Une saison chez Lacan
Un acteur à succès. Couvert de femmes. Se sent soudain déprimé par son fric et le vide de sa vie, et fonce par hasard chez Lacan. Le vrai, le grand ou l'immonde, c'est selon. Et voici Rey, Une saison chez Lacan, nous dévoilant les péripéties de son analyse, défendant celui qu'on a taxé d'imposture. Le titre, pour les ignares, se réfère évidemment à la "Saison en enfer" de Rimbaud, et suggère que tout ne fut pas de tout repos dans la cure entreprise. Deux remarques préliminaires : on accusera Pierre Rey de n'avoir rien révélé sur lui-même. Ça le regarde. D'autres, comme Marie Cardinal, ont choisi de tout dire de leurs tripes. Tel n'est pas le propos de Pierre Rey. Il est de centrer le projecteur sur la personne de Lacan, sa sensibilité, son engagement réel, lui que l'on accusait de se contrefoutre de ses clients.
Pierre Rey défend la sensibilité de son héros, lui restitue des réactions ordinaire, une dimension humaine. Si certains clients se sont suicidés, Lacan a eu le courage de les accompagner jusque là, alors qu'il n'y avait pas d'autre solution. Peut-être semblera-ce un peu systématique, mais non, répondrons-nous, car nulle part le livre ne tourne à l'encensement. La personnalité de l'auteur analysé occupe la place qui lui revient, les explications sont fournies avec toute la complexité, voire le caractère lacunaire, garantissant la compréhension et le trouble réel de l'analysé. Pierre Rey tente d'expliquer la démarche de Lacan, de façon suffisamment technique, et pudique en ce qui le concerne, assez obscure, lyrique même, procédant par brèves... illuminations introspectives ou introspections illuminatives de l'âme.
Ce qui fait du tort à la première observation préliminaire : comment un homme jeune, beau,, édité, connaissant les tirages et le Tout-Paris, comment cet homme peut-il véritablement déprimer ? Jaloux comme je suis, je n'ai pas manqué d'observer que Jean Rey se présentait chez Lafont, discutait avec monsieur Lafont et non avec sa secrétaire adjointe, et obtenait commande j'ai bien dit commande j'ai bien dit commande d'un livre. Donc je me dis : la dépression de Pierre Rey, c'est du bidon. Ce disant, je rejoins la stupidité des femmes de ménage qui font exprès de cogner leur balai entre le pieds de fer des lits, sous prétexte que les maladies de la tête, c'est du chique, tandis qu'elles, les bonniches, passent la serpillière
Je vous jure qu'on la sent, leur haine. Très tôt le matin, je vous prie, le ménage, et fenêtre grande ouverte. Déprimés, feignants ! Vais-je m'abaisser à cette populacerie en dénigrant Pierre Rey? N'y a-t-il que mon cas de déprime au monde ? Ne devrait-ce pas me consoler moralement de voir un riche à bagnoles et à filles chuter dans le break-down ? Le livre ne m'a pas touché, n'a pas mis le doigt sur ma névrose personnelle : mais je ne puis mettre en doute la sincérité de la démarche de l'auteur, ni, du coup, celle de Lacan, dont trop de jaloux veulent faire l'équivalent de charlatan. Il est trop facile d'accuser les psychiatres de charlatanisme sous prétexte qu'ils ne vous ont rien apporté: est-ce que les amateurs de piano, ayant abandonné au bout de deux ans, se mettront en tête d'accuser leur maître de piano pour ne pas être en deux ans devenus virtuoses ? Il est salubre de défendre la psychanalyse, le socialisme et le RMI. Ils ne résolvent rien. Ils avancent sur la voie de la résolution et de la solution.
Mais avant eux, c'était le vide, et je préfère cent fois me confier à un psy, même sans guérison, qu'à un prêtre qui me filera sa morale dans le train avec une belle impuissance à la clef.
"La création ne vient jamais d'un bonheur. Elle résulte d'un manque. Contrepoids d'une angoisse, elle s'inscrit dans le vide à combler d'un désir dont on attend jouissance et de l'échec de son aboutissement. Autant dire qu'elle ne peut naître que d'un ratage, le manque à jouir.
J'en avais même déduit que depuis le début des temps, toute création était contenue dans les 10 cm séparant la main d'un homme du cul d'une femme. L'homme brûle de poser sa main sur ce cul. S'il va au bout de son geste, si la femme l'accepte, ils se retrouvent dans un lit et font l'amour. Il y a jouissance: rien n'est crée. S'il ne l'ose pas, fou de frustration, il rentre seul, compose la neuvième symphonie, peint l'homme au casque d'or, écrit la Divine comédie ou s'attaque au Penseur."
Voilà quelque chose qui nous rapproche tous, nantis et prolos : l'envie de tout plaquer. Vous n'avez jamais eu envie de tout plaquer, vous autres ? Tous ces bouquins, toutes ces vieilleries qui vous encombrent, ces souvenirs qui vous enlisent ? Oh que si, oh que si ! C'est même très, très dangereux ! Il faut avoir en soi l'énergie de repartir à zéro ! Et si on ne l'a pas ? Parions que nous l'avons. Qui est le Gros ? Un gros. Un psy. Qui se suicidera. Ça existe, comme les médecins qui fument et les éducateurs qui fouettent leurs propres gosses.
"On est ce qu'on désire.
Mais ce qu'on désire, on l'ignore. Et ce désir, dont nous ignorons en quoi il consiste, mais que nous subissons comme la frappe la plus singulière de notre "moi", nul d'entre nous n'a choisi qu'il nous habite. Il est "écrit". Il nous précède. Nous entrons dans son champ par le biais du langage.
Car ce désir qui nous structure n'est pas nôtre. Il est, par le biais du discours, désir de l'Autre, désir d'un Autre désirant."
...Est-ce que ça ne vous est jamais arrivé non plus, qui que vous soyez, auteur à succès ou femme de ménage, de comparer ce qui vaut et ce qui ne vaut rien ? la fausseté de votre vie adulte et la vérité de vos amours d'adolescence ? Je dirais même que rien n'est plus partagé. La différence est que M. Rey n'a pas vécu dans les serpillières; Plutôt dans l'univers papier glacé des pubs. Ça ne vous agacerait pas les dents, à vous, de parager votre existence avec ces filles toujours gracieuses, ces Monsieur Muscle toujours pétant de santé parce qu'ils utilisent Vitafort ou boivent du Teisseire ? Des gens qui rigolent et vous proposent du fric ou la baise aux moindres défaillances du cervelet ? Mon diablotin se réveille : donnez l'argent, donnez les filles, puis, après, ensuite, je ferai ma dépression. Ceette page montre par quel cheminement l'on parvient aux tréfonds de soi. Dit de cette façon toute crue, l'analyse du rêve ne provoquera qu'un hourvari de haussements d'épaules. C'est trop, pour un profane : "Que va-t-il chercher là ? Que ne prend-il la vie comme elle vient ! Qu'on sonne, et que je vais ouvrir !" - oui, mes braves, mais quand on souffre, et qu'autour de vous, quel que soit votre milieu, les gens, les copains, les soi-disants amis vous disent : "Mais non, tu te prends la tête, viens boire un coup chez ma sœur", à qui se fier ? ...Même aux procédés apparemment les plus absurdes, y compris l'analyse des rêves, qui, elle, au moins, marche, fonctionne, se vérifie, comme l'électricité. Et tous ces jeux de mots que vous décortiquâtes se vérifient aussi, forment la base de l'analyse lacanienne, pour qui tout est langage, tout lapsus pléonastiquement révélateur ; c'en est au point que même la conscience populaire sait bien désormais que toute gaffe de langage révèle la pensée vraie.
Ne pas mépriser quiconque cherche et souffre.
Et nous concluons Au cours de son existence, l'être humain ne possède qu'une certitude, celle de sa mort.
Par syllogisme, il est facile d'en déduire le désir de mort inconscient métaphoriquement contenu dans toute recherche de certitude.
Il avait écrit (Sartre) :"On est ce qu'on fait."
J'avais la certitude absolue du contraire : on est ce qu'on ne fait pas.
Attelez-vous à Pierre Rey, Une saison chez Lacan. Vous passerez un octobre éclatant, réfléchissant, car non, ce n'est pas dur à lire, pas du tout... Bref un livre qui vaut... le dérangement