Proullaud296

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  • LE CHEMIN PARCOURU

    L E C H EM I N P A R C O U R U

    DÉFINITIF

    COLLIGNON

     

    AVANCER EN ROULEAU COMPRESSEUR ET NE TENIR COMPTE DES DOUBLONS QU’AU FUR ET A MESURE

    « subsistera » page 7

    privilégier la première version DANS LE DOSSIER JAUNE, bien plus authentique 67 01 02

     

    1) Nuit à Rossenberg

    a) les lieux (trois pages)

    1) le bâtiment et ses entours (une page)

    2) la chambre blanche, le petit lit de fer, le portrait d’ Henri V de Chambord. (une page)

    3) ma compagne à côté de moi (une page) et l'impression étrange des volets hermétiquement clos. (une page)

    b) les raisons pour lesquelles nous y sommes, (trois pages) le froid ou le chaud selon les saisons,

    c) élargissement de l'espace, sorte de vaste palombière aux ramifications immenses, cf. l'hôtel d'Issigeac à l'horizontale.

    Cette partie est devenue inutile, car tout a déjà été développé dans les paragraphes précédents, avec force détails.

     

     

    DIX PAGES ( SIX SEULEMENT)

    LE PLAN QUI SUIT EST INEPTE ET DÉPASSÉ

     

    2) L'effondrement

    a) alors que je me promène, effondrement d'une aile, je sais qu'il y a qq dessous, je décris les bâtiments, cf. une illustration de la collection "Tremblements de terre et catastrophes naturelles"

    b) les hommes vont sur le terrain (torchis, colombages), (laine de verre, masques) - moi, je suis méprisé, on ne me confie que le nettoyage de la vaisselle, aidé par des fillettes, puits à chadouf

    c) Evocation effectivement d'O. qui me traite de Gugusse et de L. qui me remet le moteur en marche. Ne pas hésiter à dévoiler alors leur peu glorieux avenir (digeridoo, Uruguay)

     

     

     

     

     

    3) Mes lectures (Musset aux chiottes à la caserne, chapitre sur Ulysse dans "Si c'est un homme", ceci avec l'une des fillettes. Mais, "après-midi vaseux".

    a) mon bouquin, sa découverte dans les décombres, mon rafistolage, ce que je m'en promets

    b) un commentaire là-dessus

    c) ma transmission, très chaste, pendant la nuit à la petite fille, cf. Nuit de Mai, "Que c'est beau !"

     

    4) Ma soûlographie en mémoire de l'ermite

    a) le menu pantagruélique "Au Paléolithique", "Au Grand Béarnais" à Sarlat, les sauveteurs se restaurent

    b) Je suis ridicule et hargneux, cf. le barak hongrois, les cinq litres de vin avec O’L.

    c) Une agressivité sauvage, ma paranoïa n'ayant cessé de croître

    j,j,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,

    5) Le voyage du retour

    a) Le trajet à travers le Bocage, avec la petite fille dont nous ne savons pas tous les deux qui est le père ; petite route et cimetière de G., pèlerinage ultra-lent car nous n'y reviendrons plus.

    b) le peintre Manolo, les adieux à tous.

    c) engueulade magistrale devant la petite fille pour savoir qui de nous deux est le père.

     

    6) Il faut pourtant larguer la fillette chez sa mère

    a) l'accueil plus que mitigé, cf. Machinchose à Kekpar.

    b) accueil dégueulasse de la fillette, cf. fille de V. à Villaras, écœurant.

    c) elle nous annonce qu'elle va l'abandonner chez une autre copine

     

     

    7) Achat de bouffe cours Dr Lambert

    a) je médite ma vengeance en achetant des produits avariés

    b) je me lamente sur ma vie ratée, en retraçant la vie antérieure de mon compagnon et de moi

    c) le repas est dégueulasse, avec la radio qui hurle sur le jambon d'York

    8) Toujours la soirée studieuse

    a) Je reviens sur Musset

    b) je fais le tour de tous mes bouquins

    c) je fais effondrer à mon tour toute ma cabane

     

     

     

     

     

     

     

     

    9) Coincé dans ma poche d'air, j'attends les sauveteurs.

    a) je me sortirai de là, j'irai à St-Flour

    b) je ne pourrai jamais, jamais vivre seul

    c) j'entends la voix de mon compagnon qui demande qu'on arrête les recherches, on m'arrose de créosote avant de mettre le feu.

    Pendant ce temps-là je creuse, pour m'évader, deux cents mètres plus loin.

    FIN DU PLAN INEPTE ET DÉPASSÉ

     

    JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE

     

     

    Il est sur une bosse une lieu étrange et pénétrant, clairière nommée Calvitie de Vénus, où se dresse une haute maison de bois, conforme aux silos de ces contrées : trois étages dont le dernier donne juste au-dessus les cimes. Nous sommes dans l'Ouest canadien (Calgary, Mouse Jaw) où s'étendent ces vastes arpents de blé de printemps.

    Le rez-de-chaussée s’ouvre sur un rond de prairie pelé, sans trace de culture ni d'aucune sorte de jardinage. Le propriétaire, Stoffer Jywes, passe de plus en plus loin sa tondeuse à gazon, sur laquelle il s'assoit, et débroussaille de plus en plus loin, pour éloigner les incendies.

     

     

     

    Il semble tout sec et décharné, tondeur d’Apocalypse: il range en fin de jour son engin sous un appentis. Sa femme Jamie entraîne dans son cercle tous ceux qui l’approchent, souriante et gauche.

    Le haut bâtiment montre d’ingénieux volants superposés d’une lourde gitane en bois noire et goudronnée, figée dans une verticalité bitumineuse, dont l’entêtant parfum revit après chaque badigeonnage. De rares ouvertures s’étagent sous les auvents.

    L'intérieur vertical présente ses « échelles de meunier », trappes, rampes vernies où se décantent des nuances blond de miel. Il fait toujours bien chaud dans les étages.

    I, a, 2

    Lui et moi bénéficions de l’hospitalité. Il régnerait dans notre pièce un froid glacial, si nous ne disposions d’un chauffage aux senteurs entêtantes ; rien qui s'épuise plus vite que ces gazinettes. Nous occupons un petit lit de fer qui grince lorsque nous nous rejoignons sous l'édredon. Les deux panneaux du lit montrent des ferronneries à volutes, le matelas formant une étroite gouttière, et nulle nuit ne me revient en mémoire que je ne l'associe à d'intenses courbatures dues à l'emmêlement obligé des membres, tant supérieurs qu'inférieurs.

    Nous aimons bien notre lit qui fleure bon la douilletterie. Or ce n'est pas un crucifix qui le domine, mais un portrait de Bonaparte par David, avec ce profil gauche où s’emboîte un menton dans son cou empâté. Dormir sous le portrait de Napoléon serait obsédant, si nous ne endormions très vite au sein des lourdeurs impériales. Sitôt tirées à l’aube les barres de volets, nos regards se posent sur l’autre affiche en revers de porte : c’est un Christ aux Souffrances creusé par la douleur. Sur sa peau de plâtre viennent des coulées de sang rubis. Sitôt enjambée la fenêtre nous foulons l'herbe, et les volets pleins sonnent sur les bardeaux. Mon compagnon refuse de tailler sa moustache.

    Il a de forts besoin de sommeil ; je puis aussi bien me promener plus d'une heure, dans la rosée, avant qu'il ait songé à s'éveiller. Il sent le fongicide pour le bois. Au début j’étouffais sous le poids de ses jambes. Bateau calfaté poupe en terre, goudron fissuré. En attendant qu’il ait fini de se secouer comme un porc, je me sens utile, je sais où l'on va. Il ne dort en vérité jamais vraiment. Parfois je ne le sens plus. Nous emmêlons nos membres au petit matin. Ma barbe gratte encore à peine car je suis rasé de la veille au soir.

    Nous n’avons jamais froid dans le lit ni la pièce malgré - 25 dehors, il règne toujours ici la transpiration des corps grassouillets - Dieu me préserve de sentir à l’aube choquer contre ma jambe un tibia de barres à mine (hommes désagréables tous, taillés en raboteurs et mous de la bite "vous êtes attendrissants", "ils ont été dans notre ventre"). Au petit déjeuner nos corps se séparent et c'est le silence, l’air absent au dessus du bol chaud - les yeux lourds de suie froide et ramenant hâtivement sur nous les pans de nos robes car nous couchons nus.

    . L'été la porte intérieure s'entrouvre déjà sur nos hôtes, en salle, bénévoles, souriant, prévisibles jusqu’aux côtes. Cet accueil jadis nous raidissait : d'autres que nous pouvaient donc s'aimer aussi bien que nous : le grand débroussailleur maigre et silencieux, qui mange avec des claquements de grand oiseaux du Mackenzie. Je hais ces gens et leur suis si attaché que je ne sais plus rien. L’hôtesse tourbillonne avec des chuintement de chouette dépeçant sa proie.

    Parfois mon mec et moi partons dans les bois à nuit tombante fusils cassés, malgré l’interdiction de Saskatoon ou Regina : tout est loin. Nous imitons le hibou, qui reprend nos cris par nichées entières dans le crépuscule ; et nous apercevons parfois sur la branche indistincte l’ombre géante et tutélaire - nous rentrons alors une sorte de mort dans l’âme. En vue de la haute tour nous fermons sèchement nos fusils.

    Nous ne nous touchons pas de la nuit. Il est des obscénités qu’on ne commet pas, retranchés. Nos armes sur le râtelier de bois, les yeux appesantis, nous ronflons dans le plomb, le volet du matin bat sur les bardeaux, plus lourdement la paroi, les effluves de chicorée montent, et la chouette-coucou nous avertit que le breakfest est prêt. Nous reniflons nos frusques de nemrods, grognant des scènes. Jadis nous vivions au sud, près des silos où fermente le grain sous la paupière obtuse des thermostats : gratte-ciel, où il ne viendrait à personne l’idée de précipiter un Boeing.

    Nous devons de l'argent, des services à nos hôtes. Nous venons tous les ans depuis des années, depuis d’Edmonton :326 miles. Chaque été, chaque hiver, nous ramènent chez Jywes et Holly, son épouse. Nous leur devons cela. Ils nous ont acheté la Tour - alors que rien, strictement rien ne les y obligeait. Mais comme ils ont bien vu que rien ni personne ne nous ferait mettre « la main à la pâte », que nous n’étions pas dignes, détestant bricoler détestant passer fongicide ou lasure, ils se sont obligés à loger ici, pinceau sur pinceau, goudron sur goudron, planche à planche - eux aussi possédaient leur pavillon-pelouse, en banlieue, à la pêche en week-end au Last Mountain Lake par moins quinze - mais ici, à la Masure, ce sont eux qui entretiennent cette maison.

    Est-ce qu’il ne s’était pas agi, à un moment donné, d’un putain de billet de loto gagnant que nous aurions partagés, est-ce que nous ne nous serions pas bien mieux entendus jadis qu’à présent, est-ce que nous n’avions pas échangé nos culs ou nos maris, n’y avait-il pas entre nous de ces secrets qui traînent à l’intérieur des sectes ou communautés depuis l’offensive du Têt ?canadiens ou pas... Les héros seuls de tels épisodes sexuels confus peuvent concevoir l’invulnérabilité de nos liens. D’avoir senti subrepticement glisser en soi telle queue à vous non destinée, qu’on soit mâle ou femelle - ceux-là peuvent comprendre l’impossibilité archi-absolue de toute rupture, lorsque le vent qui se faufile entre les cimes vient lécher nos volets.

    Les nuits comptent plus que les jours, chacune ici concentre une épaisseur qui plombe, sur tous ces lieux sans véritables noms ou localisations ; une densité qui plombe dans un sommeil où nul ne sait ce qui rampe ou pénètre, femme grasse ou bite obstinée sous falzard crasseux.

     

    1 b) 3 3)je n'ai jamais pu déterminer si mon mec (je ne suis pas homosexuel) couche ou non avec le mâle.

     

     

    De notre chambre à deux hommes fermée par des barres à la salle à manger descend une échelle dite de meunier qui provoque la mort de tant de gamins qu’il faut clore le haut par une tirette dont seuls les vieux possèdent la clé. Mais ce sont les étages supérieurs que je gagne avec lui. Dans le rêve nous sommes habillés, fusils cassés le long des hanches, montant les yeux fixes dans le noir où nous acquerrons la vue perçante des nyctalopes. Ce sont des chambres vides en hauteur, comme si le bâtiment se rehaussait à mesure que nous l’explorons, comme s’il s’érigeait, de salle d’eau en salle d’eau - lavabos borgnes gouttant dans la pénombre, literies nues roulées - matelas dévidant leurs rayures, ampoules grésillantes constellées de chiures, plus propres à effrayer qu’à éclaircir, er, tandis que s’ébranlent d’en bas dans notre dos à nous toucher - de lourds usufruitiers qui demandent ce que nous fouillons là-haut à claquer les ampoules – et nous signifient de payer d’hypothétiques hypothèques. Ils sont entrés sur nos talons dans les incessants étages avec le Loup-Bossu qu’ils relâchent la nuit depuis le bas-fond de leur cave qu'ils ont ramené de banlieue. Ce monstre pose au Wild Art Seven-Two et teint ses pommettes en pourpre dans les attitudes les plus difformes. Puis il est revendu sous forme de pâtisseries. Courir devant son souffle saccadé dans les étages nous jette dans la terreurs – et si nous perdons du terrain son mufle pointe au ras de la dernière hélice et le bâtiment de bois tout entier tremble. Après la mort de nos hôtes la tour subsistera quelque temps puis faute d’entretien s’affaissera sous ses poutres et sur nous.

    sciures. Nous reviendrons à Edmonton au printemps. Nous y suivrons des cours de charpente. Nous rétablirons le courant pour que les lampes sans abat-jour cessent enfin de tressauter comme des paupières.

     

     

    2) L'effondrement

    alors que je me balade, effondrement d'une aile,

    2° une illustration de la collection "tremblements de terre et catastrophes naturelles"

     

    je sais qu'il y a qq dessous, je décris les bâtiments,

     

    I, 2, a : une page

     

     

    X

     

    1. Deux chemins partent de la clairière où Jywes traîne incessamment sa silhouette chevaline sur sa tondeuse ; deux sentiers raides dévalent raidement de part et d’autre de la haute calvitie que couronne la tour. Il faut avec entêtement lutter contre la descente avec autant d’obstination qu’on l'a gravie, tant les buissons, les ronces, les végétaux piquants vous agrippent au passage, vous protègent de la chute ; c’est le chemin du sud qui vous retient le plus. Celui du Nord plus doux mène au Lac Travey ; il caresse d’abord l’épaule par de hautes fougères arborescentes. Il se dégage alors de ces petits champignons éclatants (lorsqu’on les foule) un parfum pénétrant de spores, éjaculation végétale, poussière balsamique.

    2. Et je les parcourais, alternativement, déplorant le peu d’espace offert par ces bois ancestraux, tandis que mon compagnon le chasseur gisait vivant tout raide auprès de son fusil. Je songeais à cette arme entre nos corps placée. C’était la pente sud ou femelle, et mes nombreux passages à pied dans ses broussailles rendaient chaque fois moins piquants mes agrippements, lorsqu’il me sembla ouïr un craquement sourd et lointain ; la terre ondula sous mes pieds, des éboulements se distinguèrent au sein des fourrés. Remontant la pente avec essoufflement, parfois m'accrochant des deux mains à terre, je pressentis que le Bouclier Hercynien Canadien, qui se pensait à l’abri des séismes, subissait une secousse bien réelle.

    Tout le monde a déjà ressenti un séisme : sensation de nausée, perte d’équilibre et de tout repère, angoissante question de sa propre existence (un point, une poussière) : il y a dans cet abandon une douceur infinie, des endormissements. Je voulus courir vers la cabane, dont plusieurs tournants montants me séparaient au plus épais des fourrés. Les arbres autour de moi craquaient sans s'abattre ; ils fourniraient le bois de mon cercueil, car ils m'enseveliraient dans leur chute imminente. Il existe ici de ces espèces balsamiques remontant à des millénaires. Peut-être des gisements de houille hantent-ils le sol où je me débats, mais qui planterait des chevalets d’extraction parmi les bavures de lianes argentées ? Je remontais péniblement la pente. Pourtant c’était comme un jeu. Le creux de mes mains s'écorchait. Les branches basses m’entraînaient dans une valse infernale et facétieuse.

    Puis le sol recouvrait sa stabilité. Je courais sur les aiguilles de conifères, bien rangées, bien sèches. Puis tout se remettait à onduler comme la peau d’un serpent dans les parfums, de nouveaux tournants se précisaient entre les buissons bas. Acte d'amour terrifiant et merveilleux avec Nature, à la fois dangereux et affectueux, car elle est capable de délicatesses. Je ne risquais rien, à moine que le démon n’ouvrît sous moi une de ces crevasses d’engloutissement, aussi facilement refermées qu’ouvertes.

    2° une illustration de la collection "tremblements de terre et catastrophes naturelles"

    Une page

    Le bâtiment, quand je le vis enfin, m’offrit l’image d’une invraisemblance absolue. Comment avait-il pu se faire qu’une surface aussi réduite n’eût pas provoqué un effondrement « en château de cartes » ? Les convulsions du chat ou de la tortue (disent les Japonais) sur lesquels nous vivons, vermine humaine, sont imprévisibles : une partie du bâtiment restait intacte ; c’était la moitié sud-est. Les volants étagés du bois, en jupe géante, restaient fixés l’un sur l’autre comme un grand pan d'écailles. Et d'un coup, au-delà d’une flèche de bois que la secousse avait propulsée à la verticale, toute l'habitation de Mont Shaïle s’était affalée au nord-ouest, en direction de l’Alaska. C’était comme un épine dorsale brisée, un long chevauchement de chevalets d’échine, un espadon mille fois rompu et rerompu, un léviathan fossile mal classé encore par les paléontologues, comme si le tremblement de terre s’était produit vingt millions d’années avant notre ère, et que les morceaux d’un ichthyosaure - les mots m’échappent, comme la terre sous mes pieds. La sciure planait par-dessus tout cela. L’odeur était merveilleuse, les particules demeuraient suspendues à deux mètre ou trois au-dessus du sol, et répandaient cette saveur de bois qui détermine les vocations de forestiers for ever, quel que soit le bas salaire qu’on obtienne dans ces professions déshéritées, loin de tout.

    Un journaliste pressé -j’aurais pu vendre très cher mon reportage, mes clichés si j’avais eu l’esprit de porter sur moi un Nikon 400 E - « Je devrais me barder d’appareils photographiques, ces deux sentiers sont si riches que je rapporterais au poins de quoi garnir deux albums » - et puis j’oubliais - aurait alors mitraillé cette scierie bombardée,ce chaos d’éclatures où subsistait le grand dessein d’un architecte. Nulle fumée ne s’élevait encore, à l’exception de cette écharpe odorante et blonde, et c’était merveilleux, en vérité, que nul incendie ne se fût déclaré, ni ne menaçât, car mon odorat était aux aguets. Tous les sens jouissaient e la perspective eshétique offerte à moi. Les oreilles jouissaient d’une sorte d’écho : de là où j’étais, les arbres bienveillants m’avaient masqu » le bruit de l’effondrement, qui avait dû se produire très lentement, comme un froissement de vent dans les feuilles. Je me penchai pour cueillir au bout de mes doigts de cette matière merveilleuse, et je pensais qu’ainsi s’effondrent les empires, il n’en reste plus que le parfum qui pour toujours entête les civilisation à venir.

    Des champignons, des insectes, se repaîtraient de cette sciure. J’étais subjuguée, transformé en femme, ouverte à toutes les sensations. Enfin, pensais-je, notre prison n’existe plus. Je ne pensais pas : « Comment vais-je réapprendre à vivre désormais ? » Non, la destruction, préalable à toute renaissance, m’apparaissait dans toute sa bienfaisance. Je longeais ces « poutrelles désaxées », ces planchers désormais verticaux, j’évaluais en connaisseuse ‘désormais j’étais femme, pour un certain temps, je priais l’intérieur de moi-même pour que cet état divin se prolongeât, car la femme est proche du divin autant que le sommet s’affale à terre et en épouse les contours) l’angle, techniquement parlant, 25° ? 45 ° ? où tous ces enchevêtrements se présentaient.

    Et rien, Dieu merci, n’était reconnaissable, ni la chambre, où trônaient les hideuses images, ni la chambre des deux monstres, l’homme et la femme encore condamnés à leur sexe respectif, seule peut-être la tondeuse à gazon osait montrer son large siège de cuir en forme de cul : je voyais les deux étroites ellipses dessinant sur le cuir la marque des fesses d’un certain Jywes.

    je sais qu'il y a qq dessous, je décris les bâtiments, une page

    Alors seulement j’acceptai de penser aux humains. Qui était vivant, qui était mort ? Le cheval maudit, l’homme à la tondeuse ? Notre hôtesse, la graisseuse, toujours à virevolter au milieu de ses tartines ? Mon compagnon le chasseur, sale et raide dans ses pantalons militaires, et qui ne me touchait jamais pendant la nuit ? Je ne l’aurais pas suporté : qu’il se lavât, d’abord. C’était vraiment, j’y revenais toujours, l’odeur qui m’emplissait tout entière, du poumon à ces cavités que je sentais, nouvelles et palpitantes, désormais vivre en moi - mais pour combien de temps ? Mon Dieu, faites que mon changement de sexe se confirme ! La sciure me pénètre par tous les pores. A la moindre odeurde cadavre, d’ici quarante-huit heures je suppose au plus tard, je sens que je redeviendrais un homme.

    En même temps, quelque chose s’agitait dans mon esprit : « Tu n’es pas raisonnable. Tu es monstrueuse. Tu jouis du spectacle, tu palpes le bois frais, sans t’inquiéter de ceux qui vivaient là, qui se préparaient à vivre une de ces merveilleuses matinées solitaires. Tu aimerais, n’est-il pas vrai, qu’ils revécussent, qu’ils revinssent à la vie, afin de reprendre cette histoire qui ne t’avait jamais appartenu...

    Tout est trop calme. Il ne règne absolument pas d’atmosphère de mort. Une heureuse coïncidence a fait que tous auront survécu. Je me fais peur. Il n’y a pas de mal. Ils sortiront de leur cage de bois, soit de la partie miraculeusement restée intacte, soit de cette longue avancée disloquée. Et c’est d’abord le cheval funèbre, le chevaucheur de tondeuse à gazon, qui s’ébroue de sa sciure, tout près de la base, où le poids a pesé le moins. Il me regarde hébété, les bras ballants. Il ne trouve rien à me dire, ses lèvres sont retroussées exactement comme celles d’un cheval sur le mort, je vois ses dents jaunes dont je détourne toujoiurs le regard pendant les petits-déjeuners si copieux.

    A mon grand désespoir, à mon grand soulagement - comment définir ces deux choses, là, juxaposées ? - je vois la boulette sortant par la demi-porte restante, car la catastrophe l’a surprise au milieu des étages. Elle était en train de manger, les lèvres lui dégoulinent encore de sirop d’érable. Pourquoi les tremblements de terre n’éliminent-ils jamais ceux envers lesquels nous sommes redevables ? Pourquoi me trouvais-je si proche, dans un chemin creux, encombré de buissons ? Où est mon chasseur ? Il étire son long cou de l’autre côté du bâtiment, il revient lui aussi de promenade, il a pris le second sentier, vers le nord, il ramène par les ouïes une carpe à demi morte, que l’affolement a jetée sur sa ligne,

     

     

     

    TEXTE DU CHEMIN PARCOURU

     

    COLLIGNON LE CHEMIN PARCOURU

     

    L'EFFONDREMENT DE ROSSENBERG TEXTES

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Sec et décharné sur sa tondeuse, il semble en vérité quelque cavalier dégénéré de l'Apocalypse de Dürer, motorisé, utilitaire et monotone. Il la remise sous un appentis, en lisière des hauts feuillus qui délimitent sa clairière. Sa femme est tout le contraire : une joyeuse boule de graisse, dont le sourire efface la disgrâce, et qui accueille le mieux possible les visiteurs, à l'endroit où parvient la route tortueuse et sans issue menant à cet ermitage conjugal.

    L'extérieur du bâtiment consiste en un savant assemblage, tout simple en réalité, commun encore en ces régions, de lattes goudronnées se recouvrant l'une l'autre, mieux ajustées encore vers le Nord-Ouest. Le tout, recouvert de divers enduits, présente l'aspect d'un gâteau de bois indigeste et revêche, aux rares ouvertures disposées sous les auvents, toutes munies de raides escaliers externes imposés par la législation anti-incendies.

    L'intérieur retrace l'histoire d'une lutte contre la verticalité : ce ne sont qu'échelles de meunier, trappes périlleuses et rampes vernies, où règnent cependant des teintes blond clair, presque miel : il fait toujours bien chaud passé le premier étage. xxx61 05 04 XXX

    rossenberg 4

    I, a, 2

    la chambre blanche et son décor (le petit lit de fer, le portrait de Henri V comte de Chambord). (cf. aussi l'affiche de Saratov)

     

    Les deux êtres décrits plus hauts détestent autant qu'il se peut les visites, qu'ils appellent "intrusions". Ma femme Jeanne et moi bénéficions seuls de leur hospitalité ; ils nous logent alors dans une chambre du rez-de-chaussée, à gauche, donnant de plain-pied sur la pelouse. Il y règne un froid glacial, à moins que nous n'y transportions un de ces chauffages d'appoint, aux résistances rougeoyantes, à l'odeur entêtante : rien qui s'épuise plus vite que ces minuscules bouteilles de gaz compact, riches sans doute en émanations de Co².

    Nous dormons dans un petit lit de fer protestant, qui grince allègrement lorsque nous y sautons, pour nous abriter sous l'épais édredon. Les deux panneaux du lit présentent des ferronneries courantes à la fois et remarquablement exécutées, il n'y manque pas une volute, ce mot rappelle "volupté", ce que nous nous efforçons d'atteindre, souvent avec succès : le centre du matelas forme une étroite gouttière, et nulle nuit ne me revient en mémoire sans que je ne l'associe à d'intenses courbatures dues à l'emmêlement obligé des membres, tant supérieurs qu'inférieurs.

    Mais nous aimons bien notre lit, qui fleure bon le faux puritanisme et ses ferreuses douilletteries conjugales. Ce n'est cependant pas un crucifix qui le domine, mais un portrait de Napoléon, Neumeier, Nicolas Ier ou II, le Maréchal Ney... en rapport avec une commémoration). Je crois qu'il s'agit fort banalement d'un portrait de Napoléon par David, avec tout ce qu'on peut d'imaginer de plâtreux, ce profil gauche empâté, au menton engagé dans la graisse, majestueux mais déjà déchéant, le jaune cru, "gros jaune", et les écaillures déjà lézardant l'esquisse. Rien d'officiel. Que du cruel, malgré le projet de "portrait équestre". Dormir sous le portrait de Napoléon devientdrait obsédant, si nous ne nous endormions tout de suite elle et moi, par son poids justement.

    Nos nuits sont encombrées de lourdeurs impériales, de jaunes d'oeufs mal digérés, propices aux infarctus. Le matin, lorsque sont enlevées les lourdes barres de fer qui closent le volet, nos regards se posent sur une affiche décharnée, occupant le verso de la porte : un horrible Christ aux Souffrances, le visage chantourné par la douleur, ce qui veut dire creusé de l'intérieur. Sur sa peau friable coulent de voluptueuses larmes de sang, comem autant de rubis malsains. Les couleurs sont donc : jaune impérial, rouge christique, gris poreux d'une chair d'agonie, et nous.

    Puis la clairière, qui se dégage à un mètre sous nos fenêtres mêmes, qu'il nous suffirait d'enjamber pour fouler toutes ces herbes des Rocheuses du Nord... Les volets de bois lourd résonnent en se rabattant sur les bardeaux superposés comme autant de volants d'une lourde, noire, goudronnée, improbable gitane, qui danserait sur place, dans une verticalité aussi figée que celle de la femme de Loth : une statue de bitume.

    L'odeur est là. La maison est un effroyable bateau fiché poupe en terre, comme un bloc de goudron fissuré. XXX61 05 04XXX

    1 a 3 Ma compagne

    Cette femme qui est dans mon lit est un homme. Je le vois comme un mâle maigre, affublé d'une moustache qu'il ne veut jamais couper ni tailler. Il est beaucoup plus facile de se faire enculer. On se sent utile, on sait où l'on va. Pourquoi n'ai-je jamais été de force à concevoir ce que c'est qu'une femme ? Elle a des besoins tellement plus énormes que moi en sommeil que je puis aussi bien me promener dans les sentiers alentour une heure,batifolant dans la rosée, avant qu'elle ait ouvert l'oeil. La femme qui est dans mon lit est une femme. Je ne parviens pas à me décider. Elle ne dort jamais. Au sein du plus profond sommeil et quelle que soit la question que je pose, elle sera capable d'émettre une opinion ou un soupir, tout cela très pertinent. Nous nous connaissons depuis si longtemps qu'elle change de sexe à volonté de mes fantasmes. Je ne sens plus son odeur. Nous emmêlons nos membres au petit matin, au début de notr eliaison je m'étouffais sous le pids de ses jambes, puis j'en ai redemandé, ce jour-là j'ai compris à quel point nous formions un vieux couple de vieux chevaux. De retour.

    Je me suis plaint d'elle, car c'est mon principal sujet de conversation : dire du mal de sa femme est la preuve même de son amour, de même que le blasphème est preuve de l'existence de Dieu. Il n'y a pas de crucifix dans la chambre, mais mon Dieu il faut toujours que tout un rite soit respecté, de petits baisers sur la bouche et les yeux, de frôlements de joue, de soupirs tendres, et c'est malgré la misogynie la sortie du four même du sommeil de je ne sais quelle pâtisserie moëlleuse, ma barbe ne gratte pas trop car mon rasage date de la veille au soir.

    Cette chambre en vérité est un étouffoir, nous n'y avons jamais froid malgré les moins trente du dehors, il y règne toujours au moment une tranpiration, une buée moite sur la lèvre supérieure de ma compagne délicieusement semblable à un loir, par le grassouillet de son corps, et Dieu me préserve de trouver un jour emmêlé à mes jambes les raides bâtons squelettiques d'un mâle moustachu, rassurant mais sec, sec, sec. Qu'est-ce qui fait qu'une femme puisse supporter le corps d'un homme ? Combien nous sommes désagréables, taillés comme des charpentiers, bâtis en barre à mine, avec des érections défaillantes - elles me disent, les femmes, du moins la seule que je connaisse et qui les a remplacées toutes, "Vous êtes attendrissants", "nous pouvons vous porter dans notre ventre", mon Dieu se peut-il qu'une d'entre elles ait osé proférer qu'elle refusait d'être enceinte d'un garçon pour ne pas avoir un sexe mâle dans le ventre, mon Dieu once more n'importe quoi.

    Puis nous passons au petit déjeuner, et là, d'un coup, c'est le silence : les corps ne se touchent plus. Ni mots, ni caresses, juste l'air abruti de qui a trop dormi, au-dessus d'un bol chaud.

    b) les raisons pour lesquelles nous y sommes, (trois pages) le froid ou le chaud selon les saisons, et

    1) invariablement les connards qui nous hébergent,

    2) nous leur devons de l'argent et des services, voilà pourquoi nous sommes là, tous les ans depuis des années,

    3) je n'ai jamais pu déterminer si mon mec (je ne suis pas homosexuel, nous nous débrouillons chacun de notre côté) couche ou non avec le mâle, cf. aussi le bossu d'Issigeac et cet hôtel abandonné.

     

    I, b, 1) invariablement les connards qui nous hébergent.

     

    Soixante-dix, quatre-vingts fois que s ais-je, nous avons débouché dans cette salle sentant la cendre hiver comme été, frissonnant sous nos longues robes de chambre et invariablement trouvant les toasts juste saisis à point, ou ramenant sur nous les pans inusités de nos habits de vie, car nous couchons nus et ne noue réajustons que pour des besoins de décence. L'été, la porte s'entr'ouvre, et déjà, quelle que soit l'heure, nos hôtes sont là, invariablement souriants et humains, et comme nous sortons de notre tendresse personnelle, ce petit-déjeuner agit invariablement comme un viol : comment d'autres êtres que nous peuvent-ils s'aimer et avoir croupi au lit, le leur, comme nous, avec d'autres choses à se dire ou à ne se point dire ?

    Le grand maigre, taciturne, ouvre et ferme ses longues mâchoires de crocodile, non si bien endentées cependant. Il mange salement, avec des claquements, je guette invariablement les pluvians nilotiques picoreurs de canines. Je hais ces gens et leur suis attaché si viscéralement que je ne sais plus que penser : ainsi de l'homme, ou de la femme, qui partage ma couche. La boulette de graisse qui sert de femme à notre hôte tourbillonne autour de nous en imitant, à la lettre, la chouette: c’est-à-dire non pas ce doux ululement du hibou,mais cette criaillerie de l’oiseau nocturne dépeçant sa proie. Depuis, à mon compagnon comme à moi, il n’est croissant si chaud ni moelleux qui ne rappelle un goût de rongeur mort.

    Parfois lui et moi partons dans ces bois, à la tombée de la nuit, nos fusils cassés à la main, malgré l'interdiction formelle des autorités du Saskatchewan : tout est si isolé ici. Nous feignons de pousser les cris du hibou, il nous est répondu par nichées entières alignées sous le long ciel arctique. En vérité nous sommes surpris, même rageurs, de ne point voir sur la branche à peine distincte ne fût-ce qu’une ombre tutélaire de rapace. Nous rentrons seuls, une mort délicieuse dans l’âme, et dès la haute tour hantée par le vieux couple, comme une porte refermée, nous refermons d’un seul déclic nos deux fusils.

    Décidément, mon compagnon de nuit est un homme. Mais nous ne nous touchons pas de la nuit. Il est des obscénités qu’on ne commet pas. Nous couchons casqués et bottés. Ce lit de fer, c’est une tranchée. Il y a eu beaucoup de viols, réussis ou tentés, entre hommes, devant Verdun ou sur le front de Somme. Ici, contemplant devant nous nos virilités sur le râtelier de bois, nous appesantissons nos paupières, et sombrons dans le plomb jusqu’au petit matin. J’ouvre alors le volet qui bat sur le mur, je sens monter les effluves de chicorée amère, déjà la chouette humaine nous informe que tout est près, ajoutant quelques crouacs qu’elle croit de très bon augure. Alors éclatent entre les deux hommes que nous sommes, renfilant nos pantalons sans nous laver pour descendre décents, de sourdes scènes entre nos dents rentrées.

     

    2)nous leur devons de l'argent et des services, voilà pourquoi nous sommes là, tous les ans depuis des années,

     

    (une page)

    Nous venons d’Edmonton, au sud. C’est sans originalité. Nous ne devrions pas appeler réellement cette ville « Edmonton », qui existe réellement. La nôtre se perd au milieu d’un désert froid, touffe de gratte-ciel où personne n'aurait la moindre idée de précipiter un avion. Les silos qui la cernent atteignent en perspective une hauteur extrême, l'ensemble fermentant sous le regard obtus des thermostats lumineux. Mais tous les étés, tous les automnes, tous les hivers aussi (les déneigeuses du cru démontrent leur efficacité) (il n’y a qu’au printemps que la boue empêche tout) - nous ramènent chez Jywes et Holly, son épouse.

    Nous nous y sentons obligés. Nous sommes leurs obligés. C'est pour nous qu'ils ont acheté cette haute maison, qu’ils appellent entre eux « la Masure », alors que rien, strictement rien ne les y obligeait.

    Mais comme ils ont bien vu que rien ni personne ne nous ferait mettre « la main à la pâte », que décidément nous n’étions pas dignes de ce somptueux cadeau injustifié, ne sachant ni l'un ni l'autre bricoler quoi que ce fût ni passer une couche de lasure ou de fongicide, ils se sont sentis obligés d’occuper la masure, de l’entretenir, d’y passer couche de brosse sur couche de brosse, goudron sur goudron, de clouer bardeau sur bardeau, volant sur volant. Ils avaient eux aussi leur petite maison bien cernée de pelouse, en banlieue, ils partaient à la pêche au Lac des Esclaves, température inimaginablement négative - mais ici, c’étaient eux qui entretenaient la Masure qu’ils nous avaient offerte. 

    Jules,Jurançon,Casimir

    Est-ce qu’il ne s’était pas agi, à un moment donné, de Dieu sait quel billet de loto gagnant que nous aurions partagés, n’avions-nous pas jadis échangé nos femmes ou nos maris, n’y avait-il pas entre nous de ces secrets de sectes ou communautés toutes antérieures à janvier 73, Canadiennes ou pas... Seuls les survivants de ces temps confus peuvent se figurer correctement le caractère indissoluble de tels liens – sentir se glisser en vous une queue subreptice – d'où linconcevable éventualité de toute rupture ; le silence qui tombe sur vous pendant des années d'après-vie ; les folies qui vous font chuinter comme une chouette ou boubouler - culpabilités traînantes, désespoirs jouissifs qui s'immiscent, à l'heure où le vent dégringole des cimes et lècher les volets.

    Les nuits comptent double des jours, bien plus que cette lumière avortée,entre Moose Jaw et Keepsie, tous ces lieux sans véritables noms. Densité morne qui plombe d'un coup dans le sommeil, où l’on ignore ce qui vous rampe entre les jambes : si c’est un homme ou l’obstination raide sous la crasse d’un falze immobile.

     

    De la chambre d’en haut à la salle à manger d'en bas dégringole une échelle-de-meunier trompe-la-mort, barrée en son sommet d'une sécurité dont seuls les adultes possèdent la clé. Nous explorons les étages encore au-dessus : fusils cassés contre la hanche et les yeux fixes dans le noir, l’œil nyctalope aux becs recourbés - chambres désertées d’étage en étage en vérité tout comme si le bâtiment s’était construit haussé de pièce vide en pièce vide ; lavabos gouttant dans le noir, draps roulés ou défaits, matelas rayés, ampoules souillées de chiures - blafardes et grésillantes, bien plus propres à effrayer qu’à éclaire. Tandis que s’ébranlent au dessous de nous mais plus effrayants je répète en boucle que s’ils étaient là tout proches à nous toucher - les usufruitiers qui demandent ce qu’on peut bien foutre là-haut à brûler de l’électricité pour voir quoi, bon Dieu,depuis le temps que ce foutu hôtel est abandonné. À moins qu’ils ne nous demandent de les payer pour tous les travaux d’entretien qu’ils voudraient nous coller, auxquels nous ne consentirons jamais, jamais.

    Nous savons qu’ils introduisaient avec nous dans la cage d’escaliers cette créature qu’ils relâchent la nuit de sa cave, non point l’  « enterrée vive » mais ce bossu bitord, par-devant par-derrière, ramené de leur banlieue proprette. Cet homme, Vercassis, exerce en banlieue la profession suivante : modèle pour nain de jardin. Il teint son nez, prend les poses les plus difformes et se fait payer tant la photo. Puis les plasticiens reconstituent sa silhouette par « D.A.O. » et le revendent en figurines.

    Se voir courser dans l’escalier de nuit par un tel monstre nous flanque à tous les deux des terreurs indicibles : voir son nez de grotesque passer la spirale nous accélère à mort dans les étages à perdre le souffle. Que va-t-il advenir de nous ? mon Chasseur et moi ne savons plus planter un clou. C’est tout le bâtiment norvégien qui s’ébranle au milieu de la nuit. Nous savons qu’après la mort de nos nourriciers le bâtiment restera quelque temps à peu près bien entretenu, puis qu’il s’affaissera sur nous, peu à peu avec les années, puis tous, hommes de chair et bâtiments de bois, rentreront sous forme de sciure dans le vaste cycle de la nature.

    Nous reviendrons à Edmonton (Saskatchewan) pour le printemps. Nous prendrons des cours de bricolage et de charpente. Nous rétablirons le courant électrique de façon satisfaisante, pour que les lampes sans abat-jour cessent enfin de trembloter comme autant de paupières.

     

    c) élargissement de l'espace, sorte de vaste palombière aux ramifications immenses, cf. l'hôtel d'Issigeac à l'horizontale.

     

    Cette partie est devenue inutile, car tout a déjà été développé dans les paragraphes précédents, avec force détails.

    2) L'effondrement

    alors que je me balade, effondrement d'une aile,

    2° une illustration de la collection "tremblements de terre et catastrophes naturelles"

     

    je sais qu'il y a qq dessous, je décris les bâtiments,

     

    I, 2, a : une page

     

    Deux chemins s’échappent de la clairière où Juwes incessamment promène sa silhouette chevaline sur sa tondeuse ; les deux chemins descendent raidement, de part et d’autre à peu près de la haute calvitie que surmonte la bâtisse. Il faut avec entêtement lutter contre la descente avec autant d’obstination qu’on en mettrait à gravir, tant les buissons, les ronces, les végétaux piquants en général vous retiennent au passage, vous protègent de la chute, ainsi qu’une mère abusive, agrippante. C’est le chemin du sud qui vous retient le plus. Au Nord, la pente plus douce menant au Grand Lac des Esclaves caresse d’abord l’épaule à travers le tissu, au point qu’on souhaiterait être nu, par de hautes fougères arborescentes ; il se dégage alors de ces petits champignons éclatants (qui éclatent lorsqu’on les foule) un parfum pénétrant de spores, éjaculation végétale, poussière balsamique : la voix mâle, opposée à la voie femelle ?

    ·1 Et je les parcourais, alternativement, déplorant le peu d’espace offert par ces bois ancestraux, tandis que mon compagnon le chasseur reposait tout raide auprès de son fusil. Je songeais à cette arme entre nos corps placée comme à l’épée qui sépare Tristan d’Yseut dans la légende du Morrois. C’était la pente sud ou « femelle », et mes nombreux passages rendaient chaque fois moins piquants mes agrippements, lorsqu’il me sembla ouïr un craquement sourd et proche à la fois et lointain ; la terre ondulait sous mes pieds, des éboulements se distinguaient dans les impénétrables fourrés qui m’lotoenclosaient.

    Remontant alors avec essoufflement, parfois les deux mains à terre, je pressentis que le Bouclier Hercynien, qui se croyait à l’abri des séismes, subissait une secousse improbable et réelle. Tout le monde a déjà ressenti cela : sensations de nausée, êrte d’équilibre, perte de tout repère, l’angoissante question métaphysique de sa propre existence (« Je ne suis qu’un point,, une poussière près de l’engloutissement ») - il y a dans cet abandon à l’infini une douceur elle aussi infinie, comme celle qui vous prend lors des endormissements. Je voulais courir vers la cabane, dont plusieurs tournants me séparaient au plus épais des fourrés.

    Les arbres craquaient, ils ne s’abattaient pas. Ils fourniraient le bois de mon cercueil, je serais enseveli parmi eux. Il existe au Canada de ces espèces balsamiques, remontant à des siècles, et de génération en génération, à des millénaires. Peut-être des gisements de houille hantent-ils ces sous-sols, mais qui planterait des chevalets d’extraction au milieu de ces arbres millénaires, tout chenus de bavures de lianes argentées ? Je regrimpais péniblement la pente. C’était comme un jeu. Les forsythias de là-bas m’écorchaient le creux des mains. Les branches basses se dérobaient à mon étreinte, semblaient voulori m’entraîner dans une valse infernale et facétieuse.

    Puis le sol recouvrait sa stabilité. Je courais sur les aiguilles de pins ou d’épicéas, bien rangées et bien sèches. Puis tout réondulait comme la peau d’un serpent, le perfum était pénétrant, un nouveau tournant se précisait entre les buissons bas. C’était un amour merveilleux avec la nature, quelque chose de dangereux et d’affectueux, comme d’uen mère éléphant avec un chaton. Mais ces gros animaux sont capables de délicatetsses inimaginables. Je ne risquais rien, à moine que le démon n’ouvrît sous moi une de ces crevasses d’engloutissement, aussi vite refermées qu’ouvertes.

    2° une illustration de la collection "tremblements de terre et catastrophes naturelles"

    Une page

    Le bâtiment, quand je le vis, m’offrit l’image d’une invraisemblance absolue. Comment avait-il pu se faire qu’une surface aussi réduite au sol n’eût pas provoqué un effondrement « en château de cartes » ? Les mouvemets du chat, ou de l’éléphant, ou de la tortue (disent les Japonais) sur lesquels nous vivons, vermine humaine, sont rigoureusement imprévisible. Une partie du bâtiment restait vigoureusement intacte. C’était la moitié sud-est. Les étagements de bois, les volants de jupe ligneuse restaient fix »s l’un sur l’autre comme autant d’écailles intactes. D’un coup, au-delà d’une flèche de bois plus capricisues, que la secousse avait amené à la verticale, toute la maison du sommet de Mount Shyle s’était affalée au nord-ouest, en direction de l’Alaska. C’était comme un épine dorsale brisée, un long chevauchement de chevalets d’échine, un espadon mille fois rompu et rerompu, un léviathan fossile mal classé encore par les paléontologues, comme si le tremblement de terre s’était produit vingt millions d’années avant notre ère, et que les morceaux d’un ichthyosaure - les mots m’échappent, comme la terre sous mes pieds. La sciure planait par-dessus tout cela. L’odeur était merveilleuse, les particules demeuraient suspendues à deux mètre ou trois au-dessus du sol, et répandaient cette saveur de bois qui détermine les vocations de forestiers for ever, quel que soit le bas salaire qu’on obtienne dans ces professions déshéritées, loin de tout.

    Un journaliste pressé -j’aurais pu vendre très cher mon reportage, mes clichés si j’avais eu l’esprit de porter sur moi un Nikon 400 E - « Je devrais me barder d’appareils photographiques, ces deux sentiers sont si riches que je rapporterais au poins de quoi garnir deux albums » - et puis j’oubliais - aurait alors mitraillé cette scierie bombardée,ce chaos d’éclatures où subsistait le grand dessein d’un architecte. Nulle fumée ne s’élevait encore, à l’exception de cette écharpe odorante et blonde, et c’était merveilleux, en vérité, que nul incendie ne se fût déclaré, ni ne menaçât, car mon odorat était aux aguets. Tous les sens jouissaient e la perspective eshétique offerte à moi. Les oreilles jouissaient d’une sorte d’écho : de là où j’étais, les arbres bienveillants m’avaient masqu » le bruit de l’effondrement, qui avait dû se produire très lentement, comme un froissement de vent dans les feuilles. Je me penchai pour cueillir au bout de mes doigts de cette matière merveilleuse, et je pensais qu’ainsi s’effondrent les empires, il n’en reste plus que le parfum qui pour toujours entête les civilisation à venir.

    Des champignons, des insectes, se repaîtraient de cette sciure. J’étais subjuguée, transformé en femme, ouverte à toutes les sensations. Enfin, pensais-je, notre prison n’existe plus. Je ne pensais pas : « Comment vais-je réapprendre à vivre désormais ? » Non, la destruction, préalable à toute renaissance, m’apparaissait dans toute sa bienfaisance. Je longeais ces « poutrelles désaxées », ces planchers désormais verticaux, j’évaluais en connaisseuse ‘désormais j’étais femme, pour un certain temps, je priais l’intérieur de moi-même pour que cet état divin se prolongeât, car la femme est proche du divin autant que le sommet s’affale à terre et en épouse les contours) l’angle, techniquement parlant, 25° ? 45 ° ? où tous ces enchevêtrements se présentaient.

    Et rien, Dieu merci, n’était reconnaissable, ni la chambre, où trônaient les hideuses images, ni la chambre des deux monstres, l’homme et la femme encore condamnés à leur sexe respectif, seule peut-être la tondeuse à gazon osait montrer son large siège de cuir en forme de cul : je voyais les deux étroites ellipses dessinant sur le cuir la marque des fesses d’un certain Jywes.

    je sais qu'il y a qq dessous, je décris les bâtiments, une page

    Alors seulement j’acceptai de penser aux humains. Qui était vivant, qui était mort ? Le cheval maudit, l’homme à la tondeuse ? Notre hôtesse, la graisseuse, toujours à virevolter au milieu de ses tartines ? Mon compagnon le chasseur, sale et raide dans ses pantalons militaires, et qui ne me touchait jamais pendant la nuit ? Je ne l’aurais pas suporté : qu’il se lavât, d’abord. C’était vraiment, j’y revenais toujours, l’odeur qui m’emplissait tout entière, du poumon à ces cavités que je sentais, nouvelles et palpitantes, désormais vivre en moi - mais pour combien de temps ? Mon Dieu, faites que mon changement de sexe se confirme ! La sciure me pénètre par tous les pores. A la moindre odeurde cadavre, d’ici quarante-huit heures je suppose au plus tard, je sens que je redeviendrais un homme.

    En même temps, quelque chose s’agitait dans mon esprit : « Tu n’es pas raisonnable. Tu es monstrueuse. Tu jouis du spectacle, tu palpes le bois frais, sans t’inquiéter de ceux qui vivaient là, qui se préparaient à vivre une de ces merveilleuses matinées solitaires. Tu aimerais, n’est-il pas vrai, qu’ils revécussent, qu’ils revinssent à la vie, afin de reprendre cette histoire qui ne t’avait jamais appartenu...

    Tout est trop calme. Il ne règne absolument pas d’atmosphère de mort. Une heureuse coïncidence a fait que tous auront survécu. Je me fais peur. Il n’y a pas de mal. Ils sortiront de leur cage de bois, soit de la partie miraculeusement restée intacte, soit de cette longue avancée disloquée. Et c’est d’abord le cheval funèbre, le chevaucheur de tondeuse à gazon, qui s’ébroue de sa sciure, tout près de la base, où le poids a pesé le moins. Il me regarde hébété, les bras ballants. Il ne trouve rien à me dire, ses lèvres sont retroussées exactement comme celles d’un cheval sur le mort, je vois ses dents jaunes dont je détourne toujoiurs le regard pendant les petits-déjeuners si copieux.

    A mon grand désespoir, à mon grand soulagement - comment définir ces deux choses, là, juxtaposées ? - je vois la boulette sortant par la demi-porte restante, car la catastrophe l’a surprise au milieu des étages. Elle était en train de manger, les lèvres lui dégoulinent encore de sirop d’érable. Pourquoi les tremblements de terre n’éliminent-ils jamais ceux envers lesquels nous sommes redevables ? Pourquoi me trouvais-je si proche, dans un chemin creux, encombré de buissons ? Où est mon chasseur ? Il étire son long cou de l’autre côté du bâtiment, il revient lui aussi de promenade, il a pris le second sentier, vers le nord, il ramène par les ouïes une carpe à demi morte, que l’affolement a jetée sur sa ligne,

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Cette rue-là

    C O L L I G N O N

    C E T T E R U E – L À

     

    chercher "enjoué" p. 5, 200521

     

     

    Cette rue-là : ma rue. Je n'y habite pas mais l'emprunte à peu près tous les jours. Elle commence à cinquante pas de ma bicoque irréparable, pour s'achever place Capeyron, dépersonnalisée en "Jean Jaurès" ou Dieu sait quelle idole, où se retrouvent les petits commerces (poste, café, boulangerie). J'entreprends à mon âge ce que la société jointe à ma flemme ne publieront jamais. Resservir les Lettres de Rilke à un jeune poète. que l'on assène en début de carrière à tous ceux qui postulent à la gloire ou plus réalistement à la reconnaissance, relève de la plus pure malhonnêteté intellectuelle.

    La gloire en définitive, c'est comme l'argent ou l'érection : ne pas en avoir, ce n'est pas si important.

    Mais décidez-vous vite, ayez bien négocié votre virage dans le book-business : d'abord un emploi, n'importe quoi, le pied dans l'embrasure, et un jour, ou peut-être une nuit, le Sort, après maintes patientes intrigues (pour ces dames, on vous le publiera votre manuscrit, et même on vous l'écrira, de la première à la dernière ligne : n'importe quel fond de tiroir fera l'affaire – solitude, plaintes, replaintes et vieux viols)mais si vous vous figurez une seconde que vos timidités de couille sèche vous ouvriront l'accès Allah Publication ! Grotesque... Toutes les places sont prises, mon frère, tous les créneaux sont occupés, jusqu'à la moindre meurtrière tu ne vas tout de même t'amener comme ça devant l'usine à yaourts avec ton petit pot personnel dont tout le monde se contrefout...

    Sans oublier le coup du "comité de lecture" et du "manuscrit envoyé par la poste" ? ...il y a encore des cons pour le croire et des salopards pour le faire croire jusque dans les livres scolaires ; j'ai assisté, moi, aux Comités de Lecture. Un mec sort la première phrase avec l'accent belge au suivant avec l'accent arabe suivant japonais-pédé-bègue (à la fois – impressionnant !) - suivant suivant suivant qu'est-ce que t'attends pauvre con de timide va te flinguer et ne reviens jamais...

    ...Non, ce qu'il vous faut, jeunes gens just what you need c'est d'être bien dans sa peau bonjour à tout le monde avec le sourire, "l'écriture y a pas que ça qui compte", "l'important c'est de parler avec les Gens, les Aûûtres" (en choisissant bien). Les laissés-pour-compte, les timides, les authentiques – allez vous faire foutre. Le milieu, on vous dit, se faire bien voir et bien se faire voir, ne pas dépasser ne pas se dépasser, avoir bien négocié le virage (le cirage) des 20-25 ans, choix du métier choix du partenaire – c'est mon choix qu'ils disent – ô professeurs, chers inénarrables et couillons de profs, chers boy-scouts si sottement persuadés de votre influence – ce n'est pas vous qui faites l'avenir, mais ce redoutable, ce si bref lustre de 20 à 25 ans, où le Jeune commet ses premières et irratrapables bourdes, qui crèvent les yeux des aûûtres – mais qu'est-ce qu'elle lui trouve ! - et qu'ils défendront bec et ongle parce que c'est leur choix n'est-ce pas.

    En vérité je vous le dis je vous le pète, si vous n'avez pas dès le début intégré la profession du livre ou du journal, de la télévision ou du ciné, vous n'y parviendrez plus jamais, tout sera pour vous perdu, si vous n'avez jamais connu Un de la Mafia intimement et avant – car le premier commandement qui leur est fait aux mafieux, dès leur intronisation, c'est de ne jamais, plus jamais accorder leur amitié, exactement comme les femmes mariées de la Jourboisie se seraient crues déshonorées si elles avaient révélé si peu que ce fût sur la sacro-sainte Nuit de Noces, à savoir une grosse bite fourrageant sauvagement dans un pauvre petit sexe tout meurtri. Et aucune jeune fille de ce temps-là n'en a jamais rien su. De même, le réseau des maisons d'édition, soigneusement verrouillé, s'obstine-t-il plus que jamais à répandre auprès des jeunes lycé-huns des informations fausses, cette ignoble légende du "manuscrit-envoyé-par-la-poste" qui fait se boyauter jusqu'au dernier sous-directeur de collection – pauvres élèves... Bref, je ne me suis pas fait admettre parmi les milieux littéraires, je n'ai pas rencontré André Breton (il n'avait que ça à foutre, André Breton : se balader comme ça sur les trottoirs pour pistonner les débutants) – "mon succès, je le dois à mes rencontres !" - soigneusement arrachées, lesdites rencontres, même au sein de la Mafia, au terme de longues, farouches et tortueuses négociations - "il rencontre Marcel Bénabou, il devient documentaliste au CNRS" – alors voilà : on va dire du mal, de toutes les réussites en général.

    Il n'y a que ce sujet pour enflammer la conversation. Liste des maisons dignes du souvenir :

    - les Blot – la Doctoresse – le bourrier – le Six, ex-Mousquet, la mère Bourret juste en face – le vieil Arménien du pressing et son fils – l'ancien garage des Birnbaum – la bicoque rénovée en fausse meulière ; chez Barcelo – la pharmacie – le petit labo : encore la rue Mazaryk (nous étions deux vieux dans l'histoire, la femme et moi – autant dire que la rue d'Allégresse proprement dite ne montre que des pavillons totalement dépourvus d'intérêt.

     

    * * *

     

    La rue d'Allégresse joint l'avenue Gindrac à la rue du Niveau. Gindrac est un stade tout vert, où parfois les Minimes de Cingeosse affrontent SPTT Junior à grand renfort de projecteurs et de haut-parleurs. Le Niveau, c'est l'emplacement de l'octroi, d'une grande bascule au ras du sol où s'effectuait la pesée des fardiers, tirés par leurs grands limoniers. La rue d'Allégresse monte en petite. Fier-Cloporte habite plus à l'est, après la place triangulaire toute malcommode : au 5 Avenue François-Joseph, "Empereur d'Autriche et roi de Hongrie" (c'est sur le panneau) – 1830-1916 – pourquoi ici une Avenue François-Joseph ? pourquoi rue d'Allégresse ? une de ces dénominations d'ancien temps, le naïf, le grandiose, où les faubouriens de Liège s'en jetaient un petit au zinc "du Commerce et de l'Industrie", au coin pourquoi pas de l' "'Impasse des Fraternités".

    Dès les premiers pas le piéton passe au droit des panneaux "Résidence Allégresse", "Propriété privée", "Voie sans issue", superposés. Je n'entre jamais. Prenons tous les jours ou presque, seuls ou en couple, la direction de ces petits commerces Place Pérignon ou "Jean Jaurès" puisque "Jean Jaurès" il y a, mort en 1914. Trottoirs de terre battue, perspectives plates et pavillons sans grâce. Les Mousquet s'y sont promenés jusqu'en 97 où le mari est mort chez lui 'une chute au réveil ; lorsque les secours ont passé la civière entre les battants de la fenêtre un jeune infirmier lui a répété en boucle faut pas vous en faire PAPY ce n'est rien puis la veuve y passa sur ses jambes en poteaux, chaloupant son abdomen octogénaire sans une plainte. Ils ont bite au fond du jardin une bicoque insalubre, vue imprenable sur la clôture, télé à fond je l'allume pour avoir du bruit loyer payé recta bouclant mes fins de mois du proprio, j'envoie mon épouse toucher le chèque, ce sont vingt minutes de commérages. Derniers mots de Feu Papy n'oublie pas le gros lapin pinpin dans son clapier rue d'Allégresse au bout à gauche. Imbécile et grandiose. Ce qui vaut bien Du haut de ces Pyramides jamais jamais dit par Buonaparte.

    Voilà ce que l'on trouve rue de l'Allégresse : de ces renfoncements secrets avec un lapin tout au bout, des couloirs extérieurs prenant sous une porte puis se rélargissant en cours, sentier, prairie, petits carrés bien bêchés en herbes folles. Derrière des façades sages d'une rue à l''autre, de clôture en passages dérobés. Pour la Veuve Mousquet il faut passer sur un sentier cimenté sous les retombées de glycines ou de lauriers. Ce passage s'appelle, en matière foncière, une servitude, qu'il

    incombe à mes soins d'entretenir, en le débarrassant de toutes branches, feuilles, cailloux, noyaux de pêche et excréments félins, sinon le propriétaire devra payer pour le col du fémur, le fauteuil, l'hôpital et les obsèques. Beaucoup reste à construire ici. Les prix s'envolent, mais qui achètera la parcelle où vivote une aïeule de nonante-et-un ans ? Non, la rue d'Allégresse n'émet aucune atmosphère particulière. Une rue vide tout au plus avant travaux, sans densité ni parfum. Tel ce triangle de trottoir au tiers de sa longueur devant paraît-il un ancien garage, d'où déboulent sur trois tricycles trois gosses dérapant sur le sable-et-gravier non coulé. Juste un fragment de temps.

    Les passants conservent cette allure nonchalante. "Chez Grigou, escaliers, menuiseries" allée privée (trois maisons cossues ; où habite monsieur Grigou ?) - les trois gendres de Mme N. un jour poourraient bien apprécier cette réparation de la claie de jardin entre la plate-bande et la demi-friche jusqu'au mur de la belle-mère - "un certain charme" dit-elle – pourvu qu'elle n'aille jamais se casser la binette sur ces débris de planches désassemblés qui grincent dans les coups de vent. La Nona dit qu'elle tiendra "bien autant que moi" "mais peut-être bien madame Mousquet (jamais "Mamy" ni "Mémé") vous nous enterrerez tous avec tout le respect possible.

    Façades fermées jardins secrets – rien ne pase des habitants mais qui se soucie d'habitants... n'intéressent personne – juste un effort sans grand objet ; Perec imaginerait un destin par maison. Rue de l'Allégresse ne dit rien. Du tout. Passage impersonnel où s'étend délicieusement l'absence. À peine ce jeune mort appelé Maroulis, ceinture et bretelles, auteur du Jardin Public sous-titré Les îles Eiffel ; de l'amour-propre, un bon lainage, un beau roman. La mort de Fralle aussi, Véra Fralle de laquelle nos passants détournaient les yeux sans vraiment le vouloir pour ne pas se laisser prendre à ses amorces d'échanges qu'on supposait devoir durer de précieuses minutes et qui mourut de n'avoir vraiment su parler.

    Nous lui reparlerons sans doute au seuil d'un autre monde ; sur sa tombe une gerbe rouge à même le sol - ces derniers temps elle n'avait plus que la peau sur les os ; je lui ai parlé de moi du bon côté de la terre - À ma meilleure amie Nicole – "tu savais, toi, qu'elle s'appelait Nicole?" - reprenons : à gauche donc à l"entrée de la rue le panneau "Cité d'Allégresse" loyers modérés tout " confort puis la rue devant nous commence : entre deux trottoirs alignés mollement quelques molaires minérales où trébucheraient les enfants qui font l'équilibriste s'il y avait des enfants. Plus loin sur des bordures mieux aménagées le grand âge piétine et radote à son aise C'est là que boitillait d'un pas instable le père Mousquet. Un jour des petits cons l'ont bombardé de marrons, il a s'est retourné sur eux en gueulant des syllabes édentées, ils ont détalé en ricanant. Je n'ai jamais réagi : une volée de pétards dans les jambes sans tressaillir d'une ligne. Parole il est sourd ! Haïr tout ce qui est jeune avec la même constance que jadis tout ce qui dépassait 35 ans...

    M'avait beaucoup frappé la nouvelle de Buzzati un Vitellone trucide son père avant de se regarder dans la glace - à présent, c'était lui, son père. Le vieux Mousquet fut enterré aux drapeaux, pour avoir été pompier. Ses deux petits-enfants concoctèrent une petite oraison ridicule par faute du curé, qui n'avait rien rouvé de plus endeuillé que de respecter religieusement leur charabia, inconscient de révéler, sous couvert de libéralisme grammaticale, un intolérable mépris du peuple. L'Église crève d'avoir voulu "faire peuple". La veuve Mousquet n'en écouta pas moins la messe télévisée, par la fenêtre ouverte tout l'été jusqu'à novembre, sans désarmer, Toujours bon pied bon œil, souriante et ravaudant les nippes des vieilles, en va-et-vient sur notre allée de servitude.

    À 8h chaque jour, horaire d'hiver ou d'été, ses volets claquent sur le mur que notre budget chaotique ne permet pas de retaper. Souvent nous lui téléphonons pour ne pas retrouver un beau matin son corps "en décomposition avancée" comme disent les journaux. Qui gagne ensuite sous son béret, clopin-clopant, le bout de la rue d'Allégresse. Ne pas prendre chaud. Ni froid. Le jeu consiste, à l'aller comme au retour, à éviter la vieille. Sans marrons. Du plus loin qu'on l'aperçoit , trapue et vacillante, s'interdire tout changement de trottoir, histoire de ne pas froisser. Bonjours, considérations météorologies en mode enjoué, chacun poursuit sa route. Elle a pris l'habitude de ces manières peu causantes. Mon mari était comme lui. Je mène (c'est son mot) une vie "retirée".

    Exact. À la dérobée je regarde ma montre sitôt la visite arrivée. La plus grande satisfaction est de passer tout le jour sans l'avoir vue sortir ou entrer. L'essentiel en tout cas est de ne plus croiser personne :judicieux traversements de rue du plus loin qu'on aperçoit quelqu'un. Quelle autre conduite à tenir ? ...détourner le regard, saluer au dernier moment ? Lâcher "Bonjour !" ? Voici l'endroit précis où se situe la moitié de la rue : cela se passe en biais, sur un angle de vingt degrés. Le côté gauche présente à cet endroit une propriété avec de l'herbe, un balcon où l'on monte par de larges marches, une plaque cuivrée : "Le Scouarnec" (Changer les noms ; les éditeurs désormais (ou les écrivains, car j'espère bien voir disparaître un jour ces parasites) se trouvent désormais confrontés à une certaine catégorie de gougnafiers qui prétendent se reconnaîte dans les héros de romans ; ils sont taxés du "délit de ressemblance").

    Nous reviendrons sur ces "Scouarnec", qui n'ont de breton que le nom. Elle habite Grande Avenue, et tient par alternance un magasin de nettoyage, en français un "pressing". Le domicile des Scouarnec est une lourde bâtisse assiégée de vert. Elle se rattache à la place J.J. ou Pérignon. Le côté droit présente en cet endroit deux ou trois cahutes indistinctes ; elles font encore partie du "Côté de Chez-Moi". Ce n'est qu'après le renfoncement triangulaire, annoncé par ce petit aloès piquant qui barre le trottoir (il faut descendre sur la chaussée) que s'amorce l'atmosphère de la place – déjà imperceptiblement (il fut difficile de découvrir où passait la limite entre les deux Côtés), le parfum de l'apogée – "aller-retour" : boulangerie, pressing, bistrot : il se passe quelque chose.

    Trois sortes de maisons dans la rue. Première : les antiquités. Taudis inchangés depuis la guerre. Une brave madame Thomas, foulard autour du cou, roquet en laisse. Quarante-deux ans de rue François-Joseph. Jamais posé de questions. Je veux dire : personne ne lui en a jamais posé. Quand elle est morte, tant de secrets en fumée. Admirable dans un sens. Je ne pourrais pas. 99% des gens qui dès leur plus jeune âge (un petit-fils est du nombre) ne conçoivent pas d'autres aspirations que de rester ainsi coincés dans le km² fixé par le sort. Au lieu du Vaste Monde. "Celui qui ne désire pas voyager, on devrait lui crever les yeux". Proverbe persan. "Pour trouver du travail, il faudra vivre en Estonie !" Plût au ciel que l'Estonie m'eût été donnée – nouveau pays, nouvelle langue à balbutier !

    Quoi de plus bas-de-gamme ! "Attachement à la terre" ! Ceux qui sont nés quelque part ! "Volem viure au païs ! ...Pénétrant dans sa chambre, si largement que se dilatent les narines – se sentir saisi d'étouffement – pour l'éternité – à mon âge vous savez – s'il a fallu que l'avenir se bouche pour envisager un seul instant d'écrire l'historique de sa rue – plus exactement la topographie – que nous font ces destins de cloportes dont à présent plus rien ne me distingue ! Compost humain ! Pas d'attendrissement – jamais – pour en revenir aux Maisons Antiques : la plus sale. Renfoncée le cul dans ses ordures. Tôle, canards et bouillasse – que leur donne-t-on à bouffer leur boue leur propre merde - pourquoi devrais-je absolument faire leur connaissance ? voilà des gens qui me regardent en intrus sitôt que Je jette un œil sur leurs immondices.

    Mère Mousquet locataire vivait naguère sous un monceau d'ordures. Un jour un gendre et deux cousins sont venus évacuer ces strates de boîtes à conserve et de bocaux de boutons ça peut toujours servir. Il était même miraculeux que rats et souris ne s'y fussent pas immiscés. Une profusion d'emballages gisait là, et de planches pourries, sous un toit de plastique ondulé menaçant ruine, prêt à trancher la carotide, droite ou gauche. Le lendemain, après la grande vidange, l'octogénaire contemplait hypnotiquement, de profil, le champ de bataille. Il restait encore au sol une couche adhésive en réserve, pour la prochaine immolation. Et comme je félicitais la vieille pour ce bon travail de jeunes, elle exhala un profond soupir : "Ça avait tout de même un certain charme".

    Ce fut le mot exact dont elle usa : "charme". Ce qui nous charme moins nous autres, ce sont les récipients morts de rouille qui recueillent l'eau de pluie, "pour la sécheresse", alors que moustiques et vermines y déposent leurs œufs, leur frai, leurs larves. D'autres maisons de la rue, mieux enretenues, conservent les aspects rustiques de leurs maçonneurs. L'une d'elles en particulier reste close, avec de hautes grilles et un exceptionnel étage en ces lieux. Nous en avons une deuxième, rue Kolik, où vit toute une famille : le père 56 ans dessinateur peintre qui retient son chien très étroit pour se dispenser de nous saluer ni même nous croiser. Une partie de son demi-hectare est à vendre en terrain à bâtir.

    J'aimerais l'empoisonner lui et sa famille afin d'accaparer un héritage aussi légal.

    La troisième demeure avenue François-J. fut sauvagement assassinée :la "Maison Usherr". Piquant dans la nuit ses trois pignons à la Psychose, étageant ses pièces abandonnées. Mon petit-fils et moi nous y sommes introduits. Elle était meublée. Jusqu'aux moindres recoins. Tout laissé en l'état, revues effondrées, disques éparpillés au sol tels que les avaient trouvés les brancardiers de l'infarctus – nous n'avons pas osé nous aventurer davantage, crainte que le plancher ne s'effondrât, nous eût engloutis sans retour – vaisselle incrustée de crasse, cartes grasses à même le lino – la mort même. Tragédie de l'insouciance. On décoince ton corps sans que personne ait pris le temps de fermer les volets ni les yeux .

    Le lendemain même de notre intrusion (Victor avait douze ans), la clôture avait été rageusement réparée DÉFENSE D'ENTRER. Et qu'il soit bien entendu surtout de racheter , à supposer que nous en ayons eu l'intention ou le rêve ; le propriétaire en effet, 94 ans et gâteux, une fois mort et bien mort, sa stupide engeance s'empressa de la jeter bas comme vieille bâtisse insalubre, dont la ruine imminente faisait frissonner le passant nocturne, pour ériger en fond de jardin bien rasé bien clos la baraque livrable clés en mains du catalogue : gros toit rouge typique, piscine et rires vulgaires d'enfants, car à notre époque, même les enfants peuvent montrer des trognes vulgaires.

    Notre habitation, rue François-Joseph, est de loin la plus laide et la plus recroquevillée : son pignon penche, un inspecteur est venu l'air soucieux, a visité nos combles, est redescendu catastrophe, serrant du poing une boule de bois toute piquetée de termites et tirée de sa poche à l'instant ; nous devions illico débourser, nous annonça-t-il d'un ton funèbre, telle somme pharamineuse et onique, la toiture nous cherrait immanquablement sur la gueule. Ma foi si le toit en avait pour trente ans, nous en avions bien nous-mêmes pour autant, et nous nous contrefoutions du reste. Nous n'avons plus revu Monsieur Termite ou Capricorne – et c'est bien totu à fait cela, devenir vieux : se foutre de tout, et – mon Dieu ! le bien que ça fait... Nos voisins les Ziegmann auront pronostiqué la démolition future de nos deux masures (la nôtre et celle de la vieille, au fond du jardin) ; puis sa reconstruction, par le propriétaire d'une ra-vis-sante maison neuve pimpante en diable.

    À l'emplacement donc de notre plate-bande pelée, j'imaginais déjà les grossiers ébats d'une génération d'incultes bien incapables de différencier Wagner et Vivaldi, férue d'informatique et de Madona, que je ne me fatiguerait même pas à hanter. Ils seront là, ces cons, dans l'air que je respire, à hauteur de mes pas. De quelles scènes, de quels divorces, de quels petits-déjeuners niaiseux ne seront-ils pas les pières figurants dans cet espace ?

    *

     

    Engageons-nous une fois de plus Rue de l'Allégresse. À plateau. À droite à l'angle, allée de maronniers. Cinq dans chaque file, noueux, immenses. Avec des racines trébuchantes en pleine allée. Des marrons où kicker à l'automne. Au début côté est, les traces métalliques d'un butoir en fer : un portail se dressait là. À l'autre extrémité, de biais, l'Allégresse. Il existait donc là, sur la route publique, tout un ensemle de maisons de maître, une gentilhommière, un château, que nos masures ont éliminé. Pour revenir de la poste, toujours passer par-là, dans l'herbe sous les marronniers. Nous allons jouer : nous serions les propriétaires. Au bout nous attendraient nos gens.

    On nous demanderait, en nous tirant nos bottes,si "ces Messieurs ont fait bonne chasse". Mais nos ne faisons rien d'autre aujourd'hui, que de déboucher, en biais, sur la rue des Jardins, où plus rien ne se laisse deviner : les anciens alignements eux-mêmes ont disparu. Tout va de guingois. Exit castellum. Pourvu à présent qu'on ne les rase pas, nos arbres. Ils ont bien souffert de la bourrasque du vingt-cinq sept cinquante-deux. Il y aurait un rond-point, un antre à blaireau supplémentaire. Longtemps la branche en fourche est restée suspendue, mais vous avez chez vous la même allée. Alors...

    Entre la chute et le croc-en-jambe au ras de sol jusqu'à centenaire, cordages sourdant de terre comme une veine sur la main de vieux, nous devrions les voir battre, énormes, sourdement, au rythme de notre propre sang. Les mêmes marrons qu'aux temps de nos enfances. Les marrons sont fascinants. Ils ne servent à rien, sans autre valeur que leur présence. Aussi les enfants les thésaurisent-ils, jusqu'à leur complet dessèchement. Des marrons. Des accumulations de marrons. Beaux, luisants, parfaits de forme. Les enfants tirent des marrons sur les vieux. Les vieux se retournent de tout le corps et profèrent des malédictions édentées, inarticulées. Ne pas devenir vieux.

    Plutôt mourir. Sans blague. Buter sur les racines est une chose. "Jusqu'à nos derniers souffles" en est une autre. Ce complément de temps qui retranche du temps – mourir n'est rien, mourir ici est doule peine. Car nous ne changerons plus jamais de lieu. Je sais où je dois mourir, et je sais que ce doit être ici. On ramènera mon corps ici. Quand mon esprit n'y sera plus. Le corps en tremblements. Une si belle allée de marronniers, courtaude, pacifique. Pour rentrer chez soi, aujourd'hui vivant. La vie de vieillesse ressemle à s'y fondre à ces fameuses joies qu'on lit dans les mémoires d'enfance. Les enfances des autres fascinent. On y parle de sensualité. Colette. Sarraute. Mille autres. Jamais au grand jamais je n'ai senti de sensualité de toute l'enfance.  

    Prusse,instrument,manipuler

     

    Strictement rien. La peur, l'impatience, la révolte : oui. L'injustice. Mais palper un marron ? Ça ne m'aura jamais fait plus jouir dans mon enfance qu'à présent même. Au portail supposé de l’ancien Château, là où subsiste incrusté dans la terre un fermoir en fer, se trouvent de nos jours deux conteneurs en plastique où l’on trie les déchets. En poussant sur les anus caoutchoutés, je précipite à l’intérieur les vieilles bouteilles : on presse le goulot sur l’opercule, tout disparaît dans un clapotis caverneux.

     

     

  • CES VILLES OU JE MEURS

    C O L L I G N O N

     

    C E S V I L L E S O Ù J E M E U R S

     

     

    Thème : un homme écrit sa lettre d'adieu. Il range ensuite soigneusement ses affaires. Il prend l'autorail pour Eygurande.

    Là-bas, il s'installe et meurt.

    Développement :

    Un homme à sa table, la tête entre les mains. Il médite les termes d'une lettre d'adieu. Puis il rassemble, donc, ses affaires. 50 – 70 ans. 1M80, ni grand ni petit. S'il tournait la tête (à présent de trois quart arrière) on verrait son épaisse moustache – Nietzsche, tout de même pas. Sympa et bourru, ils sont nombreux comme ça. Ce qui fatigue le plus, la journée ou la vie ? On a sa fierté ; un peu de dignité. De recul.

    Un nom à cet homme, quitte à l'oublier souvent. Quelque chose de pas trop difficile : François, Grossetti, comme le général – mort de dysenterie le 7 janvier 1918.

    Une lettre d'adieu, c'est délicat. On ne sait pas qui lira cela. Tout ce qu'il comprend à sa situation immédiate, c'est qu'il s'agit d'une histoire de femme, pas de quoi fouetter un chat. Il faut appeler un chat un chat. Pas trop de souffrance, par rapport à son âge. Peut-être y en a-t-il plus qu'on ne croit. Qui souffrent (même sans avoir fait d'études ; c'est bête de croire des choses comme ça).

    Pour les femmes les choses se présentent différemment – il n'a pas connu beaucoup de femmes ; la sienne, à peu près. Plus quelques putes. Quelques autres aussi, naturellement, des vraies, dans la faute, dans l'éphémère – pas envie de revivre. De vivre non plus, sauf si ça le reprend, rien de moins certain. Lettre d'adieu ou pas lettre d'adieu ? On peut se passer de tout. D'orgueil. L'homme se lève dans l'appartement, retaille ses moustaches devant la glace – une amorce de fanons, des rides "d'expression", des tifs courts pas trop clairsemés – acceptable. Le frigo contient du fromage et des confitures. Trois pots de yaourt nature. Il en mange un. Aucune tristesse. Il ne peut plus vivre ici : première idée claire. Elle est partie sans regret

    Je souffrirais trop

    Si tu revenais

    "Je n'ai fait aucun effort" – ses premiers mots – "Thalassa tous les vendredis" elle disait "il y a autre chose que Thalassa les vendredis soir et puis "tu pourrais maigrir" – c'est comme je suis ou rien - "il faut que les croque-morts sentent bien quel homme de poids j'étais" – drôle, sauf la dixième fois.

    La queue ? ...va savoir ce qu'elles pensent. À lui de partir à présent ; l'agence lui mettra tout sur le

    dos. Pour l'état des lieux. "Ça ne pourra pas être pire que le mien – humour." "En tout cas j'ai tout rangé" – paquets, cartons le long des murs. Le garde-meubles a gardé le plus gros - "ils n'auront qu'à tout revendre". Sans téléphone. Juste une adresse. Et un portable dont il est seul à connaître le numéro. La lettre d'adieu, il veut la rédiger sur les lieux. Sur zone. "Où j'ai aimé, souffert, tout ça..." Des morceaux de phrases à haute voix. Des pas dans les pièces vides. Juste partir. Ça le soutenait. "Un tour des Indes, l'Islande à moto" – des tas de gens font cela – le plein de vidéo et après. Ils vont à Nouméa, ils te rappportent une photo de la poste ; mêmes frigos, mêmes commutateurs – ceux qui n'aiment pas voyager, on devrait leur crever les yeux proverbe persan.

    À trente ans tu vois le bois de ta porte. À quarante ans toujours là. Soixante. Tu te cognes dedans à 85 ans tu te cogneras le fauteuil. "Hurler de désespoir", c'est l'expression. Comment font-ils si c'est pour rester, vissé à fond de caisse – Ils partent, ils rentrent – ils "reviennent de voyage", sans rire, pour se rouler là, "fidélité, bonheur de vivre, port d'attache" – mon voyage sera sans retour – "mais mon pauvre vieux, le Massif Cenral ! à quatre heures de route ! "le bout du monde"! Tu parles ! " - il répétait "le bout du monde ! On ne vous y verra jamais - ...Qu'est-ce que tu veux qu'on aille foutre au Massif Central ? - Ne pas me voir par exemple" – ça les avait vexés. Ça les désarçonne toujours, les autres, ça les chiffonne qu'on puisse ne pas penser à eux.

    Le Massif Cenral, pensez – on ne les y verrait jamaisn à condition d'éviter la Chaîne des Puys (Disneyland), la Lozère (CECI EST UN ARBRE, espèce, date de plantation, ROCHER PITTORESQUE, un tourniquer de cartes postales derrière chaque buisson avec débit de boisson, chaussures de marche et musique de rock '"circuit pédestre", "randonnées à cheval" et autres kayakeries – éviter l'Ardèche, surtout, à tout prix). La ville même de Q. (ne plus préciser de lileu, les cons (les gens...) ayant tellement perdu contact avec le livre qu'ils te foutent des procès sur la gueule pour "délit de réalité") – cette ville se voyait défigurée par d'immenses panneaux : "Les Cathares auraient pu s'y réfugier" ; donc, ils s'y étaient réfugiés.

    Il ne faut pas dépasser une zone très restreinte, non sans solutions de continuité : Ussel, Eygurande, sud de Clermont, Cantal nord et est, St-Flour (15km plus bas c'est déjà Touristland et ses restaurants typiques). On remonte par la Margeride, le Livradois, Brioude et La Chaise-Dieu ; éviter Machin et son nid de camions, passer par Yssingeaux sans tomber dans le gouffre lyonnais – attention aux colonies de vacances pour petits cons – et N., pourrie de banlieue et de faune-de-banlieue depuis la fameuse "autoroute de désenclavement". Plus au sud c'est très vite le Midi

    putaing-cong qui tartine sa vulgarité sur tout ce qui traîne : la sueur, les chortes, quand on sera mort tout sera touristo-compatible, il faudra bientôt regarder Maubeuge entre ses pieds pour voir quelque chose de vivable.

    "Je romps – disait-il, parce que je vomis les matins de morgue où je me trimabelle de pièce en pièce, seul levé dans l'apparte. La vie sans avenir qu'une longue dégradation des facultés corporelles et sanitaires – quitte à crever à petit feu autant que ce soit tout seul et pas le nez sur la décrépitude de l'autre. Je bouge. La mort m'attend là-bas, à Samarcande. Plutôt claper en route qu'en garde malade."

    Entre chaque chapitre, un § de la rupture – mais la chose a tourné autrement.

     

    Du désir de train pour être bien contraint

    L'automobile triche.

    L'avion : négation du voyage.

    Aux Antilles. A Ceylan (Sri Lanka, I know). Bouthan, Yunnan. Comme si c'était banlieue.

    Ces gens-là ne se rendent même pas compte qu'ils voyagent.

    La vraie route c'est à pied.

    C'est bien connu, c'est bien connu.

    J'ai choisi le train. Comme ils disent. Les pieds gelés, la crasse, l'effort physique – surtout l'effort physique, que je méprise – jamais – le Grand Dépaysement, pareil : "Je ne sais pas, moi !" (votre interlocuteur, votre Messie, ne "sait" jamais) ; "si tu t'exiles, fais les choses en grand ! les Andes, par exemple !" - je ne vois pas comment je pourrais m'exalter, découvrir en moi des horizons, des vertiges inédits et tout ce qui s'en suit, en chiant ma tourista avec 39 de fièvre à 4000m. D'altitude...

    Chacun se fabrique sa petite retraite pépère. Celui qui veut se geler trois couilles au Groenland, pas de problème – pour moi ce sera la formule Pas de risque (et je vous emmerde). Plus un rond àl'autre bout de la planète. Risque de se faire sucer par les punaise, dévaliser par des Philippins, sodomiser, égorger par des porcs islamistes. Pas de risque. Celui d'être libre par exemple. Le pire de tous. En train tu n'es pas libre par exemple. Ton hôtel est retenu : pas d'échappatoire. Dans le train tu n'es plus le maître. Plus responsable. Ouf . Toute ta vie tu l'as bâtie là-dessus : "Pas responsable, pas ma faute".

    Deuxième vœu : se fondre avec les Gens du Cru. Ceux qui sont nés quelque part. Indécelable. Invisible. Impossible disent les sages – mais les sages pullules et tu les encules. Une fois sur place tu t'installes. Ta petite parcelle. Ton confinement. Ta feuille de chou sur ton siège de car local. Tu as toujours été là. Cent ans que tu lis sur le même siège. Toutes les lundis sans faire attention. Souvenir de ce con sur la Riviera quand on me dit les beaux paysages ! faut pas déconner je bosse, moi, pas que ça à foutre - connard je dis connard La Baie de Nice ça se respecte La Baie des Anges tu ne la mérites pas tu la mérites moins que ma main sur la gueule - être né là. Y avoir toujours vécu.

    Ailleurs. Puis crever. Changer de pneus. Cantal, neige au-dessus de 500m. Les vaches, les barbelés, l'antenne-râteau avec Poivre d'Arvor dedans tous les soirs au Vingt Heures – on coupe le téléphone pendant la Messe juste le répondeur - "pas là pour le moment" – je me souviens mal du trajet LIMOGES-BÉNÉDICTINS TERMINUS les toits vert bleu les toits vert-de-gris. Ils ont brûlé, genre château de Hautefort (Dordogne) : des inconscients ont fumé dans le foin, fini le toit ! Seule attraction dans Limoges : le Moi. La valise, verte. Plein de mystérieux compartiments. Tu ne sais jamais ce que tu y as fourré exactement. Tu passes au-dessus des voies, juste à côté des taxis, tu demandes le centre ville un clochard te sourit c'est par là il ne savait pas non plus le premier jour tu descends sans rien lui donner l'escalier sur main gauche valise à la main.

    C'est une rue sans caractère sous un mur de soutènement, des boutiques ruinées rechignées, le jeu consiste à se voir en habitant constant, ici depuis l'enfance en bordure d'asphalte qu'est-ce que ce serait si j'y vivais encore. On trouve même des habitants qui pleurent quand on effondre leur immeuble HLM et par un coude à droite tu te retrouves Place Jourdan "Hôtel du Commerce". À droite au fond précisément la gare des Bénédictins que tu viens de quitter, au bout de l'avenue que tu viens de quitter rectiligne trop droite justement, tu voulais l'éviter – un peu d'aventure que diable.

    À l'acueil l'hôtesse est revêche, le jeu consiste encore à s'imaginer coucher avec elle car toute femme est digne de coucherie je la transperce du regard j'ai quatre jours devant moi, pas plus. Pas de risque. Changer de vie mais s'apercevoir que c'est déjà fait, de femme même sans s'en apercevoir, ne pas se plaindre ou ronronner aux pieds d'une conne derrière son comptoir (mais oui, moi aussi, mais oui...).

    La chambre est neutre et pour cela enthousiasmante avec douche, vingt minutes allongé sans contraintes et puis lire, personne n'attend, le long de ma porte au dehors un corridor en tapis rouge avec au loin la lingère du lieu pas belle et rassurante, changeant du linge dans sa lingerie son sourire au loin 60/65 ans. Je lui réclame un autre oreiller bien épais – les hôtels croient toujours qu'un client dort à plat, comment les guérir ? il faut sous notre tête oreiller mou sur oreiller mou, le traversin plié en deux, dormir plié c'est mauvais pour le cœur on en crevait dans les siècles passés mais je crois savoir ce qu'il en est des femmes, donc je lis.

    C'est une sombre histoire d'Afrique (l'aventure !) - à Limoges le Libéria, L'assommoir sombre et vignolant au sein de Lisbonne en 2000 et les faux chants hébreux en plein Cartagène d'Espagne – ici Ahmadou Kourouma "manches courtes ou manches longues" ? ...bras coupés au dessous ou en dessous du coude ? Allah n'est pas obligé d'aimer la maman cul-de-jatte ou les enfants-soldats Kourouma hou akbar est le plus grand. "Votre langue abâtardie" qu'il dit. Nous autres Français, massacreurs du français. Je me couche. Du sommeil à rattraper. Le vrai, le profond, celui qui régénère les cellules.

    Je viens pour les rues, les rues en soi-même en elles-mêmes, celles qu'on voit en songe avec des murs sombres, où le vent me rabat vers l'hôtel, du vent froid, sans répit, biscuits-fromages-banane pour tenir chaud : pluie neigeuse, vite la cage d'escalier "du Commerce" son escalier le tapis rouge et sur le couvre-lit mes miettes. Fatigué d'avoir mangé vite et marché. Nous écrivons à la main cul nu sur la chaise de paille la main sous le cul contre la paille, le stop à vingt-deux heures pile avec la fesse gaufrée. Tous les matins quand vient la chambrière j'époussète le couvre-pied puis je sors. Le jeu consiste à trouver le cimetière, à pied : la nécropole, dans une ville, est la première chose, la plus vivante, que je recherche, à Limoges comme ailleurs. Dormir, lire, mourir – avec l'église – de ce qui définit avan tout la ville : Ceux qui m'aiment prendront le train – "le plus grand cimetière d'Europe" : c'est inexact.

    En Limousin, les décès (les disparitions) surpassent nettement les naissances. Enfant je me recueillais tous les deux jours de mes vacances sur la tombe de grand-père, ma mère et ma grand-mère arrachaient l'herbe et garde-à-vous devant Gaston sous terre "mort accidentellement le (tant)" pour la revue de casernement du chagrin, de quoi guérir, immuniser à tout jamais contre les tombes mais au contraire. Le caveau des deux autres grands-parents à l'autre bout sous le sapin qui verdissait la dalle, je scrutais les inscriptions, calculais mentalement l'âge des morts, date de naissance date de décès et je soulèverau le monde, frustré parfois par la mention "mort en sa (tantième) année" comme autrefois (hommage parisien à Victor H. "entrant en sa quatre-vingtième année" le 2 – 2 – 81 – ma mère ne manquait jamais d'ajouter que j'entrais dans ma (quinzième) ou (vingtième) année, très tôt peur de vieillir.

    Sur une table plage le navrant portrait sépia de Laura Dizzighelli parmi sa famille, jeune,vulgaire et bouclée dans son cadre ovale et souriant de toutes ses dents ; puis les sœurs Tripier qui se tripotaient avant de mourir et la famille Taillefumier – j'aimais déambuler, je déambule encore dans les cimetières - "stage de formation en entreprise" : ça fait rire les enfants, parce qu'ils supposent que je mourrai avant eux. À Limoges le cimetière est loin du centre ville ; à Bordeaux, il s'étale, en pleine agglomération – "C'est par-là ! répond une alerte sexagénaire, mais c'est loin vous savez !" - repoussant de la main sa propre mort en de formidables lointains.

    J'ai marché trois quarts d'heure à l'atteindre, en montée, sous le même vent, cherchant à telle minute un abri, un bistrot, pour boire à mi-chemin un chocolat.

    Ce que j'appelle ma vie, ce sont mes heures : de pisser, de boire, de lire. Au bar deux trois clients. Le patron me torche une table. Méthode d'hébreu comme prévu, car où que j'aille je pratique assidûment l'apprentissage des langues, aussi peu loin que j'aille, de toutes les langues : "méthodes", "initiation", juste les premiers mots sur le chemin (aujourd'hui) du cimetière. Au-dessus de moi la télévision que suivent les hommes, arrivée de la Huitième à Maisons-Laffitte sur Équidia, "il n'y a pas" se dit en hébreu eïn, personne ne s'en aperçoit mais je ne m'en suis pas dissimulé.

    Parfois même je lis Langages de l'humanité : 600 mots de 400 langues. Cent quarante francs. C'est ma façon de voir. Les vedettes voyagent incognito, mais se mettent des lunettes noires. Monsieur Cinéma, mon surnom à 18 ans. Vexant. Profondément mortifiant. Je les ai plusieurs fois, les 18 ans, et je m'y suis maintenu, pas un pouce d'évolution je crois, j'espère ! - sur la montée au cimetière, bien réchauffé, instruit, gravissant la pente sous les murailles : or dans un trou horizontal, profond et cylindrique, j'ai flashé à bout portant une canette de Pepsi (dans la montée de la Merveille j'ai cliqué, de même, sur trois boîtes à conserve à travers une meurtrière).

    Et je fis mon entrée au Cimetière de Limoges. Non pas certes "le plus vaste d'Europe" (le Père-Lachaise, gorgé de sépultures jusqu'à l'horizon (la première fois j'ai demandé au pas de course la sortie ! au premier gardien rencontré) – cependant : les étagements de la Nécropole de Limoges rappellent à Lisbonne le Haut de Saint Jean (Cemiterio do Alto de São João), donnant là-bas vers le nord sur d'immenses et pouilleuses boîtes à peuple ou logements sociaux ; juste en face de la Secçãn Militare de la Grande Guerre, de l'autre côté des terrains vagues : la Picheleira, l'Alto di Pina.

    À Limoges mêmes terrassements, ou dans les rizières de Sumatra. Dans l'allée supérieure, où fut tournée une séquence avec Trintignant (il tient le rôle de jumeaux antagonistes, rien pigé) tout est bien net sous l'alignement des arbres : sentiers spacieux, gravillonnés de frais, du solennel, du solide, du provincial. Puis j'ai descendu la pente par de larges degrés entaillés de perrons. Je n'ai rien vu de pittoresque, répétant à haute voix (surtout ne pas se faire entendre...) ("l'homme qui parle dans les cimetières" !...) - les noms de famille, de fratries, d'individus, acordant foi aux antiques croyances égyptiennes : toute personne prononçant le nom du défunt le rappelle en surface... Je parle aux morts épiciers, employés, jeunes mères, anciens conscrits, livré en pleine conscience aux rites de déploration.

    Mais toujours bien jeter l'œil par-dessus mon épaule, car on sort plus vite d'un cimetière que d'une cellule de dingue. Aussi les morts m'entendent avec reconnaissance; le plus poignant que j'aie vu au Cimetière de Limoges ne fut pas la tombe d'une jeune fille Pourquoi à vingt ans ? lu à Chantonnay sur une plaque blanche mais celle d'un dessinateur au trait, ligne claire, portant cette épitaphe éplorée : À MON MARI – À SON ŒUVRE. Sur la tombe figurait un autoportrait acceptable mention AB [douze sur vingt] – tandis que sur trois ou quatre caveaux voisins se montraient deux ou trois portraits d'amis, du même, rassemblés dans un même funèbre périmètre, n'ayant pu refuser ni de mourir dans l'année – un bon mouvement ! disait la Veuve aux yeux rougis muette sous sa cape – ni de tolérer sur sa dalle et son corps les témoignages désespérés d'une indissoluble camaraderie.

    Telle était désormais l'étendue de sa gloire : 20m² autour d'un tombeau. Et c'est cela que j'avais trouvé poignant, qui m'avait point, au vu de ce théâtre anticipé que je jouerais aussi, déplorable mélo, dans le vrai jusqu'aux larmes. Que gravera d'autre ma fille en effet ou ma veuve que ce pathétique HOMME DE LETTRES, objet de mes railleries dans le petite cimetière de Q. (Cantal) ? et dont à présent, plus vieux, plus mort, je ne ricanais plus. Car on ne pourrait même plus montrer un portrait de ma plume, ou deux pages que j'eusse écrites. Et remontant vers l'allée supérieure, épuisé, résolu cette fois à prendre le bus, j'aperçus au sol – juste avant la sortie - coincé entre deux tombes – un rouleau de biscuits fourrés pour enfants, car nous ne nourrissons plus nos morts. En vérité c'étaient les morts eux-mêmes qui me tendaient ce cylindre garni à demi-clos, à peine souillé, que les chiens n'auraient pu compisser sans d'improbables et grotesques contorsions. Je me suis empiffré de ce quatre heures tombé d'un gosse gavé de macchabes. Le bus me ramena du Terminus au Centre-ville, où je remarquai au pied d'un banc de pierre un sac à dos délaissé garni d'un second paquet de biscuits : quelle aventure !

    Limoges nourricière !

    Je me suis gratté les couilles mais il n'y avait pas de troisième paquet de biscuits.

     

    X

     

    J'ai donc lu, sur mon lit, jambes ouvertes. Je suis reparti je suis revenu. Ces choses si banales. Si empreintes, dans les moindres secondes de leur déroulement, de cette dimension de liberté que seuls les prisonniers de fraîche date, peut-être, doivent éprouver. Je n'étais plus obligé de rien. Imaginez cela : ne plus jamais devoir prouver à quiconque, père ou mère ou con, que je suis une vedette, que mon génie me place au-dessus de l'humanité, du moins la leur. Je suis ici chez moi, plus que chez moi, plus qu'avec mon épouse – rester au lit, ne plus faire le ménage, bouffer tout nu avec une serviette de toilette sur les genoux pour éviter les miettes aux endroits susdits, m'endormir toujours nu à même la chaise dont le paillage me quadrille les fesses – voilà ce que je fais, moi l'homme libre.

    Vous ne pouvez pas comprendre.

    Si j'étouffe – chauffage par le sol – je sors par les rues noires soufflant le gel – puis me renferme. Enfin j'obéis aux tythmes corporels. Sans justifier de quoi que ce soit. La vie consiste à lire : Allah n'est pas obligé, amusant au début, grâce au petit-nègre du petit Noir faussement couillon, puis vite angoissant : des guerriers de 12 ans – racketteurs – violeurs ; toutes les factions mercenaires en lutte pour le pognon des mines. Pas le baratin des télés. Une fillette qui se fait respecter en se tripotant la mitraillette et le gnassou-gnassou [sic]. Ça excite. Après 50 ans, moins. On ne se touche pas dans une chambre d'hôtel. Enfin les hommes. Qui sait ce qui se passe.

    ...C'est déplacé, non ? ...plus obligé de le faire poour se prouver qu'on existe. Déjà la mort des parents ça aide. Peut-être que la mienne soulagera. Peut-être. Je ne compte plus retourner au cimetière : il prendra sa place dans la tête comme les autres. Visite de la cathédrale : âme de toutes les villes ! sur le parvis en 44 la foule s'est entassée après Oradour, malgré la menace des mines. Monseigneur Louis tonne en chaire. Les Malgré-Nous pardon les Boches sont allés trop loin – Bellac, Montmorillon. Sous l'orgue dans la pénombre en bas-reliefs rasants photographie au flash les Douze Travaux d'Hercule - fresque païenne absente du guide fascicule ! (Père Bourghus) – revenu de nuit ; devant St-Étienne-de-Limoges illuminé je frôle une Ivoirienne en confidence à son amie C'est encore lui dit-elle qui m'aura le plus aimée ; et, ajoutait-elle, même pas pour le plaisir la suite se perd dans le froissement des pas sur le gravier - les jeunes hommes ne sont pas des pieux qui bandent. Gustave se vante dans sa Correspondance d'avoir tenu trois années, de 22 à 25 ans, dans la chasteté la plus totale. Par orgueil dit-il. Ma personne, plus modestement – 32 jours. L'année de mes 19ans. Mon premier flirt. Une fille de flic. Juste les seins, les fesses – les baisers dents serrées. Appuyée par sa mère qui voulait grossesse, qui voulait mariage, pour enfin caser sa mocheté : ravagée de varicelle grattée à mort, fixée face à face dans le train trois ans plus tard sans un mot, descendue en sanglots sur le quai – jamais revue – c'est à cela – que vous auriez pensé – à Limoges – le temps d'une balade froide. Les coins de rue peu à peu familiers. Rien de neuf. Peut-être fidèle à la Poste, au supermarché du centre en haut de la place Baugisse, modérément modernisée. Limoges 70 n'est plus là. Ni les pentes, ni l'agressivité bovine – viré d'un orgue sans permis du curé – la tribune barré

    brosse,vautour,gagneur

    e : prière de prier Dieu de façon rationnelle.

    Trop d'amateurs aux claviers. Trop de pillards de Vierges Noires. Je m'agenouille tout raidi sur un prie-Dieu tandis que dans mon dos surviennent Papa Maman fifille de cinq ans qui gueule. Du temps lointain où j'avais une fille je lui avais appris sans peine à ne pas élever la voix ni courir entre les tombes ou dans l'église. Les intrus s'en vont sans avoir prié. Depuis la poste face à la Mairie j'envoie des chocolats fourrés à Z-U-V (Savoie) pour me réconcilier, me seront retournés (j'ai mis mon vrai nom sur le formulaire) – j'exclus, je suis exclus.

    L'Hôtel de Ville, spécifie le v° des cartes postales, "fut construit à l'imitation exacte de celui de Paris". Pathétique. Cependant le carré muet de Limoges sur la carte météo française se voit souvent qualifier, après une imperceptible et mortifiante hésitation, de "Centre-Ouest".

    Partout ici je trace, j'entrecroise mes itinéraires de Limougeaud express. À la Grand-Poste enfin je trouve la chaleur. Le public peut écrire tout debout, sur des tablettes ad hoc au long des murs, ni plus ni moins que Victor à Guernesey. Face non pas à l'océan, mais à l'écaillage des parois. L'administration prévoyante attache ses petits stylos à leurs socles de plastique eux-mêrmes inexorablement vissés. Ainsi composons-nous avant de nous rassoir, tout accrampi, sous l'œil éteint de l'employée d'accueil. En bleu dans son cadre en carton. Sortant parfois sur ses aiguilles pour aider les Vieux glissez les pièces dans la fente et vieux de s'esbaudir. Tous ignorent dans ces murs postaux l'œuvre peut-être immense que je compose.

    Tout est dans le "peut-être".

    Si l'on y pense bien, c'est là qu'est sa grandeur.

    Puis je glisse à mon tour Singe Vert, ISSN 64-825, dans les fentes horizontales offertes.

    Dans le froid glacial extérieur stationnent trois prostitués de seize ans. Hugo. Je reconnais le blond bouclé à bonnet de laine qui m'a collé au cul près d'un guichet en murmurant on se pète les couilles dehors. J'ai répondu c'est le mot sans plus – si je renonce à la branlette ce n'est pas pour me taper des ados. Je n'ai pas même vu de bordels à Limoges. C'est que j'ai mal cherché. Les visages que je croise disent tous il n'y a rien ici. Quatre jours à tirer. J'entends encore les bouseux propos de la torche-piaule de Laguépie (Aveyron) Ça doit être un malade - il est tout seul – et y a des traces dans le drap" les traces de femmes sont en effet d'une autre sorte bien qu'elles se branlent plutôt trois fois qu'une. À moins qu'il ne s'agisse d'un de ces écoulements indéfinis qui font des femmes, quoi qu'il arrive, de pauvres victimes qui souffrent, et surtout pas une égotiste qui s'astique.

     

    LE MUSÉE DE LA CHAMBRE ÉGYPTIENNE – LES ÉMAUX ET LE JARDIN DE LA PRÉFECTURE – FABLE

     

    Le Musée des Émaux de Limoges se trouve dans un hôtel XVIIIe, du temps où les nobles avaient du goût sur le dos du peuple. Autres bureaux d'accueil, une fille en bleu et des catalogues noir et blanc, les "en couleurs" sont hors de prix. Dans un boyau TROIS Suzanne Valadon, voluptueusement éclairés dans la pénombre. J'en flashe deux en douce. Il existe paraît-il des appareils muets, quoiqu'un technicien – mais voyons ! c'est évident ! - m'ait démontré l'impossibilité absolue d'en fabriquer. Le secret reste bien gardé.

    Les plats, pyxides, aiguières, se succèdent innombrablement, je me contente d'un exemplaire par subdivision de salle ou recoin, que j'observe trente secondes, en comptant. Partout les mêmes noms, les mêmes dynasties. Cloisonnements, marqueteries, niellages : les notices enchantent les spécialistes. La salle réservée aux modernes me confirme dans la conviction qu'il n'est pas un art, peinture, sculpture, ou quel que soit le nom qu'il usurpe, qui dès l'entrée de l'époque moderne ne s'effondre irréparablement dans l'indigence. Il ne reste donc plus à admirer, en émaillerie comme ailleurs, que de grands méplats froids, nus, la matière en soi.

    Le pire est que cela repose. Peut-être ne sommes-nous plus, nous autres modernes, capables d'admirer que cela : le nu, le vide. Revenus de tout, vraiment ? Comme je pénètre en contrebas dans un fac simile de tombeau égyptien, je suis frappé par un extrême fouillis, tel que l'exhibent justement les émaux dits anciens, mais aussi de fraîcheur : de véritables hiéroglyphes à l'instant de la mise au jour ; jetant par la suite et remonté moi-même du tombeau les yeux par une baie vitrée donnant sur un jardin glacial, j'aperçois six ouvriers tentant de déployer contre le vent une énorme bâche verte au-dessus d'un massif ; la photo sera floue, ne rendant que très imparfaitement l'étrange vision d'une manœuvre de carguage de voile par gros temps, et en pleine terre.

    Visite. Rafales de pédagogie. Touristes, connaisseurs, "amoureux austères", nul ne doit ni ne peut ignorer quelque étape de fouilles, d'expansion d'agglomération, quelque croquis, notices, maquettes sous cercueils vitrés portant indications exhaustives des financements – Conseil Régional, Conseil Général – que ce soit. Jusqu'aux sous-sols, soubassements, chapiteaux, sarcophages en contre-plongée lumière rasante, bas-reliefs de plus en plus réalistes au cours des siècles, se ponctuent de plans, médiévaux, antiques ("le croisement central correspond à celui des allées du premier camp romain : le cardo") et de placards imprimés.

    Le silence est parfois troublé par les éclats des familles de gardes, sans gêne, entre soi, tels ces infects bedauds des deux sexes en plein transept à grand fracas de seaux métalliques : dans un renfoncement de cage d'escaliers, une quinquagénaire couënneuse et deux branleuses assises de treize ans ricanent de voir surgir des rampes inférieures ma tête de Professeur Nimbus qui tord le cou pour contempler au mur les toiles que leurs corps me cachent – allons ! je suis bien encore chez les humains, où l'on se fout ouvertement des vieux visiteurs de musées, avec leurs écarquillements hagards, "pas comme tout le monde". Ce sont tous ces yeux, tous ces contacts ignobles que je suis précisément venu fuir ici, à Limoges, pays des morts et des musées. Quand je reviens, les trois salopes ont disparu. Je regarde bien tout, avidement, de sang-froid. Limoges – comme – la- mort.

    Ils en font tout un plat. Tout un cirque. De la mort je veux dire. Quoi de moins spectaculaire que la mort. Vue de l’intérieur – j’y reviendrai. Un couple rencontré à une table d’hôtes. Homme quelconque – un homme, quoi. Femme brune, autoritaire, prof d’arts plastiques, autant dire de rien. Comme je demande leur ville d’origine, elle balaye la table de la main : “Limoges...” - pourquoi tant de haine ? Quel précieux, quel inestimable dépôt les Limougeaux ne possèdent-ils pas : celui d’une certaine image de lamort… ce couple a deux enfants. Ils occupent la chambre voisine.

    Poussé par la nuit, j’avais poussé sur le palier la porte de ce qui me semblait une pièce inoccupée. Là, juste dans l’embrasure, m’apparaît un petit garçon d’environ quatre ans, dormant ainsi exposé, angélique – sur lequel je me suis incliné, retenant mon souffle – la fillette au petit matin ne fut qu’ordinaire – de proches parents sans doute reçus à l’étage avec les clients ? au moindre geste une main de fer m’aurait empoigné, qui m’aurait cru ? Devant le café le père me confirma qu’il tenait l’œil sur moi, prêt à bondir au moindre mouvement douteux. Il souriait, j’avais l’air criminel devant mon bol de crème. Je lui ai dit de faire attention, que pour une porte entrouverte ou trois secondes d’inattention l’atrocité vous broie d’un seul coup, il m’a remercié sans cesser de sourire.

    Lorsque j’ai revu la famille à la sortie du Grand Aquarium je l’ai dépassilée d’un pas pressé car les adieux ne doivent pas se reprendre. Et je me suis rendu, près de l’Hôtel de Ville, un cybercafé vous entrez disquette en main, ils vous ouvrent le post multimédias, vous remplissez un questionnaire et vous repartez gratis : « Vous êtes le premier client ne payez rien ». Tout a changé à Limoges – cybercafé, bon accueil, même une foire dont j’ai consciencieusement écumé les allées sans regarder les filles car mon âge est sur ma peau – une foire aux plaisirs vous voyez ? minuscule et plantée là pour l’hiver. Du bruit des pistons de chenilles, vapeur et frites, les blousons s’emmerdent entre auto-tamps et tagada. Je me démolis le foie d’un coup de Coca. Moi : « J’ai trouvé ça bon et j’en reprends ». Elle m’approuve en faisant son métier. Me méfier de mes propres mimiques, celles de ma mère muée en guenon grimaçante pour amadouer un cogne.

    Retenez ceci vous qui me lisez : en public tenez-vous droit sans vous voûter ni rouler des yeux ni baisser les coins de votre bouche car les humains les gens comme ils s’appellent se conduisent très exactement comme les volailles : si peu différente ou faible que paraisse une autre poule, c’est à qui se précipitera sur elle à coups de bec jusqu’à la mort. Je le sais, je l’ai vu. Je l’ai expérimenté, à la ferme et sur moi. Ne croyez pas ceux qui nient, qui savent mieux que vous ce qui s’est passé et pourquoi comment. Mëme de nuit, j’ai appris à me comporter. Même en pleine foire. Voici une énorme sphèreque retiennent deux gigantesques élastiques. Tu te fait projeter à trente mètres de haut entre deux montants gigantesques, et là-dedans, des hommes tournent et rebondissent sans fin : « Le saut à l’élastique en toute sécurité ! » La musique étouffe les cris, comme près des arracheurs de dents.

    Nous rentrons tôt. L’hôtel en bordure du champ de foire. Tarifs minuscules. Le charivari, les carabines, les sirènes des chenilles – n’ont plus le moindre charme. Ne compte plus que la télé du bord et les biscuits qui craquent. De retour chez soi. Les présentateurs s’adressent au fauteuil dans sa langue, même ici, à Limoges, je suis le plus important téléspectateur de France et du Limousin.

    Télévision

    La littérature est-elle à ce point devenue commentaire de la télévision ?

    Mais ce que j’écris n’a rien à voir avec la littérature.

    Propositions pornographiques

    Ce mauvais film qui bouleverse. Nathalie s’y prostitue. La seule illustration de chasteté, lumineuse, sensuelle, règne sur Martin Guerre, afin de sentir glisser sur chaque point de son palais de louve la souple cambrure d’un autre zob. L’actrice prend dans cette scène une lumière de jouissance capturée par l’objectif au-dessus de l’épaule de l’homme, gratitude anxieuse ou feinte si exceptionnelle chez ces innombrables victimes qui tiennent à répandre à tout vent leurs tronches écœurées. C’est pourquoi j’aime Nathalie B. pour sa pureté, dans Martin Guerre.

    La première prostitution fut d’épouser

     

     

     



  • CARTES

    C O L L I G N O N

     

     

    C A R T O G R A P H I E S

    J'ai longtemps habité sous de vastes portiques...

    BAUDELAIRE

    La vie antérieure

     

    Cet ouvrage, ainsi que les autres, ne sera jamais fini. Il est dédié à tous ceux qui

     

    m'auront gâché la vie, parmi lesquels et avant tous, moi-même. En effet, je n'ai pas su

     

    faire d'efforts. Il me semblait que tout m'était dû, sans que j'eusse pris la peine de quoi

     

    que ce fût dit le tonneau. Cerrtaines de ces cartes ont dû passer par la photocopie. Ces

     

    corvées matérielles m'ont toujours semblé insupportable.

     

     

     

    Vivre ? Les serviteurs feront cela pour nous.

    Auguste VILLIERS DE L'ÎLE - ADAM

     

    "AXËL"

     

     

     

     

    LISTE ALPHABÉTIQUE DES DÉPARTEMENTS

     

    du Royaume d'Arkhangelsk

     

    avec leurs préfectures

     

    et populations approximatives d'icelles

     

     

     

    Ces populations correspondent avec la date où s'effectuera, grâce à vous,

     

    leur lecture.

     

     

    01. AAPAN Marchais - Buzancy 18 000 h.

     

    La préfecture réunit deux localités de l'Aisne, où mon père exerça la noble profession

     

    d'instituteur, entre mes quatre et six ans. Tout se joue avant six ans (How to parent,

     

    selon le titre original de Dodson, ce qui est tout de même autre chose).

     

    02. ALIM L'Unité 29 000 h.

     

    03. APPARU Arfitzial 25 500 h.

     

    Le nom de la préfecture joue sur les mots "artificiel" et "officiel". Noter que les

     

    populations représentent assez bien les petites villes que nous avons connues dans

     

    notre enfance, comme Laon ou Soissons.

    04. BADZILL Ste Geneviève 30 000 h.

    La suite des saints dans les anciens calendriers : Basile, Geneviève, Rigobert... Ensuite, tout a changé au gré des papes, des conciles, des cardinaux... Fallait faire moderne.

    05. BERNÁDI San – Bernád. Du catalan à deux balles. Ça n'intéresse personne ? Et pourtant, Macron est élu, et le Coca-Cola se vend dans le monde entier.

    06. BIÉTEK Zwiernédek 33 000 h.

    Juste des petites villes. À l'ancienne. Sans bornes à gaz pour voitures explosives. Cette géographie dépasse de loin le statut géographique. Nous venons juste de nous le demander.

    Qu'est-ce que l'enfant a voulu faire ? dire ? prouver ? Trouver, perdre ?

     

    07. BLEU- ET – NOIR Comme – Tuan 17 500 h.

    Juste des bourgades. Un département aux couleurs estoniennes. Une préfecture à la Jean-Jacques Goldman (Comme toi) ...comme toi, comme toi...) - nous tenons compte del a persistance de l'enfant, tout au long d'une vie d'attardé. L'arbre de l'enfant présente autant de racine que de feuillage, comme dans la vraie vie. Certains noms sont encore dans leur jus. D'autres ont été adaptés à diverses époques, en fonction d'une rationalité, ou dans le désir de retrouver une naïveté enfantine, ce qui n'exempte pas de la niaiserie (naïf et niais, doublet de nativus).

    08. BODJAR Zeus 17 000 h;

    Parfait exemple de ce qui précède. Qui peut avoir eu l'idée de ce nom de ville ? Pas un enfant. Juste un adulte, puéril.

    09. BOSKUM Hagen 18 000 h.

    Nina Hagen n'avait pas encore sévi. Aucun rapport non plus avec la ville homonyme de Rhénanie du Nord – mais la ville de Bochum est toute proche. Nous penserons plutôt à ce traître qui transperça Siegfried, d'un coup d'épieu dans le dos. Cet enfant adore la langue allemande et tous les mythes germaniques. Il sait le grec aussi. Nous le situerons vers ses 13 ans, juste avant son engloutissement marocain.

     

    10. DÉLÔ Vœux 18 500 h.

    Où est ma carte globale. Où est mon beau pays. Sans cesse sous la foudre des guerres. À présent je comprends pourquoi j'aime Israël. La ville chef-lieu de Vœux n'existe pas sur la carte. Je viens de voir une vidéo de la Sécurité Routière qui m'a mis face à face avec la mort.

    Très ému, et puis ça passe. Vous savez, je comprends très bien que mes écrits vous emmerdent – ou vous indiffèrent. Mais nul ne sait où les goûts des uns ou des autres vont s'égarer. Tout de même, je retrouverais bien ma carte...

     

    11. DÉLÔ-KANUAH Condé-Kanuah 16 500 h.

    Le Délô tout court n'a jamais fait partie de mes cartes départementales. Tout s'explique. Les préfectures n'ont qu'un recensement "à l'arrondi", "à la louche" : dérogation à la règle, qui veut que le temps se soit arrêté : tout ce que j'imagine concerne le moment futur où mes documents seront consultés. C'est une prophétie. Un futur antérieur accompli. J'ai habité Condé-sur-Aisne, où est passée Jeanne d'Arc (mais où n'est-elle pas passée... jusqu'à Ste-Catherine-de-Fierbois... son fabuleux bistrot de motard existe-t-il encore ?).

     

    12. DHELDA Masa 159 000 h.

    Déformation de "Delta", par affaiblissement, par affadissement : le drapeau d'Arkhangelsk, au lieu de bleu-blanc-rouge, était vert-jaune-rose ; le pays où l'on parle à l'envers, celui de ma mère Simone, était la ZINONIE, par amièvrissement. Le chef-lieu est souligné, car les villes de plus de cent mille habitants sont plus grosses sur la carte.En ce temps-là notre pays ne comptait que 40 Millions de Français, une émission radiophonique portait ce nom.

     

    13. DIOLI Cueilly 15 500 h.

    Affection particulière pour les toutes petites villes. Quand je pense que Gray, en Hte-Saône, se fait appeler "petit village" par les Parigots ! À 5000 habitants ! Cusset, 13000 habitants, illustrait une émission télévisée intitulée "L'épuration dans mon village" ! Le maire a engueulé par lettre la brillante équipe de tournage. Sans résultat. Les manants aboient, les connards passent ! Je me souviens d'un jeu où les départements étaient de couleur différente selon leur densité, le vert, le jaune, l'orange et le rouge. La France en 56 tirait fortement sur le vert...

     

    14. DOBOL Stirbknecht 48 500 h.

    Ça sonne bien. Tout à fait tagalog. "Stirbknecht" évoque "valet de la mort"...

     

    15. DOTTER-WILL Dotter-Will 40 000h

    Qui était le Docteur Will ? Fouillons dans notre Moteur de Recherche (on se signe). Je suis sûr qu'il y en a un – as for the moment, je ne retrouve pas ma carte du royaume d'Arkhangel, dont j'ai supprimé le -t ou le -sk. Je suis, après tout, le même que son découvreur, libre encore à ce titre de lui reprendre son nom – Will Kirby, dermatologue ? ...mais il est né en 1973 ! ça ne compte pas !

    Le numéro 16 :

    16. DOURMA Bourdyü 8 500h.

    En gros,la population de Privas, plus petite préfecture de France. Je rêve d'une prison où les détenus s'empareraient des armes et massacreraient les gardiens et les flics, mais pour finir, bien sûr, les bons gagneraient et le directeur pourrait remettre son colt dans sa ceinture, un peu en arrière sur la hanche; Mon rêve est le chaos. Mais il ne faut pas y survivre. Unifier les protestataires afin de constituer enfin Le gouvernement démocratique ? Mais qu'est-ce qu'on va se faire chier dans un tel monde !  

    rude,Tchécoslovaquie,trublion

     

    Le tout sans le moindre rapport avec le "département"du Dourma, sinon qu'il doit être rocheux et bouffé d'herbes sèches... On y trouve nombre de communes inférieures à 100h. Cela ressemblerait au monde où je suis né. Où tout serait explicable...

     

    17. DOZUL Soupsi 13 400h

    En ce temps-là, l'espace était encore lisible. Il y avait des parents, nécessairement chiants et butés. Les filles étaient comme ci, les garçons comme ça... Personne n'était là à pointer les moindres différences pour s'en faire les porte-drapeaux. Le mobilier urbain restait discret, villes et campagnes n'étaient pas défigurées par des ronds-points, haricots directionnels et panneaux directionnels à faire trois fois le tour des places. Qu'est-ce qui me prend. "Monsieur ! Monsieur ! Il veut être édité, mais il ne fait qu'écrire des réflexions comme n'importe qui peut en faire !" Va te faire tringler le buissons, connasse, ta réflexion à toi est très précisément aussi conne que celles que tu dénonces.

    C'est imiter quelqu'un que de planter un chou.

    Musset

     

    18. EMŠIL-TAUT ("ta-outt" naturellement) – intrusion d'orthographe tchèque - une femme maintient son chignon en hauteur et se tourne vers vous, le sommeil vous gagne depuis l'éternité de votre existence, et le chef-lieu est Siroltéük, ancien, d'au moins les années 50, sous le Napoléon III encore autoritaire. 28 500 habitants pour le chef-lieu, encore et toujours ces trottoirs aux commerces individualisés, marchands de chaussures, glaces à la vanille, coiffeurs... Il a bien dû exister quelque part un bonheur d'enfance, même en petits lambeaux.

    Mais si je dors, si je m'allonge dans la glace... Noter : ces somnolences remontent si haut que je ne peux les attribuer à un effet de vieillissement. Mais qu'est-ce que c'est ? Dès que je lis, que j'écoute une émission littéraire – ou didactique – les Incas, la (...)

     

    19.

    ÉPISKÓPÄ, oui, "épiscopat", c'est un petit bout de saucisse qui part en biais, en frontière, avec un évec, un épiscope, un périscope, qui voit tout ce que tu touches et surtout ta bite, une traînée de soufre vert. Je ne sais pas ce qu'il en est. Le chef-lieu est monotone. Il s'appelle MISTAKROS, où l'on repère la crosse de l'archevec , et toutes ces conneries humaines et cosmiques à m'en remplir toute la boutique, est-ce que je vous parle à tous en particulier, est-ce que nous composons l'écriture en train de s'écrire, comment vivre, comment font les autres répétait mon père à 27 ans 1/2, comment font les autres !

    C'est un de ces départements adventices, poussés là comme un poireau dermique, il faut tenir droit dans ses vocations, avec une personne, SOI. Tout ce qui formera le tas de merde de vos restes.

     

    20.- FER-DE-LANCE Perro, le chien, 29 500h.

    Les nombres sont toujours ronds. La carte globale a disparu. Mais pas si loin. Nous les présenterions ensemble. À toi le baratin, à moi les interprétations plastiques. En contrepartie je t'encule et te sers de père. Ce département s'étend du sud-ouest au nord-est, très télégénique, de comme deux lèvres obliques pincées en leur centre, et personne n'en a rien à foutre, parce que la mort rode et que je fais ce que je veux. La notion de littérature s'effrite, comme la maréchalerie-ferrante, comme la vitraillerie. La préfecture se situe à l'étranglement, comme Mars-la-Tour.

     

    21. - FINCE, prononcer finn-se. Nous sommes dans le pénis le plus dense du pays. Les frontières y sont capricieusement découpées. Ce département correspond à la moelle de l'arbre. Il ne connaît aucune côte. Il correspond à la version la plus archaïque de ma création cartographique. Les pellicules de frontières correspondent à des hésitations. Avant, il y avait une pine et des couilles. C'était mon sexe, affirmé. J'ai dédoublé ce sexe, afin de rompre la symétrie. Ici l'intérieur et les sécrétions échouent à se tailler une voie vers l'extérieur. Les communes comptent un grand nombre d'ha-bite-ants. Elles frôlent, au nord-est, la banlieue même d'Arkhangelsk.

    Le chef-lieu, la capitale, est ZEZBUTH, et non pas Zésébutt, comme dans la version primitive. Elle compte et comptera, et pour l'éternité, 258 600h., considérable pour un petit campagnard à verge minuscule. Mais j'ai réussi à me maintenir dans cet état, parce que j'ai horreur de l'espoir.

     

    22.- FINS-BLÉGA

    Ce que veut dire Bléga est inconnu de la population. Ce n'est pas un affluent, lequel affluent se nomme "Alion"; il semblerait que cet adjectif ait à voir avec une certaine plénitude, une rotondité. Elle m'a fait sentir que j'étais vivant, je l'ai entraînée dans la maison déserte et l'ai entretenue avec une souriante sincérité. Elle a failli périr mais tout restait merveilleusement clair. Notre préfecture s'appelle GASTROM, comme gastronomie, et compte, en cette bizarre époque, 24 500 habitants. Ce sont de petits hommes noirs et des femmes boulottes, mais je ne suis jamais entré dans tout cela : tout dépend de ceux que j'ai longuement sollicités. po du cou de presqu'île, en dépit des vraisemblances géographiques. Extrême densité là encire, proximité avec les noms précédents, la capitale s'appelle BEBBUTH, ce qui se rapproche de Belzébuth, démons des mouches. "Bébébuth" était le nom de ma très tendre enfance, als das Kind Kind war. Je suis sorti du bébé à six ans, lorsque je traçais mes premiers contours côtiers au dos de ma première boîte de jeu de construction 325 500h pour ma capitale, conurbant avec ZEZBUTH. Voilà de l'érotisme et de l'exotisme. Ce n'était pas pour écouter du Mahler que j'étais monté chez toi. Pour baiser.

     

    23.- FINSDHELDAGOOST

    Le delta du Fins est prononcé "Dhelda", ð de l'islandais, écrit "eth", avec le "th" du "the" britannique. "Goost", à la flamande, ne veut rien dire. En hollandais, "ghost" veut dire "fantôme". Il est géologiquement aberrant qu'un delta envoie sa flèche vers une pointe de presqu'île, à mon que ce rivage ne soit exceptionnellement déprimé dans le sable. Pourtant, ces grouillements mal asséchés abritent une population humaine intensément dense en zone humide. Bebbuth, en terrain enfin sec, loge ses 325 500 habitants définitifs (c'est le pays des morts) au-delà d'une épaisse forêt côtière entretenue artificiellement à l'emplacement d'une plage. La péninsule pénienne se dispute entre trois département.

    Elle se dresse entre deux immenses marais deltaïques.

    Le tome premier de ces cartes s'achève sur ce territoire.

     

    Le 24. est le FRANZISKUS. Il revêt une importance capitale. La toponymie de ce vaste département découle entièrement de mon premier corps féminin. Beaucoup de filles s'appelaient Françoise, et de garçons Bernard : cela ne voulait plus rien dire, et personne ne saura plus nous reconnaître. Ces mystères m'ont profondément troublés, moins encore cependant que mes confessions ridicules. Nous couchions dans le même lit. Nos parents nous pensaient innocents. Mais il faut que je comprenne. Que je comprenne pourquoi je devais faire mes prières, dans ce lit, avant de me livrer à la débauche.

    Françoise attendait patiemment que j'eusse achevé mes prières le plus dévotement et le plus à genoux possible,ensuite, j'oubliais ma pureté, je scindais en deux mon cerveau et mon ressenti, et je m'introduisais a retro dans les voies naturelles admises, vas in idoneum. Je pensais atteindre la vessie. Vous ne savez plus à quel point l'ignorance régnait. Vous ignorez notre ignorance. Et vous ignorerez la suite. Provisoirement.

     

    25. - GIH-TAHL, désormais avec "g" dur comme "guitare, ex "Gihi" comme "Gilles". Une fente dans un plateau, désert, températures étouffantes comme en colonie de vacances, où le gros André passait la tête devant la fenêtre : "C'est fini, oui ?" - je parlais seul. On m'envoyait là une sieste sur deux, parce que j'étais celui qui avait l'air le plus con. Les autres se branlaient sous les couvertures, à la voix d'un narrateur. Je ne comprenais pas un mot de leurs saloperies. "Qu'est-ce que ça veut dire ? - Une femme". J'étais déçu. Alors, le moniteur venait, et comme les autres s'arrêtaient net, c'était moi qui me faisait virer. Il faisait chaud en 1954. Je me racontais des histoires dans ma petite chambre individuelle.

    26. GRAND-ESCART Chef-Lieu Lé-Stif, ex Lé-sur-Stif. 675 234 habitants. Énorme département, au confluent commun du Stif, de l'Agims – g dur – et du Mézielg. Un delta immense, au nord, trois cours d'eau symétriques issus des montagnes, et un petit bouquet de trois formant le fleuve central. De 4000 mètres à la mer, sur 400km, 10m au km ? Je ne sais plus ce que j'imaginais. Des voitures ultrarapides appelées "ventoréac". Des tanks appelés "pulvériseuses". Pas d'avions. Pas de vie en surface, tout le monde en collants unisexe, l'entre-jambes bien plat ne laissant rien deviner du sexe, car les cheveux longs pour hommes étaient inimaginables. Des toilettes au jet par mécaniques, des achats par distributeurs y compris des voitures, dans de grandes cages en verre.

    Tout n'était que chiffres et nombres. D'obscures mathématiques ou algorithmes régissaient mes élucubrations, les seuls sentiments étaient la guerre : domination, ou asservissement. Lé-sur-Stif, parce qu'il y en avait deux autres : sur chacun des trois fleuves, aux mêmes latitudes.

     

    27. - HALŽY [hal-ji], emprunté à l'alphabet tchèque.

    Département de la frontière sud, au creux du val de l'Obo, qui s'oriente d'est en ouest. Aucune mythologie ne vient sous-tendre cette pièce rapportée. Ce sont des ajouts d'extrêmes semaines, une rigole entre deux chaînes élevées, un chef-lieu de 17 500h plus ou moins parsemé de crottes de mouton, affligé d'une population nécessairement arabe et musulmane pas très pratiquante. Il n'y a plus de religions dans mon royaume. Comme la Lecture dans Fahrenheit, elles ont été proscrites pour crimes et instigations au crime. La petite ville crotteuse s'appelle Mukhaddiž. Elle est imprononçable.

     

    28.- HAUT-DEVIDA-DERAH Chef-lieu Jaralpur, 12 700h. Il ne manquait plus que ceux-là. Les Indiens, nommés improprement "hindous" – que c'est haut sur la carte ! Au beau milieu des deux deltas, unis par le Vattu ! qui tel le Casiquiare, unit deux bassins : du Stif et de l'Obi. Les hauteurs promises n'en sont pas, il ne s'agit que de sources sur plateau, qui sourdent au sein de vieux champs de maïs. L'écueil est de se demander ce que vous en avez bien à foutre, et de tomber dans l'abîme du sieur Carrère. Il existe en effet sur la Vraie Terre une invraisemblable infinité de formations géologiques et humaines pour se dispenser d'en échafauder d'autres.

    Cet écueil évité s'en dresse un autre, celui d'Aragon-Roi-des-Cons lamentable auteur de Blanche ou l'Oubli. Ni le lecteur en effet ni l'auteur ne semble plus savoir où se situent le vrai et le reflet, l'hologramme et l'imaginé, le lecteur se noie dans la vase emplissant le nombril de l'auteur d'un horizon à l'autre.

     

    29.- HAUT-QÎF, juste derrière le Halži ; avec un petit boudin fripé plongeant vers le nord, comme un sein de Geneviève sur la plage. Siberville n'a que 5 800 habitants. Ce que les connards du VIe

    appellent avec condescendance un "village". Même Cusset, 13 000 habitants, ils l'ont appelé "un village". Bouvard, salut. Pécuchet, salut. Vous recopiez le monde, avec enthousiasme. Un autre tourne des pieds de chaise, à l'infini. Voici donc une lourde rafale de mollards d'automne.

     

    30. - HAŽAR. JE raffole de ce "z – accent circonflexe" – qui n'est pas, justement, un accent circonflexe, mais présente un tout petit soubassement horizontal. "Chef-de-Val" : beau nom. 24 500 habitants. À l'échelle adoptée, une métropole. Avec un cinéma, une place à platanes. Je salue les humains.

     

    31. - IMBO-PENIŽAB – que vous disais-je ? faire une recherche sur l'alphabet tchèque. Déjouer les pièges du moteur de recherche. Il n'y a plus d'accès à internet ! Horreur ! Horror ! Horror ! Saviez-vous, non seulement que le bey d'Alger a une verrue sous le nez, mais encore qu'il suffit de redémarrer l'ordinateur pour rebrancher internet, pour que le clochard puisse à nouveau fellationner l'abbé ? Oui bizuth, l'abbé en personne.

     

    32. - KATHRAKTI - Sulep – 31 000 habitants. Le nom du département est à rapprocher de "cataracte". Il doit se prononcer à la démotique, en roulant l' "r" et en prononçant le "th" comme un "thêta", comme "-h" dans bath.

     

    33.- KATIMBAK – OGO – 100 000h. Cela ne se peut. Un compte aussi rond. C'est pour permettre à la population de varier dans une petite "fourchette", nous dirions "algorithme". La fin de ma planète merveilleuse et terrible commença du moment où je voulus la faire coïncider avec la "réalité réaliste" : les années coïncidèrent avec les vraies années du vrai calendrier, il ne fut plus question de vieillir de douze mois en quinze jours, et tous les habitants reçurent une injection douloureuse, avec une très longue seringue dans le bulbe rachidien.

    Le nom du département s'inspire du conflit congolais, où le Kasaï demanda son indépendance. La caatinga est une formation végétale du Nordeste do Brasil, comprenant des arbustes secs et des broussailles. Rien à voir. Tout ces départements du sud, en enfilade dans la vallée de l'Obo ("Imbo") sont des rajouts, destinés à étoffer un pays maigrelet. Ils ne remontent pas à la haute enfance. Le monde en effet, sous la pression de la Raison, s'est figé, statistiqué, réduit en colonnes de chiffres.

     

    34. - KVILLAERT, à prononcer cette fois selon le flamand, où n'existe presque pas, à ma connaissance, de séquence "-kv-". Ce que je viens de vérifier. Chef-lieu : Kvillaertsen, 40000h. Ce département suit immédiatement le KATINKA dans la fameuse vallée de l'Imbo, juste à l'ouest. Nous passons ainsi des tribus congolaises aux tribus néerlandophones. Nous avons voulu, avant la lettre, accueillir la population la plus diverse possible, sans tenir compte des frictions envisageables. Une telle société ne peut subsister que sous un régime particulièrement lourd. Ne pas oublier que la lettre "e" suivant une voyelle prolonge ladite voyelle :"Kvil-laart", "Kvli-laar-tsen". Merci...

    35. - LÉ-DUMM, à prononcer comme dumm, "sot, crétin" en allemand : "doumm". Mon patronyme, commençant par "coll-", donne évidemment "dumm-" en code djung-go. Le chef-lieu s'appelle également Lé-Dumm, affligé de 120 000h, ce qui est peu. Se souvenir que les métropoles de cette population éraient déjà considérables en 1958, date de la Grande Rupture Marocaine. Lé-Dumm se situe au point de jonction des 4 torrents qui forment le Stif, lequel à son tour partage notre royaume constitutionnel en deux parts égales, à l'est, et à l'ouest. Poussière effrayante. Le département présente la forme dysharmonieuse d'un grand légume anguleux tout couché au piémont du Flaggafrag, point culminant, le mont Stif (évidemment) : 4324m.

     

    36.- MÉZIELG – Chef-lieu : Ipsom-Plateau, 11 500h, "petit village" à l'échelle des élites qui nous gouvernent. Ce département jaune citrouille pèse sur le ventre du Lé-Dumm, et se recommande par son extrême pauvreté. Aucune agglomération plus forte n'a pu être découverte sur ces plateaux déshérités. Le plus stupéfiant est la présence du Mézielg sur les moteurs de recherche. Une illustration représente la place de Charleville. Les références à ce département imaginaire n'y renvoient nullement, mais à d'autres textes mineures qui errent, de çà de là, sur nos propres toiles.

     

    37.- MILITZIA chef-lieu ARKINGO, 988 500h. Militsia, c'est aussi l'épouse jambes-en-l'air d'un bibliothécaire, dans Le jeu des parallèles, en vente nulle part. J'avais inventé une seule presqu'île, au centre de la côté. Ce qui reproduisait, très exactement, une bite de pissotière, avec les douilles qui pencouillent. D'où mes deux crocs moustousses et parallèles, entre lesquels se jette le Stif, comme un drain vaginal. Ce département est pourri par une interminable banlieue résidentielle. Il comporte beaucoup de casernes.

     

    38. - MINENKRÄS, "Minenkreis" en allemand, chef-lieu "Biz-Minen", tout à fait au sud-est, où la densité n'est pas terrible, un département tout teint en gris, sur lequel je crains qu'il n'y ait pas grand-chose à dire tout compte fait. Le chef-lieu fait 102 000h tout de même, on doit s'y faire chier comme des rats morts.

     

    39 .- MOKHID-ALLURAM, chef-lieu Debbas, 17 500h., juste au-dessus du confluent de la Dinna. Les commentaires se font de plus en plus superflus. Quels pays devais-je imaginer ? Des années 60? Même hygiène, même mortalité ? Mêmes problèmes aujourd'hui  dépassés ? "Alluram", c'est le plateau à côté de Beden, un petit massif de 500 à 1000m. Le reste du répertoire nous dispensera désormais, sauf erreur, de l'accompagnement comparatoriel. Sur la carte, des surcharges témoignent, à présent, que tous les numéros ont été décalés. Préparez-vous à présent à plonger dans le répertoriage absolu.

    Si les critères changent, si les réseaux sociaux réels ou virtuels veulent s'emparer de nos nullités hagardes, elles seront portées au pinacle. Il me vient à présent une quantité considérable de banalités bouffies. Alors on se prend son tuba et ses grosses palmes en plastiques, et on s'enfonce :

     

    40.- NÔR-GIH, chef-lieu Brunst, 24 500h. Au nord du plateau ouest, que les chaleurs dévastent. Toujours ces petites villes considérées comme modèle d'urbanisme ou mieux d'urbitude.

     

    41. - ÓGHONA, Gazúl, 42 700h, ce qui était déjà considéré comme une assez grosse agglomération, du temps où l'humanité n'était pas encore enfuie des éprouvettes. Les dinosaures lettrés ont repéré l'autrice du Théâtre de Clara Gazul avec un accent aigu très espagnol, paru en 1825, et La Guzla de la folle (1827), le premier titre de Prosper Mérimée, le second vraisemblablement ("poésie illyrique" pour "lyrique", et "Gazul" pour "Gazouille"...)

    Sacré Prosper;

     

    42. - OOST-ŠÖMALAND, ce qui sonne tout de même autrement que "Chomanie", appellation primitive. Le chef-lieu conserve toutefois son appellation pataude "Chomany" (95 800h – ah tout de même). L'imagination toponymique des enfants n'est pas nécessairement originale.

     

    43.- ORIGEN, de "Origine" ; ce nom provient des derniers raccordement toponymique. C'est l'un des tout premiers noms attribués par l'enfant. Le chef-lieu s'appelle PÊTH-DANNÉ où la prononciation périgourdine permet de retrouver "Pète-dans-le-nez", digne en effet d'un enfant de six ans : un dénommé Ponsard s'asseyai le trou du cul sur mon nez, pétant sur ma demande. L'anus était violet et feuilleté comme un intérieur d'artichaut. L'enfant est un pervers polymorphe. Aucun rapport avec le François du même nom, auteur dramatique joué par Rachel ("Félix") à l'Odéon, qui fut l'inspiratrice de Sarah Bernhardt.

    Ce qui nous change des trous du cul. 118 000h pour le chef-lieu, énorme pour l'époque.

     

    44. - OŠMA , d'une racine se rapportant à l'odeur ("riz basmati"). Comprend un lac vulvaire à l pointe orientale duquel se niche le trou d'Otnö, qui atteindra, à notre mort, 21 000h. Cette contrée sera vouée au tourisme (et non pas "dédiée", bande d'assassins de la langue française).

     

    45. - PERA, en poire comme son nom l'indique, avec mon lieu de naissance, MÉZY? 75 110h tout de même. Tout le velouté du flanc ouest épouse le cours du Pêth, inharmonieux et renommé Qîf, avec la vélaire de l'arabe ("qelb").Sans doute en ces endroits réunirons-nous les lieux de notre enfance, à présent que nos vies, privées de tout déménagement, ressemblent de plus en plus au tremplin des jeux olympiques d'Innsbruck ( 1964, 1976) avec envol vers l'inconnu ou le raplatissage à 150kmh. Ce département porta quelque temps le numéro 44 bis, jusqu'à ce que je m'aperçusse de l'ineptie totale de cette disposition.

     

    46. PETROLEUM chef-lieu Džago, 585 600 habitants. Là au moins, une métropole digne des productions du sous-sol. Tient au lac Sans-Frantzka.

     

    47. POKKARUM , chef-lieu Furtras, 16 900h. Tout à fait au sud-ouest, dépassant la verticale d'occident. Porte le numéro maléfique devant marquer notre fin de vie. Les 47 ans sont passés, les 74 aussi, méfions-nous des 94 qui en sont le double, et souhaitons que ce soit un numéro d'année, ce qu'on appelle un "millésime". "103 ans" me semble correct pour l'instant.

     

    48. POLNARIEVA chef-lieu bien évidemment Polnareff avec 105 000h ce qui est honorable. Ce nom me valut un regard non pas de mépris, mais de remise à sa (prétendue) place de la part d'un Raisonnable, qui demandait sournoisement "si cela faisait longtemps que j'avais dessiné cettte carte". Si. Très longtemps. Aussi loin que mon Cerveau-Vif. Mais rien ne se perd plus aisément que les monuments sacrés. Dans l'oubli de ce coin d'Arkhangelsk, j'avais résolu de rendre hommage au plus grand précurseur des tempêtes à venir : Michel Polnareff, à présent stérile et ventripotent, et ne disant plus que des conneries ou banalités. Rien de plus terrible dans le contexte que ces artistes dont la voix, dont la mélodie, dont la conduite vous transportait tout transfiguré au septième ciel des voluptés post-adolescente, se mettre à répondre aux journalistes des incongruités de Monsieur Tout-le-Monde : il sont rasés, tondus, moches à dégueuler (pas lui ; pas Polnareff) et ne savent rien dire de plus que "Ah ouais, on s'est bien marré, on a bu et tiré de bons coups, ah ouais on était tous potes qu'est-ce qu'on a pris not' pied" – par pitié.

    Par pitié taisez-vous. Respectez-vous, respectez-nous. Ce n'étaient pas des "folies de jeunesse", des "conneries de rigolos", mais c'était nos arcs-en-ciels, nos poudres magiques, nos ascenseurs express vers des envolées fondatrices, dont vous n'étiez que les vulgaires et inconscients instruments. Sur scène, vous vous êtes marrés. Nous, on dérivait d'orgasme en orgasme. Par pitié, silence. Vos symphonies planent dans l'éternel. Que nous ne sentions pas l'odeur de vos pieds. Polnareff interviewé renseignera sur tout ce que l'on veut savoir, date de concert, circonstances de composition, mais ne nous restituera aucune extase, aucun coup de glotte ou yodle, et l'on a remastérisé La poupée qui dit non, pour laquelle j'ai dansé contre les murs, le long des murs, eu haut des murs, seul dans ma thurne de pion, en écoutant ma vie, mes espoirs, mes propres souffrances et frustrations, magnifiées, sublimées, rachetées par quatre simple accords de guitare et la voix de l'Ange.

     

    49. PRINGRÄS chef-lieu ARKHANGELSK 2 988 800 h. Et non pas, plus jamais, Arkhangelt, graphie conformiste. Voyez l'enfant cartographe : il s'imagine les adultes, lui objectant pleins d'ironie (les adultes sont pleins d'ironie) que la ville d'Arkhangelsk existe bel et bien, au bord de la mer Blanche ; qu'elle compte plus de 345 000 habitants ; qu'elle abrite, dans telle bande dessinée, une base sous-marine dissimulée sous les glaces. Donc, l'enfant modifie l'orthographe, et devenu lui-même adulte, s'estime lâche, et rétablit la seule véritable orthographe : la Ville de l'Archange, Arkhangelsk. Il dcouvre aussi que toute la géographie élaborée jadis ne fait que reprendre la carte du monde : un pays de l'ouest reprend l'Angleterre, un pays de nord le Groënland.

    Il ne désirait pas concurrencer, fuir le monde afin de s'évader, de créer, mais se réapproprier sa propre géographie pour convaincre les adultes que lui aussi leur était semblable. Simplement ce royaume, "le Royaume d'Arkhangelsk", avait été descendu au 44e parallèle, en zone tempérée. On y vivait dans des souterrains, tandis qu'en surface régnait l'agriculture et la guerre. L'Enfant-Chef participait aux opérations, sous le règne de Michel Drapeau, cinquième ou sixième du nom. Si le Royaume d'Arkhangelsk avait rop différé du vrai, de la terre ferme, jamais les parents n'auraient pu accepter le Grand Dissident.

    Telle est la leçon à tirer des Évasions d'Enfant.

     

    De même le PRÜTZPOKH : ce département se décompose en "Prusse" et "Poche". Une poche de Prusse ou de pus accrochée tardivement au Dobol, de dialecte alsacien. Question de rattachement administratif, après un long contentieux. Arkhangelsk revendique une autre annexion vers le sud ; ce territoire est quadrillé, il est "en litige". Son nom ressemle à ce qui existe : "Mais si ! Cela existe ! Comme autrefois la Prusse Orientale, en pluspetit, en moins voyant, acceptez-moi, juste une révolte conformiste, juste pour être accepté, avec ma petite différence" ! Chef-lieu : Schachtheim, "le pays du regard". 43 200h.

     

    51.- QÎF-BOKL : autre département frontalier, "La Boucle du Pêt". Un fleuve ne peut pas s'appeler le "Pet", même avec un accent circonflexe. On nous objectera le Prut [prout] formant frontière en Moldavie, mais P-e-t ne s'admettra qu'en transposition djoungo, soit q – i – v. Le "v" vire en "f" en fin de mot, le "q" se prononce comme l'arabe "qalb", le cœur, pzrticulièrement difficile à prononcer avec la lettre "i", surtout agrmentée d'un accent circonflexe. Ces efforts pathétiques permettent à grand-peine d'échapper aux pitoyables obscénités caca-prout des chiards. "Bokl" sera "la boucle".

    Eh bien si. Le chef-lieu s'appelle CHARLEMINVIN. Nous commencerons par l'orthographier plus ou moins phonétiquement, ŠARLEMÊNVÊN, le circonflexe tenant lieu de tilde.

     

    52.- RAABAM. Vérifions. Raabam en hébreu : « leur faim ». Aucun rapport. Prendre une photo. Erreur de stylo qui glisse, proportions retouchée. Dernier territoire annexé, à peine appartenant à mon peuple, qui n’a pas de langue, formé de tous les peuples de la planète, et patriotiquement, nationalistement soudé par des combats absurdes pour le seul plaisir des combats. Détaché sans conviction, comme un cagassou de la merde qui tombe en plein air. Chacun garde sa langue et sa musique, se plie à la vie souterraine, avec mission de tir à vue sur toute vermine hantant la surface.

    La seule région peut-être à conserver son propre dialecte, qui ne s’apparente à aucun autre. Le chef-lieu est QÉTIB, avec un qâf, prononçable par le seul contact du rond de langue avec le voile. 21 000 habitants habitent là, sans liens avec rien.

     

    53.- SAMON sans nasalisation. Mon pays s’étend là, sans plus de réalité, en dépit du beau nom de sa préfecture, ESCORTELING, 30 000, ce qui laisse le temps à l’accroissement. Mes cités, mes campagnes asphyxiées de pesticide, sont aussi vivantes et palpitantes que les Capucins de Palerme. Seigneur dépouillez-nous de nos débris humains, sourires démoniaques et autres fariboles dentelières. Dans « nos », je lis « os ». Nous vivons au bord du Biétek, sans vie, sans eau, dans l’herbe rase et l’orge, film arrêté sur image, gris clair émigré jusque sur nos visages, raides chacun comme un os. Ne regardez pas le passé, voyez toujours vers l’avant. L’avant est un butoir. Examinez bien sur le butoir les giclements de cervelle écrasée.

    Je ne sais plus ce qu’il y a là-bas. Un vaste cimetière tenant toute la ville. En surface, à côté. Tous les commerces ont fermé. Les tôles battent. Mon pays. Bariolé de teintes pâles. Au moment de mourir ne revenez pas. N’y revenez pas.

     

    54. - SANT-RAMON

    Vérifions. 487 habitants. Aucune rubrique. Près de Lérida, en haute Catalogne. Chez moi, 101 000. Belle métropole, rattachée su réel au ciel par un seul pédoncule, tige sacrifiée de champignon. Très, très vaste région en section de cimetière, fertile terreau poussant sa racine dans la chair des morts, pays décalqué, disséqué, ucune activité industrielle ou autre. Quand j’eus abandonné mon pays, réalisé les visions de mes rêves, d’abord je réduisis la duré de mes années, puis tout se résolut en calendrier de chez nous, bien exact, avec de vrais jours et de vrais parents, interminables.

    Ville comme un énorme bourg catalan écrasé d’été, l’orgue qui brâme dans ma voix. Dehors, les paysans enfin rendus dans leur retraite, en pantalons soignement repassés du pli, qui n’ont rien entendu de ma retentissante improvision.

     

    55. - SÉREK, chef-lieu GOVIL, 14 500 habitants, ce que les Parisiens de Paris appellent «un village ». Mon Dieu les Cons. Juste de quoi errer en rond. Un département tourmenté, harmonieusement découpé en tête de chien ou monstre, où soufflent les prairies sous le vent. Tout descend, rien n’arrête le roulement du regard. Ce serait un trop vaste versant, des animaux morts ou absents, avant l’apparition de l’homme ou des pré-singes. L’heure dévalera les longs versants.

     

  • Carré de dames N

    C O L L I G N O N

    C A R R É D E D A M E S

    AUTEURS DE MERDE

     

    - Watson's international Encyclopedy...

    - Tell on... exciting... - la vieille femme se rengorge.

    Le représentant se redresse, trapu, les mains bien à plat sur la table :

    "Décidées ?

    - Oui, dit-elle.

    - Un petit verre ? dit l'autre vieille.

    Elles boivent d'un trait :

    - Du porto.

    - Et du bon."

    De la première l'homme ne voit que le nez : une arête, irrégulière ; l'autre, Gretel, ridée comme un vitrail au soleil couchant. Le petit représentant se méfie : une fois de plus, on le fait boire. Le porto l'écœure, l'estomac lui brûle. Sa tête tourne. Les vieilles tiennent le coup. Elles sont à présent rouge sombre, en étau ; il s'écarte :

    "L'Encyclopédie Watson, chef-d'œuvre de la rigueur anglo-saxonne...

    - Aryenne.

    Il sursaute.

    "Vous n'êtes pas spécialement nordique, n'est-ce pas ?

    - Non, de Nice.

    - Arabe ?

    - Tout de même pas.

    Le jour qui baisse. Sur un fauteuil un tas de couvertures qui somnole. Au-dessus du Niçois passe un dessous d'escalier tournant dans la pénombre.

    "Où va cet escalier ?

    - Porto ? dit Jeanne.

    Le goulot tinte. Le représentant brun pose la main sur son volume :

    "C'est toute une somme. De tout ce qu'on peut savoir.

    - Encore un ? - ...je peux finir ? - ...la bouteille ? - ...ma phrase ?

    - Nous n'avons pas besoin d'encyclopédie.

    - Nous sommes l'Encyclopédie.

    - Vous ne savez pas tout ! ...Tout est là !" Il désigne son livre.

    - Dô héne, là-dedans ? reprend Gretel en son dialecte- l'homme empoigne la bouteille et la vide en

    roulant des yeux. Alors l'âtre s'illumine. Dans un crépitement surgit du feu la forme accroupie d'une femme en noire activant le soufflet : Je ne suis pas d'accord dit-elle - c'est Marciau, 140 cm. La mâchoire de Jeanne s'éclaire par-dessous 'un coup, la peau ridée de Gretel vire au mauve et l'escalier jette une lueur mauvaise : je n'achète pas l'Encyclopédie Watson. Elle tient sa pelle à feu toute droite. L'homme prend les autres à témoin

    "Vous étiez d'accord, vous deux ; ça fait trois quarts d'heure qu'on discute.

    Gretel répète trois quarts d'heure. L'homme titube dans l'éclair des flammes, heurte le tas de couverture.

    LE TAS : Aïe !

    L'HOMME, apoplectique : Y a quelqu'un ?

    Le tas répond bien sûr imbécile. L'homme revient sur ses pas, solennel. Il se masse le front et le genou : "Savez-vous bien - voix grave - ce que c'est qu'un imbécile ?

    - Rekarte ta klace répond Gretel. Jeanne rectifie ta glace. - Je ne vois pas de miroir ici. - Pas besoin dit-elle. Ti d'ann autô chrêsoïmetha ; dit la couverture Ce que vous en feriez ? répond-il "Ô courte sagesse, ô sexe imbécile et faible ! c'est bien folie de courir aux miroirs- mais bien plus grande encore de les briser – celle-ci est de moi.

    - Proxima mors mox auferet nos dit Jeanne au long nez.

    - Sind wir noch immer Frauen ? demande en allemand la Naine à la pelle - sommes-nous encore des femmes ?

    L'homme les considère dans le jeu des flammes, et lorsqu'il se rassoit ses articulation craquent nettement. Pas de pitié dit-il à haute voix. "La vieillesse la plus décrépite et l'enfance la plus imbécile courent à la mort comme à l'honneur du triomphe"

    - CREVE dit l'infirme

    - Du Bossuet, Mesdames.

    - Sur l'exaltation de la croix, Premier sermon.

    - Je sais dit l'homme.

    - Bossuet pue du cul dit Jeanne.

    L'homme tire vivement j'ai là aussi de sa mallette une estampe qu'il étale et lisse d'un revers de main, puis se recule vivement – toutes se regroupent autour du parchemin où se distinguent une

    faux, un reflet de flamme une mitre dit Soupov en roulant son fauteuil, d'archevêque – "...avec un texte en vers" ajoute l'homme je ne vois rien dit la Naine. Le représentant tourne le commutateur mais les têtes se tournent, réprobatrices. La Soupov sur son siège frémit du menton, le feu pâlit, l'homme les dévisage : C'est l'estampe et non mois, Mesdames, qu'il faut examiner.

    - Vous nous avez bien toutes examinées ? bien désossées ? dit la grosse assise. L'homme se tire le pantalon et se carre sur sa chaise : "La gravure" (ton didactique) "a pour titre Der Tod und der Tor" (on distingue en effet, dans la manière de Dürer, un évêque siégeant, la mitre en bonnet d'âne, disputant avec la Mort une partie d'échecs. La Mort s'y tient debout sous forme d'écorché ou de transi, l'immense faux juste au-dessus de la mitre ; à son pagne déchiqueté pend une riche aumônière, vers laquelle, par-dessous la table, l'ecclésiastique allonge une main gantée toute garnie de bagues).

    "Voyez comme il sourit, l'homme d'Eglise, tant il est sûr que s'il est un écu à gagner, l'imbécile l'emportera sur le philosophe – mais dans les plis des yeux, et du menton, observez bien les stigmates de la sottise" - la Naine répond que tout dépend de la façon dont on tourne l'œil – "mais l'Evêque a tort, la Mort étend le bras" - "mat à l'étouffée coupe la Naine : Cavalier noir f7". Au bas de l'estampe deux quatrains gothiques, en moyen français, l'autre en haut-allemand :

     

    Cil cuyde engeigner la Mort

    Par luy desrobber sa bource -

    L'inbecille doubte encor

    Sil a terminé sa course.

    La Naine ensuite lit à haute voix, sans la moindre hésitation, le quatrain symétrique en Neuhochdeutsch. "Il s'en est fallu de peu, ajoute l'homme, que cette estampe n'ait brûlé, dans l'incendie de St-Léger (Sankt Leodegar)- à Lucerne (1633) - voyez ces traces rousses...

    - ...Vous y étiez...

    - ...observez également – il place la feuille à contre flamme - ces minuscules coups d'épingle sur la Faux – et sur l'Echiquier : signe de croix.

    - Conjuration, dit Jeanne.

    - Exorcisme, rectifie le représentant : ADONAI , IEVE , TSEBAOUTH , O PERE SUPREME DU CIEL ET DE LA TERRE...

    - Ta gueule.

    Sans sursauter l'homme tient la gravure immobile. Jeanne repère d'autres écorchures "sur la tranche, à gauche" – la Naine insinue la thèse d'un arrachage crapuleux très récent.

    Jeanne distingue entre les lignes quelques traces en caroline minuscule – Palimpseste tranche le représentant. "Comment diable" hargne la Naine "cette gravure est-elle en votre possession ?" Le représentant niçois invoque l'autorité du Second Cosmopolite alchimiste Sendivogius : "...transmission au Nonce apostolique moyennant fortes indulgences – ce qui se négocie bien plus cher d'habitude – puis passage par Henri-Jules de Bourbon-Condé - jusqu'au grand David d'Angers – post Revolutionem rerum - je dispose aussi par d'ailleurs" ajoute-t-il "d'une importante fortune personnelle - écoutez cette étrange anecdote :

    "Le 5 thermidor An II – quatre jours avant la chute de l'Incorruptible – un chevalier de Pierrefonds jouant aux Echecs s'aperçut que la main de son partenaire, posée sur un fou devant lui, n'était plus qu'un infect assemblage d'os et de tendons. Levant ses yeux horrifiés, il vit que son adversaire avait pris l'aspect d'une momie suintante. Dans le sursaut qu'il fit, l'échiquier se renversa ; par-dessous se trouvait cette gravure. Il ne se rappelait pas l'avoir jamais possédée, ni aucun autre de son lignage – et nul de ses gens ne put dire qui l'avait placée là. Le chevalier s'enfuit sur-le-champ pour l'émigration sans avoir pu réunir ses biens, jusqu'au fin fond de l'Angleterre, et n'en revint jamais.

    "L'écorché s'était éclipsé par une autre issue, laissant derrière lui une infecte pestilence. Les domestiques assurèrent plus tard que dans la venelle où il s'échappa, l'homme avait repris son aspect naturel, la perruque juste un peu de travers. Il s'appelait Jen de Fourquet, et c'était lui que l'Accusateur Public avait envoyé arrêter le chevalier..."

    L'auditoire hoche la tête. Mais l'homme demande trop cher de sa gravure. Qui reste sur la table, à demi-enroulée, embarrassante. Il proteste que les enchères sont montées très haut et qu'il ne compte pas la laisser pour rien. Il se carre sur sa chaise, étend les jambes. Jeanne lui demande si c'est bien "[sa] compagnie" qui le charge de vendre une telle œuvre. Certains de mes confrères précise-t-il gravement - Gretel marmonne Sorcier de pacotille et le représentant, imperturbable, déclare ex abrupto que [ses] pensées ont pris un autre cours.

    Marciau double ses lunettes d'une loupe et scrute la gravure qu'elle s'est appropriée. De sa poche marsupiale elle tire un crayon, du papier pour prendre des notes. Soupov sur son fauteuil se signe précipitamment à l'orthodoxe et laisse retomber sa main. Gretel bâille. L'homme éternue soudain, sursaute, quelle heure est-il ? - Huit heures et demie dit l'infirme. La Naine renchérit ça fait tard sans lever les yeux de sa feuille. Gretel : Ma montre est arrêtée – Un effet de la gravure sans doute? - je plaisante... - ...moi j'ai faim dit Gretel - Vous pourriez m'inviter à dîner." Grimace : on n'a pas de chambre. Pesante et contrariée Soupov lève le bras, fixant tour à tour les trois autres : "Je suis ici chez moi. Qu'il partage le dîner. Soirée gaufres." L'homme s'incline. Soupov roule sa chaise vers l'âtre et la table, face à lui, où les lueurs croisées du feu et du plafonnier révèlent d'un coup ses joues lunaires.

    Les trois autres se lèvent. Marciau, sur la pointe des pieds, place en équilibre la gravure sur ses deux volutes. Soupov demande à l'homme s'il est attendu chez lui : Vous ne m'attendiez pas non plus ,e suppose. Jeanne au long nez passe les plats : "Pour Azraël – Je ne suis pas l'ange Azraël" - "Dieu aide". L'homme ouvre les bras, souriant, complet prune et cravate à pois : Ma tenue n'est pas très protocolaire et Jeanne cligne de l'oeil. Gretel balance les couverts qui cliquètent. Soupov tourne le cou d'un air réprobateur - vous êtes vraiment représentant de commerce ? allez- soyez gentil - montrez-nous votre carte !

    L'homme se met à rire et se fouille en vain vous auriez pu ôter mes dicos de la table tout de même - il les replace lui-même dans sa mallette. La Soupov se signe précipitamment sous sa serviette. Jeanne : Vous êtes juste en face de la patronne. - Je n'avais pas l'intention de changer de place. Gretel hausse l'épaule. Soupov incline avec grâce ses deux mentons. La Naine allume deux chandelles de part et d'autre de l'estampe à la façon d'un tabernacle ; L'homme inspecte la gravure, le rictus de la Naine, à nouveau la gravure : des profils. Devant lui deux cierges en enfilade vacillant devant le feu. Au fond à contre-jour la tête renfrognée de Soupov j'en veux pas de ce machin.

    L'homme se soulève en biais pour vérifier, bien en face, le filigrane ou "marque d'eau". Touche du coude le sein de Jeanne qui pouffe en le servant puis réteint le plafonnier. Les quatre femmes et l'homme éclairés par dessous, sinistres. L'infirme penchée à gauche tourne dans un cadre un gaufrier antique plein de pâte au-dessus de la flamme : deux plaques de fonte dans les étincelles. Juste à sa droite Gretel en embuscade pique tout ce qu'elle peut dans la pile de gaufres au ras de l'assiette ; la gnomide fait circuler le plat Et le rhum ? râle Gretel entre ses gencives. - Devant toi. Tu ne la vois déjà plus. Après tout ton Porto ! - j'ai caché le magnum" souffle Jeanne à l'oreille de l'homme. Gretel renverse l'alcool au-dessus de sa gueule édentée : "Encore un gorgeon... - Permettez-moi de vous faire observer" s'enhardit le représentant "que vous avez mis le pouce sur l'embouchure." Gretel se vexe.

    Attention dit Jeanne elle est bien partie méfiez-vous. - Une bouteille dans la gueule c'est vite parti – Laissez-la tranquille intervient la Naine en ôtant la grosse fiole des mains de la vieille qui se rabat, décicément, sur les gaufres Le dernier représentant qu'on a eu dit Gretel la bouche pleine on l'a violé. Marciau confirme : On a bien rigolé. "Il courait dans tous les sens dit Soupov il ne trouvait plus la porte : "Bon-alors-écoutez-moi-bien-j'ai compris- v'là tous les papiers-je-me-tire -foutez de ma gueule - plus vous voir plus vous entendre- où c'est la porte – au plaisir – du balai"

    Jeanne mime la scène, entasse tout dans une forme de mallette et roule des yeux de dément – Soupov s'effondre sur ses seins, Gretel se plie au ras des flammes. La Naine, enfouie dans une gaufre, pouffe comme un édredon qu'on tape. Il en a oublié sa camelote! - Pardon : deux paquets d'échantillons 45t. Linguaradio dit le Représentant. Les quatre vieilles se regardent, ahuries : "Comment savez-vous ça ? - Bien fait dit Gretel ; d'abord moi j'aime pas les Arabes. - Pas Arabe ; Niçois. - Lui aussi ? - C'est pareil, au sud de la Loire, c'est tous des nègres. - Tu sais ce qu'ils te disent, au sud de la Loire ? Est-ce que tu le sais ?

    Arrête de jouer les Ray Charles, pose ta fiole et laisse-moi des gaufres nom de Dieu ! - Y a pas de cidre ? - la grande Jeanne disparaît dans une espèce de resserre d'où elle ressort avec trois litres de brut c'est pour vous - A votre blace dit Gretel je me méfierais elle a l'air vachement partie, un partout. L'homme engloutit le cidre et les gaufres : "Vous mangez toujours ensemble ici ? - la bouche pleine – vous avez de bonnes alloc, non ? Marciau à ras de table fixe l'estampe et la retourne – soudain - la vision se détache, à l'envers, saisissante, en gros traits noirs sur le grain de feuille : la mitre se met à trembler, la bourse oscille au bout de son cordon, la mort joue des mâchoires. La faux s'agite - la Naine alors cligne de l'œil et tourne l'image sous le goître de Soupov, qui sursaute. Le Représentant ne désarme pas, cherche entre les quatre vieilles un lien, une onde, quelque chose - ...entre nous deux complète Jeanne. Gretel : Vous voulez qu'on parle de cul ? - Cuve et tais-toi dit Soupov (hautaine, tournée vers l'homme) nous parlerons de cul si Monsieur le désire. - A propos dit l'homme pas de visites ? - Comment, "à propos" ?s'indigne-t-elle. Le représentant s'embarrasse, le gaufrier tourne et grince sur ses tringles dans un bruit d'armure, Jeanne mâche bouche ouverte et depuis quand vous connaissez-vous ? - Bien assez longtemps fait Soupov très morne. - C'est pour moi ça ? c'est moi qui t'emmerde ?" mais l'homme repère un long regard de biais coulis vers la Marciau qui s'est bien gardée de souffler mot.

    Il se frotte les mains pour ôter quelques grains de sucre. "En tout cas dit Jeanne c'est nous qui nous sommes connues les premières. - C'est nous qu'on s'est connues rectifie Marciau. "Pardon" intervient Soupov, j'ai connu Gretel avant toi. Petites annonces complète la Mulhousienne - Soupov précise : "Pour aide ménagère" – Na ja ! soupire l'autre, et dans ce long soupir passent des kyrielles de serpillières et de seaux hygiéniques ; de gants sous les aisselles et le long des seins gras. Il faut avouer récite Jeanne que vous eussiez été tout ébaubis d'apercevoir notre future amie vêtue de satin noir et chapeautée, tricot en bataille, épiant les ébats des danseurs et seuses, battant de sa pantoufle le tempo d'un baïon. Quelle aventure cherchait-elle en ces lieux ?

    - Qu'est-ce que tu y foutais toi-même ?

    - But artistique.

    - La chasse aux vieux tableaux ?

    - J'observais, dit Jeanne, solennelle.

    - Qu'est-ce que j'avais de si observable ? dit Gretel.

    - Il émanait de cette femme un je ne sais quoi...

    - On le saura que t'as été gouine. Moi aussi, mais che le crie pas sur les toits."

    Jeanne prend les autres à témoin : "Je n'ai jamais parlé de ça. Si je t'ai observée, c'est que tu correspondais exactement au type de petite vieille...

    - "Petite vieille ! petite vieille ! t'avais qu'à te regarder, eh, cadavre !

    - A soixante-douze ans on n'est pas vieux, dit la Soupov, conciliante, retournant ses gaufres.

    - Je me serais sentie flattée de servir de modèle.

    Gretel, 83 ans : "Et avant de passer, la Soupov, tu vas me les payer, ces trois derniers mois de soins ?

    Soupov, exorbitée : "Et les gaufres ? Et ton couvert à l'œil ? Et ta copine que tu as ramenée ? (sans laisser à Jeanne le temps de protester) – et la Marciau, là, est-ce que je lui ai demandé de s'installer ici ? oh, tu en sors, de tes mots croisés quand je te parle?

    - On peut toutes se tirer, si tu veux ! tu crèveras sur ton fauteuil ! - Je suis de trop, peut-être ? susurre le Représentant, extatique. La Soupov s'étouffe dans une quinte de toux : des chocs profonds et sourds en ondes mamellaires gélatineuses, tandis que la louche dégouline sur les plaques de fonte. Gretel en titubant la redresse elle se laisserait bien crever ! Marciau la Naine rassoit l'ivrogne et Soupov se rétablit seule en soufflant, l'œil égaré, puis reprend sa tâche sans mot dire.

    Marciau roule la gravure et la pose à côté de son assiette. Jeanne grignote une croûte froide du bout de ses dents de cheval. La Naine se remet à ses mots croisés en se tamponnant le front. La fumée retombe en pendeloques aux angles du plafond. Vous avez la télé ici ? - Derrière vous." Le représentant se tourne. "On n'a jamais envie de l'allumer. - Parle pour toi ! - Je la supporte dit Soupov." L'homme se lève et tourne le bouton. Je me demande ce que vous pouvez voir dans cette fumée. Un ronronnement très fort. Pas de son. À l'écran des boyaux rougeâtres entrelardés de gras – Emission Médicale – Gretel s'envoie une gorgée de rhum ; la Naine lui arrache la bouteille. "Changez de chaîne pour voir ?" - même image, ronronnement plus aigre Curieux ces traces de rouge dans le noir et blanc – l'appareil s'éteint de lui-même. Le représentant coupe le contact, se rassoit, bouffe une gaufre.

    ...S'il y a des disques, ou la radio. "Nous avons un disque. - Un requiem ? - A nos âges, vous êtes fou ? - Oui." Jeanne minaude : "Ce sont des extraits d'opéras. Léon Escalaïs, ténor, très rare - tourne-disque en panne. Marciau se dresse pour placer, finalement, la gravure, sur le manteau de la cheminée. L'homme gonfle les joues en soupirant. Dit que ça sent bon ici. D'habitude chez les vieux ça pue. Chante la pendule d'argent – qui ronronne au salon... – Je ne supporte pas les pendules coupe Soupov. Le Niçois passe la main sur son cou, répète c'est étouffant - vraiment étouffant.

    - Nous avons une fenêtre, tout de même ! - Seulement on ne l'ouvre pas. - Trop froid dehors dit la Naine, et Gretel : C'est bien toi qui es venu ici tout seul ? - Moi je lis" dit Jeanne et Soupov "Je tricote", et la Naine "Je pense". C'est pas marrant dit le représentant. - Les mots croisés c'est bien, répond Marciau ; comme un échiquier, en mieux : le labyrinthe, la conquête - tenez : combien de définitions pour – elle fixe l'homme à travers ses lunettes - "désir" ?

    - Il peut être inconstant, ferme, fugitif. Ardent.

    - Aveugle, dit Soupov.

    Jeanne : "Exclusif, excessif" - Impétueux, crie Gretel. Soupov propose "physique, refoulé". L'homme se prend au jeu : "Satisfait" - On l'avive, dit Jeanne. Soupov précise qu'on le fouette, Marciau la Naine parle de le borner, de l'éteindre.

    "Il naît", reprend l'homme. Je veux le confort et la gloire déclame Jeanne. "Moi Gretel darde ses yeux ivres. "Deux verticalement : "on s'essouffle à sa poursuite", sept lettres – orgasme évidemment ! - ça ne colle pas. Gr

    - Si, dit l'homme.

    La Soupov rit à grands coups d'asthme.

    - "Poisson gadidé" en sept lettres ?

    - "Bonheur" ?

    - Monsieur retarde d'une définition.

    - Je ne peux tout de même pas savoir par cœur... voulez-vous lâcher ça ? - lâchez ça tout de suite ou j'appelle la police ! Mesdames je vous prie ! Mesdames !

    - ...Rends-lui son Tome II tu vois bien qu'il va pleurer." Jeanne rend le volume. La Naine saute au feu, pivote en présentant son tisonnier : "Vous avez dit combien, pour les mensualités ? - Soixante francs halète l'homme - ...et caroncules myrtiformes ça y figure dans votre machin ? hymen, cul ? - ...les grands mots soupire Jeanne.

    - Evidemment dit l'homme : champ lexical médical, historique, physique...

    - C'est trop ! - ...comment, "trop" ? - ...les 60 francs.

    - Soupov, ne commence pas à marchander.

    - ...Gretel, bouscule ton vieux : sous le traversin à droite...

    Le représentant siffle le fond du litre :

    "Parfait, mesdames, parfait !" - s'essuie les lèvres - "le français n'a plus de secret pour vous !

    - Das mag sein dit Jeanne en rapprochant son assiette ("cela se peut") – Gretel se carre au fond de sa chaise : "¡ Si que está cómico ! ("il est vraiment comique !")

    - I'd rather said : ridiculous

    - Vous, vous là, d'où sort cet anglais de cuisine ?

    - Sie tun mir Weh ! Vous me faites mal !

    - Kitaxè pos inè kokkino o kyrios dit la Naine ("Regarde comme il est rouge le monsieur")

    - De votre temps, bafouille l'homme, de votre temps, on passait le certif à douze ans !

     

    On manquait l'école pour les vendanges !" - ses yeux roulent – Jeanne lui presse la

     

    main qu'il retire furieusement – lui sert du cidre qu'il repousse et finit par vider. Il se redresse enflammé, récupère des deux doigts récupère sur la cheminée l'estampe qu'il redéplie sur la table :

    "Chaque mot "révèle un visage et multiplie les clés de l'humain, multiplicates keys to humanity – toutes éclatent de rire – AINSI braille-t-il LE JEU ROYAL -

    - ...le roi est mort interrompt la Naine ch'châh mat -

    - ...qu'on appelle "échecs" – Xadrez [chadrech] em português

    - ...exalte le Dieu-Equestre qui fraie sa voie libre à la Mort - ma mort, ta mort, sa mort – or, que remarquez-vous, là, sous la plante des pieds de l'évêque ? è una serpiente, un serpent - le représentant désigne de plus en plus rapidement les détails de la gravure : "En roumain ! - A mietza, la mitre. - Finnois ! - Borekkü ! (la bourse).

    - Norvégien ! - La cordelière, de hartlinck !

    Le Représentant crie, écarlate : Vous inventez ! - Nil invento dit Soupov, je n'invente rien. L'homme sur son siège. La Jeanne lui tamponne le front : "Nous avons bluffé." Il se redresse d'un coup, épouvanté : "C'est pour me rassurer. - Nous ne connaissons pas un mot de toutes ces langues, dit Soupov avec bonté. - Je savais bien que c'était impossible" – le petit homme s'efforce de crâner. Il repousse le mouchoir. Gretel ricane. De l'armoire elle extrait un bandonéon flétri, large comme la main ; l'instrument déroule un soupir aigre A la cabreto politas ! - Trop facile grommelle la Naine soudain de très mauvaise humeur.

    Et le bandonéon se met à scander, Gretel joue faux fortissimo en clopinant Quando vieïra l'aguaida / qué maliz em la paya / a peçar del ascado – tantza las vièlhas ! - C'est du bidon - Ta gueule et Jeanne enchaîne les sauts, la Mulhousienne bombe le torse, la fausse Russe tourne et rôtit ses gaufres comme des damnés. Marciau la roule en cercle, Jeanne les entraîne dans sa polka cagneuse ell's dans' entr'elles et on s'en fout soudain lâche en réclamant du beurre ! des pommes ! et s'engouffre dans la resserre.

    La Naine est restée bras en l'air, Gretel renfonce le bando dans le costaud

     

    comme on se brûle et secoue son soufflet qui brame - apparition de l'huile et de la poêle à manche de bois. Les pelures serpentent et Soupov s'empiffre. La Naine faudrait du punch Gretel coupe Je m'en occupe et tire du buffet le Rhum – ...du guignolet-kirsch ? s'étrangle l'homme – Jeanne pèle et coupe les pommes – Soupov au gaufrier : vingt secondes, gaufre – trente secondes, gaufre – sucre ! ...orange !... dépêchez-vous pour les beignets ! - les pâtons crépitent, ça pue la friture, agitation de membres et de mandibules au-dessus de la table – écumoires. mains, couteaux.

    Le représentant aspire à pleins naseaux. Gretel pose cinq bols en marmonnant, l'assiette garnie de sucre. Une allumette, un froufrou de flammes où coulent des galères sous les lèvres qui serpentent d'une fossette à l'autre ; et dans leurs cheveux des mèches couleur étain, blafardes - à hauteur des yeux, le puits des orbites. Kirsch cognac ça jure. Panne de citron - Faut tout finir -

    "Quand' jo te foutch la mano al culo...

    - Pas celle-là, pas celle-là !

    L'homme frappe du poing : Moi j'en connais une ! Voix pâteuse. Il se hisse sur la chaise, les vieilles s'agrippent en pouffant comme on vesse ; les tifs de l'homme se collent sur son front de petit taureau ridicule qui se rattrape, à quatre pattes sur la table, Gretel rumine, Soupov pèse à deux mains. Le représentant se redresse à genoux, hagard, les yeux rouges et la bouche torve sous l'abat-jour blanc : Je vais vous en pousser une bonne. La Soupov écarquille les yeux. Quelle honte dit la Naine iI va nous faire le Dies Irae - Non Mesdames mugit-il Mais si je le chantais ça donnerait CECI : Di-es irae di-es illa etc.

    - C'est faux ! Cest faux ! - roulant des yeux, tordant ses doigts boudiné, bavant le cidre à plein menton. Des deux bras il bat la mesure. Gretel lui crie de foutre le camp par la cheminée, Soupov : ...que la terre l'engloutisse - de préférence ! - le représentant s'interrompt : Je ne repartirai pas sans pognon ! Il est furieux : les bouquins, OK, je vous les laisse - mais l'estampe, là, derrière mes jambes - il les écarte - vous me l'achetez. - Quoi, 400F, 400F chacune ? - il plonge la main vers les seins de Soupov C'est toujours là que ça se planque ! Jeanne déplore sa grossièreté, Marciau la Naine le contourne et frappe la cheville avec le tisonnier , le Niçois hurle et les insulte toutes : Quatre cents francs ! Quatre cents francs ! Jeanne et la Naine le rassoient. Silence. La fausse Russe reboutonne sa liseuse : Nous l'achetons. Sur la table la jatte s'est renversée, la pâte coule lentement vers l'estampe. La Naine agrippée au tisonnier éponge la coulée blanche et le feu s'effondre en étincelles. L'homme a relevé le front, ricanant d'une oreille à l'autre ; de sous sa chaise il tire alors une aumônière orange vif qu'il ouvre des deux doigts.

    Jeanne tire de sa manche 50F, il se relève en titubant épaules hautes aumônière béante - Gretel n'en [donnera] pas plus et décroche son sac à main de la crémone. Marciau jette au trou son billet plié, l'haleine du représentant est intolérable, la Naine a détourné la tête en inclinant son tisonnier. Soupov tire enfin du tablier sa bourse à fermeture d'or et dix de der ! crie l'homme en tirant le cordon d'un coup sec, Soupov fait claquer son fermoir. Le Représentant se dandine en grognant comme un ours, rempoche sa bourse, souffle du nez deux ou trois coups, gagne la porte. Se tourne vers la table, désigne largement les ustensiles, gaufrier, jatte, et l'estampe : "Ceci vous appartient". Il se retourne encore : I shall return. Puis il éteint le plafonnier, les abandonne aux lueurs du brasier, tandis que par la porte un tourbillon neigeux file entre ses jambes et vient mourir sous la table.

    Puis le battant se referme, et, semblant sortir du fond de l'âtre, éclatent du dehors, basses et rauques, les accents terribles du Dies Irae qui se perdent plus loin dans la rue. Gretel bondit sur ses pieds, rallume tout. Soupov rogne un quartier de pomme dont elle crache les pelures, une à une, du bout de la langue. Jeanne pousse un cri strident Brûlez ça, je ne veux plus la voir, jetez-la au feu !" Gretel avance la main, l'infirme l'arrête au poignet, la Naine regarde l'infirme qui la relâche, Gretel saisit l'image, l'étire ; un instant les personnages se raniment par transparence, l'évêque sourit niaisement. Puis penchée sur la table Gretel lâche l'estampe.

    Le papier tombe à plat sur la braise, des flammes claires jaillissent du squelette ainsi que du front de l'évêque. Puis le feuillet se ronge. La faux de la Mort résiste ; la pointe enfin se racornit, le manche finit par sombrer ; ne subsiste qu'un fragment de triangle luisant comme l'acier, que Jeanne saisit entre ses doigts, une goutte de sang lui vient à l'index. Le lendemain dans les cendres de l'âtre elle trouve un éclat de verre à moutarde.

     

    X

    Début janvier. Soupov, Gretel, sous le gris d'une aube avortée. Par le carreau s'insinue le froid du brouillard - vues du dehors deux ombres l'une aux genoux de l'autre - mise au jour indéfiniment repoussé, double embryon - dernières étoiles par les trouées - il est mort à son tour dit sourdement Soupov les mains jointes, puis à plat sur les genoux. "Il y avait bien du monde à l'église" dit Gretel. Jeanne assise sur un coin de table esquisse un bâillement ; fixe la vitre grise, apathique. "J'ai vu" dit Gretel "les deux cousins Rubeaux... - On ne les connaît pas tes Rubeaux. La table encore jonchée de l'Encyclopédie Watson en quatre tomes.

    Sous l'ampoule Marciau la Naine les ouvre l'un après l'autre, pointe l'index et recopie des citations dans des marges de journaux ; les volumes se referment dans un choc mat. "Il y était, l'autre" ajoute Gretel. - Le Niçois ?" Le jour se soulève. Un réverbère qui clignote dans la brume. "La dernière fois que je l'ai vu... - ...il était bien bourré, achève l'infirme. - ...il schlinguait bien à trois mètres. -... grand, les joues creuses... - Ce n'est pas le Niçois – C'est Ménestrel, dit Soupov. - Qu'est-ce que tu veux que ça nous foute, à nous, "Ménestrel" ?" Jeanne insinue que la Soupov a couché avec lui, "Ménestrel".

    - ...Comment s'appelait le curé, déjà ? Par dessus les têtes la Soupov trace un sillon sur la vitre - le grand, avec son complet gris fer ? - aide-moi donc ! - Il s'asseyait en bout de table, tout raide, et moi à l'autre bout. On débouchait la crème de cacao. - Le curé? - NON. MENESTREL. - Quand je l'ai vu la dernière fois dit Gretel eh la vieille ! qu'il me dit. T'as rien à boire dans ton cabas ? - Il portait une cravate dit Soupov. On se faisait du pied sous la table... - Quand t'auras dessoûlé je réponds. - Aujourd'hui c'est mon anniversaire de mariage il me dit - de toute façon sa femme - ou sa sœur, on n'a jamais bien su - y a que le curé qui ne lui est pas passé dessus. - ...et encore, dit Marciau. - De quoi je me mêle ?" Gretel : "...je lui réponds T'as pas honte dans des états pareils ? "Honte de quoi la vieille ? Moi je lui reparle surtout pas vu l'odeur... - Fallait lui changer les draps toutes les semaines, il appelait ça se les vider.... - IGNACE ! -...Quoi, IGNACE ? - Le nom du curé : Ignace ! - Comment ça Soupov, tu logeais Ménestrel chez toi ? - Au premier étage à Monségur" - Jeanne prenant des airs entendus - "Non, l'autre, dans le Lot-et-Garonne...

    - Et ton mari pendant ce temps-là ? - Dans la chambre à côté. Je lui répétais tous les détails..." La Naine fait claquer sa langue. Gretel décrit la mise en terre. Se tord les bras. Le poêle c'était un grand drap noir avec les grosses larmes d'argent. Quatre hommes le portaient bien haut pour pas salir le velours. Ils avaient la tête droite et les yeux levés. - Il me disait que je sentais le pourri, que ça l'excitait." Gretel reprend qu'il a voulu souffrir jusqu'au bout, des méthodes naturelles ! pas de piqûres ! il répétait : pas de piqûres! à l'ancienne ! conscient ! - Ça ne m'étonne pas dit Soupov. - Moi je n'y étais pas, c'est la Rubeaux qui m'a tout raconté.

    - Tous les jours que Dieu fait il descendait au cimetière. Quand il est venu chez moi la première fois, il venait d'y passer la nuit, par terre. Tous les cimetières du coin, il les a visités. Une fois on l'a retrouvé fin soûl entre les tombes - il n'en a pas parlé, de ça, dans son roman... - ...parce qu'il écrivait ? demande Jeanne. La Soupov répond qu'il lui en a même envoyé un exemplaire, elle ignore qu'elle a bien pu en faire je n'ai pas pu le finir, il racontait des horreurs – qu'il allait regarder les gosses se tripoter dans les buissons - "ça je le savais" – mais avec l'instituteur par-dessus le marché – "...ils faisaient bien la paire ces deux-là - sans parler de la femme - enfin..."

    Gretel s'est rassise. Il lui avait demandé des nouvelles. Tu viens pas nous voir tous les deux ? - Qui çà ? - T'as pas connu Brenner, du temps que tu étais pute ? - Ils l'ont relâché ? - Et alors !" - y puait des pieds le Ménestrel, du cul, de partout. Il m'a dit T'aurais pas des nouvelles de ma femme ?" Je lui en ai donné, il faut être humain, sa femme est partie avec un troisième, à Nice - Lequel ? crie Jeanne. Qui est-ce ? - ...Il m'a demandé qui c'est ? que je le déboîte ! Il a fini par me foutre la paix, le Ménestrel - il habitait avec l'instite dans une cabane en planches, sous la décharge, à Monflanquin..." Gretel rajuste les plis de la couverture sur les genoux de l'infirme. Qui a conservé sa pose favorite, le cou droit comme une divinité assyrienne. Marciau poursuit ses fouilles dans la serviette oubliée par le représentant : un porte-peigne, pochette, carnet, des cartes routières. Le brouillard s'est en gros dissipé. Jeanne lit par-dessus l'épaule: "Tron Mersen. Drôle de nom pour un Niçois – ...région de Liège dit Soupov - Tu crois qu'il faudrait lui rapporter ? - Il l'a fait exprès." La lampe exténuée du lampadaire dans le faux jour.

    Passage dans la rue de courtes silhouettes empaquetées. Jeanne et la Naine explorent les départementales ; certains secteurs délimités par des pointillés se voient méticuleusement rayés de longues obliques parallèles. Quelques noms de villages, encadrés, occupent le centre d'un réseau arachnéen de routes noircies.

     

    Extraits lus par Marciau la Naine du Carnet de route de Tron Mersen

    "8 février 8h – Passé le pont sur la Tardoire – forte pente – la route part au nord – pluie légère – petite fille rousse, seins obtus" – C'est bien de lui dit Soupov – "Cimetière de la Maisonnais – cote 284" – à la ligne

    "Nestor Astier 1919 – 1971 (52 ans). Je pisse.

    " Bernadette Ouffrès 1897 – 1942 (45 ans) P.P.E. ("Priez pour elle")

    " Jean-Louis Thimeau, Isidore Blars, Ursule Athmann.

    " Aux Dognons, E-W" – Encyclopédie Watson, traduit la Naine. "St-Mathieu. Sole meunière. Commande par téléphone UN CERCUEIL TROIS CRÂNES UN "REGRETS ETERNELS" – tête des clients" – Jeanne interrompt le débit monotone de la Naine pour demander si le représentant ressemble à Ménestrel Pas du tout assène Soupov. Gretel ricane : Exemplaire unique - Jeanne prend des notes. Contre le jour bas se dessinent leurs silhouettes emboîtées, Soupov trônant, Gretel à ses genoux comme un rapace de Vinci. De là monte un marmottement d'occlusives et de sifflantes caractéristique du langage humain, tandis qu'au loin ronfle dans une côte la troisième forcée d'une voiture - ou bien crépitent, sourdement, les tirs perlés des premiers chasseurs le brouillard est levé - ...le curé ? "ils" l'ont fait venir, le curé ?

    - Ménestrel ne parlait plus, on venait de lui faire sa morphine.

    - Ça soulage vraiment ce truc-là ? dit Soupov.

    Jeanne et Marciau sur la carte dépassent Cromières crom.... crom... plein la bouche, comme du fromage - Cussac, disgracieux, désinence aristocratique d'un cul - grand-route, pompe à mélange deux temps - morveux de village - croissance rapide, morgue et acné. Gretel brode et dilue, s'apitoie, mime ce qu'elle n'a pas vu, s'effare et dégouline. Soupov accentue sa raideur - Chez Fiataud articule Jeanne - Fiataud quelle horreur - la gnomide voit dans tous ces noms-là une sécheresse vaniteuse d' "agriculteur propriétaire" - Il roulait des yeux, comme ça, mime Gretel, il voulait se redresser le vlà qui se met à souffler c'est la Viviane qui m'a raconté - en ramenant tous ses draps - Gretel se gratte les jupes d'un air égaré -

    - Et alors ? Et alors ?

    - Il est retombé avec la bouche en biais, même pas pu avaler l'hostie, il a fallu lui enfoncer – écoutez ce que je trouve crie Jeanne : Nicolas Eillant, 1899-1978 ! 1903-1980 – il prévoit ceux qui vont mourir ! Soupov se signe trois fois Et pour nous, tu vois quelque chose ? - Il a "sauté" Limoges ! Ça ne reprend qu'à St-Léonard. - De Noblat ? - De Noblat - tu crois en Dieu maintenant, Soupov ? - Tes origines russes on n'en croit pas un mot. - Mon second mari était de Dniéproguess.

    - Deux ans de mariage, tu parles...

    - Je porte son nom. Niet, nié viérou v'Boga - je ne crois pas en Dieu - pas de crucifix chez moi, pas de miroir". Gretel pousse la chaise roulante contre la table. Toutes se pressent autour du carnet ; à St-Privat - Urbain Yon - dalle avant gauche écornée - récité Notre Père Je vous salue Je confesse à Dieu. St-Louis, sol meuble, Acte de contrition Credo (in unum Deum) - elles se sont regardées dans les yeux - Gretel demande Tu ne vois pas Monségur, Lot-et-Garonne 47150 ? Trop loin vers le sud carte 79 pli 6" dit Jeanne. Elles troquent alors les cartes routières contre des cartes

    à jouer, déploient le tapis, forment deux équipes Belote ! Tierce ! fotzvlèker déjà onze heures ! faut qu'je chauffe la soupe à mon homme ! (Gretel à Soupov) je reviens pour la tienne juste après ! Des années que l'Alsacienne se trimballe par tous les temps rue Pelletier, sept heures au lever, onze heure pour la soupe et six heures, faire pisser le vieux, pisser la Soupov, aller, retour, la mère la femme la soeur hagne donc la guerre les morts les enfants les ménages à faire et les gros sabots de la vie à se traîner le cul bloqué dans la rue foulard autour du cou, depuis que l'homme est tombé sur son siège pour ne plus se relever.

    D'un impotent l'autre torcher nourrir laver, décrire ce qu'on a vu dans le vent sur le pavé, les passants qui font la gueule ou qui se confient, récits, ravaudages. monologues. Le vieux qui guette sa mort, la chaise devant le soleil qui recule. Un rez-de-chaussée vert dehors comme dedans, l'odeur de chou froid ; la clé qui tourne, Hervé qui suit des yeux Tu prends ta soupe ? Hun hoan répond l'homme. Gretel approche le plat qu'il balaie méchamment de son bras gourd et la fixe de ses yeux durs. Gretel le frappe aux épaules en criant qu'il peut crever tout de suite, qu'elle sera débarrassée, claque la porte et s'en va - Le mien, tiens, ça fait longtemps qu'y bande plus. Elle ajoute que par-dessus le marché il voudrait qu'on le suce. Merde alors.

    A onze heures du soir Gretel sort en promenade. Son quartier alterne chantiers, terrains vagues, palissades. Les grues dardent leurs bras clignotants. C'est le coupe-gorge. Si le Vieux savait ça il hausserait son épaule valide. Il se réjouirait en dedans. Gretel clopine entre les fondations béantes. Au coin des rues déjà tracées les rôdeurs se concertent. Gretel porte un gros sac gris bourré de pelotes de laine T'aurais plus d'emmerdes que de pognon Gretel sourit - au bout d'une barrière et d'une place anonyme s'étire une enseigne rouge sous dix étages vides. Gretel guette la fermeture du Taxi-Club. Jusqu'à ses pieds le néon répand ses braises pâles ; sur l'asphalte

    passent les ombres déformées des buveurs. A minuit l'enseigne s'éteint soudain, le grésillement s'interrompt sur les bruits ressuscités de la ville au loin. Sous un petit porche sombre un barman roule deux poubelles dans un renfoncement, laisse tomber dans sa poche un trousseau d'acier S'il fait tout à fait noir je lui parlerai l'ombre vacille dans sa direction en souriant au vide, étriqué dans un petit complet de velours élimé - pardon monsieur pardon - je vous aborde en pleine rue n'allez pas penser - dès qu'une femme aborde un homme n'est-ce pas tout de suite on s'imagine - il ne cesse pas de sourire voyez comment je suis habillée - juste "en cloche " - le manteau marron, la voilette, la vieille souris qui longe les murs

    C'est bête un homme approuve le barman - juste aujourd'hui le catogan gris le serre-tête - et ça suffit pour se faire embêter vous voyez ce type là-bas qui traverse il voulait coucher avec moi c'est terrible à mon âge elle se demande quand [elle] sera enfin débarrassée de "ça" - je l'ai remballé il insistait "mon vieux t'as l'air con" je lui dis, je serais un homme ça me vexerait moi mais lui non il continuait – l'homme en peluche fixe son bandeau en oreilles de Mickey - les cernes charbonnés sur trois bons centimètres - Les hommes reprend-il tous des cochons - Tenez reprend Gretel ce mardi je monte en stop - je ne le fais plus c'est trop risqué – à peine cent mètres et tout de suite la main sur la cuisse, je suis redescendue Merde je lui ai dit Merde je sais pas moi je serais un homme

    L'ours approuve en sifflant dans ses dents "Vous comprenez ce que je veux dire ? Elle a vu tout de suite que celui-là n'était pas comme les autres "au fond vous n'avez pas de chance avec les femmes vous allez vers elles et toc vous êtes refusés – moi quand je vois des jeunes filles faire les coquettes j'ai envie de leur envoyer des tartes." Personnellement Gretel se voit comme un homme : attaquer "mais dès que l'homme fait le moindre pas la femme le fait marcher - seulement si vous restez là dans votre coin tranquilles sans bouger – moi je suis spychologue c'est de la spychologie ça monsieur – je n'ai pas fait d'études mais j'ai beaucoup lu

    Je sais bien comment elles font les femmes allez et puis les hommes aussi c'est l'éternel manège – si vous restez sans bouger la femme ira vers vous sinon c'est elle qui choisit toujours elles ont l'avantage - il fait un pas de côté Mon fils mon fils dit-elle en posant la main sur son plaît-il ? - Vous connaissez Denis, mon fils Denis Fitzel il ne travaille plus ici dit l'homme en relevant la tête - et Gretel attendez en relâchant son bras - vous pourriez lui remettre – Je ne sais pas où il habite – elle fouille dans son cabas d'où tombe à terre une patate molle - Je ne suis que gérant dit-il pas de stylo pas de papier sur moi

    Denis Fitzel vous l'avez bien connu tout de même – "Ficelle" ? ça fait trois mois qu'il est parti. - Vous avez l'air si aimable si compréhensif ! Le gérant découvre ses dents jaunes sous la lumière Un crayon j'ai trouvé un crayon Je n'ai pas de nouvelle dit l'homme sur qui retombe le visage professionnel "A Paris je crois Marseille ou Clermont" Gretel à présent le suit, dit qu'elle aurait voulu voyager Bulgarie Turquie Roumanie... - De beaux pays Madame de beaux pays" l'Ours presse le pas Et la bonne aventure monsieur voulez-vous la bonne aventure Je vais m'installer à mon compte dit-il "à Nevers ; avec Denis.

    - ...Denis ? - Sifakis, un ami" Gretel tire de sa poche une poignée de bons de réduction : "C'est pour lui ça peut servir vous savez" l'homme les fourre dans sa poche, un prospectus tombe au caniveau COURS DU SOIR FORMATION CONTINUE Gretel le ramasse et l'essuie j'habite à côté juste à droite – Je tourne à gauche dit-il comme vous voyez Excusez-moi répète-t-elle je vous aborde comme ça en pleine nuit n'allez pas vous imaginer le gérant n'imagine rien, s'éloigne et se retourne, Gretel se retourne et part et bouscule la porte et s'essuie les yeux chausse en butant sur le paillasson vous êtes toujours pas couchées ? - La porte ! - Quoi la porte? - Qu'est-ce qui t'arrive dit Soupov de sa voix de gorge sonLa porte quoi merde, la pluie qui rentre ! Gretel ôte le serre-tête et renifle ça sent le vieux ici le deuil et la suie reprends ton souffle et ne secoue pas trop ton parapluie (dans un grand froissement de polyamide) la Naine ricane Fitzel tu vas laisser ta peau dans tes enterrements nocturnes - Jeanne : "Je te prépare une camomille - Il reviendra j'en suis sûre. - Si c'est de ton dernier mort que tu parles... - Mon fils va revenir. - Tu viens de le revoir ? - Presque - Jeanne allonge le bras vers son carnet de notes, et Soupov, de sa voix adipeuse: Toute mort est connaissance. "Un jour mon fils mourra" poursuit Gretel "44 ans, grand brun, serveur d'hôtel ; il s'habille feuille morte ou canelle, on le rencontre en sortie de bar jamais avant minuit" les yeux de Gretel se troublent.

    Elle demande du rhum. "Ne joue pas les ivrognes - trois gouttes et t'es cuite à faire tourner les tables" Jean-Paul Rigio 25-80 C'est dans le journal dit Soupov obsèques à dix heures - Gretel tousse à grands coups, finit sa tasse les yeux perdus parmi les crevasses et les rides. La Naine assise pattes pliées sur le barreau de chaise a repris ses définitions cruciverbistes : il reviendra – juger les vivants et les morts je suppose ? "avec tous ceux qu'on s'est tenus sur le ventre" ? - j'espère bien que tu ne nous enterreras pas, Gretel: tiens, si je saute à terre et que je cours au placard, qu'est-ce que j'en tire ? un vieux tricot gris, graisseux, tu ne sais pas tricoter." La Naine l'entoure à la taille, lui dit de ne plus tousser, de se couvrir les épaules.

    X

    Un autre jour Jeanne, qui n'a jamais cessé d'écrire, se voit publiée dans Vrîka qui tire à 120 exemplaires. Elle s'est acheté une pipe à 55F. Soupov mentionne les "tourments de l'exercice des lettres". Jeanne la fusille : "Qu'est-ce que c'est que ça ?

    -Eh bien, ma pipe ! éteins ton briquet, tu vas le vider. - Tu m'as suivie pour acheter le même ! Pour toute réponse, l'infirme désigne sa couverture sur les genoux. Gretel apprend à tricoter : "Tu piques de gauche à droite ; la droite dans le première maille – par-dessus, comme ça..." Gretel s'applique, lèvres jointes, épaules serrées. La Naine corrige l'arthrose, le jaune augmente dans ses yeux. Je l'ai toujours eue cette pipe dit Soupov je ne l'ai jamais cachée. Jeanne tire de son sac à main le n°5 de Vrîka : "J'ai trouvé", c'est du grec. Gretel : "Y a même pas d'images." Oeil fielleux de la La poétesse. J'ai fait exprès dit Gretel. Jeanne s'écrie qu'elle a maintenant "le pied dans l'embrasure", qu'"on ne peut plus la chasser." Les autres s'inquiètent du texte. Demandent "si elles y sont". Le tricot de Gretel s'allonge comme une vie - la Naine effleure ses épaules. Jeanne pense qu'elles sont toutes, autant qu'elles sont, elle comprise, définitivement moches. Même pas pitoyables. Moches. Sous les rides elle cherche et reconstitue les jeunes filles, comme Baudelaire.

    Elle imagine enfin l'enfant flétri de la Gretel, et ceux qu'elle-même n'a pas eus. Se repasse les prises de bec, les belotes à quatre. "Si l'on vous annonçait, pendant une partie de balle, que la fin du monde aurait lieu dans une heure, que feriez-vous ? - Je, dit saint Louis de Gonzague, continuerois à jouer à la balle. Il mourut de la peste en soupirant Quel bonheur ! A 23 ans. Si un jour un de mes poèmes pense Jeanne paraît sous un autre nom, j'attaque bille en tête - bille en tête ! ajoute-t-elle à haute voix ; "et je me fais passer pour impotente : ça me fera de la pub. - C'est clair approuve la Soupov.

    Jeanne évoque sa propre timidité : "C'est une force de connaître ses faiblesses (Pascal) - C'est vrai ? - Non, j'invente." Mime un dialogue entre elle et l'éditeur Coupez-moi cinquante pages - modifiez-moi le dénouement - Pas bon ton ton sketch dit l'infirme. - Du moment qu'ils me publient... (désignant le lino élimé) : ils viendront se traîner à mes pieds pour un feuillet - ils publieront mes notes de blanchisserie - je suis prête à baisser culotte devant n'importe qui, à poil et à quatre pattes", et Gretel pouffe Tu t'es déjà vue à poil ? - Parfaitement que je me suis regardée répond Jeanne, seulement moi ça ne fait pas dix ans que je n'ai rien dans le ventre – tiens, pas plus tard que l'année dernière - qu'est-ce que t'as à t'étrangler ?

    - Che m'étrangle pas, che m'esclaffe. - Lis-nous un peu tes "publications", propose Soupov.

    Texte de Jeanne

    "Le Georges ramène vraiment n'importe qui ; à 54 balais dans les bars, en train de s'afficher, pour attirer chez moi les louftingues des quatre sexes, papoti, grignota, calembours à deux balles pour amuser la vioque - on n'est pas plus élégant. Chiche qu'il se met au clavier – gagné - Goose Rag, c'est tout ce qu'il a su pondre depuis ses 17 ans - regardez-moi comme il s'excite il va bientôt jouer avec sa queue Maître, ô Maître - c'est qu'il salue, ce con - le grand barbu se gave du revers de col jusqu'aux rouflaquettes. Sans oublier l'autre pingouin qui suce ses huîtres avec les gouines - plus un qui se lèche les doigts comme un macaque - la ménagerie...

    "Je suis sous le lampadaire on va me voir toute la gueule mais oui ma chère les éclairs sont délicieux tu peux te les - non je ne suis pas fatiguée toujours pas crevée le petit macaque se met le bout du cul sur la bergère et se tire la mèche sous le nez en posant ses mots comme des pattes de mouche mon père disait, mon papa m'a dit c'est élevé dans les bonnes traditions ça, et modeste et gnangnan Oui madame Non madame tiens prends donc tes langues de chat comment vous appelez-vous – Bernard - la langue entre les dents – S'il connaît Olivier ? – C'est mon meilleur ami – son meilleur ami... - un chic type – c'est trop.

    "Excellente idée Georges, tes diapos, la pénombre, ma main sur la petite épaule du petit con Va donc vérifier la lampe Geo plus haut non plus bas plus à droite (la cloche!) baisse un peu l'appareil - pas tant - tu as fini de revenir après chaque photo Tu as le soin de l'appareil restes-y c'est qu'il a parfaitement compris ce pauvre type ; il y va quand même. Sur l'écran la poste de Papéété, caserne Bruat, le cou duveteux du puceau-macaque doucement dans l'ombre une fois une fois encore vider

    la moëlle des petits enfants Ma main sur son épaule, doigts tout secs tous boulés d'arthrose Je vais me le garder pour moi – mais - qu'est-ce que je sens ? il prend ma main la serre – petit vicelard – ça se croit un homme – je ne t'ai pas attendu pour avoir mon compte de bites – VA CHIER

    Jeanne repose sa prose, Soupov : "Ca m'étonnerait qu'on publie ça - On en imprime de pires" dit la Naine et Jeanne refourre les feuilles dans le dossiers toutes phalanges frémissantes bande de biques pourries. Cadavres imminents - bon titre - Marciau la Naine s'est remise à ses mots croisés - la Soupov : noisette de cerveau frit dans la graisse - pétrification.

    J'aime l'automne et ses silences

    L'enchantement de ses douleurs

    Et les muettes confidences

    Que le fruit murmure à la fleur...

    ......

    C'est la forêt enceinte et jamais maternelle

    C'est ce zéphir ami que provoque quelqu'un

    Pour chatouiller les seins sous les chemises claires

    ...

    ...la vie court vers son destin

    L'UNIVERS DE L'HOMME SE MEURT !

    Le bras de Jeanne retombe et le jour baisse :

    Feuille-fille est destituée

    Feuille-fille est prostituée

    - Jeanne lit pour l'ombre, chantant la pluie, les chiens mouillés - demain la chambre, demain l'âtre et les ragots, demain la gloire – Soupov, tu n'écoutes pas. Soupov répond qu'elle a tout écouté ma pauvre, mais qu'elle n'ira pas jusqu'aux éloges : "Trop "Lamartine"...! "la forêt enceinte... chatouiller les seins... destituée, prostituée - on le sent venir d'un kilomètre" - l'infirme atteint sur ses genoux sa pipe qu'elle commence à bourrer. Jeanne alors s'aperçoit que Gretel porte le même tricot qu'elle-même. Retournée sur son siège, Soupov atteint l'interrupteur, l'ampoule s'éclaire, la Naine en compense l'éclat par l'allumage du lampadaire. Pas d'extérieur ; ni radio, ni télé. Quelques comptes rendus d'obsèques édentées ravinées de rides - Jeanne observe Soupov, ses yeux de chien de boucher, son double menton où l'œil cherche les filets de sang ; Soupov à qui ses mains éternellement posées sur les genoux morts confèrent des allures de sphinx vulgaire.

    Expiant quelque crime antérieur à sa race – et vous vivrez de mots, pour dans les siècles des siècles. Pourrie d'éternité. Marchant immobile vers sa Reine à naître. La seule vérité, c'est qu'on va toutes crever - toutes à la fois ou l'une après l'autre. On ne s'attendra pas beaucoup. Jeanne tirait des martingales. Quelle idée pense Gretel Si c'est pas malheureux... Elle ajoutait que l'infirme aimerait y passer en dernier pour emmerder le monde mais la première à partir, assurément, entraînerait les autres – Il te faut des morts pittoresques n'est-ce pas – des bons mots, des faux départs – Jeanne réplique : Tu t'imagines avoir tout ton temps ? Soupov parie qu'elles passeront à l'éternité, toutes sans exception.

    La Naine veut tirer les cartes – jure ses grands dieux qu'il n'y a rien ni personne là-haut ni autre part et tape le jeu sur la table : Ce qu'il y aura quand tu seras morte ? exactement la même chose et peut-être mieux Marciau s'interrompt pour fixer la Soupov qui craint de toutes ses forces de laisser échapper son secret pendant l'agonie "On dit n'importe quoi à ces moments-là" répète l'infirme "Et ce serait vrai" dit la Naine Vous ne saurez rien dit Soupov je vous enterrerai toutes. La Naine: "On te foutra du coton hydrophile dans le cul". Gretel exige un beau tombeau de marbre à dorures, avec son fils et ses petits-enfants, avec du Bach et du Verdi, et des grandes couronnes à perles violettes.

    Jeanne écrit dans le silence. Je voudrais assister dit-elle à mes propres funérailles, comme un esprit, écouter le sermon et souffler dans les Jeux de viole – au fait, personne ne veut être brûlée ? Toutes se récrient. Embaumées, non plus. En ce qui me concerne dit la Soupov c'est déjà fait. On raille la Jeanne sur son dernier poème. Pour ce que vous direz, vous autres ! "On ne dira rien" répond la Soupov. Gretel soupire le nom de son fils. Jeanne les regarde toutes à présent silencieuses, chasse la vision facile des cercueils alignés, ou plutôt? dispersés, jetés en quatre orientations différentes – à quoi bon pourrir de conserve ?

    - « De conserve », très drôle.

    - Ta gueule.

    Soupov s'avise alors d'enterrer sa vie. Je veux un bal dit-elle. Ses trois compagnes ont donc escorté le fauteuil, chromé de neuf, cahin-caha sur la chaussée. Gretel a croisé sur sa poitrine deux revers mauves en forme de triangle. Marciau la Naine en carapace verte ressemble à une grosse cétoines, Jeanne s'est enrobée dans un fourreau feuille morte. Un bal où on s'amuse, où on se décolle le baquet ! On a toiletté la Soupov, couverte d'une robe jaune à grand décolleté bateau ; son postiche oscille sur son crâne comme un bloc d'anthracite. Jeanne serre sous son bras une pochette slave.

    La Soupov sourit au printemps comme un fruit, lance vers les fenêtres des signes de ses bras hydropiques. La rue qui monte. Gretel qui pousse, Jeanne qui l'aide d'une main. Les coups de vent chassent des plaques de soleil froid (on vous croyait morte!). Rue St-Sever des laquais descendent un perron de marbre pour soulever l'infirme. Des chœurs et des fanfares venus du cloître à l'intérieur résonnent sous un grand bouclier de ciel carré. La foule sur l'herbe et le sable. Tous éclatent de rire : Bienvenues ! et les baudruches lancées des mezzanines rebondissent sous les coups de poings. Une araignée de carton remplit tout un char.

    Des musiciens en rang d'oignons soufflent des notes uniques et dissonantes. Soupov tordue salue partout les pétarades et les chiens. Les fêtards s'écartent devant Gretel qui fait pivoter la chaise de Soupov et la rattrape en tournant elle aussi. Un bal où on s'amuse ! réclamait l'infirme et ses joues tremblotaient. Nous serons ridicules répondait la Naine, mais le Maire en bandoulière enchaîne les cognacs que lui tend l'adjoint au sommet du perron. La foule hisse le fauteuil au fond du cloître dans le chapître et Jeanne a perdu sa pochette. Derrière elles la porte se ferme dans un bruit de ventouse. À l'intérieur tout est nuit, lustres cuivrés, lambris et parquets luisants.

    Le long des murs en cordon le public immobile, et la musique devenue soudain furtive. Les quatre femmes regroupées, fauteuil au centre et Gretel fixée sur le dossier - quatre hommes se détachent des cloisons - Demi-tour crie Soupov demi-tour ! - et les ont rejointes. Ménestrel celui qu'on croyait mort - en veste brune à revers ponceau. L'Ours, le Niçois - l'Homme Vierge du Texte publié - Nous sommes foutues dit Soupov. L'Ours a saisi Gretel par la taille et le Puceau pose sur Jeanne une main spasmodique tandis que le Niçois s'incline jusqu'au sol devant la Naine. Ménestrel alors d'un signe a déclenché aux quatre coins quatre parties d'orchestre, et tous les assistants détachés du mur se sont mis à danser.

    Chaque Ange entraîne sa disciple et Ménestrel au bout de longs crochets tourne en toupie face à lui la Soupov étourdie, transfigurée, bras tendus. Autour des couples ainsi formés s'élargit un espace où le Puceau sous sa face à plaques roses tient la Jeanne sous son haleine. L'Ours se dandine lugubre, Ménestrel ricanant lui désigne le Représentant qui valse avec la Naine à niveau de braguette. Puis tous les cavaliers ramènent les danseuses au buffet où Gretel refuse de boire, tandis que le Niçois force la Naine à écluser cul sec une flûte de Moët. Les Anges sourient sans relâche, le Faux Puceau découvre ses gencives. Le Plantigrade exhibe ses crocs, boit au goulot. Les serviteurs en guêtres et perruques circulent sans se heurter.

    Et bien que les orchestres se soient tus les couples tournent encore robe à robe en froissant les étoffes - le chef se tournant bras levés, Ménestrel baisse la tête et le galop se forme - fortissimo chassé-chassé - sous les lustres ; mais les Huit hommes et femmes assis à l'écart se parlent par gestes au milieu du vacarme Je m'appelle Gabriel s'écrie le Puceau ; Ménestrel se cramponne au fauteuil, un genou plié : Te souviens-tu de nos nuits ? ce bal, je l'ai monté pour toi - Soupov tend à bout de bras sa main grasse à baiser sans soulever ses hanches - une marquise à collier de cristal salue en cliquetant et la Mort qui la suit porte un loup au mufle doré tes yeux sont morts Hélène il est trop tôt – Pousse-moi, vire dit Soupov je veux danser - tous autour d'elle se sont retournés.

    Ménestrel se relève et la retourne encore - Hélène rit, s'agrippe aux accoudoirs de ses doigts bagués - tous les saluent, anonymes, en noir, Ménestrel se dérobe et trace à présent de longs cercles sur d'autres valses à longs relents de Sibelius, la basse gronde au premier temps comme un seau plein d'eau ; Gretel et l'Ours relevés se font face, l'Ours lève une patte après l'autre et découvre les dents - le rythme est à son goût. Une flamme morne stagne dans ses yeux ; sous les lèvres de Gretel se pressent les mots qu'il aurait fallu dire - et l'animal pose les pattes jusque sur son dos. Alors ils oscillent tous deux, appuyés sur le cœur comme deux matelots par gros temps.

    Il la touche tout bas du bout de son museau et la valse épaissit l'atmosphère où halète Soupov sous ses seins sur son trône à pivot, et le Niçois montre à la Naine aux verres embués les plis indéfroissables de ses pattes noires petite dame en vert, tu sais ce que je sais. - Représentant dit-elle j'ai jeté ton évêque au feu - Buvons encore sa veste ouverte à deux battants propose des rangées superposées de fioles j'ai de tout - je suis un orgueilleux Marciau rit aux tintements du verre cétoine bien-aimée dit-il catin trop verte,c'est toi qui mourras en dernier, Soupov étire son ultime port de bras – l'Ours exhibe le liseré de ses gencives et le puceau empeste sa mortelle haleine - C'est tout ce sperme répond-il qui me remonte aux dents - Ménestrel la toise avec condescendance.

    L'Ours roucoule. L'orchestre bat de tous ses archets. Les flacons passent de mains en mains sans qu'aucun ne se brise à terre. Les Quatre Cavalières, chacune à sa hauteur, se sont servies à même son torse. L'orchestre alors debout, fortissimo, attaque le Rigaudon de Rameau. Les couples bavent et boivent. Soupov tombe à terre, l'Ours la pousse du pied dans un angle, Gretel crie T'as plus rien sous ton habit, représentant ? qui hisse la Naine - plus haut, plus haut ! que je voie toutes leurs perruques ! Le nez tavelé du Puceau coule et Jeanne se débat. Soupov remise seule en selle tourne à grands coups de ses bras sous les jabots, Ménestrel secoue deux flaches d'Eristoff à bouts de bras, ses jambes rouges étincellent en tout lieu.

    -Tiens-toi à mon épaule que je te descende scarabée vert à ras du sol Chacun suffoque sous le musc et la poudre et les couples se raréfient, bouches alourdies, mains aux poches. La lumière se tamise et le froid descend, Jeanne courbée de dos soutenue par le Vierge à la taille, reste le son sourd des cordes dissonantes, elle parvient au bord d'une gravière d'eau froide où elle tombe, et son ombre a coulé dans un creux de miroir. La Naine pousse un cri, les lèvres des hommes se sont confondues et Marciau perd connaissance.

     

    X

     

    Brive et quatre murs. Marciau tombe fréquemment dans d'éprouvantes rêveries et la Soupov serre les dents, le nez vers les genoux. La Naine a demandé le programme du soir. Soupov se penche et reçoit le coussin dans le dos. Premières notes sur l'écran aveugle. Les survivantes s'installent en geignant comme des vieux ponts. Maintenant que la Jeanne est morte on va pouvoir regarder la télé tranquille. Sur l'écran, la famine, les squelettes : "Les faits sont là. C'est à vous d'agir, et vite." La Soupov se frictionne le dos - toute une vie d'encaustique - hanches, vertèbres. "Ils sont des milliers qui réclament votre aide.

    "Ces images se passent de commentaires. - Marciau, as-tu bien refermé le gaz?" - soudain Pierre Pipe encadre à l'écran sa grosse gueule d'ange - les joues peut-être un peu moins rondes, le teint moins vernis. Alors toutes ont cessé geindre. Tout un passé, toute une vie de guerre et de privation – et chargeant son soupir de toute l'affliction qu'elle a pu concentrer, Soupov s'est écriée : Mon Dieu qu'il a maigri !

    X

     

    Le mois de juin fut torride. On rouvrit les vitres calfatées de crasse. Le caniveau poussa de gros relents graisseux. La Naine réfugiée dans le dernier coin sombre conserva la soif sous sa langue. Les mouches ont circulé. Gretel est revenue vers les trois heures : "Je lui prépare des salades fraîches". Elle reste dans la porte, son œil gallinacé piquant l'un après l'autre bougeoir, le cadre en teck, le calendrier Massey Ferguson. Elle est venue passer l'index sur le manteau de cheminée, renifle - il faudrait fermer la fenêtre – "Mais la salade, il aime ça ! Il en a repris deux fois, trois en tout."

    La Naine regarde Soupov en dessous : "Elle en a pour longtemps comme ça ? ...Tu l'as nettoyée ce matin ? ...je dis ça, pour les mouches... Tu as balayé au moins ?"

    La seule chose qui intéresse Gretel, c'est de savoir s'il est arrivé du courrier de Marseille : mon fils a trouvé un emploi de barman ; il n'a jamais bu une goutte de whisky – qu'est-ce que tu écris ? Marciau répond J'écris ce que tu dis.

    ...Soupov n'existe plus que par la peur. De son siège émanent des gémissements, ses mains déformées tressautent. Gretel la secoue. Un ronflement brusque redresse son cou, ses yeux s'égarent. La Naine tire de son tablier le jeu de cartes que Soupov se met à fixer; Gretel rapproche de la table le fauteuil roulant, les mains de l'infirme les saisissent d'un coup : "J'ai tiré l'as de pique". Soupir. Elle étale en soufflant les douze figures. A qui as-tu pensé ? Soupov se tait. Gretel dit : Je préférais la belote à quatre. Soupov répond qu'elle a oublié. Marciau ramasse le jeu et le renfonce dans sa poche ; à contempler le teint plombé de la Soupov, à écouter les radotages de Gretel, la Naine se prend à espérer : "...la dernière" murmure-t-elle à mi-voix en raclant la cendre - puis "je dois me surveiller."

    Des bribes d'oraisons funèbres s'agitent sous son crâne. Il lui semble entendre frapper C'est toi ? Jeanne ? Jeanne !! - Qu'est-ce que vous foutez là-dedans ? crie le Niçois à travers la porte. On vous entend gueuler du bout de la rue !" Gretel se lève d'un coup. L'homme entre sans invitation. "Vous ne me remettez pas ?" Tourné vers Soupov : "L'argent ? - Quel argent ? - Vous devez six mensualités ! - C'est lui... c'est lui... répète Gretel. Soupov parfaitement lucide tire cent francs de ses guenilles, le Niçois claque entre ses doigts le billet qu'il enfourne dans son pantalon.

    Il demande si les vieilles ont un magot. Soulève Soupov par les fesses. L'infirme le frappe au visage, la couverture tombe à terre, ses jambes sont de vrais poteaux couverts d'édèmes. Foutez le camp. Plus vite que ça. Elle agrippe l'homme, qui la fait tomber. Marciau : Aidez-moi ! Le représentant s'empare des jambes, elle rue tête en bas prenez mes bras ! Gretel et la Naine la replacent par les hanches, l'homme s'épuise à hisser le buste. Soupov étouffe, souffle et l'Homme reste là, bras ballants - Marciau la Naine lui montre la porte d'un coup de menton, il empoigne d'un coup sa mallette et laisse là ses cartes routières Je reviendrai dit-il. Dès son départ Soupov mains jointes jure en sanglotant qu'elles y passeront toutes, l'une après l'autre, la Naine ajoute "c'est l'ordre des choses" ; elle arrache des mains de Gretel son litre de rhum qu'elle brise à terre, Soupov renifle toute l'odeur d'un coup. Gretel tombe sur une chaise – les yeux fixes – une plaque rouge envahit son visage, la Naine courbée sur sa pelle en plastique balaie les débris, Soupov se mouche à petit bruit, le verre tombe en cliquetant dans la poubelle, Gretel sursaute.

    Soupov retrouve ses yeux droit devant, mains à plat sur les genoux, regard meurtris. Gretel pousse un gémissement où Marciau ne prend pas garde, occupée à feuilleter le carnet de route du fuyard ; quand elle a relevé la tête et s'est approchée de la chaise, Gretel est morte.

     

    X

     

    Pendant trois semaines, Soupov et Marciau sont restées seules. Soupov, cramponnée sur son plaid, regarde de tous ses yeux ce petit être qui s'obstine, effrayé, perché sur l'escabeau : visiblement, la Naine n'était pas comprise dans ses martingales. Elle fixe Marciau, tremblant de se tromper, souhaitant et craignant sa mort. Plus rien ne subsiste de l'autorité qu'elle infligeait à ses compagnes ; ni de sa vulgarité (dont elle faisandait ses radotages) - tu n'es plus une grande dame dit la Naine. Soupov devient cette masse glabre et gémissante qu'il faut pourtant manipuler, nettoyer. Les soins les plus intimes ne rebutent pas la plus petite, qui prend tacitement à Gretel morte son emploi. Soupov en souffre.

     

    X

     

    C'est maintenant Marciau qui pousse la porte rue Pelletier. Bouffée d'urine. La pièce baigne dans un vert chartreuse, aussi sombre et laid que peut l'être un séjour de vieux. Monsieur Hervé. S'il vous manque quelque chose. Une silhouette à contre-jour sur le fauteuil ; tous les paralysés tournent-ils ainsi le dos à la lumière? - Il chique ses joues sous sa visière. La Naine à présent distingue la mandibule qui rumine, les sourcils blancs sur les yeux creux. Il a levé sa canne, elle a dévié le coup, la canne tombe, qu'elle ramasse et lui retend. Il suit tous ses mouvements. Marciau explore la cuisine : sous l'évier, l'eau de Javel et la lessive.

    Dans le buffet des assiettes volées, un beurrier rance, du sucre et juste de quoi manger pour midi. Marciau fait frire une omelette. L'homme ne bouge que les yeux, tord la moustache. Il dit je ne peux pas me servir de mes bras il ment - par chance Hervé avale sans baver. Parfois la Naine emplit un verre d'eau rougie qu'elle porte à ses lèvres : C'était bon ? - Oui merci. Sa tête s'incline, il se met à ronfler, un relent d'urine s'élève.

    X

    16 avril

    Frank

    C'est comme si tu étais mort hier. Je ne pleure pas sois tranquille. Seulement ce poids sur la tête et la poitrine. Mes jours et mes nuits, etc. Se peut-il que tu

    26 avril

    Dix-neuf ans que je t'écris tous les jours. Pourquoi ne réponds-tu pas. Tu dois penser que je suis stupide. Je me sens fatiguée sans toi.

    2 mai

    La Soupov ne meurt toujours pas. Je ne sais pas si je suis prête.

     

     

    K O H E Ц

     

     

     

     

     

     

     

  • BLATTES, BLATTES (Scénario)

     

    C O L L I G N ON

     

    B L A T T E S  , B L A T T E S

     

     

    LES FILMS DE MERDE

     

    PITCH

    Deux couples rivaux aménagent une ancienne boucherie en lieu de vente pour travaux de peinture sur soie. L’ambiance tendue, l’isolation du lieu choisi, la sottise humaine généralisée, le manque de motivation, présentent une image déprimante de toute entreprise humaine.

     

    THÈME

     

    Tout est vain, le monde est con, toute entreprise est vouée à l’échec, se lamenter est le but ultime.

     

    LE HÉROS

     

    1.QUI EST-IL ?

    Un homme de 48 ans, professeur profondément pessimiste, dont le seul but est de caricaturer tous ceux qu’il voit. Il déteste toute action et cultive l’inaction, l’imagination languissante.

     

    2. QUE FAIT-IL ?

    Il accompagne sa femme et l’amie de celle-ci dans une tentative de se faire reconnaître dans leur activité artisanale. Ses cours n’interviennent pas ici.

     

     

    3. D’OÙ VIENT-IL ?

     

    De Bordeaux, à 100km. Son activité consiste à transformer ses cours en perpétuel ricanement. Il n’est venu que pour suivre mollement le projet de sa femme, sans s’impliquer

    réellement, car il ne croit à rien, sauf au caractère victimaire de sa précieuse et inutile personne.

     

    4.OÙ VA-T-IL ?

     

    Absolument nulle part, où le vent le pousse. Sa femme et l’amie de cette dernière lui demandent de transporter su matériel à Fort-St-Jacques, alors il le fait.

     

    5. POURQUOI Y VA-T-IL ?

    Parce que sa femme Arielle le lui a demandé, sinon il s’en fiche. Il pense que les femmes ont toujours raison, ce qui est une excellente raison pour ne jamais prendre la moindre initiative. Simplement, par la seule force de son observation ironique et morne, il créera des mots et des images à peine moins chiantes que la réalité, qui n’est qu’une toile de fond de sa douleur mineure et narcissique.

     

    (« ETC. » : rien de plus. Un vrai sous-Houellebecq, une loque informe et vénéneuse)

     

    xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx

     

    CARTON

    Tout être qui se sent persécuté

    est réellement persécuté.

    MONTHERLANT

    Le cardinal d’Espagne

     

    SEQUENCE 1

    INT. JOUR

    OFF

     

    Les blattes sont de petits insectes dégueulasses,

    hétérométaboles et dictyoptères. Ils trottent dans

    les lieux obscurs en faisant cra-cra-cra

    et se nourrissent de débris variés/

     

    1. GP Blattes : longues et brunes

    au plafond

    2. GP - sur les murs

    3. 4. 5. GP Blattes longues et brunes en positions différentes.

    6. INSERT : une ampoules à cent watts, éblouissante

    7. GP : Blattes aplaties éblouies qui font les mortes

    8. GP : Certaines contractent d’un coup leurs six pattes sur le ventre

    et se laissent tomber au sol.

    9. GP : Blattes

    qui filent sur le carrelage.

    10. GP : Pantoufle rageuse écrasant les blattes

    à même les parois et le plafond nus.

    11. Quatre pantoufles enfilées par des mains

    12. GP Blattes qui tombent.

     

    OFF

    « La mort la plus simple pour l’organisme le plus simple.

    Un petit rectangle simple, qui craque à peine.

    13. GP Cadavre écrasé contre le mur, raclé pour le faire tomber.

    BRUITAGE TRES ACCENTUÉ PDT TOUTE LA SÉQUENCE

    14. PLONG. SUR LES QUATRE BABOUCHES

    15. PM Carnage sur le carrelage, en perspective cavalière.

    16. GP sur les rescapées se cachant dans des fissures.

    17. PA. Deux humains, mâle et femelle au crâne rasé, roux pour la femme.

    Baladeurs sur les oreilles.

    La femme en tablier bleu.

    Ils comptent les cadavres en se courbant.

    PASCAL SCHONGAUER dit PAPIER

    Vingt-cinq.

    MARQUISE DE SCHONGAU

    Quarante-quatre.

    PASCAL

    Soixante-neuf. Quelle coïncidence.

    MARQUISE

    Va chercher un balai.

    TRAV. AV. PASCAL de dos cherche un balai dans un placard très sale

    ZOOM AV. Toiles d’araignées, très luisantes.

    TRAV. AR. PASCAL charrie les blattes sur la pelle.

    18. GP visage de la Marquise, surimpression STOCK : pelleteuses charriant des cadavres à

    Auschwitz.

    19. PA Ils enlèvent leurs écouteurs et coupent la musique.

    MARQUISE JEANNE

    C’était quoi pour toi ?

    Elle écarte les bords d’un grand sac en plastique.

    PASCAL

    Schubert comme d’habitude.

    PASCAL PAPIER est tout pâle. Il jette les cadavres à la pelle dans le grand sac.

     

    SEQUENCE 2

    EXT. JOUR

     

    Dans une voiture. PASCAL et MARQUISE JEANNE de SCHONGAU côte à côte

     

    MARQUISE JEANNE

    Maintenant on peut y aller.

    PASCAL

    ...avec le kilo de poudre qu’on leur a foutu dans le coquetier, les blattes…

    MARQUISE JEANNE   

    Jules,juge,ammonite

     

    ...elles peuvent crever.

    Un temps.

    Tu n’as pas oublié les tréteaux ?

    PASCAL

    Pas de danger.

    JEANNE

    Tu les as bien calées, mes toiles ? Ventre à ventre, ou dos à dos.

    PASCAL, bat :

    Tout baigne…

     

    SÉQUENCE 3

    EXT. JOUR

    1. PG Voiture, de dos, débouchant dans une rue étroite.

    2. CONT.PLONG. Panonceau défraîchi «BOUCHERIE »

    3. PM PASCAL et JEANNE, écouteurs à l’oreille, font plusieurs aller-retours de la voiture à la boucherie, transportant des paquets encombrants (tréteaux, toiles par deux).

    4. GP sur des barreaux de vitrine, verticaux, très serrés, à l’ancienne.

    5. TGP Intérieur des cannelures des barreaux, maculé de taches brunes indélébiles.

    6. GP Visage de PASCAL reniflant.

    PASCAL

    Ça sent le vieux sang. Séché.

    Il mâche dans le vide bouche ouverte, d’un air dégoûté.

    7. PG TRAV. GD Arrière-boutique.

    TRAV .AV. Cuisine en boyau.

    GP Un réchaud vétuste, un tuyau à gaz à date périmée.

     

    8. PM JEANNE de dos ouvrant une fenêtre crasseuse qui donne sur une ruelle à ras de caniveau, eaux sales. TRAV. BH Une fenêtre juste en face, rideaux bonne femme et cul de télévision 1992.

    9. P.G. PASCAL Schongauer et JEANNE Schongau installant toue sorte de paquets, tréteaux, tableaux, premiers rangements et dispositions.

    OFF :

    « ...soit pour les époux Schongau-Schongauer en location indivise un bâtiment sis six de la rue des Puniques, sur trois niveaux dont une boucherie désaffectée au rez-de-chaussée plus arrière-boutique attenante, chambre et dégagement plus point d’eau et toilette au premier étage plus chambres et toilettes au deuxième et combles, le tout constituant immeuble de rapport ou hôtel déclassé pour insalubrité (arrêté préfectoral du 20 juillet 1983), chaque chambre pourvue d’une literie, d’un mobilier d’hôtellerie adéquat et de tous tuyaux, robinetterie, lavabo et bidet en bon état de marche, à charge éventuelle pour les époux Schongau-Schongauer de réaménager à leur gré exclusif tout ou partie, intérieur ou extérieur, du bâtiment décrit susdit... »

     

    10. P.E. PASCAL et JEANNE remettant une forte liasse de billets entre les mains de LA FEMME AUBERGISTE (MAUD)

     

    11. P.E. PASCAL et JEANNE main dans la main, écouteurs pendants, s’engage dans le grand raide escalier de bois noir qui monte à l’étage.

     

    INT. JOUR.

    12. P.M. PASCAL SCHONGAUER s’arrête net :

    «  Douze vingtièmes de ma vie ; quatre ans par marche : 48 ans sur 80 ».

    Ils se tiennent par les épaules.

     

    13. P.M. Ils débouchent sur le grand palier qui comprend : une pierre à eau, un coin douche. Armoires, coffres, poussière. 

     

    C O L L I G N ON

     

    B L A T T E S  , B L A T T E S

     

     

    LES FILMS DE MERDE

     

    PITCH

    Deux couples rivaux aménagent une ancienne boucherie en lieu de vente pour travaux de peinture sur soie. L’ambiance tendue, l’isolation du lieu choisi, la sottise humaine généralisée, le manque de motivation, présentent une image déprimante de toute entreprise humaine.

     

    THÈME

     

    Tout est vain, le monde est con, toute entreprise est vouée à l’échec, se lamenter est le but ultime.

     

    LE HÉROS

     

    1.QUI EST-IL ?

    Un homme de 48 ans, professeur profondément pessimiste, dont le seul but est de caricaturer tous ceux qu’il voit. Il déteste toute action et cultive l’inaction, l’imagination languissante.

     

    2. QUE FAIT-IL ?

    Il accompagne sa femme et l’amie de celle-ci dans une tentative de se faire reconnaître dans leur activité artisanale. Ses cours n’interviennent pas ici.

     

     

    3. D’OÙ VIENT-IL ?

     

    De Bordeaux, à 100km. Son activité consiste à transformer ses cours en perpétuel ricanement. Il n’est venu que pour suivre mollement le projet de sa femme, sans s’impliquer

    réellement, car il ne croit à rien, sauf au caractère victimaire de sa précieuse et inutile personne.

     

    4.OÙ VA-T-IL ?

     

    Absolument nulle part, où le vent le pousse. Sa femme et l’amie de cette dernière lui demandent de transporter su matériel à Fort-St-Jacques, alors il le fait.

     

    5. POURQUOI Y VA-T-IL ?

    Parce que sa femme Arielle le lui a demandé, sinon il s’en fiche. Il pense que les femmes ont toujours raison, ce qui est une excellente raison pour ne jamais prendre la moindre initiative. Simplement, par la seule force de son observation ironique et morne, il créera des mots et des images à peine moins chiantes que la réalité, qui n’est qu’une toile de fond de sa douleur mineure et narcissique.

     

    (« ETC. » : rien de plus. Un vrai sous-Houellebecq, une loque informe et vénéneuse)

     

    xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx

     

    CARTON

    Tout être qui se sent persécuté

    est réellement persécuté.

    MONTHERLANT

    Le cardinal d’Espagne

     

    SEQUENCE 1

    INT. JOUR

    OFF

     

    Les blattes sont de petits insectes dégueulasses,

    hétérométaboles et dictyoptères. Ils trottent dans

    les lieux obscurs en faisant cra-cra-cra

    et se nourrissent de débris variés/

     

    1. GP Blattes : longues et brunes

    au plafond

    2. GP - sur les murs

    3. 4. 5. GP Blattes longues et brunes en positions différentes.

    6. INSERT : une ampoules à cent watts, éblouissante

    7. GP : Blattes aplaties éblouies qui font les mortes

    8. GP : Certaines contractent d’un coup leurs six pattes sur le ventre

    et se laissent tomber au sol.

    9. GP : Blattes

    qui filent sur le carrelage.

    10. GP : Pantoufle rageuse écrasant les blattes

    à même les parois et le plafond nus.

    11. Quatre pantoufles enfilées par des mains

    12. GP Blattes qui tombent.

     

    OFF

    « La mort la plus simple pour l’organisme le plus simple.

    Un petit rectangle simple, qui craque à peine.

    13. GP Cadavre écrasé contre le mur, raclé pour le faire tomber.

    BRUITAGE TRES ACCENTUÉ PDT TOUTE LA SÉQUENCE

    14. PLONG. SUR LES QUATRE BABOUCHES

    15. PM Carnage sur le carrelage, en perspective cavalière.

    16. GP sur les rescapées se cachant dans des fissures.

    17. PA. Deux humains, mâle et femelle au crâne rasé, roux pour la femme.

    Baladeurs sur les oreilles.

    La femme en tablier bleu.

    Ils comptent les cadavres en se courbant.

    PASCAL SCHONGAUER dit PAPIER

    Vingt-cinq.

    MARQUISE DE SCHONGAU

    Quarante-quatre.

    PASCAL

    Soixante-neuf. Quelle coïncidence.

    MARQUISE

    Va chercher un balai.

    TRAV. AV. PASCAL de dos cherche un balai dans un placard très sale

    ZOOM AV. Toiles d’araignées, très luisantes.

    TRAV. AR. PASCAL charrie les blattes sur la pelle.

    18. GP visage de la Marquise, surimpression STOCK : pelleteuses charriant des cadavres à

    Auschwitz.

    19. PA Ils enlèvent leurs écouteurs et coupent la musique.

    MARQUISE JEANNE

    C’était quoi pour toi ?

    Elle écarte les bords d’un grand sac en plastique.

    PASCAL

    Schubert comme d’habitude.

    PASCAL PAPIER est tout pâle. Il jette les cadavres à la pelle dans le grand sac.

     

    SEQUENCE 2

    EXT. JOUR

     

    Dans une voiture. PASCAL et MARQUISE JEANNE de SCHONGAU côte à côte

     

    MARQUISE JEANNE

    Maintenant on peut y aller.

    PASCAL

    ...avec le kilo de poudre qu’on leur a foutu dans le coquetier, les blattes…

    MARQUISE JEANNE

    ...elles peuvent crever.

    Un temps.

    Tu n’as pas oublié les tréteaux ?

    PASCAL

    Pas de danger.

    JEANNE

    Tu les as bien calées, mes toiles ? Ventre à ventre, ou dos à dos.

    PASCAL, bat :

    Tout baigne…

     

    SÉQUENCE 3

    EXT. JOUR

    1. PG Voiture, de dos, débouchant dans une rue étroite.

    2. CONT.PLONG. Panonceau défraîchi «BOUCHERIE »

    3. PM PASCAL et JEANNE, écouteurs à l’oreille, font plusieurs aller-retours de la voiture à la boucherie, transportant des paquets encombrants (tréteaux, toiles par deux).

    4. GP sur des barreaux de vitrine, verticaux, très serrés, à l’ancienne.

    5. TGP Intérieur des cannelures des barreaux, maculé de taches brunes indélébiles.

    6. GP Visage de PASCAL reniflant.

    PASCAL

    Ça sent le vieux sang. Séché.

    Il mâche dans le vide bouche ouverte, d’un air dégoûté.

    7. PG TRAV. GD Arrière-boutique.

    TRAV .AV. Cuisine en boyau.

    GP Un réchaud vétuste, un tuyau à gaz à date périmée.

     

    8. PM JEANNE de dos ouvrant une fenêtre crasseuse qui donne sur une ruelle à ras de caniveau, eaux sales. TRAV. BH Une fenêtre juste en face, rideaux bonne femme et cul de télévision 1992.

    9. P.G. PASCAL Schongauer et JEANNE Schongau installant toue sorte de paquets, tréteaux, tableaux, premiers rangements et dispositions.

    OFF :

    « ...soit pour les époux Schongau-Schongauer en location indivise un bâtiment sis six de la rue des Puniques, sur trois niveaux dont une boucherie désaffectée au rez-de-chaussée plus arrière-boutique attenante, chambre et dégagement plus point d’eau et toilette au premier étage plus chambres et toilettes au deuxième et combles, le tout constituant immeuble de rapport ou hôtel déclassé pour insalubrité (arrêté préfectoral du 20 juillet 1983), chaque chambre pourvue d’une literie, d’un mobilier d’hôtellerie adéquat et de tous tuyaux, robinetterie, lavabo et bidet en bon état de marche, à charge éventuelle pour les époux Schongau-Schongauer de réaménager à leur gré exclusif tout ou partie, intérieur ou extérieur, du bâtiment décrit susdit... »

     

    10. P.E. PASCAL et JEANNE remettant une forte liasse de billets entre les mains de LA FEMME AUBERGISTE (MAUD)

     

    11. P.E. PASCAL et JEANNE main dans la main, écouteurs pendants, s’engage dans le grand raide escalier de bois noir qui monte à l’étage.

     

    INT. JOUR.

    12. P.M. PASCAL SCHONGAUER s’arrête net :

    «  Douze vingtièmes de ma vie ; quatre ans par marche : 48 ans sur 80 ».

    Ils se tiennent par les épaules.

     

    13. P.M. Ils débouchent sur le grand palier qui comprend : une pierre à eau, un coin douche. Armoires, coffres, poussière.

     

    14. P.M. TRAV. AV.

    Couloir tordu ; au bout à droite une chambre en état d’abandon ;

     

    LA FEMME AUBERGISTE (MAUD) par derrière. L’HOMME AUBERGISTE. Tous deux très corpulents, l’homme très grand, de type alsacien.

    L’HOMME, qui les a suivis :

    « C’est la plus belle ».

     

    PASCAL

    « Sûr ! »

    15. PANORAMIQUE GD

    Une cheminée sous la poussière gluante. Une table de nuit. Lit. Couvre-pied lourd.

     

    16. P.M. JEANNE se tord les pieds sur les tomettes.

    17.G.P. PASCAL SCHONGAUER : son visage exprime une grande satisfaction. Il se frotte les mains.

     

    18. L’AUBERGISTE MÂLE

    « Ça donne juste au-dessus de la porte aux bouchers. Ne vous penchez pas trop » (doctoral) Quatre mètres cinquante.

    L’AUBERGISTE FEMELLE (MAUD)

    « C’est mon mari qui a installé la pompe. Et des toilettes dans le boyau. V’z’avez pas vu les toilettes ?

     

    JEANNE SCHONGAU

    « Il y a des blattes.

    MAUD

    « Vos aurez du produit.

    Les deux couples se comparent avec intérêt.

     

    MÂLE

    « On vous fait un prix parce que c’est insalubre.

     

    FEMELLE

    « Il faudrait des frais énormes.

     

    PASCAL, s’esclaffant niaisement :

    « Ha ha ! « Énormes ! »

     

    JEANNE le fixe férocement. Il se tait.

     

    19. P.M. Int. Jour

    Vue sur une chambre désaffectée, volets mi-clos, matelas roulés.

     

    AUBERGISTE FEMELLE, soufflant :

    Juste au-dessus vous avez une autre chambre, qu’est pas mal non plus.

     

    AUBERGISTE MÂLE

    Bon, moi je r’tourne bricoler.

     

    20. P.M. AUBERGISTE FEMELLE, guide les locataires

    Là c’est les cabinets. (Elle tire la chasse)

    Surtout vous n’en mettez pas trop. Pour le produit, vous passerez le prendre. On mange à sept heures.

     

    21. Travelling avant dans l’escalier

    PASCAL

    Qu’est-ce qu’il y a sous ç’t’escalier ?

    AUBERGISTE FEMELLE

    Ben c’est un puits. (Elle dégage, en tirant une planche, un puits intérieur fermé par une grille)

    À la fin de la guerre les Résistants ils ont balancé des miliciens. Alors ça remonte ! - moi je suis là que depuis trois ans.

     

    SÉQUENCE 3

    P.E. INT. JOUR

     

    1. Intérieur d’auberge campagnarde. Six tables serrées, nappes « bonne femme ».

    Représentants, camionneurs. Seule à une table, imposante, la MARQUISE DE BOUF ET BOILNŒUD. Grande, forte, blonde, 50 ans, se croit bon chic bon genre.

    JEANNE SCHONGAU, de dos, attendant qu’on la serve.

    PANORAMIQUE BAS DROIT vers HAUT GAUCHE

    PASCAL sort des toilettes en haut de l’escalier en se rebraguettant et redescend s’assoir en face de JEANNE SCHONGAU.

     

    OFF

    JEANNE, à PASCAL

    Je ne veux pas manger dans ce trou à rat.

    PASCAL

    C’est pour se faire bien voir.

    JEANNE, sifflante :

    Savonnette...

     

    2. P.E.

    L’AUBERGISTE FEMELLE (« MAUD »)

    Vous prendrez bien l’apéro ? (elle fait signe à SA FILLE) Trois Marie Brizard !

     

    LA FILLE s’éloigne, escortée par un PETIT AMI soumis aux cheveux d’oreilles d’épagneul.

     

    « MAUD »

    Il n’y a pas de clients ici. C’est pas des gens intéressants. Et puis avec tous ces putain d’impôts…

    La MARQUISE DE BOUF ET BOILNŒUD tique…

     

    3. INT. JOUR P.M.

    LE PETIT AMI

    Vous voulez de la musique ?

     

    Il met en route un appareil à musique, constitué d’un corps de buffet et d’un cercle de métal blanc, sous vitre.Ce cercle présente une infinité d’aspérités correspondant au mécanisme d’une boîte à musique.

     

    LE PETIT AMI glisse une pièce de cinq francs Napoléon III dans la fente, l’appareil se met en marche sous les yeux attentifs et dans le silence de tous ; il joue La marche des petits Pierrots.

     

    SÉQUENCE 4

     

    1. CUT – P. M.

    CARLOS, SOPHIE LA BLATTE

    Couples de touristes, lui : corpulent, type latino-américain, barbe de zapatero. Bagues, lunettes noires de comédie.

    SOPHIE LA BLATTE en robe légère et très démodée.

     

    CARLOS, sur le pas de la porte, écoutant :

    C’est vraiment chouette !

     

    SOPHIE, voix très aiguë :

    Patronne ! Deux menus très simples…

     

    MAUD

    Ici Madame, y a que du très simple.

    SOPHIE & CARLOS s’installent au milieu d’une attention respectueuse. Ils sont disposés de face avec PASCAL et JEANNE , légèrement décalés.

    Musique. On voit CARLOS s’enfiler trois ou quatre apéritifs, faire rigoler toute l’assistance avec de grands gestes ;

     

    2. GP visage de SOPHIE

     

    3. P.M.

    PASCAL SCHÖNGAUER - JEANNE SCHÖNGAU, CARLOS ET SOPHIE LA BLATTE parlent ensemble avec animation, la glace est rompue.

     

    4. P.M.

    JEANNE SCHÖNGAU, naïve, à CARLOS

    Ah ? Ils ont aussi des néonazis en Norvège ?

     

    SOPHIE LA BLATTE À JEANNE, pour changer de conversation :

    Je fais de la peinture sur soie : signes du zodiaque, symboles maçonniques…

     

     

    PASCAL, coupant maladroitement la parole à JEANNE /

    Ma femme attent cent quatre-vingt six échantillons de parfums, par le prochain car de Bajac. Et sur les murs, nous exposerons des instruments en miniature.

     

    JEANNE, qui peut enfin placer un mot :

    ...de musique.

     

    CARLOS parle bas à l’oreille de PASCAL en étouffant un fou-rire gras.

    Bitte…

     

    PASCAL rit sans façons.

     

    6. G.P.

     

    CARLOS

    Je suis un envoyé d’Oliver Blatt Blattstein - ne me regardez pas avec ces yeux-là.

     

    7 P.M.

    PASCAL se ressaisit.

    Une crème brûlée !

     

    CARLOS

    Nous allons exposer ensemble tous les quatre.

     

    JEANNE,à mi-voix :

    Pas de police surtout , pas de police !

     

    CARLOS

    Patronne ! Trois cognacs !

     

    JEANNE

    Quatre !

     

    CARLOS, à mi-voix

    Tant que je suis là, rien à craindre.

     

    SOPHIE tire d’un sac à main des reproductions, qu’elle fait admirer. Des représentants retournent bientôt ses photographies dans tous les coins gras du local

     

     

    SÉQUENCE 5- INT. JOUR

    Intérieur de l’ancienne boucherie aménagée en salle d’exposition.

     

    CARLOS

    Mesdames, Monsieur, nous voici tous en Mission d’Art, chargés…

     

    JEANNE

    ...et très éméchés…

     

    CARLOS lui jette un regard terrible

    ...chargés de faire luire en cette basse bourgade les Arts et leurs supports. La tâche sera malaisée, car nul ici à Fort-Saint-Jacques , ne voit l’intérêt d’acquérir un flacon de parfum, une clarinette miniature, que sais-je ; il faudra conquérir les populations.

     

    PANORAMIQUE DR. G. sur la boutique

     

    CARLOS

    Répartissons les tâches : les Hintzelstein, ou aubergistes, fournissent lessive, peintures, brosses et seaux.

     

    SOPHIE

    Et les pinceaux…

     

    CARLOS lui lance aussi un regard terrible.

     

    2. INT. JOUR

    CARLOS s’empare du meilleur pinceau, de la plus large cuvette ; on voit les autres, et spédialement PASCAL, se contenter de rogatons avcc des mines de dépit.

     

    3. P. E.

    Musique.

     

    Tout le monde au boulot, gueulantes devinées de CARLOS en train de morigéner tout le monde, il n’y a que lui visiblement qui saurait bien mieux faire que tous les autres.

     

    4. P. R. sur PASCAL, perché sur un escabeau, qui tartine sa peinture n’importe comment, ne sachant même pas tenir un pinceau, dans un angle encombré de tuyauteries.

     

    5. P. Américain sur CARLOS, perché sur l’escabeau juste en dessous, inspectant le travail de PASCAL.

    « T’es vraiment le bureaucrate, toi... »

     

    6. CARLOS a pris la place de PASCAL et se livre, ostensiblement, à un travail minutieux.

    PASCAL, entre ses dents

    « Démerde-toi, pauvre con ».

     

    7. P.¨M. SOPHIE, JEANNE, admiratives ; PASCAL les rejoint, plein de hargne

    JEANNE, lui tendant un cabas

    « Tiens, va faire les courses. C’est tout ce que tu sais foutre.

     

    SÉQUENCE 6 INT. JOUR

    Une supérette. PASCAL, VIEILLE ÉPICIÈRE, JEUNE ÉPICIÉRE en minijupe. CLIENT(E) S

    VIEILLE, accent du Sod-Ouest

    LA JEUNE passe auprès de PASCAL en tortillant

    « Vous désirez ? »

     

    PASCAL

    « Oui je désire, je désire euh… du thon… des œufs… un double-litre…

     

    La JEUNE ÉPICIÈRE le sert à mesure. PASCAL n’ose pas s’intéresser à la JEUNE et flaire LA VIEILLE.

     

    SÉQUENCE 7 INT. JOUR

    Dans la boucherie aménagée, tout le monde travaille, les tabliers blancs se souillent à grande vitesse, et CARLOS peinturlure avec enthousiasme.

    PASCAL, voix piteuse

    «  « Qu’est-ce que je peux faire ?

     

    Geste de JEANNE, il pose le sac à manger sur la table de l’arrière-boutique.

     

    2. Tous travaillent à la peinture. PASCAL, off, chante d’une voix avinée.

     

    3.

    PASCAL ressort de l’arrière-boutique, tourne autour des escabeaux en brandissant son

    double-litre sous plastique :

    « J’vais vous raconter une histoire drôle…

     

    TOUS

    Non ! Non ! Surtout pas ! Pitié !

     

    CARLOS du haut de son escabeau

    Tu vas la fermer ta gueule ?

     

    PASCAL, à JEANNE, désignant CARLOS :

    «T’aimes ça toi, les gros bras… Ça te change des p’tites bites…

     

    5.

    (Il boit au goulot) C’que vous pigez pas, c’est le désespogne, le désespoir de l’ivrogne.

     

    6. EXT. JOUR P.M.

    PASCAL fait le zouave sur le seuil de la boutiques

     

    7.

    PASCAL retourne dans la Supérette, se livre à un comportement théâtral

    Y a qu’moi qui travaille ici : Tiens filez-moi un fromage.

     

    LA VIEILLE ÉPICIÈRE, très digne

    Vous les avez derrière vous, Monsieur.

     

    8. INT. JOUR P. M.

    PASCAL revient en titubant, se raccroche à l’échelle double ;

    JEANNE, sur l’échelle, descend :

    Maintenant, ça suffit.

     

    9. PASCAL brandit sa bouteille :

    Au moins avec moi on se mââârre…

    CARLOS

    Tu nous casslek. Putain avec toi y a pas besoin de radio, on n’entend que tes conneries, tu fais chier.

    PASCAL

    Il est grossier, le monsieur qu’on ne connaissait pas tout à l’heure.

    SOPHIE

    Arrêtez quoi merde ! - Non, vous tout seul, monsieur Pascal.

    JEANNE

    Tu peux le tutoyer !

     

    PANORAMIQUE H – B

    JEANNE descend de son escabeau, le pinceau à la main, saisit la bouteille et la tord dans la main de PASCAL, l’arrache, passe dans l’arrière-cuisine.

     

    10. JEANNE, de dos, vidant la bouteille dans l’évier.

    11. G.P. sur PASCAL désappointé.

    12. P.M. PASCAL

    Regarde-moi tous ces bouffons le pinceau à la main, bande de prolos, même pas foutus de penser à la bouffe.

    Personne ne l’écoute.

    J’ai besoin de vin, moi. Ça ne vous vient pas à l’esprit bande d’enclumes que j’aie besoin de vin. Je suis un intellectuel, moi, je pense ! Et qu’est-ce que je vais faire, moi, sans pinard ?

    CARLOS

    Surtout pas de la peinture !

    13. G.P. PASCAL, larmoyant

    Tout le monde veut m’empêcher de peindre !

    TOUS poussent des cris ; confusion.

    Arrête de gueuler ! ...Braille pas si fort !

    Ils crient plus fort eux-mêmes que celui qu’ils veulent faire taire.

     

    14. P.M. PASCAL nettoie le vin et les débris de plastique avec une serpillière

    Ma bouteille… Ma petite bouteille…

    JEANNE

    Tu salis le ciment avec ta vinasse…

    PASCAL

    Tu n’vois pas que j’nettoye ?

     

    S É Q U E N C E 8 - EXT. JOUR

     

    1. P. G. Arrivée d’un autocar brimballant. Le chauffeur en descend, monte sur le toit et balance les colis aux gens qui attendent en bas.

     

    SOPHIE, en bas, tendant les bras :

    Mes flacons ! … c ‘est fragile !

    Elle montre des petits mollets tout maigres sous des chaussettes blanches.

     

    LE CHAUFFEUR 

    Il y a encore un paquet pour l’autre dame.

    Il le décharge précautionneusement.

     

    2. G.P. en gros plan sur des reproductions sur toile d’instruments anciens, d’icônes, etc.

    3. SOPHIE déballe, étale, et installe ses foulards et ses flacons vides.

    Elle fait flairer ses flacons autour d’elle :

    Sentez-moi ça !

    4. G.P. sur CARLOS, grommelant :

    Tout ça c’est de la connerie.

    6. G.P. sur SOPHIE

    Je vendrai tout, je vais tous vous nourrir, PASCAL pourra s’acheter du vin, du meilleur.

     

    TRAV. G.D.

    JEANNE, glaciale : ...Quel humour…

    7. PANORAMIQUE D.G. sur toutes formes de flacons, fantaisistes et contournées : cochons, grosses merdes bien moulées, etc.

     

    FONDU ENCHAÎNÉ

     

    SÉQUENCE 9 INT. JOUR P.M.

     

    1. JEANNE

    À mon tour.

    PASCAL déballe des trompettes, accordéons, violons, le tout de 15cm de haut.

    2. G.P. CARLOS

    Tout ça, c’est des conneries.

     

    3. PASCAL se rapproche de CARLOS

    Qu’est-ce que vous disiez sur Blatt et Blattstein ?

    CARLOS réticent

    Tout ça, c’est des conneries. Ça ne rapporte pas un rond.

     

    4.  P.E., PANORAMIQUE D.G.

    Vue sur les deux étalages, côte à côte et face à face, en forme d’U. Les deux tenancières, JEANNE et SOPHIE, semblent jouer à la marchande, et sont ravies.

     

    JEANNE

    Que c’est beau ! Elle minaude en tournant un foulard entre ses mains.

     

    SOPHIE

    Ce que vous faites est magnifique aussi.

     

    JEANNE, humant un flacon

    Qu’est-ce que c’est ?

     

    SOPHIE

    Du patchouli. Oh, et ça, qu’est-ce que c’est ?

     

    JEANNE, minaudant

    Une trompette.

    SOPHIE fait semblant de jouer sur une minuscule viole.

     

    JEANNE

    On ne peut pas en jouer !

     

    5. G.P. CARLOS

    Tout ça c’est de la connerie.

     

    6. P.M. SOPHIE s’extasie sur de grandes Vierges peintes en or sur fond d’or, un peu trop déshabillées

    JEANNE

    Oh vous savez, il n’y a pas de popes dans ce village.

     

    PASCAL, regard appuyé vers CARLOS

    Des Colombiens peut-être…

     

    P.M. CARLOS, qui se tape sur les cuisses

    Tout ça c’est des conneries.

     

    SÉQUENCE 10

    À plusieurs reprises, ACCÉLÉRÉ, JEANNE et SOPHIE exposent leurs étals, et tantôt l’une, tantôt l’autre, essaie d’empiéter sur l’étal de l’autre.

    SOPHIE

    La soie faut que ça se déplie.

     

    JEANNE

    Oh les jolis chats ! les jolis taureaux ! les jolis beuffes !

     

    SOPHIE

    C’est un tigre.

     

    JEANNE : Ou un bœux.

    SOPHIE

    Enfin quoi, tire un peu sur la soie, là, on voit bien que c’est un tigre, tout de même, il aurait fallu 50cm de plus pour bien voir la queue dans tout son développement.

    « Vous… - tu me donneras bien une vierge ?

     

    JEANNE lui tend un cornet à piston en laiton,modèle 1883

     

    SÉQUENCE 11 INT. JOUR

     

    1. SOPHIE, JEANNE

    JEANNE

    Des instruments miniatures : jamais personne n’a eu l’idée d’exposer ça avant moi.

    SOPHIE

    C’est comme mon cul ; on ne l’a jamais exposé non plus.

    JEANNE

    Ça ferait fuir le client.

    Elles se battent, les hommes les séparent – PASCAL est fin bourré.

     

    2. CARLOS, PASCAL

    P.M.

    CARLOS

    Les icônes m’ont toujours bien consolé dans ma cellule.

    PASCAL

    Et qu’est-ce qu’il veut au juste, le Blatt-Blattstein ?

     

    3. Nouvel assaut entre les deux femmes, nouvelle intervention.

    CARLOS

    Eh merde, vous ne pouvez pas tout simplement vous mettre l’une dans l’autre ?

    JEANNE

    Justement, allez vous faire mettre.

     

    4. EXT. JOUR Attroupement devant la vitrine.

    5. CARLOS, PASCAL

    PASCAL, pâteux

    Et pis t’arrêtes de soutenir ma femme, toi…

    CARLOS

    J’en veux pas d’ta femme ; même au lit elle garde ses godasses, comme Van Gogh.

    PASCAL, à JEANNE

    T’es pas prête d’en faire, du Van Gogh.

    JEANNE

    Et toi c’est pas l’oreille que tu d’vrais t’couper.

     

    SÉQUENCE 12 INT. JOUR

    1. P. M. Les DEUX FEMMES s’envoient leurs productions à la figure, les DEUX HOMMES essaient de les séparer

     

    2.

    PASCAL bourré veut rattraper les objets, mais il fait plus de dégât qu’autre chose.

     

    SÉQUENCE 13 EXT. JOUR P.E.

    Les AUBERGISTES et les villageois se sont attroupés devant la boutique, d’où proviennent des bruits de casse et des cris.

     

    L’ÉPICIÈRE JEUNE

    C’est peut-être pas des vrais artistes.

    LA VIEILLESSE

    Pt’êt’ ben juste des commerçants.

    LE TABAC

    Quoi, quoi, « des commerçants ?

     

    SÉQUENCE 14 INT. NUIT

    L’auberge.

    1. P.M.

    CARLOS, SOPHIE, JEANNE, PASCAL, LES DEUX AUBERGISTES

    AUBERGISTE FEMELLE

    Pour les chiottes, faudra vous méfier, pas en mettre trop, pas bourrer le papier.

    AUBERGISTE MÂLE, sentencieux

    Moduler le serrage des fesses, pour chier fin.

    PASCAL

    Pourquoi vous êtes toujours sur notre dos comme ça ?

    AUBERGISTE MÂLE

    On rend service, et on veut pas s’faire emmerder tout le temps pour du débouchage.

    AUBERGISTE FEMELLE

    C’est votre merde, pas la nôtre.

    SOPHIE

    Là n’est pas la question, c’est l’eau qui r’monte, on tire la chasse et on a le cul qui baigne.

    PASCAL

    Bravo le paysage quand on s’retourne.

    AUBERGISTE FEMELLE

    Et les douches c’est pour les chiens ? Mon mari en a passé des heures à bricoler un coin pour vous laver l’cul.

    AUBERGISTE MÂLE

    On parle jamais de ce qui marche.

    CARLOS

    Ouais les douches y a tout l’confort, on s’aperçoit que c’est occupé quand on voit la serviette sur la porte.

    AUBERGISTE MÂLE

    Putain jamais contents, je vous ai prévenus dix fois aussi que la flotte c’était pas terrible, venez pas vous plaindre pour les amibes, il faut chercher l’eau fraîche à la fontaine dehors.

    AUBERGISTE FEMELLE

    On vous en aurait bien passé du restau mais vu comment qu’vous êtes aimables…

    JEANNE, hurlant

    On va pas s’mettre à hurler, non plus ?

    PASCAL, gluant d’amabilité

    On pourrait peut-être manger chez vous, ce soir ?

     

    SÉQUENCE 15 INT. NUIT

    Les étages de la boutique vus depuis l’auberge

    1. P.M. TRAV. AV.

    PASCAL parcourt toutes les chambres, d’étage en étage

     

    2. P.R.

    Matelas rayés enroulés sur eux-mêmes.

     

    PAN. G.D.

    Volets qui se déglinguent, espagnolettes rouillées.

     

    3. INT. NUIT

    Visions de baise grotesque sur les matelas, (c’est ce qui passe dans la tête de PASCAL). Bruiitage de ressorts.

     

    4. P. M.

    PASCAL se jette sur un matelas ; boules de cuivre ; contorsions.

     

    5. P.M.

    PASCAL ouvre la lumière dans une autre chambre abandonnée, jour jaunâtre, ZOOM AV. sur le matelas rayé enroulé.

     

    6. G. P. PASCAL se prend le jus en tournant un commutateur en papillon de faïence. Hurlement :

    Erremmel !

    Cri soudain, atroce et tout proche, d’une dame blanche (c’est un rapace nocturne).

     

    7. STOCK

    Un enfant qu’on égorge, ou qui passe sous un camion.

     

    SÉQUENCE 16 INT. JOUR

     

    La salle d’auberge.

    L’AUBERGISTE FEMELLE

    Tu aurais pu tout de même les prévenir, pour la dame blanche dans la toiture…

     

    SÉQUENCE 17 INT. NUIT

    1. P.M. Salle à manger de l’auberge. TOUS.

    L’AUBERGISTE FEMELLE,buvant une Marie-Brizard

     

    Faudrait pas croire ! Tiens,moi, ben je baise quand même !

     

    L’AUBERGISTE MÂLE, se rapprochant de la table en fourrageant dans sa braguette

    Et comment qu’on baise.

     

    TRAV. G.D., PASCAL explique à JEANNE avec des gestes que la copulation doit s’effectuer par derrière vu la corpulence de la femme.

     

    2. P. E.

    TOUTE LA CLIENTÈLE dans le restaurant.

    3., 4., 5. : P.M.

    Diverses figures, le BURALISTE et sa bosse, l’ ÉPICIÈRE et ses cuisses nues, la MARQUISE de BOUF et BOILNŒUD un peu à l’écart mais condescendante avec son

    gros chignon blond pisseux.

     

    6. P.M.

    LE TABAC

    Tout de même, le communisme ça donnait de l’espoir aux gens.

     

    7. P.M.

    Regards lubriques de CARLOS cherchant à voir la culotte de l’ÉPICIÈRE quand elle croise les jambes. Il se passe la main dans la barbe. Il la tire, les yeux exorbités.

    L’AUBERGISTE FEMELLE ramasse l’argent de tous et soupire

    Vivement la foire tiens, qu’on gagne un peu plus de pognon.

     

    SÉQUENCE 18.

    INT. JOUR

     

    SOPHIE essaye d’allumer le réchaud avec des allumettes détrempées.À la fin une grande explosion qui la fait sursauter :

    Erremmel !

     

    SÉQUENCE 19

    INT. JOUR

    Arrière-boutique

    CARLOS bouffe à table comme un porc.

     

    SÉQUENCE 20

    EXT. JOUR

    PASCAL se paie la corvée d’eau, maintes bouteilles de plastique vides sous les bras. Il en laisse tomber une pleine au retour. Elle éclate.

    TRAV. AV.

    PASCAL pose les bouteilles sur la table. CARLOS engloutit des spaghettis, se soulève pesamment pour péter.

    P.M. TRAV. D.G.

    Entrée des DEUX FEMMES

    JEANNE

    Putain, encore des nouilles !

    CARLOS, la bouche pleine

    Nouilles, encore des putains !

    SOPHIE

    Bonjour le régime !

    CARLOS lui claque sur les fesses et se reçoit une claque de première

    PASCAL

    ...de toute façon, quand je propose de manger en face, je me fais traiter de savonnette…

    Il se ressert en spaghettis, boit à même une bouteille de vin en plastique

     

    SÉQUENCE 21 24

    INT. NUIT

    L’arrière-boutique

    CARLOS et PASCAL font les comptes, échangent des bulletins de vente détachables

    JEANNE et SOPHIE leur passent les bulletins, de couleurs différentes

     

    QUENCE 22

    INT. JOUR

    La boutique elle-même

    JEANNE et SOPHIE derrière leurs comptoirs, tirant la gueule – jeu de lumière suggérant l’écoulement de la journée, à plusieurs reprises, en accéléré. Aucune vente.

    ÉÉ

    SÉQUENCE 23

    INT. JOUR P.E.

    Un gosse s’enfuit avec un foulard. JEANNE le rattrape à l’extérieur, baffe le gosse ; arrive un colosse qui paye, rebaffe le gosse et baffe JEANNE.

     

    SÉQUENCE 24

    INT. JOUR P.M.

    PASCAL se barricadant courageusement dans sa chambre parce qu’il n’a pas voulu intervenir…

     

    SÉQUENCE 25

    EXT. JOUR P.M.

    Une MÉMÉ devant la vitrine, avisant les prix :

    Mais c’est de la folie !

     

    SÉQUENCE 26

    INT. JOUR

    TOUS. Chacun fait ses comptes avec une gueule sinistre.

     

    SÉQUENCE 27

    INT. JOUR

     

    JEANNE vend un violoncelle miniature à la Marquise de BOUF et BOILNŒUD

    JEANNE

    Madame…

    B. & B.

    Madame…

     

    SÉQUENCE 28

    INT. JOUR

    P. M.

    JEANNE montre, grâce à un ticket, qu’elle a enfin vendu quelque chose.

    SOPHIE

    On partage…

    Le partage de l’argent s’effectue.

     

    SÉQUENCE 29

    INT. NUIT

    SOPHIE

    J’ai vendu un foulard.

    JEANNE

    On parage…

    SOPHIE, indignée

    Ah non ! pour nous, c’est pas la même chose !

    CARLOS, gêné, se cure les dents

    On n’a pas reçu boucoup comme mandat cette semaine…

    SOPHIE

    On n’est pas des fonctionnaires, nous autres…

    PASCAL en arrière-plan, fumant de rage, boit une rasade.

     

    SÉQUENCE 30

    INT. JOUR P.M.

    Arrière-boutique

    1. TOUS en train de manger sans enthousiasme un plat de nouilles qui collent

    2. INT. NUIT

    TOUS, même jeu

    TRAV.G.D.

    JEANNE se mesure le tour de taille

    ZOOM sur PASCAL

    Il recompte mélancoliquement un fond de porte-monnaie

    CARLOS essaie de voir par-dessus son épaule, PASCAL se dérobe.

     

    SÉQUENCE 31 INT. JOUR

    P.M.

    TOUS en train de manger une purée infame

    PASCAL, à JEANNE

    Quand c’est toi qui fait la cuisine, c’est guère mieux… Bon, alors, on va manger en face ?

    SOPHIE, jetant de l’huile sur le feu

    Savonnette…

     

    SÉQUENCE 32

    EXT. JOUR

    DEUX MÉMÉS dans la rue

    PREMIÈRE MÉMÉ

    Moi j’achète pas là…

    DEUXIÈME MÉMÉ

    T’as vu les prix de ouf ?

    PREMIÈRE

    Paraît que c’est de la soie…

    DEUXIÈME

    Oh ben, pour poser son cul…

     

    SÉQUENCE 33 EXT. JOUR

    Le seuil de la boutique.

    CARLOS, PASCAL

    PASCAL

    T’es sûr que t’as rien à me dire pour Blatt-Blattstein ?

    CARLOS

    Oh moi, yo sé pas grand-chose.

    PASCAL

    Et alors ?

    CARLOS

    Ben alors il fait chaud.

     

    SÉQUENCE 34 EXT. JOUR P.E.

    Une banderole

    BIENVENUE À LA DCLIIIe FOIRE DE FORT-SAINT-JACQUES

    ZOOM H. B.sur LES AUBERGISTES et LES QUATRE EXPOSANTS

     

    AUBERGISTE MÂLE par la fenêtre

    Vous commencez par le tour extérieur.

     

    CARLOS

    Mesdames et messieurs, nous entamons la visite guidée de la place-forte médiévale de Fort-St-Jacques.

    « Fort-St-Jacques fut bâtie en cercles concentriques... »

    PASCAL

    ...ou avec trique…

    TOUS le regardent avec une intense pitié

     

    SÉQUENCE 35 EXT. JOUR, le soir tombe, les premières lumières s’allument

    TOUS derrière CARLOS, en troupeau de touristes

     

    CARLOS

    La cité de Fort-St-Jacques, typiquement médiévale…

    GROS PLANS sur diverses plaques de rues.

    BOULEVARD DE LA MARNE

    BOULEVARD DE LA SOMME

    BOULEVARD DE VERDUN

     

    SOPHIE

    C’est guerrier, c’est coquet.

     

    PAN. BAS-HAUT, vue des feuillages par dessous, vols d’éphémères sur contre-jour de réverbères

    ZOOM AV. sur PASCAL qui soulève à la main des plaques d’écorce de platane

    Le bonheur de l’entomologiste

     

    SÉQUENCE 36 EXT. NUIT

    CARLOS

    Ces remarquables bâtisses, mesdames et messieurs…

    PASCAL

    Eh, je me sens tout seul…

    CARLOS

    ...remontent à ces temps anciens où…

     

    PAN. DR. G. sur JEANNE, mimique exaspérée. Elle bourre les côtes à PASCAL qui joue les extatiques

    Savonnette… Espèce de savonnette…

     

    PAN. BAS-HAUT, P.M.

    Vieilles maisons à colombages, pignons aigus, portes rongées, pierres anciennes sous projecteurs.

    GROS PLAN sur une vitrine d’agent immobilier, photos suggestives, pris modérés

     

    SOPHIE

    ...et après, faut les allonger pour tout retaper…

    TRAV. AV.

    Église ouverte

    SÉQUENCE 37 INT. NUIT

     

    LE GROUPE en train d’ahaner à la queue-leu-leu dans un escalier en colimaçon.

    CARLOS, off, derrière PASCAL

    Putain t’as encore largué, toi…

     

    TRAV. AV.

    Parvis de l’église

    PAN. H-B, P.E.

    Vue de Fort-St-Jacques illuminée, guirlandes diverses

    CARLOS

    Figurez-vous…

    PASCAL

    Ta gueule.

    CARLOS se tait

    GROS PLAN sur PASCAL, mesquin

    J’lai eu, euh… J’lai eu euh…

     

    2. PAN. AV. ET H-B, diverses vues de Fort-St-Jacques révélant une structure concentrique.

    Bruitage : vent. Bouffées d’orchestre de village.

    3. P.M. sur LA GARDIENNE, qui gueule

    Alors là-haut vous vous maillez le cul, oui ? On ferme !

    4. TOUS dévalent l’escalier, tête basse, trébuchant

     

    SÉQUENCE 38 EXT. NUIT

    1. P. M.

    Une vitrine. Des femmes s’affairent, montent des décors au sommet d’échelles doubles.

    2. STOCK : Poissons ouvrant et fermant leurs gueules dans un aquarium

    3. P.M.

    CARLOS

    Vous verrez tout ce qu’on va vendre avec la foire…

    4. INT. NUIT

    TRAV. AV.

    Intérieur du magasin où la caméra a suivi LE GROUPE

    FEMMES au sommet de leurs échelles doubles

    Un BOUCHER en tenue

    Un peu plus de côté. Plus loin, le mannequin. Plus au fond. Le calendrier 1901 (géant) vers le devant, nous fermerons ensuite et pour toujours, il faut que ce soit beau, pour notre dernière fois.

     

    PAN. D.-G.

    LE BOUCHER se tourne vers le groupe des quatre

    J’ai fait ôter la vitrine – une fortune !

    Ça s’ouvrira sur la rue comme une vraie scène à l’italienne : j’ai fait monter des gradins (il les désigne) en face, et aussi derrière vous. (PAN. G.-DR., vue sur les gradins)

     

    LE BOUCHERIE

    Ma pièce va s’intituler La Manche et le gigot,le héros s’appelle Don Quichote. J’en suis l’auteur.

    CARLOS

    ¡ Muy bién !

     

    PAN. G.-DR.

    UN PASSANT,  dédaigneux

    Il fait ça tous les ans.

    LE BOUCHER tourné vers lui

    Monsieur n’est pas d’ici.

    LE PASSANT

    Ah ! pas d’ici…

     

    SÉQUENCE 37 INT. NUIT

    P.M. sur l’intérieur de la vitrine, décor avec papier aluminium pour la viande

    SÉQUENCE 38 EXT. NUIT P. M.

    Plusieurs habitants installent des guirlandes d’éclairage et de feuillage

    SÉQUENCE 39 EXT. JOUR P.M.

    La terrasse de l’auberge

     

    LES QUATRE, LE BURALISTE, LA FEMME DU BURALISTE, LES ÉPICIERS

    1.

    LE BURALISTE

    Moi je vous le dis, tout ça c’est de la foire. De la diarrhée. L’homme va voler l’homme.

    LA FEMME DU BURALISTE

    Tu vends bien du tabac !

    LE BURALISTE

    Je vends des livres aussi.

    LA FEMME

    Y a pas un seul Marx.

    PASCAL

    Ça ne se vendrait pas.

     

    2. EXT. NUIT

    Même décor, mêmes acteur. P.M.

    CARLOS

    Tout ça, c’est de la merde.

    PAN. G.DR. sur LE BURALISTE, qui parle et gesticule : cage thoracique difforme, tête de vautour.

     

    3. G.P.

    Les yeux brûlant du BURALISTE

    PAN. G.DR. G.P.

    Le visage tendu et ambigu de LA FEMME DU BURALISTE ; elle pense à la Liberté que ce serait que la mort de son mari.

     

    LE BURALISTE

    Je ne participerai pas à cette comédie. Le magasin restera comme il est. Prix inchangés.

     

    JEANNE, aux AUBERGISTES

    Et vous ?

    LE BURALISTE

    Ils peuvent rester ouverts tant qu’ils veulent ; moi, tant que ça me ramène des clients, juste à

    côté, ça me va.

    PASCAL

    Fumer donne envie de boire.

     

    3. EXT. NUIT

    LE BURALISTE, furieux

    Moi je me contrefous de votre opinion à vous quatre, vous m’entendez ? Toujours là à épier, à rôder !

     

    4. P.M. PAN. G.DR.

    Les QUATRE ouvrant et refermant la bouche, suffoqués.

    L’ÉPICIÈRE

    Ce bled est mort. L’alcool lui fera du bien.

    L’AUBERGISTE FEMELLE, à PASCAL

    Vous n’avez pas bien mangé, chez moi ?

    PASCAL, avec empressement

    Si si !

    JEANNE

    Savonnette…

    PAN. DR.G

    LE BURALISTE, vociférant

    Multiplier les cafés, c’est multiplier les points de fermentation du Peuple ! Nom de Dieu !

    (Il entonne « L’Internationale)

    LA FEMME DU BURALISTE le fait taire

    PAN. G.DR.

    L’ÉPICIÈRE remonte sa minijupe. Puis elle se refarde les lèvres.

    L’AUBERGISTE FEMELLE, au BURALISTE

    Quand c’est que t’auras fini de brailler, on pourra peut-être se faire un p’tit rami ?

    LE BURALISTE

    C’est un jeu de fachos !

    LA FEMME DU BURALISTE, admirative, à la cantonade

    Il gagne toujours.

     

    4. P.M. sur l’ÉPICIER qui gratte son crâne en pain de sucre

    5. P.M.

    SOPHIE

    Moi j’aime bien cette ambiance, tout de suite on se sent à l’aise.

    REAV. ARR.

    P.E.

    La terrasse où tous, autour de plusieurs guéridons rassemblés, jouent aux cartes.

    SÉQUENCE 40

    EXT. NUIT

    Terrasse d’un bistrot concurrent, vu de face

    LE CURÉ, en soutane

    C’est super, c’t’ouverture d’un deuxième rade. Ça fera toujours autant de cons en moins pour encombrer la messe.

    Il siffle une liqueur

    MUSIQUE de Jacques Brel venant à toute force ce l’intérieur

    LE CURÉ, tourné vers l’intérieur

    Ah non pas lui, c’est superchiant !

     

    SÉQUENCE 41

    INT.NUIT

    L’intérieur de l’hôtel : chambre, couloir, douche extérieure

    JEANNE, PASCAL

    1. PASCAL se brosse les dents

    2. TRAV. AV.

    PASCAL revient du lavabo extérieur, dit à JEANNE restée à lire sur le bord du lit

    À toi.

    Il s’assied sur le rebord du lit, feuillette une revue.

    JEANNE se rend à son tour à la salle d’eau extérieure ; on entend bientôt un bruit de chasse d’eau.

     

    3. INT. NUIT

    La chambre dans la pénombre, volets en tuile. Forts ronflements.

    PASCAL se lève pesamment, sort, bruit de chasse d’eau.

     

    4. P.M.

    PLONGÉE

    Les deux sur le lit ; ils se rapprochent à cause d’un creux dans le matelas, enlèvent leurs vêtements l’un après l’autre à demi endormis, se retombent l’un sur l’autre dans le creux, se séparent, se placent sur les deux extrémités en crête du matelas, se retombent dessus, ronflements.

     

    5. G.P. sur le visage apaisé de PASCAL, bruit de moustique. PASCAL se retourne machinalement. JEANNE lui écrase un moustique sur la gueule. Sursauts divers. JEANNE se relève pesamment, bruit de chasse d’eau.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    .

     

     

    ;

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    14. P.M. TRAV. AV.

    Couloir tordu ; au bout à droite une chambre en état d’abandon ;

     

    LA FEMME AUBERGISTE (MAUD) par derrière. L’HOMME AUBERGISTE. Tous deux très corpulents, l’homme très grand, de type alsacien.

    L’HOMME, qui les a suivis :

    « C’est la plus belle ».

     

    PASCAL

    « Sûr ! »

    15. PANORAMIQUE GD

    Une cheminée sous la poussière gluante. Une table de nuit. Lit. Couvre-pied lourd.

     

    16. P.M. JEANNE se tord les pieds sur les tomettes.

    17.G.P. PASCAL SCHONGAUER : son visage exprime une grande satisfaction. Il se frotte les mains.

     

    18. L’AUBERGISTE MÂLE

    « Ça donne juste au-dessus de la porte aux bouchers. Ne vous penchez pas trop » (doctoral) Quatre mètres cinquante.

    L’AUBERGISTE FEMELLE (MAUD)

    « C’est mon mari qui a installé la pompe. Et des toilettes dans le boyau. V’z’avez pas vu les toilettes ?

     

    JEANNE SCHONGAU

    « Il y a des blattes.

    MAUD

    « Vos aurez du produit.

    Les deux couples se comparent avec intérêt.

     

    MÂLE

    « On vous fait un prix parce que c’est insalubre.

     

    FEMELLE

    « Il faudrait des frais énormes.

     

    PASCAL, s’esclaffant niaisement :

    « Ha ha ! « Énormes ! »

     

    JEANNE le fixe férocement. Il se tait.

     

    19. P.M. Int. Jour

    Vue sur une chambre désaffectée, volets mi-clos, matelas roulés.

     

    AUBERGISTE FEMELLE, soufflant :

    Juste au-dessus vous avez une autre chambre, qu’est pas mal non plus.

     

    AUBERGISTE MÂLE

    Bon, moi je r’tourne bricoler.

     

    20. P.M. AUBERGISTE FEMELLE, guide les locataires

    Là c’est les cabinets. (Elle tire la chasse)

    Surtout vous n’en mettez pas trop. Pour le produit, vous passerez le prendre. On mange à sept heures.

     

    21. Travelling avant dans l’escalier

    PASCAL

    Qu’est-ce qu’il y a sous ç’t’escalier ?

    AUBERGISTE FEMELLE

    Ben c’est un puits. (Elle dégage, en tirant une planche, un puits intérieur fermé par une grille)

    À la fin de la guerre les Résistants ils ont balancé des miliciens. Alors ça remonte ! - moi je suis là que depuis trois ans.

     

    SÉQUENCE 3

    P.E. INT. JOUR

     

    1. Intérieur d’auberge campagnarde. Six tables serrées, nappes « bonne femme ».

    Représentants, camionneurs. Seule à une table, imposante, la MARQUISE DE BOUF ET BOILNŒUD. Grande, forte, blonde, 50 ans, se croit bon chic bon genre.

    JEANNE SCHONGAU, de dos, attendant qu’on la serve.

    PANORAMIQUE BAS DROIT vers HAUT GAUCHE

    PASCAL sort des toilettes en haut de l’escalier en se rebraguettant et redescend s’assoir en face de JEANNE SCHONGAU.

     

    OFF

    JEANNE, à PASCAL

    Je ne veux pas manger dans ce trou à rat.

    PASCAL

    C’est pour se faire bien voir.

    JEANNE, sifflante :

    Savonnette...

     

    2. P.E.

    L’AUBERGISTE FEMELLE (« MAUD »)

    Vous prendrez bien l’apéro ? (elle fait signe à SA FILLE) Trois Marie Brizard !

     

    LA FILLE s’éloigne, escortée par un PETIT AMI soumis aux cheveux d’oreilles d’épagneul.

     

    « MAUD »

    Il n’y a pas de clients ici. C’est pas des gens intéressants. Et puis avec tous ces putain d’impôts…

    La MARQUISE DE BOUF ET BOILNŒUD tique…

     

    3. INT. JOUR P.M.

    LE PETIT AMI

    Vous voulez de la musique ?

     

    Il met en route un appareil à musique, constitué d’un corps de buffet et d’un cercle de métal blanc, sous vitre.Ce cercle présente une infinité d’aspérités correspondant au mécanisme d’une boîte à musique.

     

    LE PETIT AMI glisse une pièce de cinq francs Napoléon III dans la fente, l’appareil se met en marche sous les yeux attentifs et dans le silence de tous ; il joue La marche des petits Pierrots.

     

    SÉQUENCE 4

     

    1. CUT – P. M.

    CARLOS, SOPHIE LA BLATTE

    Couples de touristes, lui : corpulent, type latino-américain, barbe de zapatero. Bagues, lunettes noires de comédie.

    SOPHIE LA BLATTE en robe légère et très démodée.

     

    CARLOS, sur le pas de la porte, écoutant :

    C’est vraiment chouette !

     

    SOPHIE, voix très aiguë :

    Patronne ! Deux menus très simples…

     

    MAUD

    Ici Madame, y a que du très simple.

    SOPHIE & CARLOS s’installent au milieu d’une attention respectueuse. Ils sont disposés de face avec PASCAL et JEANNE , légèrement décalés.

    Musique. On voit CARLOS s’enfiler trois ou quatre apéritifs, faire rigoler toute l’assistance avec de grands gestes ;

     

    2. GP visage de SOPHIE

     

    3. P.M.

    PASCAL SCHÖNGAUER - JEANNE SCHÖNGAU, CARLOS ET SOPHIE LA BLATTE parlent ensemble avec animation, la glace est rompue.

     

    4. P.M.

    JEANNE SCHÖNGAU, naïve, à CARLOS

    Ah ? Ils ont aussi des néonazis en Norvège ?

     

    SOPHIE LA BLATTE À JEANNE, pour changer de conversation :

    Je fais de la peinture sur soie : signes du zodiaque, symboles maçonniques…

     

     

    PASCAL, coupant maladroitement la parole à JEANNE /

    Ma femme attent cent quatre-vingt six échantillons de parfums, par le prochain car de Bajac. Et sur les murs, nous exposerons des instruments en miniature.

     

    JEANNE, qui peut enfin placer un mot :

    ...de musique.

     

    CARLOS parle bas à l’oreille de PASCAL en étouffant un fou-rire gras.

    Bitte…

     

    PASCAL rit sans façons.

     

    6. G.P.

     

    CARLOS

    Je suis un envoyé d’Oliver Blatt Blattstein - ne me regardez pas avec ces yeux-là.

     

    7 P.M.

    PASCAL se ressaisit.

    Une crème brûlée !

     

    CARLOS

    Nous allons exposer ensemble tous les quatre.

     

    JEANNE,à mi-voix :

    Pas de police surtout , pas de police !

     

    CARLOS

    Patronne ! Trois cognacs !

     

    JEANNE

    Quatre !

     

    CARLOS, à mi-voix

    Tant que je suis là, rien à craindre.

     

    SOPHIE tire d’un sac à main des reproductions, qu’elle fait admirer. Des représentants retournent bientôt ses photographies dans tous les coins gras du local

     

     

    SÉQUENCE 5- INT. JOUR

    Intérieur de l’ancienne boucherie aménagée en salle d’exposition.

     

    CARLOS

    Mesdames, Monsieur, nous voici tous en Mission d’Art, chargés…

     

    JEANNE

    ...et très éméchés…

     

    CARLOS lui jette un regard terrible

    ...chargés de faire luire en cette basse bourgade les Arts et leurs supports. La tâche sera malaisée, car nul ici à Fort-Saint-Jacques , ne voit l’intérêt d’acquérir un flacon de parfum, une clarinette miniature, que sais-je ; il faudra conquérir les populations.

     

    PANORAMIQUE DR. G. sur la boutique

     

    CARLOS

    Répartissons les tâches : les Hintzelstein, ou aubergistes, fournissent lessive, peintures, brosses et seaux.

     

    SOPHIE

    Et les pinceaux…

     

    CARLOS lui lance aussi un regard terrible.

     

    2. INT. JOUR

    CARLOS s’empare du meilleur pinceau, de la plus large cuvette ; on voit les autres, et spédialement PASCAL, se contenter de rogatons avcc des mines de dépit.

     

    3. P. E.

    Musique.

     

    Tout le monde au boulot, gueulantes devinées de CARLOS en train de morigéner tout le monde, il n’y a que lui visiblement qui saurait bien mieux faire que tous les autres.

     

    4. P. R. sur PASCAL, perché sur un escabeau, qui tartine sa peinture n’importe comment, ne sachant même pas tenir un pinceau, dans un angle encombré de tuyauteries.

     

    5. P. Américain sur CARLOS, perché sur l’escabeau juste en dessous, inspectant le travail de PASCAL.

    « T’es vraiment le bureaucrate, toi... »

     

    6. CARLOS a pris la place de PASCAL et se livre, ostensiblement, à un travail minutieux.

    PASCAL, entre ses dents

    « Démerde-toi, pauvre con ».

     

    7. P.¨M. SOPHIE, JEANNE, admiratives ; PASCAL les rejoint, plein de hargne

    JEANNE, lui tendant un cabas

    « Tiens, va faire les courses. C’est tout ce que tu sais foutre.

     

    SÉQUENCE 6 INT. JOUR

    Une supérette. PASCAL, VIEILLE ÉPICIÈRE, JEUNE ÉPICIÉRE en minijupe. CLIENT(E) S

    VIEILLE, accent du Sod-Ouest

    LA JEUNE passe auprès de PASCAL en tortillant

    « Vous désirez ? »

     

    PASCAL

    « Oui je désire, je désire euh… du thon… des œufs… un double-litre…

     

    La JEUNE ÉPICIÈRE le sert à mesure. PASCAL n’ose pas s’intéresser à la JEUNE et flaire LA VIEILLE.

     

    SÉQUENCE 7 INT. JOUR

    Dans la boucherie aménagée, tout le monde travaille, les tabliers blancs se souillent à grande vitesse, et CARLOS peinturlure avec enthousiasme.

    PASCAL, voix piteuse

    «  « Qu’est-ce que je peux faire ?

     

    Geste de JEANNE, il pose le sac à manger sur la table de l’arrière-boutique.

     

    2. Tous travaillent à la peinture. PASCAL, off, chante d’une voix avinée.

     

    3.

    PASCAL ressort de l’arrière-boutique, tourne autour des escabeaux en brandissant son

    double-litre sous plastique :

    « J’vais vous raconter une histoire drôle…

     

    TOUS

    Non ! Non ! Surtout pas ! Pitié !

     

    CARLOS du haut de son escabeau

    Tu vas la fermer ta gueule ?

     

    PASCAL, à JEANNE, désignant CARLOS :

    «T’aimes ça toi, les gros bras… Ça te change des p’tites bites…

     

    5.

    (Il boit au goulot) C’que vous pigez pas, c’est le désespogne, le désespoir de l’ivrogne.

     

    6. EXT. JOUR P.M.

    PASCAL fait le zouave sur le seuil de la boutiques

     

    7.

    PASCAL retourne dans la Supérette, se livre à un comportement théâtral

    Y a qu’moi qui travaille ici : Tiens filez-moi un fromage.

     

    LA VIEILLE ÉPICIÈRE, très digne

    Vous les avez derrière vous, Monsieur.

     

    8. INT. JOUR P. M.

    PASCAL revient en titubant, se raccroche à l’échelle double ;

    JEANNE, sur l’échelle, descend :

    Maintenant, ça suffit.

     

    9. PASCAL brandit sa bouteille :

    Au moins avec moi on se mââârre…

    CARLOS

    Tu nous casslek. Putain avec toi y a pas besoin de radio, on n’entend que tes conneries, tu fais chier.

    PASCAL

    Il est grossier, le monsieur qu’on ne connaissait pas tout à l’heure.

    SOPHIE

    Arrêtez quoi merde ! - Non, vous tout seul, monsieur Pascal.

    JEANNE

    Tu peux le tutoyer !

     

    PANORAMIQUE H – B

    JEANNE descend de son escabeau, le pinceau à la main, saisit la bouteille et la tord dans la main de PASCAL, l’arrache, passe dans l’arrière-cuisine.

     

    10. JEANNE, de dos, vidant la bouteille dans l’évier.

    11. G.P. sur PASCAL désappointé.

    12. P.M. PASCAL

    Regarde-moi tous ces bouffons le pinceau à la main, bande de prolos, même pas foutus de penser à la bouffe.

    Personne ne l’écoute.

    J’ai besoin de vin, moi. Ça ne vous vient pas à l’esprit bande d’enclumes que j’aie besoin de vin. Je suis un intellectuel, moi, je pense ! Et qu’est-ce que je vais faire, moi, sans pinard ?

    CARLOS

    Surtout pas de la peinture !

    13. G.P. PASCAL, larmoyant

    Tout le monde veut m’empêcher de peindre !

    TOUS poussent des cris ; confusion.

    Arrête de gueuler ! ...Braille pas si fort !

    Ils crient plus fort eux-mêmes que celui qu’ils veulent faire taire.

     

    14. P.M. PASCAL nettoie le vin et les débris de plastique avec une serpillière

    Ma bouteille… Ma petite bouteille…

    JEANNE

    Tu salis le ciment avec ta vinasse…

    PASCAL

    Tu n’vois pas que j’nettoye ?

     

    S É Q U E N C E 8 - EXT. JOUR

     

    1. P. G. Arrivée d’un autocar brimballant. Le chauffeur en descend, monte sur le toit et balance les colis aux gens qui attendent en bas.

     

    SOPHIE, en bas, tendant les bras :

    Mes flacons ! … c ‘est fragile !

    Elle montre des petits mollets tout maigres sous des chaussettes blanches.

     

    LE CHAUFFEUR 

    Il y a encore un paquet pour l’autre dame.

    Il le décharge précautionneusement.

     

    2. G.P. en gros plan sur des reproductions sur toile d’instruments anciens, d’icônes, etc.

    3. SOPHIE déballe, étale, et installe ses foulards et ses flacons vides.

    Elle fait flairer ses flacons autour d’elle :

    Sentez-moi ça !

    4. G.P. sur CARLOS, grommelant :

    Tout ça c’est de la connerie.

    6. G.P. sur SOPHIE

    Je vendrai tout, je vais tous vous nourrir, PASCAL pourra s’acheter du vin, du meilleur.

     

    TRAV. G.D.

    JEANNE, glaciale : ...Quel humour…

    7. PANORAMIQUE D.G. sur toutes formes de flacons, fantaisistes et contournées : cochons, grosses merdes bien moulées, etc.

     

    FONDU ENCHAÎNÉ

     

    SÉQUENCE 9 INT. JOUR P.M.

     

    1. JEANNE

    À mon tour.

    PASCAL déballe des trompettes, accordéons, violons, le tout de 15cm de haut.

    2. G.P. CARLOS

    Tout ça, c’est des conneries.

     

    3. PASCAL se rapproche de CARLOS

    Qu’est-ce que vous disiez sur Blatt et Blattstein ?

    CARLOS réticent

    Tout ça, c’est des conneries. Ça ne rapporte pas un rond.

     

    4.  P.E., PANORAMIQUE D.G.

    Vue sur les deux étalages, côte à côte et face à face, en forme d’U. Les deux tenancières, JEANNE et SOPHIE, semblent jouer à la marchande, et sont ravies.

     

    JEANNE

    Que c’est beau ! Elle minaude en tournant un foulard entre ses mains.

     

    SOPHIE

    Ce que vous faites est magnifique aussi.

     

    JEANNE, humant un flacon

    Qu’est-ce que c’est ?

     

    SOPHIE

    Du patchouli. Oh, et ça, qu’est-ce que c’est ?

     

    JEANNE, minaudant

    Une trompette.

    SOPHIE fait semblant de jouer sur une minuscule viole.

     

    JEANNE

    On ne peut pas en jouer !

     

    5. G.P. CARLOS

    Tout ça c’est de la connerie.

     

    6. P.M. SOPHIE s’extasie sur de grandes Vierges peintes en or sur fond d’or, un peu trop déshabillées

    JEANNE

    Oh vous savez, il n’y a pas de popes dans ce village.

     

    PASCAL, regard appuyé vers CARLOS

    Des Colombiens peut-être…

     

    P.M. CARLOS, qui se tape sur les cuisses

    Tout ça c’est des conneries.

     

    SÉQUENCE 10

    À plusieurs reprises, ACCÉLÉRÉ, JEANNE et SOPHIE exposent leurs étals, et tantôt l’une, tantôt l’autre, essaie d’empiéter sur l’étal de l’autre.

    SOPHIE

    La soie faut que ça se déplie.

     

    JEANNE

    Oh les jolis chats ! les jolis taureaux ! les jolis beuffes !

     

    SOPHIE

    C’est un tigre.

     

    JEANNE : Ou un bœux.

    SOPHIE

    Enfin quoi, tire un peu sur la soie, là, on voit bien que c’est un tigre, tout de même, il aurait fallu 50cm de plus pour bien voir la queue dans tout son développement.

    « Vous… - tu me donneras bien une vierge ?

     

    JEANNE lui tend un cornet à piston en laiton,modèle 1883

     

    SÉQUENCE 11 INT. JOUR

     

    1. SOPHIE, JEANNE

    JEANNE

    Des instruments miniatures : jamais personne n’a eu l’idée d’exposer ça avant moi.

    SOPHIE

    C’est comme mon cul ; on ne l’a jamais exposé non plus.

    JEANNE

    Ça ferait fuir le client.

    Elles se battent, les hommes les séparent – PASCAL est fin bourré.

     

    2. CARLOS, PASCAL

    P.M.

    CARLOS

    Les icônes m’ont toujours bien consolé dans ma cellule.

    PASCAL

    Et qu’est-ce qu’il veut au juste, le Blatt-Blattstein ?

     

    3. Nouvel assaut entre les deux femmes, nouvelle intervention.

    CARLOS

    Eh merde, vous ne pouvez pas tout simplement vous mettre l’une dans l’autre ?

    JEANNE

    Justement, allez vous faire mettre.

     

    4. EXT. JOUR Attroupement devant la vitrine.

    5. CARLOS, PASCAL

    PASCAL, pâteux

    Et pis t’arrêtes de soutenir ma femme, toi…

    CARLOS

    J’en veux pas d’ta femme ; même au lit elle garde ses godasses, comme Van Gogh.

    PASCAL, à JEANNE

    T’es pas prête d’en faire, du Van Gogh.

    JEANNE

    Et toi c’est pas l’oreille que tu d’vrais t’couper.

     

    SÉQUENCE 12 INT. JOUR

    1. P. M. Les DEUX FEMMES s’envoient leurs productions à la figure, les DEUX HOMMES essaient de les séparer

     

    2.

    PASCAL bourré veut rattraper les objets, mais il fait plus de dégât qu’autre chose.

     

    SÉQUENCE 13 EXT. JOUR P.E.

    Les AUBERGISTES et les villageois se sont attroupés devant la boutique, d’où proviennent des bruits de casse et des cris.

     

    L’ÉPICIÈRE JEUNE

    C’est peut-être pas des vrais artistes.

    LA VIEILLESSE

    Pt’êt’ ben juste des commerçants.

    LE TABAC

    Quoi, quoi, « des commerçants ?

     

    SÉQUENCE 14 INT. NUIT

    L’auberge.

    1. P.M.

    CARLOS, SOPHIE, JEANNE, PASCAL, LES DEUX AUBERGISTES

    AUBERGISTE FEMELLE

    Pour les chiottes, faudra vous méfier, pas en mettre trop, pas bourrer le papier.

    AUBERGISTE MÂLE, sentencieux

    Moduler le serrage des fesses, pour chier fin.

    PASCAL

    Pourquoi vous êtes toujours sur notre dos comme ça ?

    AUBERGISTE MÂLE

    On rend service, et on veut pas s’faire emmerder tout le temps pour du débouchage.

    AUBERGISTE FEMELLE

    C’est votre merde, pas la nôtre.

    SOPHIE

    Là n’est pas la question, c’est l’eau qui r’monte, on tire la chasse et on a le cul qui baigne.

    PASCAL

    Bravo le paysage quand on s’retourne.

    AUBERGISTE FEMELLE

    Et les douches c’est pour les chiens ? Mon mari en a passé des heures à bricoler un coin pour vous laver l’cul.

    AUBERGISTE MÂLE

    On parle jamais de ce qui marche.

    CARLOS

    Ouais les douches y a tout l’confort, on s’aperçoit que c’est occupé quand on voit la serviette sur la porte.

    AUBERGISTE MÂLE

    Putain jamais contents, je vous ai prévenus dix fois aussi que la flotte c’était pas terrible, venez pas vous plaindre pour les amibes, il faut chercher l’eau fraîche à la fontaine dehors.

    AUBERGISTE FEMELLE

    On vous en aurait bien passé du restau mais vu comment qu’vous êtes aimables…

    JEANNE, hurlant

    On va pas s’mettre à hurler, non plus ?

    PASCAL, gluant d’amabilité

    On pourrait peut-être manger chez vous, ce soir ?

     

    SÉQUENCE 15 INT. NUIT

    Les étages de la boutique vus depuis l’auberge

    1. P.M. TRAV. AV.

    PASCAL parcourt toutes les chambres, d’étage en étage

     

    2. P.R.

    Matelas rayés enroulés sur eux-mêmes.

     

    PAN. G.D.

    Volets qui se déglinguent, espagnolettes rouillées.

     

    3. INT. NUIT

    Visions de baise grotesque sur les matelas, (c’est ce qui passe dans la tête de PASCAL). Bruiitage de ressorts.

     

    4. P. M.

    PASCAL se jette sur un matelas ; boules de cuivre ; contorsions.

     

    5. P.M.

    PASCAL ouvre la lumière dans une autre chambre abandonnée, jour jaunâtre, ZOOM AV. sur le matelas rayé enroulé.

     

    6. G. P. PASCAL se prend le jus en tournant un commutateur en papillon de faïence. Hurlement :

    Erremmel !

    Cri soudain, atroce et tout proche, d’une dame blanche (c’est un rapace nocturne).

     

    7. STOCK

    Un enfant qu’on égorge, ou qui passe sous un camion.

     

    SÉQUENCE 16 INT. JOUR

     

    La salle d’auberge.

    L’AUBERGISTE FEMELLE

    Tu aurais pu tout de même les prévenir, pour la dame blanche dans la toiture…

     

    SÉQUENCE 17 INT. NUIT

    1. P.M. Salle à manger de l’auberge. TOUS.

    L’AUBERGISTE FEMELLE,buvant une Marie-Brizard

     

    Faudrait pas croire ! Tiens,moi, ben je baise quand même !

     

    L’AUBERGISTE MÂLE, se rapprochant de la table en fourrageant dans sa braguette

    Et comment qu’on baise.

     

    TRAV. G.D., PASCAL explique à JEANNE avec des gestes que la copulation doit s’effectuer par derrière vu la corpulence de la femme.

     

    2. P. E.

    TOUTE LA CLIENTÈLE dans le restaurant.

    3., 4., 5. : P.M.

    Diverses figures, le BURALISTE et sa bosse, l’ ÉPICIÈRE et ses cuisses nues, la MARQUISE de BOUF et BOILNŒUD un peu à l’écart mais condescendante avec son

    gros chignon blond pisseux.

     

    6. P.M.

    LE TABAC

    Tout de même, le communisme ça donnait de l’espoir aux gens.

     

    7. P.M.

    Regards lubriques de CARLOS cherchant à voir la culotte de l’ÉPICIÈRE quand elle croise les jambes. Il se passe la main dans la barbe. Il la tire, les yeux exorbités.

    L’AUBERGISTE FEMELLE ramasse l’argent de tous et soupire

    Vivement la foire tiens, qu’on gagne un peu plus de pognon.

     

    SÉQUENCE 18.

    INT. JOUR

     

    SOPHIE essaye d’allumer le réchaud avec des allumettes détrempées.À la fin une grande explosion qui la fait sursauter :

    Erremmel !

     

    SÉQUENCE 19

    INT. JOUR

    Arrière-boutique

    CARLOS bouffe à table comme un porc.

     

    SÉQUENCE 20

    EXT. JOUR

    PASCAL se paie la corvée d’eau, maintes bouteilles de plastique vides sous les bras. Il en laisse tomber une pleine au retour. Elle éclate.

    TRAV. AV.

    PASCAL pose les bouteilles sur la table. CARLOS engloutit des spaghettis, se soulève pesamment pour péter.

    P.M. TRAV. D.G.

    Entrée des DEUX FEMMES

    JEANNE

    Putain, encore des nouilles !

    CARLOS, la bouche pleine

    Nouilles, encore des putains !

    SOPHIE

    Bonjour le régime !

    CARLOS lui claque sur les fesses et se reçoit une claque de première

    PASCAL

    ...de toute façon, quand je propose de manger en face, je me fais traiter de savonnette…

    Il se ressert en spaghettis, boit à même une bouteille de vin en plastique

     

    SÉQUENCE 21 24

    INT. NUIT

    L’arrière-boutique

    CARLOS et PASCAL font les comptes, échangent des bulletins de vente détachables

    JEANNE et SOPHIE leur passent les bulletins, de couleurs différentes

     

    QUENCE 22

    INT. JOUR

    La boutique elle-même

    JEANNE et SOPHIE derrière leurs comptoirs, tirant la gueule – jeu de lumière suggérant l’écoulement de la journée, à plusieurs reprises, en accéléré. Aucune vente.

    ÉÉ

    SÉQUENCE 23

    INT. JOUR P.E.

    Un gosse s’enfuit avec un foulard. JEANNE le rattrape à l’extérieur, baffe le gosse ; arrive un colosse qui paye, rebaffe le gosse et baffe JEANNE.

     

    SÉQUENCE 24

    INT. JOUR P.M.

    PASCAL se barricadant courageusement dans sa chambre parce qu’il n’a pas voulu intervenir…

     

    SÉQUENCE 25

    EXT. JOUR P.M.

    Une MÉMÉ devant la vitrine, avisant les prix :

    Mais c’est de la folie !

     

    SÉQUENCE 26

    INT. JOUR

    TOUS. Chacun fait ses comptes avec une gueule sinistre.

     

    SÉQUENCE 27

    INT. JOUR

     

    JEANNE vend un violoncelle miniature à la Marquise de BOUF et BOILNŒUD

    JEANNE

    Madame…

    B. & B.

    Madame…

     

    SÉQUENCE 28

    INT. JOUR

    P. M.

    JEANNE montre, grâce à un ticket, qu’elle a enfin vendu quelque chose.

    SOPHIE

    On partage…

    Le partage de l’argent s’effectue.

     

    SÉQUENCE 29

    INT. NUIT

    SOPHIE

    J’ai vendu un foulard.

    JEANNE

    On parage…

    SOPHIE, indignée

    Ah non ! pour nous, c’est pas la même chose !

    CARLOS, gêné, se cure les dents

    On n’a pas reçu boucoup comme mandat cette semaine…

    SOPHIE

    On n’est pas des fonctionnaires, nous autres…

    PASCAL en arrière-plan, fumant de rage, boit une rasade.

     

    SÉQUENCE 30

    INT. JOUR P.M.

    Arrière-boutique

    1. TOUS en train de manger sans enthousiasme un plat de nouilles qui collent

    2. INT. NUIT

    TOUS, même jeu

    TRAV.G.D.

    JEANNE se mesure le tour de taille

    ZOOM sur PASCAL

    Il recompte mélancoliquement un fond de porte-monnaie

    CARLOS essaie de voir par-dessus son épaule, PASCAL se dérobe.

     

    SÉQUENCE 31 INT. JOUR

    P.M.

    TOUS en train de manger une purée infame

    PASCAL, à JEANNE

    Quand c’est toi qui fait la cuisine, c’est guère mieux… Bon, alors, on va manger en face ?

    SOPHIE, jetant de l’huile sur le feu

    Savonnette…

     

    SÉQUENCE 32

    EXT. JOUR

    DEUX MÉMÉS dans la rue

    PREMIÈRE MÉMÉ

    Moi j’achète pas là…

    DEUXIÈME MÉMÉ

    T’as vu les prix de ouf ?

    PREMIÈRE

    Paraît que c’est de la soie…

    DEUXIÈME

    Oh ben, pour poser son cul…

     

    SÉQUENCE 33 EXT. JOUR

    Le seuil de la boutique.

    CARLOS, PASCAL

    PASCAL

    T’es sûr que t’as rien à me dire pour Blatt-Blattstein ?

    CARLOS

    Oh moi, yo sé pas grand-chose.

    PASCAL

    Et alors ?

    CARLOS

    Ben alors il fait chaud.

     

    SÉQUENCE 34 EXT. JOUR P.E.

    Une banderole

    BIENVENUE À LA DCLIIIe FOIRE DE FORT-SAINT-JACQUES

    ZOOM H. B.sur LES AUBERGISTES et LES QUATRE EXPOSANTS

     

    AUBERGISTE MÂLE par la fenêtre

    Vous commencez par le tour extérieur.

     

    CARLOS

    Mesdames et messieurs, nous entamons la visite guidée de la place-forte médiévale de Fort-St-Jacques.

    « Fort-St-Jacques fut bâtie en cercles concentriques... »

    PASCAL

    ...ou avec trique…

    TOUS le regardent avec une intense pitié

     

    SÉQUENCE 35 EXT. JOUR, le soir tombe, les premières lumières s’allument

    TOUS derrière CARLOS, en troupeau de touristes

     

    CARLOS

    La cité de Fort-St-Jacques, typiquement médiévale…

    GROS PLANS sur diverses plaques de rues.

    BOULEVARD DE LA MARNE

    BOULEVARD DE LA SOMME

    BOULEVARD DE VERDUN

     

    SOPHIE

    C’est guerrier, c’est coquet.

     

    PAN. BAS-HAUT, vue des feuillages par dessous, vols d’éphémères sur contre-jour de réverbères

    ZOOM AV. sur PASCAL qui soulève à la main des plaques d’écorce de platane

    Le bonheur de l’entomologiste

     

    SÉQUENCE 36 EXT. NUIT

    CARLOS

    Ces remarquables bâtisses, mesdames et messieurs…

    PASCAL

    Eh, je me sens tout seul…

    CARLOS

    ...remontent à ces temps anciens où…

     

    PAN. DR. G. sur JEANNE, mimique exaspérée. Elle bourre les côtes à PASCAL qui joue les extatiques

    Savonnette… Espèce de savonnette…

     

    PAN. BAS-HAUT, P.M.

    Vieilles maisons à colombages, pignons aigus, portes rongées, pierres anciennes sous projecteurs.

    GROS PLAN sur une vitrine d’agent immobilier, photos suggestives, pris modérés

     

    SOPHIE

    ...et après, faut les allonger pour tout retaper…

    TRAV. AV.

    Église ouverte

    SÉQUENCE 37 INT. NUIT

     

    LE GROUPE en train d’ahaner à la queue-leu-leu dans un escalier en colimaçon.

    CARLOS, off, derrière PASCAL

    Putain t’as encore largué, toi…

     

    TRAV. AV.

    Parvis de l’église

    PAN. H-B, P.E.

    Vue de Fort-St-Jacques illuminée, guirlandes diverses

    CARLOS

    Figurez-vous…

    PASCAL

    Ta gueule.

    CARLOS se tait

    GROS PLAN sur PASCAL, mesquin

    J’lai eu, euh… J’lai eu euh…

     

    2. PAN. AV. ET H-B, diverses vues de Fort-St-Jacques révélant une structure concentrique.

    Bruitage : vent. Bouffées d’orchestre de village.

    3. P.M. sur LA GARDIENNE, qui gueule

    Alors là-haut vous vous maillez le cul, oui ? On ferme !

    4. TOUS dévalent l’escalier, tête basse, trébuchant

     

    SÉQUENCE 38 EXT. NUIT

    1. P. M.

    Une vitrine. Des femmes s’affairent, montent des décors au sommet d’échelles doubles.

    2. STOCK : Poissons ouvrant et fermant leurs gueules dans un aquarium

    3. P.M.

    CARLOS

    Vous verrez tout ce qu’on va vendre avec la foire…

    4. INT. NUIT

    TRAV. AV.

    Intérieur du magasin où la caméra a suivi LE GROUPE

    FEMMES au sommet de leurs échelles doubles

    Un BOUCHER en tenue

    Un peu plus de côté. Plus loin, le mannequin. Plus au fond. Le calendrier 1901 (géant) vers le devant, nous fermerons ensuite et pour toujours, il faut que ce soit beau, pour notre dernière fois.

     

    PAN. D.-G.

    LE BOUCHER se tourne vers le groupe des quatre

    J’ai fait ôter la vitrine – une fortune !

    Ça s’ouvrira sur la rue comme une vraie scène à l’italienne : j’ai fait monter des gradins (il les désigne) en face, et aussi derrière vous. (PAN. G.-DR., vue sur les gradins)

     

    LE BOUCHERIE

    Ma pièce va s’intituler La Manche et le gigot,le héros s’appelle Don Quichote. J’en suis l’auteur.

    CARLOS

    ¡ Muy bién !

     

    PAN. G.-DR.

    UN PASSANT,  dédaigneux

    Il fait ça tous les ans.

    LE BOUCHER tourné vers lui

    Monsieur n’est pas d’ici.

    LE PASSANT

    Ah ! pas d’ici…

     

    SÉQUENCE 37 INT. NUIT

    P.M. sur l’intérieur de la vitrine, décor avec papier aluminium pour la viande

    SÉQUENCE 38 EXT. NUIT P. M.

    Plusieurs habitants installent des guirlandes d’éclairage et de feuillage

    SÉQUENCE 39 EXT. JOUR P.M.

    La terrasse de l’auberge

     

    LES QUATRE, LE BURALISTE, LA FEMME DU BURALISTE, LES ÉPICIERS

    1.

    LE BURALISTE

    Moi je vous le dis, tout ça c’est de la foire. De la diarrhée. L’homme va voler l’homme.

    LA FEMME DU BURALISTE

    Tu vends bien du tabac !

    LE BURALISTE

    Je vends des livres aussi.

    LA FEMME

    Y a pas un seul Marx.

    PASCAL

    Ça ne se vendrait pas.

     

    2. EXT. NUIT

    Même décor, mêmes acteur. P.M.

    CARLOS

    Tout ça, c’est de la merde.

    PAN. G.DR. sur LE BURALISTE, qui parle et gesticule : cage thoracique difforme, tête de vautour.

     

    3. G.P.

    Les yeux brûlant du BURALISTE

    PAN. G.DR. G.P.

    Le visage tendu et ambigu de LA FEMME DU BURALISTE ; elle pense à la Liberté que ce serait que la mort de son mari.

     

    LE BURALISTE

    Je ne participerai pas à cette comédie. Le magasin restera comme il est. Prix inchangés.

     

    JEANNE, aux AUBERGISTES

    Et vous ?

    LE BURALISTE

    Ils peuvent rester ouverts tant qu’ils veulent ; moi, tant que ça me ramène des clients, juste à

    côté, ça me va.

    PASCAL

    Fumer donne envie de boire.

     

    3. EXT. NUIT

    LE BURALISTE, furieux

    Moi je me contrefous de votre opinion à vous quatre, vous m’entendez ? Toujours là à épier, à rôder !

     

    4. P.M. PAN. G.DR.

    Les QUATRE ouvrant et refermant la bouche, suffoqués.

    L’ÉPICIÈRE

    Ce bled est mort. L’alcool lui fera du bien.

    L’AUBERGISTE FEMELLE, à PASCAL

    Vous n’avez pas bien mangé, chez moi ?

    PASCAL, avec empressement

    Si si !

    JEANNE

    Savonnette…

    PAN. DR.G

    LE BURALISTE, vociférant

    Multiplier les cafés, c’est multiplier les points de fermentation du Peuple ! Nom de Dieu !

    (Il entonne « L’Internationale)

    LA FEMME DU BURALISTE le fait taire

    PAN. G.DR.

    L’ÉPICIÈRE remonte sa minijupe. Puis elle se refarde les lèvres.

    L’AUBERGISTE FEMELLE, au BURALISTE

    Quand c’est que t’auras fini de brailler, on pourra peut-être se faire un p’tit rami ?

    LE BURALISTE

    C’est un jeu de fachos !

    LA FEMME DU BURALISTE, admirative, à la cantonade

    Il gagne toujours.

     

    4. P.M. sur l’ÉPICIER qui gratte son crâne en pain de sucre

    5. P.M.

    SOPHIE

    Moi j’aime bien cette ambiance, tout de suite on se sent à l’aise.

    REAV. ARR.

    P.E.

    La terrasse où tous, autour de plusieurs guéridons rassemblés, jouent aux cartes.

    SÉQUENCE 40

    EXT. NUIT

    Terrasse d’un bistrot concurrent, vu de face

    LE CURÉ, en soutane

    C’est super, c’t’ouverture d’un deuxième rade. Ça fera toujours autant de cons en moins pour encombrer la messe.

    Il siffle une liqueur

    MUSIQUE de Jacques Brel venant à toute force ce l’intérieur

    LE CURÉ, tourné vers l’intérieur

    Ah non pas lui, c’est superchiant !

     

    SÉQUENCE 41

    INT.NUIT

    L’intérieur de l’hôtel : chambre, couloir, douche extérieure

    JEANNE, PASCAL

    1. PASCAL se brosse les dents

    2. TRAV. AV.

    PASCAL revient du lavabo extérieur, dit à JEANNE restée à lire sur le bord du lit

    À toi.

    Il s’assied sur le rebord du lit, feuillette une revue.

    JEANNE se rend à son tour à la salle d’eau extérieure ; on entend bientôt un bruit de chasse d’eau.

     

    3. INT. NUIT

    La chambre dans la pénombre, volets en tuile. Forts ronflements.

    PASCAL se lève pesamment, sort, bruit de chasse d’eau.

     

    4. P.M.

    PLONGÉE

    Les deux sur le lit ; ils se rapprochent à cause d’un creux dans le matelas, enlèvent leurs vêtements l’un après l’autre à demi endormis, se retombent l’un sur l’autre dans le creux, se séparent, se placent sur les deux extrémités en crête du matelas, se retombent dessus, ronflements.

     

    5. G.P. sur le visage apaisé de PASCAL, bruit de moustique. PASCAL se retourne machinalement. JEANNE lui écrase un moustique sur la gueule. Sursauts divers. JEANNE se relève pesamment, bruit de chasse d’eau.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

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