Joachim Du Balai
Bonjour, auditeurs dormeurs de la mi-après-midi. Vous allez entendre au travers des poils de vos oreilles une série de réflexions sur Les Antiquités de Rome d'un certain Joachim Du Bellay, dont vous ne vous souvenez plus que d'un vers :
« Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage ».
Travaillez ferme, passez trente-sept ans d'une vie passionnée, enrage »z, démenez-vous, faites une tripotée de sublimes sonnets, et voilà ce qu'il reste de vous : un seul vers, ânonné par des enfants sous la férule d'un satané instituteur. Donc ma méditation décevra les érudits, elle rasera les profanes. Elle nous éloignera de l'actualité Dieu merci. Du Bellay, arrivé à Rome en 1553 comme secrétaire de son puissant cousin, fut frappé par l'état de délabrement où se trouvait la vieille cité antique. A Rome en effet, l'on avait bâti par-dessus les ruines, un sac effectué par Charles-Quint avait eu lieu récemment, et d'insolents prélats, cardinaux papables ou non papables, étalaient leur magnificence insolente de princes d'Eglise.
Joachim se plongea dans les ruines et dans la poussière avec de profondes délices et de grands soupirs. Il savait le latin au point, comme beaucoup de son temps et son cousin lui-même, de composer des vers en cette langue. Il était tout pétri d'histoire antique. Il savait mieux qu enous ce qu'il regrettait. Il évoquait un peuple de fantômes, et tant de grands noms. Il le faisait dans des sonnets avec toutes les ressources de la rhétorique déjà baroque : oppositions de contrastes et grands balancements de manches. Et autour de lui, dans la campagne où de maigres troupeaux de moutons noirs paissaient des friches sous le vent ou dans la pestilence des marais, dans ce Latium funèbre, avaient défilé ces légions romaines défiant le monde entier.
Inépuisable source de méditation sur le néant et l'éternité à la fois de la grandeur humaine. Nous ne pouvons voir Rome qu'à travers sa légende, forgée par les historiens de Rome eux-mêmes. Si l'on considère les conquêtes au seul moment où elles furent faites, l'on s'aperçoit que « Rome a conquis le monde, moins pour la gloire que pour le profit » - je cite, mais qui ? Les expéditions romaines n'ont été en fait qu'une vaste opération financière, le déclenchement d'un flux de richesses à sens unique : tout dans les caisses romaines. Cependant, très tôt, le poète, Ennius pa rexemple, et l'historien, ont transfiguré cette réalité sordide, et les généraux, du haut de leur tertre de gazon, haranguaient les soldats en leur parlant de gloire, d'honneur et d'orgueil.
Tableau d'Anne Jalevski - www.anne-jalevski.com
Et c'est cet orgueil qui est parvenu jusqu'à nous, c'est lui qui foudroyait Du Bellay méditant, sur le néant des enflures humaines, dont il doit bien subsister quelque chose, dont il est obligatoire,moralement oblligatoire, qu'il subsiste quelque chose en de sublimes vers eux aussi destinés à disparaître. Dans le destin de Rome passe le souffle de toute l'Histoire de l'homme. Dieun'apparaît pas dans cette série de sonnets :il n'est pas question de christianisme hors de propos, pas plus que de Jupiter d'ailleurs. Car le Romain ne songe à la religion que pour échanger des prières, ou mieux des formules, et des sacrifices, contre des bienfaits. La seule véritable déesse du Romain, c'et Rome elle-même.
La ville morte, morts tous les dieux... Du Bellay s'interroge sur la ruine du monde en philosophe et in abstracto, indépendamment de toute Providence ou destin préécrit du monde... Rome n'a pas été punie par les Barbares, ne s'est pas effondrée sous des coups du dehors : les Barbares étaient peu nombreux, et ne songeaient qu'à fuir d'autres Barbares derrière eux. Ils ne souhaitaient pas que Rome s'effondrât, mais voulaient simplement jouir de ses richesses. Un jour, il se trouva qu'ils les avaient pillées.
Mais quel dommage. Ils n'avaient pas voulu l'abattre. Et Du Bellay de revenir sans cesse sur la véritable cause du déclin de Rome : il intervint très tôt, dès l'instant où les diverses factions, entendez si vous voulez « partis politiques » - ou plutôt la lutte des riches contre les pauvres, terminée à l'avantage des premiers – qui pourait en douter – sont parvenus à substituer à ce premier magnifique brouillon de démocratie que fut la République Romaine la dictature millitaire de l'Empire. Il y eut de bons empereurs, tels Vespasien, Titus, Nerva. Mais combien de fous, combien de simples brutes épaisses, tels ce Caracalla qui dit à son successeur en mourant : « Enrichis le soldat, et moque-toi du reste. »
Alors, vidée de son esprit civique, le citoyen n'ayant plus qu'à la fermer depuis des siècles, Rome s'écroula de l'intérieur sans même se regretter. L'on vit même des populations aller au-devant des Barbares les clés de la ville en mains pour se rendre à ceux qu'elle considérait comme des libérateurs. Avec les Barbares, au moins, on ne payait plus tant d'impôts.
Commentaires
Prions, mes frères, pour Soulages, qui a failli saccager tout le site de notre Dame de Conques, et qu'une décision judicieuse a fait au moins descendre du clocher, que ses prétendus vitraux défiguraient totalement. Preuve qu'il y a encore des gens de goût.