Morpion Circus
Lourde tâche, plus lourde qu'il n'y paraît, de dégoiser sur un San Antonio, alias Sana, alias again Frédéric Dard. Ce livre-ci date de 1983, n'est donc plus de la première fraîcheur, et s'intitrouducule (allons-y) Morpion Circus, sans aucun rapport ni avec l'enfance ni avec les parasites génitaux, non plus qu'avec l'art de Léotard l'inventeur du trapèze, pas l'autre, en dépit du clown blanc fatigué affalé sur la première de couve, juste derrière le titre. San Antonio était-il de la vraie littérature, ou de la para, ou de la méta de la même, ce débat courait déjà en ces années du premier septennat mitterrandien : et l'auteur de se rengorger dans une de ses nombreuses parenthèses : « du San A, c'est du San A, et qu'on ne s'avise pas de me placer dans une case, bande de ceci et bande de cela et bande de travers », là j'en rajoute mais c'est facile.
Car San Antonio me semble avoir vieilli plus vite que le fromage, avoir épuisé tout son stock à malices, et, disons le mot, relever du troisième degré : faire semblant d'être vulgaire tout en restant raffiné, cultivé, noble et plein de sollicitudes pour le genre humain si misérable, mais ne pas y parvenir, à faire semblant, quelles que soient les qualités intrinsèques ou entre insectes du personnage écrivant. J'ai ri à rectum déployé en le découvrant, à 18 ans, au lieu de draguer les gonzesses qui se pressaient sur l'herbe autour de moi tandis que d'autres plus futés s'emparaient de leurs culs. Moi pendant ce temps je me marrais comme un âne qui brait. Toutes les insolences sont de sortie : monologuer, digresser, calembourer, engueuler le lecteur, se permettre des jeux de mots particulièrement cultivés comme « je me barbais d'Aurevilly », inventer des noms à la noix comme le Professeur Sa-Fêmahl, typiquement marrakchi, pour ensuite prétendre l'avoir oublié, ce nom-là, histoire de bien montrer qu'on ne croit pas à ce que l'on raconte et que l'on bâcle son travail.
Inventer des titres de chapitres n'ayant eux non plus aucun rapport surtout sexuel avec l'intrigue, de laquelle on se fout comme de la Charente, dévier des proverbes et des expressions toutes faites comme je viens de le faire, jouer sur les personnages bien connus des fidèles comme l'ineffable Pinault ultrabavochard et cocu jusqu'au plafond de la Sixtine, ou l'ignoble Bérurier qui rote qui pète rien ne l'arrête, bref, on croirait moi-même lorsqu'il se fait chier ou fait cours ce qui revient au même, or je ne puis me supporter qu'une demi-heure par jour et encore, quand il vente. Du San Antonio, je m'en fais sous la douche et parfois je rigole tout seul en inventant des plaisanteries d'almanach Vermot qui se prend pour François Rabelais.
Le tout absolument rabâché par conséquent, à utiliser à la pelle quand on est de très bonne humeur, avec la pleine conscience de sa nullité désespérée. La vie n'est pas marrante, profitez-en avant d'être au fond du trou, en revanche pour tous les autres trous de la femme allez-y franco, elles ne demandent que ça et vas-y que je te tire à déboucher tous les lavabos, amis de la galanterie bonsoir. Bien sûr qu'on les respecte, aussi longtemps qu'elles veulent baiser, camarade Bigard nous voilà. Mais c'est curieux, nous ne savons plus rire. Avec la manie de choper l'air du temps quand il passe, je ne suis plus le même depuis l'attentat du 11 septembre, il passe de drôles de pessimismes dans l'atmosphère, une ambiance de race en décomposition, la nôtre même si elle n'existe pas, on n'a plus de goût à rien, tout le monde devient stupide, grognon et agressif, double pléonasme, dès que tu t'approches d'une fille elle téléphone à police secours comme disait feu Guy Bedos ou « l'art de se faire des amis », et dès qu'une fille s'approche d'un mec ça ne va pas tarder à donner le même comportement.
La connerie, c'est de perdre l'humour, Humor verloren, alles verloren, so sagt das Sprichwort, dit le proverbe, à moins que de tout temps l'humour n'ait été que la politesse du désespoir. San Antonio est sain, blet, pourri, excellent, minable, homophobe, misogyne, mort, franchouillard ; il ne s'occupe pas de moi, il ne m'envoyait pas d'argent, il payait ses impôts mais en Suisse, les politiciens lui semblaient tous pourris, qu'eût-il dit de nos embrouillaminis pour le perchoir de l'Assemblée par exemple, mais il n'eût rien dit parce qu'il était d'une époque et pas de celle qui a suivi : regardez comment Charlie Hebdo avait évolué, alors avant de débiter les mêmes banalités que San Antonio et sans son souffle, car tout de même son bouquin dépasse les 220 pages, et les mauvaises langues disent qu'il a toujours chanté le même air comme les Rolling Stones, je vais me relivrer à mon exercice de professeur moisi, qui n'a plus envie de dormir, après s'être aperçu qu'un événement se produit de façon inversement proportionnelle aux désirs qu'on en a de le voir se produire, autrement dit, plus tu as envie d'une chose et moins elle arrive, à moins que ce ne soit le contraire, « Quand on veut on peut et y a qu'à vouloir pour tout avoir », et vous avez tout de suite deviné de quel côté je penche, moi aussi je t'en fais des digressions, me manque juste la puissance de travail.
Je n'ai absolument pas compris l'intrigue. Je sais qu'à la fin, l'enquêteur San A se trouve à Marrakech en compagnie d'un émir vachement friqué, et qu'ils discutent chacun dans leur genre. Observez le français raffiné de l'huile orientale :
« Si des gens pensent cela de vous, c'est que leur supposition repose sur un élément valable, médite le vieux loukoum. » Le chœur des vierges : « Raciiiste ! raciiiiste ! »,« - C'est aussi mon avis, Surpuissante Majesté. » Rechœur des revierges : « Raciiiste ! Raciiiste ! » « Ce qui m'induit à tenir le raisonnement suivant : « Tu ne sais rien, mais on croit que tu sais ; qu'est-ce qui peut te faire croire que tu sais ? » (La mort aux trousses là, carrément).
« - Et alors ? insiste mon suprêmisssime vis-à-vis.
« - Et bien, j'en conclus que Mrs Delameer est censée détenir un secret dont on redoute qu'elle ne me l'ait communiqué ; ce qui n'est pas le cas.
« Un serviteur de l'émir se pointe, » (« changement de registre » comme on cause au bac), portant un walkie-talkie sur un plateau d'or. » Eh oui, les téléphones portables n'existaient alors que sous cette forme. « Il raconte un machin en arabe. » (« Raciiiiste ! ») « Le vieux se saisit alors de l'appareil, lequel est muni d'un petit écouteur qu'on se cloque dans une feuille, ce qui permet d'entrer en contact avec son terlocuteur sans que les personnes présentes perçoivent quoi que ce soit. Il zigougne le contacteur. Ecoute comme si le message le faisait chier abominablement. Puis il profère un mot, un seul, que je ne pige pas » (« Raciiiiste ! », « coupe la communication et rend l'engin au larbin.
« - La Bourse de New York n'est guère fameuse, aujourd'hui, soupire le pote en tas » - ah, celle-là, j'aime - « désabusé.
« - Nous allons vers d'autres temps, Votre Impénétrable Majesté ,» (il en a des kilos, une vraie fête du langage etc.) « assuré-je en toute connaissance de cause. L'homme a commis la folie de proliférer, si bien que l'ancien équilibre est rompu. Il va falloir soit remettre le compteur à zéro, » (une bonne guerre ! une bonne guerre!) « soit trouver des solutions politiques adéquates. Le temps du paupérisme est révolu, donc celui de la richesse également. » On ne peut en effet que ressasser de vieux lieux communs crétins devant un émir, ou devant un lectorat tous deux paresseux. On peut avoir l'air de se foutre de ces lieux communs, tout en les disant quand-même, n'est-ce pas... « Le folklore y perd, la morale y gagne ; quant à la liberté, elle cessera bientôt totalement et sous toutes ses formes, vivre dépendra d'une obéissance absolue à des dispositions rigoureuses qu'il ne sera plus possible de transgresser. » A peine fasciste comme vous le constatez. À transmettre au chœur des vierges. « Le passager d'un avion n'est pas libre, les passagers de la vie future le seront moins encore ; ils franchiront leur durée attachés à leur siège, » C'est le personnage qui parle, là, ou c'est Frédéric Dard ? Ou moi-même, ou la caissière du coin ? « ...à consommer des rations étudiées au plus juste. Nous avons survécu par nos éjaculations, nous périrons par elles ; à moins qu'on prenne les mesures qui s'imposent. Nous allons vers la castration obligatoire » (notez qu'avec les femmes on n'en est pas loin), Votre Chiément Belle Majesté. Les privilégiés du futur seront les porteurs de testicules. » Pouah. « La vraie richesse résidera dans le slip, les bourses remplaceront la Bourse. » - délire assumé par l'auteur, rayon noces et banquets.
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Sans doute, admet l'émir (onton).
« Et il ajoute, l'air dur, la voix chuchoteuse :
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Mais tout cela est pour demain, or nous vivons aujourd'hui, ami très cher.
« Qu'à cet instant, la lourde porte de notre cabinet particulier s'ouvre dans mon dos. Une voix familière s'écrie :
« - Mande pardon, j'croyais qu'c'tait les gogues !
« Je me retourne : - Béru !
« Il s'étonne :
« - Toi z'ici ! Avec le fakir ! » (« Raciiiiste!) « A claper en amoureux ! (homophobiiiie!)
« Dès lors, m'sieu l'nouveau dirluche se pointe, la main tendue, naze à outrance :
« - Bonjour, m'sieur l'fakir ; Bérurier Alexandre-Benoît, directeur d'la police française, enchanté d'vous connaître. Dites, j'voye qu'vous êtes en train d'bien faire, les deux : du caviar plein la gamelle, tandis qu'y a des p'tis Hindous qui bectent d'la vache sacrée enragée ; ben mes vieux, vous chiez pas la honte ! » Même Georges Marchais causait mieux ; Sarko, je ne sais pas. « Notez qu'le caviar, j'en fais pas des folies : j'préfère l'hareng-pomme-à-l'huile. Vous permettez ?
« Sans vergogne, mais avec force, il plante un siège à notre table et s'installe.
« - Tu connais la nouvelle, Tonio ? On a fumé le chalumeau de la paix, moi et l'Vieux. C'est la môme Suzette qu'a arrangé les bidons. À propos d'bidon, ça marche, le pétrole, m'sieur l'fakir ? Faudrait voir à nous faire une fleur, la France, su' les prix. Pas agir comme les Algériens, qui nous vendent plus cher qu'aux autres sous prétesque que c'est nous qu'on leur a installé la pomperie » - et colonialiiiistes en plus. Bref, toujours la même chanson chez San Antonio, est-ce que la vulgarité il la prône, ou bien la caricature, ou bien les deux, pour bouffer à tous les râteliers, ceci du point de vue de l'éthique, et pour la littérature, il ne semble guère aller au-delà d'une petite dizaine de procédés de provocation bien usés depuis. Sur quoi l'on objectera que je ne sais plus m'amuser, que je fais la fine bouche et que je renie les forces vitales, ce en quoi le même l'on n'aura pas tout à fait tort. Poil de pécore.
Commentaires
Y a-t-il au cinéma un tarif réduit pour les vieillards cocus malades du foie ?