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Zatèli, La mort en habits de fête

 

 

 

Ainsi donc de ce volume de 608 pages, premier tome d'une vaste saga, traduit du grec moderne par Michel Volkovitch, rien ne subsiste en notes préparatoires ? Il me faudra donc étrenner ici cette Mort en habits de fête, Grand Prix d'Etat, signé Zyranna Zatèli ? Pour seuls secours les débris de ma mémoire, les immenses réserves de mon esprit étroit, et l'admiration pour ce génie de mêler le plus infime détail avec les plus vastes réseaux familiaux ? Car c'est un roman familial qui nous est livré ici, comme si souvent chez les romanciers, un écheveau à la limite de l'inextricable, qui serait digne d'un arbre généalogique dressé au fur et à mesure, avec ses retours en arrière, ses prénoms innombrables retrouvés de génération en génération ; ses sauts dans le temps, avec rivalités d'oncles et de neveux, de beaux-frères et de clans ennemis. Mariages, adoptions, abandons et enlèvements - époustouflante maestria qui d'abord étourdit le lecteur, comme pour bien lui signifier son intrusion, et son irrémédiable incompétence : car c'est l'autrice elle-même qui seule peut dérouiller les clés, fracturer les portes ou susciter les courants d'air dans l'inépuisable demeure du labyrinthe temporel.

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Nous ne comprenons que peu à peu. Nous enrageons de piétiner longuement sur des riens, des mimiques significatives mais de quoi, des associations d'idées vagues, des allusions que les personnages et l'autrice comprennent, mais pas nous, des références à la vie des Grecs aux débuts du XXe siècles que nos lointains cousins européens peuvent flairer, mais pas nous, Français de France empêtrés de plus dans une traduction. Soudain parfois les voiles se déchirent, nous comprenons une alliance, nous devinons pourquoi ces deux-là se détestent ou bien s'aiment, quelles dettes ou quelles rancunes se sont accumulées au sein d'une histoire d'amour ou de mariage arrangé. Les détails et les anecdotes, les traits saillants, les vices et les maniaqueries de chacun se trouvent tellement détaillés, burinés par la plume de l'autrice, que sitôt qu'ils bougent le pouce ou l'index, ils émeuvent à eux seuls la voûte des cieux ou la croûte terrestre.

 

Nous parlerions de longueurs, de truculence, de délicatesses, d'étrangetés. De comportements inexplicables, ou bien, que nous aurions eus, aussi bien. Et tout en dévidant mon petit morceau, tout en flûtant mon petit air connu, je reconnais que celle qui ne peut monter ou descendre les gammes complètes d'une telle épopée n'aura jamais su écrire. Ici l'incohérence n'est qu'un excès de cohérences obscurément ajustées, surtout après certaines plages récapitulatives, qui d'ailleurs apportent elles aussi leurs compléments et leurs confusions provisoires. Nous avons lu le tome un, mais nous ne sommes pas suffisamment grecs peut-être pour nous sentir attirés par le deuxième. C'est nous qui sommes trop courts. Tenez : nous allons nous borner, si ce mot peut avoir un sens dans une si gigantesque construction, à l'une des premières scènes, la première même je crois, occupant plusieurs dizaines de pages, alors que nous n'avons tenu que quelques paragraphes dans notre propre ouvrage, ce qui proportionnellement fait un peu petite bite. D'où notre extrême jalousie, notre dépit, notre hommage : cela se passe dans un cimetière. Grec. Au crépuscule d'hiver, mais il fera jour encore à la fin. Se trouve là un tout jeune homme de 13 ans, Zàfos, qui joue à la toupie sur les tombes : il n'y avait pas d'ordinateur, et peu de livres.

 

Le jeu consiste à faire tourner la roue de la vie, avec un petit lacet, très vite, sur une surface plate, de préférence une dalle funéraire, en prenant garde que la toupie ne se prenne pas dans ses pieds (car on se tient debout sur la dalle), qu'elle ne tombe pas en heurtant les inscriptions ni dans les gravures en creux : le jeu même des mondes, le branle des astres - au point de rêver, à 13 ans, au titre de champion ; puis, un grand escogriffe apparaît entre les tombes lointaines, un grand jeune homme de 26 ans, maigre, dégingandé, bizarre, louche, dépeigné, qui adresse la parole au jeune garçon, lui démontre qu'il sait tout de sa famille, fait le tour des tombes, y lit tous les patronymes et prénoms des nombreux disparus : c'est bien l'endroit où pourrait apparaître la mort en habits de fête, car c'est ici le champ labouré de son triomphe, surtout chez telle branche de la famille dont les cinq frères et sœurs par exemple sont morts en l'espace de quelques années, tous jeunes, tous bizarrement.

 

Le jeune vagabond sait mieux encore que le garçon lancer la toupie, et même, il en fabrique avec son couteau, il en porte des rangées accrochées sous son manteau, il traite le petit Zàfos comme un homme, lui parle mystérieusement, comme un fou, autrement dit quelqu'un qui a tout perdu sauf la raison. C'est son oncle. Le neveu de treize ans est orphelin de mère. Alors survient le fossoyeur, pas content du tout, mystérieux, muet, qui tourne autour des deux profanateurs de tombes, se contente de grogner, bêche en bataille, puis, d'un seul coup, se tourne de profil, exhibant solennellement son nez de faucon funèbre, tel Horus le conducteur d'âmes dans les bas-reliefs égyptiens, avec son bec démesuré d'oiseau de mort : le dieu psychopompe, qui mène le mort au paradis d'Isis et d'Osiris ou dans l'enfer de Seth, le dieu roux, assassin et maudit.

 

Ainsi se trouve tressée une complicité entre ce grandiose gamin et cet oncle réprouvé, qui revient sur ses traces et les retrouve au sein des tombes, alors que le soleil se couche sur l'horizon accidenté des montagnes du nord. Ce qui donne, car l'autrice ne se gêne pas pour commenter tout ce qu'elle écrit, mêlant l'essai au récit, le mythe grec et l'épique du quotidien :

 

"D'après une légende, Homère serait mort de chagrin, n'ayant pu trouver la réponse à une énigme posée par un enfant. Dans notre histoire, toutes proportions gardées, c'est à l'enfant que les grands posaient une énigme, depuis quelques années, et lui, d'une part, prenait patience – il avait le temps devant lui -, d'autre part, il en avait par-dessus les oreilles de ces questions sans réponse qui l'obsédaient, le rongeaient". C'est ample. Parfois pompeux. Cela se lit posément. Pas pour les gens pressés. "Lèvka elle-même," (la Blanche) "plus jeune que lui de dix mois, lui posait de telles énigmes. Surgies de rien. Elle était venue un jour – non, pas n'importe quand, mais le jour funeste où fut enterrée sa mère – près de lui pour le consoler, femme à onze ans, et lui dire de sa bouche toute pure ces mots qui semblaient un langage secret : "Fais ça pas, fais ça pas !" Que faisait-il ? Rien, il pleurait comme la plupart et plus que les autres, bien sûr. "Ne pleure pas tant, dit-elle alors, comme revenue au langage normal, toi et moi nous sommes pareils." Ce qui lui parut étrange de la part de sa jeune cousine, mais il trouva une explication : Toi et moi, voulait-elle dire, nous aurons le même sort un jour, nous mourrons, on n'a pas le choix. C'est vrai, on n'avait pas le choix. Mais Záfos alors regarda les mains croisées de Dàfni," (sa mère morte) "et ce qui s'était entrecroisé avec ses mains (il ne voulait pas le nommer), il regarda enfin Lèvka dans les yeux comme pour lui dire :" Non, ça, ce n'est pas pareil, ça n'arrivera nulle part ailleurs, à personne d'autre." Mais Lèvka détourna la tête et fit semblant de ne pas comprendre" – un chapelet entre les doigts de la morte ? "- et en plus elle aussi se mit à pleurer.

 

"Sa jeune cousine et les énigmes candides qui lui venaient à certaines heures, passe encore. Mais ce qui le tourmentait à présent, c'était la réponse de Sèrkas," (son oncle, mais est-il le père de cette cousine précisément ?), "cette réponse pleine d'ombres et de sous-entendus. Que signifiait ce "nous sommes tous pareils" ?" ( pourtant c'est la cousine qui a répondu ; je ne m'explique pas ce glissement de locuteur) - Sèrkas plaçait-il donc sur le même plan le fossoyeur et lui-même ? Mais alors il aurit dû, au contraire, se montrer compatissant, ne pas jouer sur les différences." Désolé, cela devient confus à force de subtilités. "Et s'il voulait à tout prix humilier l'autre, alors pourquoi l'avait-il supplié, avec toutes ces ruses, de parler ou de se laisser sculpter ans le bois ?" En effet, l'oncle efflanqué avait proposé une belle statue au fossoyeur. "S'il considérait le fossoyeur comme un être humain – et que pouvait-il être d'autre ? même si... -, alors il était humain lui-même, et tout le monde aussi, et en tant qu'humains, les uns pour les autres et dans la mesure où nous sommes tous pareils... Il s'embrouillait, se retrouvait dans la même impasse," - nous aussi, mais l'écrivaine ne nous aide pas, "répétant, semblait-il, les mêmes idioties, s'écartant de ce qu'il cherchait." Vous n'avez pas fait exprès, Kyria Zatèli, de vous embrouiller, et ce n'est pas en avouant que vos interlocuteurs ne sont pas clairs que vous vous justifiez de votre magma. "J'ai compris de travers, se dit-il, je suis mal parti dès le début, il ne voulait pas dire ça." - quoi, ça ? est-ce que l'autrice n'est pas en train de mélanger son récit et les réflexions sur son récit ? "Mais telle était bien la question, encore une fois : que voulait-il dire ? "Peut-être rien. Ou la même chose, mais autrement, à l'envers – il est malin, Sèrkas, et le fossoyeur aussi est malin. Petit à petit je vais devenir malin moi aussi, c'est peut-être ça le sens," nous voilà bien avancés, "l'enfant poursuivait sa réflexion, désorienté, et comme dans un rêve il entendait le fossoyeur quelque part croasser encore et encore - il avait trouvé le troisième débris, le quatrième - ," débris de quoi nom de Zeus, "et Sèrkas à côté de lui qui croassait aussi en avalant les châtaignes, tels deux vautours échangeant leurs impressions. "Eux finalement ils se la coulent douce, alors que moi je me fais de la bile. J'ai gagné la toupie, d'accord, c'est bien. Mais il m'a traité de bec jaune ! Au lieu de blanc-bec, comme on dit chez nous... Est-ce que ça veut dire qu'il me trouve mal lavé ?" Voilà ce qui le tourmentait." Peut-être après tout la traduction se révèle-t-elle particulièrement difficile dans ce passage assez pataugeur

 

Commentaires

  • Je pardonne à tous mes ennemis. Mais j'ai la liste.

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