Djanem
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Le mode spécifique d'un M. c'est l'humiliation. La tyrannie de l'Autre, c'est lui. Celui qui, n'est-ce pas, vous dit votre vérité. Ce qui n'embarrasse nullement la conviction que chacun doit "se trouver moi-même », « se rendre compte ». A celui qui fait observer la contradiction, les Lazarus répliquent "Tu fais exprès de ne pas comprendre". Les braves gens !
...Je préférais Te-Anaa, la Maorie, qui décelait en moi cet homme infiniment meilleur, que j'entravais de lourdes chaînes. Il n'y a pas si longtemps qu'elle et Lazarus, alors son mari, formaient - apparemment me dit-elle ! - le plus harmonisé des couples ? mais si je leur demandais humblement le chemin de la perfection, tous deux se défaussaient avec ensemble : c'était à moi de chercher. Première conclusion : la plus belle des fables de La Fontaine est encore Le meunier, son fils et l'âne. Deuxième conclusion : les Espagnols appellent les autres los demás, « ceux qui sont de trop » - en vérité, le castillan est une langue admirable.
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Je suis plaqué pour la première fois (notre peur dépasse l'entendement, comme si nous étions faibles, en dépit de toutes nos ruses). Je suis devenu froid comme ces femmes désirantes à volonté. Devenu comme vous, tu m'as instruit, tu m'as détruit, nous voici à armes égales. Un jour pénétrer sera juste violer. Sera interdit, puni. L'homme éjaculera ce qu'il faut de paillettes puis sera castré, jouira sous simple extase, en pure et violente abstraction du corps - n'est-ce pas justement à quoi de tout son être il aspire ? jouir comme une femme.
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Je reviens régulièrement sur ton lieu de travail te remettre des lettres que tu détruis sous mes yeux. Marchande avec d'autres des antiquités pour te sentir, dans l'ombre et l'encaustique : tissus, statues polies, sets de table. Tu n'as pas le droit de me traiter ainsi, de nous méconnaître à ce point. Pour les vingt ans d'éternité qui restent. Et si je t'aime prends garde à toi - Carmen, c'ett moi. Celui qui ne veut que ton bien, qui s'est jadis castré et te baise les lèvres.
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À l'hôtel automatique : Même lorsque tu es en moi - tu as peur. C'est parce que je joue. Je joue ma vie à chaque instant. J'ignore ce que je donne. Et même, si je donne. Elle a touché juste. La pucelle montre à Lancelot la tombe qui le contiendra. La dalle enfin retombe; ;peur des femmes : qui m'a jamais serré de plus près ? sous nos regards à fronts touchés s'entrevoit l'indicible ; si je fixais ainsi Première Epouse nous éclaterions de rire.
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Si c'était avec Te-Anaa, si je la regardais ainsi, ce serait mensonge, car je n'ai jamais pu l'aimer ; entre nous l'estime, l'amitié qui couche de loin en loin, mais qu'elle ne croie jamais surtout que je l'aime. Les sentiers de Te-Anaa sont trop ardus, escarpés, vers des cimes trop raréfiées. Trop de vent dans les cheveux, trop de vérité. Le passé. Jamais je n'ai rien voulu aussi fort que l'amour de Djanem, cet amour-là, même faux, car nous en sommes là tous de nos vérités : nous les avons voulues et voilà.
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Te-Anaa s'interroge sur ce nous a unis : "Quel est le jeu ?" Elle n'attend rien de personne dit-elle - mais nous attendons tous. J'avais fait de cette immense Maorie un grand Tchèque barbu : indécelable. Ce nouveau livre s'appelait Per tenebras. Tant de superpositions se sont ravivées, écaillées, confondues ; aplaties et mêlées, tant de repentirs - je vois tout à plat. Te-Anaa en ombellacée : ciguë sèche tendue vers le ciel sans eau - pour Djanem je ne vois rien. Que de ses lèvres donc tombent les doutes, et jusqu'aux tendres remontrances : je ne les comprends que d'elle.
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Près du comptoir où je la vois trôner, Djanem accomplit ses rites.
Je ne vois rien de si beau que de lire sur elle toute la succession des âges, comme si nous avions, pour de vrai, vécu ensemble, sans en omettre une année. Djanem recompose aussi tout mon passé. Fais-moi la mort heureuse. Je couche par obligation, parce qu'il faut le faire, et que cela fait partie des choses à faire lorsqu'on est un homme. Djanem me nettoie l'âme, patiente, funéraire. Arielle si frêle et fripée dans son nouveau corps et ses transes d'opium, feint de croire en mes promenades : même si dit-elle j'ai trouvé ma complémentaire, il restera toujours entre nous l'essentiel.
Je ne sais pas. Je ne maîtrise pas ce que je sais. " Si tu t'en vas tu reviendras dans la semaine » - qu'en sais-tu ; autant de femmes, autant de craintes : qu'est-ce qui décide ? L'autre nuit, je rêvais d'une longue étendue parfaitement chaste entre des draps immaculés, avec l'énorme épouse d'un pâtissier ; regretterais-je l'embonpoint d'avant la chimio ? Je pensais jadis pourvoir aux désirs de mes partenaires, même impuissant. Bien loin d'imaginer que l'envie même en aurait disparu, sinon d'apaisements sans fin, anémiés.
Arielle ignore encore à quel point mes références se sont infléchies. L'espacement de mes rencontres n'empêche pas que je vive sous le regard même de la nouvelle, même si cette dernière m'estime méfiant. Chacune, de plus, pressent l'ombre de la troisième : tu voudrais être Don Juan ; mais, Tzvetan, tu n'as pas l'envergure (Fedora).
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Les femmes feignent que le sexe leur soit peu de chose, juste bon à réconforter le mâle. Si nous devons glisser de l'amante à l'amie, qu'au moins je puisse apercevoir encore ce terndre et mince abîme de muqueuses en pyramide inverse au fond de chaque femme après lequel, passé le col, bat comme un coeur - et toutes nous éclatent au nez de rire.
Mais glanons-nous du sexe ailleurs, tout cela redevient soudain très important. Les femmes seraient donc autre chose que ces incessantes dérobades, secréteraient d'authentiques souffrances du sexe ? est-ce que par hasard les femmes souffriraient ? les femmes songent, scintillantes, sous le ciel.
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Les textes de son blog, et les appréciations pataudes qu'y fait Lazarus, provoquent chez Djanem l'anxiété : ce Lazarus se pose en censeur, arbitre des élégances ; démonte les poèmes et les dévisse, sans s'aviser de produire autre chose, pour sa part, que du sous-Ferrat, du sous-Cendrars dans ses meilleurs jours. La susceptibilité de Djanem prouve une intimité passée - « Je ne le connaissais pas » dis-tu - pourquoi donc être allée, lui, le consulter sur moi? être allés si loin sur mon compte ? ô valeureux conseiller d'amour ! « Il te fera payer ceci, cela » - Lazarus, Lazarus ! n'est-ce pas le fondement même de tous les échanges, que de « faire payer » à chacun ce qu'on a souffert ? et que fais-tu donc payer, toi, Lazarus, en ce moment ? par ces constantes condescendances ?
En vérité qui sont donc tous ces prescripteurs, tous ces arpenteurs ? du haut de leurs éminentes incompétences, dévalant sans les voirs au fond des pires truismes ? « Pour marcher, vous mettez un pied devant l'autre, puis vient l'autre pied". Lazarus découvre l'Amérique ! il assène ses sentences du bout de son dédain comme autant d'étrons qui se détachent...
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Pourquoi Djanem a-t-elle affublé ma personne de cette tunique empoisonnée de séducteur ? arrosant une femme après l'autre comme on change de pissotière ? Son premier possesseur l'a trompée dès sa grossesse. Voilà ce qu'elle fait payer, elle aussi.
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Lazarus : « Il faut s'en donner les moyens...»; comme lui, se retrousser les manches, "mettre ses mains dans le cambouis" (vous ne vous êtes pas donné la peine de remuer le petit doigt, vous osez vous plaindre, geignards, fonctionnaires ; moi je m'en suis donné les moyens, pas vous - que sais-tu de nous ? "J'ai feuilleté les revues obscures et découvert en bas de pages les horaires des films d'horreur, je m'en étais donné les moyens" ô montagne boursouflée, ô souriceau à queue molle !
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Vieux et livré ici à ce désespoir énergique.
...Poèmes vivement foulés aux pieds par ...Lazarus - tu n'écris plus ; autre raison qu'elle invoque : depuis qu'elle m'a connu, "la souffrance d'écrire" dit-elle "n'a plus lieu d'être". Cause externe, cause interne.
Tu t'es flattée d'avoir auparavant gardé les mêmes inflexions qu'à seize ans - il existerait donc des façons de se fixer ? se souvenir du D. P. Martin, qui fit serment le jour de ses 23 ans de toujours peindre désormais comme sa Voix le lui avait prescrit ? ...Toute sa vie comme à 23 ans. Nec plus ultra ibis. N'ai-je pas moi-même juré, à genoux sur le bord coupant du tombeau d'Antoine Thounens, de conserver toujours ma "précieuse immaturité" ?
Je ne lâche plus Djanem. Même à ne lui parler que de la pluie ou du soleil. Son rire et sa voix soudain à mon oreille m'ont poursuivi tout le jour, sans que j'aie même voulu m'en cacher - pourquoi riait-elle ? Je reconnaissais son bonheur de m'entendre, consciente de mon désir de plaire.
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Et que m'importait d'être « son ami » ? Oubliant même, reniant que nous soyons pourvus d'un sexe d'homme ou de femme - quel intérêt aux relations sans chair. Ni vinaigre. Ni miel ? ça va ? pas mal et toi ?
Il faudrait pourtant que je retrouve figure humaine. Je veux dire face à face.
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Pour la première et terrible fois de ma vie, une femme sur moi me dit les yeux dans les yeux même en moi - tu as peur des femmes. Panique dans mes yeux. Troncher à la hussarde ? « Tu as peur des femmes – pardon, de moi. » Première formulation exacte. J'ai peur que tu n'ébranles mes échafaudages. Lorsque tu cries je t'aime, de quel naturel parles-tu. Je crains, oui, fortement, d'être déjoué, expulsé comme l'âge à présent le fait. Que tu puisses lire en moi. Toi ou toutes les aautres. "Qu'est-ce que le moi ?" beuglait sans trêve Lazarus comme une corne de brume – "C'est une attitude d'adolescent ! " – ta gueule. Qui mieux que moi sait ce que je perdrais si mon masque tombait.
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Je ne veux plus te revoir, qu'à l'hôtel. A couvert, à l'abri de notre erreur, dans la brume du mensonge. Autant y chuter de toutes nes forces.
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Précoces jailissements jadis, si flamboyants au creux des putes - tandis que d'autres femmes éprouvent plateau-pic, plateau-pic - ai-je ouï-dire. Est-il vrai parmi tant de mystères qu'elles cherchent toutes avant tout le plaisir sans se soucier du partenaire ? ô monde à l'envers ! Elles diraient aussi s'il éjacule, qu'il ne vienne pas se plaindre : je donne mon Cul.
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Nous nous étreignons devant le tableau de bord, de travers par-dessus le levier de vitesses, les pieds sur les tapis crasseux – sans sacrifier jamais aux tentations de la banquette arrière. Sans nuits entières. Sans réveils à l'aube ensemble.
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Sur la vie commune à mener, le ménage ensemble que nous ferions "par estime de soi" dit-elle (entretenir sans cesse mon intérieur à moi me ternirait toute l'âme). Je consens toutefois qu'iI n'y aurait pas d'une part ceux qui font le ménage, et de l'autre les intelletuels, de valeur inestimable. Je pensais que l'estime de soi passait par le Livre, le Disque, l'Ecran. Les miens. Tout serait, par magie, propre et rangé quand je mourrais. Que la caserne soit impeccable quand les Allemands arriveront ; qu'ils sachent un peu ce que nous savons faire - Trahison, Général. Mon intérieur sera immaculé au moment de mourir. Tout briquer, c'est cadeau à la Mort. A l'Absurde.
S'estimer, c'est mourir. Sûr de soi, c'est mourir. Et réussir aussi, c'est mourir. Action ? Jamais. Plutôt la Peur. La paresse et la peur. Peur de blesser l'autre, affreux prétexte à l'inertie.
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Je vis à présent en coulisses.
S'arranger surtout pour qu'il soit matériellement, mortellement trop tard quand je déciderai de passer à l'acte. Paresse est le masque du manque de soi : de quoi se punit-on ?
...Quitter cette femme pour l'autre ? réaccorder ma confiance, comme une corde de piano ? toujours travestir ses faiblesses en force, obtenir l'adhésion du vaincu sans l'écraser ? Je dis : « Je peux pour toi jusqu'à ce niveau ; plus haut, je n'en suis pas capable, à toi de prendre le relais » (n'en réfèrer qu'à soi).
"Djanem,
J'ai rêvé que je couchais avec une folle, qui tantôt acceptait, tantôt repoussait mes avances. Elle était prête à mordre, mais je ne désespérais pas. Or c'était simplement, dans le vrai, ma propre femme qui ronflait, de retour de clinique.
Je n'oublierai jamais tes bienfaits, ni l'illumination que furent pour moi ces pauvres années où nous avions tenté de vivre ensemble ; mais je ne peux plus supporter ces sessions, côte à côte, face au tableau de bord, muets dans la crispation. Il me faut des nuits complètes et la vie quotidienne, avec ses marais et ses plaines, il me faut ton appui constant, même si je ne quitte pas mon épouse" (aucune femme à ma connaissance ne peut écouter cela).
J'ignore ce que j'ai pu t'apporter, car tu m'as surtout reproché mes odieux inconvénients. Mais ces quelques mois m'ont véritablement sauvé. C'est pourquoi je t'informerai de ma vie même si je ne te vois plus, et nous nous imaginerons ensemble, car l'imaginaire est vrai. Et je te bénirai toujours."
("Ton Colber qui ne t'oubliera jamais", etc.)
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L'apparence est tout. "Peut-on paraître ce qu'on est ?" Sujet de bac. Pour moi qui revendique l'apparence et m'en barricade. Pourquoi donc négliger ce que je représente. Mais ce jeu antérieur m'épuise : le jeu du bouffon pour que l'on trouve en moi la Substantifique - j'en ai brûlé toutes les vertus. (se débarrasser dans la maison du fond de tout ce qui désormais m'encombre (« je l'aurais parié" dit Djanem). Tout renouveler avant la mort, ce pari fou. Dépouiller le vieil homme. Qu'au moins survienne, cette ultime dignité. Ce reniement. Juste un peu adulte avant de mourir. Comme ils disent.
Assez de cet autre que j'abrite et trimballe, avec ses grosses théories aux quatre vents. Trop tard pour les vêtements et revêtements qui me recouvrent.
Je commencerais par me taire.. Ne plus tout expliquer.
Malgré ma persistance à multiplier discours et gesticulations de singe.
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Ma vie court grande train, crises et pleurs fondus dans le lointain. On ne dirait pas ma vie. Ca sent le fabriqué. Pourtant nous avions tout ressenti ; jouer, ou sentir ? les larmes bruyantes seraient-elles moins sincères ? vaut-il mieux jouer, ou descendre de scène ? certains ne descendent pas : sommes-nous de ceux-là ? ...est-ce que je ne pourrais pas, au moins, rester en coulisses – toujours prêt ? tout file dans un éloignement de légendes.
...Il fallait s'introduire entre tous, manipuler et voir venir. Laisser s'approcher les femmes, qui autrement refusent. Mon histrion passé ne peut pas non plus mourir, comme un déguisement dans le fossé - certains, n'oublions pas cela, sont parvenus dès leur jeune âge au point où je me suis hissé - que ce récit ne s'efface jamais. J'ai sur les mains des taches indélébiles de bonheur. Assurément Djanem est forte ; je peux sans doute un jour prendre appui sur elle ; mais pas aujourd'hui. Quelque chose était né dans nos cœurs, plus grand et plus fort que tout ce que nous aurions imaginé. Peut-être nous faut-il des statues à aimer.
Mais la femme hélas est un humain, de larmes et de sécrétions. Pardonne tout le mal que je t"ai fait. Que le style en soit incisif. Qu'il te serre comme un lacet, comme on étrangle.
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Jusqu'à toi Djanem, je prenais les femmes pour des entités froides, conventions de films et de livres, incapables de souffrir mais se sentant elles-mêmes jusqu'au bout des ongles, intrinsèquement, viscéralement, victimes - dont le seul souci était le sentir bien, la sécurité, pour soi ou pour l'enfant, par exemple, qu'on lâche dans les pattes de l'homme afin qu'il se bouffe au travail. La femme implacable, incapable de souffrir dans son cœur. Mais quand on a ça entre les jambes, on retombe toujours d'aplomb. Je croyais cela. Une femme sanglotante, je n'y croyais pas, j'attendais que ça passe, une averse, une grêle, un rôle, une crise : incapable d'attenter tant soit peu à sa capacité régénératrice.
D'où nos totales insensibilités. Du moins jusqu'à un certain âge : à elle de se mettre définitivement à l'abri avant d'avoir franchi la barrière fatale ; encore est-il toujours possible d'apitoyer par sa position de victime, la maladie, l'infirmité - toujours à point pour paralyser l'adversaire, l'Homme, ce gros porc qui jouit et s'imagine faire jouir, mais laissez-nous rigoler... n'est-ce pas... Ce qui fait qu'à présent, depuis Djanem, qui m'a instruit à ses dépens, abandonné, depuis elle, il me faut impérativement revoir tous les films, relire tous les livres, à l'aune, à la lumière de ce qui est éclatant : la femme sent, ressent, souffre, désire, possède des faiblesses, comme nous autres, sans qu'elle éprouve le besoin d'exciter la pitié dans un dessein esclavagiste.
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Les attenttats successifs racornissent toute sensibiltié, toute faculté de raisonner. Djanem envoie un message : "Ca bouge, cette fois ; tu es content ?" Je réponds Fous-toi de ma gueule. C'est loin du beau style. C'est loin du compte. Il est effrayant de découvrir au fond de soi, un tel abîme.
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Effrayant d'avoir attendu, différé à ce point la vérité, à présent vieux, impuissant. Qui que tu sois, évacue ce poison de mon âme. Accorde-moi cette maturité, la vie, l'accomplissement davant la mort. Un style clair, des paragraphes en coups de griffes. Notre mauvais goût personnel nous porte pourtant vers les épaisses plâtrées, les ruminances. Il m'est parvenu par écouteur portable de merveilleuses nouvelles, courriers de l'amante à l'épouse, qui souffre sur la voie du Sourire. Il existe chez L'idiot de telles missives admiratives entre femmes, témoignant des plus grands déchirements de jalousies. Correspondances entre divinités. C'était dans l'autocar de Gap.
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Dans ces amours j'ai tout construit, tout échafaudé : conquête mutuelle, franchissements, abstinences et pourrissements. J'apprenais d'elle de nouveaux chemins du corps. Nous avions sous un pare-brise des rires de bonheur. Djanem en même temps croyait aux vrais projets, vendait sa maison - tandis qu'il me venait, à moi, tout une existence écrite. Djanem me montre sur catalogue une minuscule vignette : un pavillon surélevé, au grand escalier oblique sur façade, où nous aurions vécu vers Médarée à frais communs, où je ne viendrais jamais disait-elle. Je persistais à croire qu'elle vivrait mieux seule. En même temps, conjointement, je m'évertue à relier ces femmes qui me confirment dans mon aversion du réel.
Il n'est jusqu'à mon rival qui ne doive concourir à ma négatoin du vrai, à ma dénégation. Qu'il cesse de perdre son poids et sa dignité (vingt livres en six semaines). C'est à lui, Nils, de forger dans l'"urgence la troisième pointe du fer de lance : roulé à terre et criant sa fidélité, s'est déclaré indigne de vivre, après vingt années si cloîtrées dans la taiserie. Buveur bougon. J'ai supplié Djanem de tamponner ses plaies, de même qu'elle avait sollicité par lettre mon épouse, afin, de part et d'autre, que rien n'explose. Nous avons voulu tous deux différer l'orage qui nous aurait trempés, plaqués au sol de cette terre - tu serais capable dit-elle de différer l'espoir jusqu'au bout de ta vie - ainsi soit-il.
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Je me souviens du nom de sa mère : FRANCE PATUREAU.
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Je rencontrerais Nils. Nous viderions nos verres et nos querelles. Nous nous casserions la gueule et nous finirions par le "tu". Nous nous réconcilierions sur son dos, comme aussi les femmes entre elles, sur celui des homme. Parfois, les femmes couchent ensemble.
Djanem, je suis le maître des mots. Tuy me déjoueras toujours dans les actes, mais ce sont les mots qui l'emportent. Je t'ai contacté par téléphone. J'ai dit à ma voisine de table, qui m'entretenais de musique : "Je suis pincé. Quand j'aime c'est pour tojours." Et tu ne l'as pas cru, par matérialisme. Mais je suis maître du dialogue, et tu me réponds toujours. Jamais tu n'auras fait le tour de moi, ni moi le tour de toi. J'aurai toujours le mieux à te proposer, car la suite des mots est inépuisable, quand tu n'as pour toi que la matière et l'acomplissable. Tu reviendras dans mon giron, paissant dans mon enclos. Ruant, jouant les rodéos : maios encerclées par les piquets et mon lasso.
Car tu es tmon rêve, et je ne trahis pas mon rêve. On ne trahit pas son rêve. Voilà pourquoi nosu serons toujours unis. Tu danseras toujours notre pas de deux. Nos développements seront inépuisables.
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Ceux qui se sont analysés n'auront rien de commun avec ceux qui s'y sont refusés ; ce sont deux espèces différentes d'humains, aussi réfractaires que la tête et la queue. Homme ou serpent. Difficile pourtant de convaincre la forme brute au décryptage originel : nous avons déjà franchi cettte étape. Djanem, née du peuple et les pieds bien sur terre, n'aborde pas ces rivages, dont pour ma part je me suis écarté : m'enfonçant dans mes propres terres. Djanem à grands coups de pagaie s'est heurtée aux premiers bancs de sable, mais y a fortifié ses premers châteaux, auxquels pour le coup je n'ai pas accès.
Nous nous entrevoyons à travers nos créneaux : de part et d'autre de nos bras de mer. “Je sais très bien ce que j'ai” dit-elle. Comme une évidence. Si seulement. Pour elle ne rien savoir est garantie d'action. Mon rôle est de l'entraîner sur terrain mouvant. Au sens militaire du terme.
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Ensuite : le but était de poursuivre une tâche étonnante, variée, impossible à finir : histoire de Katy, voulue exemplaire, ultime et achevée entreprise de séduction, prouvant bien tard nos possibilités de conquête, quitte à la détruire : elle pensait pouvoir tout quitter pour me suivre, ou se faire suivre, alors que j'avais soixante et plus et que, de tempérament, je suintais tous les enlisements. Déjà Te-Anaa s'est cassé les dents sur nos fidélités. Se trouver un métier, une femme non sans mal, mais je me suis attaché dans la mesure même où je hurlais contre. J'ignorais que ma partenaire voulait rompre pour dix ans de suite, parceq ue j'étais rongé de tics. Ce que je niais contre toute évidence. Qui ont disparu en 2023.
Les anciennes momies conjugales nous suivent ligotées, à distance. Figures de cartes à jouer, elle et moi étreints fugacement, trop vite interrompus dans notre gêne. Minceur d'une épouse privée d'embonpoint, chairs amaigries marbrées comme des Grien (Baldung, 1484- 1545) ; ici la chirurgie dérègle et mène au morne épuisement. Plus tard « elle était souriante », elle arrosait nos deux thés parfumés, avec l'eau chaude versée tendrement et nous parlions ensemble longtemps. Sa meilleure amie Cyzique souffrait d'un sfumato ; n'ayant plus rien à perdre elle a tout révélé : Djanem s'était vautrée sur la bite à Lazare, une fois seulement.
Les deux couples s'étaient fréquentés, j'étais naïf d'ignorer leurs manœuvres. Et ma fois je le crois encore. L'embarras de ma prétendue meilleure amie, qui détourne aussitôt mes questions, ne peut avoir à mon sens que deux causes : soit elle a promis de se taire, et tente un peu tard de se reprendre ; soit elle a menti, et ne tient pas à le reconnaître. Quant à Djanem, je la tenais, désormais. L'affabulation ne montre le plus souvent que le vide d'une existence. J'aurais à présent bien moins de respect pour une nonne qui ne demandait que les attouchements violents et les brusques baissages de culotte. Puisqu'elle avait confié à cette autre – qu'à mon âge, « le pauvre », « [je] ne [pouvais] plus faire grand-chose » et que « nos relations [étaient] essentiellement platoniques » - tout cela en fin de ces repas de couples, où Lazarus, où son épouse présidaient (à moins, comme je m'en suis quelques instants persuadé, que je ne l'aie dit moi-même, et que Cyzique ne me l'eût resservi – mais dans quel dessein ? était-ce bien à moi de me faire une telle publicité ?)
D'autres femmes se sont satisfaites de moi : ne suis-je qu'un « mauvais coup » dont Djanem se débarrasse ? je n'avais pas, tout simplement, la bonne façon de baiser. Soit. « Tu parles trop ; il faut tout de même un peu se concentrer, pour ces choses-là » me dit-elle. On n'est pas plus délicat. D'autres femmes au contraire m'en avaient fait compliments. .
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...Faudrait-il donc désormais compter avec la bêtise de Djanem ? Qui m'allait répétant que Lazarus, LUI, au moins ! avait « laissé tomber » sa femme – omettant qu'il était revenu, puis reparti, puis revenu, au point de s'y embrouillait lui-même. Sur le fil, et ramassé plus souvent qu'à son tour - il m'avoua n'avoir jamais souffert auparavant d'une telle indécision – qu'il est doux, Lazarus, et bien téméraire, de blâmer, de traquer chez les autres, en particulier moi, la moindre d'incohérence aussitôt labellisée « lâcheté » - or cette brume même dont je me voile toutes mes intentions, afin de me rester l'éternel innocent - c'est ma vie...
De plus, ô honte ! cet imbécile n'avait-il pas déclaré à sa femme, Cyzique, la rapporteuse ! qu'il me rejoignait (il voyait sa maîtresse), alors que j'étais à Pantin ! ...ce genre de gaffe qu'on ne commet plus passé quinze ans... Jusqu'où n'avait-il pas dévalé, mon maître à penser, mon parangon de rectitude ?
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L'étouffement vingt ans durant d'une employée envaginée dans ce couloir où le tissu absorbe tous les sons, tous les coups fourrés, pouvait seul expliquer de tels foisonnements de faussetés. J'aimais le bavardage de Djanem, la vie dont elle me parlait, la tressant à la mienne mieux qu'elle n'eût pensé. D'anecdote en anecdote, confidence après confidence, côtoyant si souvent à distance les vengeances à coups d'épingle, les comptes indéfiniment réglés ou différés de toute vie en friche que le peuple refuse obstinément d'analyser (« les rêves, c'est que des conneries »), je humais à plein pot, je m'enivrais de choses ordinaires - il est bien vrai ma foi qu'il ne faut aimer que dans sa propre sphère.
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Je cabossais tous ses arguments, sans véritablement y mettre fin, sans les démolir, car le plus fort est aussi le plus chevaleresque, donc le perdant. Puis je passais du méande au coup droit, elle n'opposait plus lors que des grommellements. La tactique du manipulateur est de crier à la manipulation sitôt que ses desseins se trouvent contrariés. C'est aussi d'empêcher tous rapprochements de sa situation à la vôtre, alors qu'ils sont flagrants : elle non plus, Djanem Djanem, ne pouvait plus abandonner le père de sa propre fille. Mais il m'était interdit, dans les premiers temps, d'évoquer la moindre similitude – et bien sûr, nul cas ne peut ressembler très exactement à nul autre, il n'y a jamais « recouvrement », il n'y a jamais décalque total.
Celui ou celle qui vous manipule se précipite alor dans ce mince interstice de différences, et n'a de cesse qu'il ne l'ait écarté aux dimensions d'un abîme. Quant à vous, malgré l'impitoyable exactitude de votre vue, vous aimez encore et toujours, pataugeant dans le marécage imbibé à votre spéciale intention. « Tu mélanges tout », objecte le maniganceur, alors précisément que vous pressez du doigt sur l'aveuglante et confondante identité des deux pus. Magnanime, je songeai à lui ménager à tout le moins une meurtrière de sortie : tous ces bruits, elle ne les aurait distillés que pour endormir son Nils, qui me cherchait pour m'achever. « Je le déboîterai », répétait-il. Je connaissais leur maison, et son lieu de travail. Périodiquement de maudits congés se jetaient entre nous.
Je souffrais que ma monture se fît défoncer tout ce temps pour épargner à son jules d'affreuses scènes de ménage.
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De son côté Lazare agresse son épouse, Cyzique, prétextant qu'elle (réservant à autrui l'Evangile sartro-freud qu'il ne peut s'infliger à lui-même) s'est fabriqué de toutes pièces sa sclérose en plaques – toute maladie est une punition, toute mort un suicide - quand on ne sait quoi faire de sa vie, on se fait un beau cancer - Groddec et Borgès. ; Lazarus, c'était bien le meilleur moyen de la faire plaindre en effet par toute la cantonade et au-delà -tout ce petit grouillement se connaissait ben avant moi, j'en pariais.
Cyzique, sclérose en plaques, ça rime, ça claque. N'ayant plus rien à perdre, ne ménage plus personne. J'appris ensuite, à force d'insistance, que cette liaison, bien enterrée, datait d'une dizaine d'années. Que ces pages sont ternes.
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Voici Djanem devant moi. Nous parlons politique, une table entre nous : construisant par omission une amitié de toutes pièces. Ne plus souffrir, n'avoir jamais souffert. Puis sans nulle transition ces désirs réciproques.
Toute femme impose son parcours du combattant - son tir de barrage - rien de changé depuis les coups de râteau dans le bac à sable ; les filles faciles n'existent que chez les journalistes femelles.
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Observons que la loi distingue d'emblée, soigneusement, l'assassinat du meurtre, et réserve encore la «mise à mort sans intention de la donner ». L'épouse qui claqua son mari sur le mur du fond par confusion de l'accélérateur avec le frein fut acquittée ; la conception de « l'acte manqué » doit s'envisager, se manipuler, avec d'infinies précautions. Dans le cas particulier de l'attentat contre soi-même, maladresse ou maladie, la frontière se révèle particulièrement ténue : je ne condamne pas Cyzique pour son carcinome, pas plus que n'accepterais de l'être pour mes fautes involontaires.
Faute de quoi c'est le juge lui-même qui se place hors la loi. Je répugnais à Lazarus, disait-il, pour avoir rejeté les torts sur lui. Détournant moi-même ainsi soupçons et menaces. Cyzique a bien connu pourtant ce couple avant le nôtre : Nous les avons reçus plusieurs fois à dîner. Enfant, adulte, j'aime tous ceux qui me trahissent. Je ne connais l'amitié qu'à travers la trahison : tel ami qui révèle à tout le lycée mes fantasmes, mais conservé, car c'était lui, ou la solitude ; tel autre qui me laisse humilier, menacer à sa place, dans un fossé par un conducteur fou de rage : conservé, car c'est lui, ou personne ; tel autre qui me dépouille au poker, mais conservé, pour ne pas rester seul) - unique femme qui m'ait aimé : la Maorie,Te-Anaa.
J'ai peur. Je suis des millions.
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Son porte-clé représente la main de Fatma, en métal ajouré. Son frère, me dit-elle, épousa une Oranaise. Son collègue ? un Libyen. Elle aime que son neveu ait rompu avec son premier mec, parce que ce dernier lui avait interdit de parler à un Arabe. Homo et raciste, ça existe. Djanem possède un fils blond, tiré de Nils, Normand aux grosses manières, mais bien de chez nous : rougeaud, rouquin, vulgaire. Je ne l'aime pas. Djanem le supporte depuis plus de vingt ans. Le décrit tantôt comme un étylomane, tantôt comme “noble”. En quoi consiste donc cette « noblesse » ? l''ivrognerie est fausse. Elle dit que cet homme l'a réconciliée avec elle-même. Je suis allé trouver cet homme.
Il s'exprime sans accent, m'observe et dit de moi “quel sournois” (pouvais-je donc laisser mon visage envahi de franchise?) Plus tard, Djanem prétendit s'être fait vertement réprimander. Elle m'a caché que Nils m'aurait bien revu, pour savoir ce qui se cachait derrière mes sournoisetés (il se trouve que je n'ai rien). Sur mes insistances elle précise qu'elle veut me garder pour elle, sans que Nils puisse m'accaparer. Quand j'étais encore innocent pourtant, il m'avait trouvé sympathique. Deux hommes ensuite, lui et moi, se seraient alliés face à la femme : deux ou trois épanchements d'ivrognes, et le Légitime était dans la poche.
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Bien longtemps auparavant, j'avais demandé à ma future épouse pourquoi elle n'avait pas voulu me céder tout de suite : « Ah mais tu comprends... » J'étais bouffé aux tics. Même réponse quand j'ai serré dans mes bras (plus tôt encore) cette fille aux cheveux gras : « Arrête, tu vas m'en donner envie. On n'est pas de bois. - Mais où est le problème ? » Elle s'est rengorgée : « Ah mais quand même... » (je ne vais pas m'abaisser jusqu'à te désirer, toi). Pendant des années j'en suis resté là : « les femmes » désirent quand elles veulent. Au lieu de penser « Je peux donc éveiller le désir" (ce n'est que d'aujourd'hui, trop vieux, que j'ai rectifié).
Non Lazarus, on ne fait pas « exprès » d'échouer. Force obscure en nous ? Je l'ignore. Toujours est-il que je fus présenté à la Ribeirao-Prete alias Djanem par mon ami Lazarus, petit gros frisé. Il vendait ses pantoufles à Grand-Nez, près Langon. Il se fait incendier sur son blog "citoyen" par un naze appelé Nils Légitime - « pas le même », glapissait-il « pas le même ». Curieux. Tout ce monde semble bien plus retors qu'il n'y paraît. Consulter ce Blog Citoyen , la. La femme y abonde dans le sens de Lazarus, candidat député, l'autre, Nils, le contre vigoureusement, afin de pimenter une campagne plus que terne.
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Cet homme mûr que je suis préfigure les propos ambigus et marivaudages où l'un et l'autre savent à quoi s'en tenir, sans omettre de prendre leurs assurances. De Djanem à lui s'étendent 17 ans d'écart. Un jour Légitime, mystérieux, se glisse près de nous dans la cuisine - « je cherche un couteau - ne vous dérangez pas ». Pour l'apaiser je m'avise de l'inviter à l'un de nos cours. Il écoute, attentif, amusé. Elle se tourne vers lui avant de répondre. “Ce n'est pas vers lui qu'il faut vous tourner, mais vers moi”.
Plus tard, quand il reviendra repentant et pleurant, elle reconnaîtra qu'il était aussi cultivé : "Je le vois toujours vautré devant la chaîne Arte ». Nils découvre notre liaison. Nous n'avons pris aucune précaution. Depuis, Nils a fait toute la danse du ventre : jeté à ses pieds pour la supplier de ne pas partir. A moins que ce ne soit l'inverse. « Sans toi je n'aurais plus de but dans l'existence, j'irais rouler crevé au fond d'un fossé. » Pleurs et dépérissement (8k dans le mois). Djanem bien empêtrée de se trouver indispensable entre deux quémandeurs. Comme il est bizarre de se trouver des points communs avec des hommes apparemment si dissemblables. Il n'y aurait qu'un seul Adam, l'Adam Kadmon, l'androgyne Primordial de la Kabbale ?
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Djanem craint de se trouver seule. Pour l'instant Nils la séquestre à tel point que, même flattée, elle veut le quitter. Il la serre au cul sitôt qu'elle s'approche de l'ordinateur, où Dieu merci nous avons ménagé une petite niche. Mais elle a joué la réconciliation sitôt qu'elle a parfaitement compris que je ne dévierais pas plus qu'elle-même de ma fidélité ou mieux ténacité. Impossible à présent de revenir en arrière, de refaire de grands serments. C'est moins de moi qu'il est jaloux que d'elle : possessif. C'est pourquoi il ne m'a pas cassé la gueule. Plus fin dans ses déductions que je n'aurais cru. Ce couple s'entend bien, car il s'entretient de sa propre nature dans ses conversations.
Je l'ai lu dans Marie-Claire : «Vous devez faire parfois le point sur l'état de vos relations, de vos évolutions. » J'ai donc affaire à forte partie. « Je n'ai plus l'intention dit-elle de lui faire à nouveau traverser un tel enfer. »
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La fille Hernandez, treize ans, m'avait cruellement pincé au cinéma à chaque tentavive. Les couples au bord de l'Isle s'éloignaient dans les buissons : « On va aux fraises », disaient-ils en se levant. Et nul ne les dérangeait. J'appris ensuite que sans passer à l'acte, ils se contentaient de se serrer fortement, de se doigter, de se branler, le secret ne m'en fut dévoilé que bien tard - "Non, juste avec les doigts tu sais » - et mon ami laissait entendre qu'il « avait eu » telle ou telle. De ses propres phalanges. Mœurs bizarres des tribus occidentales en 64. Des gens normaux. C'était donc ça, leurs rites.
- 67 : . Premières étreintes. Longtemps si proches, si mal dissimulées - bancs publics, bancs publics. « Tu te rends compte du caractère sacré des paroles que nous avons échangées, là ? » Un torrent de mots d'amour, tout ce que je n'ai pu dire, à celles dont je réclamais la tendresse comme un chien roulé sur le dos ventre à l'air, à toutes celles dont je tombais au premier coup d'oeil, d'office, amoureux (risible et sans défense). Les mots dévalent de ma bouche presque indépendamment de ma volonté comment veux-tu qu'après avoir dit tout cela nous puissions le profaner - il se peut, Djanem, il se peut.
Revenue à toi tu m'abreuves de lucidités, sur mon inaction lorsque tu m'interdis toute initiative, ma lâcheté ; mon métier - jusqu'à mon sexe masculin. Ce sont des souffrances, des doutes sans substance me dis-tu, c'est donc à moi de transposer, de décrypter - mon double jeu en vérité Djanem, double jeu ? Plus je t'engueule et plus je t'aime ? jamais je n'ai été blessé, ni subi d'avortement - comme le ventre qui se tord - il faut bien des patiences pour déchiffrer l'amour. Sans oublier ce conjoint ivrogne que tu dois tirer sur son lit ; ce suicide au Lexomil, ton corps affalé sur le tableau de bord, découvert par un voisin passant par là, ce transport dans un hôpital dont tu ne sait plus le nom - oublie-t-on le nom d'un hôpital ? à moins que tu ne veuilles empêcher toute vérification ?
Lazarus lui confie que jamais il ne m'a vu aussi attaché à personne. - Te-Anaa ? ...il t'a parlé de Te-Anaa ? - oui - ce qui fut une grossière erreur - de qui n'ai-je pas parlé - je fais croire à Djanem que je pars, à pied, pour Yéroushalaïm ("mon alya") - vers quelque
fossé de clochard où je connaîtrais le bonheur et la détresse la plus absolue ; il faut savoir ce que l'on veut et tout mettre en œuvre pour y parvenir.
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...C'est bien cela, n'est-ce pas ? ce que l'on dit ? le Grand Secret ? Bonheur, épanouissement e tutti quanti ? dans la droite ligne de Bouddha ? et si vous alliez vous faire enculer ? ...Pour Djanem et moi, évolution vers l'amitié. Plus de sexe ! Ah que les femmes aiment cela ! s'exalter, s'exalter, et jouir en se passer de sexe. Du moins celui d'un autre... Ô l'ignoble autonomie ! les hommes sont vraiment des porcs. Je ne saurais ajouter foi au prétendu "désir" de celles qui peuvent ainsi s'abstenir extérieurement de toute vile et grossière pratique : « Tu as déjà quelqu'un » - ô ineptie ! Ne sommes nous donc pas tous, toujours, en couples, de 6 à 100 ans ?
...Si nous ne devions consommer que dans le cas d'une liberté mutuelle - plus personne ne baiserait. Toute femme qui s'est tant soir peu tripotée s'en tient quitte à ce compte - mendie, mec ! Il viendrait à l'esprit à n'importe quel éconduit, en vérité, de s'inscrire au premier parti fasciste venu ert de militer en pleine rue à coups de gourdins, ce qui n'est pas si absurde. Pour ma part : me convertir - se trouver d'urgence deux grands-mères juives.
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Djanem peut se moquer de moi tant qu'elle veut. Elle est seule à pouvoir le faire impunément, sans que je me formalise le moins du monde. Djanem, j'en suis persuadé, est tunisienne, au moins kroumire, et son grand-père harki, j'en jurerais. Sur moi dans la prairie, à l'abri de nos portières ouvertes face à face, elle prenait l'aspect d'une Marocaine, si souvent aperçue dans le souk de Tanger. Son père s'appelle Louis, sa mère France, ce qui est typique des populations allogènes qui veulent ainsi prouver leur extrême assimilation. Pourtant la photo de son père montre voir un homme très jeune, noiraud, frisé, joufflu, cravaté, jovial, sympa. De style Tartarin, pourtant, bedaine en moins. Je pense à présent à des origines dravidiennes, pondichériennes. Sa mère est d'une blancheur de porcelaine créole.
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Une fois, Djanem s'est enfuie à la Réunion avec son fils : ma bien-aimée, par son père, serait de sang noir? J'aimerais connaître sa mère, qu'elle a faite enfin sa complice. Cette dernière lui dit qu'il est très compréhensible d'avoir trouvé un confident. Mais Djanem me désire, dit-elle - qu'est-ce donc qu'un désir qui se retient, tout exprès, de passer à l'acte ? Réponse : désir de femme... “J'aimerais entrer dans ta chambre » lui dis-je, « et me coucher près de toi pour m'endormir. Ne te dessèche pas pendant le week-end.” Le mari Nils lit aussi toute une série de courriels qu'elle n'avait pas songé à effacer. Une maladresse partout, une d'elle, une de moi. Elle a donc avoué qu'elle me connaît bien, que nous ne faisons que discuter devant le tableau de bord, et comme il n'en croit rien, elle me fait passer pour homosexuel - coucher avec lui, jamais, cela me répugne.
Elle qui souhaitait un homme, un vrai, pour la soutenir... Mais cela, je peux le faire aussi. Nous devrions bien inventer un abruti nommé B., qui enverrait des conneries par courriel .A présent, Sidi Nils le Légitime a découvert ma véritable identité. Il dit à Djanem : « Tu as fait ton choix : la culture et la vieillesse ».
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L'exposition du Pont-Tournant : qui viendrait voir cela, dans le hall d'attente d'un petit théâtre ? Du coup, ayant vu et estimé ma femme, Djanem penser qu'elle “ne saurait pas lui faire ça”, et c'est encore une occasion de ne pas faire l'amour. Mon héros peut faire l'amour avec sa femme légitime, seulement, cela l'épuise, il s'arrête en chemin. Or 22 éjaculations par mois protègent d'un cancer de la prostate. Qu'y a-t-il de plus épuisant : baiser 21 fois dans un seul mois, ou passer 10 ans à crever de chimio ? Car on crève DE chimio.
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Crises de jalousie, menaces d'abandon (pour cause de Caféine) à tous les entretiens (j'ai moi aussi mes obsessions). Jérémiades d'autant plus cruelles qu'elles demeurent à jamais infondées, quand on sait que les femmes, pour moi, n'ont pas de désirs ; plus précisément, n'ont pas de désir pour moi. Plus précisément encore, ne l'extériorisent pas. Voyez Caféine : elle me repousserait aussi, du haut de sa situation d'employée de la Sécu, et je n'ai pas envie de reprendre le parcours du combattant depuis le début. Les femmes (“celles que je connais”) me semblent toujours extrêmement difficiles à “obtenir”, alors qu'elles se voient toutes, sans exception, affables, d'accès facile, parfaitement abordables, disponibles, fraîches et tout.
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En réalité, revêches et rébarbatives. L'une d'elles n'a-t-elle pas osé écrire : « Il faudrait libérer les hommes de leur addiction au sexe » - le seul moyen serait de leur couper les couilles. En réalité, j'ai couché avec Te-Anaa. Mais je n'aime pas lorsqu'elle fait sur moi, accroupie, les yeux fermés. Ni qu'elle se soit coupé les cheveux, ressemblant ainsi de façon désastreuse à Jacques Higelin, vedette de la chanson masculine et largement septuagénaire ; pour compléter, gauchiste et démagogue. Se levant de son siège de plateau télé pour exciter le public à l'applaudir, lui, ce qui couvre les arguments de sa partie adverse. Te-Anaa n'est pas ainsi. Elle accepte mes arguments avec lucidité, pour avoir longtemps vécu.
Pour l'instant, elle ne m'écrit plus, se tournant vers un autre homme, un vieux, un solide, un vrai. Je n'aimerais pas rencontrer tous ces hommes. Bertrand lui-même : comme il se fragilise dès qu'il croit entrevoir une complicité entre Te-Anaa et moi !
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Djanem, jadis, au temps de son adoration pure, ne voulait plus redescendre de ma voiture et me serrait de toutes ses forces entre ses bras. Se mettait irrémédiablement en retard. Si je voulais quitter son automobile personnelle, même jeu. Combien de fois ne suis-je pas rentré chez moi en retard, sous des prétextes divers ! Nous sommes allés très vite. Nous avions l'âge de brûler nos étapes.
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Arielle n'est plus jalouse, depuis que Te-Anaa quitta son pavillon de Martignac, où j'aurais pu (paraît-il !) m'introduire avec la clef disposée sous le store. Ce qui me fut proposé, mais que je n'ai jamais fait. J'avais mon paquet de préservatifs, intact, en poche. En revenant, je le jetais intact, très cher, dans un caniveau. Il faudrait un autre roman sur Te-Anaa, une autre histoire d'amour. Histoire d'un cabinet fantôme. Lazarus éprouve du dépit que je sois resté avec elle : “Tu n'as pas été le premier, ni le dernier” - si. Justement.
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Je viens chercher Djanem à son travail ; une fois, nous nous sommes ratés, attendant chacun de notre côté. Lazarus m'a vu en voiture, assis sur un rebord alors qu'il se rend lui-même à un meeting de la LCR : piètres jouissances politiques. Je lui fais mes confidences. Il me conseille de tout plaquer au bout de trois mois. Sur sa maîtresse à lui, il exige le secret le plus absolu. Depuis, sa propre femme me l'a révélée. Il aurait même une seconde maîtresse. Lorsque je me confie à lui, j'ai l'impression de me trahir. De me salir. Quel rôle attend-il de moi ? je n'offre plus rien.
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Je n'ai jamais montré la photo d'Ariel à Djanem. Djanem écrit sur son blog des textes poétiques - critiques éléphantesques de Lazarus, crise de Djanem. Preuve qu'elle est allée beaucoup plus loin avec lui qu'elle ne veut l'avouer. Elle n'écrit plus et c'est dommage. Cependant, le fait qu'elle se soit vantée de conserver la même écriture depuis quinze ans et demi a de quoi me laisser perplexe.
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Djanem n'est pas mûre. Nous ne le serons jamais. Chez Djanem, le sceau du refus de l'étude, la Marque du prolétaire, demeure à jamais indélébile, indécrottable. Je parle aussi de moi en pleine connaissance de cause ; Arielle et moi déclassés, disqualifiés : caste autoproclamée supérieure, mais caste tout de même. Elle et moi connaissons le dessous des cartes. Nos effusions pourraient s'interrompre, comme une obscénité. L'ironie pourrait mal voiler le mépris, entre nous peut-être, ou de soi à soi ce qui est pire.Entre nous ce millefeuilles indéfiniment remâché : chaque jour, chaque mot, en engendre d'autres, ainsi de suite à l'infini. Arielle devient d'une maigreur et d'une flétrissure effrayantes. Si l'opération n'a pas provoqué chez elle un implacable dépérissement. XXX 63 10 10 XXX
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Ces résonances, ces échos, étouffent en nous parfois toute communication. D'autre part, comment puis-je écrire une histoire sans en envisager la fin. Incapable de décider quoi que ce soit ; ce que je refuse en particulier, c'est d'endosser la totalité de la responsabilité : après tout, Djanem non plus ne veut pas abandonner Son Malade. Son Couple et sa Demeure, ses seules réussites. Si nous nous quittons, ce qui revient sans cesse en nos conversations, nous sombrerions tous deux dans la morosité agressive envers le monde entier) – je crois en effet que même archifausse, une situation perdure à tout jamais. Je sais, depuis, qu'il n'en est rien.
Défi irrelevable. Je ne sais pas ce que je veux demander. Si je dois démontrer quoi que ce soit. J'ignorerai toujours qui a bien pu supplier l'autre de rester : de Nils ou d'elle. Toujours à moi de comprendre en quoi je suis coupable. Je ressens de bien puissantes et bien jeunes émotions. Une grande lassitude. Un désir aussi de tirer son coup et de partir. Nils le Légitime, gode bien-aimé. Revoir Caféine. Passer outre ce parcours du combattant, franchir ce tir de barrage qu'elles déclenchent toutes, n'en déplaise à Lazarus et aux femmes elles-mêmes. Le remède est de prendre la femme dans ses bras. En 1927 nous nous aimions bien fort.
Alors se déclenche la lubrification, et tout s'enchaîne. Cela n'existe que dans l'imagination. On n'est pas de bois. Sylvie Martin.
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Ce matin, très froid. Des reproches, d'éternels reproches. Pourquoi vouloir sans fin que je largue cette pauvre Armelle, immobile dans son fauteuil. Combien archaïque. J'observe une indéfectible fidélité en amitié , cette constance, avec d'autres femmes, est signe de persistance envers toi, qui devrait la consolider ? Non. Eviter cet argument. Ce matin je gèle. Inutilité de tout effort. J'ai oublié le mode d'emploi. Urgence de vivre et petites manies. C'est à moi seul qu'il appartient de me blâmer. A nul autre. XXX 63 10 27 XXX
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Prends ce qui vient, Djanem. Accepte. Je ne sais qu'une chose : Te-Anaa n'est plus pour moi qu'une construction intellectuelle. Djanem est seule capable de m'émouvoir physiquement, jusque dans le cœur physique. Le reste n'est que spéculations : jeux de miroirs Pourquoi me trouver pleutre, piètre, veule ? à la limite, plus besoin de toi. Qui es-tu ? Qu'est-ce que l'amour ? la gloire obtenue à grands renforts de hernies sociales ? jusques et y compris pour Au-dessous du volcan ! Les misérables eux-mêmes ! Il n'y a que gêne et contrainte à se mettre ainsi en dépendance d'autrui - pourquoi dépendre automatiquement des autres ? de l'estime d'un voisin, d'une maîtresse ?
Nous estimons tant les hommes, fussent-ils dégénérés, que nous ne pouvons nous passer de leur considération ; mieux vaut s'exercer à aimer quand on le veut, à ne plus aimer quand on n'en veut pas. Djanem n'appellera plus aujourd'hui. Confite dans l'interminable chapitre de son désespoir - journal de bord d'une passion foirée ?
Toutes les communications se sont interrompues. Cependant, nous furetons rue Cissenet, épluchant boîte aux lettres par boîte aux lettres. Un poète habite là, que ma Djanem Djanem voudrait me présenter. C'est un grand homme enveloppé d'une cape, au profil de Nosferatu, beau et noble. « J'ai pensé que cela te plairait de connaître un rejeté des éditeurs, comme toi. Vous pourriez vous intéresser l'un à l'autre. » Il nous reçoit dans son antre, petite pièce sans chauffage au fond d'un puits que l'on appelle, en architecture et chez Balzac, un « jour de souffrance ». Il règne là le capharnaüm hors du temps d'un qui s'est retiré du monde.
- XLV
Djanem éprouve et montre la plus grande admiration : l'ordinateur est là, en panne, et le bureau tiré au centre de la pièce. En haut d'un escalier de bois gît un mezzanine d'où dépassent des draps sombres et des empilements de vieux livres. Des toiles inachevées couvrent un mur et l'une d'elle, à dessein inachevée, s'inspire de la Leçon d'anatomie. « Mes toiles, je les brûle ». Comme l'aquarelliste de La vie, mode d'emploi... D'origine écossaise et turque, McLab–Tokama s'exprime avec difficulté : il s'est un jour tranché son bout de langue, explique-t-il, dans une crise d'épilepsie. Sur la table mal éclairée d'une chandelle, il nous montre de beaux manuscrits sur papier-chiffon, orné d'une splendide écriture illisible à la plume, et de lavis dignes d'Honoré Daumier. Il ne plastronne pas, parle du nez, offre un café, se répand en galanteries, affirme éprouver de bonnes vibrations, nous régale en fond sonore d'un Requiem baroque.
Nous admirons tous trois Céline, Jean Lorrain et Bloy, qu'il prononce Bloï – à ces incongruités se reconnaît l'autodidacte, non moins estimable, aisément décelable. Ses élégies très pures et raciniennes, si Racine en eût composé, ne trouvent aucune grâce chez les éditeurs, mais il s'est fait rouler d'une plaquette aussi bien payée que mal mise en page, sans marge supérieure. Nous échangeons les déplorations d'usage, et mon autorité de correcteur, au plus près des pratiques éditoriales réelles, m'amène une fois de plus (mais pourrait-il y en avoir assez!) à dénoncer l'infranchissable plafond de verre de la publication : « La circulaire de refus, lui dis-je en riant, devrait plutôt se rédiger ainsi : « A notre grand regret, vous ne faites pas partie de nos réseaux de fournisseurs ».
Comme les antiquaires en effet, ou les grands distributeurs de gamelles en cuivre, nos éditeurs de tous pays s'approvisionnent exclusivement auprès de leurs Réseaux ; c'est pourquoi le petit pot de yaourt amoureusement préparé que vous amenez, seul, à pied, devant le grand portail de la marque internationale, restera toujours devant le grand portail ; pour les produits laitiers, six semaines de présentation dans les rayons - pour les livres, disons douze... Nous nous quittons tous trois très satisfaits, car j'ai promis à l'Ecosso-Turc d'amener quelque jour chez lui l'ami Lazarus,
Tokamagrand manipulateur de caméra et de questionnements subtils, qui lui fera de la gloire sur internet.
Puisque la mode est à internet, avant la transmission de pensées par puces électroniques directement greffées dès leur plus jeune âge sur les crânes riches. Reportage qui ne manque pas d'avoir lieu, quelques jours après, dans la rue Cissenet, rez-de-chaussée au fond à droite « Attention à la tête ». Djanem a voulu en être : c'est elle qui l'a découvert, c'est elle qui sert d'introducteur. C'est D. XLVI
un client, elle apprend aux poètes à parler, dans son cabinet d'orthophoniste. Mais pour l'interview, nous ne devrons ni parler, ni nous trouver dans le champ. McLab-Tokama se montre courtois, grand prince : m'approchant de sa table en cachette, j'ai repéré du papier à en-tête, au nom vénérable d'Orak Pacha ; c'est également, par sa mère, un authentique MacKenzie, avec château. Le ménage est fait, la table repoussée contre la montée du mezzanine. La caméra commence à tourner, l'auteur esquive les questions, surtout sur son âge (« deux enfants de 40 et 35 ans ») « J'aime les femmes, dit-il, sans les toucher ; le respect, vous comprenez. » Mais il se lit à haute voix. D'un ton rauque à la fois et pâteux, d'écorché, s'éraillant, éructant, crachant. Dans un état de transe poétique. C'est ainsi qu'il se livre. « Si mon patient ne parle pas, plaisante Lazarus, je ne fais que le filmer ; je me dis que même silencieux, il finira bien par faire quelque chose. » En effet, gestes, mimiques et propos qui se veulent anodins parlent bien plus pour finir que toutes les réponses convenues.
C'est imparable. Mais en prenant congé, McLab-Tokama sort de sa manche un de ces appareils aplatis qui vous filment à votre insu : l'arroseur a été arrosé. Le poète jubile, nous nous quittons dans les meilleurs termes et repassons par le couloir encombré de maçons, qui le murent dans son antre ; Lazarus, Djanem et moi nous séparons très vite, rappelés par nos conjoints. Mais j'ai bien retenu que Djanem a voulu faire croire au caméraman que je n'avais pas son adresse électronique : est-ce une invite ? ou veut-elle montrer qu'elle a soigneusement respecté les injonctions de son mintor : « ...et garde-toi bien de lui communiquer ton indicatif ! il te harcèlerait ! » Parlez-moi des amis... « Djanem, tu t'es montrée bien coquette chez cet homme, discrète, dérobée, jouant du mystère »
- Mais pas du tout, répète-t-elle. Je ne viendrais jamais chez lui seule. Il me fait peur. » Lazarus en rajoute : On sent qu'il peut partir en live d'un instant à l'autre ». « Partir en live » : c'est ainsi, par des expressions qu'ils pensent « à la page », et de plus inexactes, que se révèlent, en dépit qu'ils en aient et de tous leurs efforts, les autodidactes, les gens de petite extrace, qui n'ont pas suivi les Grandes Filières... Mais que voulais-tu dire, Djanem, dix semaines plus tard, en me narguant d'être jaloux ? Oui, je faisais le fier, l'indifférent, le grand seigneur, l'intellectuel de grande culture. Mais mon langage à moi trahit aussi, m'a-t-elle dit, mes origines populaires ; sorti de mes envolées pédagogiques, en situation de service professionnel, je me montre aussi plouc que j'importe quel prolétaire.
Et je me suis laissé à écrire : « SI TU COUCHES AVEC Lazarus , JE TE TUES ». Avec un s. Depuis, plus rien. Djanem a ouvert d'autres comptes de correspondance. Elle a disparu comme promis. Elle vient d'avouer que je suis jaloux... à juste titre, pour une histoire de dix ans. Elle fut donc la maîtresse de Lazarus en 50.
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Déception. Katy rompt, enfin, avec Nils. Ne me veut pas, ne me veut plus. Prend pour prétexte que je n'ai jamais manifesté de compassion pour elle pendant son congé de maladie. Je lui parle idéal, elle répond “poux dans la tête”. J'avais choisi mes mots un par un. Tant de sottise m'atterre. Je n'ai rien fait pour elle, qu'a-t-elle fait pour moi ? Prend-elle au sérieux ce perpétuel marasme mental où je vis ? Arielle allongée tout le jour : ma vie en est détruite. Qui s'en soucie ?
Arielle, Katy, si les deux me mentent et me roulent, où m'appuyer ? Pourquoi ce besoin d'une femme au-dessus de soi ? Adieu la saveur de ton cul, adieu espèce de conne. Je néglige celles qui m'aiment au profit de vagues lueurs. Ainsi cette confiance qu'on accorde n'est preuve de rien. La femme n'est pas meilleure. Ce peut être un homme.
J'ai voulu que ma vie s'arrête. Un torrent désormais nous sépare.
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Tu me demandes, amie, ce que je veux. Car je t'ai touchée en mon dernier courrier. Ce que je voudrais ne m'est venu que par lente capillarité, par lente remontée : je ne veux que te voir, te contempler, te baiser et souffrir. Nul ne déclencherait le moindre mouvement, tu serais en mon cœur, sans plus, parfois dans ma couche, puis nous nous en irions, chacun de notre part, souffrant de séparer, attendant la prochaine ramentaison, sans autre issue que cette souffrance et cette frénésie de réconfort et de serrage mutuel. C'est cette souffrance voluptueuse et sans autre projet que l'éternité que je voudrais te proposer ; t'offrir comme si rien d'autre n'existait que de délicieusement souffrir de manque et de présence ? Je ne veux que souffrir et jouir avec toi, dans l'éternité immobile. Tu es ce que l'on voit après la mort. Juge après cela s'il te convient de m'approcher encore, dans la fascination à jamais sans issue. Ce n'est pas que je ne t'aime pas : c'est que je ne vis plus. Je t'aime . Le monde n'existe pas. Le monde n'est que toi. Cela ne fait pas ton affaire. Éloigne-toi de moi et vis. Je garde l'histoire.