Proullaud296

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  • Requiem pour un navigateur solitaire

     

    Requiem pour un navigateur solitaire. Bon titre. J'ai vérifié sur le dictionnaire : oui, Alain Gerbault, en 1941, mourut de malaria dans l'île de Timor, à Dili ; il voulait rejoindre la France libre, et creva à l'autre bout du monde, où il avait navigué, bien plus libre que tous. J'ai lu A la poursuite du soleil, mais trop tôt dans ma vie, jugeant que ce n'était « pas mal », mais sans plus ; goûtant les récits de navigateurs, mais bien décidé secrètement à ne jamais lâcher le plancher des vaches. L'histoire de Cardoso s'avère donc exacte : je croyais que son héroïne, jeune Chinoise dépossédée de sa propriété, privée de son ou de ses enfants, s'était emballée sur un fantasme, dans sa véranda tapissée de bougainvillées. Mais non. Il faut dire qu'une lecture en portugais n'est pas ce qui facilite l'approche de la narration.

     

    Cette satanée langue est truffée de faux amis, o mano signifie « le frère », et souvent tu comprends le contraire de ce qui est écrit, en vertu du fait que pouxar veut dire « tirer », et tirar « pousser ». Quelle prétention de savoir lire couramment la langue des Lusiades ! Le petit dictionnaire orange aura bien fonctionné malgré son caractère incomplet. Une héroïne asiatique donc, Catherine, visite dans sa chambre d'hôpital notre grand navigateur solitaire. Des hommes ont voulu s'emparer de son bateau ancré au large ; ils disaient que c'était pour gagner l'Australie, pour fuir les Japonais, mais Alain Gerbault, du fond de son immense lassitude, aurait fait la même chose, dit-il, et ces voleurs intentionnels auraient gagné l'indépendance totale de la mer. Chacun ici attend les navires de la mère patrie envoyés par Salazar pour apporter des renforts et remporter tous les civils...

    L'arche bucolique.JPG

     

     

    Alain Gerbault refuse de jouer les Pères Noël. « Ça, c'était ce qu'on fourrait dans le crâne des enfants en Europe » dit l'auteur, que j'essaye de traduire : « En Orient, les choses devaient être différentes. Il ne voyait pas pourquoi il ne raconterait pas à Esmeralda l'histoire du Père Noël comme celle d'un pêcheur venu d'une île du Pacifique, nu et couvert de sel, les yeux rougis de tant aller au fond de la mer, orné de coraux et de coquillages.

     

    - Voulez-vous que j'appelle le médecin ?

     

    Il a pris ma main et l'a caressées comme si c'était celle de sa mère. Aussi tendrement. Ce n'était pas d'un médecin qu'il avait besoin, mais de quelqu'un qui lui donne la main, la main d'une femme, de sa mère - Je veux voir le lever du soleil » qui montre ses entrailles pour dévoiler son cœur disait-on plus haut - « il fit un effort pour se lever du lit en s'appuyant sur ma main.

     

    Le plus qu'il parvint à faire fut de raidir son cou durant quelques précieuses secondes, et ses yeux semblaient aller plus loin, dépasser la ville, ils s'enfonçaient jusque dans la mer, il traversaient la ligne d'horizon.

     

    Il se rétendit en posant la tête sur l'oreiller et se mit à regarder le plafond comme si c'était un écran où il voyait défiler tous les épisodes de sa vie passée à naviguer. Il m'oublia, éloigné de tout.

     

    - Je veux voir le lever du soleil.

     

    fit un effort pour se lever. Il n'avait plus même la force pour mouvoir un muscle. Il avait très peu dormi durant la nuit. Il n'avait pu trouver le repos tant qu'il n'avait pas eu la certitude de ma venue. Il avait une chose importante à me dire, il voulait me faire une confidence ou entendre ma question indiscrète. Il me mit dans la main les fleurs qu'on venait de lui apporter. C'étaient des orchidées blanches.

     

    Avec l'aide des infirmiers, nous avons pu déplacer le lit sous une véranda largement ouverte sur la mer. J'ai placé ma main sous sa nuque et lui ai levé la tête. Il s'émut au point de verser une larme en voyant de nouveau le lever du soleil.

     

    -Où est Alain Gerbault ?

     

    voulant des nouvelles de son voilier ancré dans la baie.

     

    Il fit un effort pour se libérer de ce corps qui le maintenait attaché (agarrado) sur un lit d'hôpital, dans cette lutte sans gloire que mènent tous les moribonds au moment où ils s'aperçoivent de la présence de la mort. Il ébaucha un timide sourire qui se dissipa aussitôt quand il sentit une douleur aiguë dans sa poitrine. Il remarqua le découragement de mon visage et me demanda de ne pas appeler le médecin. Il prit conscience de la gravité de son état de santé. Une brume recouvrit la ville, annonçant une chute de pluie qui ne se fit pas attendre. Elle partit comme elle était venue, laissant derrière elle le ciel limpide comme s'il y avait eu aussi dans les cieux une équipe de nettoyage qui de temps en temps passait la serpillière sur la terre, souvent avec excès, laissant de gros dégâts, de grandes tourmenttes, la main pesante de Dieu.

     

    Il se remit à faire l'éloge de la véranda de chez moi, d'où il pouvait tout voir, sans avoir besoin de changer de place, le lever et le coucher du soleil. Comme s'il était le Créateur placé en face de son œuvre. Il en vint finalement à la beauté des bougainvillées. Il trouva que c'était une plante enchanteresse. Il était à les contempler quand on l'avait convié à visiter quelques maison de Timoriens. Les indigènes avaient pour cette plante grimpante une affection particulière. Une échelle par où l'on pouvait atteindre le ciel. »

     

    Il règne ici une atmosphère tropicale où tout semble un songe, une matière subtile où les gestes se déroulent au ralenti, une agonie peut-être où rien ne peut s'accomplir véritablement, sauf là-bas, chez les pirates, où ne vivent ni femmes ni poètes. Car ce texte est un poème, une rêverie d'opium, une fumerie, lente douceur sans douleur, où chacun dérive sur son lit d'hôpital, parmi les rideaux qui flottent et les torpeurs des maladies d'enfant. Le tout enveloppé dans les imprécisions d'une langue à jamais étrangère. Rien ne s'accomplit, que l'immobile et la contemplation des extatiques, et même le fossoyeur, ancien stalinien, ancien exécutueur des basses œuvres, songe, au-dessus de ses crânes, dans son abandon ophélien au courant.

     

  • Sue, et tonne

     

    Certains livres antiques sont sacrifiés : une lecture parPetit jardin public d'Aurillac.JPG an, ce qui ôte tout le charme. Actuellement, je lis des songes concernant la vie d’Auguste. Quelqu’un en songe a touché ses lèvres  de ses doigts, et les a reportées sur ses lèvres à lui. On tenait compte alors de ces sottises. Les songes ne me semblent plus avoir pour signification que l’imaginaire, la beauté ou la monotonie de la chose. Je vis alors enfin dans un monde où l’action est possible, où le voyage existe en permanence. J’ai si peu vécu comme j’aurais souhaité : loin de tous, dans un hôtel. M. Ciceron, en accompagnant au Capitole C. César – et de tels hommes ont existé ! que dirait-on, comment ne poufferait-on pas, en parlant d’un Jack Lang, ce bouffon, accompagnant  Mitterrand  à Notre-Dame ?

     

    Mitterrand, bien plus moine que César… - racontait à ses amis ce songe de sa nuit dernière : qu’y a-t-il de plus fastidieux que ces songes que m’inflige régulièrement ma femme au petit-déjeuner… Du coup je lui inflige les miens ; c’est en imitation de ces peuplades où chacun se raconte ses rêves au réveil, dans les hautes montagnes du Yunnan, je pense… Je suis le seul à pouvoir interpréter mes songes. Ils sont très sombres, avec maints couloirs, souterrains. …il avait vu un enfant aux traits nobles – je pars de tout, me disperse, en véritable sous-Montaigne, admirant la richesse de visage de ces petits rats de l’Opéra, de huit à douze ans, si murs déjà, si émouvants, au-delà de tout caressisme, capable de si bien s’exprimer, pris par la caméra, n’y songeant plus, pas cabots, si immensément attachants, garçons compris… « Il n’y en a que pour le foot ! » disait l’un d’eux à propos des cours de récréation…

     

    Ô la brutalité des connards de base… descendre du ciel suspendu à une chaîne d’or… C’est ce qu’ils semblent toujours faire, tant on leur apprend à se sentir artistes, brillants, généreux, jamais prétentieux car conscients de tant de fatigues… Cet instant prodigieux où ils ne sont pas encore atteints des stigmates vicieux de l’adolescence, déjà aimant, pas encore humides et branlants… Ici un instant de rêverie… Je ne dois pas renier les sécrétions glandulaires… Tout sera détruit par le prochain assaut des barbaries… s’arrêter devant les portes du Capiole – dans sa grande sagesse, mon ordinateur, mes doigts,avaient écrit « Capotile » : on rirait bien du Capotile… Ces songes reconstitués après coup ! et la société en ces temps si lointains, si entachés de superstitions, fonctionnait tout de même… N’était-ce pas dangereux de traîner son existence parmi ces fanatiques susceptibles de basculer dans la panique au moindre faux présage ? Il était bien plus périlleux de se mouvoir parmi ces hommes-là qu’à l’heure actuelle. Il n’y avait ni police, ni administration dignes de ce nom, ll ne fallait que se débrouiller et surtout, surtout, s’être parfaitement intégré à un groupe.

     

    Que se passa-t-il ? J’ignore les relations de Suétone avec le pouvoir.  S’il rapportait cela pour flatter, ou avec l’indifférence d’un simple rapporteur. « Suétone, penseur ? » est un titre de paragraphe ; visiblement l’auteur en doutait. Hérodote croyait en des comptes de bonne femme de bien pire acabit. …et là recevoir un fouet des mains de Jupiter… Voilà qui est original. Pour une fois. J’expliquai à Schenlen ce qu’était le verbe « fustiger ». Cela vous a un petit air biblique, ou pharaonique. Le droit de fouetter. La symbolique fécondante du fouet. L’orbe décrit par la mèche. Or, un moment après, voyant soudain Auguste – qui n’était qu’Octave, boiteux de 18 ans – je suppose qu’il reconnut l’enfant, que la plupart ne connaissaient pas encore, je pressens la suite dans toute son consternant conformisme.

     

    Jamais je n’ai reconnu quelqu’un que j’aurais vu précédemment en rêve. Des lieux, si. Des ambiances de lieux : souterrains à franchir, chambres défaites, et parfois au réveil ce sont d’autres lieux, très proches, qui viennent compléter ceux-là… Mais d’humains, jamais. Surtout des « femmes de mes rêves ». Les femmes s’éloignent, je n’en vois plus. Elles me sont désormais devenues totalement invisibles, inaccessibles. Claire Losbovitch, qui m’eût plu, habite à Metz. La môme Bruzec, avec notre coup de foudre réciproque, est venue, m’a cru attaché à ma femme et s’est enfuie. Pourtant nous riions d’aise en nous adressant l’un à l’autre. Tout pouvait parfaitement s’adapter, hormis l’emploi du temps… et que son oncle César avait fait venir au sacrifice – à titre de camillus, je suppose, qui est une espèce d’enfant de chœur, hâtons-nous vers la fin de cette phrase prétexte comme une robe, il affirma que c’était précisément lui qu’il avait vu apparaître durant son sommeil. On les voit venir de loin, vos chutes, auteurs anciens. Nulle trace de ce songe dans les écrits sur Cicéron. Mon Grimal me rase considérablement, tout de Grimal qu’il soit, tout souligné artificiellement par moi qu’il soit…

     

    60 04 12

     

    Près de 7 ans se sont écoulés. Suétone se lit aussi en édition bilingue. Nous en sommes à l'épouvantable et monotone énumération des crimes de Caligula. Nous ignorons la cause de tant de  cruautés. « Il obligeait les père (parentes) à contempler l'exécution de leurs fils. » Nous frémissons sans oser nous représenter nos ravages, si nous devions nous trouver en de telles circonstances. Nous deviendrions fous à tout jamais, car même la vengeance à son tour le plus atroce ne nous rassasierait pas. « Comme l'un d'eux alléguait qu'il était malade, il lui envoya sa litière ». C'eût été une insulte supplémentaire de refuser la propre litière de l'empereur. Le père de famille risquait non seulement son propre supplice, mais l'aggravation de ceux de son fils. « Au retour même de l'exécution, il en invita un autre à sa table et déploya toute sa bonne humeur pour le faire rire et plaisanter ».