L'invention de la Renaissance
"L'invention de la Renaissance" : voilà bien le titre dans le vent. La Renaissance n'a été qu'un bruit qui court, Charlemagne n'avait pas tant d'autorité que ça, et vous savez, l'or et l'argent n'étaient que des denrées fort ordinaires. Quand on regarde bien l'histoire par le petit bout de la lorgnette, on s'aperçoit que seuls 20% du programme d'Atatürk fut appliqué de son vivant, que La Fayette et Mirabeau rivalisaient à qui serait premier ministre de Sa Majesté, et que bref, rien n'a eu lieu, tout est affaire de mythe, et les hommes chiant tous par le même trou du cul, nous devrions plutôt tous nous entendre tous ensemble et nous aimer les uns les autres en attendant de crever.
Mais il se trouve, Monsieur le Professeur de Lyon et de Vénissieux, que le peuple, que nous autres, et vous et moi, ressentons le profond besoin du mythe, du panache, de la conquête coloniale pour la grandeur de la France et même de ces éhontés bavardages que sont les "taxis de la Marne" envoyés à l'arrière, et le sort de Jeanne d'Arc, sciemment manipulée par Yolande d'Anjou, belle-mère de Charles VII.
De plus, dans votre ouvrage sur la bataille de Marignan (Melegnano), vous nous submergez de chiffres de guerriers, d'effectifs d'archers à cheval, de contingents suisses et gueldrois, truffant çà et là vos ternes propos de considérations bâclées, torchonnées, sur le levée des impôts et les mécanismes du gouvernement provincial, parce qu'il faut bien le faire : c'est très à la mode, ainsi que les variations du prix des betteraves par comparaison avec le salaire des ouvriers paysans indexé sur le taux actuariel brut. Un petit boulot bien pépère, préparé par d'anonymes étudiants avancés, revus et contresignés de votre main.
Si cela se trouve j'ai tout à fait tort. Mais ce livre manque de style, de panache d'envie de le faire. Surtout, pas d'épisme, tout aplanir, pour que nos Homais contemporains puissent applaudir le profond prosaïsme. Qu'il n'y ait surtout pas de quoi s'étonner, admirer, regretter ce bon vieux temps où les manants tenaient leur place au lieu de répondre aux micro-trottoirs avec des airs luxurieux. l faudrait aussi que je me souvinssse de ce brillant auteur de goche sans accent qui composa "Marignan" : un mauvais professeur (pléonasme) faisait apprendre par coeur (vous vous renez compte ! par coeur !) les dates de l'Histoire de France qui-ne-servent-à-rien, au lieu d'inciter ses élèves à se révolter contre les bas salaires et les vicissitudes des sans-papiers...
Comme disait un autre révolté, "Dans la rue y avait la guerre / On leur apprenait Molière" - et qu'aurais-tu donc voulu, Yves SImon ? Qu'on leur distribue des armes ? Rassure-toi, désormais, c'est fait : les gamins de dix a tirent à la kalach et s'entraînent à torturer. Maudites théories de justice et de liberté ! quand se résoudra-t-on enfin à ne vous employer qu'à doses homéopathiques, et au cas par cas ? Toujours est-il que Monsieur Leroux, Chicorée, Ricoré, après nous avoir bassiné par ses récapitulations d'alliances et de renversements d'icelles, nous entretient de mouvements de troupes.
Sasn carte, évidemment, sans carte . Si vous êtes assez cons pour ignorer les moindres bourgades de la plaine du Pô, allez vous faire voir chez les Suisses, J'ai bien regardé en fin de volume, où parfois figurent quelques cartes, jamais aussi précises qu'on le voudrait (figurez-vous que j'en ai découvert en fin de second tome dans La guerre du Péloponèse, sans que rien ne m'en eût averti dans un quelconque avant-propos, par exemple ? ...Marignan, dont tout le monde se moque ! Marignan, où le roi voulut se faire armer chevalier par Bayard, qui n'est p:lus qu'un prénom de cheval !
Eh bien, malgré son inutilité ("les guerres, ça sert à rien"), le titre du chapitre emprunté sans doute à ce temps-là, sera "Le combat des géants". François Ier insiste sur "la grande fureur" qui animait les Confédérés quand ils se jetèrent sur les lansquenets. Plus tard, je ne sais quel Josquin des Prés ou Roland de Lassus comoposa sur l'épinette une "Bataille de Marignan", bien mignonne et bien animée, qui faisait serer le poignard aux survivants présents dans la salle de concert : étranges évolutions de la sensibilité. Les gens d'autrefois aimaient mieux qu'à présent. Les lansquenets se replièrent en catastrophe sous la protection de l'artillerie, pendant que la cavalerie menait des attaques de flanc pour disloquer les carrés suisses. Noter que les lansquenets, ou "Landsknechte", combattaient pour le bon roi François, moyennant finances.
Notez que je vois mal comment on peut combattre par carrés très serrés, sans pouvoir respirer; avec chacun sa pique. L'odeur de tous ces crasseux en plein effort devait asphyxier tout un chacun. Ca ne sert à rien de se battre, pas beau la guerre - tu gueule. Suivons, comme aux échecs en prison, sans échiquier, c'est-à-dire sans le moindre croquis, ce qui est tout de même un comble pour un récit de bataille. Ouvrage bâcle, je maintiens. Les hommes d'armes menés par le connétable de Bourbon et La Palisse, aveuglés par le nuage de poussière soulevé par les chevaux, furent repoussés. On se croirait aux joutes de Sète, canaux en moins.
De grands gamins, avec des salauds qui se glissent à pied entre les chevaux pour couper des jarrets ou surgir de derrière une croupe que d'émotions ! Un grand gaillard tout puant qui brandit tout soudain sur vous son arme aiguisée ! Véritable embuscade parmi les arbres mouvants ou 'jambes de chevaux" ! Enormes, les chevaux, caparaçonnés, comme les hommes, dans un grand bruit de coups de ferraille. Le terrain, sillonné par de nombreux canaux et fossés, n'était pas fait pour les charges de cavalerie. A Cannes non plus, si j'ai bonne mémoire. Etrange : les phrases sont nulles et simples, et l'on, s'y croirait. Les Suisses pouvaient croire la victoire à leur portée. Le tout sans enjeu idéologique.
Il s'agissait de faire du butin ou de la rançon à la pointe de son épée. De nos jours, nous avons nettement l'impression de défendre un pape, un roi, une idée. Mais se battre pour du pognon ? du moins, à ce point-là ? Pour le point d'honneur ? Profession ? Suisse. Fonction ? Foutre sur la gueule pour des chevaux, des armures, des pièces d'or. On tue. On est tué. Ca ne compte pas. C'est le jeu. Pour qui donc se battent-ils, ches Chuiches ? Bien plus que pour le fric encore, nous dirions, pour le rite, la beauté d'un sport : on ne sortait pas toujours vivant des tournois. Nous médio-évons, là... Pouir éviter la débandade de l'avant-garde, François Ier ^prit la tête de deux cents hommes d'armes de la "bataille", avec lesquels, à l'en croire, il défit 4000 ennemis. Le roi marchait en effet avec le deuxième corps, appelé "bataille".
Mais il est un peu gourmandsur le résultat : ne faut-il pas montrer à Maman Louise de Sacoir, à qui fut confiée la régence, à quel point son fils est vigoureux ? que diraient ces gens s'ils voyaient les nabots physiques ici se succédant en France : Hollande, Sarlozy, Mitterrand lui-même. Le commandement du corps central était désormais assuré par Boisy et Chastillon. C'est donc que les premiers cavaliers, aveuglés par leur propre poussière, se sont repliés sur les arrières, laissant place à la deuxième couche, la "bataille", d'où le roi s'est détaché. Curieux tout de même que ces dispositions "en profondeur", au lieu d'un déploiement "à l'éventail".
Mais pas le moindre croquis, vous dis-je ! Pasuier Le Moyne assure que le roi,
commençaient à fuir et qu'il se serait même saisi d'une pique pour inciter les fantassuns à repousser l'ennemi. Donc, les premiers assauts profrançais furent le fait non seulement de chevaux, mais aussi de lansquenets faufilée entre ces derniers, et qui se remplissaient les poumons de poussière soulevée/ Le chroniqueur est ici remis en doute par le Sieur Leroux de Lyon. Après avoir rassemblé5 ) 6000 lansquenets, j'arrête.