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Da Vinci Code, la matrice

 

BAIGENT-LIGH-LINCOLN "L'ENIGME SACREE"

 

Vous apprendrez ce soir des choses extraordinaires sur Jésus-Christ, moi-même, Wagner et autres personnalités. Notre feuilleton vous sera assené au sein des merdes musicales les plus diverses. Et contrairement à ce que vous croyez, ce ne sera pas drôle.

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/ Musique /

 

 

 

L'énigme sacrée, tel est le titre sulfureux de l'ouvrage à trois auteurs comme un piano à trois voix : Michaël Baigant, Richard Leigh, Henry Lincoln. Tout se passe en Europe. Et vous pensez bien qu'on ne va pas vous la révéler comme ça, l'énigme sacrée. On va vous la distiller avant de vous l'instiller. Le procédé est efficace : partir d'un tout petit mystère pour déboucher sur une révélation extraordinaire devant affecter l'ordre du monde. Souvent les auteurs nous font saliver par leurs formules :"Nous avions découvert que... mais ce n'était pas suffisant... nous dirigeâmes nos recherches vers...mais nous aboutîmes à une impasse... Il fallait repartir sur une autre piste... ça y est, nous tenions le bon bout" – bref, du Fort Boyard avant la lettre.

 

Et ça marche. Le télespectateur marche, pardon le lecteur court comme un nain sur les planches. L'ennui, c'est que je n'ai pas arrêté de zapper pendant Fort Boyard et que je me suis souvent ennuyé à lire de longues listes de grands maîtres de l'ordre de Sion. Et parfois je me suis passionné. C'est un gros bouquin : 451 pages grand format, notes et index compris. Tout commence par une chasse au trésor, comme dans l'émission : il était une foi(s), avec ou sans s, un curé, à Rennes-le-Château, près de Carcassonne. Il menait un train de vie fastueux, excellent sujet de rédaction. Il recevait des gens très haut placés, des princes incognito, ce qui est pour le moins bizarre pour un curé de campagne.

 

Puis il mourut bien sûr, et chacun fouille encore le sol et sonde les murs. À partir de là se développe une vaste spirale de raisonnements tous plus originaux et fumeux les uns que les autres, visant à établir qu'un ordre mystérieux de moines, de guerriers, de moines-guerriers, de juifs francs-maçons, de juifs pas francs-maçons, de personnages louches de la haute, dont de Gaulle et Jean Cocteau, voyez un peu le mélange, et de maîtres du monde, tente avec succès – avec succès ! - de faire régner parmi nous une justice croissante et chaude. Il est à noter que toutes ces personnalités sont originaires d'Angleterre, de France, et de la Bible, le reste du monde, Tibet, Pérou des Incas, Japon, provisoirement mis de côté.

 

Cette conspiration bienveillante – et il est vrai que l'homme s'améliore, nous sommes devenus de grands sensibles, de grands douillets – remonte au Moyen Âge, à travers (je remonte, je remonte) les inévitables Templiers, les inévitables Cathares, l'inévitable Queste du Saint-Graal, le non moins incontournable roi Arthur et les druides celtes. Tous les chercheurs ésotériques ont connu ces sentiers battus. La méthode historique des auteurs se constitue à partir d'une idée préconçue : "Il y a conjuration mondiale" (ici, des forces du bien), "cherchons-en donc les traces". Et s'il n'y a pas de traces, c'est bien sûr qu'on les a fait disparaître... Moins il y a de traces, plus il y a d'indices. Moins il y a de preuves, plus c'est probant ! C'est ainsi qu'un jour nous démontrerons que Jeanne d'Arc, en conférence avec Vercingétorix à Osijek, a directement provoqué la Guerre de14. Il n'y a pas de preuve ? C'est bien la preuve qu'on nous cache quelque chose. Et cependant, nous lisons. Car les auteurs s'y connaissent en littérature, en machinerie de rêves. Ils possèdent une culture phénoménale. L'art consommé de résumer clairement la doctrine cathare, de préciser honnêtement leurs étapes et leurs échecs dans leur détermination de la nature du Saint-Graal. Ils n'ont pas leur pareil pour décortiquer les Evangiles, établir sur quoi ils ont convergé ou se sont contredits, ce qui intéresse aussi bien les athées que les croyants croyez-le ; ils se sont documentés.

 

Parfois, leurs documents sont faux, comme le Protocole des Sages de Sion, qu'ils osent citer, mais, tenez-vous bien, en prétendant qu'il s'est inspiré d'un autre Protocole, antérieur, où le mot "juifs" doit être remplacé par un autre. Ils fouillent en tous sens, tantôt taupes, tantôt balais dans les fourmilières du savoir qu'ils font voler à tous vents. On s'ébroue dans les époques, dans les généalogies seigneuriales et royales, et l'on découvre que les Mérovingiens se sont reproduits jusqu'à nos jours, et qu'ils attendent de remonter sur le trône de France, depuis Charlemagne mein Gott quelle patience ! Bref le lecteur rêve, se repaît, nage dans un océan cabalistique, c'est le Pendule de Foucault du pauvre, à la portée de toutes les têtes.

 

Qui aime bien châtie bien. Laissez-moi vous guider dans votre itinéraire. À la fin, si vous êtes bien sages, vous tiendrez la clef du mystère, et ce ne sera plus la peine de vous procurer le livre. Ainsi donc, le petit village de Rennes-le-Château est le fil d'Ariane à partir duquel s'est déroulée toute la pelote. En page 47, rapide survol historique (30 000 habitants me semble énorme pour un "village" en 1360, surtout douze ans après la Grande Peste : il y a ainsi de ces approximations...) : "Au cours des cinq siècles suivants, la ville est le siège de l'important comte de Razès. Puis, au début du XIIIe siècle, une armée de chevaliers descend brusquement du nord sur le Languedoc pour anéantir l'hérésie cathare ; elle s'empare de tout ce qu'elle trouve sur son chemin et, au cours de cette croisade dite des Albigeois, le fief de Rennes-le-Château, capturé, change de mains plusieurs fois. Cent vingt-cinq ans plus tard, aux environs de 136, la population locale est décimée par la peste ; peu après, la petite ville est détruite par une bande de pillards catalans (note 4: "Fédié, Le comté de Razès, pp. 3 et suiv. Le chiffre de 30 000 habitants est avancé par G. de Sède dans L'or de Rennes, p. 17, mais il ne cite pas ses sources")

 

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