Les vieux bourrés
Eugène et Alphonsine restent bouches bées sous leurs vapeurs d'alcool. Le barbu articule «insultez-moi et je porterai ma croix. - Vous l'entendez, l'ivrogne ? Trente ans que ce chef de gare se prend pour un pasteur... » Ils en viennent aux mains. Vieux-Barthek et Émilienne, agents provocateurs, ont atteint leur objectif : les faire interner sur-le-champ grâce à la camionnette de Valhubert où deux infirmiers en tenue maîtrisent les pugilistes. Même à travers la porte arrière, on entend Alphonsine hurler :
« Où y a Eugène, y a pas de plaisir. »
Émilienne cligne de l'œil, le logement est tout trouvé. Barthek éprouve de légers remords, c'étaient des gens bien, détrompez-vous enchaîne Émilienne, ils battaient leur troisième fils, nous avons des dossiers sur eux, ils ne laissaient pas de trace sur le corps, faisaient porter à ce dernier tous les haillons des frères aînés, placent son âme en internat dans la ville même, s'opposent tant qu'ils peuvent à son mariage. S'ils ont mieux traité leurs autres fils ?
« Je crains que oui » répond Émilienne, mais ils ne devaient pas s'acharner sur le dernier, qui voulait plus d'amour que les autres. Ils ne devaient pas s'acharner sur la bouteille. » Devant le mutisme soudain du pensionnaire, elle pense proposer de vendre la bicoque si vite vidée, afin de couvrir les frais d'hébergement et l'improbable désintoxication d'Eugène et Alphonsine. À ce moment Barthek Prastinnthiovitch sort enfin ce qu'il a sur le cœur : une déclaration d'amour, mentionnant les yeux de Émilienne, la peau de son visage « si exactement tendue par le muscle » le masséter ? - ...les buccinateurs aussi, Émilienne, tous les autres… - ...je vais vous confisquer vos brochures médicales, Barthek ; le buccinateur ne se voit pas de l'extérieur.
Barthek conteste. Dévie sur l'expression de vertu, de justice, d'équité, rendue par son visage - « ...de vertu, Barthek ? » Quand elle rit, les boucles tremblent sur sa joue. Il reste une Cinquième Porte. Toute proche, celle-là, de l'ancien domicile de Barthek et Myriam, avant leur arrivée au Vieillards'Home : « ...avant la mort, deux personnes très, très âgées, en fond de jardin, une arrière-maison ! » - Qui occupe le bâtiment sur la rue ? - Des quadragénaires.
- C'est jeune dit Barthek.
Les jeunes ont engagé une procédure d'expulsion.
- On n'expulse pas des vieux dit Barthek.
Les locataires ont vécu là vingt ans, jetant les ordures entre les deux maisons, des gazinières, des batteries mortes, nos deux fils disaient-ils dégageront tout ça par camionnette – les quadragénaires n'en croient rien. Ils évacuent les amoncellements. Ils s'appellent les Mazeyrolles. Ce sont des cousins de Émilienne, mariés ensemble. Ils n'ont pas supporté leur expulsion. Ils ont senti venir le vent, trop tard. D'abord, la famille leur a doublé le loyer. Elle les avait perdus de vue, sauf pour faire pression sur eux. « Je n'y suis pour rien directement. » Pour gagner l'extérieur sur la rue, les Mazeyrolles devaient traverser le jardin ; c'est ce qu'on appelle une « servitude », conventionnelle, puisque les vieux ne sont pas enclavés. La maison de devant est occupée par des quadragénaires alertes, aimant le soleil qu'ils prennent aux autres, ils mangent dehors l'été sur une table blanche. Ils s'appellent les Acquatinta.