Petra Hammesfahr et M. Genardy
Nous savons qu'il existe des victimes très jeunes qui, bien prises en main par des psychiatres sérieux, peuvent espérer s'en sortir. Ce qui n'est pas une raison pour choisir de violer des jeunes pour que ce soit moins grave, c'est même une circonstance aggravante. Vous aurez en lisant ce livre confirmation que la folie côtoie le banal, que l'horreur vient dans les rêves des mamans par des messages déchiffrés trop tard, que les hommes protègent les enfants, que la police veille, et que le diable se faufile par les moindres lézardes... Dans Le silence de M. Genardy, le supplice, c'est le doute, que l'on adopte en désespoir de cause, tant on est certain que l'horreur a lieu ou va sourdre d'un instant à l'autre des profondeurs morbides, sans qu'on puisse se résoudre à y croire tout à fait, car, dit un policier, si ce monsieur avait un passé aussi sombre que vous le dites, il en subsisterait du moins quelques soupçons...
Nous revenons sur la présentation de cet inquiétant prédateur si tendre et pitoyable, avec ces quelques lignes que nous allons essayer de traduire – excusez les imprécisions et lourdeurs :
"Mais tout aurait pu tourner plus mal, bien plus mal, il le savait – das wusste er. Quand il y repensait – les premiers temps il ne faisait rien d'autre – il se sentait mal. Il se maudissait de sa légèreté, pour le seul moment où il s'était laissé entraîner. Il se jura que jamais, à partir de maintenant, cela ne se reproduirait, qu'il s'astreindrait dorénavant à une autodiscipline de fer.
"Le budget devenait serré ; quelque temps il vécut sur son épargne. Quand elle fut consommée, il vendit les petits objets de valeur qu'il avait rassemblés durant des années. Il avait toujours vécu dans l'épargne et s'était ainsi ménagé un peu de luxe. De belles pièces ! Mais pour certaines, il ne pouvait pourtant pas se séparer. Une épingle à cravate en or a sertie d'un diamant et une paire de boutons de manchettes assorties. Il ne se résolvait pas à les céder, bien qu'elles lui eussent pourtant rapporté une jolie somme.
"A la place, il se sépara d'une collection de dessins de haute qualité ; quelques-un portaient une signature manuscrite. Dans leurs encadrements sans apprêt ils produisaient une impression très marquée, ornant toute une année les murs de son appartement. Les mettre en vente fut pour lui une sorte de déchéance personnelle. C'était il y a quatre ans (Das war vor vier Jahren gewesen).
Plus tard il fut même contraint de revendre une grande partie de ses meubles, pour joindre les deux bouts quelques mois de plus. Les voisins demeurèrent interdits (wurden stutzig). Il leur raconta qu'il voulait se défaire de son appartement. On ne pouvait pas ne pas voir qu'il ne tiendrait plus longtemps.
"Il déménagerait bientôt chez sa fille, disait-il à tous ceux qui l'interrogeaient. Puis il annonçait à l'avance, beizeiten, pour ne passe laisser toujours prendre en défaut, qu'il devait payer son loyer.
"Provisoirement, il échoua dans une pension miteuse, se maintint péniblement à la surface en travaillant à la commission, assis la moitié du temps dans une pièce qui sentait le moisi, se creusant la tête pour essayer de s'en sortir. Le reste de ses biens (Seine restliche Habe) se trouvait entreposé chez un garde-meubles, et il se trouva encore obligé par la force des choses de s'en séparer." Parole, c'est la déchéance du père Goriot, on va pleurer. "C'était il y a trois ans."
"Naturellement il y avait des raisons à sa ruine (Abstieg), des raisons à toutes ses peines, une raison principalement : il ne fumait pas, ne buvait pas, ne traînait pas dans les bistrots du coin et ne bousculait pas les jeunes femmes dans la rue. Il était poli, patient, de confiance (zuverlässig), amical, réservé et serviable, un homme sans histoire au milieu de la cinquantaine.
"La raison de tout cela c'était les aires de jeux, et les enfants qui jouaient dans les halls d'entrée. Il aimait les enfants, les petites filles avec leurs jambes potelées et la petite jupette. Il avait toujours pour elles quelques petites surprises dans ses poches. Elles étaient si faciles à contenter (so leicht zufrieden zu stellen), pouvaient encore se réjouir en vrai pour des petites choses. Pour des œufs en chocolat creux pleins de babioles. Les plus petites en raffolaient. Pour les plus grandes il ne s'était jamais laissé aller , en tout cas pas dans son environnement immédiat : elles lui parlaient trop.
"Même avec les petites il faisait attention, il les sélectionnait soigneusement." Et voilà comment on commence, et cela peut dégénérer très vite. La couleur est en tout cas annoncée, voici un homme dont le seul regret est de s'être fait soupçonner ou prendre, et dont la tactique est parfaitement au point. Vous alternerez l'étouffement et le froid dans le dos en lisant ce "Silence de M. Genardy", auf deutsch "Der stille Herr Genardy", Bastei Lübbe Verlag. Bis bald !