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Montesquieu, "Voyage de Graz à La Haye"

 

Je ne sache rien de plus méprisable que ces notes de Montesquieu en voyage à travers l'Italie, parvenu à ce moment où il la quitte : il n'a rien vu, dit-il, "d'Insprück" [sic] "à Munich", "ce qui fait du chemin", croit-il bon d'ironiser, parce qu'il n'y a que des montagnes. C'est d'un esprit bien classique, au sens desséchant du terme, et l'on sait que César faisait tirer les rideaux de sa litière pour ne point voir les trop laids paysages des montagnes ; c'est Rousseau, puis le Romantisme, qui ont mis les sommets à la mode, et nous ne pouvons assurément accuser Montesquieu d'anachronisme. Cependant ses descriptions, ou plutôt énumération de tableaux entassées lors de ses pérégrinations italiennes ont de quoi écœurer par leur platitude : ce ne sont que des "il y a", des "beau, belle", "joli", "admirable", "du premier ordre", "de second ordre" et "de mauvais goût". Maison sévère et attirante.JPG

 

Les représentations picturales et sculpturales ne sont jugées qu'à l'aune étroite de la conformité avec la nature, et si la photo avait existé, Montesquieu n'aurait pas manqué de s'exclamer, comme un ouvrier : "C'est tellement beau qu'on dirait de la photo". Il exalte Jules Romain, qui n'est qu'un gros faiseur de boursouflures (mais Nicki de Saint-Phalle a fait mieux...), et ne manque pas de préciser que la vérité d'une course, dans une sculture, ne peut s'obtenir que si la "fontanelle" (entendez le creux de la gorge "se trouve représentée en avant des pieds", sans quoi la course paraît suspendue. Il montre une étroitesse esthétique de premier ordre, pour le coup, en déplorant que le Christ par exemple figure deux fois dans une même fresque, "ce qui heurte le bon sens".

 

Et tout soudain, au milieu de ces inventaires de commissaire-priseur, interviennent des propos de la dernière platitude sur le commerce des grains, les bénéfices d'un prince ou les besoins de son armée. Notre homme s'excite sur le cours des monnaies et les conversions des bureaux de change, le commerce de la soie et la description (incompréhensible) des ménanismes qui la produisent, à grand enfort de poutres, d'engrenages et de moyeux. L'on voit bien là le négociant étroit du Bordelais, et aussi les prémisses, diront les montesquiolâtres, des réflexions qu'il fera sur les Lois. Il est certain que ces notes n'étaient faites que pour le privé, nullement destinées à la publication : les Lettres persanes et autres ghnideries portent en marge des annotations destinées à l'amélioration du style, ce qui prouverait s'il en était besoin l'extrême attention où notre auteur tient son style ; mais on ne saurait concevoir qu'il se laisse autrement aller à de telles exaspérantes négligences dans ses écrits privés. Encore un de ces esprits "à tiroirs", comme dans ces apothicaireries, ou ces cerveaux juste capables d'être clairs et méthodiques, traitant d'une chose puis de l'autre, de poésie ou de mathématique, de juridiction ou de galanterie. Ayant ainsi plus que prouvé notre propre intolérance brouillonne, nous pouvons rejoindre le texte "de Vérone à Trente", où l'Adige est toujours "fort rapide ; et on monte toujours l'Eisach, qui n'est qu'un torrent et n'est navigable nulle part de Trente jusques à sa source" – caractéristique assurément bien méprisable pour un négociant épris de communications commerciales. C'est le même qui passant à Trente n'y voit "rien de remarquable", alors que le méprisable commentateur qui vous parle ( qui sommes-nous d'autre en effet devant Montesquieu, sans ironie) se souvient de son émerveillement lorsqu'il errait de nuit de sanctuaire en sanctuaire à touche-touche, au point que je crus me faufiler entre deux absides, ce qui ne se peut.

 

De Trente à la source de l'Eisach il faut compter "13 lieues d'Allemagne". Et pour bien renseigner le voyageur, mais bien se gausser tout de même des noms allemands, à la Thunder-ten-Tronk, énumérez-nous, baron de Labrède, les "postes de Bolzano à Insprük : Bolzano, Leitchen, Kollmann, Brixen" ("Bressanone"), "Mittenwald, Sterzing, Brenner, Steinach, Schœnberg, Insprük". Voilà de quoi faire bien boyauter un vulgaire présentateur de chaîne télévisée. Enfin Mussolini vint, qui réitalianisa toutes ces contrées à grandes brassées de Siciliens. Les germanophones à Bolzano ne sont plus que 20% de la population. Et nous y possédons, mon épouse l'italianisante et moi le le germanophone, une propriété de campagne imaginaire, avec pour devise "Voi fare einen Spaziergang coll'Rücksack sul'dorso".

 

Et ce doit être le comble de l'exotisme d'habiter à Bolzano, dont certaines élections municipales furent très pittoresques ; mais qu'est-ce qu'on doit se faire chier dans ce bled au quotidien... Rien ne complètera mieux ces sottises que celles du baron lui-même : "Je regarde le Tyrol comme les Alpes mêmes qui séparent l'Allemagne de l'Italie. Généralement, ce quej 'en ai vu est mauvais. Ce sont des montagnes," ( c'est tout dire) "la plupart du temps couvertes de neiges et la plupart du temps très stériles". Marchand ! Ce sont les grasses prairies hollandaises sans doute qui trouveront grâce à ses yeux, avec leurs lignes douces et leurs énormes vaches, qui produisent tant de lait par jour dont on tire de si gros bénéfices ?

 

Après tout je m'en fous. Que d'autres soient objectifs. Je sais aussi bien le faire. Il nous est en revanche impossible de vérifier que le Tyrol faisait partie du Saint Empire Romain Germanique. "L'Allemagne peut aisément se défendre de l'invasion, et l'Italie aussi, par ces côtés de séparation. Le Tyrol est une forteresse et, si les Romains avoient fait une seule province de ce que nos appelons à présent l'Italie, et que la République l'eût gardée avec jalousie, elle auroit subsisté longtemps." Montesquieu est l'auteur de considérations sur la chute de l'Empire romain, que n ous avons lues avec passion. Noter que les Empereurs allemands n'ont jamais éprouvé de difficultés infranchissables à passer lesd ain Alpes afin de resoumettre les Italiens du nord régulièrement soulevés contre lui.

 

Mais les Italiens ne se sont jamais avisés, il est vrai, de s'étendre vers le nord. "Au lieu qu'en donnant à des gouverneurs particuliers la Gaule cisalpine, le reste de l'Italie, depuis le Rubicon,", mince ruisseau, "ne pouvoit pas se défendre, et Pompée fut obligé de l'abandonner". Raisonnement bien incomplet.

 

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