Ce macchabée disait (longtemps après Dumas, mais bien avant le caviar...)
Couché dans mon cercueil, reprenant peu à peu mes esprits, sentant les quatre planches, n'étouffant
pas - comme j'aurais dû les entendre, ces battements de mon coeur, et comme il est étrange de ne
rien entendre...
Impossible. Tétra. Plus la tête. Par la fente la lueur d'un cierge - défaut de capitonnage - mes
héritiers ne m'ont pas très bien encapitonné - un tic de ma bouche a fait glisser le linceul de mon
visage - j'ai chaud, très chaud - soudain je me sens soulevé: le coup discret du Chef de Marche sur
le bois près de l'oreille, les six hommes au pas lent, de vagues pleurs chuchotés troublés de temps à
autre par un sanglot plus perçant - ils s'imaginent nous transporter doucement. Dignement. C'est
faux.
Ils nous heurtent aux portes. Ils jurent dans l'escalier en colimaçon par-dessus la boule de rampe -j'ai le mal de terre. Puis le corridor, le perron râpé (je reconnais chaque marche, passager cette fois
de mon véhicule) - trottoir. Ma boîte enfournée dans une autre boîte, déposée sur la plate-forme. Pas
de grand air, pas de cheval, pas de dais : à présent, les héritiers veulent poser le cul sur des coussins
pour suivre leurs morts.
Je sentais les relents de pétrole, j'entendais les hoquets du moteur qui s'étouffe en seconde. Puis un
ronron fade mêlé à la chaleur distillée par les vitres du corbillard, étalant sur le cercueil une rosace
diaprée. Enfin je suppose. Si j'avais réduit ma consommation de clopes, je me serais prolongé de
trois mois ; je ne serais pas mort en plein mois d'août... Revivre ? je tords le nez. Le corbillard
s'arrête devant Saint-Firmin. La porte arrière bascule, je suis tiré, hissé. A la résonance, j'ai reconnu
l'église.
Un piétinement de moutons derrière moi. Des chaises qui raclent, des nez qui reniflent. Mes nausées
reprennent : un boiteux pour le tangage, et un pédé qui tortille - proportion d'homos dans la
profession ? Un cierge se renverse. Petit affolement sous le plancher, puis - mouvement d'ascenseur
- le catafalque - un requiem chanté ! Je n'en crois pas mes oreilles. Ils doivent être drôlement
débarrassés... Allez donc "prodiguer des largesses"' à des héritiers. On va me laisser longtemps là-dedans?
Je vais attraper un chaud et froid. Il ne faut pas éternuer. Collecte. Qui peut être venu ? Au bruit,
une cinquantaine de personnes. C'est peu. C'est beaucoup. Bon Dieu ce que cet enfant de choeur
chante faux. C'est le petit Haffreddi. Sale Juif. J'espère bien que ma femme, ma fille et les trois
frères Fiouse auront de la peine un jour - allez au trou le Bernard ! et bloum, bloum, les mottes de
terre... "Il est mieux où il est" - pourquoi pas. Un Dies Irae à présent ! C'est qu'ils réussiraient à
m'effrayer, ces cons. Surtout que la voix de l'enfant de chœur filerait la colique à un squelette. Mon
prof de biolo disait : "On porte son squelette à l'intérieur de soi. ..."Mes os sont liquéfiés par ta
-colère ô Seigneur... - Psaume CIII et des poussières... "Devant ce cher cercueil..." Je crois bien.
Plus cher que ce qu'il y a dedans - eh! Père Monnard, tu dois t'en foutre éperdument : une âme en
plus pour le serial killer, là-haut ! "Douloureuses circonstances..." "Coup imprévu..." - j'ai dit : «
Faites-le entrer, si ça ne me fait pas de bien, ça ne me fera toujours pas de mal !" Alors ils m'ont
foutu l'Extrême Onction.
Ah curé, curé, qu'est-ce qu'on aura rigolé ensemble, avec tes putains de bondieuseries Mais
aujourd'hui je n'ai plus le cœur à rire, un Kyrie, un Pater, c'est le Paradis garanti sur facture, que je
sois damné si j'y coupe ! Mais alors pourquoi suis-je toujours allongé là-dedans, 2m x 0,60 - même
que malgré le rembourrage ça commence à devenir dur ... Au lieu de répondre il m'encense la
charogne - pense-t-il "Fichu métier", ou pense-t-il vraiment "Au pouvoir de l'Enfer arrachez son
âme, Seigneur"? Trajet jusqu'au cimetière. Ils enlèvent la femme de sur ma caisse. Elle m'étouffait.
Puis on m'enterre. Je regrette les funérailles d'antan, les vraies grandes bouffes grecques, le chant
XXIV de l' Iliade, on donnait des jeux, on savait rigoler à l'époque.
Puis plus rien. Les petits éboulis de terre qui se tasse. Des chuintements. Le calme plat. Je suis
vraiment coupé du monde. Je suis mort, à présent, véritablement mort. Enfant, ma mère
m'emmenait choisir le tissu d'un nouveau costume ; à peine sorties des lèvres, les voix s'étouffaient
dans les rames d'étoffe - des voix voilées - à présent c'est la terre qui pèse sur mes lèvres, le tissu de
la terre sur le couvercle, il le défoncerait, m'envahirait comme une trombe, emplirait ma bouche et
mes yeux. Un jour le marbrier me chargera de ses quintaux de pierre...
Combien de quintaux pour un tombeau ? Un tombal, des tombeaux. Je voudrais crier. Fuir. Quelle
folie ! Que peut-il m'arriver de plus, à moi mort ? Quelque chose me dit que des risques subsistent...
Je frissonne. La terre, la terre... Oh ! comme je regrette d' être mort! Et je pensai : « Peut-être que je
suis vivant. Qu'on m'a enterré vivant. Pourtant mes muscles ne répondent plus. Peut-être vais-je
mourir vraiment. Je perds connaissance. Un bruit de voix qui me réveille. La voix vient d'en haut.
Ma tatie, au Paradis ? Dialogue animé : "Personne n'en saura rien ! - Il n'en est pas question
Madame. - Il est bien là, j'en suis certaine ! voyons, quelques coups de bêche... - Le règlement... - Je
ne vais tout de même pas perdre un chapeau de ce prix-là! - Je ne peux pas rouvrir une fosse... - Et
qu'est-ce que je vais mettre pour la communion de sa fille ? »Je devine le geste impuissant du
fossoyeur. ...Vais-je passer l'éternité sous le chapeau de ma tante ? Long silence. Puis un grattement
sur le bois. J'essaie de me tourner - " il est sous la terre une taupe géante qui fore les cercueils..." -un chuchotement indicible : « Eh... a... an... ou...? » Je m'entends dire :
- Qui êtes-vous ? - Etes-vous bien ? Vous - sen - tez - vous - bien?" Une voix sépulcrale, encombrée
de parasites - la mienne, un bourdonnement : "Le satin m'étouffe. » - Remuez légèrement. Vous êtes
nouveau. Un mort de fraîche date - vous ne tarderez pas à vous habituer. C'est le mort d'à côté qui
vous parle. Je vous ai entendu enterrer. Vous verrez, c'est sympa ici, on sait s'organiser - il y a des
cimetières où on s'emmerde, mais pas ici. Il y a de l'animation.LA LONGUE SILHOUETTE BLEME www.anne-jalevski.com