Kessel, "Fontaine Médicis"
Nous embarquons dans la Marmite de Joseph Kessel, où les sexes sont trouvés répugnants, avec le frère du Pur qui s'envoie la maman de l'ami du Pur. Assez de ces bourgeois tous médecins (voir les Pasquier), avec toute la galerie de détraqués familiaux qui s'impose ! Famille Boussardel aussi m'avait frappé. Autrefois c'étaient les demi-marquis de Maupassant, les Alice de Montchosoir d'Albéric Second ou les duchesses de Bois d'Arcy dans le Magasin Pittoresque. Et plus avant, c'était le roi de Commagène et la princesse de Collagène et Botox. Mon Dieu que les préoccupations urogénitales de ces putains d'hommes et de femmes peuvent me démonter la zigounette. De plus tenez-vous bien, je ne dépare pas le tableau.
Avec La fontaine Médicis nous retrouvons tous les ingrédients du roman familial : père médecin gêné au entournures, mère soumise, aimante et asexuée, grand frère et petit frère lequel à 16 ans je crois se farcit la maman de l'ami de son frère. Là-dessus comme de juste la Grande Guerre qui se déclare, le frère aîné et son ami Etienne sur le front, l'un des deux va nécessairement y passer. L'originalité, qui n'étonnera pas les spectateurs de Belle de jour, consiste en cette attention soutenue portée au relations ou frustrations sexuelles : jamais la maman des deux garçons n'a éprouvé ni désir ni plaisir, le père diffère sans cesse l'éducation sexuelle de ses drôles, la vie bouillonne dans tous ces corps encaleçonnés, le cul reste une occupation coupable et souillante, il ne peut s'exercer que dans un amour « forcément sublime » ou dans le dégoût le plus méprisant.
Cependant, les trois volumes suivants semblent relever de la loi des séries, comme dans Les Thibault ou La chronique des Pasquier. Les ressorts ont été dans ce premier tome du Tour du malheur habilement tendus, entre idéalistes et pervers, sans oublier le politicien pourri de service. Le style est « vif et alerte » sans plus, sans grande originalité. Nous sommes déjà page 262. Une partie de La fontaine Médicis (au jardin du Luxembourg) (vous ne pensiez pas que l'intrigue se fût déroulée ailleurs qu'en plein Paris bourgeois) se consacre à la correspondance entretenue par l'ami du frère aîné, engagé volontaire, sorti lieutenant de St-Cyr après formation accélérée de temps de guerre. Le lieutenant fait des phrases, de la littérature de jeune homme.
Il écrit tantôt à Sylvie, qui ne lui répond pas la salope, tantôt à ses « parents chéris » - notons au passage que s'appeler « chérie » entre femmes à l'époque relevait encore de la plus parfaite innocence. « Voici ma première nuit de front. » Attendons-nous à tous les clichés littéraires chez ce jeune homme de 18 ans, à tous les clichés de situation, involontaires cette fois et inévitables, chez le romancier. Bien plus éloquents pour nous les comptes rendus lucides et horrifiés de Guéhenno ou la relation hallucinée de Céline. Le voilà donc au front, notre petit fantassin si bien éduqué. « Je m'en faisais tout un monde, et ce n'est rien du tout. » Nous te verrons venir lorsque tu sentiras retomber en pluie, autour de toi, la cervelle et la viande de tes petits camarades déchiquetés. Mais cette désinvolture de grand adolescent colle bien au personnage... « C'est même un peu décevant. » Mon prince ne perd rien pour attendre. « Je suis enterré dans un abri à l'épreuve de tous les obus, par des rondins massifs et des sacs de terre. »
Puissante protection en effet. Joli feu d'artifice en cas de tir direct.
Celui qui part pour la guerre n'en reviendra pas. L'aîné a trop de passion vive pour y survivre. « Trois camarades ronflent sur leurs bat-flancs. La quatrième paillasse m'attend, pas beaucoup plus mauvaise que des lits de caserne. » Que deviendra notre vaillant lieutenant frais émoulu de St-Cyr ? Peut-il savoir que les lieutenants sont les entraîneurs de troupe hors des tranchées, chargeant en tête et fournissant le plus gros bataillon de décimés ? « Le secteur est très calme ». Surtout devant Reims, abruti. Je me souviens du fort de Vauquois, énorme gruyère troglodyté ! Comment vivre à Vauquois désormais, hanté de souvenirs qui ne sont plus les siens... « On entend par-ci par-là un coup de canon, et encore faut-il être au front pour savoir que c'en est un. » Il semble qu'on lise par avance le courrier des Maginot. « Je n'ai même pas froid, avec tous les lainages que maman m'a donnés » - me rapporter aux fielleux sarcasmes de la lingère, en colonie de vacances, devant mes valises de linges. « Jamais » disait-elle « je n'ai vu d'enfant apporter autant de vêtements avec lui. » L'apprentissage de la vie en colonie de vacances passait obligatoirement par celui de la crasse. « Je me dis que je n'ai vraiment pas été courageux d'attendre si longtemps pour m'engager, alors que vous ne me faisiez obstacle en rien. » Je pouvais croire aussi que le front des femmes était facile à entamer.
« Je jure que si vous me voyiez comme je suis, assis tranquillement à une table et n'ayant qu'une envie : dormir, » (moi aussi) « vous seriez rassurés. » Plus que 12 ans avant 80. Rassurons-nous. Rassurons les «Chers Parents ». «Il faudrait aussi que vous puissiez voir Namur ». C'est au chevet du lieutenant blessé que notre héros rencontra Sylvie, dont il est amoureux, en lettres. « On ne peut rien craindre avec un chef pareil. » Héros, mon ami, tu as une tête à claques. « Il est passé capitaine, et commande notre compagnie. » Jamais une corvée de chiottes : les chiottes, c'est toi, et tu seras balayé. «Il m'a montré le secteur ce matin » comme on fait examiner un terrain de golf.
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Kessel après Céline, c'est tout de même de la petite bière. Les soldats ? On les confond tous. L'un d'eux apprend par sa fiancée que cette dernière est enceinte : vite, malgré le catholicisme, curetage. Quant au petit marquis de Saint-Cyr, si c'est bien lui, nous le retrouverons avec une « bonne blessure » (Bonne Blessure est d'ailleurs le surnom d'un soldat prolo), c'est-à-dire à l'épaule, qui le fait réformer, de façon à paraître au salon de thé de sa tante, ou mère, on s'y perd dans ces grandes familles, nobles ou bourgeoises. Et voici qu'il me vient à l'esprit, ou plutôt à l'éponge, une évidence à laquelle je ne crois plus : cette immense frustration sexuelle dont on nous parle en première partie, le poids de ces traditions sans cesse violées dans la honte et le péché, ne seraient-ils pas les causes de cette furie d'étripage qui régna plus de quatre ans ?
Bon sang, mais c'est bien sûr ! Et pour faire bonne mesure, les poilus frustrés de la bite se révoltent en 1917 sur le front de l'Aisne, où j'ai vécu, et menacent un officier en criant A mort ! Le tome II, que je n'ai pas envie de lire, L'affaire Bernan, se finira peut-être devant un peloton d'exécution de tirailleurs sénégalais, des sauvages, comme chacun sait. Pendant ce temps, à l'arrière, les salons de thé se multiplient, on y cotise largemenr pour acheter des caramels aux ratatinés de la mâchoire inférieure, et nous aurons de grands développements sur le marquis blasé, qui s'est engagé par ennui, et qui maintenant s'emmerde avec son épaule boiteuse de l'intestin. Quant aux femmes, refoulées qui ne demandent qu'à se défouler, qui ne demandent qu'à profiter des pensions de guerre mais ne soyons pas mauvaises langues, elles « restaient davantage. « Elles étaient sensibles aux lignes tranchantes du visage de La Tersée, à son impertinence, à son épaule rompue. « Elles l'assaillaient de rires et d'avances. »
Je ne pense pas qu'il ait de monocle ; ça, c'est dans La grande illusion. Ou chez Ernst Jünger.
« - Quelle volière ! disait-il.
« Depuis qu'il s'était assuré les bonnes grâces de sa mère, il s'ennuyait mortellement. » La mère possède un double menton d'où sort une langue acérée : il faut flatter la vieille.
« Mais brusquement il s'écria :
« - Regardez, maman. Un miracle. » On se vouvoie chez les aristos.