Montherlant
C'est être médiocre que d'aimer la vie, que d'aimer une femme, que de vouloir se reproduire sottement comme de petites gens, que de s'émouvoir d'une odeur, d'un printemps. La seule vérité âpre et impitoyable est la présence de la mort et du néant. Montherlant met à nu la condition humaine. Il dresse les forces du néant contre les forces de la vie : « Un enfant ! un enfant ! Cela ne finira donc jamais ! » C'est le vieux septuagénaire royal qui est resté le plus adolescent de tous. C'est à quatorze ans qu'on dit « J'attends la mort avec impatience ». Mais lorsqu'à partir de quatorze ans d'âge un roi découvr een son fils une âme banale, c'est alors qu'il se met à le haïr. L'héritier du trône est disposé à vivre une vie ordinaire, juste vouée au bonheur : une femme, des enfants, l'amour de son peuple... Toujours cette question : la vie vaut-elle la peine d'être vécue – quand je vous disais qu'on ne sortait pas de l'adolescence...
Réponse non, in abstracto, mais réponse oui quand on est l'auteur bien évidemment. Nous en sommes tous là : prêts à tous les mouvements de menton en fierté intime, quoique prêts à toutes les compromissions dans notre vie quotidienne. Car hélas ! il y a le quotidien. Or il est par conséquent absurde, celui qui reproche à Montherlant ou à Corneille d'avoir eu un quotidien. « Laissez-moi me regarder vivre ! » dit je crois Malatesta, autre héros montherlantien. « Sinon, pourquoi vivrais-je ? » Tout est dans l'attitude, comme le fait si bien observer Jean Raspail. Tout est dans notre Weltanschauung, autrment dit notre vision du monde. Le monde est le même pour tous, et nul d'entre nous ne possède le même instrument de mesure que son voisin.
Puisque nous devons tous vivre à genoux, id est aimer, chier et souffrir, pourquoi ne pas tous nous figurer que nous vivons debout, dans la dignité, en route vers la gloire ? Transformant ces dérisions, cette condamnation, cette animalité, ce péché originel d'exister, en notre plus grande gloire ? Quoi d eplus beau que de proclamer : « Tu veux me plier ? Eh bien, je plierai dans l'orgueil. Je déclamerai que la vie est une nullité, qu'elle ne vaut pas un fétu de paille, mais je prendrai pour moi l'attitude, je ferai le fier clowm à la face du néant.... » L'adolescence, vous dis-je. Corneille, Mishima. Les petits garçons héroïques de Raspail qui ne savent vivre que sur les sommets de l'Illusionisme, et que les adultes fusillent.
Je vous avais dit : « Nous allons parler de littérature », et je vous ai resservi la soupe des lieux communs. Il me fait du bien, à moi, de resservir ces lieux communs-là. Et si l'on me dit qu'ils font le lit du fascisme, que l'orgueil et le mépris du genre humain dans sa dimension banale mène ua fascisme, je répondrai que se forcer à l'amour au mépris de ses pulsions secrètes mène à une sorte de rage contre sa propre faiblesse, que les chers humains que vous aimez tant se retournent contre vous et vous prennent pour des vaches à fric, vous pompent votre temps et votre énergie, puis vous méprisent pour votre mollesse. Les hippies, les marginaux ? Ils ne m'acceptaient parmi eux que sije leur payais tout. C'est ça, l'idéal de fraternité ? Bon, je n'ai encore rien compris. Montherlant a écrit des chefs-d'œuvre, où les bidons de gloire et d'honneur s'entrechoquent en lançant de grandes étincelles, où la vanité humaine se pare des feux de la cruauté. L'homme n'est pas bon, il n'est pas que bon, il est aussi grand. L'auteur, non, tout petit, l'auteur. Mais à travers le vermisseau nomme Montherlant est passé le message de l'épée divine et flamboyante, et tant pis pour l'incohérence de la métaphore. Voici pour l'anecdote, merci Roméo et Juliette : Inès et le roi Ferrante parlent.
« INES
Seigneur, le voudrais-je, je ne pourrais dénouer ce que Dieu a noué.
FERRANTE
Je ne comprends pas.
INES
Il y a près d'une année, en grand secret, à Bragance, l'évêque de Guarda...
FERRANTE
Quoi ?
INES
...nous a unis, le Prince et moi...
FERRANTE
Ah ! malheur ! Marié ! Et à une bâtarde ! Outrage insensé, et mal irréparable, car jamais le pape ne cassera ce mariage : au contraire, il exultera, de me voir à sa merci. Un mariage ? Vous aviez le lit : ce n'était pas assez ? Pourquoi vous marier ? »
Le ton est donné. Qui aimez-vous le mieux, de la femme amoureuse, ou du vieillard tonnant ?
Dialogue entre Inès et l'Infante, qui n'est pas sans rappeler celui entre l'Infante et Chimène, précisément, dans Le Cid :
« ...Ce n'est pas un arrêt de mort... Le Roi, dans toute cette affaire, m'a traitée avec tant d'ouverture...
L'INFANTE
Mon père dit du roi Ferrante qu'il joue avec sa perfidie comme un bébé avec son pied.
INES
« J'y réfléchirai »... Il a peut-être voulu se donner du champ.
L'INFANTE
Doña Inès, doña Inès, je connais lemonde et ses voies. »
Non. Doña Inès sera exécutée, avec l'enfant qu'elle porte, en raison jsutement de sa complicité avec le roi. Ferrante lui a donné espoir, et la trucidera, en raison de cette communion entre le bourreau et sa victime, parce qu'il faut que ces deux-là soient unis par un lien terrible et métaphysique. Le bourreau se tue lui-même, n'est-ce pas, il tue cet être en lui qui a la foi. L'ennui, c'est qu'il en tue un autre...