Pascal et notre incompétence
Je crains malheureusement que la suite du raisonnement ne soit obscurcie par toutes sortes de béquilles eclésiastiques faussantes : mais la pensée s'arrête là, et nous passons au numéro 673 : Les philosophes ont consacré les vices, en les mettant en Dieu même ; en effet, si Dieu est infini, il est infiniment vicieux. Ou alors, le vice, c'est l'absence de Dieu, c'est le non-être ; les chrétiens ont consacré les vertus. Ah la belle opposition bien conne... Nous voudrions à présent remonter dans les numéros de l'édition Jacques Chevalier, préfacée par Jean Guitton, grand croyant s'il en fut. Pascal est hélas un grand mathématicien, grand raisonneur, et s'imagine qu'il est raisonnable de renoncer à la raison parfois, et par la foi. Mais les articles de la foi contredisent si souvent la raison qu'ils en ont fait perdre la foi à Renan, qui ne voulut plus devenir prêtre : si Dieu nous avait fait raisonnables, pourquoi nous aurait-il ensuite demandé de piétiner sans cesse cette même raison qui provenait de lui ?
Nous ne pouvons finalement comprendre les textes religieux que de l'intérieur, si nous sommes nous-même religieux. Un imam nous l'avait dit, un rabbin ou un pasteur nous affirmeraient la même chose. Observons-donc le texte, présenté par l'éditeur comme une « Introduction » à des « preuves de Jésus-Christ ». Calmement. « Le monde ordinaire a le pouvoir de ne pas songer à ce qu'il ne veut pas songer ». Assurément. « Ne pensez pas aux passages du Messie » disait le Juif à son fils » - quel Juif ? Pascal ne le dit pas. Ce Juif (ou tout autre) applique ainsi sans le savoir la devise comportementaliste, ou de bon sens, qui consiste à ne pas penser à ce qui nous embarrasse. Vous avez un problème ? N'y pensez plus. Quelqu'un de tourmenté par le sort de l'Homme n'a qu'à ne plus y penser. Totalement inefficace. « Baudelaire n'avait qu'à sortir en boîte, il aurait eu moins de problèmes », devoir de seconde, authentique. L'ennui, c'est qu'une semblable évidence est aussitôt détournée par Blaise Pascal dans le sens polémique : « Ainsi se conservent les fausses religions, et la vraie même, à l'égard de beaucoup de gens. » Immense concession ! La cible, ce sont les gens du commun. Monsieur Truc-Chose. Celui qui ne pense pas, qui veut s'empêcher de penser. « Mais il y en a qui n'ont pas le pouvoir de s'empêcher ainsi de songer, et qui songent d'autant plus qu'on leur défend. » Et moi, Pascal, je vais vous donner la solution, ou du moins la possibilité de la chercher.
Ils étaient comme ça en ce temps-là. Jésus-Christ était l'obstacle obligatoire. De nos jours, c'est peut-être internet ou Miles Davis. Faut pas se moquer. « Ceux-là se défaussent des fausses religions, et de la vraie même, s'ils ne trouvent des discours solides ». Dons la pensée, la réflexion, la raison, par ordre croissant, doivent présider à notre cœur.
Faisons un plan. Pascal écrit un plan, le coud dans la doublure de son vêtement et le porte toujours sur lui. « Preuves de la religion » - celui qui croit est à la fois juge et partie, mais voyons : - « Morale, Doctrine, Miracles, Prophéties, Figures. » Il s'agira donc de « la » religion, la seule valable, la catholique. Nous aimerions posséder la science de Lévi-Strauss, qui introduirait ici la dimension épistémologique : l'art et la manière de classer les pensées en vue d'une connaissance, mais sans garantie pédagogique, sans possibilité d'affirmer qu'ici plutôt que là réside la vérité. Sur un autre feuillet, ici « 487 » : « PREUVE », au singulier en et capitales.
Nous sommes en pleins brouillons pascaliens. « 1° La religion chrétienne, par son établissement : par elle-même établie si fortement, si doucement, étant si contraire à la nature. » Ne le contredisons pas. N'ironisons pas, ce serait trop facile. Voyons comment l'auteur a pu imaginer, se représenter cela. N'est-il pas en train de confondre ce que le christianisme est devenu en lui avec ce qu'il était en ses débuts, extrêmement combatif ? Ne faut-il pas tenir compte de ce que l'information, à ette époque, avait d'incomplet et de forcément tendancieux ? D'autre part, que veut dire «contraire à la nature » ? contraire à la loi du plus fort ? Avons-nous dû attendre l'instauration de la religion chrétienne pour apprendre à dompter notre nature, à ne pas tuer, à ne pas violer ?
Ces préceptes n'existent-ils pas depuis le début des hommes, depuis le code d'Hammourabi, qu'il faut empêcher et punir le meurtre, le vol, la brutalité ? « 2° La sainteté, la hauteur et l'humilité d'une âme chrétienne » : n'avons-nous pas aussi nos préjugés, nos certitudes de détenir la vérité ? Car nous répondrions qu'il y a aussi de belles âmes chez les tenants d'autres religions, et de beaux salauds prétendument chrétiens ; et vice-versa. L'homme religieux donc, et non pas seulement le fidèle de telle ou telle religion, ou bien l'homme qui réfléchit, tout simplement, procède lui aussi de la sainteté, de la hauteur d'âme et de l'humilité. Qu'il utilise la méditation chrétienne, la mystique soufie ou l'étude du Talmud en guise d'échelle vers les cieux, vers l'idéal, peu importe. « 3° Les merveilles de l'Ecriture sainte » : nous sommes ici dépassés, depuis longtemps.
Comme une poule devant un couteau. Ni un couteau, ni un livre, ne peuvent tomber du ciel. «4° Jésus-Christ en particulier ; 5° Les apôtres en particulier » - brisons-là. Nous nous déclarons incompétents...