Proullaud296

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  • Tranche de vie, cum commento

     

    Hier à onze heures, je travaillais, à n'en point douter. Mon travail consiste à écrire des conneries, qui seront lues par des cons désœuvrés, car je fais la même chose que tous : s'en remettre à la postérité, qui ne saura plus lire, puisqu'elle ne me lira pas. Il s'agissait de retranscrire mes rêves, et de broder autour d'eux. Cette fois-ci, je suis en Espagne et je longe un haut grillage derrière lesquels se pressent des enfants gitans. Plus tard viendra un chien furibond, qui se sectionnera la patte à force de se jeter contre les mailles. Le titre de ces élucubrations est Nox perpetua, faisant allusion au Lux perpetua de la Messe des Morts. Autant de connaissances qui sombreront, à l'instar des lois burgondes de Gondebaud, père de Clotilde à ce qu'il me semble.

     

    De même, le titre rageur de mon recueil actuel fait référence au surnommé "Vérité", président de l'A.A.A., Association des Auteurs Autoédités, et non pas des Alcooliques Anonymes, l'un n'excluant pas l'autre. Un de ces petits péteux des éditions ayant fait observer à ce brave homme que nul ne s'intéresserait jamais aux "Mémoires de Monsieur Vérité", ce dernier, piqué au vif et croyant sans doute frapper un grand coup, décida de publier à ses propres frais, et de fonder une vénérable association. J'ai tenu entre les mains de tels ouvrages, dépourvus bien entendu de toute promotion. Et opeux garantir que le déchet en est considérable. À peu près autant que chez les éditeurs patentés, dont la modeste industrie (inférieure en chiffre d'affaires à celle des casseroles) ne fut pas le moins du monde ébranlée.

     

    D'ailleurs, le livre est revenu à la mode, car c'est un cadeau modique et intelligent. Même le numérique ne compromet pas la vente de livres. Il faut vendre. La littérature, c'est, aussi, du commerce. Et nous sommes allés relever le courrier, où j'ai reçu, longtemps après, une lettre postée de La Rochelle où j'avais cru spirituel de remplacer "rue Condorcet" par "rue Con d'Orsay" (je ne pouvais pas écrire la "rue Fabius", quoiqu eje le pensasse profondément). Peut-être pourrai-je remettre ce pli entre les mains de Java, la destinataire. Mais nous la voyons peu en ce moment. Et ce fut l'après-midi, période de bouleversements, période de taxi pour les pauvres retraités qui n'ont que ça à foutre. Le bleu, la fille.JPG

     

    D'abord, malgré tout, un plaisir : le magasin "Cultura", où, nos descendant l'apprendront, nous commîmes maints larcins, en particulier le dernier Houellebecque, ce qui ne ruinera personne, et surtout pas son auteur : Soumission profitera de la conjoncture pour s'envoler sur les records de vente. Je pense que Houellebecque est un grand auteur, malgré son style de roman de gare où excelle Amélie Nothomb, "sans pouce". Le chocolat chaut, à prononcer avec des "o" superouverts, n'était servi que dans des gobelets de carton, bénéficiant d'un goût de carton. Mon auguste femme acheta une toile et plus, et me fit longtemps poireauter, au point de lire le journal de Siné, "paraissant les premiers mercredis de chaque mois". Il suffit de tirer le journal de son tourniquet, de gagner un fauteuil de skaï, et de lire presque tout sans payer. Une femme se pencha pour en lire le titre, et m'adressa un large sourire complice de gauchiste à gauchiste : mais je ne suis pas gauchiste. Je poursuis mes habitudes de lectures frondeuses, mais nul n'est plus que moi devenu défenseur de l'ordre établi, ayant expérimenté que les anarchistes, communistes et autres amoureux fous de l'humanité sont les plus conformistes de tous ; conformistes autrement, mais conformistes.

     

    Ils ne tolèreraient pas mes manies, bien moins que l'actuelle société paraît-il décadente, où je me fonds aisément dans les miasmes ambiants. Et je suis rentré chez moi. Et je suis allé chercher mon petit-fils (car j'ai une famille, comme tout citoyen qui se respecte), afin de le ramener chez lui. Nous avons discuté, mais pas toujours : il faut laisser des temps de répit entre deux dialogues, sinon, le dialogue devietn obligatoire, et lassant. Tout le monde sait cela. Pas moi. Cela m'est venu depuis très peu de temps, car j'aurai mis toute ma vie à mûrir, avant de mourir. Et quand on laisse reposer la pâte et parler le partenaire, on apprend des choses. Qui aurait pensé par exemple que ledit petit-fils se fut confié au point de comparer les baisers de ses amours et conquêtes ?

     

    Je seais gêné qu'il m'entretînt de détails plus précis. Mais une telle confiance m'étonne : ma femme en a la primeur, et moi la "secondeur", la deuxième main. Comment fait ce jeune homme pour considérer les femmes avec cette rationalité ? Il trouve "mignonnes" les confidences d'amour qu'elles lui font, alors que pour ma part, j'étais impressionné, comme une révélation divine : les femmes me semblaient si inaccessibles, surtout aux sentiments ! Dans quel abandon n'ai-je pas vécu ! Lui, non. Pas du tout. Il est "normal". Et puis, je suis revenu seul, à mon volant, variant les musiques selon mes tics, un morceau à la fois, ou un indicatif radiophonique, sans plus. Il fallait me rendre à cette fameuse conférence de Zemmour sur son excellent "Suicide français".

     

    Elle commençait à vingt heures à l'Athénée municipal, et je me trouvais coincé dans une forte circulation. Qu'est-ce qu'un indécis ? Celui qui veut absolument faire porter la responsabilité, la culpabilité de toutes ses décisions sur un autre, et l'épouse se trouve à cet égard dans une position privilégiée : il faut lui téléphoner du volant, lui demander si elle veut que je fasse étape à la maison, refuser, puis accepter, puis refuser, puis accepter "mais pas longtemps !" Désorienter l'autre à tout prix, le mettre en porte-à-faux, décréter que son ton de voix ne correspond pas à sa sincérité, voilà un sport où certains esprits faibles, autrement appelés "emmerdeurs", sont passés maîtres. "Juste le temps d'un café-yaourt", avec une pomme dans la poche pour la route. Il fait nuit, je rate deux rues, là-bas, "en ville", et me retrouve dans les lacets du parking en hauteur de la rue Victor Hugo, sur les fossés comblés du vieux Bordeaux. Et, vite, vite, à pied vers l'Athénée. Peu de monde. Pas de monde du tout, même. Deux gardes municipaux en fin de poste qui s'en vont, bavardant sereinement. Trois pelés et un tondu devant les portes qui devraient, théoriquement, être assiégées : "La conférence est annulée, on vient de poser l'affiche depuis 5mn."

  • Tingitanes

        Le premier de mes portraits : S.B.
        Avant le mariage, qui forme exactement delta, son nom de Juive m'a séduit. Sépharade, olivâtre, "mes yeux noisette" disait-elle. Toutes les scènes se passent à Tanger, dan les quartiers européens, jamais je ne vis tant jouer, Sorano Saddiki, Michel dit Simon. Sylvia B. se confie à moi. Notre professeur de philosophie m'a confié un exposé "Sur les femmes".
      Les arbres et le sanctuaire.JPG  C'est une Corse féministe, morte l'année suivante, et moi je suis encore professeur pour petits, Véra B. nous accueillit chez elle pour mon exposé, c'est ainsi que j'imaginais qu'il était beaucoup plus facile pour les filles de tomber amoureuses à volonté, je les accusais de laisser languir les mâles. "Pourquoi ne m'aimes-tu pas ?" dis-je à Sylvia B. Elle avait fui en tournant la tête.
        Elle n'avait dit ni oui ni non, se mit à m'aimer, seulement, je croyais que le moindre contact de peau l'indignerait, au point de me chasser. Longtemps later,  je croyais encore qu'un baiser décidait de tout, au point de passer au coït immédiatement avant que l'envie ne passe, à la femme. Je ne compris rien non plus le jour où je fus reçu, dans sa chambre, au lit pour la sieste, tout affalée, de côté, attendant que je la redresse pour l'embrasser : je l'aurais étreinte si fort, qu'elle m'aurait repoussé, que je me serais fâché.
        - Tu dormais ?
        - Non.

  • La Naissance du Prophète

     

    1. AL MAWLID (« MOULOUD ») (naissance du Prophète)

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    3. DATE

    4. Pas plus que pour le Christ, nous ne possédons de traces précises de la date de naissance de Mahomet. Il serait venu au monde le lundi 12 du troisième mois, Rabia al Awal, en 570, « année de l'éléphant ». Cette naissance n'est pas célébrée (sauf sans doute, jusqu'à l'avènement du vizir Al-Malik al-Afdhal, ainsi que les anniversaires d'Ali et de Fatima (1095), dans la dynastie fatimide), car elle ne serait pas conforme à l'enseignement du Coran.

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    6. RESTRICTIONS

    7. Il existe, disent certains religieux, deux catégories d'innovations : les nuisibles, et les tolérables. En 1207, au VIIe siècle de l'Hégire, le roi Irbil exprima le souhait que l'on se réjouît publiquement pour cette noble naissance. Il n'y aurait donc pas à blâmer cette innovation, digne d'être nommée une bonne tradition (sounna haçanah). En Arabie séoudite, cette célébration n'est pas interdite par le ministère des affaires religieuses. Ce sont les salafistes qui mettent en relief l'interdiction formelle de célébrer ce jour-là : « Le Prophète a dit : « Ne me louez pas comme les chrétiens ont loué le fils de Marie. Je ne suis qu'un serviteur et dites plutôt « serviteur et messager de Dieu » ; ils assimileraient donc la célébration de l'anniversaire de Mahomet à une manifestation d'idolâtrie – ce à quoi se livreraient les chrétiens le jour de Noël. Cette fête, non plus que le Jour de l'an ou le carnaval, ne présente évidemment aucun caractère sacré pour le musulman.

    8. Rappelons que la stricte obédience islamique admettrait seulement deux fêtes : l'Aïd el Adha (Fête du sacrifice) et l'AId el Fitr (Fête de rupture du jeûne). Le Prophète n'a jamais fêté son anniversaire, non plus que ses compagnons. Tout musulman est tenu de suivre ce que le Prophète et ses compagnons faisaient, sans innover, ainsi le jeûne du ramadan et le sacrifice du mouton. Il est inutile, comme le suggère le démon (ce que disent les salafistes) de gaspiller son temps et son argent à de telles occasion : tous deux seraient mieux employés à faire l'aumône et à prier. « Les dépensiers sont les frères des diables et le Diable est vis-à-vis de son Seigneur un très grand négateur » (Allah Taâla, sur le verset 27/17). Que dire alors de ceux qui adressent des prières au Prophète en lui demandant d'exaucer tel ou tel vœu, comme le feraient les chrétiens avec leurs saints, ou bien pensent que Dieu créa le monde pour Mahomet. Mais d'autres musulmans ont

      Vue depuis mon hôtel.JPG

      rétorqué : « Comment les «Salafi» peuvent-ils déclarer quelque chose de haram (interdit) alors que le plus strict de leurs savants, Ibn Taymiyya, permit de célébrer sous certaines conditions, et que ibn al-Jawzi et ibn Kathir encouragèrent chacun en rédigeant un livret intitulé Mawlid et composé de poèmes et de passages tirés de leur sira ? » Cette fête, en marge de la pratique religieuse, relèverait donc de la tradition populaire.

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    10. COUTUMES

    11. Or, les mêmes coutumes se retrouvent pour cette fête : sacrifices de chameaux, de vaches, de moutons, festivités, cadeaux, consommation de pâtisseries et de confiseries – les petits enfants arborent leurs plus beaux costumes. En Algérie, grand repas à la tombée de la nuit, fusées, pétards. Offrandes d'aumônes aussi bien sûr. En 2007, le sultan Mohammed VI accorda sa grâce à 710 personnes. Des soirées de danse et de poésie célèbrent la vie du Prophète et divers aspects de la vie religieuse musulmane. A Salé, en face de Rabat, se tient la veille une grande procession des cierges, et plusieurs soirées musicales sont organisées. A Meknès, les Aïssaoua se rendent en pèlerinage sur la tombe de Cheïkh El Kamel, El Hadi Ben Aïssa, « saint de la délivrance ». Au Sénégal, c'est le Gamu, nom du mois de Muharram en ouolof : on ne travaille pas ce jour-là. Cette fête est célébrée d'un bout à l'autre du monde musulman, de l'Egypte à Singapour, en public aussi bien qu'en privé.

    12. Ni le jour de l'Hégire, ni celui du Voyage et de l'Ascension nocturne (voir infra) ne sont cependant fêtés dans le cadre d'un rituel.

     

  • Fragments de la Croix-Jugan

     

    L'Ensorcelée de Barbey d'Aurevilly : en ces temps réactionnaires, riche eau pour le moulin des Durs : riche, car bouillonnant de tous les sucs infernaux – à la soudure intime de Dieu et Diable, Barbey gicle la flamme ; répudiant l'encens pour la poudre. Nous sommes aux premiers temps de ce calme d'Empire, où les vieux sangs des passions chouannes pourtant brûlent encore. La Croix-Jugan, abbé, s'est encallé la paume et l'âme en ces tueries, naguère ; de plus, il s'éclate la face à l'espingole, après quelque obscure et sanglant désastre. Qu'un prêtre désespère, s'en défigure et s'en revienne expier que sur les lieux du crime il crime il scelle par son seul Paraître les cours et les destins ; que Dieu même consacre sa proie - voilà qui suscite la pire attirance, celle de la peur, de la plénitude du gouffre, le plus vertical déchirement jamais jeté au feu de l'écriture.

     

    Rien de plus obscène que cette face obstinément cachée de l'abbé de la Croix-Jugan ; le voile retombant dont s'obombre les traits ravagés du suicidaire appelle l'érotisme du troussement, ainsi que la charpie du moribond appelle l'arrachement – le Prêtre cumule sur son visage l'horreur des plaies du Crucifié. De ses mains actionnées par Dieu, de celles des Républicains Bleus du Diable, il a reçu la braise et le plomb : purification d'Isaïe, sceau de Caïn qui ne peut se tuer. Terrible complaisance de Barbey à ne pas détailler les tortures infligées à sa créature, à épuiser l'arsenal des prétéritions : jamais ili ne dit où les balles ou bien les braises ont labouré la chair, ni le tracé, ni la compacité des boursouflures cicatricielles ; mais la redondance généralisatrice nous inculque bien qu'il fallait que ce fût au paroxysme de l'atroce qu'atteignît le martyre de l'Elu.

     

    De même que les exaltés se jettent aux pieds du Sauveur pour les lécher, de même une femme, Jeanne-Madelaine de Feuardent, brûle pour le prêtre aux traits torturés. Son orgueil ne peut concevoir de placer son amour ailleurs que dans ce qui révulserait, mortifierait les sens. Le frisson de la terreur ébranle seul chez cette fille de noblesse les ressorts de la passion : il faut avoir -au moins par le récit des pères – joui des convulsions sanglantes d'une face décimée pour découvrir l'admiration, celle qui jette éperdue et le souffle coupé, dans le miroir tendu à l'aristocratie déchue, par le martyre de son prêtre. Même fascination chez l'auteur par la superposition des extrêmes. Il y a du Racine chez le touffu Barbey, chez le héros, qui, avec l'obstination exaspérante du sectaire, tend les paroxysmes au-delà de ce qui se peut, dans une volonté têtue de débusquer l'absolu.

     

    Le héros doit par son seul aspect, par l'exhibition masquée de son voile, infliger à ses spectateurs et à son auteur une attirance comme une répulsion que seuls viennent tempérer le respect dû au prêtre et le mystère “qui fait vrai”. Comme on le pressent, la Croix-Jugan réincarne le Christ “dont le royaume n'était pas de ce monde”, mais n'en fut pas moins pris à tort pour le restaurateur temporel d'Israël : ainsi l'abbé supplicié n'est-il qu'un Signe, tout en passant aux yeux du monde pour un Chouan mal repenti. Barbey ne nous livre d'ailleurs de son prêtre que ce qu'il faut pour l'incarner : quelques chevauchées sombres, quelques visites à la vieille marquise de Montsurvent ou à la Clotte... La cause chouanne est morte, et Jéhoël de la Croix-Jugan ne fait plus que songer, remâcher ; ce ne sont pas là des Actions susceptibles d'enraciner le prêtre dans le tissu social, mais propprement des inactions, des laconismes, des absences.

     

    Précisément le jour de l'écharpage, nous diri (...) -chage, de la Clotte, qui le fixent dans la (...) propos, le verbe : un “creux d'actes” as- (...) vide le potentiel fantasmatique de (...) -nt sous ce silence autant de té - (...) qu'il s'en amasse sous son voile. (...) -e-t-il sans créature dans le (...) l'émacier en Symbole. (..) -ut pivote : passion de (...) Maître Le Hardouin (....) -e fixe (...)

    Flashée de loin.JPG

     

     

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    ...De plus, consacré. Consacré, mais “suspens a divinis” : présentant dans son être le mélange le plus détonnant de damnation et de rédemption – par sa sooumission extérieure la plus étroite à la punition infligée, voire au strict conformisme local, inapte à mordre sur la vie privée de cet homme, autant que par son inouï franchissement du tabou du suicide : ainsi par un paradoxal renversement d'équivalences l'assassin du César se rendait-il sacer, inviolable lui-même jusqu'à ce qu'il tombât sous les coups de son successeur. Mais ici, le “droit du poignard'” est appliqué par Dieu lui-même qui promet la fois le salut à son sacer-dos, et l'Enfer s'il enfreint la Loi. La tentatie de suicide initial, par l'opprobre, consacre précisément la mission édificatrice du pécheur avec une force irréversible.

     

    Le refus de témoigner du Christ par Jéhoël de la Croix-Jugan, sa souillure dans le monde par le jet du froc et la prise d'armes, puis à la dé- ou mieux trans-figuration que le sort lui inflige, n'ont eu pour but qu'une mission plus haute encore, qui est de témoigner non plus du Dieu d'Amour mais du Dieu Jaloux, du Dieu vengeur. Lui que manquèrent tant de balles à bout portant doit être tué, par-dessus tous les fidèles, par l'exclusive balle à lui seul réservée, fondue comme dans le creuset de Samiel. Comme Gilles de Rais, pour le salut duquel tout un peuple pria, il soit être immolé, par là même sauvé. Car, malgré son ultime apparition en squelette éperdu, il est certain que Barbey d'Aurevilly n'a pas voulu damner sa créature.

     

    L'admiration chez lui le dispute à l'effroi, y participe (...)

     

  • Sur le "Journal" d'Amiel

     

    Amiel est un monument qu'on ne visite qu'en tremblant. Visite différée depuis l'adolescence, période sacrée seule où l'on est face à face aux mystères et à Dieu entendu comme Univers. Il est des œuvres en soi enkystées dont on a indéfiniment différé l'ouverture, le Journal d'Amiel est de celles-là, à l'instar des Lettres à Sophie Volland de Diderot. Dont on n'a jamais retrouvé les réponses : anti-Sévigné, anti-Amiel aussi bien, et si j'ai vidé la Marquise au vide-ordures, j'ai à présent besoin de ces deux œuvres si radicalement opposées, l'une anéantissant la vie dans le sein de l'Etre et l'autre exaltant le Faire et la Joie dans la négation, dans le recul infini du moins de l'Absolu. Ces deux kystes sont arrivés au point de maturité et se désengourdissent conjointement pour se faire l'antidote l'un à l'autre, et sans cette double postulation nous serions poussière ou vulgarité.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    L'année 16 est la clé. Là tout s'est joué. Je deviens Amiel ou je m'y efforce, Diderot m'effraye par sa volupté, ses incessantes sécrétions. Amiel plane sur l'abîme : « Effrayants mystères pour l'être qui aspire à l'immortalité, au bonheur, à la perfection ! » Tout cela cher Heinrich-Friedrich, se résout par l'acceptation, par la simple considération du néant. Suivent de ces exclamations jugées faciles, fréquentes chez un jeune homme de 27 ans : « Où serai-je demain, dans peu de temps, quand je ne respirerai plus ! » Eh bien, où nous étions tous en 1719 : nulle part. Qu'y a-t-il de moins effrayant ? « où seront ceux que j'aime ? » allons plus loins : que veut dire « ceux » ? n'y a-t-il pas d'étant que le sein de Dieu ? Que veut dire « aimer » ? Il y a bien de la naïveté suisse dans ces questions européennes . Mais bien de la naïveté aussi d'en prendre le contrepied. Que personne ne rie de ce pertit personnage de 13 ans juché sur l'impériale de l'omnibus, car il a fait le tour de l'humanité - « où allons-nous ? que sommes-nous ? » Bien des ironies ont couru à ce sujet. Mais nous sommes ici devant le « brut de décoffrage », en plein premier degré.

    Et certes historiquement il fallait que ces choses-là fussent dites, de telles questions posées. L'utile contrepoids est Diderot, est d'Holbach (ce dernier athée avéré). Mon seul espoir est que le temps se recourbe au bout de sa flèche et revient se piquer le cul, Ouroboros, « cercle éternel de la nature », ou de tout ce qu'on voudra. Mais qu'y aura-t-il en dehors de ce cercle ? il n'est que chronologique, et non spatial, et nous avons tort de le prendre ainsi. « Les éternels problèmes se dressent toujours devant nous, dans leur implacable solennité ». Nous ne sommes pas dans le meilleur Amiel. D'autres extraits, bien postérieurs à 1847, nous ont profondément touchés, dans leur grandiose profondeur. Ce sont ici de bien froides déclamations. « Nous avons dépassé tout cela ». « Mystères de toutes parts. La foi pour toute étoile dans ces ténèbres d'incertitude. » Assurément. On ne s'en lasse pas. Le Christ lui-même, quoique figé, nous sert de symbole de toute la condition humaine. Mais l'homme Dieu merci s'amuse, Amiel déployait de l'esprit et de l'enjouement. Il ne le déploya que 60 petites années, de 1821 à 1861. Il n'écrivit que 15 d'entre elles. Que c'est long. Ces années nous sont familières, par les films, par les romans. Car nous sommes cernés par les ans. Nous régresserions au temps des calèches sans trop de difficultés, nous nous réadapterions. Plus avant, ce serait plus difficile. J'aimerais voir Case départ, dans les années 1780, où florissait l'esclavage en Amérique du Nord. Déjà plus de regard, la tête qui retombe. « N'importe ! pourvu que le monde soit l'œuvre du Bien et que la conscience du devoir ne nous ait pas trompés. » Des pages précédentes m'ont appris que nos illusions étaient d'apercevoir en dehors de ce qui est des principes que les choses nous ont insufflés, après avoir affirmé leur existence. Autrement dit, celui qui nie Dieu se sert de cette raison même que Dieu lui a donnée. Vous avez lu cela cent fois ? Eh ! n'avez-vous pas aussi lu ou contemplé sur un écran cent fois les mêmes familles riches et leurs membres se courtiser, voler, trahir, aimer, avec les cent mêmes situations et les mêmes dialogues dans les mêmes dix ou vingt styles ?

     

    Ce que vous admettez en narration, il vous faut vous y résoudre en basse métaphysique, ou haute, selon que vous considérez les cimes ou les raisonnements qui croupissent à leur base. « Donner du bonheur et faire du bien, voilà notre loi, notre ancre de salut, notre phare, notre raison d'être ». Donner tout cela en étant, faute de pouvoir faire. La croix de papier kraft est collée contre le fondement de l'action, pour empêcher de « faire ». Au moins soyons joyeux, heureux s'il se peut, afin d'encourager à vivre. Tout cela fait bien catéchisme. Bien rassurance. Bel entassement de lieux communs nécessaires. Le satanisme primitif, posant le problème « du-bien-et-du-mal ». Comme dit le plagiaire, « je transmets la bonne parole ». « La religion de l'amour, du désintéressement, du dévouement dignifiera l'homme, tant que ses autels ne seront pas désertés, et nul ne peut les détruire pour toi tant que tu te sens capable d'aimer. » Doué d'aimer serait plus juste, car la chose ne s'apprend. Large bide.JPG

     

    Nous trouvons dommage et désuet, assurément, cette langue de bois d'Eglise, mais nous pourrions aussi habiller cette phrase de rhétorique marxiste ou partisane, de droite à gauche. Ici le sommeil repart à l'assaut, régulièrement, des autels de ma vigilance... Ceux de Dieu m'ont souvent paru des estrades de tribunal. Mais l'éventail des transpositions est infini. Toujours est-il que nous avons en nous ce même modèle de vertu. 15 avril 1867 (7h. du matin) – que dirons-nous ? que le temps passe ? que cette date nous extasie, 146 ans plus tard ?