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Jean-Loup Trassard, "Dormance"

 

Au début, c'est rébarbatif. Le lecteur ignore où on le mène. Il sent des relents de Gracq et de Rosny Aîné. Il s'intrigue d'un "Je" intrusif, d'une époque imprécise, car il est question d'aurochs à la fois et de lampe électrique : serions-nous après une guerre atomique ? Puis la confidence se précisant, il s'aperçoit que l'auteur lui fait part, dans l'émergence sourde de souvenirs tribaux, d'une imagination progressivement éclaircie de ses ancêtres, venus de la vallée de l'Indre à celle de la Mayenne. Le style de Dormance est dense, touffu, recherché. Pénible même, lorsqu'il s'attache à décrire chaque nuance d'envers de feuille ou de paysage herbeux. Les ancêtres acquièrent un peu de précision, vision interne du fond des âges.

 

Gaur, l'homme, se rend d'abord en une certaine contrée, puis revient à son point de départ, puis retourne sur les lieux de sa découverte, en compagnie d'un petit clan. Il s'installera près de la Mayenne, et rencontrera le double narrateur : double, car à la fois témoin de sa vie d'avant l'écriture, et témoin pour notre temps contemporain. Mais il aura fallu beaucoup s'efforcer et pester avant d'avor déchiffré cette approche littéraire et documentaire. Une fois franchies ces habiles chicanes, pointent déjà les écueils du genre : la nomination des personnes, femmes ou hommes; et ce qui doit arriver dans le quotidien ou l'héroïque des temps obscurs. Deux femmes seront rivales, ce qui nous ramène au roman, mais, plus original, nous suivrons les étapes de la création, à partir des recherches biaisées du narrateur.

 

 

Enchevêtrement de cycles.JPG

Je dis biaisées car ces péripéties, insérées dans le discours, ne pourront jamais être vraiment documentaires et objectives, car subjectives aussi par définition. L'auteur archéologue nomme les lieux de façon contemporaine, ici "un enfoncement de la Mayenne par rapport à ses rives, et, passé le tournant, celles-ci se resserrent sans doute, jusqu'à être reliées par enchevêtrement de deux arbres opposés dont les branches , dessous, divisent le flot brusque." Quand nous aurons observé, bien visibles, les allitérations sur le resserrement, la longueur des membres de phrases suggérant l' "enchevêtrement", la chute où le mot, "brusque", correspond exactement à l'impression de brusquerie, nous pourrons nous questionner sur le "sans doute", où se confirme l'intention de nous suggérer une découverte involontaire, fortuite et progressive.

 

Le Maine, c'est l'Amazone, ou plutôt la jungle hercynienne, où deux familles soudées vont s'installer, croître, et dans un style minutieusement sculpté, faire démonstration (l'auteur adore les suppressions d'article), dérouler ses chasses, ses luttes et ses fraternités attendues. L'essentiel est ee savoir la sauce, daube ou ratatouille, seront assaisonnées les pâtes. Enfin le poids des fourrures, des

 

outils, de la meule, ne les a pas fait basculer puisqu'ils sont arrivés : "Lorsque avec ses enfants vêtus de peaux de bêtes..." ou bien "La tribu prophétique aux prunelles ardentes
Hier s'est mise en route",
bien que nos hommes à nous cherchent avant tout à se dissimuler de toutes renontres incongrues, et qu'ils n'emportent avec eux nulles armes luisantes, à pied et sans chariots où les leurs sont blottis. Ce sont des instruments de paix qu'ils portent, et de culture : la meule et peut-être le mortier, ce qui fait bien lourd, entre les bras de Muh, quinze ans, amoureuse, rivale de Zva aux étreintes sauvages.

 

Attention. Ne pas virer trop vite vers le plaisant. Non plus que l'auteur vers le narratif. La roche ici grumeleuse, graniteuse, parfois teinte son roux de violacé par oxydation entre les lits mais pas trace d'une pierre dure, d'un silex, ni dans le sombre et mol humus dont jouissent les végétaux qui l'étreignent, ni aux cassures et failles du terrain où paraît le socle de sable argileux, roux rosé. Nous avions oublié la diversion constante dont use Trassard, la géologie quand la botanique ne suffit plus : c'est le côté Julien Gracq, poussé jusqu'au cours universitaire ; avec des préciosités remontant aux Latins, car les végétaux ne sauraient proprement "jouir" ni "étreindre", à moins d'une humanisation à mon sens abusive.

 

Il en est de même de la roche qui ne pourrait non plus "teinter" son roux de violacé, à moins de disposer, au sein d'un atelier, de tout un arsenal d'installations chimistes. Les allitérations de grumeleuse et graniteuse ainsi que la rime sont un peu voyantes, les lits sont une ellipse pour "de rivières", le sombre et mol humus obéit un peu trop à nos lois de métrique, aux cassures et failles joue sur la présence puis la subite absence d'articles assurément trop subjective, enfin le jeu des syllabes clausulaires, t-r / p-r, s-s-g[i], démontre une extrême habileté syllabique et de nombreux coups de polissoir. Bref, une prose qui sent l'huile, entendez celle du veilleur dans sa lampe. C'est ainsi que l'on aimerait écrire, mais aussi qu'on ralentit, qu'on lasse le lecteur sans cesse en éveil par de la trop bonne cuisine dont il faut absolument savourer chaque bouchée, avec dans les yeux l'émerveillement sans cesse renouvelé de ses papilles : "Et maintenant, bien noter les mots à choisir pour complimenter le chef lorsqu'il viendra, modeste et s'essuyant les mains, s'incliner devant ma table."

 

Et voilà comment notre Dormance, de Jean-Loup Trassard, qui a tout pour impressionner l'éditeur de prestige, ne laissera sans doute le souvenir que d'une grande et passionnante bouffissure, d'une emphatique enflure dont il faudra bien avaler la dernière bouchée avant de n'y plus revenir ; et nous penserons une fois de plus : "Voilà comment il ne faut pas écrire ; nous sommes au service du lecteur, qui ne vient pas directement pour admirer, mais pour entendre parler de son précieux lui-même, sans être arrêté tous les cinq mots par une pierre précieuse ou la coruscante monture d'un bijou toc" et toc. Dans le même style, nous apprenons de façon solennelle qu' ils apportent des montants, mais qu'ils devront avoir, pour les emmancher (...) des haches déjà, aptes à couper bois de houx et bois d'aubépine, connus pour leur solidité. Allitérations, manque d'article, et pour finir, une évidence à la Homais.

 

La recette est connue, la souffrance à venir (alexandrin...).

 

Commentaires

  • Dans la lune, je vois une vieille courbée qui porte son bois.

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