Le Pseudolus de Plaute
Donc, selon un jeu de scène soigneusement transmis, notre Ballion, vil entremetteur, se fend d'un air avantageux : Hé ! L'homme à la chlamyde, (à l'habit grec), qu'est-ce qu'on te doit dans cette maison ? C'est là qu'il faut rire : seul un créancier, ou un huissier, peut cogner à ce point sur une porte : quid istic, dans ce mauvais lieu, debetur tibi ? Harpax, le Crocheteur, esclave honnête, répond en toute franchise, en toute insolence : Je cherche après le maître du logis, le léno Ballion. Il est devant toi, le léno, le marchand de jeunes filles.
Mais tu ne le connais pas. Le public sourit. Ballion sait bien que l'on frappe chez lui. Qui que tu sois, l'ami, (notons le changement de ton), ne perds plus ton temps à le chercher.
- Pourquoi ?
- Parce que tu le vois ici présent, comme tu es présent toi-même.
S'il se dévoile de bonne foi, c'est qu'il va découvrir son cocufiage en affaires. Un léno qui se découvre, qui oublie de mentir, sort de son rôle. Nous allons donc apprendre comment et pourquoi ce méchant s'est fait proprement rouler. Les bons citoyens, disait-il plus haut, profitent au peuple ; à moi, ce sont les les mauvais. Il fanfaronnait. Il cynicisait. Dans son rôle. Et Simon, le vieux père, le tançait sur le ton des vertus offensées : Que les dieux te confondent ! Tu es d'un cynisme ! Double finesse : il exprimait sa pureté ; mais en même temps, il flattait le léno, tout heureux de se faire passer pour un saligaud. Or, tout corbeau qui se laisse flatter laisse tomber son gros bout de fromage.
Nous sommes donc très éloignés de ces rafales de saillies indispensables à maintenir l'attention des rigolards de notre siècle ; voici une comédie, le Pseudolus, que le spectateur savoure et broie de sa dent patiente à la vitesse d'une explication de texte, en ces temps où l'on prenait le temps de penser, au lieu de filer de rigolade en rigolade. Et même, il s'y trouve ce que nous prenons pour des chevilles : Je perds mon temps, se dit Harpax, en ne frappant pas à cette porte pour savoir si Ballion est chez lui. Pourquoi ne frappe-t-il pas, ce balourd ? Pourquoi nous fait-il remarquer cela, quie st l'évidence même ? Eh bien, pour nous faire sourire ! n'est-il pas semblable à ces chœurs d'opérette qui scandent « Partons, partons », en marquant le pas ? Et si l'acteur avait superposé à ce personnage un jeu original, de grande limace niaise, dont l'allure, les grimaces, suffisent seules à déclencher l'hilarité ? Nous avons étudié les discours des comiques, à la télévision en particulier : ils ne disent pas grand-chose, juste des platitudes. Ils délayent le plus souvent. Ce sont des banalités à faire pleurer des sixièmes redoublants. Mais pour la mimique, pour la gestuelle, chapeau ! Bigard croise les bras, Foresti se lance dans la gymnastique, Debbouze marche de long en large, créant à eux seuls des personnages, comme aussi Roumanoff ; dès lors, la moindre saillie ridicule qu'ils disent se trouve exhaussée au niveau de grande observation sociale et linguistique !
Donc, Harpax frappe une première volée de coups de poings (ou d'effleurements efféminés ; mais il est douteux qu'un tel contre-emploi fasse partie des jeux de scènes antiques ; contrairement à ce que nous suggérions – disons que nous avions essayé d'entrevoir la façon de jouer ceci de nos jours, en tenant compte du public de nos jours). Et Ballion s'adresse à voix basse au vieux père Simon : Ce sont autant de cadeaux que me fait Vénus, la Vénus populaire, la Vénus du dessous de ceinture, quand elle m'envoie des gens comme celui-là, hos huc adigit, ennemis de leurs biens, avides de leur perte, qui ne songent qu'à se donner du bon temps pendant toute leur existene, qui mangent, qui boivent, qui courent les filles. Morts de rire, en vérité, nous sommes morts de rire : ce Harpax si bien nommé n'est pas ce fidèle serviteur, sobre et chaste, qu'il prétend incarner.
On ne la fait pas à Ballio, léno, fourbe professionnel : qui fustige le vieux père vertueux, en le dévisageant avec mépris selon la didascalie... Il méprise à la fois les débauchés quand ils sont esclaves, et les vieux maîtres bien rangés des voitures...