L'esprit des formes
Elie Faure encore ce soir, mais différent. Non plus une histoire de l'art, mais – ce qui occupe la fin du 2è tome de mon édition - “L'esprit des Formes”. Il ne va plus poursuivre un projet chronologique, mais rassembler par pans les théories éparses dans sa première œuvre. Ce sera une vision diachronique, à travers le temps. Tout ce que nous pressentions, disséminé d'une œuvre sur l'autre, se voit rassemblé, compressé, théorisé. Des reproductions d'époques très différentes, de pays fort éloignés, sont rapprochées par ses soins ; il ne nous dit pas ce qu'elles sont de flanelle, mais nous incite vivement, par leurs sous-titres, à admirer la similitude des formes, ou du projet ; la scupture volontairement rigide du Xie siècle est ainsi rapprochée des premières manifestations de la statuaire grecque dite primitive ; les contorsions baroques voisinent avec le célèbre Laocoon ; les pyramides auraient pu, s'il l'avait jugé bon, figurer en regard de la Tour Eiffel ; c'est caricatural, mais pas tant que cela, puisqu'Elie Faure puise vaillamment dans les représentations modernes, qu'il n'apprécie pas nécessairement, pour les rapprocher de ce qu'on peut précisément trouver de plus primitif, puisqu'il est ordinaire de voir le squelette primal sous les retours aus os/eaux des contemporains, je parle des années 1930.
Vous direz que l'on peut ainsi apparenter le Nouveau et l'Ancien Testament, moyennant quelques traficotages ; ou mettre en parallèle n'importe quoi et n'importe quoi d'autre ; mais tel n'est pas le cas, et c'est ainsi qu'ingénieusement, avec ses gros sabots subtils, Elie Faure parvient à matérialiser par ses illustrations la permanence des procédés de l'art, et même la permanence du projet de l'artiste, voire une définition de l'art universelle. Si le premier projet tombe sous le sens, Elie Faure est le premier à ma connaissance à avoir exprimé avec tant d'à propos l'universalité de la main humaine ; nous utilisons les mêmes mains, les mêmes gestes et les mêmes modèles ; la cathédrale rappelle le temple, la peinture peut être sculpturale, et de deux contemporains, l'un, Ghirlandajo, conserve le passé, l'autre, Botticelli, voit déjà sur ses faces la lumière des temps nouveaux.
Encore faut-il croire au sens de l'Histoire. Elie Faure y croit. A noter qu'il ne parle pas de progrès. Tout de même, on le sent pétri de la conviction d'une élévation de l'homme vers les lumières. Et c'est cet obscurcissement de la lumière qui le gêne chez les modernes ; ce goût du paradoxe, de l'absurde et du destructeur. Encore aujourd'hui, soixante ans plus tard, nous avons bien des difficultés à concevoir vers quelle lumière se dirige ou se dirigerait notre art si éclaté. La permanence du projet de l'artiste est une vérité depuis les Pyramides jusqu'à Cézanne. Mais ensuite? Picasso rompt avec 5000 ans. Courage ou vandalisme ? Génie ou suicide ? Le suicide est-il une lâcheté ? Et maintenant qu'est-ce qu'on fait ? Sommes-nous sur des débris, ou sur des fondations ? Six mille ans, otut de même, quelle rupture, excusez du peu ! L'homme qui tout ce temps exprimait Dieu, les dieux, son âme, lui-même, l'humanité, voilà qu'il n'exprime plus ? Tout en technique, ou en négation de technique ? Autrefois, aux montagnes qui geignaient bien fort pour accoucher d'une sourie, l'on pouvait dire :”Kehoua ? C'est tout ?” - à présent, ce sont les hurlements de la montagne qui font l'œuvre, et l'on juge d'un trait sur la toile, d'un simple trait, par la démarche – sic ! - du philosophe artiste.
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Sous-titres ou pas sous-titres ?