Polyglottes et bouffeuses de gaufres
- Soupov, ne commence pas à marchander.
- Toi Fitzel, bouscule donc un peu ton vieux : sous le traversin à droite, l'oseille...
Le représentant s'éponge le front, siffle le fond du litre.
"Parfait, mesdames, parfait !" Il s'essuie les lèvres. "Le français n'a plus de secret pour vous !
- Das mag sein dit Jeanne en rapprochant son assiette ("cela se peut") – Fitzel se carre au fond de sa chaise : "¡ Si que está cómico ! ("il est vraiment comique !")
- I'd rather said : ridiculous
- Vous, vous là, d'où sort cet anglais de cuisine ?
- Sie hurten mich ! Vous me faites mal ! se plaint-elle.
- Kitaxè pos inè kokkino o kyrios dit la Naine ("Regarde comme il est rouge le monsieur")
- De votre temps, bafouille l'homme, de votre temps, on passait le certif à douze ans ! On manquait l'école aux vendanges !" - ses yeux se mettent à rouler – Jeanne lui presse la main, qu'il retire furieusement – lui renouvelle son cidre – qu'il repousse – qu'il vide pour finir – il se redresse à fond de siège, enflammé d'une résolution subite ; entre deux doigts, il cueille sur la cheminée la gravure roulée, la déplie sur la table :
"Chaque mot découvre un visage" dit-il "et multiplie les clés de l'humain, multiplicates keys to humanity – toutes éclatent de rire – AINSI hurle-t-il LE JEU ROYAL -
- ...le roi est mort interrompt Marciau, ech châh mat -
- ...qu'on appelle "échecs" – Xadrez [chadrech] - ...exalte le Dieu-Cheval – qui fraie sa voie libre à la Mort... - Ma mort, ta mort, sa mort – Or poursuit-il que remarquez-vous, là, sous les pieds de l'évêque ? è una serpiente, un serpent - le représentant désigne de plus en plus rapidement les détails de la gravure : "En roumain ! - A mietza, la mitre. - Finnois ! - Borekkü ! (la bourse). - Norvégien ! - La cordelière, de hartlinck ! - l'homme crie, écarlate : Vous inventez ! - Nil invento dit Soupov, je n'invente rien. Le représentant retombe sur son siège. La Jeanne lui tamponne le front : "Nous avons bluffé.
- C'est pour me rassurer. - Nous ne connaissons pas un mot de toutes ses langues, dit Soupov avec bonté. - Je savais bien que c'était impossible" – le représentant s'efforce de crâner. Il repousse le mouchoir. Fitzelle ricane à petits coups. De derrière une armoire elle extrait un bandonéon flétri, large comme la main. L'instrument saisi d'un côté déroule un soupir aigre A la cabreto politas ! - Trop facile grommelle la Naine de très mauvaise humeur tout à coup. Mais le bandonéon scande sec, Fitzelle cloche d'un pied sur l'autre et trace des ronds de jambe en s'emmêlant les touches quando vieïra l'aguaida / qué maliz em la paya / a peçar del ascado – dansa las vièlhas ! - C'est du bidon - Ta gueule et la Jeanne enchaîne les sauts en se marchant sur les pieds, la Toulousaine cambre la taille, la Soupov tourne et rôtit ses gaufres comme un diable ses damnés. Marciau la saisit par derrière et la roule en cercle. Jeanne entraîne la Naine dans sa valse cagneuse ell's dans' entr'elles et on s'en fout. Soudain la grande se met à crier Du beurre !... Des pommes ! et disparaît dans la resserre en laissant la Marciau bras en l'air. Fitzelle aussitôt s'arrête et gueule de l'huile ! en secouant sa main par grandes secousses cacophoniques, comme on se brûle. Apparition des pommes et de la poêle à frire à long manche en bois – la Soupov s'empiffre et les pelures serpentent.