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Et n'oubliez pas, lecteurs de la Clef des Ondes : afin de ne pas verser dans le travers de l'indignation a posteriori, je ne vous ai pas révélé que pendant que les duchesses se disputaient à savoir qui pourrait demeurer assise en présence du roi, le peuple de France bouffait l'herbe des chemins et les écorces d'arbres. Les gens de cour, tels les personnages de La Fontaine, sont des bêtes féroces. Ainsi, page 47 (le texte est de Cabanis, truffé de citatins guillemetées, que je ne relèverai pas nécessairement de la voix : « A ce même Conseil de régence, c'est Saint-Simon lui-même, lorsqu'il poursuit de sa hargne le duc de Noailles, qui lui vole dessus comme un oiseau de proie, alors que Desmarets, à l'époque où ce même duc l'attaquait, était à son tour une mouche chassée par l'araignée, et prête à tomber dans ses toiles. Mais ce duc de Noailles n'en était pas à une métamorphose près, puisqu'il s'identifiait, ni plus ni moins, au serpent d'Adam et Eve, « dont il conservait le venin parmi toutes les bassesses les plus abjectes. Si Nyert, nous l'avons vu, était un vieux singe, plus malfaisant qu'aucun des plus malins et des plus méchants de ces animaux, c'est seulement le visage d'un vieux singe qu'avait le comte de Gramont, mais c'était un même temps un chien enragé. Succèdent à ce bestiaire, page 94, des considérations presque autant raciales sur la légitimité des petits d'hommes : L'hérédité bafouée, chacun se donnant les héritiers qu'il voulait, c'était la licence et le bon plaisir introduits dans... - etc. vous trouverez tout cela facilement : « Folio » n° 2578.
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d'Ormesson, comme un chant d'espérance
Comme un chant d'espérance est dû à la plume désormais nonagénaire de Jean d'Ormesson de l'Académie Française où l'on sucre les fraises. Toujours alerte, fringant et tiré à quatre épingles, on l'a déjà dit. Peu lu et ne méritant pas d'entrer dans la Pléiade, ce fut dit aussi, mais plus méchamment. Rabâchant des histoires sur Dieu, les anges, le monde et tout ce mystère qui nous entoure, assurément, mais le sujet, impalpable, indéfinissable, est inépuisable. Nous comprenons bien que les non-croyants militants de gauche puissent s'agacer, s'exaspérer de cette perpétuelle quête de l'inimaginable, alors qu'il faut augmenter les salaires et secourir les clochards qui crèvent.
Mais il est aussi aisé de démontrer que ces militants-là, d'une certaine manière, croient en la justice et détestent l'injustice, ce qui est une manière de croire en Dieu, car être croyant ne signifie pas se croiser les bras en attendant que ça passe. Aborder l'idée de Dieu commence par un balayage, toujours à refaire : évacuer le vieillard barbu qui jongle avec son triangle, et toutes les représentations à huit bras, quatre jambes, deux douzaines de seins en rangées de médailles et autres éléphants acrobates en position du lotus. A évacuer aussi la notion de « bon » Dieu, en alignant les anciennes antiennes de « tout le mal qui existe sur la terre » et blablabla et gnagnagna.
Dieu se définit donc d'abord par ce qu'il n'est pas. Pour définir ce qu'il est, il ne reste que des notions vastes, vagues, immensément globales, qui dépassent notre entendement et notre imagination. Il y en a même qui prétendent, entourloupette verbale, que Dieu n'existe pas, mais qu'il est. D'Ormesso n succombe à cette tentation, en parlant de «roman sur rien », c'est-à-dire « roman sur tout », d'un tout qui n'est rien et d'un rien qui est tout. Il est facile de rigoler sur tout. Dieu est peut-être un rire, après tout, après - ...tout. Et d'Ormessson serait son aimable prophète, car il voit Dieu dans tout ce qui est beau, grand, magnifique, éternel. Il semble que le croyant en Dieu le voie partout, tandis que l'incroyant ne le voit nulle part. Sans oublier ceux qui le voient de temps en temps, par les meurtrières.
Il est facile de démontrer Dieu, il est facile de démontrer son inexistence, mais le contraire est tout aussi difficile. Notre monde avec Dieu serait une absurdité, sans Dieu, c'en serait une autre. Avons-nous bien tout dit ? Oui, et non. Et alors ? Et alors ? La Science est arrivé-euh. Des mathématiciens, des astronomes (j'allais dire -logues), des physiciens, parmi lesquels Hubble, démontrant que nos galaxies s'éloignaient sans cesse les unes des autres à vitesse croissante, et Plancke, lequel prouva, ne me demandez pas comment, qu'il existait un instant zéro. On appelle cela « le mur de Plancke », pas « de planches », celui-là c'est à Calais. Cela correspond à 0 seconde, une virgule, et 43 zéros à la file, au moins. Et avant ce mur-là, mur chronologique et métaphysique, les lois de la chimie, de la géologie, de la mécanique, ne peuvent pas s'appliquer, les mathématiques elles-mêmes nous dit l'auteur balbutient, se contredisent, se taisent. Le point zéro du big bang, à partir duquel etc. Cela daterait de 14/15 milliards d'années, à la louche. Nous voici donc, nous autres humains, créatures insignifiantes et géantes à la fois, coincés entre cet en deçà, le mur de Plancke, et cet au-delà, notre trop certaine disparition, terrestre. Et rien ne nous dit que l'après-mort et l'avant-univers soient la même chose. Rien ne nous dit rien. Ca ne nous dit rien non plus.
Pourtant nous ne nous tairons pas. Car entre notre naissance et notre mort, nous pensons, nous créons l'univers, par la conscience de nos yeux, de nos oreilles et de notre nez, par nos sentiments, nos actes. Et ne voilà-t-il pas qu'une pensée folle nous est venue : nous sommes les seuls, mieux que les diplodocus, mieux que les chats, à concevoir l'univers, ce rien qui est notre tout, et les seuls à pouvoir à notre mesure le transformer pour le bien de l'espèce, et pour le bien en général, en tant que concept. Même si nous affirmons pour cela n'avoir pas besoin de Dieu, il se trouve que cette pensée provient d'une étincelle du cerveau, dont nous ne pouvons expliquer l'apparition : nos neurones étincellent, même chez les blondes.
Nous savons comment, et encore, mais nous ne savons pourquoi. Ce qui n'est pas une raison (nous avons dépassé le domaine de la raison) pour nous imaginer illuminés par la parole de Dieu, qui nous a parlé personnellement à nous mêmes assis nonchalamment jambes pendantes sur le rebord de sa soucoupe volante (en Alsace, choucroute violente). Nous ne parlons pas d'un Dieu prescripteur, ceci est bien, cela est défendu. Voir le balayage dont nous parlions plus haut. Eh bien, sur ce rien qui est tout, sur ce tout qui n'est rien (à l'échelle de l'infini), d'Ormesson brode ses merveilleuses phrases, puisqu'il ne nous reste plus que cela, que tout cela : la posture, le style et l'imagination.