Proullaud296

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Sales nostalgies

 TANT DE NOMS, TANT DE VISAGES... (« Des visages, des figures » - « dévisage, défigure »...) Je pourrais les classer par têtes et par genres. Catégories, familles, embranchements. Fouiller, scruter. Non pas enseigner, mais me trouver. Trovarsi. Je veux bien que les autres m'enseignent, mais seulement quand je le veux. Quand je le décide. Je n'aime pas que les Moralistes décident de ce que j'ai ressenti à mon insu. Seul compte sur moi ce que j'ai dit sur moi. Savoir ce qu'ils dissimulaient tous, camarades autrefois de mon âge, surtout les filles, surtout les filles. Et de ce point de vue, dans mes classes, dans cet interminable règlement de comptes avec mon adolescence, j'ai beaucoup obtenu.

 

Si je les ai bien instruits ? D'autres ont fait cela mieux que moi. Plus conformément, plus profitablement. Je les ai épanouis, mes élèves, autrement. Certains. Larbi est revenu dans une de mes sixièmes, il a ouvert brusquement la porte et m'a interrompu, apostrophant la classe : « Ecoutez bien ce mec-là, écoutez bien tout ce qu'il vous dit. » Une voix, timidement : « C'est un bon prof ?  - Non, enfin oui, mais ce n'est pas cela l'important. Retenez bien tout ce qu'il vous dit, sur tous les sujets. » Il filait vers ses 17 ans. Grand, brun, en Lycée Hôtelier. Un jour, m'a-t-il rappelé devant tous, je me laissais traiter de con par un élève, sans réagir. Il s'était indigné. J'avais répliqué : « Vous voyez de quel niveau ça me vient ? et il faudrait que je me fâche pour ça ? » Et Larbi d'ajouter : « Vous avez dit On est toujours le con de quelqu'un. Et ça, ça m'a frappé. Et je l'ai appliqué. Plus des tas d'autres choses. » Quand il est reparti, j'ai voulu le prendre à la plaisanterie : « C'est moi qui l'ai payé pour venir vous dire cela. » Ils l'ont cru, ces cons.

 

 

 

X

 

 

 

Filles (et garçons) dont je fus amoureux ; pour les garçons : plaisir d'être dominé.

 

A Saint-Blase, Jaïaberri, Lesaint, à Katovitch ; Godet (prétentieux dont j'avais peur) (avec sa réfutation des impressionnistes, alors qu'il aimait Smetana ; «Ecoutez, on entend bien, là, couler la Vltava » - mais non, c'est une symbolique – impossible à convaincre). Davidoff, de Varignac, qui m'enroule (j'étouffais de rire) dans une courroie de store, et sur le carnet duquel j'inscris : “La seule présence de Davidoff empêche, à la lettre, le cours d'avoir lieu.” Un principal : “Comment voulez-vous Madame que j'admette votre fils dans mon établissement avec une appréciation comme celle-là ?” Rassurez-vous, il a trouvé mieux depuis. A Ankara, ce fut Charrier : celui-là, je devais vite m'en faire un allié, sinon il me bouzillait la classe ; ce genre d'élèves, une prompte expérience vous les fait repérer tout de suite. Charrier détesté de l'administration, qu'il méprise (« le petit nain », pléonastait-il à propos de Zogandin, surveillant général, 1m35, macrocéphale.) Rêverie de profil.JPG

 

Charrier vient chez moi (on jase), je viens chez lui à Paris (sa mère s'appelle Strauss : non pas « l'autruche », mais « bouquet ») : “Laissez mon copain tranquille” dit-il à ses parents... « Vous ne l'avez pas fait venir ici pour me faire la morale. » Je lui ai prêté le fameux Rabelais de Garnier (pas encore -Flammarion) offert par Mamée B. Je n'ai jamais revu mes deux volumes. Charrier fut viré pour avoir dealé dans la boîte, sans consommer lui-même. Voulait rejoindre le Paraguay, grand fournisseur de came. Apprenait déjà le guarani (« dix » se dit « deux mains ») Aux dernières rumeurs, se serait converti dans la mode italienne... A Buseville en 69 (je vais chevauchant les époques) le nommé Pellucci, petit con insolent intimidé par l'autorité ; je lui ai demandé sur les marches où était le cahier de textes ; il me dit “Ben là-haut, vous n'avez qu'à aller le chercher”, sans prendre conscience de son impudence.

 

Ses camarades et moi-même l'ont regardé avec stupéfaction. Je vis bien qu'il ne s'était rendu compte de rien ; son insolence était en quelque sorte instinctive. Un jour j'ai gueulé en classe : « Désormais, il y aura deux notes pour les versions, et nous calculerons la moyenne : une donnée par moi, l'autre par vos parents, s'ils sont capables d'aligner deux mots de latin. » En ce temps-là ça suffisait pour fermer le clapet aux parents. Le lendemain, à mon entrée en classe, c'était mon Pellucci qui se levait le premier, au garde-à-vous, et intimant aux autres, du geste et de l'attitude, d'en faire autant. Mon Dieu qu'il était facile d'être prof, de savoir tenir une classe. Mais je ne voulais pas avoir recours à ces moyen-là. Tout excité par la ville soviétique de Kuybychef - « Les couilles du chef ! Les couilles du chef ! » - mon Dieu, mon Dieu...

 

J'ai tremblé devant de bien petits démons. J'étais un malade, un véritable malade. Je me souviens aussi de Portucelli dans la même classe (du Lot-et-Garonne repeuplé d'Italiens par trains entiers dans les années vingt pour ressusciter le pays) martelant du plat de la main ses poings le siège à côté de lui : « parachute », « char à putes ». Il trouvait ça excellent. Mais pensait que l'amour tel que je le décrivais, en cours d'éducation sexuelle, n'était qu'une gymnastique. Plus tard, il plongea dans l'eau glacée pour rattraper un ballon. Le prof de gym gueulait de la rive : « Arrête ! Arrête ! C'est pas la peine pour un ballon ! Tu vas attraper la crève ! » Son voisin de table, c'était Dupin.

 

Villeneau, le pruneau, qui tentait en vain de ramener le calme dans la classe ; Malon, Clergeaud de Condezaygues (« les Eaux Cachées »), dont le père avait failli vendre une maison à mes parents. Martinù, vicelard aux cheveux en brosse, à la limite de me dénoncer, Giordanescu, modèle pour Monségur, que j'ai enfermé au piquet dans l'entre-deux-portes séparant deux classes. Quand je l'ai récupéré, les filles se moquaient de moi : « Il est tout rouge ! Il est tout rouge ! » Car je l'aimais, et cela se voyait. Mais je n'aurais jamais songé à lui manquer de respect. Giordanescu s'exclama un jour que les filles  “ça sent[ait] mauvais » - réplique de la fille du boulanger : « T'avais qu'à pas y mettre le nez ». J'ai tellement peur des garçons que je trahis malgré moi ce désir confus.

 

Mon visage, ma voix, tout parle ; mais il ne s'agit pas de sexe. Cela serait totalement répugnant. Il s'agit d'un désir plus malsain : d'un besoin abject de servilité.

Commentaires

  • Se souvenir de cette maxime : "Dire du bien de soi, c'est vanité ; en dire du mal, c'est bassesse".

Les commentaires sont fermés.