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Huit heures : enterrement

 

Petite chute de Cère.JPG

A huit heures, nous sommes levés depuis longtemps : il arrive que ce soit avant six heures. On enterre mon beau-père aujourd'hui : c'est pourquoi ma femme Arielle n'a pu se rendormir comme elle le fait au petit matin. Nous n'éprouvons pas extérieurement de grande tristesse : cet homme nous a laissés tomber 22 ans durant, malgré nos tentatives de réconciliation. Il répétait "Non... Non..." à l'arrière du téléphone quand nous contactions sa nouvelle épouse. Je suis allé le voir avec des fleurs pour son 89e anniversaire. Comme j'appelais ma femme au téléphone pour qu'elle me rejoigne, il vint me trouver sur le balcon pour m'enjoindre de ne pas le faire, car il n'était "pas encore prêt".

 

J'ai donc pris le repas avec sa nouvelle épouse et leur fils de 32 ans. Arielle m'en a voulu pour cela. Mais il ne sert à rien de rappeler cela : nous le mettons en terre aujourd'hui. Le fils a rejoint le père décédé depuis très longtemps. Nous sommes allés chercher notre amie, qui s'était mise en demi-deuil, car elle ne l'avait vu qu'un petit nombre de fois, et la dernière, de façon quelque peu mouvementée. Ces circonstances passées doivent entrer en ligne de compte quand l'assistance entend sans broncher le curé, à voix trop forte, proclamer sans bien s'y connaître que nous devons penser aux bonnes actions qu'il a pu accomplir : en tant que médecin, assurément. Mais en son privé, on cherche encore.

 

Le curé, après son sermon en langue de bois ecclésiastique, ôta la petite lumière à la tête du cercueil pour aller la poser aux pieds de la Vierge. Le plus pénible de toute la cérémonie furent les cantiques dont le refrain devait se reprendre en chœur par l'assistance, comme nous y invitait une vieille chrétienne sincère et desséchée de sa voix haut perchée. Nous l'avons fait, par solidarité. Lorsque le cercueil fut remporté, tout se passa gymnastiquement : ce sont des gestes répétés, par des professionnels sans affects, pour ne pas devenir fous. L'un d'eux reçoit les cent kilos sur le bassin, puis deux se glissent vivement par-dessous tandis qu'il grimace, et le poids se trouve enfin réparti sur les quatre épaules.

 

A l'aller, nos croquemorts exécutaient un ballet circulaire en chaloupant du cul, ce qui est peut-être nécessaire pour éviter tout déséquilibre. Tsett était une petite chose dévastée. Elle allait de groupe en groupe, et je n'ai pu l'embrasser personnellement que plus tard, ce dont elle m'a bien remercié, j'ai senti ses larmes sur mes lèvres. Ses deux fils, alternativement, la tenaient aux épaules. Nous sommes partis en voiture, vers le cimetière du Bouscat (et non de Bruges) : c'est Jacques et Muriel, venus spécialement de Sore, qui sont passés devant nous pour nous guider. Ils se sont levés à 5h pour nous rejoindre depuis Sore, dans les Landes. Ce sont les seuls à nous être demeurés fidèles en dépit des comportements bizarres de votre serviteur. Et puis nous avons marché dans l'allée sous un soleil de plomb, qui est aussi un vrai temps d'enterrement. Les deux fossoyeurs ouvraient à la bêche et au fossoir, qui est une fourche à larges dents, utilisée aussi pour fouir entre les rangs de vigne. Le cercueil fut enfourné tête vers nous, ce qui m'étonna : je pensais que les morts nous regardaient, or, leurs têtes sont à l'envers par rapport au visiteur.

 

Ma réflexion fut jugée déplacée par Djz., mais il est très énervée en ce moment : soucis pneumologiques et sevrage de tabac. Il nous taraude avec son souci de la famille, bien nouveau puisqu'il ne voit ma femme qu'une fois par an. Il insista auprès d'elle pour que nous fussions invités par Dvor, fils du défunt, mais celui-ci fit répondre que c'était une "réunion de famille", entendez celle de la mère. Djz. pestait encore en repartant, parce que nous n'avions pas "le sens de la famille". Pourtant, il est bien la preuve, lui-même, qu'il n'y a pas pire sac de nœuds que cette institution, que nous avons toujours traitée avec éloignement, et même des pincettes : le mot même fut pourvu de guillemets sur notre livret de "famille".

 

Nous n'avons pas consulté le livre des signataires, que les assistants avaient signé sur le seuil de l'église. Tsett a dit "Au revoir mon Nanou", tout doucement, et encore "Au revoir" en quittant la tombe : alors ses fils l'ont doucement raisonnée, puis elle est repartie avec eux, chétive et noire. Après cela, nous avons raccompagné Djou qui nous a offert du café et de la citronnade, andis que nous taquinions le chaton. Et j'ai proposé mes services de 69 ans et demi afin d'aider Nz. qui s'est fait vider de son appartement, mais pour en retrouver un plus grand. De retour ici, repos, repas, diverses occupations dites "littéraires", et petite expédition vers Cultura : notre occasion de dépense.

 

Arielle a reposé un Carpeaux, malgré la beauté de l'album ("Philoctète"), mais s'est fendue d'illustrés, Charlemagne, Aliénor d'Aquitaine tome II. Nous ne savons pas comment nous finirons le mois. Mais je pense que la suspension de parution sur papier du Singe Vert va dégager le budget. Le soir, Françoise, désormais veuve, a longuement téléphoné à mon épouse, car elle était seule chez elle, et se sentait atrocement désemparée. À noter que Fwof n'a pu venir, car il ne s'agissait administrativement, n'est-ce pas, que de son arrière-grand-père...

 

Commentaires

  • Des larmes, des fils, un enterrement... Comme c'est étrange...

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