Jeunes filles
Je me souviens de Mlle Yassine, juive, brune, marseillaise, qui se contrefichait de la tradition, et que j'ai failli bénir le dernier jour, les deux mains jointes sur sa tête, avec cette fameuse formule araméenne je suppose : « Baroukh chem kweït malhoussè loheïlem boët » - même Delécrou, juif pratiquant, n'a pas su m'identifier cette langue... Ma bachelière s'est dérobée, très vite, sentant une lueur dans mes yeux, non de désir, mais théâtrale : le désir de me rendre, une ultime fois, intéressant, même parfaitement déplacé, par le « jeu du rabbin ». J'aime jouer. C'est mon essence. Je ne pense pas que ce soit à blâmer, au titre d'une prétendue « immaturité » - Cocteau jouait à Dieu avec les Maritain, jouait au gros chagrin à l'enterrement d'Erik Satie...
Etchegarry, si déplorablement gênée par Myrrha « qui aimait un peu trop son papa » dans les Métamorphoses d'Ovide ; son père ne cessait de la mitrailler en photo - quel prescripteur crétin s'avisa donc d'inscrire ces interminables vers d'Ovide dans un programme de terminales, dont les latinistes sont presque exclusivement des jeunes filles ? Un père incestueux. Je me souviens de Kreutzfeld, qui ne s'appelait pas “Brigitte” comme la journaliste. Dont la mère était arabe ; et très sensible au fait que j'aie proclamé les musulmans les plus propres des garçons, car je jouais au pédé, aussi. Jouer : quelle chose sérieuse ; je devrai cependant toujours m'en persuader, jusqu'à mon dernier souffle.
J'aurai passé ma vie à jouer, avec la plus grande sincérité ; il ne m'en restera que des bribes, comme pour les actifs. « J'ai évité de vivre », confiais-je à ma classe. « Tu as su établir des contacts », me dit mon ami l'auditeur, « avec des élèves ». Et je me souviens de m'être exclamé : « Mais ce ne sont pas des vrais ! » Alors je m'aperçus de la grimace de dépit du jeune Mathieu, son fils de 18 ans, que je n'avais pas repéré.
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Je me souviens du « prof de gym » Sablon, que les demoiselles de sa classe ont forcé (après courageuse délégation auprès du principal...) à porter des pantalons, parce que son short révélait un peu trop ses légumes, ballottant de façon choquante pour ne pas dire dégoûtante... Ah, nous sommes aimés, je vous jure ! ...Je l'avais croisé, ce collègue, dans un meeting du P.C., où ce jovial imbécile me fit adhérer, juste avant la mémorable culottée des élections de 78 (oubliées)... J'ai vite démissionné : les réunions de sections se ponctuaient toujours de phrases du style : « On n'a pas besoin d'intellectuels, dans le Parti ». Merci, j'avais cru comprendre.
Et lorsqu'on m'a envoyé, à charge pour moi de les acheter d'avance, des paquets de billets de loterie pour la fête de l'Huma - « Qui veut mes billets ? », j'ai renvoyé le tout en précisant qu'être communiste ne signifiait pas, pour moi, faire le guignol sur les champs de foire en me farcissant les invendus...
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Choulahn ressemblait à ma mère jeune – en infiniment mieux ; elle sentait mon désir. Un peu la goualanteuse Schlesing, qui se frotte avec Ursula Baun, comme chacun sait. Schlott me dit un jour, à la fin d'un cours : “Et si je tombais enceinte, vous seriez emmerdé ?” D'après ma psy, ce serait “une avance” : ah bon ??? ah tiens donc ??? J'ai répondu : “Ecoutez, si on ne se fait pas confiance l'un à l'autre, ce n'est pas la peine.” L'année précédente elle frappait du pied à plusieurs reprises, chaussée de laides baskets, entre mes jambes, au sol, pour me montrer burlesquement un pas de danse. “C'est de la provocation ça”, répétait ma psy. Mlle Schlott, « avec deux t », ne pouvait retenir ses amies en classe, qu'elle avait invitées à l'un de mes cours (je tolérais cela, par admiration de moi-même). « Ben restez,quoi...”. Même chez les personnes de son sexe, elle peinait à se créer des attachements, voire le moindre intérêt. Elle était d'une myopie nécessairement affligeante. J'aimerais la revoir. Me la faire, certainement pas. J'ai tellement vu, en long, en large et en travers, à quoi ressemblaient un sexe et un cul de femme y compris quand on les défonce (la muqueuse du vagin qui ressort et qui rentre au rythme de la bite qui défonce) que cela ne m'intrigue plus du tout. Mais je peux changer d'avis. Je me souviens de Giustina, juive suisse (je prononçais à la française, « Justine») à qui j'ordonnai, carrément, de poursuivre les cours de latin. Comme elle était italienne, elle obtempéra. Tant d'autres dont j'ai oublié le nom, dont cette Roumaine qui comprit les épouvantables grossièretés transylvaniennes dont j'abreuvais la classe : « Monsieur, pourquoi est-ce que vous dites ça ? » Elle lançait autour d'elle des regards épouvantés : mais nous étions seuls à comprendre. Je me souviens de Jacqueline Armel, qui m'affirma de pas avoir le moindre lien avec cet abruti de philosophe volontariste dont les sartriens fascisants font tant de cas (« la puissance de la volonté », peau de balle, oui !) Elle était lesbienne, venait me voir avec son ami futur pédé après les cours.
Ils me dirent : « Vous êtes un prof attachant ». Que répondre ? Comme la poêle Téfal. Je faisais tout ce qu'il ne faut surtout pas faire d'après tous les manuels du Parfait Petit Professeur : parler de soi. Faire déborder ses névroses sur ses classes. « Ne pas attendrir ses élèves », nous prescrit-on à présent. Et justement, je n'aurai fait que cela. Complicité, attendrissement. Comme ils étaient vexés, tous ces administrateurs de lycée qui avaient recruté des « grands frères » « issus de l'immigration » : ces derniers obtenaient d'excellents résultats de discipline ; mais on leur dit : « Tout le monde à l'impression que vous êtes avec eux, contre nous. » Les grands frères changèrent de registre, et n'obtinrent plus du tout de résultats ; ah petits chefs, ineffables petits chefs !!! quarts de sous-chefs adjoints auxiliaires !
Jacqueline, rue Verlaine, m'a recontacté. Son site est encombré de contacts lesbiens. Vive la liberté. Je n'ai jamais pu concevoir d'agir autrement que par la projection de mes complexes sur mes élèves. Simplement, je le leur disais. Dédart procédait de même. Mais sans le dire. Dans le mauvais sens. C'était une horrible guenon venimeuse, pourrie de prétention. Exposant ses photos de famille à la plage pour illustrer une conférence sur Auschwitz. Elle n'a reçu qu'un stylo à dix euros, le jour de son départ, pour écrire ses poèmes imbéciles, loin, loin. J'ai reçu, moi, 600 euros en liquide, bien insuffisants pour faire quoi que ce soit. Insuffisants pour un trombone, en tout cas. Je me suis procuré auprès d'Irénée un logiciel piraté moitié prix, qui ne lui avait pas coûté un centime.
C'est de bonne guerre. Je ne peux lui en vouloir.
Commentaires
Je suis immature et je vous emmerde.