Proullaud296

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Bordeaux-Marseille

 

Rude tâche. Ô pays de mon enfâche. Parti le matin malgré une grève des bus. Abordé par un Marocain pas très lavé ni à jeun, me décrivant la transparence des eaux du Pacifique (avait voulul céder sa place à je ne sais quelle sexa qui s'en fut vers le fond). Demande à lire ma quatrième de couve et se répand en bien sur Bonaparte. Je relance toujours poliment quand je suis pris à partenariat dans le bus, car je sais ce que c'est que la solitude, l'envie de parler, d'un coup, à n'importe qui. Dans le train, me trouve flanqué d'une accorte quinqua, laquelle se fait gentiment draguer par son voisin de devant, Marseillais, qui lui parle par-dessus le siège, le même qui lui soulevait la valise : "Mais qu'est-ce que vous avez pu mettre là-dedans ?

 

- Un cadavre !" Et moi, intelligemment : "J'espère qu'il ne va pas dégouliner !" Je le répète, mais ça ne fait pas rire, mes interlocuteurs préfèrent même ne pas m'avoir entendu. Et me revoici coincé avec une inconnue en dispositif "duo", sans la moindre envie de parler ni de faire connaissance. Elle lorgne mes vers latins ; je lorgne ses mots fléchés : tout est dit. Et de plus en plus souvent la tête du passager de devant repasse au-dessus du dossier ; il ressemble à Calvi, en nettement plus moche, ce qui est difficile mais faisable, avec un petit menton pointu fripé comme dans un étau. Et si je veux parler, il me cède la parole, mais je ne sais que vouloir faire rire, et me demander si mon numéro est bon.

 

Ma tête de blond vipérin ne joue pas en ma faveur, et le faux Calvi pousse ses pions, pour rien, finalement ; sa belle réussite est d'avoir retrouvé après maintes recherches le second billet de cette femme, qui change à Montpellier. Il épluche page à page "le bouquin", comme il nomme la revue de mots fléchés : notre homme fait partie de ces ignares qui ne différencient pas "livre" et "revue". Comme disaient les jeunes cons à la FNAC de Toulon : "...Mais c'est à lire, ça !" - ils ont fini par trouver des images, qui les ont déçus. La petite pousseuse de wagonnets dans l'allée me demande, près de sa cabine de fonction, si je n'ai pas de cigarettes, parce qu'il lui avait bien semblé en sentir une, fumée par moi – je ne fume pas...

 

Je voyage pour trouver mon reflet dans les yeux et les attitudes d'autrui, et non pour "aller au-devant des autres". Mais comme les autres autres demandent à en rencontrer d'autres, et que paraît-il ce sont les autres qui vous définissent le mieux, se trouve résolu ce faux problème des voyages : connaître les autres – se connaître soi-même. Or le train observe une pause de 50mn à Toulouse... Autant prendre la rue Bayard, vers les Galeries La Fayette et le quartier Jeanne d'Arc. Quartier chaud ! Femmes légères légèrement vêtues, qui n'ont pas le droit de racoler mais me disent bonjour. À 67 ans, j'ai la faiblesse de croire en mes attraits physiques, et si tu souffres de mon narcissisme tu n 'as qu'à te figurer que je parle de toi. Et lorsqu'à Montpellier ma charmante voisine descend, je pousse un gros ouf intérieur, m'étale sur deux sièges et pianote sur la tablette. Et le passager de devant ? Il tapote aussi. Ce ne serait pas moi par hasard, ou bien toi, qu'il aurait voulu draguer ? À Marseillle, je cours vers la voie 5 direction Toulon. Prends un Coca glacé à 2€ (c'est du vol), m'affale sur un strapontin, à côté de deux frères, des "minots", bruns, charmeurs, qui s'échangent des formules de dragons pour des jeux vidéo.

 

Arrive une autre quinqua bien grosse à cheveux courts et tailleur, dont je hisse la valise. "Qu'est-ce qu'il y a dedans ?" - je prends modèle : - Un sanglier." Celle qui la transporte en a tout l'aspect et la corpulence. Un haut-parleur nous braille les arrêts dans les oreilles. "Cet arrêt-là" (le premier) "on ferait aussi bien de le faire sauter ; personne n'y descend, personne n'y monte." Et nous nous tournons un peu le dos pour ménager l'espace de nos strapontins. Seulement, parvenu à La Ciotat, j'ose un truc de dingue : j'approche mes lèvres de son épaule nue – elle regarde ça de près, incrédule, écœurée – puis je l'embrasse vite en disant "Au revoir Madame" ; et même sans la regarder dans les yeux, je l'ai vue illuminée d'un grand sourire, souvenir marquant et durable, car ce n'est pas tous les jours que l'on vit cela.

 

Les retrouvailles avec Marcel sont chaleureuses, il ne doit plus conduire à cause de la cataracte mais attend que sa femme soit là fin juin pour l'assister, afin de le ramener de la clinique. Et parvenu chez lui pour la sixième ou septième fois, je me sens un peu chez moi, mange du poulet froid à la mayonnaise. La télé nous gonfle avec le bateau de la reine d'Angleterre dont le goût est très précisément de chiotte, jubilé ou pas, puis son reportage sur l'Ukraine (l'histoire en accéléré : "quelques épisodes de collaboration", tu veux parler sans doute de la main-forte abondamment prêtée pour l'élimination des juifs par balles ? 99%, quelle efficacité !) A 11h 1/2, forfait. À minuit, je me relève, pour écouter BHL recommander son film sur la Libye, bien se défendre d'avoir joué la cheville ouvrière de cette libération, se défaussant sur la dimension littéraire du "reportage subjectif" sitôt qu'on l'attaque (mesquinement, banalement) sur sa présence dans tous les plans.

TABLEAU D'ANNE JALEVSKI VACHEMENT BEAU

 

Tableau d'Anne Jalevski.JPGIl recommanderait à présent l'intervention militaire en Syrie sans en référer à l'ONU, ainsi que les Américains l'ont fait en 2003 pour l'Irak. J'hésiterais... On hésiterait à moins, Blaireaux... si seulement les Israéliens pouvaient en profiter pour reculer un peu les frontières au Golan..... Ça remettrait d'un coup tous les Syriens d'accord – alors Je décide que non... Nuit mouvementée sous la couette, réveil assez tôt, tour du non-propriétaire dans le jardin. Dépotage de plante en pot à 30€ : dans le plastique le terreau a viré au ciment, "sec comme le cœur de Ponce-Pilate" comme disait la mère de Marcel. Je cisaille les bords, puis je scie à la verticale, et tout le cul se décolle : ce fut long, j'utilisais auparavant toutes les sortes d'outils pour peu de résultats, tordais presque un plantoir en plastoc ; puis l'arbuste se mettait en place dans son petit trou jardinier. Mais tout n'était pas fini ! Les mains et les outils lavés, après quelque somnolence sur le lit d'en bas, la sonnette de la porte précédait de peu la Petite musique de nuit de Mozart, jouée à quatre : Michel et Marcel (violons), Elisabeth au violoncelle, et une altiste ex-violoncelliste qui parfois s'égare (Marcel, quant à lui, saute une ligne...) Ça écorche bien un peu, mais comment résister à la petite pantoufle de Marcel, 85 ans dans 15 jours, qui bat la mesure avec les deux femmes ? "On boit un pot, et on reprend après : j'ai des courses à faire" – fais-toi donc livrer

 

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