Proullaud296

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Rue Magoui

 

A cinq heures hier j'étais dans mon lit, après un laborieux trayage privé de jouissance, car il faut exercer sa prostate. Ce n'est qu'à neuf heures que j'ai émergé d'un lit fripé, les baveux en chetaille. Et puis très vite il a fallu vivre, faire lever mon indispensable compagne et la laisser retourner à la couche : mais la relever à onze heures, puis onze heures et demie, puis midi : le modèle pointant le bout de son nez à 14h 3. Alors ma foi j'ai tout haché pour elle, puisqu'il est décidé une fois pour toutes qu'elle me pèse, et que si j'en étais délivré je m'empresserais d'en retrouver une autre pour jouer le même éternel jeu. Bref, après débarrassage de l'étagère à pose, brossage du fauteuil Voltaire incrusté de poils de chat, sans oublier le coussin cale-fesses, nous nous sommes séparés, moi poussant de mon pied la voiture enrouée (la patinette à starter), Anne mettant la dernière main à ses installations. Chapelle de St-Jean-de-Donne.JPG

 

Mon but si l'on peut dire (comment avoir ce but en effet) n'était que la rue et le "domaine" Clérambault, aux confins d'Eysines. J'y parvins non sans zigzags, et parcourus alors le plus neutre et terne assemblage de pavillons de banlieue. Des jardiniers déracinaient à grand bruit de vastes souches qu'ils déposaient dans le camion-benne avec une grue derrière une grille. Le "domaine" Clérambault, un peu plus loin, s'appelait désormais rue Magoui, prononcée "Magouille" par ses habitants. Dès le numéro 7, elle était barrée d'un petit mur. Dans ces parages logeait jadis un certain Joël, maigre et nerveux, avec sa femme champenoise et classée sotte automatique, pour avoir un jour proféré devant nous : "Dès que les enfants sont absents, j'en profite pour faire du repassage" – aussitôt cataloguée conne.

 

Nous n'avons plus revu ce couple, Joël me demanda par grâce de ne plus envoyer ma revue Singe Vert au siège de son travail, les collègues n'étant pas de taille à rigoler. Quod feci. Dans ce quartier se sont construits de hasardeux ensembles pavillonnaires dépourvus de tout attrait sauf par leurs proprios, qui hantent chacun leur Sam'Suffy. Peut-être la rue Magoui se poursuivait-elle autre part, dans ce tronçon sans nom, au numéro 13, mais au quinze un charmant jeune homme depuis son sège jardinier a rappelé son chien ; si j'étais revenu sous mes pas, j'aurais eu l'air de draguer l'homme. Ces comédies constituent toute une vie. Voyez Sénèque : il retranche de l'existence tous les instants que nous en avons perdus – mais enlève à BB ses seins, son cul, sa bouche et sa coiffure, et que restera-t-il ?

 

Ces occupations vaines, cette baise, ces intrigues, ces carrières politiques et littéraires, sont la substance même de la vie. Vais-je renier les moments où je suis allé chier ? Ces nécessités, ces comédies que l'on se joue, sont aussi bien parties constituantes de nos vies. "Il se la joue", disait mon philosophe de poche ; certes, Lazare, mais s'il y croit ? S'ils y croient tous ? Lazare ne put répondre que par un geste d'impuissance, il était parvenu, comme si souvent, au terme indépassable de son raisonnement... Ma prise de billet pour la lointaine Angoulême fit également partie de ma vie, où je me vois en grand voyageur, fuyant le quotidien la main sur le front pour méditer au sein des vastes métropoles du bout du monde (une heure de train !), et c'est cela ma vie. Je voulais dire aussi combien je feins de m'esclaffer en recevant un mot de refus des Editions Machintralalouère : mon "intérêt littéraire n'est pas suffisamment affirmé" : ô sublimes crétins ! ne voyez-vous pas que Mes Enflures se contrefoutent de votre qualité "littéraire", quand il voit tant de médiocres à la Ferrari, à la Jérusalmy, hanter les grandes et petites collections ?

 

Qu'il nous suffirait largement de parader sur les estrades avec les autres médiocres et gonflés du bulbe, sous les projecteurs ? Que j'en suis viscéralement incapable, tant je les trouve odieux, ridicules, conviviaux et cooptés ? Les dédaignons-nous, le feignons-nous, ou feignons-nous de feindre ? À relire lentement. Cela ne servirait de rien de leur répondre. Mais si je trouve leur adresse électronique... "Je bouffe à tous les râteliers, y compris à celui que je me suis accroché au cul". Réponse de Françoise : "Soupir..." Ainsi passe la vie, de la scène aux coulisses, sans frontières nettes. Nous sommes des milliers à le dire, mais j'emmerde les milliers.

Commentaires

  • L'emmerdant dans la vie, c'est qu'il n'y a jamais de répétition générale.

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