Proullaud296

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Train de Paris

 Le sommeil est le pire des maux. Ce matin je sortais de mon lit, Anne entrait en souffrances. C'est ainsi que nous vivons. Par la fenêtre d'un bus j'ai rencontré une jeune fille qui pleurait en marchant très vite, à gros sanglots devant le monde entier à fendre l'âme. Que vous est-il arrivé ? la perte d'un proche est plus sombre, plus sourde. Ce désespoir public venait de trahison. Comment peut-on trahir et pourquoi l'ai-je fait. Je ne drague pas. Qui vous fait souffrir ? Mon Dieu je n'avais pkus vu cela depuis la série des Femmes qui pleurent. Vous a-t-on manqué de respect. De tels chagrins lorsque Françoise a foncé sur la route imbibée de whisky, lorsque Katy a voulu mourir. Ce désespoir résonnera toujours en moi.

 

Le train longe une prairie à faible allure. Est-ce Vivonne, où Ravaillac médita le meutre d'Henri ? Port-de-Piles. De la fatigue d'être soi. Ammien Marcellin. Couverture blanche, écriture penchée de mon père. Déploration des vices sénatoriaux. Permanence de l'engourdissement. Syllabes anglaises au fond de la voiture. Talus jaune. Vingt maisons autour d'une église. Est-il si nécessaire d'apporter quelque chose ? Suffit-il de remplacer "je" par "nous" ? Seigneur prends pitié de la douleur humaine. Qui sont ces hommes autour de moi ? Cet enchifrené qui se lève dans mon dos pour filer son catarrhe à sa belle ? Cerveau secoué comme celui d'un nourrisson. Chercher la mire. Poupée safran.jpgPOUPEE SAFRAN TABLEAU D'ANNE JALEVSKI

 

Reconstruction du cerveau. Ne pas se laisser démolir. Les autres sont autour de moi. Je ne les retiens pas. Comment fait-elle pour ne pas sombrer dans la désintégration ? Rêver, mais en ligne narrative... Café. Notre chemise est sale et manque au respect que nous nous devons à nous-même et aux autres. En changer dès que possible. Des jeunes gens me tenteraient pour les serrer très fort, à condition qu'il ne soit pas question de verge. Derrière moi le jeune enrhumé converse avec sa bien-aimée sur les plates-formes de jonction. Devant moi un jeune homme qui planche sur des lignes très serrées, des schémas chimiques. Sur ma droite un jeune homme encore tripotant son mobile sur ses genoux relevés.

 

Dans mon dos à droite un jeune homme à côté duquel j'aurais dû m'assoir en tenant compte de mon numéro de réservation. Au bar, le garçon porte la barbe ; forte mâchoire et l'air vigoureux et rusé. Il vend des tickets de métro, une chocolatine et un autre café. "Sur place ou à emporter ? - Sur place." 7€90. Il m'indique à nouveau le sucre sous mes yeux : "J'ai vraiment besoin de prendre un café". Ce sera le modèle de mes contacts à venir. Il n'y a aucun risque à engager une conversation ; il faut essayer de tout. Toujours cette scrutation des visages, et des sexes de femmes sous les étoffes. Désir des corps aussi, indépendamment des glandes génitales. Importanceexcessives du système uro-génital. Impression de liberté toujours en arrivant à Paris, mes idées sont des catins et je joue avec elles. Rencontrer Sylvie en action, cele qui milite pour Mélenchon – j'encule les manchons. Il n'y a pas d'ici une drague directe, mais désir d'échapper à l'étouffoir : désaccords incessants recouverts d'un passé de complicités, voilà ce qui nous lie, spectacles à jouissance commune (ballets, cinéma). Recommencer serait une perpétuelle peur, de manquer d'éloquence, de soubassements.

 

Le train de Caen s'arrêtera souvent, "suite à l'agression d'un agent de la SNCF" – l'information a bien été rediffusée 8 fois en 4 minutes. Ce climat est soigneusement entretenu. La peur. "Faites, ne faites pas". Tous ces gens que je vais croiser descendront des pecquenods de Maupassant. Je brûle de raconter mon expédition au Mémorial caennais de la Paix, où je brûlais de me faire remarquer, alors que le spectacle, ce sont tous de même, bien mis en scène, les millions de morts des deux Guerres mondiales, et que personne autour de moi n'éprouvait le besoin d'attirer les regards sur soi ou de les fixer sur moi. Ecœurant. Même la visite au Musée des Baux-Arts qui s'invite ici, j'écris dans tous les sens, en diarrhée diffusante, "stellaire", c'est cela ; aux balayettes de faire le boulot, d'effectuer le tri.

 

A présent dans le train, grand stimulateur. Un jour tout me viendra par bribes, à reclasser par colonnes. Signac, moins la méthode, moins le projet... Et ma voisine (ouf, une femme) pourrait cependant avoir meilleure haleine : il lui suffit de respirer pour que je la sente, sur le côté... dieu merci elle possède une bouteille d'eau minérale et décortique des chewing-gums. Demandons-nous le pourcentage des pages consacrées aux moyens de transport ; ils l'emportent assurément sur les séjours proprement dits. Quelle étrange façon de composer. Suis-je le premier à découvrir ce procédé hérétique ? Ce n'est après tout que mon évolution logique vers l'émiettement. Le contrepied systématique des écriveurs professionnels, dont le consensus bêlatif ne cesse de se faire écho.

 

Qui êtes-vous, êtres à trois bouches, trois poils entre deux os (il faut bien rire...) - comment ressentez-vous les choses ? Existe-t-il quoi que ce soit dans vos attitudes et façons de voir de commun avec nous autres hommes, soi-disant “neutres” ? Ruminations sans cesse reprises, comme un rocher de Sisyphe, heureux bien sûr, heureux... Observations de voyageurs. Deux blaireaux bien charpentés de 22 ans, plongés dans une langue invérifiable : igassté répète l'un d'eux, igassté. Toujours cette envie irrépressible de s'introduire dans la vie de qui que ce soit, homme ou femme, et de la torpiller. Ma voisine tousse le tabac dont elle porte l'odeur. Arrivée au Mans, patrie des Lémovices.

 

Succession de HLM flétris. À présent le soir tombe sur Caen : si je végétais ainsi, je me flinguerais le tube digestif, à boustifailler. Ce ne sont que des réflexions que tout un chacun peut se faire ! Ta gueule, stagiaire.Ne supra crepidam. Hier soir de mon lit de Caen j'entendais bruire tout l'horizon des 22h de juin d'une perpétuelle et sourde déflagration, d'Isigny à Honfleur. Mais ce n'était que la circulation crépusculaire, progression répandue dans les rues de Caen. Jusqu'aux crissements de pneus dans la cour (locals only) m'annonçaient le progrès des fissures et de l'éboulement. Tout de même, 50€ pour une chambre dont la porte de balcon ne ferme pas, c'est un peu fort. Le nombre de pédés parmi les hôteliers est incroyable, beaucoup travaillent par couples, deux fois que j'ai vue sur la cour intérieure pelée. Hier soir une femme gueulait d'un immeuble “Pourriture d'infirmière !”, deuxième hôtel de la ville.

 

Vérifier qu'au premier feu rouge à droite il existe une autre rue parallèle à la rue St-Jean pour amener à la rue de Vaucel. Et lisant une biographie de Monluc, je m'avise soudain que sur toute la côte ce 6 juin nous fêterons justement le 69e anniversaire du débarquement ; n'y aura-t-il pas une prise d'armes ou quelque feu d'artifice

 

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