de Roswitha. Troisième personnage de l’histoire.fuite,yatagan,boulevard Elle vit à Bordeaux, elle est folle, elle peint. Son langage est très littéraire, très fleuri, très ridicule. Non, je ne laisserai pas le lecteur se rendre compte par lui-même. Oui, je prends le lecteur pour un imbécile. Elle s’adresse aux personnages qu’elle a représentés sur ses toiles. Elle dit :

    « Accourez, fantômes bien-aimés. Fantômes éclatés, pulvérisés sur ces murs. Sur mes murs il y a des tentures. Des éclats de ma tête sur les tentures. Vous êtes dans la poussière que je respire.

    « En 1823, un homme, ici, s’est suicidé. Il s’est tiré dans la bouche. Son crâne s’est ouvert. Le revolver est tombé en tournant, sur ce guéridon nacré, au milieu des boucles et du sang.

    «  C’était mon ancêtre.

    «  J’aurai aussi des descendants. Des successeurs. Je profère à voix basse vos noms sacrés.

    «  Il y a celui qui me pousse, physiquement, aux épaules, et me force à sortir.

    «  Celui qui dérive, évanoui, nu, renversé, sur sa barque.

    «  À présent je suis toute à vous. Je vous ai constitués. Vous m’avez façonnée jusqu’à l’intérieur de mes paupières.

    «  Tenez-vous prêts. Nous ne sommes plus seuls. Plus jamais seuls. Je suis l’épouse d’ARRIGO.

    « Je resterai toujours avec vous. »

    Ici, Nastassia ajoute une phrase apprise :

    «  Je m’agripperai au cou de la dernière Girafe en peluche que mon père, le Para, veut m’arracher. »

    Puis :

     

    « Fantômes, voici : très loin, à l’est des Alpes, à Vienne, ROSWITHA nous appelle, ROSWITHA nous convoque. J’arrive. Nous arrivons, chargés de bombes. Pas un de nous ne manque à l’appel.

     

    V

     

    Retour à Roswitha (Vienne).

    Lettre à Nastassia, en allemand, anglais, et français :

    «  Liebe Nastassia !

    «  Komm Dū mein liebes Kind, komm !

    (« J’ai besoin de tes lèvres fraîches » : cette phrase a été raturée. )

    «  Here comes the plane

    « The hand that takes

    (« Voici l’avion / La main qui prend » - L. Anderson)

    « Nastassia, c’est moi qui t’ai élevée, moi ta grand-mère - deine Großmutter, et ta mère, Deine Mutter, traînait d’asile en asile.

    « Les souvenirs me font mal, c’est pourquoi, itaque, je ne veux plus que tu m’abandonnes.

    " Arrigo, Nastassia, ne m'abandonnez pas.

    " Songe à ma vengeance, qui est la tienne, souviens-toi de tes jeux sur la plage du lac, à Neusiedl.

    " Souviens-toi de tes dessins d'enfant, et du crayon toujours à retailler.

    " Le complot portera mon nom : R.O.S.W.I.T.H.A. Signé Roswitha"

     

    La vieille dame pense qu'ils règneraient tous les trois, NASTASSIA, ARRIGO, "et moi, tous trois indécelables et frappant partout, sur les despotes mous.

    " Post-scriptum : Emportez tout avec vous. Tout ce qui vous retient, afin de l'avoir à vos côtés, toujours présent, pour le combattre de toutes vos forces.

    "Nastassia, tu es partie à l'autre bout de l'Europe, au sud-ouest de la France, chez les Welsches. Tu t'es calfeutrée dans les tentures, tu t'es barricadée dans les toiles que tu as peintes : il ne faudra rien oublier. Je ne sais rien de cet Arrigo.

    Ta Grand-mère qui t'aime,

    Roswiha

     

    VI

     

    Nous revenons à Nastassia (Bordeaux). Elle peint, elle est folle, elle dit :

    "Fantômes - "

    ...encore !...

    "...dans la discipline, regagnez le bois lisse de vos cadres ; revenez dans vos propres portraits. Nous partons.

    "Derrière les tableaux que je décroche court une araignée. Arrigo, mon époux, court la ville afin de rassembler une montagne de papiers, documents, passeports.

    " Prenez place sur les toiles, dans les toiles, faceà face, ou dos àdos, car je ne verrai plus vos traits - et vous roulerez dans mon dos dans vos cercueils plats, cercueils vitaux, mon ventre, en épaisseur, à plat."

    Fin de citation.

    " J'en ferai d'autres ! j'en ferai d'autres ! Faro gli altri !" criait Francesca da Rimini en tapant sur son ventre, à la mort de ses fils.

    Arrigo répliqua :

    " Nastassia n'est pas seule à trancher des racines. A mon père mourant, je réserve au milieu de mon coeur une place de choix".

    Ils partirent.

     

    VII

     

    Roswitha (Vienne) pense :

    ...Ils sont en route.

    Chaque semaine, ma petite-fille, Nastassia la folle, me rendra visite. Elle feuillettera les journaux sur la table de nuit, il y aura "Hör Zu" ("Ecoute"), "Kurier", "die Krone".

    Elle s'assoira au bord du lit, étalera la revue sur la courtepointe. Arrigo, son époux, restera debout, il fera quelques pas dans la pièce. Il regardera pour la centième fois la carte au mur des capitales d'Europe. Il touchera un objet, s'informera de sa provenance, le soulèvera. Le replacera sur sa place de poussière.

    Je lui répondrai, il m'ennuiera, il sera correct.

    ...............................................................................................................................................

    " J'aurai appris du moins à ne plus geindre. il y a dix ans que je ne geins plus. C'est fort peu. Depuis la mort de mon mari très exactement, nettoyé en dix-huit mois par sa grue (von seiner Gimpelhure) ; vers la fin je l'ai vu dormir :le matin jusqu'à dix heures, l'après-midi de deux à quatre.

    " Cinq heures en été.

    " J'ai brûlé des kilos de jérémiades.

    " J'écris à Nastassia.

    Wien den 26. Juni 198*

    "Liebe Nastassia,

    " Heute bist Du 22 - vingt-deux ans - tu liras très agacée mais je revois cette petite fille de huit ans que j'avais emmenée sur le Neusiedlersee en 1962 - godu tu me parlais sans cesse tu réclamais à boire à manger, une balle, un crayon. J'acordais tout, j'étais ravie.

    " (...) et puis viens. KOMM.

     

    VIII

     

    ...et retorne l'estoire a reconter de Nastassia et de sa folle compaignie...

    Nastassia dit que des lambeaux de rêves resteront ici à tout jamais, qu'ils ont dit (les déménageurs) "N'en prenez que 40 !" - et que dos à dos, ventre à ventre, une fois de plus, en voyage, le Nu, la Bombe, la Fille au Couteau, l'Egorgé Nocturne et l'Homme de Théâtre, tous tableaux NOCTURNES sauf

    les Fils de l'Aube et

    le Trépané

    Le camion roule, roule, tous les cadres s'entrechoquent.

     

    Roswitha, femme deVieille, attendant sa petite-fille

     

    Sie sagt:

    "Dieu merci, je suis parvenue à soixante-huit ans sans devoir porter de lunettes. Je mis sans fatigue. J'ai connu les exécutions, les pogroms. Je n'éprouve plus de plaisir, les mots croisés m'engourdissent sur le fauteuil, parmi le bienfaisant vacarme des automobiles.

    " Nous autres, les Habsbourg, nous n'avons pas cédé aux vertiges de l'épuration. Je peux recevoir sans encombre tel ex-secrétaire de Seyss-Inquart.

    « Le sang a séché – taches de vieillesse sur mes mains, nécrose des tissus.

    «  Il m’apporte, cet ex-secrétaire, de bien belles grilles à compléter.

    «  Il me laisse des exemplaires du Völkisches Blatt. Chacun peut le lire à la demande chez tous les restaurants du XIIIe arrondissement.  

    «  Cet homme s’appelle Martino.

    «  Martino voudrait que je distribue des tracts : « Toi qui connais bien Vienne... »

    «  J’en ai une pile sur la table. Mais, par ordre alphabétique, ça fait 11 900 rues.

    Au téléphone :

    « Non, Lieber Martino ; ce n’est pas parce que je suis « aryenne », comme vous dites… Passez me voir quand vous voudrez. »

    * * *

    Nastassia, petite-fille de Roswitha, peintre, folle, raconte

    C’est le trajet vers Vienne. Nastassia dit :

    « Depuis Genève, j’éprouve une peur sourde. Arrigo se tient près de moi, silencieux, les mains serrées sur le volant. Ses mains ressemblent à des serres. Il me dit : « Je pense à mon père, qui est en train de mourir ». Nous roulons vite. La voiture, surchargée, prend les virages trop larges, le ciel baisse, la nuit tombe. Rapidement c’est une muraille, grise, devant nous. Arrigo accélère :

    «  - C’est la neige. » Ses mains tremblent. Les flocons se jettent à l’horizontale. À droite, un talus qui s’abaisse, se relève, et se rabaisse, comme une ouate qu’on déchire. Je vois aussi du néon, nous avons quitté l’autoroute, je vois encore, des feux de position, qui s’enfoncent, qui se perdent – Arrigo se guide sur les ornières et se met à rire.

    «  Il s’arrête.

    «  Il descend courir tête basse vers les néons.

    « Sur le pare-brise la neige monte, grain à grain, s’édifie. Nuit noire, dix-sept heures Il reste une chambre !

    «  Au restaurant, sous le toit surchargé de neige, Arrigo s’épanouit, commande un menu d’une voix forte et décharnée, je ne l’ai jamais entendu mastiquer l’allemand de la sorte – avec des contractions de doigts, des trismes mandibulaires…

    «  Je devrai vivre dans cet hiver des mots. »

    «  Dehors, lever de tempête – ici les menus cartonnés, rouges, savonneux, les Mädchen couleur ketchup et bas blanc ». Le lendemain après l’amour ils ont tous les deux affronté la plaine blanche et crue, le ciel et le sol deux plaques d’amiante. La route a disparu, on roule au jugé sur la neige rase.

    «  Le terrain monte. Devant eux un camion-remorque contre-braque et zigzague à reculons.La remorque part en travers.

    « Zusmarshausen. Je ne sais pas prononcer ce nom. Arrigo se paie ma tête. Sapins. Moins seize. Ça dérape. Sur le plateau j’aperçois les premiers chasse-neige. Le premier gros sel gris.

    Nastassia appelle :

    « Arrigo ! Arrigo ! »

    Arrigo ne répond pas. Il pense en allemand.

    Le froid descend malgré le jour. Il ne neige plus. Nastassia se souvient confusément du chuintement du radiateur, sous les tentures du motel. Nastassia serre ses deux poings dans ses deux gants. À mesure que ses bronches se bloquent, elle entend près d’elle Arrigo respirer plus profondément, enfoui dans sa Germanie.

    Nastassia ferme les yeux.

    Ses cils brûlent. Elle tremble.

    - Kannitzferstehn – tu peux pas comprendre – une langue dure comme une lame, les joues d’Arrigo dures comme un rasoir.

    Le ciel gris.

    Le peu de jour qui est passé.

    À Salzbourg il est quinze heures. La lumière baisse. À l’abri, sous les portiques, un thermomètre indique – 18. Les douaniers se penchent :

    - Rien à déclarer ?

    Un officier ricane :

    « Französisch Bazaar ».

    Les deux doigts à la visière.

    Salzbourg se rapproche. Arrigo ne manifeste aucun étonnement . Un petit homme ouvre la portière. Il ressemble à Charlot, trait pour trait. Il baragouine avec conviction. Arrigo veut l’aider à porter les valises. Charlot refuse.

    « Nous sommes dans un palace.

    Le petit sexagénaire chaplinien gravit l’escalier en heurtant les valises qu’il dépose au seuil de la chambre en plein monologue.

    « Je vois des dorures, des plafonds immenses. Arrigo veut refermer la porte – le petit homme est toujours là.

    - Vielleicht sol ich Ihnen etwas geben ? Peut-être dois-je vous donner quelque chose ?

    - Jawohl ! répond le petit homme avec solennité.

    ...Arrigo se jette sur le lit tout habillé :

    « Lis-moi du Claudel.

    - En allemand ?

    - En français.

    Le froid glisse sous les doubles-fenêtres. La neige s’est remise à tomber, et, dans la nuit, il tonne, des éclairs bavent entre les flocons.

    Nastassia, épouse d’ARRIGO, note ses impressions :

    « Nous sommes sortis dans les rues. Il fait si froid que nous devons alternativement

    «  fourrer une main dans une poche, frotter notre nez ; main droite, main gauche.

    « Nous contournons la cathédrale par le nord à travers une place glacée, l’orage vire « lentement, nous suivons une pente raide tout au long de la falaise.

    «  À même le roc de la Citadelle un panneau métallique aveuglé de néon :

    « E R O S C E N T E R »

    - C’est ça que tu veux visiter à Salzbourg ?

    «  Je sais qu’il va répondre : « Oui, les putes ».

    « Il répond : « Oui, les putes ».

    « Deux maisons à angle droit s’engagent sous les rocs. De grandes femmes tristes font des signes. « La plus âgée parle français. Arrigo disparaît au premier. On m’apporte des triangles de fromage

    « cuit, de marque « Edelweiss ». J’ai bien changé, oui, bien changé.

    « J’obtiens de l’eau. Je grimpe l’escalier sous les cris allemands – je suis poursuivie. Je «  pousse une porte, Arrigo est de dos, tout habillé. Je vois qu’il fume. Trois prostituées nues

    «prennent des poses qu’il leur indique en tudesque. La taulière est montée derrière moi. Arrigo se « retourne d’une pièce :

    - Je ne les touche pas.

    - Je ne t’ai rien demandé.

    « Il leur dit de s’embrasser. Elles s’embrassent/ D’écarter les jambes. Etc. La taulière dit : «Il a payé ». Je réponds : « Ça suffit ».

    Retour à l’hôtel. Le petit Charlot nous refuse l’entrée : « Il est déjà dix heures ». Nous lui donnons 25 öS.

    « Lis-moi du Claudel.

    « Dans le réfrigérateur nous trouvons du Sekt, des triangles « Edelweiss », du bourbon. « Du tokay. Arrigo me parle en dialecte, je fais observer qu’en Autriche on ne parle pas si raide. « Dans la salle d’eau la baignoire est verte et les parois vert et or. L’étroitesse de la « pièce donne au plafond une hauteur obsédante.

    « Nous prenons le dîner au rez-de-chaussée. Personne ne s’aperçoit que nous sommes « ivres.  

    « Clientèle polyglotte.

    « Un télégramme sur un plateau d’argent :

    « PÈRE DÉCÉDÉ »

    Nous remontons immédiatement dans notre chambre. Arrigo se montre fébrile :

    - Pas question de rebrousser chemin.

    « Il ajoute :

    - C’est un piège.

     

    « Sur-le-champ je dois improviser une oraison funèbre. Elle n’est jamais assez « élogieuse, jamais assez sobre…

    « J’ai connu le père d’Arrigo : un homme grand, ridé, qui parlait du nez. C’était un ostréiculteur. Ses seuls voyages : Marennes, Arcachon. Il entretint toute sa vie des polémiques avec « les savants ses confrères : allemands, hollandais, anglais. Des lettres d’insultes en toutes les « langues.

    - Retravaille la péroraison, dit Arrigo. Et puis, apprends l’allemand.

    - Hai dimenticato l’italiano ?

    - Je ne veux plus entendre cette langue de portefaix.

    - Je te traite de con, en français. »

    « Le discours est achevé/ Il reste du gin. Arrigo vomit dans la baignoire :

    - Pour ce prix-là on peut tout saloper.

    - Je ne suis pas d’accord.

    Le lendemain la note s’élève à öS 1200. Arrigo comprend 120. Grimace du caissier. Grimace « d’Arrigo en flagrant délit d’oubli de langue. Le caissier nous toise mit Arroganz.

    « Vienne est encore loin. Le ciel s’est dégagé. Moins treize à quatorze heures quinze. « Nos haltes se multiplient. La radio de bord hurle, sirupeuse.Nous écumons toutes les stations-service. Café, café. Les clients s’expriment avec mesure : ils sont ivres.

    « À seize heures, la forêt, la pente, la neige au sol ; les coups de vent sur les viaducs, la sensation de rouler au sommet d’un ballon qui se dérobe.

    « La taïga.

    « Puis la route qui se creuse, les talus dénudés, frangés de toupets de sapins, la route qui redescend, les remblais qui s’espacent – soudain, une meule lumineuse de fils tissés, entrecroisés, saupoudrés d’un fouillis d’éclats, comme un ciel reversé en contrebas : Vienne, illuminée, dédalique, arachnéenne et déliée – svastika déglinguée - Rosenhügel dit Arrigo.

     

    XI

     

    À présent Roswitha, 68 ans, reprend la parole

     

    ...H’ai appris sur Arrigo de certaines précisions.

    Il tiendrait un « Emploi du temps ».

    Nastassia m’écrit :

    « Je t’en apporte un exemplaire ».

    Il en change à peu près chaque mois :

    « Mercredi 18h : Lecture. 18h.26 : Correspondance. 18H 53 : W.C. »

    - Fait-il l’amour à heures fixes ?

    Nastassia l’en soupçonne.

    J’ai l’idée de fabriquer à mon tour, moi, Roswitha, un « Emploi du temps ».

     

     

     

    XII

     

    Arrigo, terroriste au service du R.O.S.W.I.T.H.A

     

    Il dit :

    « Je suis convoqué au 26e étage de la Tour de Verre Circulaire.

    « Il y a des barrages aux 10e et 20e étages.

    - Même les chefs d’État se font contrôler, M. Sartini.

    « Le Bureau, pour me recevoir, adopte la position de « tir groupé ».

    «  Il y a :

    El-Hawk, Seisset, Laloc, Roïski.

    « El-Hawk » (« le Faucon ») me fixe par dessous ses lunettes. Ses phalanges craquent.

    « Seisset le Français porte une monture en or et la moustache en brosse oxygénée.

    « Les mots sortent tout ronds de sa bouche étroite et rose.

    « Laloc est basané, Roïski myope.

    « Ils devront tous disparaître.

    «Il faut toujours éliminer le plus de personnes possibles avant de vivre.

    « P.S. : J’espère tout de même vivre quelque chose de bien plus exaltant qu’une stupide histoire d’ « espionnage »!Hi hi !

    - Vos responsabilités (disent-ils) sont écrasantes. Nous vous fourniront la Liste, l’Arme et l’Alibi ».

    « On me fournit aussi une villa badigeonnée de jaune au fond d’une cour d’auberge.

    « Au premier », dit mon guide, « un nid conjugal : immense cuisine, mansardée chambre, une quantitude de recoins et le palier interne sur mezzanine. Téléphone, balustrade en bois clair ».

    Nastassia, brune, compagne d’ARRIGO, parle de « chrysalide qui s’enterre », en effet :

    - les murs sont profonds

    - les fenêtres creuses

    - au milieu du jour, il faut l’électricité

    - les clématites obscurcissent les vitres

    - etc.

    ...  « Suprême raffinement » (dit le guide) : « une grille différente ferme chaque fenêtre, avec une serrure différente, prête à bondir d’un angle à l’autre sur ses losanges de ferraille coulissante.

     

     

     

    Arrigo,

     

     

    Arrigo, époux de Nastassia, continue d’écrire :

     

    « Su nous

     

    « Si nous étions frère et sœur, nous ôterions nos organes génitaux pour la nuit. Nous les enfermerions sous plastique dans un tiroir de table de chevet.

     

     

    « La moquette du premier étage répand, sur toute sa surface, une moiteur magnétique.

    « Les motifs du papier peint sont d’horribles gros yeux empilés.

     

    Nastassia, brune, épouse d’Arrigo, prend la parole

     

    « Le premier soir « de la villa », une puanteur précise nous guide vers le four, où pourrissait dans un pot jaune – un ragoût de vieux bœuf.

    « J’ai descendu l’escalier de bois en tenant les deux anses à bout de bras, l’estomac chaviré. Tout a disparu corps et biens dans la poubelle de l’auberge. J’ai respiré sous le ciel noir, observé le bâtiment du Heuriger, c’est ainsi qu’on nomme les auberges de ce pays.

     

    « Le hangar de bois faisant suite à l’auberge, vers nous, vers notre « villa », ; bruissait de lumières comme un Boeing aptère où flageolaient des ombres d’incendie. J’écoutais le violon, le hautbois, la caisse claire. J’écoutais cogner les poings et les culs de chopes, et le micro gras où les lettres « p » tapaient comme des pouf de tambours.

    « Quand la baie s’est ouverte entre les planches, j’ai vu l’orchestre courbé, tordu sur ses instruments.

    HOY ! HOY !

     

     

    - hurlait la noce - ma parole ! Moi même, Nastassia, je criais avec eux comme des chiens ».

    Nastassia – dit le narrateur – a remonté le perron vers chez elle, perron couvert de feuilles recroquevillées, frisées, par le gel. Au 123 bientôt, de l’autre côté de la rue, des quatre rails en creux de la Straszenbahn - « c’est ainsi qu’on nomme les tramways dans ce pays »- Nastassia, folle, peintre, exposera ses toiles, dans une chapelle à demi-souterraine au badigeon jésuite, avec au fond d’une voûte à berceau une croix plate, en stuc, à même le mur.

    « Je pense », dit Nastassia, « à ces crochets de fer auxquels Adolf H. fit suspendre ses propres officiers ».

     

    XIII

     

    Premier rêve d’Arrigo, petit-gendre de Roswitha

    « Sous les yeux empilés du papier peint, je me débats au sein d’inextricables foules encombrant la salle d’attente d’un dispensaire : formes allongées ou accroupies, appuyées l’une à l’autre.

    « On en trouve jusque dans le cabinet du cardiologue où l’on s’assoit et où l’on parle fort. La prescription est inaudible et Frau Doktor élève la voix. Elle porte une tignasse rousse et m’envoie, à moi, Arrigo, malade – une plaisanterie.

    « Ses deux voisins rient très fort. La consultation est terminée. Deux femmes jusqu’ici effondrées se lèvent soudain pour prendre leur tour, la cardiologue se nomme

    ROSWITHA

    - et n’est pas cardiologue mais neurologue.

    « Je suis admis à m’allonger sur un divan d’angle – quatre femmes à présent exposent leur cas toutes ensemble avec animation. Je sens ROSWITHA de plus en plus attentive, de plus en plus lasse. Puis elle referme les rideaux, demande d’une voix éteinte qu’on n’admette plus personne et se détend sur un fauteuil à bascule.

    « Quand elle se redresse, c’est mon tour. Et quand je me suis levé, j’étais banalement nu. Roswitha se trouve à table, face à moi, dans un restaurant de luxe bon-dé où règne le sans-gêne d’une cantine.

    « Des clients debout attendent nos places. ROSWITHA se penche au travers de la table, mais sa voix domine à peine le vacarme. Elle est très rajeunie. Lorsque nous nous sommes levés sans avoir pu achever les gâteaux, un gros homme les a saisis, puis avalés dans un rire vulgaire. Il est satisfait d’avoir pris nos places.

     

    XIV

     

    Nastassia, peintre, brune, folle, se confie – s’exhibe : SA HAINE DU PEUPLE. Se fait menerE par son mari dans cette halle où des Tchécoslovaques boivent, fument et pètent. Elle s’est vêtue pour cela d’un bustier violet, d’un diadème sur son chignon vieux jeu. Elle a commandé ein Gespritzt et contemple les tablées d’ivrogne.

    Le jeu consiste à fixer un Slave immigré dans les yeux jusqu’à les lui faire baisser.

    Arrio s’est enivré peu à peu, ils ont gagné un lièvre au loto, ils l’ont relâché dans la cour : à moins de gagner le Mauerpark tout proche, cet animal ne survivra pas. Les tourtereaux (Nastassia et Arrigo) rempochent toute leur monnaie, sans le moindre pourboire.

     

    XV

     

    Nastassia contredit cette version

    « J’aî donné öS 20 au violon, dans sa casquette doublée rouge »/

    Ajoutons que la neige est revenue, suivie d’un froid féroce.Il faut boire un schnaps de prune appelé Slibowitz, très parfumé, à même le goulot.

    Pour en revenir à la neige : ce sont d’abord des mouchetures sur le côté des marches, et, le matin suivant, les marches sont couvertes comme des tombes, bosselées, que Nastassia castre à la bêche. Les pelletées flottent, et retombent. Le ciel reste plombé, les gens disent :

    « Nie war es so finster, il n’a jamais fait si sombre.

    La nuit vient avant quatre heures. La nuit, ils ne sortent pas (Nastassia et Arrigo). La neige s’écroule du toit ; ils croient qu’on secoue la porte d’entrée. Arrigo, blême, a tiré au hasard dans le noir. Des clients de l’auberge rôdaient dans la cour. Nastassia ajoute :

    « Je décroche le linge séché par le gel, le tissu se déchire, les dos des chemises, les mouchoirs, avec un bruit de papier. Le premier décembre, le thermomètre atteint moins vingt ».

     

    XVI

     

    Roswitha revoit toute sa famille. Elle écrit :

    Observer, sans agir. Sans railleries. Vivre comme une vieille – comme les autres vieilles -

    qui m’a donné le modèle de la vieillesse ?

    Je fais exactement tout ce qu’elles font.

    Personne ne se méfie.

    CE DÉBAT NE M’INTÉRESSE PLUS – il ne faut plus que ce débat m’intéresse.

     

    XVII

     

    Nastassia, brune, folle, peintre, prenant possession de sa nouvelle (éphémère) demeure

    Elle dit :

    « La salle de bain se trouve à l’angle le plus sombre de la maison. La pièce est dépourvue de radiateurs. Les carreaux émaillés, mauves, ajoutent à l’impression de froid. La baignoire fuit.

    «  J’utilise la machine à laver des locataires précédents, des Suisses. Les fils électriques traînent sur le pavé de la salle de bain, dans l’eau. Hier, de grandes étincelles claquaient sur le carrelage dans une enivrante odeur d’ozone.

    « Arrigo et moi faisons souvent l’amour dans la baignoire.

    «  Je ne suis pas retournée à la galerie de peinture : l’autre côté de la rue, au-delà des rails de la Straszenbahn, me semble aussi éloignée que l’autre côté de la ville. »

     

    XVIII

    Arrigo, espion sans envergure, reçoit enfin ses « Premières Instructions »

    Il dit :

    « Premières instructions : attirer Tragol, mâle, et N., femelle, jeunes. Les peindre nus (cf. Nastassia). »

    Ils se tiennent par les épaules sur le canapé, ils se voient dans un miroir, Nastassia les peint à la lumière d’un spot. Derrière le dossier, une tenture leur masque ARRIGO armé d’un revolver à silencieux. ARRIGO observe leur reflet.

    Il attend que l’esquisse au fusain soit tracée.

    Tragol et N. (« Nouchka ») se retournèrent, ARRIGO, démasqué, se montra. Ils éclatèrent de rire. Nastassia prépara, parce que c’était l’heure, une salade de fruits de mer, avec du poulpe, au sépia. Les betteraves ajoutaient dans les sauces de petites îles violettes, un fort poisson gisait dans ces liquides.

    L’appréhension fit glisser les mains de Nastassia et la jatte s’écrasa au sol. Tragol, mâle, Nouchka, femelle, tous deux jeunes, aident au ramassage des débris.

    « Attention de ne pas vous couper ! »

    ARRIGO se fait traiter de comique au téléphone, par une voix parfaitement blanche.

    Il dit :

    « Mes proies m’échappent. J’ignore pourquoi je devrais les abattre. Je crois plutôt que : Rien.

    «  J’éprouve les tranchants de la jatte contre mes lèvres : si je presse, mon sang coulera. Nastassia pousse un cri ; je me suis entaillé. Elle suce ma plaie dont elle recrache le jus violacé.

    «  Je lis dans les journaux (poursuit Arrigo) qu’un groupe de forcenés (mâles), u crâne parfaitement rasé, se sont introduits mitraillette au poing dans une Institution Scolaire. Poussant la porte d’une salle de classe, ils ont menacé les élèves et leur professeur ».

    À cet endroit du récit (poursuit le Narrateur), les comptes-rendus divergent. Les uns disent que les Salopards ont arrosé l’ensemble, abattant les corps parmi les tables renversées, dans un bruit atroce. D’autres journaux affirment :

    - que le maître, se glissant le long du mur en direction de la seconde porte, a désarmé les Hommes par derrière et les a mitraillés avec leurs propres armes, jusqu’au bout du couloir.

    - que le maître s’est enfui, sans plus.

    - que le seul terroriste survivant serait parvenu dans le bureau de Sir A. Zery, président de sept sociétés fictives. Celui-ci aurait sévèrement réprimandé le  survivant pour le caractère expéditif du commando, mais ne lui en aurait pas moins remis une somme important.

    (« Cette dernière affirmation, dira ultérieurement Arrigo, ne m’a pas été communiquée par voie de presse et je me refuse à en révéler la source ».)

     

    XIX

    Martino, Quatrième Personnage de l’Histoire

     

    Il dit :

    « Il faut les supprimer tous les deux, ARRIGO et sa femme !

    «  Je crains que mon poids, mes bras courts, ne me permettent pas une efficacité maximale. Mais ce couple d’incapables revient chaque soir de nuit, à pied, en remontant la Lainzerstrae. Le fracas des tramways sera mon plus précieux auxiliaire.

    « La Lainzerstrae vire sans cesse à gauche, en montant. Les lumières y sont faibles.

    «  Le couple se faufile, l’un suivant l’autre, le long des murs, sur le trottoir rétréci. Ils rentrent tous les deux la tête dans les épaules, à leurs pieds la neige est silencieuse.

    «  Le couple prend des chemins de traverse : tout un système de ruelles à angles droits parmi les murs bas des maisons de plaisance, où se faufilent des passages enneigés menant à des jardins privés.

    «  Balançoires ankylosées par le gel, buissons. En bas des pentes s’ouvrent des portières de grillage, ils pourront s’enfuir, les rats : entre les bancs et les stères de bûches.

    «  La crosse glacée du Lüger me brûle la peau.

    (ARRIGO dit à NASTASSIA :

    «  Nous avons bien fait. Les chiens sont couchés, les propriétaires ont perdu les clés de leurs portillons. L’Autriche présente, au sein de son cadastre, des espaces rigoureusement inextricables.

    «  Tu feras ce soir un bon tour de cour avec ta carabine. Et puis, Nastassia, lis bien les petites annonces. Achète « Krone Zeitung » au premier Indien transi que tu verras dans les rues marcher à reculons à six heures du matin, entre les voitures, aux feux rouges sans chaleur. Ils touchent 1 öS par exemplaire vendu ».

    XX

    Roswitha, vieille, commanditaire supposée. Elle dit :

    « Je suis restée allongée huit heures de suite. Beaucoup trop pour mon âge. Des pensées noires sont venues. J’ai revu mon père, et sa fâcheuse manie de (…)

    « Je me suis retirée là, entre deux meubles, derrière les fenêtres sur sur. Patience. Patience dans le tumulte.

    Réflexion :

    « Les Empereurs de l’industrie, comment sont-ils fabriqués, à l’intérieur ?

    ...et et abruti d’Arrigo qui répète je veux me venger…

    - C’est vrai, confirme Arrigo. Et quel tort m’a-t-on fait ?

     

    XXI

    Roswitha, vieille et folle, parle de Martino, vieux nazi

     

    Elle dit :

    « Les tracts sont toujours sous l’armoire.

    «  Hier, réunion politique. Vingt personnes, âgées, ou des gamins. Je me suis assise sur une chaise très raide.

    « En 1945, MARTINO et moi plongeons à bicyclette dans les fossés, sous les alertes.

    - Vous allez vous faire tuer !

    - Oui, mais en plein air !

    « Les bombardiers battaient des ailes. Un jour ils nous ont visés. Nous avons ri tous les deux, sous les herbes au ras de l’eau, mourant de peur. Je me souviens aussi de la débandade des Hitlerjugend Bergmanngasse…

    « Hier Matino faisait son discours sur une estrade de classe. Il portait un ciré vert, déchiré d’en bas par un chien. Le bouton du milieu manquait. Martino manquait d’éloquence. Ses mains pendaient au niveau du sexe. Il les a regardées puis de sa main gauche il a saisi son poignet droit, pour l’immobiliser.

    « Le public suivait les mouvements de ses mains, tandis qu’il répétait : « Auschwitz n’est qu’un montage hollywoodien ; les victimes sont de faux disparus.

    XXII

    Arrigo, petit-gendre de Roswitha, brun, fou, parle

     

    « Nous sommes traqués. On a ENCORE frappé sur notre porte l’autre nuit : l’armature en fer tremblait sur le verre cathédrale ».

    « Il neige encore. Dans la cour, les déménageurs :

    ZIGEUNER U SOHN »

    « Nos meubles et nos caisses descendent le perron. Deux Yougo glissent sur leurs talons. Ils disent, dans leur langue :

    - Plus à droite. Lève. Attention.

    « Les Yougo portent des cartons cubiques. Ils respirent fort. Un troisième, invisible, dispose le chargement dans le camion. Les voici qui manœuvrent sous la voûte, nous quittons la cour du Heuriger.

    «  - Nous serons très bien chez mon oncle », dit Nastassia – quel oncle ?

    «  Il fabrique de la poudre. Quelque chose de tout à fait artisanal. Juste au-dessus de chez nous ».

    « Une vieille de vieille vient de crever, après trente-huit années de séjour. L’appartement est libre.

    «  Le camion passe la voûte. Le chargement mal arrimé balle dans les virages. Les Yougo s’arc-boutent : pavés, tramways, aiguillages. Par le bas du cul laissé béant, nous voyons des pavés pâtissés dans l’asphalte, la neige boueuse, les pare-chocs, les calandres. Nous sommes secoués dans la pénombre, accrochés aux meubles, avec des sourires contraints ».

    ARRIGO ne veut rien dire à NASTASSIA : il éprouve l’impression absurde absurde, mais très nette, que les Yougo les comprendraient, même en hébreu. Surtout en hébreu.

    Le camion s’est glissé en marche arrière dans une haute galerie traversière en stuc, qui le gaine, juste au-dessus de la bâche. La galerie débouche dans une arrière-cour.

    Vienne regorge d’arrière-cours.

    C’est là, dans des bâtiments opaques et bas, qu’on fabrique la Poudre.

    Juste avant la cour dans la galerie monte un escalier tournant. La rampe, en spirale, gêne les mouvements. Les coudes s’éraflent. Les Yougo ahanent, s’effacent, obséquieux.

    Le fils de Roswitha - !!! - porte une tête rousse, toute en poils. Les poings sur les hanches, il casse le cou, du haut de son mètre 55, pour nous voir trimer :

    « Si vous fumez, crie-t-il à travers sa barbe, ne jetez pas de mégots par la fenêtre!BOUM !

    Il se marre.

    Ce con.

    Les Yougo craignent leur employeur ; pourquoi faut-il donc que j’en frotte un, dit Arrigo, ventre à ventre ? » dans l’escalier à vis trop étroit ?

    ...Quand la vieille de vieille est morte, elle venait d’acheter une baignoire. Une baignoire toute neuve, rose, avec l’étiquette encore au fond.

    L’appartement est dégueulasse.

     

    XXIII

    MARTINO , vieux nazi corpulent, se confie

    Il dit :

    « J’ai vécu moi-même dans cet appartement, au-dessus de la poudrerie. Moi j’aimais bien ma tante. Il y avait la cave, où ces imbéciles se réfugiaient en 45 : la rampe de fer encore au mur pour descendre, et le couloir, sous la terre, sous la poudre, avec ses soupiraux étirés comme des yeux de Chinoises.

    « Au fond, c’était me réduit à brouette ; je la tirais dans l’escalier. Ce qu’elle pesait !

    «  Il y avait des portes en fer rouge, ouvrant sur des pyramides de gaines à cartouches. On n’entrait pas, à cause des rats. » (« der Rattten wegen »).

    « Et plus profond, trois autres caves.

    «  Une caisse à main gauche, remplie de sciure – trois tortues hibernantes bourrées là-dedans, énormes, j’ai déblayé la sciure avec les doigts pour dégager les carapaces. Les tortues sifflaient je me suis fait pincer.

    « La tante consommait ses confitures avec vingt années de retard : des rangées de bocaux sur les étagères pourries – il fallait tâter du bout de la petite cuillère – si le foie pince on jette tout. Le foie pinçait souvent.

    « Je les vois d’ici les deux Frantzouses quand il faudra remonter le charbon dans les seaux sans anses !

    « Je dois être le seul maintenant à connaître l’emplacement et la quantité de juifs du 17 mai flingués sous l’escalier pourri qui descend au cul-de-basse-fosse. Là où le sol est resté nu.

     

    XXIV

     

    Roswitha, vieille de Vienne, prétendue terroriste

    Elle parle :

    Autour de moi, 60 % de vieillards : VIENNE. Je veux sonder chaque vaisseau exsangue de ce grands corps, y découvrir quoi y rampe.

    Plus de 30 000 rues, suffisamment pour une vie – ma tentation, depuis l’enfance, de me mettre à compter, comme ce personnage de théâtre, un, deux, trois – jusqu’à l’infini.

    Je ne passerai pas, de mon vivant, la lettre G du répertoire…

    Après-midi d’automne. J’ouvre la fenêtre sur le pont Brigitte. Chopin hurle sur le tourne-disque ; il acquiert ainsi, dans le fracas de la circulation, une intensité insoutenable. Je colorie sur son papier toilé une grappe de raisins ; ce sont de petits crânes d’huile translucides.

    Cortot est mort avec trois pieds de fard sur les joues.

    Raisins délicieusement aigres, rues infiniment prévisibles, silences et chats traversant à pas lents comme des mains sur un clavier. Je peux entendre, sur le disque, chaque grésillement du repiquage.

     

    XXV

    Arrigo, espion, soliloque.

    Il dit :

    « Sans mission. Sans rien à vaincre.

    «  J’erre, de rue en rue. J’entreprends de lentes et systématiques explorations. Mes levers sont durs, le thermomètre intérieur stagne à 13, le feu s’est assoupi pendant la nuit.

    «  J’enfile ma robe, descends l’escalier coudé de la cave. L’air est glacé, les brumes chaudes du sommeil s’effilochent, il ne reste plus bientôt qu’un tronçon tiède au fond de mon ventre, vers l’aorte et la face interne des reins.

    « Je jette de grandes pelles de charbon dans un grand seau noir. Les fragments de combustible frappent le métal battu, les pas des Viennois matinaux glissent devant le soupirail asiatique. Je porte à deux mains comme un Saint-Sacrement la masse du maudit seau qui me scie les paumes.

    « Il faut reposer le récipient devant chaque porte, derrière chaque porte à ouvrir et à refermer. Il faut boucler tous les cdenas. Déjà les Officiants des Poudres, dans la cour, sont en exercice.

    « Ils me frôlent dans les couloirs sous les ampoules nues. La voix du Fils de Roswitha, petit barbu roux, retentit d’ordres aigres derrière une paroi de bois interrompue à vingt centimètres du plafond.

    « L’art autrichien par excellence : le recoin.

    « Je monte les étages en courant : si je me reposais, la coupure inférieure du seau m’arracherait un cri de douleur.

     

    Nastassia, brune, folle, compagne obstinée d’Arrigo. Elle parle. Elle dit :

    « C’est à moi de secouer la grille du poêle. Mon oncle, fils de Roswitha (le roux) s’obstine à dire « le four ». C’est le même mot en allemand : der Ofen.

    « Je vide les cendres. La matière grise monte en suspension, imprègne les narines, les cheveux. J’étage les papiers, le bois et le petit charbon. Puis le gros.

    « Le poêle (le four…) - s’éteint ou ronfle un peu au hasard. Nos mains à tous deux restent nores et grasses, nous nous nettoyons l’un à la cuisine, l’autre à l a salle d’eau, au-dessus de la baignoire vieux rose. L’étiquette est demeurée collée. Quatorze degrés ce matin. Petit déjeuner sur la table plastifiée, contre le mur, informations en allemand, entrecoupées parfois d’une voix d’outre-tombe :

    « Werbung » - « Publicité ».

    « Parfois quelques mots de français, si brouillés, si lointains... »

     

    XXVII

     

    Arrigo, sans emploi, médite

    Il dit :

    « Tous les petits matins, quand je me lave, et que la buée forme sur les vitres une pellicule décente, j’aperçois, au même étage, de l’autre côté de la rue, un ouvrier quadragénaire ventru et blanc. Il enfile son pantalon : le rebord des fenêtres ne me permet pas d’en voir plus.

    « Nastassia dit :

    - Tous les matins, je t’entends ramer ou piaffer sur le tapis de sol pour te former les muscles.

    «  Je réponds :

    «  - Il faut faire l’amour et monter les seaux de charbon ».

    «  J’ai trouvé à la cave, derrière l’étagère aux confitures, un message sans date, dans une enveloppe très épaisse et piquetée de jaune :

    «  - Voilà six mois que nous vivons là » - dit le message, « Thérésa et moi. J’ai 43 ans, et je ne « pense pas atteindre beaucoup plus : juste un fils à faire naître. Thérésa est de race noire, peu bavarde, et mal considérée. Elle craint le froid. La cave est sèche, sombre et glacée. C’est tout.

    - Il y a « c’est tout » sur le manuscrit ?

    - Oui. (Un temps). Crois-tu qu’ils sont enterrés dans la cave ?

    - Beaucoup de gens, répond, vivent sur des charniers. À Poitiers, en France, on a construit tout un lotissement.

    - Ne plaisante pas.

    - Je ne plaisante pas.

     

     

    XXVIII

    Roswitha, rousse et vieille, se secoue

    « Je connais une armurerie Benedikt-Schellingergasse.

    PREMIÉRE RUE TIRÉE AU SORT

    On ne refuse pas une arme à une vieille dame.

    Le magasin se trouve en haut de la rue, près des arcades de la Hïttelsdorfer.

    Il enveloppe l’arme dans un papier journal, comme un bas morceau de poulet. Il s’est penché de tout son buste au-dessus du comptoir, le ventre compressé parmi les crosses. J’ai enfoui dans mon cabas le pilon du Lüger avec mes Sellier subsoniques – de quoi flinguer 127 personnes – les maniaques notent tout – je vais distribuer les tracts nazis de Martino mon jeu sera subtil chaque victime

    sera choisie dans telle rue par Ordre Alphabétique mais abattue plus loin, après filature.

    Benez- (Jara-) gasse : qui était-ce ? < compositeur d’opérettes > - clé de contact – ce sera bien facile.

     

     

    XXIX

    Arrigo, à son tour

    Nastassia me prête son arme. Le crime, conséquamment, ne sera pas de moi.

    Le revolver pèse lourd au fond de ma poche 850g toutes les places assises de la Strassenbahn sont occupées, sexagénaires, septua- octogénaires, souffrantes et ventripotentes, la balle se noie dans la tripe.un

    Je suis resté debout sur la plate-forme arrière avec cinq ou six hommes de mon âge. Incongrus. De trop. Les hommes circulent toujours debout à Vienne. Ils se tiennent aux courroies. Nos corps masculins se heurtent dans les virages, pas un ne sent le Lüger dans ma poche.

    Il faudrait que je chante comme un enfant.

    « J’ai un revolver, j’ai un revolver…

    Je ne connais pas ma cible. Vingt mille öS à gagner.Un emploi sûr. Tout Vienne à traverser ; des

    vieilles qui montent qui descendent. Parfois un vieux avec sa canne ou son tripode.

    ...Tout à l’heure, j’avais vu déboucher sur moi la rame rouge sortie du brouillard. Je me suis engagé sur la voie pour prendre une photo-souvenir. Je m’en souviens maintenant. Il y a cinq minutes. Mon appareil photo pend à mon poignet gauche, au bout de sa dragonne.

    Une dragonne est une petite courroie.

    C’est un petit Nikon, il décrit un cercle à chaque secousse, comme un pendule.

    Le revolver est plaqué contre ma cuisse. Si je tirais, il me fracasserait la cheville, ou le genou.

     

     

    XXX

    Roswitha, vieille, dangereuse, armée

     

     

    Le Narrateur :

    Elle, Roswitha, échoua dans son entreprise. D’abord, le trajet de la Boschgasse à la rue Beneš était long, difficile.

    Les deux rives du Danube sont mal reliées.

    Roswitha vit de petits blocs de quatre étages, que séparaient de prétendus espaces verfs balayés de coups de vent. Devant elle, une Hongroise poussait un lourd landau

    Il n’y avait que la bordure des trottoirs, le sol restait meuble. Roswitha parcourut la Jara Benešgasse, le musicien. Chaque étage avait un balcon de ciment. Les locataires mettaient un point d’honneur à personnaliser leur balcon : sur le mur en retrait, un fer à cheval, un joug et un épi, une roue et un fer à cheval, un pot de fleurs. Une roue.

    Les pelouses formaient des plaques aux teintes indéci

    Porte 8, « Harowitz Beltram » - gitan ? Un paillasson : ce sont de braves gens. Roswitha s’aperçut qu’elle avait oublié son arme.

    Dans la voiture, à même le siège avant.

    Harowitz ouvrit la porte. Roswitha tenait la main dans son sac à main.

    Il crut que Roswitha venait mendier.

    « Excusez-moi, dit-elle. Je voudrais prendre sur votre balcon ce bel épi de maïs que j’ai vu de la rue.

    Les sourcils de Harowitzse contractèrent, mais il s’effaça : les vieilles dames sont respectées en Hongrie. Elle détacha l’épi de maïs et sortit en remerciant.

    Harowitz referma doucement la porte sur elle, et Roswitha, sur le palier, avant de descendre, s’essuya soignement les pieds.

     

     

    XXXI

    Nastassia, peintre, et le marchant (justement) de tableau

    - Connaissez-vous mes toiles ?

    Le marchand est un phoque et secoue ses bajoues poilues : « J’ai tout ce qu’il me faut : du Nolde, du Kokoschka, du Romako. »

    Il soulève à mesure les cadres au bas des murs. Chez lui, tout est laid : fauteuils en peluche rouge, tenture à rayures, toiles à touche-touche toutes époques confondues.

    Le marchand de tableaux transpire. Il reçoit en pantoufles :

    - Vos toiles choqueraient ma clientèle. De plus, ma clientèle ne serait pas assez choquée. »

    Un couple bien mis à présent s’avance. Le marchand signe un papier, le couple bien mis signe à son tour, la femme porte un tailleur Elisabeth II. Quand elle s’incline, pour se venger, Nastassia aperçoit une vilaine veine bleutée.

    Un domestique monte sur une chaise et décroche le tableau vendu : il représente un homme vert, qui tient ses boyaux dans ses mains :

    Introspection,

    d’après Egon Schiele.

    « J’ai beaucoup de toiles en attente, dit le gros homme. Je paie des impôts considérables.

    Le couple achète aussi, pour la cuisine, un vase de fleurs hollandaises, avec un papillon en trompe-l’œil.

    Nastassia prend congé, refuse le thé.

    - Ne vous fâchez pas, Madame… ?

    - …

    - Vous trouverez d’autres marchands… Dès que j’aurai une place libre… Apportez-moi un tableau un autre jour… Ils sont très jolis vraiment (l’air penché, avec la tasse et la soucoupe) – allez donc voir Untem de ma part…

    - Je m’en garderai bien, Herr Hyckner…

     

     

    XXXII

    Arrigo, demi-fou, squatter :

     

    « Je fais comme si j’achetais la forêt. Un morceau de forêt. Plus tard j’achéterai tout le reste.

    « Une partie plate, aménagée, préférée par les sots. L’autre montueuse. Broussailleuse. Dieu merci les touristes préfèrent les terrains de boules. Ma maison est au milieu des ronces.

    « Je resterai seul.

    « Libre, beau, riche et seul.

     

    XXXIII

    Nastassia, folle, peintre, se livre à des spectacles hasardeux

     

    « Rencontre atroce et simple sur la Benkgasse, courte et avortée en parvis d’asile : deux vieux de sexe indéterminé, soutenus l’un à l’autre, à peine capables de marcher, dans un seul manteau lâche d’où sort une canne. Démarche tremblante et les yeux vides. La vieillesse est la pire folie, une canne pour deux et le vide.

    « Si je suis folle, que ce soit par excès de raison, car je suis venue de très loin, pour cette rue qui tourne entre trois bancs de ciment.

    « Les deux silhouettes saccadées, comme elles se dirigent vers l éternelle noria des allées.

    « Le manteau gris qui flotte.

    «  Rue suivante.

    «  Roswitha m’a appris les vertus immarcescibles de l’Ordo Alphabeticus.

    «  Bennogasse. Hauts, très hauts bâtiments, moulures sucrées, boîtes à Viennois, suants, tanguant sur les trottoirs, le pied devant l’autre, sans cannes, sans luxations, ni rien qui retienne à la vie. Les filtres aplatis de Marlborough dans le caniveau sec. Étages jaunâtres, verdâtres, tous les « - âtres ». Au bout de la rue je repars sur le trottoir opposé, l’inversement de perspective n’apporte rien, c’est dans ces rues parfois que justement le drame se déclenche, l’enfant qui traverse, la voiture Corps Diplomatique, le crâne écrasé entre deux nattes blond sanglant, le père beugle achevez-moi et toute la compassion dégoulinant d’étages en étages…

     

    XXXIV

     

    Arrigo, espion, brun, fou, en des lieux puérils et faussement secrets

     

    «  ...Dans un quartier reculé de Vienne. Tous les quartiers de Vienne sont reculés.

    « Tables désalignées, plafond bas, des noms devant les hommes sur les tables : balayeurs, visseurs d’écrous, vêtus de bleus de chauffen plafond infrarouge. « Entre eux et moi, dans l’espace vide, les ouvriers déambulent. À l’aise. Où que j’aie vu des ouvriers, toujours à l’aise. Avec des mains noires, et la voiture au fond sur pont élévateur.

    « Je me suis rapproché du bureau (Büro Vier). Donc, les conversations me deviennent audibles, transcriptibles. J’ai froid malgré les rayons infrarouges.

    « Les verrières sont recouvertes, à droite, à gauche, de grands tissus aux couleurs de l’Autriche, de la Pologne (rouges), du Zaïre (bleu et jaune), du Brésil vert. Le soleil se couchant, le vert envoie sur tous et tout des taches d’affections cutanées. Le dialogue s’est établi, après installation, sur l’abondance des réfugiés nourrissez-les, Vous nous donnez trop peu, bien trop peu – zu wenig nach !

     

    « Mais nous ne pouvons pas les abattre ! »

    Le camp d’Emshaufen qui déborde.

    - Tous ces Polonais sont riches ! ils ont tous leur voiture !

    - Ils n’en tireront rien ici.

    - Ouvrez les espaces verts de Ketten.

    - Mais les vivres ? ...les tentes ?

    - Demerden Sie sich ! (dans le texte)

    ...du moment que Sandro touche son fixe…

    - On ferme ! On ferme ! Wir schliessen !

    Des ouvriers poussent des poutres métalliques sur des rails.

    - Herr Sartini ? c’est au fond.

    Une salle d’atelier aménagée en buffet. Les tables forment un grand U, sans apprêt : nappes négligées, plats de pommes de terre. Une annonce en polonais : « Les réfugiés de Krimphausen sont fiers de vous présenter les meilleurs mets, préparés pour vou ».

    - Un peu d’héro dans la sauce ? ..;c’est Amnesty qui fournit.

    - N’écoute pas ce ravagé.

    Arrigo Sartini voit une femme assise sur un coin de table, jambes écartées sous une grosse assiette de purée ornée de bougies d’anniversaire.

    « Je m’appelle Genova. J’aime la purée. »

    Il sait qu’il ne reverra plus la femme. C’est toujours comme ça dans la vie.

    Les traits de Genova ressemblent à ceux de Nastassia. Son nez lui plaît, long, fin comme une queue de goy. Elle dit :

    « La religion de mes pères, rien à foutre. »

    Elle souffle les bougies et engloutit le plat.

    « J’offre une Vyroubova ? »

    Genova accêpte, jette l’assiette en carton et les bougies dans une poubelle à ses pieds. Il passe lamain dans les cheveux noirs de cette femme. Il n’imagine aucun piège. D’un coup elle se recule, relève une mèche, ils se lèvent tous les deux en se rajustant :

    « J’ai une place pour la London de Haydn, viendrez-vous ?

    - C’est gratuit ?

    Il ne la reverra plus : Nastassia l’attend ce soir chez les… les…

    Comment se fait-il que nous puissions fréquenter – qui que ce soit ?

     

    XXXV

     

    Roswita, vieille, fille de diplomate, Viennoise

     

    Elle dit :

    - À soixante-huit ans, une femme n’intéresse plus qu’elle-même. Je marcherai tant que je peux. Ils vont bien voir si je ne « réinvente » pas les rues de la ville. Bensasteig : se garer Bergmanngasse, je monte l’escalier.

    « Essoufflée je débouche sur un fond d’impasse.

     

     

  • Réserves

     

    62 06

     

    Ce n'est que fort tard que j'ai appris - ô candeur de mes maîtres ! - qu'un mot grec ne pouvait avoir qu'un seul accent, sauf si un enclitique le suivait.

    Il a fallu que je le découvrisse moi-même. C'était « évident », chers professeurs. Ben voyons. De même qu'il était « évident » que le do, le ré, possédaient chacun leur fréquence : c'était « évident ». Pour moi, « do » pouvait aussi bien être n'importe quelle note, puisque de n'importe quelle note on pouvait, effectivement, faire partir une gamme... dont la première note ne pouvait être qu'un « do », arbitrairement ! J'ai passé de onze ans jusqu'à vingt ans à ne pas pouvoir comprendre ce système des gammes, de do, de ré, de mi.. Dans l'impossibilité donc de faire la moindre dictée musicale, où mes seules notes justes étaient celles qui étaient fausses, par étourderie. Car je faisais des efforts, je vous le jure. Mais voilà : les hauteurs des notes, c'était « évident ». Un seul accent par mot grec, c'était « évident ». Pédagogues de mes couilles...

     

     

     

    62 11 11

    Seigneur accorde-moi juste un vers, une expression qui puisse 'm'immortaliser, “les moutons de Panurge”, “l'œil du maître” "daffodils" : car ce n'est que par là que l'homme survit, juste un fragment de phrase.

    Il ne me reste plus le temps que d'inventer, de découvrir, une simple formule qui me rappellerait,.

    chat,chou,snow

    A présent l'écriture me fait ressentir. Prenez leçon de moi, écrivains ratés.

     

    62 11 19

    .D'autres qui découvraient l'existence d'Aix-en-Provence, ou du Puy-en-Velay – sauf une : “Ah oui ! J'y suis allée en vacances !”Alors Jeanne d'Arc, pffff ! Cette foutaise...

     

    62 11 22

    Il nous en vient d'ailleurs tant d'autres (« Tu te sers, Viêt”, à un copain de Saïgon, dont la sœur (pourquoi pas) répétait « moi j'écarte et tu enfonces” - volontiers ma foi : il s'agissait de forcer entre deux mâchoires de pince les deux plaques d'un sous-verre...)

    62 12 04

    Bonjour.

    Je souhaiterais vous renvoyer l'article dont le n° de facture est le 9267236, mon numéro de cliente est le 503 556 20, mon adresse est A. Malheureusement, le relai "O" ne consent pas à vous renvoyer le paquet en cause, disant qu'il lui faut une icône de type "smartphone" (appareil que je n'ai pas) afin qu'il puisse cliquer dessus. Je trouverais dit-il ce symbole "en regardant sur internet". Or, en explorant votre site, il m'est impossible de repérer une telle icône (ou une "clé"). Malgré les documents en ma possession et que je présente, rien ne convient, trois fois de suite, et le délai de rétractation se trouve atteint. Pourriez-vous me préciser ce que je pourrais faire.

    Avec mes salutations les meilleures.

    A Téléphone7.

    62 12 07

    Le monde est comme ça depuis la nuit des temps et sera comme ça jusqu'à la nuit des temps. Parce que la seule vérité, la seule de chez Tout Seul, c'est qu'un jour ou l'autre on va tous CREVER. Alors on fait tout ce qu'on peut pour ne pas y penser, car un monde habité par la VERITE serait un asile de fous où tout le monde hurlerait d'horreur. On prend donc un peu de hauteur, au lieu de débiter des vérités à deux balles. Tenez, moi, par exemple, je ne me gêne pas pour vous faire de la métaphysique à deux balles.

     

     

    61 08 30 (?)

    C'était encore le temps où nous descendions la rue Paul-Louis Lande pour déboucher sur la faculté des Lettres, qui fut transférée trois ans plus tard, progressivement, au centre des terrains vagues talençais. Les bus en direction du campus grouillèrent. Puis nos étudiants se motorisèrent : tâchez-voir de trouver une place libre dans les parkings, à l'Université Michel-Montaigne : les roues trébuchent sur les racines au pied des grands arbres plantés là pour faire joli, et qui ne tarderont pas à encombrer, pour peu que les édiles s'en mêlent, ou s'emmerdent.

     

    62 01 17

    Exactement ce que j'avais demandé à mon directeur de maîtrise, qui fut nommé à Lille. Puis je me suis rendu compte que potasser une maîtrise se faisait au petit bonheur la chance, et que le prof se contrefoutait totalement de vous suivre dans vos travaux : l'étudiant français travaille sans filet avant de se planter devant un jury d'inspecteurs de travaux finis.

    Alors j'ai calé. Mais non sans une nostalgie tenace pour tout ce que cette préparation de bientôt 40 ans m'aura permis de côtoyer

     

    62 01 29

    Je préfère alors renoncer à la liberté, car la tyrannie me manquerait trop (pour l'exercer). Maintenant, qu'on l'exerce sur moi, pas de problème, j'ai d'ailleurs toujours plus ou moins eu l'impression d'en subir. Les frontières dues à la liberté d'autrui sont trop subtiles, mouvantes d'un individu à l'autre et même d'une heure à l'autre. Respecter la liberté d'autrui, c'est se soumettre je ne dis pas à la tyrannie mais au moins à l'arbitraire, aux caprices, aux humeurs d'autrui, c'est chiant comme la mort, c'est se fatiguer toujours à jouer au funambule, parce que personne ne respecte exactement l'autre comme l'autre voudrait être respecté, on appelle ça "les rapports humains", ça fait chier, et j'ai autre chose à foutre, alors j'évite les autres le plus possible. Tout le monde n'a pas l' "instinct" des frontières, on m'a toujours engueulé pour mes gaffes, alors je me replie, je parle à 4 ou 5 gens et à mes fournisseurs, et ceux qui ont le sens des relations humaines eh bien tant mieux pour eux, quant à moi j'ai assez gigoté sur mon fil en faisant le guignol et en me cassant sans arrêt la gueule, alors maintenant stop, rideau, walou, point barre.

     

    62 02 09

    Mme Thérèse n'a sans doute jamais vu de film porno : ce sont toujours les femmes qui font les avances, et jamais je n'ai vu de violences. C'est un vrai paradis : des femmes qui veulent, et qui ne prennent pas les hommes pour des salopards violeurs et vicelards. Donc des films très éloignés de la réalité. Mme Hargot, dépassez donc le générique, et cessez de prendre les hommes pour des porcs et des bourreaux. De toute façon maintenant j'évite les femmes le plus possible, et je ne m'en porte pas plus mal. Vous avez gagné, Vous êtes (re)devenues carrément dissuasives,moralistes, puritaines et repoussantes. Vous nous méprisez. Au moins comme ça vous êtes libres. Eh bien, pour votre gouverne, nous aussi.

     

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    Il s'agit en fait d'une copie de votre blog que vous pourrez regarder sur votre ordinateur, même en étant déconnecté d'Internet.

    ...C'est on ne peut plus clair. Vous n'avez rien en caractères hébreux ?

    ...

    avez-vous observé combien l'agglomération bordelaise s'étend désormais très exactement autour de son cimetière ?) - 63 02 26

    63 03 24

    La "table du temps et des fêtes mobiles" sur mon missel ne va pas au-delà de 1960, considéré sans doute en ce temps-là comme le comble de l'avenir, au-delà duquel il eût été dangereux, indécent, de porter l'esprit.

     

    Je m'en fous de la Grande Librairie. Djian n'est capable que de sortir des conneries niveau Sud OUest Dimanche ("rendre aux autres ce que j'en ai reçu", on dirait le curé de ma paroisse). Les autres ne sont que des parvenus convenus devenus cons. Des écrivains qui fabriquent du pâté de campagne pour Carrefour. Et que je te vante ma petite cuistance, et que je te fais le modeste, et que je ramène ma petite tronche de gonzesse à claques... La semaine précédente, c'étaient Onfray et Lucchini, alors "Plus dure sera la chute" comme ils disent. Mais vraiment, quand je vois ces énergumènes de la platitude, je ne me sens pas, mais alors pas du tout écrivain. Pourtant je le suis, dans mon fond de tiroir. Seulement, ceux-là ne sont pas de ma bande. Ma bande à moi tout seul. Et zobi cake.

     

    Travailler quinze heures par jour, je ne vois pas en quoi ça forme l'esprit. On a juste le temps d'aller chier et de courir se coucher. Les médecins, les hommes d'affaire, et autres, font des métiers passionnants, je ne dis pas. Mais 9 métiers sur 10 sont ultrachiants, tu passes ta vie à gagner des clopinettes pendant que le patron et les sous-chefs n'arrêtent pas de t'engueuler parce que tu ne vas pas assez vite. Alors un avenir de zombie comme ça, la jeunesse n'en veut pas. "Le travail" n'est pas une valeur en soi. Merde alors.

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    Ka mate, ka mate! ka ora! ka ora!

     

    Ka mate! ka mate! ka ora! ka ora!

     

    Tēnei te tangata pūhuruhuru

     

    Nāna nei i tiki mai whakawhiti te rā

     

    Ā, upane! ka upane!

     

    Ā, upane, ka upane, whiti te ra!

     

    Vais-je mourir, vais-je mourir ! Vais-je vivre vais-je vivre !

     

    Vais-je mourir, vais-je mourir ! Vais-je vivre vais-je vivre !

     

    C’est l’homme aux cheveux long

     

    Qui est allé chercher le soleil et l’a fait briller à nouveau

     

    Je marche vers le haut, je marche à nouveau !

     

    Un pas vers le haut, un autre… le soleil brille !

     

    J'aime pas les anniversaires j'aime pas les gens j'aime pas mes amis j'aime pas ma femme je m'aime pas j'aime pas le suicide. Alors je couche avec ma femme je reçois mes amis je fréquente des gens je souhaite des anniversaires, et quand je me regarde dans la glace je me tutoie. Quand même. Et toujours pas de suicide, tiens, là, ça ne marche pas. Et à force de se faire enculer, on y prend goût, on se met à aimer la vie (car la vie n'est qu'un grand boyau anal), et l'un dans l'autre on se démerde, oui, bon, c'est c'lààà ouiiii, et si je me tais ça ne dérange personne, ILS continuent à discuter sans moi, et même, de choses intéressantes, qui ne sont pas moi, ce monde me surprendra toujours.

    14 05 16

     

    non, la culture n'est pas en recul. Ce sont les projecteurs qui se braquent toujours et de plus en plus sur les plus cons. Nous avons toujours été une minorité, une ELITE, parfaitement, je répète une ELITE. Dont 99% des "gens" se foutaient et se sont toujours foutus. Mais qui ont fait l'histoire du monde.

    21 05 16

    - je me demande si cette famille Norel ne serait pas descendue d'anciens juifs, d'où leur piété ostentatoire ; je me souviens que tout le monde avait récité la prière avant de se coucher, à genoux sur les tommettes roses de la cuisine ; après quoi j'étais allé coucher avec mon camarade, et nous avions échangé fait sous les draps des concours de pets. Ensuite, j'avais dû me relever en pleine nuit pour vider sur le fumier le contenu d'un pot de chambre plein à ras bord, croupissant depuis des jours sous la grande armoire ; impossible de se rendormir vu la puanteur intacte -

     

    Les maîtres à penser de Nuit debout sont des bolcheviks d'occasion, des Che Guevara bas de gamme dont la vraie passion n'est pas la liberté mais la servitude. S'ils arrivaient au pouvoir, ils commenceraient par enfermer tous les opposants dans des camps, ce que le communisme a su faire de mieux. La radicalité est toujours une preuve d'impuissance. Ils sont archi-minoritaires et ne représentent rien.''

    - Pascal Bruckner - A NOTER 21 MAI 16 FAIT

    Je ne suis peut-être pas génial, même que je viens d'annuler d'un coup de pouce huit lignes extraordinaires surtout question modestie. Mais enfin j'aimerais bien que la fermeture sans cesse repoussée de ces blogs privés stoppe ses effets délétères : une connexion, zéro, une, zéro, c'est un peu trop binaire tout de même, au point de ressembler à l'électro-cardio d'un agonisant, ou à l'électro-encéphalo de Ribéri. Nous étions nombreux à demander la glaire, euh la gloire, alors ne nous déceptionnativisez pas. Vous êtes déjà nombreux devant la Phynale, à humer les relents d'aisselles moites, de crampons terreux et de couilles écrasées. Bientôt vont retentir les harmonieux "Paris, Paris, on t'entube !" ( oui, bon, il y a des enfants sur la toile), je regarderai une mi-temps, sur mon ordi de bureau, comme ça ma femme ne viendra pas me ferche. Allez, bande de mégalo, joyeuse joie de vivre, et revenez me donner la joie de donner. Je m'en fous de mon nom, il ne me plaît pas, j'aurais préféré Tartempion ou Crachouillard. Monsieur et Madame Tête-en-Feu ont une fille, comment l'appellent-ils ? Macha. Je vous laisse réfléchir là-dessus.

     

    Hardt Vandekéén von Kohn, Graf von Hüttelsdorf und Barstatt-Mandegen. Sieg, ZOB! Sieg, ZOB !

    • Croyez-moi, quelque amour qui semble vous charmer,
    • On n'aime point, Seigneur, si l'on ne veut aimer. Burrhus, I, 1 de Britannicus A NOTER 63 05 22 F ITR

    Bataille, comme Foucault; comme Baudrillart, comme Barthes, m'ont toujours profondément indifféré. Ce sont des philosophes qui parlent qui parlent qui parlent. DE quoi, on s'en fout, ils s'en foutent, ils ronronnent comme un chauffage central, ils pourraient parler de la cachexie des bêtes à corne ou du céleri rémoulade, je m'en fous, ils s'en foutent, ils font du bruit, pas la moindre passion, pas la moindre personnalité, ils font cours, parfaitement interchangeables, ils répandent la poussière, on ne sait pas ce qu'ils pensent au juste, eux non plus, quand ils ont fini on referme son classeur, on secour sa poussière et on va au bordel.

     

     

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    Si vous souhaitez des précisions, merci de me contacter à :

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    63 6 27

     

    Tiens, je m'en fous totalement de cette fermeture inique (sa mère) sur la plate-forme Sud Ouest. Rien ne sert à rien puisque de toute façon vous devez mourir, on connaît, j'en ai fait mon pain sec de tous les jours. Mais j'aime aussi la devise de Sarah Bernhardt : "Quand même !" que mon grand-père meusien prononçait "quante même). Que feriez-vous si vous étiez en train de jouer à la balle et qu'on vous annonçât la fin du monde dans vingt minutes ? Question posée à St Louis de Gonzague : "Je, dit-il, continuerais à jouer à la balle". Ce "Je, dit-il", n'est-il pas admirable ? Ledit saint mourut à 22 ans dans l'extase pour ne pas dire dans l'éjaculation. A chacun sa connerie la mienne c'est de continuer coûte que coûte, même si j'ai manifesté une grande passivité, car la passivité "pour avoir la paix", la "lâcheté" si souvent dégainée par des  crétins qui  ne vous arrivent pas à la semelle (à se demander de quoi Allah se mêle), eh bien ça se paye, comptant, très gros, très douloureux, au moins autant que toutes ces merdes à couilles qui vous balancent sans se gêner leur propre exemple à la gueule, en toute modestie. J'ai appris une chose, moi qui me suis toujours comporté comme tout le monde, c'est-à-dire comme un génie méconnu dont on s'arracherait plus tard les documents biographiques, c'est qu'il suffit ("y a qu'à, faut qu'on, vrai con) de laisser parler sa personnalité ou faute de mieux sa personne, et alors, alors mon pote, tu peux écrire tout ce que tu veux, ce sera bon de toute façon, parce que ce sera toi. Turanzin. Car il ne suffit pas d'être refusé par tous les éditeurs pour être excellent. Et je m'arrête, parce que je vais dire des conneries. CETTE PHOTO EST DE VINCENT PEREZ. LE DANSEUR QUI SAUTE, LE PHOTOGRAPHE N'A PAS COMMUNIQUE SON NOM. IL EST RUSSE ET VIT TRES LOIN D'ICI, PERSONNE N'EN A RIEN A FOUTRE.

    XXX 63 07 01 XXX

    63 07 02 l'incapacité de l'auteur, y compris dans sa vie personnelle et sociale, de consentir au moindre effort pour instituer des relations dites « efficaces ». « J'y suis bien arrivé », « Comment on a fait nous autres » - eh bien, ramassis d'ignares, lorsqu'on a bien une fois pour toutes constaté que tous ses efforts ou prétendus tels ce qui revient au même aboutissent rigoureusement au même résultat, à savoir infinitésimal, on laisse tomber, je laisse tomber. Immaturité ? Parfaitement. Paranoïa puérile ? Oui. 63 07 08 noter : shakespeare fait

    We are such stuff
    As dreams are made on; and our little life
    Is rounded with a sleep.

    The Tempest Act 4, scene 1, 148–158



    63 07 13

    Et qu'on m'ôte donc ce disgracieux scrotum, ce fétu ridicule - coupez ! » - au nom, disait-il, des promesses non tenues - les femmes, que je sache, n'ont jamais rien promis. XXX 63 08 01 XXX

    Dans un bar de Bagnères-de-Bigorre j'observais un jour un ancien para qui paradait au bar ; il tenait en laisse eût-on dit un petit homme de son âge, qui buvait ses paroles, suivait ses regards avec la dévotion dévorante d'un véritable chien, prêt à bondir à la gorge de quiconque sur le moindre signe de son maître.

    Il y avait là quelque chose de bouleversant, d'insondable, et de profondément pitoyable. Je pensais aussi à ce Philippin asexué, chevalier rampant, Anaclecto (Reflets dans un œil d'or) : soumis, servile, adulé comme un chiot familier ; de tout le film je demeurai fixé sur ce second rôle où je m'identifiais sans distance ni restriction, au détriment de l'intrigue essentielle, que j'estime encore inimaginablement invraisemblable. Bonheur hypnotisant de la cette intense soumission. De cette garde extatique en piteuse déroute devant la folie meurtrière - je n'approchais pas d'une telle extase. J'étais grand, lourd, blanc. Le jour où mon ami Landry, calquant toutes mes expressions à m'en exaspérer, m'avait mystérieusement traîné derrière les chiottes pour m'exhiber son petit bout de chair grêle et visqueux, je m'étais esquivé sans un mot dans la gêne la plus extrême ; pourtant nous avions tous les deux treize ans.

    Jamais nous n'avons par la suite évoqué cette erreur. Mais se rouler dans l'herbe comme un chien ventre à l'air devant les cousins Gine que je trouvais beaux (morts alcoolos côte à côte au cimetière à St-Lys), je l'avais fait. Déculotter Jean-Guy Rabot dans le fossé pour le sucer, je l'avais fait. Les garçons de mes classes auraient décelé sans faillir ce désir non de sexe mais de soumission. Seule une extrême connaissance de soi doit toujours corriger la vocation, et sans relâche y présider.

     

    63 09 06

    Quand je vois tous ces ingénieurs hautement diplômés qui se précipitent généreusement sur l'Europe pour résoudre le problème du chômage, j'en ai les larmes aux yeux.

    XXX 63 09 10 XXX

     

    63 10 10

    Bientôt nous allons élire les présidents en fonction de leurs coutumes sexuelles. On n'a qu'à faire comme l'empereur Héliogabale : il mettait devant lui à poil tous les candidats à de hautes fonctions, et il choisissait celui qui avait la plus grosse. Comme ça tout sera résolu. Et pour les femmes, on prend le tour de nichons. Et allez hop !

     

    Je suis désolé, l'Education Nationale ne fait pas EXPRES d'orienter les élèves en fonction de leurs résultats. Les matières dites "bourgeoises" sont des matières fondamentales, et quelqu'un de nul qui ne veut pas travailler n'aura qu'une "mauvaise" orientation. Ou alors, on étudie aussi d'autres matières, mais sans culture générale. DONC, une orientation pour ceux qui ne savent rien de culturel. J'ai fait 39 ans de "conseils de classe", et JAMAIS nous n'avons orienté QUI QUE CE SOIT en fonction de son origine sociale. Mais à 4 en maths et 2 en français, forcément, on ne devient pas PDG. C'est quoi, ce mépris des "petites professions" ? Un maçon, c'est plus con qu'un ingénieur ? Un jardinier, plus crétin qu'un notaire ? L'Education Nationale fait son boulot, il faudrait que les journalistes arrêtent depuis 40 ans de tirer dessus à boulets rouges avec des griefs parfaitement ineptes. Après, les parents embrayent et répètent à leur enfant que ce qu'ils apprennent c'est de la merde "bourgeoise" qui "ne sert à rien". Ensuite, ces élèves-là sèment le bordel en classe et prétendent qu'ils ont de mauvais profs. Y en a marre de l'hypocrisie. C'est la vie qui fait le tri, si ce n'est pas les profs d'abord, c'est le patronat, et un coup de pied au cul, un !!

    55 02 01

     

    Mais moi, l'auteur, l'indécent, dont l'intervention ici même est le comble de l'indécence, je suis passé directement de ma campagne axonienne (de l'Aisne) à Tanger, urbaine, exotique, sans rien de commun avec Paris. Enfance à la campagne, adolescence marocaine. Ni paysan, ni Pied-Noir, auparavant changeant de village, extérieur à tout, vivant reclus chez ma grand-mère, et les fils du fermier – puis, d'un coup, filles espagnoles et juives de Tanger, sexe et nombril, seul.

     

    le brequin vit avec la brequine dans une petite grange a flanc de montagne----il y neige depuis hier et on ne le reverra caracoler au bord des torrents que lorsque reviendra le printemps avec le retour des oies sauvages----le brequin en profitte pour brequiner joli et refaire son poil d'hiver et la brequine pour tricotter coudre tresser la paille en faire des paniers et des chapeaux pour quand viendra l'été----ils dorment plus longtemps car avec  le changement d'heure et la neige qui a cassé les poteaux électriques il n'y a plus de courant dans l'étable------en plus il a perdu sa carte bleue et n'a donc plus un sou pour faire venir les dépanneurs ou s'acheter un groupe électrogene--------encore???????????????? (Françoise D.)

     

    Descriptions "en l'air", sans illustrations. Comme un match de football à la radio, et ça marche encore très bien. Vous imaginez. C'est précis, c'est vivant, et je donne mon avis de façon outrecuidante. Et ce n'est pas long. Allez-y.

     

    64 01 31

    Elle s'en va : « Ciao, bonne émission » avec un accent néo-aztèque à couper au couteau. Voir un homme s'escrimer sur un cahier n'incite pas à la conversation. Je veux une efficacité immédiate. « S'intéresser à elle » ? Navré. Je ne sais plus si je souffre ou si j'en prends mon parti. Les « moi » seraient donc successifs ? Voyons voir comment les moi sont. Ma cohérence est donc : « Moi, vivre ? Ça va pas non ? Avec tous ces risques ?

    Plutôt rester morpion, plutôt toute sa vie, râler contre le monde entier. » - est-on naturellement introverti ? ¿ Mexicana, me quieres ? De l'intérieur de ma voiture, et vitres relevées, je demande cela aux femmes que je croise sur les trottoirs. Et je me réponds en chantonnant sans fin, sur l'air de Papa maman la bonne et moi : « T'es vieux t'es moche t'es con tu pues / Tu crèves t'es vieux t'es moche t'es con... », etc... Donc: j'ai eu peur. Mais : l'ai décontracté surtout, l'air de s'en foutre, consentir à perdre mon temps, à ne pas « faire mes devoirs » pour Papa l'Instite, il me reste à tourner en troisième personne pour composer le personnage. XXX 64 02 5 XXX

     

    64 02 13

    Mon épicier arabe m'appelle « chef ». Moi, jamais je n'oserais appeler qui qui ce soit « chef » (malgré mon gendre qui m'a dit que tous « ces gens-là » nommaient « chef » les personnes qui leur semblaient sympa). Il m'a toujours semblé à moi que c'est l'expression du plus grand mépris, et il m'est arrivé si souvent de prendre publiquement des tronches de chien battu que je me demande pourquoi les autres en ont ainsi profité, au lieu de m'avertir fermement de reprendre, sur les traits de mon visage, mes esprits, ma dignité.

     

    64 03 03

    N'importe quel candidat peut être accusé de n'importe quoi. Moi-même, si n'importe qui fait une enquête sur n'importe quoi, je puis être jugé justiciable de quoi que ce soit. Le monde est UNE NOUVELLE DE KAFKA. Je ne crois pas à la justice, quelle qu'elle soit, de quelque époque ou de quelque pays que ce soit. Exemple : j'ai le nez au milieu de la figure ; or, un nez ressemble plus ou moins à un pénis. Des enfants peuvent le voir en pleine rue. DONC n'importe qui peut m'accuser de pédophilie, et il se trouvera toujours quelqu'un pour le faire, surtout si je suis candidat à la présidence de la République. Fermez le ban.

     

    64 03 23

    La Grande librairie, toujours aussi fausse et banale. L'enfance comme pureté... Je me suis toujours senti sale, double, insincère, d'aussi loin que je puisse remonter dans l'enfance. Toujours l'impression de ne rien faire ou dire de ce qu'il fallait, et pire, toujours l'impression que je ne pensais pas, que je ne sentais pas ce qu'il fallait. Croyez-moi, c'est atroce. Et ça ne m'a jamais quitté. Et en plus, certains connards viennent me dire que je l'ai fait exprès, et que je ne vais tout de même pas me mettre à me plaindre. FUCK YOU ALL.

    ILV, 64 05 04

    Madame, Monsieur,

    Un nouveau ticket vient d'être créé.

    Vous pouvez le consulter à l'adresse http://www.inlibroveritas.net/ticket-public.html?open=kpWXZA%3D%3D.

    Si vous avez des questions, consultez notre FAQ http://www.inlibroveritas.net/faq.html

    12 05 17

     

    Bon, encore une interdiction. Pas les Noirs, pas les Belges, pas les pédés, pas les bonnes femmes, pas le gouvernement, pas le pape, pas les vieux, pas les esquimaux, pas les enfants, pas papa, plus rien, on ne rigole plus, du tout du tout du tout. C'est vilain de rire. C'est pas beau. Ca fait de la peine. Bouhouhouhou. On va tous chialer, et après, eh ben on se foutra sur la gueule au nom de la morale et de la pitié compassionnelle.
    . Pas les chiens, pas le sexe, pas les oiseaux, pas la merde, pas Dieu, plus rien on vous dit, plus rien plus rien plus rien. Merde ! Putain ! Chiottes ! Cul de curé, pine d'ours et bonne d'enfants !

     

    64 6 3

    aller sur moteur de recherche DERNIERE HARKA ... pour sauter comme eux faut du poil au .. et bien entendu du poil aux f... oyez gentilshommes qui sont ces manants etc ...
    ou alors ELOGES DU PARA www. apophtegme .com
    ou héritage/symbo4 camp d'idron c'est le lieutenant R.MAIRE qui avait adapté ce chant de la légion .. sur la route près d'un vieux chène , pour sauter comme eux etc ... hémanridron.com paroles paillardes ..
    Amitiés MCM

    Écrit par : MARECHAL | 30/05/2017

    3 juin 2017 ilv, présentation du « Péché de chair ».

    Ce qu'il advient lorsque des machos sans énergie veulent faire de leurs maîtresses des créatures sans volonté propre.

     

     

    30 09 2017

    Je constate depuis plusieurs années que le moindre universitaire auteur d’une thèse poussive se voit désormais ouvrir largement les portes de l’édition dite savante, alors même que plus aucun écrivain contemporain ou presque ne serait capable, et ne parlons pas de dignité, d’évoquer l’œuvre d’un de ceux dont il a hérité. Qui voudrait d’une préface de Yannick Haenel sur Melville, ou d’un texte de Mathias Enard sur Balzac ? Pas moi ! ASENSIO, noter

     

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    Quand j'étais gosse je voulais me libérer de mes parents, et mes rêves étaient de déclencher une guerre mondiale. Puis en grandissant je le suis aperçu que tout le monde était contre moi et me mettait des bâtons dans les roues parce que j'étais un peu bizarre et même complètement dingue. A présent j'ai compris que je me prenais pour un aigle et que je n'étais qu'une poule ou le roi des cons. Alors qu'on arrête de nous bassiner avec des histoires à la graisse de kangourou. Parce que les aigles, de là-haut, eh bien ils vous chient dessus.

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    Mon agence immobilière exigeait une indemnité après désistement, et je prétendais au téléphone qu'on m'avait volé mes papiers d'identité ; ils veulent me voir en personne, je réponds que je pars au Nicaragua (incohérent d'ailleurs : comment aurais-je pu, sans papiers ?) ; puis c'était mon propriétaire à Rostren, ce gros plein de barbe, qui entendait se faire payer pour un mois de plus (j'étais parti sans préavis), demandant à mon principal de me retenir mon loyer sur ma paye !

     

    Hélas, pour un Camus il y a cent crétins fils du "poheuple" qui foutent le bordel dans la classe en empêchant les autres de bosser, voire en l'empêchant de le faire parce que c'est un lèche-cul du prof. Les "enfants de pauvres" sont persuadés que"ça ne sert à hhien " de faire des études et qu'il vaut mieux se mettre à trouver un boulot au lieu d'aller flemmarder à la fac. Quand on n'a pas les bases on n'a pas les bases point barre. C'est une fatalité, parce qu'on n'a pas les documents sous la main d'une part, parce qu'on hérite d'une culture qui nie absolument la nécessité du savoir, et qui emboîte le pas derrière tous les contempteurs de l'enseignement qui aboient et chient sur tous les profs qui sont tous des crétins par principe. Je suis pour le retour au préceptorat, et pour ceux qui ne le peuvent pas, il y a le téléenseignement qui marche très bien aux USA et en Australie. Sans qu'on ait besoin de passer la moitié du cours à empêcher les fils du peuple de se bagarrer entre eux en faisant le plus de bordel possible. Quelqu'un qui veut s'élever dans la condition sociale doit d'abord s'isoler et bosser. Mais aller dire et répéter que la salope d'Education Nationale et les pauvres cons de profs FONT EXPRES de perpétuer l'ordre établi sont des criminels de la pensée.En sport, il y a les premiers et les derniers,quelle que soit la façon de s'entraîner. Pour le sport, on trouve ça très bien. Pour l'éducation, c'est l'abomination de la désolation. L'éducation procède par "élimination", et alors ? comment voulez-vous faire autrement ? Il faut mettre 18 à tout le monde au nom de la démocratie ? Il faut délivrer des diplômes de math sup à des prétentieux qui ne savent même pas faire une division ? Et je ne parle pas de la littérature, qui ne sert mais alors là absolument à rien de rien ! Il y a 95% des gens qui refusent la culture sou prétexte que c'est la "culture bourgeoise" - mille excuse, je préfère Mozart à Mireille Mathieu et Voltaire à Cyril Hanouna.

     

    3 1 2018

    C'est vague comme la mer ce que tu réponds. J'estime que tout le monde sans exception prend exactement les mêmes risques que le voisin, et que si on ne risque pas sur un plan, on risque sur un autre. Simplement, les uns exhibent leurs risques et les autres risquent sans le montrer. Un fonctionnaire pépère risque autant, en ennui, en monotonie, en vie conjugale, en soucis financiers, avec ses fils qui se droguent, que Untel qui grimpe sur l'Himalaya. A la fin on meurt tous, et c'est le risque supérieur, et sans filet pour personne. Exemple, je n'ai rien risqué pour "la sécurité de l'emploi", mais j 'ai risqué ma santé mentale en faisant un métier universellement méprisé, à me faire engueuler par des gamins qui n'hésitaient pas à répandre partout le bruit que je ne savais pas faire mon métier, avec le soutien de tous les journalistes. Je n'admets pas que certains estiment, unilatéralement, avoir pris "plus de risques" que moi. Changer de partenaire conjugal, d'accord, c'est un risque, mais conserver toujours le même contre vents et marées, eh bien c'est un putain de risque aussi, et j'en ai pris autant plein la gueule que d'autres.

     

    5 janvier 2018

     

    Il n'y a pas la moindre trace d'antisémitisme dans Voyage au bout de la nuit, qui est d'une fraternisation universelle. Ce n'est pas Céline, l'auteur, c'est le génie, par la bouche dégueulasse de Céline. Maudissons le trou du cul de Céline qui a chié cette oeuvre, mais bénissons la merde fécondante qui en est sortie. Quand j'écris, ce n'est pas moi qui écrit. Il serait temps de faire la différence entre ce qui est écrit par la bouche de Dieu et le salopard dans lequel, que vous le vouliez ou non, Dieu a choisi de s'incarner. Cela dit, je n'ai JAMAIS défendu l'antisémitisme. Les chefs-d'Oeuvre, SI.

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    Didier Blum Vous cautionnez avec une analyse tordue très celinienne. C'est votre choix, je ne le respecte pas.

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    Bernard Collignon Hugo était un salaud, il a provoqué la folie de son frère en lui chipant sa fiancée. Claudel était une pourriture, qui a laissé sa soeur croupir à l'asile. Voltaire était une pouffiasse, qui a maudit les juifs dans son Dictionnaire philosophique. Shakespeare était un antisémite forcené. Je serais très obligé à vos Seigneuries de bien vouloir daigner m'indiquer les ouvrages qu'il me serait bien permis de lire, avec ma plus profonde révérence.N'oublions pas non plus que Villon a poignardé un prêtre, et que Vigny en a dénoncé un autre pour le bagne, afin de profiter de sa propriété. Et vidons, vidangeons toutes les bibliothèques infectées par cette bande de dégueulasses immondiciels.

     

     

    Sans propagande, un pouvoir ne peut rien faire, vu le nombre d'opposants qui vont toujours lui aboyer aux basques, quoi qu'il fasse. Pour qu'un gouvernement soit efficace, il faut museler l'opposition, qui sinon devient hystérique (voir tout ce que l'on a déversé sur Sarkozy, Hollande, Trump,Poutine). Et quand tout le monde est dans la rue, on change le gouvernement, qui de l'opposition passe, cette fois, aux manettes, et à son tour musèle l'opposition. La démocratie est paralysante. Tout le monde braille, et rien ne se fait. C'est tantôt les uns, tantôt les autres qui ont le pouvoir et le pognon, les hommes sont comme ça, et de temps en temps le peuple ramasse tout de même quelques miettes, lesquelles seront remises en cause bien entendu par une opposition, etc... C'est la nature humaine, et qu'on ne vienne pas nous bassiner avec la perfection de la vertu : elle n'a donné que des catastrophes.Gérer

    65 04 28

    L'édition, c'est réservé aux colosses de la communication humaine. Et rien 'exaspère autant que de voir ces athlètes s'efforcer de démontrer qu'ils sont aussi de petites choses fragiles et secrètes... Le pire, c'est qu'en même temps, ils le sont. Il faut être né comme ça. Voir Céline qui a joué les persécutés alors qu'il entraînait des autocars entiers de médecins spécialistes d'hôpital en hôpital à travers tous les Etats-Unis et le Canada en une frénésie de tournées de chanteurs de rocks...Et que je te baratine, et que je te pousse tout le monde au cul,  et que je te fais des conférences en anglais devant les plus hautes sommités médicales... Je t'en foutrais, moi, du petit toubib souffreteux de banlieue ! à la fin, peut-être,  mais celui qui a pu le plus peut le moins. Et Lamartine amoureux transi qui courait tous les bordels d'Italie ! ça fait du monde je te jure... Etc, etc... Bref, si on n'est pas menteur, tricheur, parano et schizo, on ne devient rien, mais rien du tout, en littérature.

     

    65 06 16

    Si tu veux de la concurrence, depuis des mois j'entends le sang circuler dans ma tête, un bruit sourd et aigu à la fois, plus des vertiges. Mais je ne vais pas passer ma vie chez le médecin, qui va me déclencher un traitement du tonnerre de Dieu avec de la chirurgie, de la chimio et tout le bataclan, et une fin de vie de larve entre fauteuil et hôpital, pour la plus grande gloire de l'héroïsme médical et de la Sécurité Sociale.

    65 06 17

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    65 07 20

     

    Une bonne dose de don pour l'intrigue, aussi. Ceux qui réussissent jouent tous un DOUBLE JEU. C'en est même répugnant. "Ah que je suis malheureux ! ...pourriez-vous me présenter à Untel ? ...et me préciser le montant de mon compte en banque svp ? Aaaah, quelle souffrance que la condition humaine ! De quel côté la caméra ?

     

    65 08 08

    Sur Facebook, on peut râler contre tout et n'importe quoi, on se sent vachement important, et quand quelqu'un ne vous plaît pas on peut l'allumer comme une bête ou le saquer. Et franchement, je ne peux plus m'en passer. Il y a eu "avant Facebook" et "après Facebook". C'est fini, la timidité, les interrogations sur la manière dont il faut parler, diriger son regard, faire attention à ses mimiques, avoir peur de tout le monde et de soi-même, fini tout ça. Merci Facebook d'avoir transfiguré ma vie. Et je peux même me foutre de ma propre gueule. Merci.

    A noter de mon Liégeois :

    On médit de la pornographie mais c'est la pornographie qui m'a sauvé de l'amour. S'il n'y avait pas eu ça, je crois que je serais devenu fou... 

     

    Pas du tout, pas du tout... J'ai erré en jouant à touche-touche,
    "tiens, si j'essayais ça... tiens, si j'essayais ça". Et à un moment
    donné, "ça" c'est débloqué, mais je serais bien emmerdé de te dire
    comment. J'ai eu de la chance dans mon errance, c'est tout. Je
    n'appelle pas ça "vouloir", en serrant les poings, en serrant les
    dents, avec la logique et les coups de poings sur la poitrine
    "gourou-gourou c'est moi que j'ai les plus grosses". Je trouve
    parfaitement ridicules les gens qui parlent de leur "vvvvolonté" alors
    que c'est le hasard et la Grâce de Dieu (tout de suite les gros
    mots...) qui font tout le boulot. Il faut bien que les faibles
    arrivent aussi à se démerder, de temps en temps.

    65 12 02

    Oui, désolé, je marche, je cours, je galope. Chez les gilets jaunes, je discerne la volonté de hurler sans y remédier, jusqu'à ce qu'on en crève en tourbillonnant sur soi-même. La rage d'imputer aux autres tous les malheurs du monde n'a d'égale que la rage de certains autres à vouloir vous démontrer que tout est forcément de votre faute à vous. Les deux positions sont aussi connes l'une que l'autre, et je les renvoie dos à dos. Non pas en face à face,mais en fesse à fesse. Face au néant, que veut dire "avoir raison" ? Le raisonnement mène aux mêmes abîmes autodestructifs que l'hystérisme. L"hystérisme étant bien fatigant, je me permets de choisir la flemme.

     

    65 12 02

    C'est emmerdant, mais que j'offre mes faiblesses à tout vent, Lefth me l'a déjà sorti. Fâcheux. Réponse : ce n'est pas parce qu'un masochiste se tortille en gueulant "Vas-y fais moi mal mets-la moi bien profond je jouiiiis" que l'on doit obtempérer en s'acharnant sur le connard. Quand je vois quelqu'un qui a l'air con, ou boiteux, ou nègre, je ne vais pas lui gueuler dessus "ah le négro, ah le boiteux, ah le con". Non. Je m'abstiens, je me détourne, je le laisse tout seul avec sa merde, ou bien j'essaie de trouver un remède, un adoucissant, et non pas "ah, tu jouis des coups de poings dans la gueule ben tiens connard en v'là une dizaine"... Désolé.

    Décembre 2018 :

     

    C'est de LUI que je parle là, pas de moi. J'ai été comme ça plus ou moins il y a fort longtemps, la préhistoire. Oui le cerveau peut des choses, mais par définition il ne peut rien contre l'irrationnel. "je sais bien, mais quand même", c'est ce que je le fais, c'est ma devise.Si je me soumets au pire c'est parce que je sais qu'il sera remplacé par pire encore parce que je n'ai pas l'envergure pas la résistance et que je préfère les catastrophes connues aux catastrophes inconnues. Je n'ai pas envie de me retrouver dans un poste de police ou à l'asile de vieux parce que j'aurai voulu être libre, planquer ma femme et me retrouver à brailler sur un trottoir. Quand je fais l'intéressant je résiste parce que je sais que je me rends ridicule ou odieux je sais de quoi je parle merde j'ai 74 ans si je n'ai toujours pas compris c'est en effet que je suis con. J'attends des autres qu'ils me foutent la paix si ce n'est pas trop demander. Tu me vois aller faire des scènes de ménage dans un bureau d'éditeur, me casser la gueule dans une manifestation, voyager et arriver complètement claqué avec la tourista dans les boyaux, partir au Tibet et devenir un glaçon qui délire ? Vivre avec un mec et assassiner une pute pour compenser ? Tripoter une petite fille et me retrouver en taule ? Faire de la politique et me faire insulter ? Conquérir une connasse et me retrouver sous une avalanche de coups de téléphone insultants ? Enfin quoi merde ! Me ruer sur des islamistes et finir égorgé avec les couilles dans la bouche ? C'est confus ce que tu dis ; des généralités généreuses. Moi, c'est clair, concret, désastreux et destructeur. Alors pour le peu de temps qui me reste, NON, MERCI, NON, MERCI. Je continue exactement comme j'ai commencé, je connais le chemin, j'irai jusqu'au bout de ma ligne sciemment réfléchie et pesée archipesée avec mon cerveau et mon affectivité, advienne que pourra, n'advienne rien du tout, d'ailleurs, n'en déplaise aux esprits chagrins, merde, con, putain, chiottes.
    SI VOUS AVEZ LU JUSQU'ICI SANS RIGOLER, VOUS AVEZ GAGNE UNE BRANLETTE GRATUITE. De Schubert.

    devise.si

    http://devise.si/

     

    65 12 26 :

    J'ai lu, j'ai lu, mes poumons sont vides, je ne peux plus crier, ça m'arrivera de temps en temps, comme un chien qui fait couic-couic sous les roues des connards. Je ne peux pas être "pour le peuple". J'ai toujours détesté les travailleurs, les pue-la-sueur qui ne respectent rien de rien, qui rotent à table et qui conspuent les arabes, les juifs, les femmes et les pédés. Qu'ils se bagarrent avec les bourgeois si ça les arrange, moi je suis du côté des érudits qui à travers les siècles, les guerres et les épidémies, dissertaient sur une virgule chez Lucrèce ou les significations d'hiéroglyphes. Et quand je réagis, c'est comme à des piqûres de moustique. A bas les idéologies, vive les langues mortes, moi je travaille sur ce que je connais. Les crève-la-faim sans culture me font chier, les bourgeois qui les assassinent m'écoeurent à dégueuler, vive la Divinité, vive les Bouquins.

     

    66 01 14

     

    Re: bco

    Les ballades avec toi au ralenti sur les petites routes de l'Entre-Deux-Mers sont de véritables petits joyaux de bonheur et de respiration. Les femmes sont magnifiques à regarder, à adorer, à se masturber devant des images, mais dans la vie quotidienne ce ne sont que des soucis, des récriminations d'éternelles victimes, quand on baise on est un salaud et quand on ne baise pas on est un pédé, de toute façon on est un homme DONC on a tort, tu n'as qu'à lire les médias, alors non, excuse-moi, les femmes, c'est PAS un bonheur. Toujours à se foutre de votre gueule ou désireuses de profiter de la situation, non, merci. Sauf toi, bien entendu. Les femmes ne sont supportables que si l'on évacue totalement la notion de sexe et de sentiment. A ce moment-là, ce n'est plus la peine qu'il y ait des femmes, ou des hommes, évidemment.

     

    20 01 19

    Exact. J'attends que les choses se simplifient, que Dieu se mette entre parenthèses par exemple et que la Tout Eiffel se dresse sur sa pointe. Et si je regarde froidement, "je ne sais pas toi" comme on  jargonne, mais moi je vois la mort, et ceux qui voient autre chose c'est qu'ils se sont mis un bandeau sur les yeux pour voir l'intérieur du bandeau et pas la mort ; quand je regarde "froidement", c'est "froidement", pas avec des fioritures socio-psycho-éthiques et je ne sais quoi. La seule vérité c'est la mort point barre. Le cabotinage est mon expression naturelle, je suis un acteur qui se regarde jouer, et il  n'y a pas de honte à chercher la justesse de ton pour ne pas emmerder les autres et ne pas s'emmerder soi-même. Le manque de cabotinage s'observe chez les pierres et chez les grenouilles, et je me sens plutôt humain, tu vois. Dès que je me réveille je dois surveiller mes pensées qui commencent à galoper comme un hamster dans son tambour et sous les projecteurs. Je suis calme ne t'en fais pas, j'explique. Je me défends toute la vie contre le malheur justement, c'est-à-dire contre moi, et contre la sottise, la mienne et celle des autres.

    14 02 19

    Les ouvriers sont des connards, impossible à cultiver. Ils m'ont tiré
    les cheveux longs pour  voir si c'étaient des vrais. Ils détestent les
    arabes,les juifs et les pédés.Vous n'arriverez jamais à en faire lire
    un. Je préfère de loin les intellos, on a au moins un langage commun.
    Vive la culture, bordel, vive la culture. Mais, je suis incapable
    aussi, comme les ouvriers, d'écouter un raisonnement suivi : je trouve qu'il y
    a des "sautes" du raisonnements, des incohérences, des "logiques" qui
    n'en sont pas. Exemple typique : "Les hippopotames ont la peau verte,
    DONC le vent vient de l'est. "DONC" ? "DONC" ? ...et quand vous ne
    comprenez pas, les intello se fâchent ! vous faites exprès de ne pas
    vouloir comprendre ! non : je n'aime que les dingues et les
    illogiques.

     

    16 02 2019

     

    Oh que oui que c'est dur, toujours les regards ironiques, les petits airs entendus et supérieurs, les moues de mépris, les ricanements, les "Tu parles !" déchiffrés sur les lèvres des passantes dès que je les regarde, ça te fabrique un climat de rancune et de haine que je ne te décris pas. J'adore ce que tu me dis : "La sacralisation de leur petit con ou leur liberté sexuelle". Leur liberté consiste essentiellement à refuser tous les hommes sauf les 2% qui de toute façon s'envoie qui ils veulent, et à pouvoir se branler en soufflant comme des locomotives. Les fachos espagnols commencent à se repositionner contre le "Fffféminisme". Redresserions-nous enfin, faute de mieux, la tête ??

    18 02 19

    La raison démissionne. Pour ma petite pomme prétentieuse : il y a désormais pour moi deux catégories : la mauvaise, qui veut tuer du juif, et la bonne, qui ne veut pas tuer du juif. Oui, je me classe dans la première catégorie, parfaitement, et je vous emmerde.

    21 02 19

    Je ne crois pas que l'humain détienne la clef de l'humain... A un moment donné, c'est la force des choses, le destin, appelez ça comme vous voulez, qui décide. Quand un homme tombe, il bat des ailes dans le vide avec ses bras. Mais il se casse la gueule. Combattons quand même, pour l'honneur..

     

    12 03 19

    Pascal Taintignies Les femmes comme vide couilles pour protéger les enfants

  • POURQUOI ont-ils tué Péguy ?

  • Les Pathétiques

    JEAN – BENOÎT RECONSTITUTIONS EXPLOITABLES

    «thurne » p. 9, voir aussi version papier.

     

    POUR COMPOSER MA VIE J’AI DU gravir et descendre tout l’escabeau des CONVENANCES

        ...Transpositions ? inutiles ; ce livre ne sera jamais ni édité ni lu.   Je le dédie au petit gouffre. 
       COMPOSITION  en taches d’huile. 
    
    
        Nous sommes vous et moi les pathétiques, sur les sentiers battus des Landes en fin d’après-midi ou au petit matin. Nous parlons seul ou faisons silence, si alerte à 50 ans,  si poussif quinze à vingt ans plus tard. Accueilli au retour par Simone qui porte le nom de ma mère, si prompte à tomber dans nos  bras si peu que nous compatissions à ses malheurs : nous vivrons bien trois ans de plus ! La vie s’étire en très gros plans de scénarios mal compris comme ( …) une fois dans l’Ouest – lorsque tintent les  sonneries des deux montres ; l’œil glisse sur l’épouse 
       Impasse Marguerite-Marie :  née Alacoque, inspiratrice de la Vénération du Sacré-Cœur. En vérité l’impasse offre  une succession d’étroits pignons pressés par moitiés l’un à l’autre, laissant supposer l’une de ces structures collectives très prisées du XIXe siècle. Tous ces pavillons comportent deux logements étroits inversés contigus, un par versant de toit, sur toute leur profondeur. Cela se présente à l’entrée comme un long corridor vaginal élargi du fond, replié en retour sur une salle d’eau. Le tout bute au dehors contre un mur mitoyen où se cale un minuscule carré broussailleux sous tonnelle faisant fonction de jardin où nous avons tenu à six à table. 
         D’un carré à l’autre, tout s’entend à la syllabe près. 
          Revenons au seuil de l’impasse. Pour accéder aux étroits logis, le sol de terre et de débris mêlés râpe les semelles.  Des chats  défiants s’arrêtent net et vous fixent, avant de détaler sous les barrières à claire-voie des lopins de légumes. Ces rangs dévots de salades et de haricots blancs bien entretenus dénoncent des vies besogneuses et délatrices.  À d’autres la fable du peuple rédempteur. Nous n’aurons trouvé dans ces lieux nulle âme qui vive. Les occupants s’en dissimulent ou se plaignent à qui de droit par lettres pour le bruit nocturne du pianiste : Jean-Benoît, que je visite à  intervalles mesurés. Le  fond d’impasse, épais, herbu, permet le demi-tour d’un véhicule, ce qu’il faut le plus éviter :  vestige dun sol tremble encore une remise en planches au seuil duquel je descends pisser devant une antique calandre de Rover défigurée de rouille. Je  m’essuie sur la jambe, traverse le sentier, presse le bouton blanc deux tons du carillon d’entrée, American fifties, serre la main de l’artiste. 
        Il a le souffle court et les intonations nasales typique d’un preneur de psychotropes. Il vit ainsi sous son demi-pignon en enfilade, un piano  droit de profil sur le mur, et l’épinette  à  droite. Un orgue d’intérieur trône plus loin dans la pénombre. Deux chaises, une table ronde en pagaïe – partitions, bulletins, fascicules paroissiaux - et quelques étagères. Soucoupe en équilibre à ras bord de cajou, de pécan. Du vieil encens stagne dans les rideaux jadis crème. L’unique visite d’Arielle (tu parles si souvent de lui ! ) a provoqué chez elle d’incessants battements de fenêtre  (j’étouffe!) par où  Jean-Benoît feignait de craindre l’intrusion du petit chat bien nourti de l’impasse. Insensible aux arpèges, gammeset renversements, Arielle s’enfuit avant de périr d’asphyxie.  
    	Je ne suis plus retourné chez Benoît que seul, en  mission d’amitié. 
       Marie-Pascale en effet, humaniste huguenote, m’avait soutiré le serment de le tirer de dépression ou pire. « Ne feins pas l’amitié »  est-il écrit, mais que fallait-il faire ? j’étais promu visiteur d’impasse, prisonnier consentant de ce boyau hanté, curieux malgré tout d’explorer l’occasion : l’autre est solitaire dit-on, tout aussi jaloux que Dieu. Depuis ma droite	et jusqu’au fond du tube habité par Benoît , l’air entretenaitt de féroces relents d’encaustique et de crasse équitablement répartis sous des bataillons de bibelots. À l’exception des instruments très bien entretenus. C’était une suffocation de crucifix crasseux et de madones de tout poil juchées sur leurs consoles, y compris la Vierge sur offset punaisé sur le mur comme chez moi, et que je prie parfois. L’Église  en effet nous abreuve de souscriptions postales - mais donner une  fois c’est donner toujours, et le coût des relances absorbe in fine le montant des offrandes. Le jour où j’ai reçu 25 autocollants contre l’avortement, je les ai  renvoyés assortis par retour d’un courrier plus qu’acerbe. J’ai juste conservé cette Maria de Fatima, cireuse et larmoyante sur ses joues imputrescibles. Je la prie aussi bien en grec et en latin, sans plus y croire qu’un histrion. Dans  son exil interne, Jean-Benoît prie pour lui et moi, et trouve la paix. Certains parlent d’autosuggestion. Je préfère croire. D’autres avant lui  ont cru en Dieu, ce qui arrive à des gens très bien. En ce  même  instant d’autres humains prient pour nous. Nous retrouvons ici chez Benoît, impasse Alacoque, un de ces vieux  logis de  prêtres ou d’oblats esquissés par Huysmans  juste au-dessus des cloches de Saint-Sulpice. 
       
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       Après de longs  silences, Jean-Benoît me relance au téléphone : il jouait de l’orgue hier soir. Il a cru que je répondrais. Le rappelant au matin, j’ai reconnu sa voix lente. Il me proposait de l’entendre  ce dernier dimanche. Il me redemande  son lecteur sans stéréo, que j’ai mis en piteux état, et qui pourrait enregistrer ses  œuvres « à travers l’air », dit-il, «à l’ancienne ». Il a parlé de moi à ses prêtres, en m’attribuant  une grande culture (que j’étale) et de l’originalité (aurai-je assez entendu cette ineptie). Les constantes de ma conduite permettent de penser que loin de détester les hommes, je les dénigre par  pure commodité. 
        Je couve Jean-Benoît parce qu’on (Marie-Pascale) me l’a demandé. Je n’ai jamais abandonné personne : répugnance et fatigue.  
    	Les gens de haut rang et autres grands esprits déplaisent à ma paresse ; ne sont-ils pas autosuffisants ? Ma peur a repoussé les femmes : méfiance et hostilité. En revanche, une excessive douceur préside à mes rapports avec les chiants, dont Jean-Benoît, car ils ont peut-être raison. Les transformer en créatures appréciables  nécessite une tolérance inépuisable et le renoncement, quand on les visite, à toute aspiration personnelle. Cette vaillance qu’on aurait exercée à connaître ses parents d’esprit s’est diluée dans l’apprivoisement des faibles, en justifiant ses propres générosités au nom d’une feinte charité ; ceux qui les blâment  ignorent la force qu’il aura fallu  dans le renoncement. Le laisser-aller en effet ne suffit pas : couler à fond nécessite autant d’efforts et de souffrances que la bête lutte. Cela suppose un concentré de persévérance et d’abnégation aussi contraignant voire douloureux que d’escalader les cimes de la réalisation. Dans les deux cas, l’ego disparaît : aspiré d’en haut, par la raréfaction de l’oxygène – ou vers le bas, asphyxié par l’abîme. 
    	La seule fausse note est que le descendeur toujours a le regret de n’être pas monté ; mais pour sa part, le grimpeur jamais plus n’aspire à descendre.
    	Cette même optique transformant ses incapacités en  systèmes, nous avons adopté la méthode «en tache d’huile », sans  chronologie ni liens 1ogiques. Ce qui nous rend incapables, remplaçons-le, non par des systèmes en définitive, mais par des prothèses. 
    
    (In domo Patris) mansiones multae sunt 
    	Nous proposons aussi à Benoît l’examen de Block (« dextérité manuelle ») en buis ou poirier. Il pourrait en vérifier l’efficacité, dans l’enrichissement du ton. Mais notre rapatriement vers Dieu n’est pas impensable, puisque certains redécouvrent l’influx magnétique de l’univers,  la partie valant le tout, atome des hommes, atome de Dieu. Nous voulons finir nos jours en Confiance. De même les royalistes prennent-ils en compte tout souverain régnant,  nous en serions à Louis XX. Mais ce sont là débats stériles de croyants. Pour Jean-Benoît l’entretien d’âme et de corps est dévolue à la personne de sa mère, des emplettes, aux surfaces planes. 
    	La mort survenue du fils aîné avait jeté la survivante Odile dans la dévotion du second ; la mort à son tour, quinze années plus tard, de l’octogénaire protectrice avait vite réduit Jean-Benoît aux négligences résidentielles, vestimentaires et presque sanitaires : « Je suis devenu » disait-il « terne, sale et secourable ». Des  papiers glacés publicitaires jonchaient le sol en attente d’une improbable classification. En attendant on y glissait. Chez certains cas sociaux que les services abrègent en cassoss, nous avions connu   des chiens compissant les  journaux déployés sur le   carrelage : ainsi les Polonceau de Marchais, ou cousine Aline.

     

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       Plus tard  Jean-Benoît déménage en ville,  au  bas de la rue de Psak. Son père, nouveau  veuf, n’ayant plus longtemps à vivre, est placé « en établissement » près de l’ancienne manufacture de tabac : l’appartement du père, s’est libéré. Jean-Benoît s’est donc laissé glisser en bas de côte. Une époque est passée. Le vrai Benoît sera toujours en  Haut-de-Ville. Toujours il hantera le boyau Alacoque, avant-dernière porte ; malgré les sons infects  et plats de ce long cachot. Il jouait en sourdine, de nuit, mais les ondes infiltraient encore le sommeil des nuls. Son pas  rampant et  chaloupé, sa silhouette imprécise, indisposaient ces gens de peu ; c’était un anormal, un dépressif, un fou. On le voit au clavier, quand la musique  suinte sur son profil , où elle s’imprime.
        L’orgue interne (une rareté) demeure muet  en fond de pièce ; il n’en joue qu’en retour d’écoute, jouissance interne de yogi ou de prostatique. Pour l’écouter en toute plénitude, il faut gagner les Prémontrés de St-Norbert ou moines blancs. Nous chanterions dans la nef les répons prescrits. 
    	Il existait dans le Béarn une petite femme  laide et boulotte  jouissant en public au milieu de la foule : sous la coupole du kiosque s’étouffaient les tutti du chœur : rou-bou-droun-boudroun ta brahiola tis vroundoun – le son  gonflait sourdement comme un fruit rouge et Boule Rouge dardait à  la ronde les étincelles d’une extase ignorée, où tous étaient conviés, mais en vain. 
        J’observais aux Prémontrés de St-N. la ferveur des   convives  autour de l’eucharistie. Tous en état de grâce ?  je ne suis pas digne  (« ne dis qu’un mot et je serai guéri » ). À supposer que l’admission   au sacrement soit devenue moins stricte, je le repousse  sans cesse dans le temps, au risque de mon agonie. Parfois je sens une bouffée de joie, sous mon kioske. 
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        L’épinette privée de Benoît. Il en joue  volontiers sous  mes yeux,  moins rarement qu’avant. Le plus souvent  je me contente de son piano droit,  propagé contre la cloison de gauche. Le peu que j’aie tenté moi-même à l’épinette reste moyennement brillant, hispanique mais plat – aux antipodes du fandango de Padre Soler. Malgré le trouble que badigeonne sur mes doigts  ses yeux attentifs ; les musiciens doivent s’aguerrir sous les œillades des jurys de concours. Souvent le zoom se fait à la télévision sur ces étranges mains de cirque. 
    Je suis monté le voir un jour à la tribune pour l’improvisation du Missa est, mais il m’enjoint d’un signe de l’attendre en bas. J’y redescends prêter l’oreille aux réverbérations d’en bas. Je me figure cheminant de dos en quête d’Esprit-Saint vers le transept. Parfois sans être monté je saluais Benoît de la main droite et je savais que l’organiste aussi dans son miroir levait le bras pour moi sitôt que les soupirs le permettaient. 
    	Me revient à ce propos Anne Fubre de Nancy passant l’archet sur son alto de Mirecourt an centre d’un amphi de bois sombre. Elle répétait avec véhémence que les huissiers, physionomistes à l’affut,  jamais au grand jamais n’introduiraient un auditeur suspect. « Ils repèrent tous les fielleux de ton genre »… 
    
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    Il suffit  disais-je à Benoît d’abandonner sur l’épinette ses phalanges pour trouver la grâce. Benoît s’assombrit d’un coup : « Tu vas mourir ; tu dois ralentir  le thème ». Rien de plus facile que de médiocrifier sur épinette... je  me suis  donc replié   en  bon ordre. Benoît  me semble  plus susceptible d’émouvoir aux cordes pincées qu’aux frappée. Il pense le contraire.  Nous sommes tous à nous tromper sur nos talents.  Voltaire a pensé incarner Racine. Dzeu, l’Ermite, logé dans son sixième, n’apprécie pas  plus  l’épinette que le  piano,   lorsqu’il la capte sur  mes ondes   :  il n’en aime  ni le  rythme, ni l’inspiration.  
    	Au fond du corridor  médian de l’impasse « Alacoque » s’ouvre un jardin  carré de la taille d’une table et six chaises très exactement où nous avons mangé  un jour d’été,  en compagnie de  Marie-Pascale  et   des parents de Jean-Benoît (courage, petit poète égyptien de  la Onzième Dynastie) - sa mère Cécile  avait disposé les convives ; assis à l’abri du soleil, sous la tonnelle  entre  les haies de vigne vierge.  
    
      PHYSIQUE ET VÊTEMENTS
       L’abdomen de Jean-Benoît par temps chaud retombe sur sa ceinture. Je le vois grignoter ses noix de pécan ou de cajou, mouchetant sa barbe   à la Debussy   de miettes, avec ou  parfois sans moustache.  Il me tolère de pleines paumes de pacanes et d’anacardias, et  puise en d’autres écuelles semblablement garnies, malgré son budget restreint. Il m’offre aussi ses nectars en boîtes à base de menthe ou de grenadine. Il porte en toute saison d’épaisses chemises façon gentleman farmer à  gros carreaux mauves, sans jamais dégager de sueur. Il suce ou chique des mégots goudronneux, non sans sucer 
     des Vichy pour l’haleine. 
       Il m’en propose aussi, que je décline. J’ignore à quelle occasion Jean-Benoît, Fête ou Office des Morts, a  lié contact  avec Marie-Pascale, venue s’installer rue  Filiale en face
    - autre lotissement  maçonnique. 
       
       Marie-Pascale
        Nous l’appelons souvent Sœur Pascale par manière de plaisanterie. Son anorexie se compense vaillamment par des alternances de boulimie, de jeûnes, d’observance et de remords joyeux. Sœur Pascale prie l’Univers d’éloigner des falaises sa mongolfière et s’exprime avec volubilité, nous infligeant chaque syllabe sans cesser de sourire. Elle attendra longtemps l’homme de sa vie, mais quel mâle voudrait de ce faciès  fiévreux de colonel  British en retraite ? Parfois je  la conduis au Bordeaux-Luxembourg de 9h 8. nous parlons de tout. Je laisse aller la main de mon levier à son genou au point que ce dernier s’écarte. Cela ne prouve rien ni le contraire. Elle plaît aux hommes dit-elle et je n’en crois rien. Nous sommes souvent invités, car j’ai depuis longtemps.convolé en justes noces  Dans son appartement luxembourgeoisement rangé la conversation  doit toujours chauffer deux  ou trois bons quarts d’heure avant que  les antennes  se  déplissent.
    	Alors  nous échangeons sur le bien-vivre ou  Dieu, ou l’une de ces aventures édifiantes ou marrantes tombées sur telle ou telle connaissance absentes et très âgée de Marie-Pascale - rencontre-t-on ses amis au petit bonheur ? 
    	...Quelles relations Marie-Pascale entretient-elle avec  Louise la Malgache ? pourquoi le petit ami de Louise, Européen sec et  jaune, traîne-t-il après lui  partout son vieux matou galeux ? Il se fait appeler d’Entragues, sans rien en lui du Vert Galant ou de 
    Catherine Henriette. Il vient essayer dans ma baignoire ses maquettes de navires, et n’y reviendra plus. Je ne puis m’empêcher d’aimer cet importun glabre ni de reconnaître en lui le superficiel dont je jouissais à l’âge où les tics me dévoraient le visage.  « Nerval s’est pendu » Mon d’Entrague affiche une vive affliction : « Quand çà ? - En 1855 ». Il se fige - ( « Nerval » ???). 
    	Petit Ami de Louise adore l’informatique. Il interrompt la génitrice de Benoît évoquant dignement la  mort de  fils - « Où avez-vous  trouvé ce  joli bracelet ? » Jamais ne fut dit plus plat alexandrin. La main en vérité m’a démangé.
       
       Le passé de Jean-Benoît

    La belle-mère de Jean-Benoît et son épouse se sont jadis main dans la main jetées d’un 5e étage, après avoir prié le Ciel ou Sirius (au nom de Raël et des Elohim) - quel gendre et mari survivrait à ce double sacrifice ? La famille prétexta la funeste fable d’un accident routier, mais il est à jurer que Marie-République, fille de Benoît, a toujours tout su. Les enfants savent. Où se trouvaient le père et beau-fils à ce moment ? Quelle folie ! De quel recentrement sur soi, de quelle inspiration s’est-il absous pour ainsi hasarder son épouse aux pattes de la folle ? Marie-République issue de son union n’a jamais envisagé de consulter la presse de ce jour-là.

    Lorsqu’elle est revenue voir, jeune adulte, son père dans sa thurne, il ne lui a parlé que solfège et vanité d’artiste Elle écoutait de toutes ses oreilles, et de ce soir-même conçut l’enfant qu’elle appela Bankoré. Il fut question qu’elle revînt passer sa vie chez son père avec l’enfant et Nelson Freire l’amant haïtien, eux trois dans les pièces du bas rue Filiale, respirant l’ordre et la propreté. Puis cela tourna court, envisageant Benoît la permanence d’un hurleur nocturne capable d’effrayer tout artiste insomniaque. Portant dernièrement mes pas vers l’entrée de l’impasse où le trio avait cherché refuge et succession, j’entrevis le jeune père portant dans ses bras son petit enfant kaki, cul nu au-dessus herbes. Je me suis arrêté avant d’être aperçu et de me voir contraint à des politesses je suis venu par hasard et j’ai poussé jusqu’à vous ; aux allusions plaisantes à la main féminine c’est clair, aéré, tout bien rangé favorablement accueillies ; auraient suivi les observations sur le piano droit autrefois planté là, que j’écoutais coincé sur ce fauteuil d’osier : « Parfois il me tendait ses partitions où je pataugeais des yeux de mon mieux vous pratiquez peut-être un instrument ? Non je ne reste pas merci, je suis venu à l’improviste et j’aurais pris congé sur un satisfecit, « vous avez bien tout réaménagé ».

    Ceci pensé je suis revenu sur mes pas, car la conversation était terminée. Benoît lui-même a giclé cinq enfants de femmes différentes. L’imaginer dans sa vie antérieure est aux limites de l’impossible. Il ne revoit plus ses fruits du premier lit, kidnappés par des huguenots ; une autre famille a pris le relai, veille au grain. Jean-Benoît s’inquiète des approximations du biographe, que j’ai eu l’impudence de vouloir incarner. Il me confie en mains propres six ou huit feuilles où le lecteur est prié voire sommé de n’apercevoir que la stricte musique et ses consolations ; « le reste, écrit-il, n’est que « vicissitudes et brouillage communs à toutes les familles ».

    C’est précisément ce que demande le lecteur moyen : le seul pouvoir qui lui reste lui permet de comparer les aspects à peu près accessibles, susceptibles d’éclairer les filigranes de sa musique personnelle. Justement ce qui « ne saurait intéresser personne ». Il ne survit plus qu’une vieille cousine aphasique. Ayant ouï dire (par moi-même…) qu’il s’écrivait des choses sur lui, Jean-Benoît voudrait en savoir plus Mais rarissimes en vérité les lecteurs favorisés par le sens littéraire : «Tu m’as caricaturé ! calomnié ! Tu n’as pas le droit de dire cela de moi, de nous ! » La littérature « est un mensonge qui dit la vérité » : malheureusement, cette disposition se répand sur la vie politique, jusque sur la vérité.

    Les imprécisions littéraires contaminent le monde factuel, tandis que le monde littéraire fait appel aux précisions scientifiques : équilibre préservé. En l’occurrence, nous comparaîtrions devant un tribunal, malgré son incompétence. Jean-Benoît craint par-dessus tout d’être reconnu, lui ou le moins important de ses proches – or qui sommes - nous, gibiers de cercueils, pour nous redresser de la sorte ? Qui se souciera de la vie d’un si petit César ? Ô personnes de peu, qui refusez de vous voir sur les écrans, qui engueulez, parfaitement ! le publicateur d’une photographie de vous après le dix-huitième clic !

     

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    Jean-Benoît n’aligne que d’ingénieuses successions ou kyrielles d’exercices pianistiques insipides. Il s’imagine offrir et prodiguer des cascades de cristal et de joie. Où est la vérité ? Dois-je laisser soupçonner la mienne ? Dans quel repli de caftan se cache-t-elle ? Car l’ironie ferme sur elle à double tour les portes. Jean-Benoît m’attire et me rebute à la fois, « du moins je crois » - le double et son contraire  - ni l’un ni l’autre ?- je t’en pose, des questions ? Nous nous éloignons lui et moi. Chacun satisfait de soi. Pourquoi pas. Il s’ouvre à lui-même d’autres épanouissements, dans sa toute neuve communaut éatholique. Lorsque je le vois au sortir de sa messe, je sens à ses mines urbaines et furtives que le prêtre desservant adorerait que je me présentasse, et je dois éviter d’exposer d’emblée, comme ça, tout de go, mon incroyance

    Encore n’en suis-je pas même certain. Jésus n’a pas existé : je partage cette certitude avec ceux qui me le répètent. Puis-je communier, sans m’être entretenu auparavant avec un prêtre ? celui-ci est-il pédé ? Jean-Benoît n’est-il pas eunuque pharmaceutique ? malaise… À considérer ses propres songes chargés de mecs, il y aurait de quoi s’interroger dans mon âme et mon cul. C’est pourquoi nous ne ferons pas de sitôt connaissance  avec père Yves-André. Je me détourne de l’abbé, J.B. m’oublie en direction d’admiratrices batraciennes, et je m’éclipse en évitant primo de faire l’aumône aux mendiantes, secundo de raccompagner l’organiste chez lui.

     

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    Je ne me suis jamais habitué à Jean-Benoît. Il faudrait cesser de mettre tout le monde au même niveau, de les aimer tous entant. Ces fariboles m’entortillent. Pour Daniel, j’ai mis trente ans : cet autre me faisait sursauter chaque dimanche à 9h15, pour me téléphoner. Je pestais comme un charretier enculé par son âne, et rien qu’à décrocher je dégoulinais de miel fraternel. Il ne faut pas être fier dans la vie. Jacob, un autre autre, m’aura pris quant à lui quarante ans…Où est-il prouvé que l’on ne fait jamais rien malgré soi ? sans l’avoir voulu ? explicitement voulu ? si tu ne crois pas ces sornettes, si tu les refuses avec indignation, ta vengeance n’aura pas de fin, ta lamentation ne connaîtra plus de fin.

    Mais si tu acceptes ce verdict de toi contre toi, tu mourras d’impuissance ; nul ne peut abolir ses propres offenses, ni réparer ce qui une fois fut blessé. Pour les autres raisonneurs, moins abrupts, il existe une grande variété d’orchestrations intermédiaires, car le nuancier des complaisances est infini.

    Nous nous livrons aux complaisances. On les appelle aussi « sentiments éprouvés » ; ils ne prouveraient donc rien ? nous ne devrions croire que les comportements, sans ouvrir la voie aux réticences ? « Si vous ne l’aimiez pas, vous ne l’auriez pas fait » - est-ce si simple ? notre cœur serait un parasite, une excroissance à exciser ? Regrets de l’abstinence, remords du gâchis, rien d’autre en vérité que pertes et profits ? Les émotions sont factices. Nous sommes enfouis sans recours sous les gravats des raisons actives. Rien ne reste plus à démontrer, nous n’avons plus qu’à décrire. À promener dans dans les gravats nos détecteurs de pépites.

    Adoncques le Jean-Benoît me recontacte, observe combien de temps s’est écoulé depuis ma dernière messe, comme on fait à confesse. Temps lointain, temps des faux-semblants. Je promets de revenir, ne m’y sens pas tenus, car les simagrées de la messe m’emmerdent. Les clients de bistrot communient aussi, à grandes claques dans le dos tandis que leurs femmes vaquent à leurs bigoteries entre deux élans de bite dans le cul. La prochaine fois ce sera moi qui le relancerai, Jean-Benoît Jambes Noires (jamais vérifié) - il faudra bien qu je le lui rende, ce catalogue de colonnes égyptiennes, réticulées, palmées, papyriformes, C’était le temps du grand Champollion, mort de méningite à 40 ans. Tellement il travaillait. La jaquette du volume m’avait plu. Une belle jaquette multicolore, ainsi que la grammaire des hiéroglyphes, si extravagante avec ses descriptifs et sa phonétique… Qu’est-ce qu’il avait bossé… Les Doré, les Garnier, les Du Bellay…

    Une activité intense, un cerveau surchauffé, et pof, le front d’un coup sur la table, un premier janvier - transport au cerveau disait-on. La couverture m’avait plu, toute peinte au minium. Mais dans ce gros volume, des dimensions, des courbures de fût, des cotes et des centimétrages. Plus de minium ou de méthylène, juste du gris, du brun, et des silhouettes en sarouel pour les proportions. Histoire d’ assaisonner ma visite, je l’amadoue avec des Blockflöten ou flûtes à bec, tirées de mon bric-à-brac. Il accepte mais me dit: « Ne reste pas trop longtemps » - ce sera , s’il lui plaît, plus du tout – m’aurait-il deviné, le sagace ? la faiblesse des faibles, comme elle s’évanouit… ! on se crève pour leur amitié ; dès qu’ils peuvent ils s’enfuient, les hameçons encore au cul ; le dernier accueil que j’en ai reçu, affable et souriant, atteste de sa clairvoyance, sous ses airs de lamentin.

     

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    Arielle  et  Benoît parfois s’isolent   au  jardin, chez Marie-Pascale, pour tirer – quelques bouffées. « Peut-on vivre sans vie sexuelle ? » demande Jean-Benoît en crapotant sa Dunhill. Arielle dévide les lieux communs : on se passe très bien de ça chez les dames, et les pénétrations manquent de candidates. À moins que le coït ne soit obligatoire. Comment s’y retrouver. Comment ne pas fuir la femme. Et  tous deux de tirer, de conserve, sur leur cigarette. 
    
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       ...Jean-Benoît n’a rien de prêt pour moi, je me dérobe encore, coincé que je suis, lui dis-je, entre deux rendez-vous médicaux :  « Je t’avertirai  lorsque mon prochain disque sera prêt ». Pourvu que ce jour soit toujours à venir... Le vieux lecteur de cassettes qu’il m’a donné, qu’il me réclamait en retour (mais « reprendre, c’est voler ») devient inutile.
    
    				PSYCHIATRIE
       Tous les mois,  Jean-Benoît se fait administrer ce qu’il appelle une  « injection ».Il  n’y a jamais manqué. Peut-être s’agit-il – pour une fois ! - d’une avancée soudaine efficace de la psychiatrie. Les « injectés » se supportent  rarement  l’un l’autre. Peut-être Jean-Benoît   s’est-il  vu privé de ses droits civiques. Cependant il  demeura soumis à curatelle, toujours incapable de gérer  ses factures, écartant l’argent sur sa main : « Servez-vous !» - symptôme, paraît-il. 
    	 Je revois ce même geste  de Zoucave, paume ouverte, grand seigneur :  « Servez-vous ! disait-il à la serveuse ; servez-vous ! » 
    Elle nous regardait avec perplexité puis s’est servie au creux de sa main sans lui soustraire un centime. Mon père lui-même était picoré de la sorte - ainsi procèdent les mis sous tutelle. Les vieillards et les idiots. Un lien mystérieux relie-t-il ce maniement d’argent à tel ou tel spasme épileptiques ? Cela implique-t-il, de surcroît, un manque légal de discernement civique ?  Curatelle. Tutelle. Jean-Benoît est sous la coupelle, dirai-je, d’une tutrice qu’il appelle Grosse Gouine. Elle lui laisse  juste  tant par semaine. Une misère. Un mendiant que j’avais croisé, tout dégarni  de dents gâtées, me dit en crachotant : « Gardez-vous bien, monsieur, de vous faire mettre en tutelle, fût-ce par votre petit-fils ; voyez à quel point il m’a réduit, que   j’en sois forcé de mendier ». 
    	Juste après l’injection,  chacun se sent mieux, après  grosse journée de fatigue  Un demi-siècle plus tôt ils auraient hurlé dans  leur camisole,  comme au  dépotoir de fous juste au nord d’Agen. Le lithium : seul miracle neurologique depuis le Largactil, dit « de première génération ». C’est vrai, je l’ai lu sur internet. 
       
       LES DEUX PARENTS  DE JEAN-BENOÎT
       
       	Le père de Benoît, maître d’hôtel, m’établit jadis une recette de haute  technicité, soigneusement, dans le vieux bâtiment de mon fond de  jardin ; il faisait ce jour-là un froid à scier le beurre en mottes. Il me régala d’autre part d’un assortiment de bonnes manières tirées d’un manuel de Rothschild (Nadine de), qui pourraient me servir « si j’allais un jour dans le grand monde », ce dont j’ai fort douté. Il se montra désappointé sans doute que je ne lui offrisse pas, en témoignage de reconnaissance, le somptueux repas  restaurantiel qu’il escomptait, en mondaine ambiance. Pour épargner ma bourse et surtout mes mes faibles capacités sociales (qu’eussé-je  pu  dire?),  je lui   fis cadeau d’un traité de « Cuisine libanaise » qu’il n’ouvrit jamais - comme si javais voulu, en somme, lui  apprendre son métier, bien qu’il fût de Saint-Malo. 
    	La Maman de  Jean-Benoît (la « mère de » m’ayant toujours semblé scatologie) s’appelait Ilona, de grande famille hongroise francisé en « Amsel de Beaumont ». À ma confusion, un soir chez Marie-Pascale, je crus sentir un net relent de pisse  cuite provenant provenant de ladite Budapesti, jusqu’à m’apercevoir qu’il provenait d’une poiscaille au court-bouillon mijotant en cuisine. C’est ainsi que j’appris à différencier pisse et pisciculture. Le soir  Asszoniom de Beaumont, évoquant les circonstances du décès de son fils aîné, un  petit Ashkénaze, invité lui aussi (Moritz) l’interrompit tout net pour demander  si son délicieux bracelet venait bien « de chez Budma,  ulice  Karlova ». 
    	Une telle abjection  manqua me faire  vomir, ou frapper ce mufle.  Le père de Didier,grand cuisinier, alors vivant, roule son ventre sur  un fauteuil,  où il s’affale en toute lucidité 
    	Nous l’avons vu, à cet instant tragi-comique où  il  se renversa  le vin sur le cœur. Il s’en montra navré, non point tant pour le  dommage causé, mais eu égard à sa propre déchéance. Un autre soir je l’ai accompagné, pas à pas, claudiquant, jusqu’à la Trattoria Bretone [sic]. Plus tard encore je le visite après avc, à l’asile « Foyer des Anciens »... Monsieur Père comprend ce que je dis,  en deux langues, mais mon allemand l’éloigne de moi : mesquine vanité, pour capter l’attention du personnel soignant. Monsieur mettait sur lui naguère encore  une  amorce de  rire étouffé quand je lui  décochais, en français, mes histoires de cul. Il répondait   volontiers  aux questions par  oui ou non, faiblement articulés après rassemblement des forces.  
    	Il portait soldatesquement l’index à sa tempe, ce  qui signifiait Je te reconnais  camarade. Ou pour confirmer que la tête n’allait plus, même si le cœur battait. Je pense souvent à lui, qui me confiait jadis son impuissance, si tôt, si irrémédiablement ressentie,  « comme une nouille contre un mur » dit l’auteur indien. Nous nous retrouvions à présent parmi  ces effondrés, larves lavées en 6mn de temps réglementaire. Semi- conscients sur leurs  fauteuils  ergonomiques, tordus  comme autant de  Communards que les planches verticales de leurs cercueils ouverts et titubants de passion. 

      Un jour le petit Sépharade dont nous parlions, Hansi, fit irruption dans ce salon gisant. Terrible secousse pour ce gosse de 30 ans qui découvrait, derrière le rideau brusquement tiré, tant de corps déjetés ou ratatinés dans leur fauteuil  comme autant de cadavres pompéiens. Tétanisé de terreur Hansi se met à hurler, refusant toute compétence aux soignante - ni animation ni tennis et la mort comme seul programme - les moribonds soulèvent le crâne et tentent d’inverser leurs torsions - un mouroir !  une morgue ! à  la pensée de croupir un jour entre une sonde et un pilulier, vrillé comme un cep sanglé à  la taille, lui tord la gorge. 
    	Hansi est devenu indésirable ; Jean-Benoît lui fait parvenir un pli bien assaisonné, achevé sur les mots sachez que je vous méprise. Mon premier soin lors de ma  visite suivante est de bien préciser mon nom au guichet pour écarter tout risque de confusion.
    	Marie-Pascale prend parfois le déjeuner à l’étage en compagnie du vieux Moritz Ils mangent face à face, chacun son plateau. Le cuisinier la reconnaît, apprécie avec elle les menus de l’établissement. Pour moi, je viens seul. Moritz me reconnaît, en particulier au moment de prendre congé, où ses petits yeux rond me fixent avec détresse et reconnaissance. Il m’a vu l’autre jour à travers la porte vitrée quand je passais au volant dans la rue. La toute dernière fois, ses yeux sont restés fixés sur l’émission animalière de la TV. Je lui ai parlé en allemand pour faire l’intéressant. Or il ne le comprend pas. Le personnel m’assure cependant qu’il se trouve  bien de ma venue, et  que son amélioration se prolonge les jours suivants.  
    	Mais il mourut quelque temps après. J’ai sacrifié le plaisir d’un mourant à ma vanité d’Allemand d’opérette. 
       
       LES ENFANTS DE JEAN-BENOÎT
       
       Je ne connais  de ses 5 enfants que Marie-République, en contraste physique  opposé ; les yeux en boutons de bottines ; la voix non pas lente et blanche de déflorée de frais pour autant que j’en sache. Petits seins au taille-crayon,.Elle se fait tringler par un  Noir et je l’envie. La seule fois où je l’aie vraiment vue, elle se  montra timide, admirative et debout. À l’enterrement, méconnaissable : droite à côté de son père. Qui ne s’entretenait que de lui-même, et de sa musique, sa citadelle. Le soir même elle  engendrait  le fils du Haïtien, dans ce logis-boyau où j’avais jadis visité Jean-Benoît dans la gêne. Il aurait souhaité que je la visite - m’aurait-il souhaité comme parrain ? je n’aurais su transmettre le moindre christianisme ! - nous n’avons pas de preuve de l’existence de Dieu, moins encore de celle de Jésus. 
    	Ni de la survie, j’entends consciente.  Ils ne se rendent même pas compte qu’ils sont morts. Il existerait vingt secondes, après l’arrêt cardiaque, où le défunt garderait  conscience - et la réincarnation, c’est de la merde.  
       							 X
       Il fut un temps  où Marie-République et son amant noir envisageaient de  rejoindre Jean-Benoît, pour « former famille » rue Commerciale, où  il succédait à son propre père. Mais  le musicien ne sait composer  que dans sa Plâtrière  personnelle.  Un nourrisson dans sa force vocale possède une puissance pulvérisatrice  :  «  J ai besoin de sérénité .»  Le  couple et son garçon préféra s’aménager l’ancien  Bouge  Alacoque, où si longtemps avait croupi leur père et beau-père. Joël ensemença, bina les plates-bandes à peu près nourricière, et Marie-République assainissait l’intérieur à grandes aspersions et jets de seaux d’eau javellisée. « Nous irions ensemble »  disait  Jean-Benoît, qui  décelait chez elle disait-il une irrésistible attirance pour  ma personne. Elle prononce ton nom avec extase. Je me suis préparé à soutenir le rôle tutélaire de l’ami  lointain, mais  Jean-Benoît n’en parla plus : la jeune mère avait trouvé de quoi pourvoir à ses besoins de dévotion... 
        Ainsi tourna court ma mission de Mentor, prononcer «min » afin d’écarter toute confusion, ou de menteur. Désormais  chez lui  Ville Basse, Benoît ne  daigne  ni   ranger ni nettoyer quoi que ce soit. Ses toilettes répandent des nuisances olfactives, entendez par là que ça pue. J’y arrose  des moucherons fuyards jusqu’à mes narines. Il  est à  craindre ici le débarquement des Services Sanitaires et Sociaux, ou quelque escouade féminine de l’Assistance Publique, qui  l’embarquerai pour « mise en danger de  soi-même et d’autrui ». Marie-Pascale  faisant  un jour observer, avec tous les ménagements de la diplomatie, l’éventuelle opportunité d’une remise aux normes  d’hygiène, Jean-Benoît répondit fermement que  la question « n[était] pas à l’ordre du jour ». Elle se le tint pour  dit et ne revint plus.     
    							   X  
    
        Jean-Benoît aux claviers enchaîne, ligote et débite arpèges brisés sur savantes gammes et  gammes sur renversements.  Il ne faisait pas ainsi dans ses toutes  premières compositions. L’auditeur en vient à regretter les premiers tâtonnements,  maladroits  et vivaces.  Dix  ans plus tard, nous en sommes encore à découvrir la  fissure  où suinterait l’oxygène : en vain   De  subtils   écarts à la Josquin Desprez suffiraient, dans un premier temps : l’auteur   au contraire s’entête à les corriger,  persuadé qu’il est de son devoir de composer dans la  conformité « aux lois de l’harmonie  naturelle  et du contrepoint ». Il nous suffit donc de somnoler d’une oreille molle. 
        Dernièrement il raccorda son épinette, alourdissant les graves : il en  résulta un  déroulement plus  profond. Le disque suivant sera « le  meilleur, tout    nouveau » - je tends l’oreille, à l’affût de  la moindre variante - l’obstination aurait-elle ses fruits ? Voici d’infimes  variations. «  C’est la mère de Dieu »  dit Jean-Benoît, « qui verse dans l’Ecclésiaste  et se console de peu.  Quant à Nemrod, compagnon de lit  de Marie-Fraternité, il  admire la musique de   son  beau-père de la main gauche».   Mystère de ces familles  dominicales dans les alignements de prie-Dieu. Nemrod,  gendre calcuttien,  refuse de  sacrifier ses dreadlocks à   l’obtention  d’un emploi rémunéré.  
        Comprenons l’employeur, comprenons  le chômeur.  L’arrivée  d’un  enfant bouleverse tout cela : Nemrod,  le crâne  occidentalisé,  jardine au fond de l’impasse Alacoque tel notre père Adam aux portes du Paradis. Nemrod  profondément  chrétien, éduqué chez les Frères Pélerins. Si  je visitais à présent, mais seul, ce couple et son enfant, je dirais  à peu près ceci  :  « Puis-je présenter  mes respects à votre compagne ? » ( incliné vers la mère et le  fils Yacov). Partout l’ancien appartement  de Jean-Benoît sentirait  l’ordre et  la   propreté. « J’ai vachement faim » s’exclamerait  Nemrod.  Je poursuivrais : « Je suis  souvent  venu ici pour écouter votre père ». Nous parlerions du  vieux  piano  descendu en ville basse, et du parfum d’encens encore décelable. 
    	Puis  je repartirais  sans  avoir  excédé   dix  minutes.  
    	Alcan ou Albéric Magnard prouvent suffisamment qu’il ne suffit pas de vivre en grand compositeur pour  le devenir. Cette révélation est accablante. Il n’y a pas de progression visible chez Benoît. On observe de lourds conservatismes. C’est la Méthode rose, inlassablement surexploitée.  Le clavecin bien tempéré,  moins Bach. Benoît mourrait de douleur s’il le savait, malgré quelques presciences. Or qu’est-il devenu ? quelqu’un de très sain, aidé à franchir les dix dernières années. Dieu ni Jésus, raffermis sur le tard, ne l’ont sauvé de composer encore. Il s’est embaumé seul et de son vivant. Demeuré prépubère entre les bras de sa mère, qui  lui  tourne les pages au-dessus de l’épaule. Ne feins pas l’amitié  	Il n’en est pas mort. 
        Il distribue ou vend ses cassettes. La greffe d’amitié n’a pas tenu. Elle n’était que charité..
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    	...Bien s’émerveiller  que la tumeur soit bénigne. Votre cancer est guéri. Vous pouvez rentrer chez vous. Ainsi l’Église livrait-elle son condamné au bras séculier. L’équipe médicale au complet cernait le pied du lit blanc. Vous ne mourrez plus du cancer mais de ses suies. L’avocat du Luron postillonna Quiconque osera parler du sida sera poursuivi en justice. Les médecins lui donnent raison :  de  simples   infections, d’inoffensives métastases.  
    	Altzheimer,  folie douce,  autant de stations de croix pourquoi le tourmenter ? Dépistage   et tuyaux ?  « quelques belles années devant vous » qu’entendez-vous par là Doctoresse ? ...que je vivrai ? vous plaisantez ?  - « ce  n’est pas la ponction, dit-il, qui donne le cancer, il était déjà là », mais  je me méfie des cellules  dormantes:si peu qu’on  y touche, ne fût-ce que d’un demi-millimètre cube, la mauvaise chair gonflera. S’ensuivront biopsies, analyses et chimios  qui  ne  laissent  que  la force de se  couvrir de  chiasse Regarde-moi : vivant tant bien que mal, attaché jusqu’au petit jour  au piquet des angoisses. 
        Crever plutôt sous le regard humain que sous les microscopes de la  toubibaille («....ce  sont les mucosités qui encombrent la respiration » -  vous  donnez là, mademoiselle, la définition clinique du râle » -  je l’ai prise un instant par la taille. 
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    Marie-Pascale a poussé le jeu  jusqu’au maniérisme : phrasé surjoué même dans la douleur et l’amour – anorexie boulimique, sida, névrose, nous mourons tous en  plein  chantier. 
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       Dzeu 
    Je le connais très peu. Qualifié dans les premiers temps de  « hautement  facultatif ».  Se livre et se rétracte, dérobé aux moindres allusions du destin, à toute analogie, toute comparaison. Mais Dzeu   le lumineux s’oppose à Jean-Benoît l’obscur : une chute d’outil depuis l’échafaudage, matière grise sur l’oreille, pour l’autre un suicide sectaire, ont précipité Dzeu vers la lumière à ciel ouvert, le second dans le corridor étroit où le soleil ne darde qu’une heure par jour ; de là découlent les plus lumineuses perles pianistiques, tandis que Dzeu, rasé, baie ouverte sur le ciel, rampe dans les souterrains psychiatriques. Il se moquait de Jean-Benoît et de sa voix d’automate. Il apprécierait peu de se voir rapprocher du Nounours Musicien. 
    Dzeu prend chaque mois du Xiplion  ( 50mg) en libation intramusculaire et mensuelle. Nian  de Macao ne choisit  jamais que chez les injectés ses amants : plus gourds, plus gros  en  érection, interminables à débander. Les femmes ont de  la chance :  quand  on a ça entre les jambes, on retombe toujours sur ses pieds ; toujours  un homme  s’intéressera à vous, même en mauvaise part  ;  le masculin dans ses chiottes, quant  à lui, peut toujours s’astiquer : pas une femme ne voudra le déranger (elles appellent cela « déranger »), nulle n’aura envie de sa bite.  
       Artistiquement, Benoît ne vaut rien  ; ses progrès sont infimes, mes lignes dussent-elles se lire. Ils n’ont aucune chance de se voir ; j’y veillerai. Benoît fut touché par la folie, à l’épaule. Dzeu, à l’occiput même. Benoît,  plus pachyderme, pressent parfaitement les réserves  qu’on n’oserait lui exprimer. Mais aux suggestions d’orchestration, d’épaississement, il réplique : « Jusqu’ici, je n’ai pas éprouvé le besoin de varier, d’étoffer ma composition ». Comment lui donner tort  ! Flat spiritus ubi vult. L’esprit souffle où il veut.  « Je ne trouve  personne, hormis toi,  pour comprendre ma musique ». 
    Sa musique s’apparente à la thérapie. La constance de ses mélodies tient d’une part aux charbonnages concentriques dont les médiums extraient de surprenantes et pures formes faciales humaines, de l’autre au comptage des pas, de long en large de sa cellule, avant pendaison. 
    	De même vient à l’esprit du malade l’idée de réciter les nombres, l’un après l’autre, série sans fin garantissant contre la mort ; mais le fou se retient en se rappelant le nombre maximum de ses propres secondes, 60² (24 x 365 x 100). Maximum. Recherche aussi, intarissable de la lumière, de la cascade, en cristal. Capture de l’auditeur inoffensif. Bains obsédants de  soleil fluide, ruissellements suffocants de la mousson, d’une douche. Peu à peu Jean-Benoît se dégage de ses sonnailles, ciselant ses propres commentaires. D’une autre par encore, le voici qui découvre et communique d’infimes nuances ; et pour peu que j’y acquiesce, j’en découvre d’autres, juste du fait de me connecter à lui.
    	À quoi tient après cela ces notions de difficultés vaincues, de souffle et de génie ? à quoi pourrions-nous croire ?  faune particulier se dessiner sortant des épines ,
    	Assurément nous avons cessé de reconnaître l’art. Nous en avons  perdu la trace . Mais la démarche compositrice de Jean-Benoît, à  travers ses volumes théoriciens, se fraye parfois la voie vers des failles.  Puis à la suite de cette redécouverte appliquée, Jean-Benoît connaîtra plus de libération : il observait, par le rétroviseur d’orgue, la procession des communiants, car désormais  la plupart des assistants communient. Il lui revient, dans son isolement diluvien, d’accompagner les rêveries vers Jésus Hostie. Puis il  rentre chez lui. Il ne voulut plus rien démontrer, ni même exprimer, mais se laisser aller  à l’écoulement des  jours.  Alors qu’auparavant sa forme était concise, il tenait maintenant jusqu’à trois minutes, sans contraintes corsetantes. Il était fier et enjolivé, sous sa blouse de Kazan verte, car enfin, ce que j’avais pressenti, ce qu’il savait peut-être, s’était accompli : la muselière avait cédé, il accédait à sa composition personnelle. Rien de bien épais encore, mais  riche carrière. Il lui restait de fortes marges et de longues années, apogées des chefs et des musiciens.   
      Seule la Science  ou  Dieu  connaissent le déclic, avant lequel, après lequel il n’y a rien ou bien commence la musique. Processus qu’il est aussi absurde d’accélérer que d’interrompre. 
       
       
       Bélinda CHANTEUSE IVRE
        Il la mène à la baguette. Il la  gourmande,  la rabroue :  Tu ne vois pas que tu déranges?   (lui et moi en plein  office, lui  comme interprète, ma personne somnolant  sur le  petit fauteuil d’osier,  peaufinant sous mes  yeux mi-clos  ma  brève  appréciation à venir. La couperose de Belinda  confirmait  un léger relent  de futaille  Elle  chante  La vie en rose  et autres  insanités : « Esgourdez rien qu’un instant / La goualante du pauvre Jean / Que les femmes n’aimaient pas /  Et n’oubliez pas / Dans la vie y a qu'une morale
    Qu'on soit riche ou sans un sou
    Sans amour on n'est rien du tout
    (On n'est rien du tout) Je trouvais ces paroles ineptes. Ici et maintenant j’en frissonne au bord de l’abîme. « Quand reverrons- nous Bélinda ? » Il m’interrompt : « Kohn-Liliom, ne marche pas sur mes brisées ! » La douceur dans mes bras me plaisait à entendre - quel plaisir peut-on prendre aux femmes ? Ou même leur donner ? Leur seule nudité gauchit les réflexes et je ne sais trouver ni l’attaque ni l’ouverture, si je n’ai pas baissé la tête aux premiers assauts (« l’attaque du bélier »), ne reste qu’à les  laisser s’agiter sur ou sous vous, palpiter autour du cylindre et crier, condamnés à n’y rien comprendre. «  En position cavalière quel plaisir d’avoir loisir Quelle revanche À son tour de compter les poutres au plafond ». Sans toute cette propagande aurions-nous jamais vu ces foules s’en remettre au sexe opposé. Je n’ai jamais je vue Bélinda ivre. Parfois titubante, déraillante sur les si bémols, et s’ils se mettaient tous à boire, la catastrophe vivrait à leurs trousses Il en mourrait, le pauvre, ou reprendrait le chemin du bâtiment B. Nous aurions vu dans nos miroirs les hauts oiseaux sauvages dérivant dans l’éthanol. Bélinda conserve la voix grave et tremblante. Il n’y a pas de sexe, juste une bosse sans fissure. Il ne me tarde nullement de la revoir. « Peut-on vivre sans vie sexuelle » demande Benoît humblement au fond du petit jardin encaissé entre les murs de tôles. « Peut-être » répondait l’épouse, entre deux rejets de tabac. « Mercredi, je reçois Belinda. - Je préfère vous laisser travailler. » Il ne l’invite plus. Il ne m’invite plus. Il compose moins, beaucoup moins.Il trouve la paix des paroisses. Il rencontre des chrétiens. Il y a des communistes idéalistes le doigt sur la gâchettes. LES INTERPRÉTATIONS

    J’ignore ce qui resterait d’elles sous les mâchoires sans vie des critiques. Ils écrasent ceux qui la main dans la main deux par deux, mais cet artifice m’enchante. Ces morceaux cheminent souvent plus lents, plus irréguliers, mais la lutte est belle entre l’homme et l’ange. Au-dessus d’eux se forme et s’évanouit toujours, alternativement, le praticien robuste en blouse blanche à la seringue. Il n’y a pas ici de folie. Je tenais ma fille par la main sur les rochers,au-dessus de l’abîme, sur le sentier ardu des mystagogues

        
       RETOUR AUX SOURCES BÉNÉDICTINES
    
       Interminables dé-goulinades et  bagoulages, clausules  pétrifiées, abus  de  la pédale brouilleuse d’harmoniques. Abus du  rubato,  masquant mal de réelles hésitations. Prestidigitateurs  et voleurs  à la tire sentent leurs doigts  peu à  peu s’engourdir et grossir avec l’âge en perdant toute efficacité ; comment se fait il au contraire que  des pianistes s’affirment avec l’âge  et se renforcent, au point de ne  plus savoir s’arrêter ? Delvaux a-t-il peint Le Squelette au Piano ?  Benoît reprenait autant de fois que nécessaire les mesures fautives, voire du tout début.   Depuis que nous nous  connaissons,  il ne le fait  plus. Parfois ces reprises passaient inaperçues, semblables à la même chose. 
       
       MUSIQUE RÉPÉTITIVE
          Partitions très courtes (« ce qui excède [s]es capacités »),  titres infantiles ( « Les couplets de Papa »),  intarissables relents  de  Méthode Rose.  Jamais de silences,  ne fût-ce que d’un quart de soupir.  Recopie, numérote avec  minutie  chacun de ses albums, chacune de ses partitions. Il me fait suivre sur partition ; très vite je fais semblant.  Plus facile   sur la main gauche, qui prend rarement le thème.  Les arpèges  enjambent les portées. il  corrige mes retards en me touchant l’épaule ou le coude.    M’initie à la tierce picarde, à  la basse dAlberti, mais d’autres notions me résistent   Il s’écoute composer. Je m’écoute parler, me lis tout écrivant. Emportés, empotés dans la même compote et pâte. Je fais croire à nos communions. Femmes, tirez-moi de ce puits en forme de cul. Car on ne jouit bien que par le cul (Solange). 
         Le dernier album témoigne d’une évolution stupéfiante : enfin Jean-Benoît s’affranchit  des règles, brise la carapace, improvise à l’épinette sur  des eucharisties : lorsque les assistants se forment en colonne vers la Sainte Table afin de recevoir « le pain du Christ » (alors qu’autrefois ce n’était qu’avec réflexion), lorsque ensuite ils s’en reviennent, l’organiste improvise dans la joie du recueillement. L’épinettiste aussi, et  convaincu  darde ses cordes pincées.
       
       REPRISE   DES BÉNÉDICTINES
       Depuis peu  s’est  fait bombarder aux orgues.  Il alterne les offices, avec un petit gras.  Pourquoi ma-t-il affirmé,  descendu de ses orgues, que  je pue ? Pourquoi « n’ose »-t-il pas me confier quelque chose » ?  Pas amoureux, au moins ? ... de moi ? j’aime allumer, hommes et femmes, sans plus. Je fais tout ce que je reproche aux femmes. « Écris-le ! »   Il ne réagit pas Il m’aime et me déteste ? Froissé de  mes froideurs ? jai trop vécu de drames  pour y repiquer. « Il me prend pour un pédé » dit-il. « Cest insupportable ». Mais il est pédé. Je  suis pédé.  Nous sommes pédés. Comme  toutes les femmes, et Jésus, le fruit de vos entrailles - amen.
        Il a pressenti, senti ma duplicité. Marie-Pascale qui cette fois au lieu de hurler murmure à mon oreille « Occupe-toi de Jean-Benoît  qui est bien malheureux » (la sœur de mon père à lui-même occupe-toi de la Simone qui est bien malheureuse  49 ans de galère conjugale fois deux 98. Je vois Jean-Benoît chez lui, respire son vernis d’embaumement, le courtise des deux mains, m’endors sur ses mélodies et  lorsqu’il émerge enfin de mes sollicitudes après quinze ou vingt ans, le voici qui retrouve hors les murs un milieu de piété sans soupçon d’intégrisme.  Bientôt il ne téléphone plus. Il a déchiffré , décortiqué mes intonations et mes enthousiasmes. Posé même qu’il me méprise : j’aurai  accompli ma mission sans faillir, car il faut qu’il croisse afin que je diminue et que je disparaisse afin qu’il vive.  	Voici que Jean-Benoît évolue, de « plante détachée du mur » à « fleur de cactus en serre », fragile encore mais confiante, et que je me replie dans l’abri du bernard-l’ermite. Je me replie  à reculons dans l’antre. Il ne me revoit plus que pour « notre affaire », et se dispense désormais de  son commentaire écrit (un auditeur obligeant a dû lui rapporter que ces annotations, lues au micro comme je les lis, apportent moins de renseignements que de dérision). Que mille ans nous soient accordés,  Seigneur, pour nos écrits ; ne fût-ce qu’un an de plus à nos insanités. En attendant signons tant et plus et    soigneusement.  Car  nous ne sommes, à tout prendre, qu’un porte-voix. 
    
       SES COMMENTAIRES
       Je les conserve  serrés dans un carton à  chaussures. Le carton prend l’l’eau.Il se délite dans mes doigts comme un  pourri de cercueil. Nous avons replacé l’emballage et  tout remis au sec, en hauteur. Ces notations méticuleuses ne sont jamais relues. On ne les jettera qu’après la mort. Si Jean-Benoît revient ici-bas, et qu’il s’enquiert de ses Commentaires, nos descendants lui en indiqueront l’emplacement, si tant est qu’ils ne les aient pas jetés avec  ce qui se nomme « papier » chez les déménageurs et jusque dans ma famille. Actuellement, ces documents ingrats gisent dans la chambre des anciens enfants, où s’entassaient   jusque sous le plafond   les emballages alimentaires.
     
      Le seul jour où Jean-Benoît pénétra, faute de mieux, dans mes appartements, voici bien des années,  repas  interrompu par l’annonce téléphonique de l’hospitalisation de mon épouse ; rien de plus  qu’un malaise de chaleur -  mais les pompes hospitalières s’étaient mises en branle. C’étaient d’autres temps.
    						   X
       
    Jean-Benoît se prend assurément pour un grand : « Vous pourriez croire que c’est de Beethoven ; eh bien , c’est de mo » . Extraordinaire mot d’enfant. Un  petit sexe à  l’Origène d’Alexandrie,  qui  fut un bien saint homme, et cependant père non pas de l’Église mais bien charnellement de cinq enfants, issus de trois unions. Jamais il ne parle d’eux. Il m’offre ses disques. Les autres paient cinq euros, puis dix. Les temps sont durs  La tutrice le serre de près, lui égoutte pingrement le juste nécessaire pour pouvoir manger. Il la traite de  grosse gouinasse,  ce qui  est le pire qui se puisse  trouver, si puis dire, dans sa bouche… 
       
       MES  DIFFUSIONS
       Les compositions de  Jean-Benoît, passées  à l’antenne, rebutent tout auditeur,  et plus encore ses commentaires,  gourmés, emphatiques. Ce sont trois à cinq minutes de prélude, j’ose dire de pédiluve avant  le grand bain. Une purification de l’oreille qui coupe net toutes les connections : il me semble entendre les boutons qui claquent. J’abrège, mais trop tard : la moitié de mes trois auditeurs sont partis. Quant aux hors-d’œuvres pianistiques, ils sont précédés d’une broussaille de considérations solfégistiques inaccessibles au commun des oreilles. S’ajoute à ces indigestes barbelés des indications sur la date de composition, y compris le jour de semaine, l’heure, le temps qu’il faisait et l’humeur du Maître, sans négliger l’occasion liturgique, avec des gourmandises d’exégète. Il joue. C’est grêle, inexpressif, précipité. Jean-Benoit aura vu  la folie en face. J’aurai contemplé la mienne aussi tout au long d’une interminable enfance, et n’ai  jamais  plus  voulu la  revoir. O’Letermsen jadis me présentait comme un génie,  pour en avoir  connu n´en fût-ce qu’un seul, se prévaloir de réverbérations mutuelles : « Je te donne »  dit-il « cinq ans pour  décrocher le Goncourt !  (« ils peuvent toujours venir me chercher, avec leur Goncourt ! » s’exclame in quinquagénaire de B.D., trapu, au rez-de-chaussée de sa tour de banlieue. 
       Au second plan derrière lui   les étagères de manuscrits, le bureau bien lustré de l’intello perdu ; et sa fumée de pipe  parmi les tags. 
      
       J’écoute  Jean-Benoît sur son étroit fauteuil d’osier  vert, coincé entre le mur et le petit côté du piano droit. Le son s’écrase et s’amatit dans ce corridor au  plafond bas. Parfois ma tête vacille, car je reviens de corriger la prose de basse banlieue. Je scrute entre deux sommes les partitions  qu’il me tend, à    l’affût des  moindres   inflexions répertoriées dans  ses commentaires : « Avertis-moi », lui dis-je, car « je serais bien incapable de déceler quoi que ce soit ».Après audition, j’étends ma pommade complimentative ; les moindres restrictions  le déstabiliseraient, provoquant  des ravages  internes. Ou bien mieux encore, il ne les comprendrait pas. Bien garder en mémoire tel concours de poésie, au  Bar Congolais, d’où le jury, dûment chapitré en coulisse, revêtait immanquablement telle pensionnaire demi-dingue autrice de sottises  en rimes.
       Elle accueillait sa  récompense avec la gravité pieuse de l’artiste. « Toi, me disait Jean-Benoît, tu sais «écouter ». Je m’extasiais dans l’onction et la discrétion. Et cest peut-être pour cela que je pue. À  moins que ce ne soit par mes présentations radiophoniques plus que désinvoltes,  «dans le ton de l’émission » - parodiques ? ricanantes ? Les minces suggestions que je  lui distille à domicile, confidentiellement, ne bénéficient d’aucune attention de sa part. Son père Marcel cependant lui en avait touché quelques soupçons : « Il était de mauvaise humeur ce jour-là » me dit Benoît. Je m’empressai de renchérir, de lui repasser le  bandeau sur les yeux. 
      Nous aurions pourtant bien apprécié ne fût-ce que le moindre ralentissement, la moindre pause, même 
    un quart de soupir - des deux mains à la fois s’entend, dessus et basses – en lieu et place de ces interminables échelles d’inexorables gammes montantes ou descendantes, chevauchant les mesures, escaladant les portées sans relâche...
    Jean-Benoît cependant m’initia aux délices de la tierce picarde (en résolution majeure) et du décalage au  clavecin  (le  fameux rubato, que je ne manque jamais de lui mentionner : la basse tient le tempo, les hautes jouent vivace). Mon attitude souligne les  moindres occasions de contentement, pour qu’il les multiplie.  Ses premières compositions montrent plus de liberté. La dernière visite  fut brève, car javais manqué trois messes de suite : deux offices du samedi, et le dimanche de Noël. J’avais prévenu pourtant : « Le dimanche matin, qui pourrait survivre à la gueule de bois du réveillon ? » Il m’interpréta
    chez lui, en compensation, de magnifiques jeux de trompette, relevant que jamais il n’avait joué devant si nombreuse assemblée que ce dimanche 25 décembre, et que les voûtes de St-Nicolas résonnaient bien mieux que les plafonds de la toute rococo Ste-Geneviève, bien mieux que son nouveau logis, où les parois toujours aussi perpendiculaires qu’ailleurs annihilaient toute réverbération. « Voilà», répétait-il, « voilà», me poussant vers la porte. 
    
    Départs
    	Il  est d’ailleurs agréable, socialement parlant, d’avoir affaire à un lourdaud qui marque franchement la fin  de la visite - ainsi du téléphone de Guéret : « ...J’estime à présent », me dit-il à distance, « que la conversation a suffisamment duré». Souvent,  dans l’ancien antre abandonné, en sueur, crasseux, j’allais marquer mon territoire :  pisser avant de partir, toucher sa main juste après
     Ma mission radiophonique était de diffuser, en ouverture, ses gloussements pianistiques, assortis de mes commentaires à mon tour aussi superflus que superficiels. Les cafouillages techniques réinterprétés en folles rigolades confirmaient d’autre part amplement la sagesse populaire : éviter les efforts conduit à plus d’efforts encore…
    Benoît et moi unissions pour l’offrir le plus précieux de nos insuffisances… Jean-Benoît s’est désaffectionné de ces diffusions : signe que l’animal blessé pourrait un jour se réadapter à son milieu naturel. Pour obtenir plus de reconnaissance, il fallait le traiter comme une vraie relation humaine. Chose dont je me suis toujours bien gardé (la peur est le lit de la flemme). Dans un premier temps, Il appréciait « l’humour » et « le ton alerte ». Mais supposé qu’il se soit avisé de faire entendre à d’autres, amis ou connaissances dont je savais très peu, les élucubrations d’un présentateur en porte-à-faux ; que cette tierce personne ait décelé le sarcasme sous la faconde ; il est aisé d’imaginer qu’un tel auditeur lui ait charitablement (ou non) révélé que les faux engouements n’étaient en fait que purs et simples foutages de gueule. Jean-Benoît ne composa plus pendant quelques mois. Je ne l’avais aidé que le temps nécessaire. Il nage à  présent dans le bonheur d’une réinsertion de type paroissial, enamouré de quelque bigote ou pieuse poivrote ou pieuvre poisote sans sexualité bien définie, ce que d’aucuns tiennent pour la fleur de la délicatesse. **** Nul ne saurait anticiper l’accueil, favorable ou froid, réservé à ses cadeaux, surtout en radiodiffusion ou informatique. Je m’astreins à diffuser du Jean-Benoît, pour apporter ma pierre à  sa guérison, « Car tu es responsable à jamais de celui que tu as apprivoisé ». Les renvois d’ascenseur attendront. « Tu ne feindras pas l’amitié » - mais que ne feignons-nous pas. Quelle vie n’est pas d’un, bout à l’autre, simulée – vivre, c’est mentir. Ne parlons pas des baroudeurs, dont la devise universelle tient en deux vers : Je rote je pète Rien ne m’arrête ...Mentir pour ne pas être seul. Mais rester seul pourtant. J’ai maintenu Jean-Benoît la tête hors de l’eau : le voici hors d’affaire - mission accomplie. Considéré que tout est éphémère, comment s’attacher à qui que ce soit ? * Depuis peu Jean-Benoît manque d’argent. Il ressort sur mes pas, pour que j’achète du pain, du tabac. Sa pension ne lui parvient au compte-goutte que par l’intermédiaire d’une charognarde ou « tutrice », qu’il traite de « vieille gouinasse » (Dieu sait qu’il doit être exaspéré pour piétiner ainsi le précieux). « Ça se réglera à la baston » - la baston, Benoît ? sais-tu que le moindre gringalet de banlieue te réduirait en brochette en moins de temps qu’il en faut pour le dire ? le moindre avocat, le moindre assesseur ? Répète « vieille gouinasse » Benoît, tu le dis d’un tel appétit – il le répète les yeux luisants, la bave aux gencives vieille gouinasse. avec une conviction vraiment bestiale. * Je trouve chez lui, dans son capharnaüm, un gros volume d’architecture égyptienne : hélas, ce ne sont que des croquis besogneusement professionnels, en gris et blanc. Juste passionnants pour des techniciens endurcis. Je le lui rendrai. Qu’il garde l’argent. RECONSTRUCTION PAR LA MUSIQUE Premier au Concours du Conservatoire. Il m’assomme de septièmes de dominante et autres cadences plagales. Jean-Benoît maîtrise les claviers. Il subit l’inexorable et mathéjmatique nécessité de recomposer phrase à phrase à son propre usage, mesure après mesure, un corpus aussi intégral que possible de musique romantique, sans négliger la moindre fibre du cordon ombilical  : des sonatines de Beethoven à La cathédrale engloutie. Jean-Benoît exploite sa liberté comme on tricote un dogme ou un pyjama ; il corsète ses élans, cultive et consolide son perpétuel exercice à la façon des nuls en maths, dont les lenteurs et les obstacles s’ancrent dans l’invincible nécessité de toujours devoir remonter, sans en omettre un seul, de théorème en théorème, de maille en maille, jusqu’aux axiomes fondateurs. Que nulle part la chaîne ne se soit rompue. Que nulle fissure ne fragilise la suite, l’enchantement des règles : taillées d’un seul bloc. La Méthode Rose, première, deuxième et troisième années, l’enfant sage au piano près de sa mère. « C’étaient les meilleurs moment de ma vie. Je n’aime pas être comparé à Schumann, que sa mère Johanna contraignit à  s’inscrire en Droit, et qui finit ses jours à la Privatklinik Endenich, quoique plusieurs années séparent les circonstance ». Un merle parfois vient frapper du bec à sa vitre ; Schumann lui parle comme un enfant à un autre enfant. Étrange réticence des fragiles mentaux, de s’en défendre : comme s’il s’agissait d’une chose honteuse. Les fous en viennent à tuer ceux qui les traitent de tous. HOMOSEXUALITÉ «  C’est intolérable, il me prend pour un pédé » - prendre pour ? mais il l’était ! Malgré ses cinq enfants de divers lits. Je me flatte de m’y connaître, infailliblement. Flatte à tort. Flatator Ier. N’est-ce pas lui qui montre le plus profond trouble quand je lui parle (par désœuvrement) de mes toutes dernières amours ? de quelles précautionneuses vocalises flûtées n’a-t-il pas modulé sa voix pour me demander, mine de rien ! si «c’ était un homme ? » Il fut amoureux de moi. Rien de plus gênant pour un interlocuteur en possession de tous ses préjugés. J’ai toujours assurément trouvé réconfortant d’être aimé par des hommes : à la condition expresse de pouvoir refuser. De même une femme ne refuse-t-elle pas celui qui l’aime ; son refus s’inscrit toujours plus bas . Niveau cul. Pour se faire aimer dune femme, il faut lui parler d’elle-même. Dans l’ivresse de se sentir enfin appréciée, elle se donne à  vous, homme ou femme ! dans son propre reflet. Mais je crains de m’êre laissé emporter… Ma dernière visite à Benoît comportait une part d’enthousiasme pervers : comparaisons avec Chopin, Samson François et Maria João Pires. Il a fini par se lasser. Ou bien les rats l’auront bouffé. « Si je m’écoutais, disais-je, nous resterions là toute la journée. « Je ne voudrais pas » dit-il en souriant, que ta femme en prenne ombrage » Nous écouterions de la musique, de la grande, en « barytonnant du cul ». Les mains de Maria-João voletaient au point que Samson F. ou Sviatoslav en prenaient du plomb dans l’aile. N’est-ce pas bien répugnant. Jean-Benoît m’écrit un certain jour qu’il aimerait me dire certaines choses, mais qu’il n’ose pas - violence et sespoir d’une claration ? ...c’est ainsi que l’on aime à présent. J’ai assez souvent suscité la haine ou pis l’indifférence pour m’accorder le droit dallumer les cœurs, à mon tour, sans donner suite. Tout comme une femme. Une Madrilène m’avait lancé « raciste, xénophobe », en me passant dans le dos. Je m’étais détaché d’elle avant même de l’avoir touchée. Un de perdu, trois de retrouvés ? il paraît bien que ce n’est pas vrai. Les femmes lsouffriraient autant que les hommes. Paraît-il. À les les en croire. Selon elles.Les hommes entre eux, de même. L’essentiel est non pas d’éliminer, mais de ménager ses préjugés : les tenir en laisse, ou les relâcher, selon ce qu’il convient. Une Madrilène, d’ascendance portugaise, n’intéressait pas ce porc. Il la trouvait sotte, vulgaire, avec des enthousiasmes et des accès de joie de vivre dépourvus de toute distinction ténébreuse. Ensuite on la révère, elle vous mène, et l’on n’accède à sa chair qu’au gré de ses rares caprices. Ici, chez cet homme, mystérieux mais dépourvu de charmes, jamais je n’aurais eu la tentation des moindres privautés. C’était une amitié forgée par autrui pouse donc la Simone, qu’est si malheureuse) ; à présent le Benoît proposait de s’embrasser sur la joue. Puis de visionner ensemble des films pornos. Non merci. D’aucuns s’imaginent encore les homosexuels des deux bords comme autant d’immatures, bloqués au stade des branlettes. Jean-Benoît, non. Ta joue est très rêche, dépourvue du moindre satiné. Mais peau de requin, grain serré. Se rappeler que Lady Diana divorce d’avec le prince Charles parce que ses oreilles lui irritent l’intérieur des cuisses. Rue de l’Allégresse, un camelot de rue me coinça entre une camionnette garée à mi-trottoir et une haie de cupressus. Selon un scénario bien connu, il se prétendit fils de Dieu sait quel jardinier, qui aurait travaillé chez moi, longtemps auparavant ; il m’embobina, m’offrit proposa un bisou et me suivit chez moi. Il me croyait proie facile en raison de mes cheveux longs ; il se contentait de peu. Arrivé chez moi, mon vaillant camelot me propose un blouson pour 100€, voire 52 après marchandage. Mais nous n’avions pas prévu Arielle, embusquée dans sa pénombre sur son lit d’éternelle convalescence porte entrouverte. Elle captait tout, et s’opposa d’une voix rogue à son emprise. Notre dragueur avisé se fit alors virer sans ménagement : « La porte, c’est là ». Il n’avait pourtant pas ménagé sa peine, allant jusqu’à se proposer à mes baisers. Et se fit baiser. Ce que Benoît me proposait, c’était de visionner, ensemble, des cassettes pornographiques, pour que nous nous tripotassions ensemble ; d’abord côte à côte, puis réciproquement, et pourquoi pas en se roulant des pelles. Cette perspective révulsante fut un gros bide, au deux sens du terme.
    Il en avait été de même à 10 ans, lorsque je raccompagnais chez lui sans trêve le fils P., trop gras ; je m’en étais  dépris. Et ceux qui me fréquentent abandonnent les fous. Bien fait. Chacun dans sa case. Dieu est amour et bonnes habitudes. Nous tolérons les différences, et chacun vaut  son pesant d’or, mais aussi de crachats. Je crains jusqu’à l’acte sexuel : comment nous imaginer un instant hissés, par exemple, à la hauteur des attentes féminines ? ...de ce qu’elles estiment en droit d’exiger ? « Ça n’te viens pas à l’idée que j’puisse aussi avoir des b’soins ? » glapit l’actrice dans Dieu sait quel film noir et blanc.Infiniment préférable pourtant aux répugnances de Madame G. sur papier parfumé s’adressant à ma mère : « Vous vous rendez compte,qu’à soixante-dix ans, Il a encore besoin de ça ? - une  envie de chier , par exemple. 
    	Le fait est que les femmes semblent bien souvent osciller du répugnant à l’obligatoire – à écouter les hommes… Observez d’autre part les séquences amoureuses filmées : trop souvent, presque toujours, les baisers tendres s’accélèrent en convulsions mutuelles, torsion des visages, souffles précipités de machine à vapeur, tandis que les acteurs et trices tentent de s’escalader en s’arrachant les vêtements au milieu des râles – c’est donc ainsi qu’on doit  faire ? ou bien rester bras ballants sns savoir par quel bout commencer ? pendant ce temps la femme à poil frissonne immobile et s’interroge sur  mes scrupules de collégien – sans esquisser le moindre geste :c’est à l’homme de commencer, n’est-ce pas. C’est lui, le porc. 
       
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        Comment désirer un homme – Jean-Benoît moins encore et ce vaste estomac bouffant et débordant sur la ceinture. goulinant comme un dégoûtant goitre – grossière chemise à carreaux. Sa main qui m’effleure l’épaule tandis que je déchiffre,  assis près de lui,  ses partitions. Djanema s’en indigne et fustige mes « innombrables conquêtes des deux sexes » (  elle  photographie en douce un Africain vu de trois-quart  et pantalon  négligemment ouvert d’où sort à plat  sur le coton très doux le profil soyeux d’un sexe éclos du tissu même. Considérer le nombre incalculable de femmes en amour s’achevant à grands coups de phalanges devant le velours en cavale...
     	Et j’en augmenterais le nombre en dépit de la honte pour peu que fût admise l’abjection du racisme le plus insondable : un noir n’est pas – tout à fait – humain. Mais ce fantasme reptilien s’accouple aux représentations les plus rédemptrices : l’homme africain est Animal et Dieu. Jusqu’au garde géant qui déchiffrait sans peine en moi le désir sans issue au fond d’un cul-de-sac de grande surface. 
       
    
     LE RÉCITAL PERDU
       En sacristie de Saint-Nicolas se tiendra ce soir une conférence (avec diapositives!) sur Le Cantal et son Massif, laquelle sera suivie de prières ; vidéos, questions et débats ; amour universel, cendres.et autres exercices spirituels. Sans bien savoir l’heure, je pars de chez moi à la nuit tombée. Cantat Benoît, du haut de la tribune, il garnirait de ses traits d’orgue ce sandwich pieux de Bach, Hoboken XX-10 et autres. Dispersion joviale sur   fond d’impro.
    
    	Or s’il est vrai que saint Nicolas ressortit trois enfants du saloir, les rencontres de ce soir-là ne me furent d’aucun secours. N’ayant quitté mon home qu’à neuf heures, scrutant sur quatre roues mes raccourcis nocturnes  :  angles  rentrants  qui vous éloignent,  rues fourchues ; garé au petit bonheur et parti à pied dans le froid, plan indéchiffrable sous les ternes réverbères, je me perds. Dans une grande rue noire et sans repère, mon premier Messie fut un Espagnol, pur Ibérique farouchement monolingue, infoutu de dire droite ou gauche autrement que par  gestes. Le second fut un Boche, haleine  de bibine. « Zwei kilomètres » dit-il. Je reviens sur mes pas, longe d’interminables murs, sans même prendre la peine de me presser.

    Un ange enfin sans doute le secourut sous la bruine, serrant dans sa poche un plan détrempé : sur les marches enloupiotées du perron d’église,

         Je suis donc arrivé juste pour la sortie des premiers  cafards de sacristie  sur le large perron extérieur, marche à marche tête basse et méditative afin de ne pas trébucher.  Lorsque je suis entré dans St- Joseph, les retombées de voûtes dégoulinaient encore du dernier  point d’orgue.Je fus saisi par les fresques picturales courant de part et d’autres, tandis que les arceaux latéraux se succédaient, coupés à la corde par des tiges rouillées.

    Trois Vietnamiens debout, Sur les marches enfin du perron, titubants, assourdis d’acouphènes, se tordaient la nuques sous les frais chromos d’une bondieuserie voûtale. Sur leurs talons Jean-Benoît, par les grâces des neuroleptiques et de l’Esprit-Saint, s’avance en retombée d’extase. . Il se murmure que l’ordre de St-Malo lui ferait des avances ; que n’adviendrait-il pas… Ces commémorations du Saint Sacrifice que j’honore ne doivent pas excéder une certaine fréquence. Je pense aux « baises judicieusement espacées » concédées  par Flaubert à Louise Collet. Un de ces derniers dimanches où j’étais resté chez moi, une lame violente de colère m’emporta, de répulsion face aux vies gâchées par la sotte obéissance et inertie. Un jour il frappera l’air de ses poings, et s’il se trouve un homme à cet endroit, il l’assommera. Quand je réponds enfin aux invitations téléphonées, quand il a bien senti ma réticence, il bute sur ses mots, exprime toutefois le ravissement d’avoir bien joué. Il s‘adresse à lui-même en balbutiant ses compliments, dans l’écouteur. J’ai parcouru des yeux la compagnie des trop feutrés bigots et gotes, me suis avancé vers l’artiste en serrant sa main molle : « C’est fini ». répétait-il, « c’est fini » tout en saluant à la ronde « ne t’avais-je pas dit vingt heures précises ? » J’étais gelé.

    .	Il s’est tourné vers ses apôtres pour sceller son rapatriement ici-bas. Enfin il n’était plus coupé des hommes  Il faisait le centre et le  charme dune compagnie,  lui  confiant peut-être  que je diffusais ses œuvres à l’antenne,  ou toute autre chose   Il ne m’aurait pas vu ce soir-là, fondu dans ses répétitions ;  il  priait  Dieu. Ses interlocuteurs alors ont ouvert leur cercle, et  je suis resté seul  avec lui : « Jeux de 8, 4, 2, rien que de très classique ». Je n‘y connaissais rien.  Mais c’était bien de le demander. 
    Puis  il me rejoignit, dehors, à cent mètres, place Dourmingue et sous le réverbère, où je m’étais  perdu malgré le plan  en main. « Tu ne peux plus m’aider » lui  ai-je dit. Jean-Benoît s’éloigna de son pas de pachyderme ; il descendait la longue pente jusqu’au 20 rue Commerciale. Et dès le  vendredi, je diffusais les airs d’épinette de Jean-Benoît. 
    
    							*
    
    Mission accomplie.  Je ne le vois plus. J’ai observé nos gloires illusoires et sincères, cette opinion que l‘on a de soi. Maîtrise du monde intérieur, bien sûr, intérieur. Heureux à tout jamais d’avoir appris cela, sans plus me croire obligé de colmater les failles. Traîner son épave comme un cadavre garotté dans la chaîne de mouillage. Que le rafiot reconstitue ses mâts. Se sera-t-il un seul instant soucié de moi ? ...nous n‘avions fait que parier : « Lieutenant, parviendras-tu à soulever cette bourgeoise en trois semaines ? » Oui : dix ans. Aucun humain ne m’a jamais fait battre autant le cœur qu’un livre ou un spectacle. 
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    TES PÈRE ET MÈRE HONORERAS
     
    	Son père me plaisait. Il termina ce qu’on appelle gâteux  : synapses en circuit court (sonder les encéphalogrammes d’altzheimer). Le cercueil terrestre gisait en soute de l’Estafette Perfex, sous un ruché violet. Sa peau comme ultime couche. Le coffre est passé tout plat sans trace d’abdomen.  Quelques mois plus tôt M. avait renversé sur lui un verre plein de Pointe Rouge. Il s’était répandu en déplorations. « Ce n’est rien ! répétait Marie-Pascale. Adam quittant sa vie. Le dernier trajet que je fis avec lui partit d’un fauteuil arrière en direction de la Pizza Pippo. Je tenais Martial par le bras en prise douce. Rien ne peut donner l’idée de son allant et de sa joie de vivre avant sa mort. 
    FUNÉRAILLES
    	Tandis qu’on enterre son père et tout au long de la cérémonie, Jean-Benoît respiret plus large, resplendissant. Dans cette église enfin Benoît tient sa revanche : mère  morte, père amoindri puis mort – à son tour, à  lui, de vivre. À son tour de recevoir en maître de maison, en maître de cérémonie. Disert, affable, mondain, barbe soignée. 
    	Sur les rangs de femmes sa fille officie de même . 
        Ce que c’est  malgré tout que  d’être aimé jusque dans sa  tombe. Les vivants ne s’en rendent pas compte : on  ne  cesse de se ballotter le pantin au jour le jour, loin de sa fortune, héritée alors, fortune de probité, de totalité, d’épaisseur. Que les  babouins  vivants n’approchent pas de moi (« du fond de  nos cerveaux,  repolissons sans cesse les statues des morts »).  Un jour   prendre                                                                          sieste, et, comme  Victoret,  n’éprouver point la nécessité de se réveiller   (N.B. Rédiger mes recommandations  bibliques  ( ? ) - j ai reconnu,  pendant l’enterrement,  la fille  République, ses yeux  en boutons :  « Vous êtes sa fille ? lui ais-je  dit ? - Oui, je vous ai reconnu tout de suite.  
       - Quel bel enfant vous avez là», . On ne l’a pas  entendu de  l’office.  Il avait l’air stupide et vide. Comme doit l’être un enfant de neuf mois, aussi loin de sa naissance que de sa conception. 
       
       LA RÉSURRECTION DU XIXe SIÈCLE
        Il fut une fois une foule brouillonne d’écrivains, chanteurs, compositeurs-interprètes, que leur ascension ratée de l’Olympe  a  conduits dans  la peine.   Des dizaines de milliers d’écrivains se 
    présentent chaque année au Prix Nobel.  Des dizaines de milliers.  D’autres jouent  du violon  à l’arrêt sur leur  siège avant, sans autre abri. Je pense  à ce premier du concours international de violon, arrivé en retard à l’aéroport. Le deuxième, K.G., ponctuel : tapis rouge, délégation soviétique. Il s’est bien gardé de détromper quiconque. Le  premier prix, fragile, mourut jeune.  Il ne laisse pas d’initiales. Maudite  soit l’espèce humaine. Chez Jean-Benoît, nous retrouvons la résurrection à l’identique du siècle passé, quand on vaporisait la poudre sur les parois de liège: Poudre  Legras.  Proust et le koala , mauvais titre. 
     			Jean-Benoît est un gros koala.
    	Qu’il soit bien entendu que Jean-Benoît respecta toujours  la plus stricte hygiène et que jamais je  n’ai senti chez lui le moindre effluve corporel. Mais un léger parfum de cigare. Je l’ai vu rayonnant aux obsèques de son père, où tout  le monde rayonnait ,  à l’exception  d’un Vietnamien qui s’essuyait les yeux au premier rang. Je ne voyais de lui que le coude, qui se levait régulièrement au niveau de ses yeux. Puis Jean-Benoît salua les défilants au sortir de la messe, les assommant d’un de ses projets dont il poursuivait l’exposé d’une poignée de main protocolaire à l’autre,  car l’ homme est créatures de projets. Je me souviens des mémoires d’un certain Indochinois, qui donnait  à Maurice du «¨mon seul ami ». 
    	Ou bien c’était Maurice lui-même, le père, en ses minces mémoires, qui mentionnait un « citoyen de Hué « . Rentré chez moi, je me suis reposé une heure.  
       
       X
       
       Avant le temps des streamings, Jean-Benoît se confia hardiment au matériel électronique : il grava toutes ses  œuvres sur disques compacts  (on disait  encore, à l’époque, en anglais, des  compact discs) , répertoriés   par lui- même  avec la  minutieuse gravité d’un musicologue : tel le Deutsch de Schubert, le Köchel de Mozart. Sur  chacun de ses boîtiers  plats   figurait à la main le numéro du  Disk (majuscule germanique de rigueur).  Jean-Benoît se fendai pour moi, sur feuille séparée,  d’un commentaire hérissé de considérations solfégistiques, dont j’amputais, à  l’antenne tout ou partie. Ce- pendant  les dits  compact discs  vierges disparurent précipitamment du commerce, à l’exception de quelques officines. 
    	Le commun des mortels s’approvisionna  donc  par téléchargement, voire captation sur stream et autres simplifications inaccessibles aux plus de 30 ans. Jean-Benoît, dans son nouvel antre, me confiait l’écoute de ses productions sur de « bonnes vieilles » disquettes  : « Vous croiriez que c’est du Beethoven ? pas du tout : c’est de moi », écrivait-il dans la plus franche modestie. « Ces morceaux bien enlevés » ajoutait-ils, « sont passionnants, d’une joie communicative, et merveilleusement travaillés ». D’autres fois, il se  montrait moins satisfait, mais le disait aussi : mieux vaut dire du mal de soi que de n’en point   parler » . Je me rabrouais volontiers moi aussi  dans l’autodépréciation  : c’était pure vanité.
       
     À HUYSMANS

    Il faut pour cela prendre une voix flûtée, HUYSMANSIENNE. « Êtes-vous chrétien ? - Oui.

     Le vieil homme se met  péniblement à  genoux sur la moquette pour un Notre Père, et je  l’ai  rejoint près du lit d’hôtel pour un Notre Père, et je  l’y  rejoignis avec l’intonation, en m’efforçant d’y croire.  L’ultime  recours est le  corps. 	Puis nous nous sommes relevés et salués sur le paillasson d’hôtel. Le travail sur soi et de l’examen de conscience ont fait rouler des générations de  catholiques sur les  pentes raides de l’insomnie.
      J’assiste à des extraits de messes, déplorant  chez les prêtres l’atroce manie conciliaire d’imposer au fidèle des mélodies abjectes. Un jour  je suis surpris dans une nef déserte à   brailler,  à l’harmonium, un  Ave Maria de  mon cru, bouche ouverte et l’air d’un con, feignant d’ignorer l’auditrice  droit debout sur les dalles, qui me scrute et s’en va.
    	Il existe dans la vie de grands moments de solitude.
    
    							*
    
       Je rencontre un jour dans  un sentier touffu en pente vers la Seine une novice  appuyée sur un portillon de bois clos ; elle tient une bicyclette à panier arrière et sourit. Qu’aurions-nous pu  sinon tirer un coup sacrilège et pressé ?  Enfant déja nous détestions l’amour, sans subir encore ces assauts gluantes qu’on dissimule en roulant des yeux, qu’il ne faut ni mentionner ni transmettre. J’avais honte de l’homme qui criait sous moi dans tout l’étage. En vérité je le souillais. 
    
    						*
    	Ce qui se passerait : je me tiendrais reclus dans la lingerie. Chacune viendrait me nourrir et couvrir, et se croirait la seule. Soigneusement dissimuler l’empreinte de la prédente. Pisser : où cela ? Droit civil, canon, canin ? quelles  jurisprudences ? Il semble que le captif d’un établissement religieux pour femmes appartienne aux fantasmes ; plus de quoi soulever sa viande ?  
       
    							X
    Jean-Benoît d’en haut
    
    	 Aux derniers temps de  l’Impasse Alacoque, Jean-B. abandonne le parquet jonché de papiers publicitaires, qu’il se proposait de classer –  (« à quoi bon ? » disais-je) ne méritant que pure poubelle. Ne manquaient que les chiens pour pisser dessus,  comme chez Jeanne en banlieue. Aujourd’hui descendu de sa côte, Jean-Benoît  peut enfin renifler ses propres bouffées. Des  confiotes entamées traînent dans la cuisine, parfois sommées d’une cuillère en aigrette : il en prend,  repose, rejoint ses portées. 
    	Ni ménagère ni larbin.
       Il végète. Son abdomen distendu surplombe les canettes, sur la table ou le sol. Des insectillons vibrionnants  se  sont mis en tête d’explorer ses vestiges de cuvette hygiénique. « Fais attention ! » J’arrose les parasites, qui se blottissent sous le rebord,  à la merci de désinfectant si j’en trouve.
       
       VISITE  AU  PÈRE  EN SON  ASILE    
    	Nous devons ressusciter Maurice, père veuf de Jen-Benoît. Il  mesurait encore, voici dix ans à peine et par grand froid, notre remise en fond de cour. Il m’avait exprimé sa surprise que l’impuissance surgît si vite, irrémédiable Au fond désormais d’un établissement pour vieux, obscènement baptisés Seniors. Je ne l’aurais  pas reconnu sous ses traits redevenus scandaleusement lisses. Le scandale d’Entrague Moritz a rendu ce dernier indésirable :  quel choc pour lui, de découvrir d’un coup, sous le linceul de la vieillesse,  ces corps un par un  tordus sur  leur fauteuil, comme les Communards dans leurs cercueils ? 
    	Tétanisé, Moritz hurlait au  guichet d’accueil,  dévasté, déniant toute compétence à la totalité du personnel. Sous ses cris les survivants dodelinaient et grouillaient en bavant.  Aujourd’hui je  revois René, le père de Benoît, qui me resitue  dans ses méninges vacillantes (ma première visite au trou de sa bouche l’avait trouvé comme un cadavre  à qui l’on a ôté sa mentonnière. Et ronflant. )
    Il va mieux. C’est moi qui ne l’ai pas reconnu. Lui, si.  Ses traits sont redevenus scandaleusement lisses et  jeunes. Les  plaisanteries les plus éculées le laissent de marbre. La troisième  visite  l’a déridé: c’était en racontant l’histoire de la vieille quêteusete : «Pour que les enfants puissent voir les animaux du cirque ».J’ai répondu  “Je n’aime pas les enfants, je n’aime pas les animaux, je n’aime pas le cirque - Eh bien tant pis, réplique-t-elle dépitée.                          
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    Louise la Malgache ne l’a jamais visité que je sache   Me renseigner auprès de Marie-Pascale, notre Saint-Simon, la plus impartiale et exhaustive potinière que je sache, experte en étiquette et autres convenances.
    						X
    
    	Jean-Benoît veut m’imposer chez sa propre fille, qui, dit-il, m’admire. « Lorsqu’elle a dit ton nom – Monsieur C. -  elle a tout dit ». À supposer que je l’aie revue, que nous serions-nous dit ? se serait-elle pour autant délivrée de cet Haïtien, qui l’engrossa « le soir-même de ta visite » affirme Benoît – je serais donc devenu Père Blanc  par fantasme interposé ? cet enfant m’a-t-il ressemblé ? Savoir ce qui passe entre la tête et le ventre d’une femme. Nous sommes si terriblement primitifs. La femme souffre de se sentir désirée, et le recherche. L’homme, de ne l’être jamais. Il serait temps que cela change (enroulons donc ces verges que nulle ne veut, et n’importunons plus, dit Jean-Benoît, «  les organismes morts des femmes offusquées » Rires
    	Craignons plutôt que la  mort, en temps voulu plût au Ciel ! de Benoît ne livre sa fille ainsi que toute mort du père.  Il  n’est si bon moribond qui ne finisse par mourir : un beau jour les poumons cessent de grésiller,  le corps est enfourné par-dessus l’abdomen qui naguère bloquait portes et ceintures. 
    
    						*
    . Marie-République rayonnait.  Elle avait amené son propre enfant, petit-fils de  Benoît. L’enfant, peau grise et tendue, tenait ferme sur ses jambes de neuf mois. Il jetait autour de lui ses petits yeux ardents, agrippé  des deux mains au dossier du banc d’œuvre, les traits d’un petit  quadragénaire. 
        Louise l’Éthiopienne, venue de son travail tout proche, se place debout près de moi, bouquet funéraire en main : « Qu’est-ce que j’en fais ? » murmure-t-elle.  Donne-le à  Benoît, en le touchant de dos. » Ce quelle fit, et c’est bouquet en main que Jean-Benoît ouvrit la marche derrière le cercueil.  Calme et digne durant tout le rite, à présent satisfait, accompli,  en pleine représentation.  
    
    						*
     Un jour se trouveront justifiés tous les préjugés sur les sexes et couleurs de peau. Craignons ce jour. Nous rougirons en vérité d’avoir été ce que nous sommes.  L’époux haïtien de Marie-République ne s’est pas présenté ;  elle-même,  en deuil  de la tête aux pieds,  les yeux  brillants, reçoit les condoléances aux côtés de son  père. Trente assistants ici en comptant large. Sans oublier neuf ou dix flétrissures vaguement féminines du « Chœur mixte de Ribenstein», psalmodiant les répons sans trop de fausses notes. L’officiant  précise la liturgie, faisant lever ou s’assoir, sans agenouillements arthritiques. Je me souviens des  petites  épaules secouées d’Igor, fils de F., seul  digne parmi les  tièdes.
    						* 
      	Olga meurt en décembre douze. De combien survit-on à son épouse ?  en pleine lucidité s’entend. (in aller Klarheit ; mourir en langue allemande vous aurait  une autre allure. Mon ultime visite à feu Moritz, après son veuvage, avait eu lieu en allemand. L’infirmier de garde s’était montré surpris. J’ai prétendu que Moritz le Veuf comprenait. Il n’en était rien. Tant que je parlai en allemand à ce vieux père il m’ignora en tournant la tête vers l’écran : « Les rhinocéros du zoo de Munich ». Ma sollicitude s’était ravalée à l’exhibitionnisme. Je ne l’ai plus revu, mort ou  vif. La  maigre assistance pouvait être imputée au fils : il lui suffisait simplement de ne pas informer le journal local.  Des bruits pouvaient courir, à mesure que ses Maîtres d’Hôtel Trois Points se communiquaient la nouvelle - pourtant, le Torchon Local ne prend-il pas ses sources funéraires quotidiennes auprès des mouroirs, par un  constant affût des vautours gazetiers ? 						*
    
    
    						X
    
       Louise l’Éthiopienne, amante de Marie-Pascale, s’est retirée très vite des obsèques, rejoignant son lieu de travail. Je suis sorti errer sur le parvis parmi les groupes, tandis que les employés renfournaient sans témoins ni états d’âme la caisse funèbre  à  ras de tôle sous ses mesquins rideaux de tabernacle. Sa fille  Marie-République s’est retirée très vite aussi vers sa propre vie. le bébé gris  bronze fut remis à une jeune femme qui n’était pas sa mère. Le Petit-Grise fut remis  une femme qui n’était pas sa mère ; quant au père, dreadlocks  et  Marley, il n’a pas  fait le voyage. Il en fera bien d’autres. Le vendredi suivant, je diffuse l’antenne les galipettes pianistiques de Jean-Benoît, dont le défunt père ne s’est pas un instant départi de sa dignité cercueillique. 
    	J’ai perdu mon portable et l’ai cherché longtemps.
    
    
    
    
    

    Marie-Pascale  Jules,poireau,grec

    Marie-République, fille de Benoît : n’a jamais visité que je sache Marie-Pascale, elle-même inépuisable potinière au sens saint-simonien du terme, la plus au fait des politesses et convenances. Elle ne blâme pas, mais constate et rapporte. Je ne suis pas rancunière, dit-elle, mais j’ai la liste. 
    							X
    PATZARAS 
    Vous voilà guéri, monsieur Patzaras ; et soignez bien votre diabète. Un mort de moins pour les statistiques du cancer. Signé Toute l’équipe médicale. Patzaras dépérit lamentablement, rongé d’une atroce et tenace fatigue. Nous avons ventilé sa solide carcasse, après la cérémonie d’Église, dont j’accepte mal la tolérance liturgique.   
    
    
    LES SACRILÈGES
     
        Déploration  chez les officiants de cette manie de proposer toujours aux gosiers les répons mélodiquement les plus abjects. Un jour je suis surpris  braillant à l’harmonium un  Ave Maria de  mon cru, bouche béante et l’air très con, feignant d’ignorer la présence humaine, juste à côté de moi sur les dalles, à me toucher. Il existe dans la vie de grands moments de solitude. Ils cessent dès que le témoin s’en va. 
    
    J’ai rencontré deux fois, dans  ce sentier ombreux à pic vers la Seine, une  novice des Sœurs de Saint Paul, appuyée sur un portillon de bois plein-cintre; fraîchement descendue de son vélo  noir elle  souriait. Qu’aurais-je fait ? tiré un coup pour éviter l’amour et tout ce qui s’ensuit.   Hommes et femmes sentent ces mêmes pincements de cœur et se tirent sous le pont, l’un à  l’autre, des bordées de boulets. 
    Enfant déjà  je détestais l’amour. Chose gluante et chaude dont il ne fallait pas parler. Qu’il ne fallait pas transmettre. 
     Religion ou pas. Dont il ne fallait pas tenter la contamination. J’avais honte qu’un homme eût crié sous moi. Mon nom hurlé à  travers tout l’étage. Je le souillais. Aux novices, on ne touche pas davantage. Vérole et sacrilège. Conséquences en matière de droit civil, canon, canin ? Se renseigner sur les temps anciens.
    						X
      Je réponds enfin au téléphone, enfin, et qu’il m’a senti contraint de le faire, Benoît bute sur ses mots, exprime le ravissement d’avoir bien joué comme on pousse une crotte Il se bredouille à lui-même ses compliments dans l’écouteur. Je ne comprends qu’un tiers de ses mots, suffisamment pour m’en faire une idée. Répondre « oui» à intervalles réguliers. Jean-Benoît parle de la sonorité des voûtes ou du plafond d’église, m’invite dès le lendemain chez lui, et comme je lui ai fait trois fois faux bond je ne puis décliner trop de fois. Le mardi ? C’est qu’il va chez sa fille qui n’a toujours aucun projet de me recevoir (qu’en ferais-je?). Ce même jour il reçoit son injection, lobotomisant la bite et le cerveau. «Peut-on vivre sans sexualité? » Arielle répondait doucement, je ne me souviens plus de ce qu’elle m’a confié.
    	
    À présent elle et moi poursuivons notre « chasteté définitive» selon le mot de Proust. Nous vivons, oui, en nous demandant comment nous faisions jadis, au temps de la belle queue vive, pour vivre. Je vois Benoît cet après-midi. Il me jouera des choses, il me donnera mon disque dit compact. Il faudra que je meure de bonne humeur. C’est notre condition à  tous. 
    Gbggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggggg
    

     

    Il se murmure que l’ordre de St-Malo lui ferait des avances, flirt spirituel qui semble bien avancé ; son divorce pourtant fait tache.

    Depuis ce jour, j’ai perdu mon téléphone portable.

    Je le cherche partout, comme un chien. Mais les téléphones n’ont pas d’odeur.

     

    Jean-Benoît d’En bas

     

    Sa vie importe autant que celle des pieuses japonaises.

     
    Des pots de confiture à moitié vides ou pleins traînent en tous lieux, certains pourvus jusqu’à leur fond d’une cuillère, en aigrette. Il en prend, revient recomposer, repart en prendre..

    Nul interstice ici pour les moindres ménagères. Jean-Benoît paraît proprement végéter ici-même. Son abdomen évolue sans dégâts parmi les canettes vierges ou entaménes, en bouteilles ou métalliques

     

    De petits insectes explorent la cuvette hygiénique .«Fais bien attention »  J’ai compissé les parasites, qui courent se blottir sous le rebord, à portée de désinfectant. 

     

    A LA RECHERCHE DU RÉCITAL
    
    
    
     
    
    
    Respirer bien à  fond, en cas de détresse ou de perplexité. Unique recours : le  corps.  Pour rien au monde je n’aurais oublié cette prière.

     

    J’aimerais mourir en allemand. Ce me serait une consolation. J’aimerais mieux ne pas mourir du tout.

     Car c’est à l’officiant qu’appartient de plus en plus non pas «la puissance et la gloire», mais le soin de préciser à l’assistance les ponctuations liturgiques, en la faisant se lever ou s’assoir, sans toutefois se ravaler jusqu’à l’agenouillement,si peu égalitaire
    .
    

    Je me souviens des petites épaules secouées d’Igor, qui porte de mon sang par son grand-oncle.

      
    Seul ému parmi ces Parisiens de . Nous étions les seuls. 
    
     Il n’est si bon moribond qui ne finisse par mourir : un jour ses poumons cessent de grésiller, on le fourre dans un cercueil bien plat, lui dont l’abdomen bloquait la respiration.
    
     Nous étions pour ses adieux trente personnes en comptant large. 
    Plus une demi-douzaine de flétrissures des deux sexes intitulée «Chœur mixte de Marillac» (sainte Louise, -, patronne des travailleurs sociaux) qui psalmodiaient les répons au plus juste.
    
    Benoît trônait et paradait,  paré des dignités du maître de maison. 

    De combien pouvons-nous survivre ? ma mère morte ravalait en deux ans son époux au rang d’adorateur, à son tour bientôt disparu.

      ...O n aurait dit l’accomplissement de sa vie. 
    
    

    Elle-même, en deuil du haut en bas, les yeux luisants, fait les honneurs du cercueil de l’aïeul, du père de son père à lui, attendant plus cruel encore. Partout sur ma peau paraissent les verrues. Le mari de Marie-République est bel et bien noir, mais ne s’est pas présenté aux obsèques. Dreadlocks et musulman, n’a pas fait le voyage. Il en fera bien d’autres…

    Je crois plutôt que la mort du père délivrera Marie-République. M’aurait-elle revu, que je l’aurais, qui sait ? enfin soulagée de ce maquereau si noir, si haïtien, qui l’engrossa le soir-même ? «Le soir de ma visite» affirme Jean-Benoît. « Elle a pris en toi son inspiration »

     

     

     
    
    
     Hhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhh
    
    	Je planque dans sa rue, sous ma vitre. Je dois l’accompagner en gare. La gare est loin. Mon avance est considérable, je lis le Grand Albert : L’exil et le royaume, « Le Renégat ». Texte terrible, flamboyant. Soudain la porte de Marie-Pascale s’ouvre. Du 20 sort une garçonne blonde, mince, vive, en brosse. Marie-Pascale lui fait ses adieux d’une voix forte, pour faire naturel. Je n’ai que le temps de plonger sous le tableau de bord. La garçonne renfourche sa selle en me souriant. Une demi-seconde de pure acuité. Pascale n’est pas myope, elle a nécessairement reconnu mon char, juste devant la porte close de Didier. La jeune femme s’en va de dos sur sa selle. 
    	Lorsque Pascale me rejoint, pas une question sur le temps d’attente. Elle sait que j’étais là, en grande avance. Nous avons parlé de tout sur le trajet, comme d’habitude. Sans doute la jeune femme demandera-t-elle qui était cet homme qui plongeait si délibérément sous son tableau de bord. Marie-Pascale comprendra, alors, ma perfide discrétion. Elle trouverait maints prétextes. Elle sait que je sais, et que je sais qu’elle sait. Elle niera moins farouchement. Elle niera jusqu’à la mort. Cette fausse découverte m’aura beaucoup marqué : en effet, à tort, le lesbianisme me fruste et me rejette. La tendresse redoublée que j’éprouve pour Pascale tient de la complicité d’homosexuels des deux bords. Les hommes ont besoin des femmes et les femmes des hommes pour s’épancher, pour se porter caution les uns des autres. Je ne fais rien là que de constater après tous. J’ai d’ailleurs répandu le bruit avant d’en avoir la preuve. Je dis toujours du mal de ceux que j’aime, et de moi… « Je n ‘ai jamais été sollicitée par une femme ». 
          Une jeune sportive mince vient coucher avec une grosse vieille. La fille en brosse à 7h du matin…  La charité prend des chemins bien dissimulés. Je la désavoue en mode reptilien. Mais de tout mon cortex, je m’abstiens d’en rien laisser paraître. Prenons garde tous.  
    							X
        Arielle gît dans son harnais d’arthrose, confiante qu’une opération suffirait à ce qu’elle se lève et marche. Le résultat sera de canne anglaise et de boiture. 
     Les hommes devront voir en face qu’il n’ y a ni chasteté ni talent qui tiennent. Que  rencontrer quelqu’un veut dire avoir intrigué, bataillé, de toutes ses forces et de toute son hypocrisie, pour obtenir enfin l’accès à la bonne personne au bon moment. Il y faut un énorme travail. Un énorme don. Et la main de Dieu. DE QUI  NE SUIS-JE PAS LE JEAN-BENOÎT ? Frère, serre bien ma main tandis que nous tombons tous les deux dans l'abîme.