Charlemagne effleuré
Finalement, cette bonhomie trouillarde et bourgeoise recèle une bonne résolution, le ferme désir de régner sans partage. Et ce qui donne au souverain cet air rondouillard, c'est la barbe. Cette fameuse barbe fleurie, aérodrome de toutes les taches de bouffe, ici soigneusement peignée, cotonneuse, vieille de Vieille : quelle idée d'avoir ainsi suivi la légende à la lettre ! même dès Roncevaux (Chanson de Roland remontant au XIIe siècle), "l'Empereur" n'était pas qualifié autrement que par sa "barbe fleurie", alors que d'authentiques témoignages, statufiés qui plus est, attestent qu'il ne portait que les moustaches en croc des vigoureux Francs.
La couronne est posée comme un couvercle de soupière, bouffant tout le haut du front. Les yeux sont vifs pour un vieillard de 90 ans (il n'atteignit pas les septante). Les favoris masquent les oreilles, grandes ouvertes n'en doutons pas. Nez droit, bouche gourmande et dégagée sous la lèvre du bas, pour que les ordres s'en échappent sans confusion. Cette horrible barbe en ouate est celle de Dieu après tout, dont il est le représentant : la croix règne sur le haut du globe, fermement assis dans sa main gauche - "ich garantiere die Stabilität" auraient dit les germains bâtards du XVIIIe siècle. Tout est ici traditionnel, couronne et globe également sommés d'une croix grecque, le sceptre lui aussi portant une croix, ce qui rappelle la Trinité, car l'Empereur fut on ne peut plus pieux et généreux envers le clergé.
Charlemagne incarne ainsi l'autorité, bienveillante mais défiante, incarnation de la stabilité divine. Mais ce n'est pas de Dürer, assurément... Toujours est-il que l'histoire de Charlemagne, actuellement déroulée sur la chaîne 5, c'est l'histoire de ses conquêtes, de ses guerres, de ses massacres, de ses campagnes annuelles. Trois années seulement, et non successives, on ne se battit point. La chose fut extraordinaire sur un règne de 35 ans, au point que les historiens le mentionnèrent. L'armée partait en guerre au printemps, à partir de mai de préférence pour que les chevaux eussent à bouffer.
L'armée franque se déplaçait vite, avec Charlemagne en personne à sa tête, toujours en excellente santé, mais ne disposait pas d'équipements de siège.
Et tous les ans, on remarchait contre les mêmes, Bavarois, puis Saxons avec leur chef Wideking, qui ne cessait de trahir aussitôt les traités signés. La guerre, c'était le championnat d'Europe de foot, et les mors, les victimes de la route d'aujourd'hui. Nous n'avons plus les mêmes valeurs, comme le triomphe du christianisme à la pointe de l'épée, mais c'est curieux, des tas de personnes meurent quand même. L'oeuvre humaine est toujours à refaire, il faut toujours réformer la justice, donner du pain aux affamés, abolir la corruption, et tous ces grands hommes n'ont pu faire qu'une petite partie vraiment efficace de ce qu'ils auraient souhaité, mais assez rabâché que les héros sont inefficaces et regorgent de petitesses, donc stop.