BLATTES, BLATTES (Scénario)
C O L L I G N ON
B L A T T E S , B L A T T E S
LES FILMS DE MERDE
PITCH
Deux couples rivaux aménagent une ancienne boucherie en lieu de vente pour travaux de peinture sur soie. L’ambiance tendue, l’isolation du lieu choisi, la sottise humaine généralisée, le manque de motivation, présentent une image déprimante de toute entreprise humaine.
THÈME
Tout est vain, le monde est con, toute entreprise est vouée à l’échec, se lamenter est le but ultime.
LE HÉROS
1.QUI EST-IL ?
Un homme de 48 ans, professeur profondément pessimiste, dont le seul but est de caricaturer tous ceux qu’il voit. Il déteste toute action et cultive l’inaction, l’imagination languissante.
2. QUE FAIT-IL ?
Il accompagne sa femme et l’amie de celle-ci dans une tentative de se faire reconnaître dans leur activité artisanale. Ses cours n’interviennent pas ici.
3. D’OÙ VIENT-IL ?
De Bordeaux, à 100km. Son activité consiste à transformer ses cours en perpétuel ricanement. Il n’est venu que pour suivre mollement le projet de sa femme, sans s’impliquer
réellement, car il ne croit à rien, sauf au caractère victimaire de sa précieuse et inutile personne.
4.OÙ VA-T-IL ?
Absolument nulle part, où le vent le pousse. Sa femme et l’amie de cette dernière lui demandent de transporter su matériel à Fort-St-Jacques, alors il le fait.
5. POURQUOI Y VA-T-IL ?
Parce que sa femme Arielle le lui a demandé, sinon il s’en fiche. Il pense que les femmes ont toujours raison, ce qui est une excellente raison pour ne jamais prendre la moindre initiative. Simplement, par la seule force de son observation ironique et morne, il créera des mots et des images à peine moins chiantes que la réalité, qui n’est qu’une toile de fond de sa douleur mineure et narcissique.
(« ETC. » : rien de plus. Un vrai sous-Houellebecq, une loque informe et vénéneuse)
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CARTON
Tout être qui se sent persécuté
est réellement persécuté.
MONTHERLANT
Le cardinal d’Espagne
SEQUENCE 1
INT. JOUR
OFF
Les blattes sont de petits insectes dégueulasses,
hétérométaboles et dictyoptères. Ils trottent dans
les lieux obscurs en faisant cra-cra-cra
et se nourrissent de débris variés/
1. GP Blattes : longues et brunes
au plafond
2. GP - sur les murs
3. 4. 5. GP Blattes longues et brunes en positions différentes.
6. INSERT : une ampoules à cent watts, éblouissante
7. GP : Blattes aplaties éblouies qui font les mortes
8. GP : Certaines contractent d’un coup leurs six pattes sur le ventre
et se laissent tomber au sol.
9. GP : Blattes
qui filent sur le carrelage.
10. GP : Pantoufle rageuse écrasant les blattes
à même les parois et le plafond nus.
11. Quatre pantoufles enfilées par des mains
12. GP Blattes qui tombent.
OFF
« La mort la plus simple pour l’organisme le plus simple.
Un petit rectangle simple, qui craque à peine.
13. GP Cadavre écrasé contre le mur, raclé pour le faire tomber.
BRUITAGE TRES ACCENTUÉ PDT TOUTE LA SÉQUENCE
14. PLONG. SUR LES QUATRE BABOUCHES
15. PM Carnage sur le carrelage, en perspective cavalière.
16. GP sur les rescapées se cachant dans des fissures.
17. PA. Deux humains, mâle et femelle au crâne rasé, roux pour la femme.
Baladeurs sur les oreilles.
La femme en tablier bleu.
Ils comptent les cadavres en se courbant.
PASCAL SCHONGAUER dit PAPIER
Vingt-cinq.
MARQUISE DE SCHONGAU
Quarante-quatre.
PASCAL
Soixante-neuf. Quelle coïncidence.
MARQUISE
Va chercher un balai.
TRAV. AV. PASCAL de dos cherche un balai dans un placard très sale
ZOOM AV. Toiles d’araignées, très luisantes.
TRAV. AR. PASCAL charrie les blattes sur la pelle.
18. GP visage de la Marquise, surimpression STOCK : pelleteuses charriant des cadavres à
Auschwitz.
19. PA Ils enlèvent leurs écouteurs et coupent la musique.
MARQUISE JEANNE
C’était quoi pour toi ?
Elle écarte les bords d’un grand sac en plastique.
PASCAL
Schubert comme d’habitude.
PASCAL PAPIER est tout pâle. Il jette les cadavres à la pelle dans le grand sac.
SEQUENCE 2
EXT. JOUR
Dans une voiture. PASCAL et MARQUISE JEANNE de SCHONGAU côte à côte
MARQUISE JEANNE
Maintenant on peut y aller.
PASCAL
...avec le kilo de poudre qu’on leur a foutu dans le coquetier, les blattes…
MARQUISE JEANNE
...elles peuvent crever.
Un temps.
Tu n’as pas oublié les tréteaux ?
PASCAL
Pas de danger.
JEANNE
Tu les as bien calées, mes toiles ? Ventre à ventre, ou dos à dos.
PASCAL, bat :
Tout baigne…
SÉQUENCE 3
EXT. JOUR
1. PG Voiture, de dos, débouchant dans une rue étroite.
2. CONT.PLONG. Panonceau défraîchi «BOUCHERIE »
3. PM PASCAL et JEANNE, écouteurs à l’oreille, font plusieurs aller-retours de la voiture à la boucherie, transportant des paquets encombrants (tréteaux, toiles par deux).
4. GP sur des barreaux de vitrine, verticaux, très serrés, à l’ancienne.
5. TGP Intérieur des cannelures des barreaux, maculé de taches brunes indélébiles.
6. GP Visage de PASCAL reniflant.
PASCAL
Ça sent le vieux sang. Séché.
Il mâche dans le vide bouche ouverte, d’un air dégoûté.
7. PG TRAV. GD Arrière-boutique.
TRAV .AV. Cuisine en boyau.
GP Un réchaud vétuste, un tuyau à gaz à date périmée.
8. PM JEANNE de dos ouvrant une fenêtre crasseuse qui donne sur une ruelle à ras de caniveau, eaux sales. TRAV. BH Une fenêtre juste en face, rideaux bonne femme et cul de télévision 1992.
9. P.G. PASCAL Schongauer et JEANNE Schongau installant toue sorte de paquets, tréteaux, tableaux, premiers rangements et dispositions.
OFF :
« ...soit pour les époux Schongau-Schongauer en location indivise un bâtiment sis six de la rue des Puniques, sur trois niveaux dont une boucherie désaffectée au rez-de-chaussée plus arrière-boutique attenante, chambre et dégagement plus point d’eau et toilette au premier étage plus chambres et toilettes au deuxième et combles, le tout constituant immeuble de rapport ou hôtel déclassé pour insalubrité (arrêté préfectoral du 20 juillet 1983), chaque chambre pourvue d’une literie, d’un mobilier d’hôtellerie adéquat et de tous tuyaux, robinetterie, lavabo et bidet en bon état de marche, à charge éventuelle pour les époux Schongau-Schongauer de réaménager à leur gré exclusif tout ou partie, intérieur ou extérieur, du bâtiment décrit susdit... »
10. P.E. PASCAL et JEANNE remettant une forte liasse de billets entre les mains de LA FEMME AUBERGISTE (MAUD)
11. P.E. PASCAL et JEANNE main dans la main, écouteurs pendants, s’engage dans le grand raide escalier de bois noir qui monte à l’étage.
INT. JOUR.
12. P.M. PASCAL SCHONGAUER s’arrête net :
« Douze vingtièmes de ma vie ; quatre ans par marche : 48 ans sur 80 ».
Ils se tiennent par les épaules.
13. P.M. Ils débouchent sur le grand palier qui comprend : une pierre à eau, un coin douche. Armoires, coffres, poussière.
14. P.M. TRAV. AV.
Couloir tordu ; au bout à droite une chambre en état d’abandon ;
LA FEMME AUBERGISTE (MAUD) par derrière. L’HOMME AUBERGISTE. Tous deux très corpulents, l’homme très grand, de type alsacien.
L’HOMME, qui les a suivis :
« C’est la plus belle ».
PASCAL
« Sûr ! »
15. PANORAMIQUE GD
Une cheminée sous la poussière gluante. Une table de nuit. Lit. Couvre-pied lourd.
16. P.M. JEANNE se tord les pieds sur les tomettes.
17.G.P. PASCAL SCHONGAUER : son visage exprime une grande satisfaction. Il se frotte les mains.
18. L’AUBERGISTE MÂLE
« Ça donne juste au-dessus de la porte aux bouchers. Ne vous penchez pas trop » (doctoral) Quatre mètres cinquante.
L’AUBERGISTE FEMELLE (MAUD)
« C’est mon mari qui a installé la pompe. Et des toilettes dans le boyau. V’z’avez pas vu les toilettes ?
JEANNE SCHONGAU
« Il y a des blattes.
MAUD
« Vos aurez du produit.
Les deux couples se comparent avec intérêt.
MÂLE
« On vous fait un prix parce que c’est insalubre.
FEMELLE
« Il faudrait des frais énormes.
PASCAL, s’esclaffant niaisement :
« Ha ha ! « Énormes ! »
JEANNE le fixe férocement. Il se tait.
19. P.M. Int. Jour
Vue sur une chambre désaffectée, volets mi-clos, matelas roulés.
AUBERGISTE FEMELLE, soufflant :
Juste au-dessus vous avez une autre chambre, qu’est pas mal non plus.
AUBERGISTE MÂLE
Bon, moi je r’tourne bricoler.
20. P.M. AUBERGISTE FEMELLE, guide les locataires
Là c’est les cabinets. (Elle tire la chasse)
Surtout vous n’en mettez pas trop. Pour le produit, vous passerez le prendre. On mange à sept heures.
21. Travelling avant dans l’escalier
PASCAL
Qu’est-ce qu’il y a sous ç’t’escalier ?
AUBERGISTE FEMELLE
Ben c’est un puits. (Elle dégage, en tirant une planche, un puits intérieur fermé par une grille)
À la fin de la guerre les Résistants ils ont balancé des miliciens. Alors ça remonte ! - moi je suis là que depuis trois ans.
SÉQUENCE 3
P.E. INT. JOUR
1. Intérieur d’auberge campagnarde. Six tables serrées, nappes « bonne femme ».
Représentants, camionneurs. Seule à une table, imposante, la MARQUISE DE BOUF ET BOILNŒUD. Grande, forte, blonde, 50 ans, se croit bon chic bon genre.
JEANNE SCHONGAU, de dos, attendant qu’on la serve.
PANORAMIQUE BAS DROIT vers HAUT GAUCHE
PASCAL sort des toilettes en haut de l’escalier en se rebraguettant et redescend s’assoir en face de JEANNE SCHONGAU.
OFF
JEANNE, à PASCAL
Je ne veux pas manger dans ce trou à rat.
PASCAL
C’est pour se faire bien voir.
JEANNE, sifflante :
Savonnette...
2. P.E.
L’AUBERGISTE FEMELLE (« MAUD »)
Vous prendrez bien l’apéro ? (elle fait signe à SA FILLE) Trois Marie Brizard !
LA FILLE s’éloigne, escortée par un PETIT AMI soumis aux cheveux d’oreilles d’épagneul.
« MAUD »
Il n’y a pas de clients ici. C’est pas des gens intéressants. Et puis avec tous ces putain d’impôts…
La MARQUISE DE BOUF ET BOILNŒUD tique…
3. INT. JOUR P.M.
LE PETIT AMI
Vous voulez de la musique ?
Il met en route un appareil à musique, constitué d’un corps de buffet et d’un cercle de métal blanc, sous vitre.Ce cercle présente une infinité d’aspérités correspondant au mécanisme d’une boîte à musique.
LE PETIT AMI glisse une pièce de cinq francs Napoléon III dans la fente, l’appareil se met en marche sous les yeux attentifs et dans le silence de tous ; il joue La marche des petits Pierrots.
SÉQUENCE 4
1. CUT – P. M.
CARLOS, SOPHIE LA BLATTE
Couples de touristes, lui : corpulent, type latino-américain, barbe de zapatero. Bagues, lunettes noires de comédie.
SOPHIE LA BLATTE en robe légère et très démodée.
CARLOS, sur le pas de la porte, écoutant :
C’est vraiment chouette !
SOPHIE, voix très aiguë :
Patronne ! Deux menus très simples…
MAUD
Ici Madame, y a que du très simple.
SOPHIE & CARLOS s’installent au milieu d’une attention respectueuse. Ils sont disposés de face avec PASCAL et JEANNE , légèrement décalés.
Musique. On voit CARLOS s’enfiler trois ou quatre apéritifs, faire rigoler toute l’assistance avec de grands gestes ;
2. GP visage de SOPHIE
3. P.M.
PASCAL SCHÖNGAUER - JEANNE SCHÖNGAU, CARLOS ET SOPHIE LA BLATTE parlent ensemble avec animation, la glace est rompue.
4. P.M.
JEANNE SCHÖNGAU, naïve, à CARLOS
Ah ? Ils ont aussi des néonazis en Norvège ?
SOPHIE LA BLATTE À JEANNE, pour changer de conversation :
Je fais de la peinture sur soie : signes du zodiaque, symboles maçonniques…
PASCAL, coupant maladroitement la parole à JEANNE /
Ma femme attent cent quatre-vingt six échantillons de parfums, par le prochain car de Bajac. Et sur les murs, nous exposerons des instruments en miniature.
JEANNE, qui peut enfin placer un mot :
...de musique.
CARLOS parle bas à l’oreille de PASCAL en étouffant un fou-rire gras.
Bitte…
PASCAL rit sans façons.
6. G.P.
CARLOS
Je suis un envoyé d’Oliver Blatt Blattstein - ne me regardez pas avec ces yeux-là.
7 P.M.
PASCAL se ressaisit.
Une crème brûlée !
CARLOS
Nous allons exposer ensemble tous les quatre.
JEANNE,à mi-voix :
Pas de police surtout , pas de police !
CARLOS
Patronne ! Trois cognacs !
JEANNE
Quatre !
CARLOS, à mi-voix
Tant que je suis là, rien à craindre.
SOPHIE tire d’un sac à main des reproductions, qu’elle fait admirer. Des représentants retournent bientôt ses photographies dans tous les coins gras du local
SÉQUENCE 5- INT. JOUR
Intérieur de l’ancienne boucherie aménagée en salle d’exposition.
CARLOS
Mesdames, Monsieur, nous voici tous en Mission d’Art, chargés…
JEANNE
...et très éméchés…
CARLOS lui jette un regard terrible
...chargés de faire luire en cette basse bourgade les Arts et leurs supports. La tâche sera malaisée, car nul ici à Fort-Saint-Jacques , ne voit l’intérêt d’acquérir un flacon de parfum, une clarinette miniature, que sais-je ; il faudra conquérir les populations.
PANORAMIQUE DR. G. sur la boutique
CARLOS
Répartissons les tâches : les Hintzelstein, ou aubergistes, fournissent lessive, peintures, brosses et seaux.
SOPHIE
Et les pinceaux…
CARLOS lui lance aussi un regard terrible.
2. INT. JOUR
CARLOS s’empare du meilleur pinceau, de la plus large cuvette ; on voit les autres, et spédialement PASCAL, se contenter de rogatons avcc des mines de dépit.
3. P. E.
Musique.
Tout le monde au boulot, gueulantes devinées de CARLOS en train de morigéner tout le monde, il n’y a que lui visiblement qui saurait bien mieux faire que tous les autres.
4. P. R. sur PASCAL, perché sur un escabeau, qui tartine sa peinture n’importe comment, ne sachant même pas tenir un pinceau, dans un angle encombré de tuyauteries.
5. P. Américain sur CARLOS, perché sur l’escabeau juste en dessous, inspectant le travail de PASCAL.
« T’es vraiment le bureaucrate, toi... »
6. CARLOS a pris la place de PASCAL et se livre, ostensiblement, à un travail minutieux.
PASCAL, entre ses dents
« Démerde-toi, pauvre con ».
7. P.¨M. SOPHIE, JEANNE, admiratives ; PASCAL les rejoint, plein de hargne
JEANNE, lui tendant un cabas
« Tiens, va faire les courses. C’est tout ce que tu sais foutre.
SÉQUENCE 6 INT. JOUR
Une supérette. PASCAL, VIEILLE ÉPICIÈRE, JEUNE ÉPICIÉRE en minijupe. CLIENT(E) S
VIEILLE, accent du Sod-Ouest
LA JEUNE passe auprès de PASCAL en tortillant
« Vous désirez ? »
PASCAL
« Oui je désire, je désire euh… du thon… des œufs… un double-litre…
La JEUNE ÉPICIÈRE le sert à mesure. PASCAL n’ose pas s’intéresser à la JEUNE et flaire LA VIEILLE.
SÉQUENCE 7 INT. JOUR
Dans la boucherie aménagée, tout le monde travaille, les tabliers blancs se souillent à grande vitesse, et CARLOS peinturlure avec enthousiasme.
PASCAL, voix piteuse
« « Qu’est-ce que je peux faire ?
Geste de JEANNE, il pose le sac à manger sur la table de l’arrière-boutique.
2. Tous travaillent à la peinture. PASCAL, off, chante d’une voix avinée.
3.
PASCAL ressort de l’arrière-boutique, tourne autour des escabeaux en brandissant son
double-litre sous plastique :
« J’vais vous raconter une histoire drôle…
TOUS
Non ! Non ! Surtout pas ! Pitié !
CARLOS du haut de son escabeau
Tu vas la fermer ta gueule ?
PASCAL, à JEANNE, désignant CARLOS :
«T’aimes ça toi, les gros bras… Ça te change des p’tites bites…
5.
(Il boit au goulot) C’que vous pigez pas, c’est le désespogne, le désespoir de l’ivrogne.
6. EXT. JOUR P.M.
PASCAL fait le zouave sur le seuil de la boutiques
7.
PASCAL retourne dans la Supérette, se livre à un comportement théâtral
Y a qu’moi qui travaille ici : Tiens filez-moi un fromage.
LA VIEILLE ÉPICIÈRE, très digne
Vous les avez derrière vous, Monsieur.
8. INT. JOUR P. M.
PASCAL revient en titubant, se raccroche à l’échelle double ;
JEANNE, sur l’échelle, descend :
Maintenant, ça suffit.
9. PASCAL brandit sa bouteille :
Au moins avec moi on se mââârre…
CARLOS
Tu nous casslek. Putain avec toi y a pas besoin de radio, on n’entend que tes conneries, tu fais chier.
PASCAL
Il est grossier, le monsieur qu’on ne connaissait pas tout à l’heure.
SOPHIE
Arrêtez quoi merde ! - Non, vous tout seul, monsieur Pascal.
JEANNE
Tu peux le tutoyer !
PANORAMIQUE H – B
JEANNE descend de son escabeau, le pinceau à la main, saisit la bouteille et la tord dans la main de PASCAL, l’arrache, passe dans l’arrière-cuisine.
10. JEANNE, de dos, vidant la bouteille dans l’évier.
11. G.P. sur PASCAL désappointé.
12. P.M. PASCAL
Regarde-moi tous ces bouffons le pinceau à la main, bande de prolos, même pas foutus de penser à la bouffe.
Personne ne l’écoute.
J’ai besoin de vin, moi. Ça ne vous vient pas à l’esprit bande d’enclumes que j’aie besoin de vin. Je suis un intellectuel, moi, je pense ! Et qu’est-ce que je vais faire, moi, sans pinard ?
CARLOS
Surtout pas de la peinture !
13. G.P. PASCAL, larmoyant
Tout le monde veut m’empêcher de peindre !
TOUS poussent des cris ; confusion.
Arrête de gueuler ! ...Braille pas si fort !
Ils crient plus fort eux-mêmes que celui qu’ils veulent faire taire.
14. P.M. PASCAL nettoie le vin et les débris de plastique avec une serpillière
Ma bouteille… Ma petite bouteille…
JEANNE
Tu salis le ciment avec ta vinasse…
PASCAL
Tu n’vois pas que j’nettoye ?
S É Q U E N C E 8 - EXT. JOUR
1. P. G. Arrivée d’un autocar brimballant. Le chauffeur en descend, monte sur le toit et balance les colis aux gens qui attendent en bas.
SOPHIE, en bas, tendant les bras :
Mes flacons ! … c ‘est fragile !
Elle montre des petits mollets tout maigres sous des chaussettes blanches.
LE CHAUFFEUR
Il y a encore un paquet pour l’autre dame.
Il le décharge précautionneusement.
2. G.P. en gros plan sur des reproductions sur toile d’instruments anciens, d’icônes, etc.
3. SOPHIE déballe, étale, et installe ses foulards et ses flacons vides.
Elle fait flairer ses flacons autour d’elle :
Sentez-moi ça !
4. G.P. sur CARLOS, grommelant :
Tout ça c’est de la connerie.
6. G.P. sur SOPHIE
Je vendrai tout, je vais tous vous nourrir, PASCAL pourra s’acheter du vin, du meilleur.
TRAV. G.D.
JEANNE, glaciale : ...Quel humour…
7. PANORAMIQUE D.G. sur toutes formes de flacons, fantaisistes et contournées : cochons, grosses merdes bien moulées, etc.
FONDU ENCHAÎNÉ
SÉQUENCE 9 INT. JOUR P.M.
1. JEANNE
À mon tour.
PASCAL déballe des trompettes, accordéons, violons, le tout de 15cm de haut.
2. G.P. CARLOS
Tout ça, c’est des conneries.
3. PASCAL se rapproche de CARLOS
Qu’est-ce que vous disiez sur Blatt et Blattstein ?
CARLOS réticent
Tout ça, c’est des conneries. Ça ne rapporte pas un rond.
4. P.E., PANORAMIQUE D.G.
Vue sur les deux étalages, côte à côte et face à face, en forme d’U. Les deux tenancières, JEANNE et SOPHIE, semblent jouer à la marchande, et sont ravies.
JEANNE
Que c’est beau ! Elle minaude en tournant un foulard entre ses mains.
SOPHIE
Ce que vous faites est magnifique aussi.
JEANNE, humant un flacon
Qu’est-ce que c’est ?
SOPHIE
Du patchouli. Oh, et ça, qu’est-ce que c’est ?
JEANNE, minaudant
Une trompette.
SOPHIE fait semblant de jouer sur une minuscule viole.
JEANNE
On ne peut pas en jouer !
5. G.P. CARLOS
Tout ça c’est de la connerie.
6. P.M. SOPHIE s’extasie sur de grandes Vierges peintes en or sur fond d’or, un peu trop déshabillées
JEANNE
Oh vous savez, il n’y a pas de popes dans ce village.
PASCAL, regard appuyé vers CARLOS
Des Colombiens peut-être…
P.M. CARLOS, qui se tape sur les cuisses
Tout ça c’est des conneries.
SÉQUENCE 10
À plusieurs reprises, ACCÉLÉRÉ, JEANNE et SOPHIE exposent leurs étals, et tantôt l’une, tantôt l’autre, essaie d’empiéter sur l’étal de l’autre.
SOPHIE
La soie faut que ça se déplie.
JEANNE
Oh les jolis chats ! les jolis taureaux ! les jolis beuffes !
SOPHIE
C’est un tigre.
JEANNE : Ou un bœux.
SOPHIE
Enfin quoi, tire un peu sur la soie, là, on voit bien que c’est un tigre, tout de même, il aurait fallu 50cm de plus pour bien voir la queue dans tout son développement.
« Vous… - tu me donneras bien une vierge ?
JEANNE lui tend un cornet à piston en laiton,modèle 1883
SÉQUENCE 11 INT. JOUR
1. SOPHIE, JEANNE
JEANNE
Des instruments miniatures : jamais personne n’a eu l’idée d’exposer ça avant moi.
SOPHIE
C’est comme mon cul ; on ne l’a jamais exposé non plus.
JEANNE
Ça ferait fuir le client.
Elles se battent, les hommes les séparent – PASCAL est fin bourré.
2. CARLOS, PASCAL
P.M.
CARLOS
Les icônes m’ont toujours bien consolé dans ma cellule.
PASCAL
Et qu’est-ce qu’il veut au juste, le Blatt-Blattstein ?
3. Nouvel assaut entre les deux femmes, nouvelle intervention.
CARLOS
Eh merde, vous ne pouvez pas tout simplement vous mettre l’une dans l’autre ?
JEANNE
Justement, allez vous faire mettre.
4. EXT. JOUR Attroupement devant la vitrine.
5. CARLOS, PASCAL
PASCAL, pâteux
Et pis t’arrêtes de soutenir ma femme, toi…
CARLOS
J’en veux pas d’ta femme ; même au lit elle garde ses godasses, comme Van Gogh.
PASCAL, à JEANNE
T’es pas prête d’en faire, du Van Gogh.
JEANNE
Et toi c’est pas l’oreille que tu d’vrais t’couper.
SÉQUENCE 12 INT. JOUR
1. P. M. Les DEUX FEMMES s’envoient leurs productions à la figure, les DEUX HOMMES essaient de les séparer
2.
PASCAL bourré veut rattraper les objets, mais il fait plus de dégât qu’autre chose.
SÉQUENCE 13 EXT. JOUR P.E.
Les AUBERGISTES et les villageois se sont attroupés devant la boutique, d’où proviennent des bruits de casse et des cris.
L’ÉPICIÈRE JEUNE
C’est peut-être pas des vrais artistes.
LA VIEILLESSE
Pt’êt’ ben juste des commerçants.
LE TABAC
Quoi, quoi, « des commerçants ?
SÉQUENCE 14 INT. NUIT
L’auberge.
1. P.M.
CARLOS, SOPHIE, JEANNE, PASCAL, LES DEUX AUBERGISTES
AUBERGISTE FEMELLE
Pour les chiottes, faudra vous méfier, pas en mettre trop, pas bourrer le papier.
AUBERGISTE MÂLE, sentencieux
Moduler le serrage des fesses, pour chier fin.
PASCAL
Pourquoi vous êtes toujours sur notre dos comme ça ?
AUBERGISTE MÂLE
On rend service, et on veut pas s’faire emmerder tout le temps pour du débouchage.
AUBERGISTE FEMELLE
C’est votre merde, pas la nôtre.
SOPHIE
Là n’est pas la question, c’est l’eau qui r’monte, on tire la chasse et on a le cul qui baigne.
PASCAL
Bravo le paysage quand on s’retourne.
AUBERGISTE FEMELLE
Et les douches c’est pour les chiens ? Mon mari en a passé des heures à bricoler un coin pour vous laver l’cul.
AUBERGISTE MÂLE
On parle jamais de ce qui marche.
CARLOS
Ouais les douches y a tout l’confort, on s’aperçoit que c’est occupé quand on voit la serviette sur la porte.
AUBERGISTE MÂLE
Putain jamais contents, je vous ai prévenus dix fois aussi que la flotte c’était pas terrible, venez pas vous plaindre pour les amibes, il faut chercher l’eau fraîche à la fontaine dehors.
AUBERGISTE FEMELLE
On vous en aurait bien passé du restau mais vu comment qu’vous êtes aimables…
JEANNE, hurlant
On va pas s’mettre à hurler, non plus ?
PASCAL, gluant d’amabilité
On pourrait peut-être manger chez vous, ce soir ?
SÉQUENCE 15 INT. NUIT
Les étages de la boutique vus depuis l’auberge
1. P.M. TRAV. AV.
PASCAL parcourt toutes les chambres, d’étage en étage
2. P.R.
Matelas rayés enroulés sur eux-mêmes.
PAN. G.D.
Volets qui se déglinguent, espagnolettes rouillées.
3. INT. NUIT
Visions de baise grotesque sur les matelas, (c’est ce qui passe dans la tête de PASCAL). Bruiitage de ressorts.
4. P. M.
PASCAL se jette sur un matelas ; boules de cuivre ; contorsions.
5. P.M.
PASCAL ouvre la lumière dans une autre chambre abandonnée, jour jaunâtre, ZOOM AV. sur le matelas rayé enroulé.
6. G. P. PASCAL se prend le jus en tournant un commutateur en papillon de faïence. Hurlement :
Erremmel !
Cri soudain, atroce et tout proche, d’une dame blanche (c’est un rapace nocturne).
7. STOCK
Un enfant qu’on égorge, ou qui passe sous un camion.
SÉQUENCE 16 INT. JOUR
La salle d’auberge.
L’AUBERGISTE FEMELLE
Tu aurais pu tout de même les prévenir, pour la dame blanche dans la toiture…
SÉQUENCE 17 INT. NUIT
1. P.M. Salle à manger de l’auberge. TOUS.
L’AUBERGISTE FEMELLE,buvant une Marie-Brizard
Faudrait pas croire ! Tiens,moi, ben je baise quand même !
L’AUBERGISTE MÂLE, se rapprochant de la table en fourrageant dans sa braguette
Et comment qu’on baise.
TRAV. G.D., PASCAL explique à JEANNE avec des gestes que la copulation doit s’effectuer par derrière vu la corpulence de la femme.
2. P. E.
TOUTE LA CLIENTÈLE dans le restaurant.
3., 4., 5. : P.M.
Diverses figures, le BURALISTE et sa bosse, l’ ÉPICIÈRE et ses cuisses nues, la MARQUISE de BOUF et BOILNŒUD un peu à l’écart mais condescendante avec son
gros chignon blond pisseux.
6. P.M.
LE TABAC
Tout de même, le communisme ça donnait de l’espoir aux gens.
7. P.M.
Regards lubriques de CARLOS cherchant à voir la culotte de l’ÉPICIÈRE quand elle croise les jambes. Il se passe la main dans la barbe. Il la tire, les yeux exorbités.
L’AUBERGISTE FEMELLE ramasse l’argent de tous et soupire
Vivement la foire tiens, qu’on gagne un peu plus de pognon.
SÉQUENCE 18.
INT. JOUR
SOPHIE essaye d’allumer le réchaud avec des allumettes détrempées.À la fin une grande explosion qui la fait sursauter :
Erremmel !
SÉQUENCE 19
INT. JOUR
Arrière-boutique
CARLOS bouffe à table comme un porc.
SÉQUENCE 20
EXT. JOUR
PASCAL se paie la corvée d’eau, maintes bouteilles de plastique vides sous les bras. Il en laisse tomber une pleine au retour. Elle éclate.
TRAV. AV.
PASCAL pose les bouteilles sur la table. CARLOS engloutit des spaghettis, se soulève pesamment pour péter.
P.M. TRAV. D.G.
Entrée des DEUX FEMMES
JEANNE
Putain, encore des nouilles !
CARLOS, la bouche pleine
Nouilles, encore des putains !
SOPHIE
Bonjour le régime !
CARLOS lui claque sur les fesses et se reçoit une claque de première
PASCAL
...de toute façon, quand je propose de manger en face, je me fais traiter de savonnette…
Il se ressert en spaghettis, boit à même une bouteille de vin en plastique
SÉQUENCE 21 24
INT. NUIT
L’arrière-boutique
CARLOS et PASCAL font les comptes, échangent des bulletins de vente détachables
JEANNE et SOPHIE leur passent les bulletins, de couleurs différentes
SÉQUENCE 22
INT. JOUR
La boutique elle-même
JEANNE et SOPHIE derrière leurs comptoirs, tirant la gueule – jeu de lumière suggérant l’écoulement de la journée, à plusieurs reprises, en accéléré. Aucune vente.
ÉÉ
SÉQUENCE 23
INT. JOUR P.E.
Un gosse s’enfuit avec un foulard. JEANNE le rattrape à l’extérieur, baffe le gosse ; arrive un colosse qui paye, rebaffe le gosse et baffe JEANNE.
SÉQUENCE 24
INT. JOUR P.M.
PASCAL se barricadant courageusement dans sa chambre parce qu’il n’a pas voulu intervenir…
SÉQUENCE 25
EXT. JOUR P.M.
Une MÉMÉ devant la vitrine, avisant les prix :
Mais c’est de la folie !
SÉQUENCE 26
INT. JOUR
TOUS. Chacun fait ses comptes avec une gueule sinistre.
SÉQUENCE 27
INT. JOUR
JEANNE vend un violoncelle miniature à la Marquise de BOUF et BOILNŒUD
JEANNE
Madame…
B. & B.
Madame…
SÉQUENCE 28
INT. JOUR
P. M.
JEANNE montre, grâce à un ticket, qu’elle a enfin vendu quelque chose.
SOPHIE
On partage…
Le partage de l’argent s’effectue.
SÉQUENCE 29
INT. NUIT
SOPHIE
J’ai vendu un foulard.
JEANNE
On parage…
SOPHIE, indignée
Ah non ! pour nous, c’est pas la même chose !
CARLOS, gêné, se cure les dents
On n’a pas reçu boucoup comme mandat cette semaine…
SOPHIE
On n’est pas des fonctionnaires, nous autres…
PASCAL en arrière-plan, fumant de rage, boit une rasade.
SÉQUENCE 30
INT. JOUR P.M.
Arrière-boutique
1. TOUS en train de manger sans enthousiasme un plat de nouilles qui collent
2. INT. NUIT
TOUS, même jeu
TRAV.G.D.
JEANNE se mesure le tour de taille
ZOOM sur PASCAL
Il recompte mélancoliquement un fond de porte-monnaie
CARLOS essaie de voir par-dessus son épaule, PASCAL se dérobe.
SÉQUENCE 31 INT. JOUR
P.M.
TOUS en train de manger une purée infame
PASCAL, à JEANNE
Quand c’est toi qui fait la cuisine, c’est guère mieux… Bon, alors, on va manger en face ?
SOPHIE, jetant de l’huile sur le feu
Savonnette…
SÉQUENCE 32
EXT. JOUR
DEUX MÉMÉS dans la rue
PREMIÈRE MÉMÉ
Moi j’achète pas là…
DEUXIÈME MÉMÉ
T’as vu les prix de ouf ?
PREMIÈRE
Paraît que c’est de la soie…
DEUXIÈME
Oh ben, pour poser son cul…
SÉQUENCE 33 EXT. JOUR
Le seuil de la boutique.
CARLOS, PASCAL
PASCAL
T’es sûr que t’as rien à me dire pour Blatt-Blattstein ?
CARLOS
Oh moi, yo sé pas grand-chose.
PASCAL
Et alors ?
CARLOS
Ben alors il fait chaud.
SÉQUENCE 34 EXT. JOUR P.E.
Une banderole
BIENVENUE À LA DCLIIIe FOIRE DE FORT-SAINT-JACQUES
ZOOM H. B.sur LES AUBERGISTES et LES QUATRE EXPOSANTS
AUBERGISTE MÂLE par la fenêtre
Vous commencez par le tour extérieur.
CARLOS
Mesdames et messieurs, nous entamons la visite guidée de la place-forte médiévale de Fort-St-Jacques.
« Fort-St-Jacques fut bâtie en cercles concentriques... »
PASCAL
...ou avec trique…
TOUS le regardent avec une intense pitié
SÉQUENCE 35 EXT. JOUR, le soir tombe, les premières lumières s’allument
TOUS derrière CARLOS, en troupeau de touristes
CARLOS
La cité de Fort-St-Jacques, typiquement médiévale…
GROS PLANS sur diverses plaques de rues.
BOULEVARD DE LA MARNE
BOULEVARD DE LA SOMME
BOULEVARD DE VERDUN
SOPHIE
C’est guerrier, c’est coquet.
PAN. BAS-HAUT, vue des feuillages par dessous, vols d’éphémères sur contre-jour de réverbères
ZOOM AV. sur PASCAL qui soulève à la main des plaques d’écorce de platane
Le bonheur de l’entomologiste
SÉQUENCE 36 EXT. NUIT
CARLOS
Ces remarquables bâtisses, mesdames et messieurs…
PASCAL
Eh, je me sens tout seul…
CARLOS
...remontent à ces temps anciens où…
PAN. DR. G. sur JEANNE, mimique exaspérée. Elle bourre les côtes à PASCAL qui joue les extatiques
Savonnette… Espèce de savonnette…
PAN. BAS-HAUT, P.M.
Vieilles maisons à colombages, pignons aigus, portes rongées, pierres anciennes sous projecteurs.
GROS PLAN sur une vitrine d’agent immobilier, photos suggestives, pris modérés
SOPHIE
...et après, faut les allonger pour tout retaper…
TRAV. AV.
Église ouverte
SÉQUENCE 37 INT. NUIT
LE GROUPE en train d’ahaner à la queue-leu-leu dans un escalier en colimaçon.
CARLOS, off, derrière PASCAL
Putain t’as encore largué, toi…
TRAV. AV.
Parvis de l’église
PAN. H-B, P.E.
Vue de Fort-St-Jacques illuminée, guirlandes diverses
CARLOS
Figurez-vous…
PASCAL
Ta gueule.
CARLOS se tait
GROS PLAN sur PASCAL, mesquin
J’lai eu, euh… J’lai eu euh…
2. PAN. AV. ET H-B, diverses vues de Fort-St-Jacques révélant une structure concentrique.
Bruitage : vent. Bouffées d’orchestre de village.
3. P.M. sur LA GARDIENNE, qui gueule
Alors là-haut vous vous maillez le cul, oui ? On ferme !
4. TOUS dévalent l’escalier, tête basse, trébuchant
SÉQUENCE 38 EXT. NUIT
1. P. M.
Une vitrine. Des femmes s’affairent, montent des décors au sommet d’échelles doubles.
2. STOCK : Poissons ouvrant et fermant leurs gueules dans un aquarium
3. P.M.
CARLOS
Vous verrez tout ce qu’on va vendre avec la foire…
4. INT. NUIT
TRAV. AV.
Intérieur du magasin où la caméra a suivi LE GROUPE
FEMMES au sommet de leurs échelles doubles
Un BOUCHER en tenue
Un peu plus de côté. Plus loin, le mannequin. Plus au fond. Le calendrier 1901 (géant) vers le devant, nous fermerons ensuite et pour toujours, il faut que ce soit beau, pour notre dernière fois.
PAN. D.-G.
LE BOUCHER se tourne vers le groupe des quatre
J’ai fait ôter la vitrine – une fortune !
Ça s’ouvrira sur la rue comme une vraie scène à l’italienne : j’ai fait monter des gradins (il les désigne) en face, et aussi derrière vous. (PAN. G.-DR., vue sur les gradins)
LE BOUCHERIE
Ma pièce va s’intituler La Manche et le gigot,le héros s’appelle Don Quichote. J’en suis l’auteur.
CARLOS
¡ Muy bién !
PAN. G.-DR.
UN PASSANT, dédaigneux
Il fait ça tous les ans.
LE BOUCHER tourné vers lui
Monsieur n’est pas d’ici.
LE PASSANT
Ah ! pas d’ici…
SÉQUENCE 37 INT. NUIT
P.M. sur l’intérieur de la vitrine, décor avec papier aluminium pour la viande
SÉQUENCE 38 EXT. NUIT P. M.
Plusieurs habitants installent des guirlandes d’éclairage et de feuillage
SÉQUENCE 39 EXT. JOUR P.M.
La terrasse de l’auberge
LES QUATRE, LE BURALISTE, LA FEMME DU BURALISTE, LES ÉPICIERS
1.
LE BURALISTE
Moi je vous le dis, tout ça c’est de la foire. De la diarrhée. L’homme va voler l’homme.
LA FEMME DU BURALISTE
Tu vends bien du tabac !
LE BURALISTE
Je vends des livres aussi.
LA FEMME
Y a pas un seul Marx.
PASCAL
Ça ne se vendrait pas.
2. EXT. NUIT
Même décor, mêmes acteur. P.M.
CARLOS
Tout ça, c’est de la merde.
PAN. G.DR. sur LE BURALISTE, qui parle et gesticule : cage thoracique difforme, tête de vautour.
3. G.P.
Les yeux brûlant du BURALISTE
PAN. G.DR. G.P.
Le visage tendu et ambigu de LA FEMME DU BURALISTE ; elle pense à la Liberté que ce serait que la mort de son mari.
LE BURALISTE
Je ne participerai pas à cette comédie. Le magasin restera comme il est. Prix inchangés.
JEANNE, aux AUBERGISTES
Et vous ?
LE BURALISTE
Ils peuvent rester ouverts tant qu’ils veulent ; moi, tant que ça me ramène des clients, juste à
côté, ça me va.
PASCAL
Fumer donne envie de boire.
3. EXT. NUIT
LE BURALISTE, furieux
Moi je me contrefous de votre opinion à vous quatre, vous m’entendez ? Toujours là à épier, à rôder !
4. P.M. PAN. G.DR.
Les QUATRE ouvrant et refermant la bouche, suffoqués.
L’ÉPICIÈRE
Ce bled est mort. L’alcool lui fera du bien.
L’AUBERGISTE FEMELLE, à PASCAL
Vous n’avez pas bien mangé, chez moi ?
PASCAL, avec empressement
Si si !
JEANNE
Savonnette…
PAN. DR.G
LE BURALISTE, vociférant
Multiplier les cafés, c’est multiplier les points de fermentation du Peuple ! Nom de Dieu !
(Il entonne « L’Internationale)
LA FEMME DU BURALISTE le fait taire
PAN. G.DR.
L’ÉPICIÈRE remonte sa minijupe. Puis elle se refarde les lèvres.
L’AUBERGISTE FEMELLE, au BURALISTE
Quand c’est que t’auras fini de brailler, on pourra peut-être se faire un p’tit rami ?
LE BURALISTE
C’est un jeu de fachos !
LA FEMME DU BURALISTE, admirative, à la cantonade
Il gagne toujours.
4. P.M. sur l’ÉPICIER qui gratte son crâne en pain de sucre
5. P.M.
SOPHIE
Moi j’aime bien cette ambiance, tout de suite on se sent à l’aise.
REAV. ARR.
P.E.
La terrasse où tous, autour de plusieurs guéridons rassemblés, jouent aux cartes.
SÉQUENCE 40
EXT. NUIT
Terrasse d’un bistrot concurrent, vu de face
LE CURÉ, en soutane
C’est super, c’t’ouverture d’un deuxième rade. Ça fera toujours autant de cons en moins pour encombrer la messe.
Il siffle une liqueur
MUSIQUE de Jacques Brel venant à toute force ce l’intérieur
LE CURÉ, tourné vers l’intérieur
Ah non pas lui, c’est superchiant !
SÉQUENCE 41
INT.NUIT
L’intérieur de l’hôtel : chambre, couloir, douche extérieure
JEANNE, PASCAL
1. PASCAL se brosse les dents
2. TRAV. AV.
PASCAL revient du lavabo extérieur, dit à JEANNE restée à lire sur le bord du lit
À toi.
Il s’assied sur le rebord du lit, feuillette une revue.
JEANNE se rend à son tour à la salle d’eau extérieure ; on entend bientôt un bruit de chasse d’eau.
3. INT. NUIT
La chambre dans la pénombre, volets en tuile. Forts ronflements.
PASCAL se lève pesamment, sort, bruit de chasse d’eau.
4. P.M.
PLONGÉE
Les deux sur le lit ; ils se rapprochent à cause d’un creux dans le matelas, enlèvent leurs vêtements l’un après l’autre à demi endormis, se retombent l’un sur l’autre dans le creux, se séparent, se placent sur les deux extrémités en crête du matelas, se retombent dessus, ronflements.
5. G.P. sur le visage apaisé de PASCAL, bruit de moustique. PASCAL se retourne machinalement. JEANNE lui écrase un moustique sur la gueule. Sursauts divers. JEANNE se relève pesamment, bruit de chasse d’eau.
Va ouvrir la fenêtre on étouffe.
PASCAL
J’ai la flemme.
JEANNE
Fais chier.
Elle va ouvrir la fenêtre, se recouchera-t-elle. Se bouche le nez
Ah non, c’est le bouquet.
PASCAL, somnolent
C’est le mot.
6. G.P. sur un réverbère EXT. en plongée ; ronflement de réverbère mal réglé
7. JEANNE, somnolente
Pascalou, on entend la lampe.
PASCAL se retourne et ronfle.
JEANNE, revêche
Pascalou !… Pascalounet !
PASCAL
On n’a même plus envie de se branler…
SÉQUENCE 42 INT. JOUR
L’arrière-cuisine, au petit-déjeuner
PASCAL et JEANNE, allures décavées d’insomniaques.
CARLOS et SOPHIE, attitudes grivoises
SÉQUENCE 43 INT. NUIT
G.P.
Couloir de l’hôtel. PASCAL, revenant des cabinets, se plante une écharde dans le pied. TRAV. AV. P.M.
Sur le rebord du lit, il essaie de se l’extraire
2.
P.M. TRAV.AV.
PASCAL ouvre à la file plusieurs chambres inoccupées.
ZOOMS sur des matelas roulés, des lavabos sales, des robinets mal fermés, PASCAL s’y penche pour y boire ; gros borborygmes de tuyauteries.
3. T.G.P
sur les ronds de verre à dent sur les étagères en verre des lavabos.
4. STOCK
Un couple en train de baiser en surimpression sur un de ces matelas miteux.
5. P.M.
TRAV. AV. et B.H.
PASCAL monte l’escalier, applique l’oreille contre la porte.
6. Intérieur de la chambre de CARLOS-SOPHIE
CARLOS et SOPHIE s’entretiennent sur le bord de leur matelas, à voix
basse, de façon très animée.
SÉQUENCE 44
INT. NUIT
1. P.M.
PASCAL et JEANNE sur leur séant, dans leur lit, entendent au-dessus d’eux un vacarme de ressorts malmené.
Feulement fortissimo de dame blanche, PASCAL et JEANNE sursautent, terrorisés. Le bruit des ressorts s’arrête sur une ultime détente : BOÏNNNNGG…
JEANNE, décomposée
Qu’est-ce que c’est ?
PASCAL
Une dame blanche…
2. P.M.
PASCAL et JEANNE sur leurs matelas, glissant lentement l’un vers l’autre dans leur sommeil, se séparent brusquement dès que leurs culs se touchent.
Bruits de pas descendant l’escalier, on entend CARLOS heurter violemment quelque chose dans le noir :
Hijo de puta…
SÉQUENCE 45
INT. NUIT
P.M.
1. Énorme détonaon.CARLOS et SOPHIE se solèvent d’un coup sur leur lit puis retombent, idem pour PASCAL et JEANNE (prévoir un plan en fausse coupe d’immeuble)
PASCAL et JEANNE ensemble
PUTAIN DE BORDEL DE MERDE D’ENCULÉ DE MES COUILLES !
PAN. G. D. G.P. Pendule marquant 3h15 sur la cheminée
2.
Les QUATRE face à face sur le palier de la chambre du premier, dépoiraillés, hagards, en sous-vêtements déchirés.
SÉQUENCE 46
EXT. NUIT
1. P.E. PLONGÉE
puis PAN. H. B.
Procession de Carnaval nocturne dans la rue . Cuivres, chiens, hurlements, mômes déguisés.
VOIX DE L’AUBERGISTE MÂLE, masqué :
Descendez de là-dedans, tas de touristes !
2.
LE TABAC que l ‘on reconnaît à sa difformité tend deux bouteilles de vin. PASCAL et JEANNE boivent au goulot.
3. P.M.
L’ÉPICIER avec son crâne en pain de sucre poursuit L’ÉPICIÈRE à demi-nue à coups de balai.
4. G.P. CONT.PLONGÉE sur PASCAL s’arrêtant de boire au goulot pour roter.
5. Défilé, de droite à gauche, de toute une population costumée, plus ou moins XVIIe siècle, derrière un canon d’époque qui roule. Fanfare, grandes enjambées. Huit ou dix piquiers et hallebardiers.
6. T.G.P. sur un maillet de grosse caisse qui s’abat.
7. T.G.P. sur une embouchure de trompete d’où perle une goutte de salive.
8. P.M. La grosse caisse se crève sous un violent coup de maillet.
9. P.M. sur un trombone en train de boire par l’embouchure, tandis qu’un acolyte y verse du vin.
SÉQUENCE 47
EXT. NUIT
1.P.M. SUR LE CURÉ, seul à genoux sur une table du café concurrent, priant. Il tombe.
Putain de bordel de merde.
SÉQUENCE 48
EXT. NUIT
1. P.E. sur LES QUATRE suivant le cortège, échevelés, dépenaillés, style famille royale revenant de Versailles.
SOPHIE marche en titubant et bâillant ; CARLOS lui glisse un goulot entre les lèvres.
SÉQUENCE 49
EXT. NUIT
P.M.
1. Arrivée du cortège au bistrot concurrent. LE CURÉ s’enfuit en rampant sous les tables.
Des clients retranchés surgissent de derrière le bar et des salles du fond.
CARLOS est désormais en tête des assaillants, brioche au vent.
Il entre. Effet de brise-glace.
Bagarre générale.
2. P. E.
Bagarre générale.
UNE VOIX
Eh t’es pas d’ici, toi !
AUTRE VOIX
On t’a vu au bistrot du haut chez la Grosse Maud.
PLUSIEURS VOIX
Même déguisé t’es toujours en Gros Lard.
3. P.E.
CARLOS se refraie un passage vers la sortir.
SÉQUENCE 50
EXT. NUIT
1. P.E.
PLONGÉE
Cortège vu de haut, où l’on reconnaît LES QUATRE soufflant dans divers instruments ou mirlitons.
2. L’AUBERGISTE FEMELLE ouvrant sonauberge. L’AUBERGISTE MÂLE accueillant tous ceux qui veulent venir.
PAN. DR. G
La tête du cortège arrive, menée par CARLOS et SOPHIE.
3. G.P.
Visages avinés criant.
Bruits de bouteilles brisées.
PASCAL, off
Ça va tourner mal !
DES VOIX, off
Au feu ! Au feu !
SÉQUENCE 51.
EXT. JOUR
1. P.M.
PASCAL, de garde à l’étalage, le lendemain matin.
VOIX off :
Alors, on s’est bien marré hier soir ?
AUTRE VOIX, off :
Comme des bœufs !
PASCAL, marmonnant :
On n’a rien vendu, oui !
PAN. G. DR.
1. DES FILLETTES :
C’est joliiii !
2. P. M.
Des vieilles femmes s’approchent, palpent, n’achètent rien.
UNE VIEILLE
Oui, bon, c’est pas mal…
Elles repalpent, n’achètent rien, repartent.
3. SOPHIE et CARLOS, de garde
SOPHIE rajuste sans nécessité plusieurs objets ; pas de vente…
SOPHIE et CARLOS disparaissent dans le magasin, reviennent chacun avec une chaise qu’ils traînent bruyamment, bâillent, s’affalent sur leurs sièges.
4. P.M.
Un vieux couple s’approche.
Ils palpent, demandent le prix.
SOPHIE
C’est tant [sic]
LES VIEUX, ensemble :
Ennngculé...
Ils reposent tout et s’éloignent.
SÉQUENCE 52
INT. JOUR
PASCAL, seul à sa table de chambre, tape à la machine.
JEANNE, off :
Pascaaal ! c’est ton tour de garde !
PASCAL, levant les yeux
Eh mêêêêrde !
SÉQUENCE 53
EXT. JOUR.
P.M.
L’AUBERGISTE MÂLE, sur le pas de sa porte, à PASCAL de l’autre côté de la rue :
Vous en faitespas, c’est tous des ploucs !
Pan. G. DR.
PASCAL, devant son étalage :
Je me disais aussi…
SÉQUENCE 53
EXT. JOUR
1.
P. M.
CARLOS et SOPHIE, assis sur leurs sièges, barrant toute la porte. SOPHIE fabrique des espèces de tortillons à cheveux, les dispose dans une petite corbeille, place au centre une pancarte :
CHOUCHOUS, 10 F.
SOPHIE, off, aigre :
C’est ça, faites comme chez vous !
ZOOM AV. sur ladite corbeille.
SÉQUENCE 54
INT. J.
P.M.
PASCAL
Pourquoi t’en ferait pas autant ?
JEANNE
Je ne vais tout de même pas travailler de tes mains !
SÉQUENCE 55
EXT. JOUR
Même petite fille. Elle achète un chouchou, se le passe dans les cheveux, paye.
SOPHIE, mielleuse
Merci bien !
PAN. B. H.
SOPHIE à la fenêtre de sa chambre.
Regarde-moi ces deux péteux. En train de faire le trottoir.
SÉQUENCE 55 bis
INT. NUIT
1. P.M.
PASCAL plongé dans un album sur les comiques américains d’entre-deux-guerres
2. STOCK
Une petite séquence des Marx Bros ou de « Certains l’aiment chaud ».
SÉQUENCE 56
1. INT. NUIT
Chambre de PASCAL et JEANNE
PLONGÉE
Le couple essaie de dormir en se tournant le dos ; PASCAL, pris d’un rire convulsif.
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