Proullaud296

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  • AUF REISE NACH BELGIEN

    C O L L I G N O N

     

    A U F R E I S E N A C H B E L G I E N

     

    LE V O Y A G E E N B E L G I Q U E

     

    Auteurs de Merde

     

     

    J’écris couché sur un chemin.

    Je suppose que c’est interdit

     

    BERGERAC – ARGENTON

    D’abord la voix du Père.

    Il est curieux de retrouver ainsi la voix de son père, dans cette allée de St-Florent-le-Jeune. Sa voix. Je ne la reconnais pas (sauf à certaines inflexions) (rauques).

    Je reconnais aussi ces scrupules d’instituteur, qui détache les syllabes, qui estime indispensable de lire à haute voix un « mode d’emploi » en tête de bande magnétique.

    Un enfant comprendrait cela en cinq minutes.

    La voix restitue toute une ambiance.

    Je par-le dis-tinc-te-ment devant le micro.

    Il s’est modelé sur la prononciation de « L’allemand sans peine ».

    Il refuse toute connaissance, même élémentaire, de la langue britannique.

    « Start » prononcé « star »

    « Rewind » prononcé « revinnd ».

     

    Je conserve ce document.

     

    Plus loin :

    Mon père a cru tout effacer mais l’on entend le bruit du moteur, et Sonia, à travers sa main à lui.

    Comme un cœur.

    Je n’entend ma petite Sonia qu’à travers ce moulinage forcené.

     

    Les premiers mots prononcés par ma voix, après celle de mon père :

    « Je n’ai rien à dire ».

    (sur la bande j’entends ma mère : ses savates qui traînent). La veille au soir j’ai vu ma vie : un volumineux album de bandes dessinées.

    Tout ce que j’ai pensé, tout ce que je dirai, dans des petites bulles, et que je peux lire.

    Les pages de l’avenir s’imprimeront au fur et à mesure.

    Que se passera-t-il si je consulte le volume à l’heure même où je suis ?

    Ou si reviens me lire juste après l’action, pour vérifier à chaud ce que j’ai pensé ?

     

    Je me souviens des choses effacées.

    Elles disent, à peu près – que je vais survivre.

     

    Je suis celui qui fait l’album.

    Les uns sont immortels, les autres non.

     

    *

     

    Pouvoir thérapeutique du voyage ? - plutôt ce profond malaise, ce broiement sourd

    du moteur en marche au sein duquel reposent les mots enregistrés.

    L’homme aux semelles de vent – modeste aux semelles de pneus -

    Grégarité : ceux qui s’installent dans le champ, juste et précisément dans mon allée Notre envoyé spécial au Tour de France – il n’y a plus de thérapie au numéro que vous avez demandé c’est toi-même que tu fuis etc.

     

    Un vagabond (à cheveux longs) viendrait chez nous, se prendrait pour nous d’une affection subite et débordante, puis ils s’installeront, demandent à garder l’enfant, à parler

    le-dia-logue ! Le-dia-logue !

    Plus avare de dialogue que de fric

    Je préfère le vrai voleur, le franc voleur qui ne parle pas.

    Lorsque je rends visite, je pars à l’heure prédite, à la minute près, quand je baise je garde ma montre.

    Le vagabond vient à dix heures, à 18h30 il est toujours là je vous éviterai toujours

    Pour l’amour venez dans mon antre de telle à telle heure aucune femme ne viendrait elle à qui quatre doigts suffisent Le vagabond dit sous son bec-de-lièvre

    « Si je dérange tu préviens

    - Tu es le cinquième de ce mois

    Mon épouse et moi sommes des bourgeois.

     

    "

    Dès que possible je m’arrête. Qu’il pleuve ou en rase campagne. Je travaillerai sans sortir. Le voyageur extrait ses documents, consulte son Emploi du Temps, il vit selon lui. Ses lectures le mènent chez Saint-John P.

    - Je maudis Saint-John Perse. « Parole de vivant ! » disait ce riche. « Balayez tous les livres ! » - auteur, auteur, le livre est plus sacré que le sang et la peau. Le Voyageur du Temps gifle à toute volée le primitif de l’an Dix Mille qui lui montre, sur une étagère, quatre livres en lambeaux.

    Il le gifle.

    Autre exemple :

    Soit un manœuvre. Il a roulé tout le matin des câbles sur un gros tambour. Il a en lui le vide des brutes.Il se plaint à midi du repas trop long, commente son dernier rouleau, évoque la manière dont il poussera le prochain : angle d’attaque,économie des forces…

    Il s’est fait expliquer Racine sur les marches du Muséum. Il éprouvait comme un reproche son absence de diplôme. J’aimais sa tête dure, sa façon de se mettre en boule, son aboiement perpétuel, sa corrosion, son rire.

    Il écrivait mal. Il cessa. Sa femme lui disait C’est l’écriture ou moi !

    C’est la condition humaine que tu nies ô femme de B., manœuvre. Et je lui disais moi, au manœuvre :

    « Un jour nous manifesterons contre la mort A BAS LA MORT sur les banderoles » et l’ouvrier B. riait avec moi de ceux qui patiemment comme lui-même empilaient les mots et les virgules : « Du haut de ces littératures... »

    Ou bien :

    « Le vent jette à la mer les vains feuillets de l’homme » - non, Saint-John le Riche, car Pharaon revit sitôt que tu redis son nom. Bibliothèques niches en étagères vos hypogées exigent l’attentat supplient après le viol : "Versez, versez le sang aux ombres d'Odysseus. Dieu ne reviendra pas juger les vivants et les morts je suis fier de faire partie de ce canular.

    Je lance en plein jour des appels de phare - pas de flics - faire l'important "Une nuit me rejoignit la fille de l'hôtelier" - depuis combien de temps ? ...passé à "Charriéras" où nous lirions l'histoire d'un homme qui porterait ce nom...

     

    *

     

    Eviter de montrer de la reconnaissance. Les dons des autres ne sont qu'une contrepartie à l'emmerdement qu'ils dégagent. Variante au Contrat social : chacun voyant avec horreur l'existence d'autrui conçut par là celle qu'il inspirait lui-même, et voulut s'en racheter par des offrandes : du pain, du lait. En retour il obtint du beurre, des fruits, de la viande. Ou de l'affection. De la guerre. Ainsi, et non autrement, naquirent les rapports sociaux.

    ...La tête qu'ils feront, les Autres, un jour, en se découvrant !

    Un jour nous flemmarderons en attendant la mort.

    Déplaisante intuition en lisant Rousseau : sitôt que l'on a reconnu ses torts, quelle fête pour les autres de vous accabler !...

     

    *

     

    Un jour, le sexe gisant sous toute chose se fit débusquer, nu, sans démonerie, et le beau Verbe vagabond reparut comme le feu qui couve. L'homme dit : Je reproche à la femme (...) - ses onanismes, dont nous la sauverions avec condescendance, et npsu n'éprouverions aucun plaisir, et comme un homme me suivait de près, j'ai décroché de mon tableau de bord un micro, afin qu'il se laissât distancer. Le magnétophone enregistre tous nos écarts, nous lui décrivons, faute de les transmettre, les parfums que nous sentons, "et le cul de cerFF blanc d’un chien haut sur pattes au galop ».

    Beauté sauvage des jeunes hommes à cyclomoteur.

    De St-Jean à Thiviers par St-Jory. Swann et Guermantes. Ma voix déplorable : « dans quelle mesure une attitude consciente est-elle une attitude vraie ? » La réponse est : « une attitude ».

    Masturbation intellectuelle.

    « Il se masturbe au volant : un mort » - « il se branle au volant et meurt » - j’hésite. Sans repère ici. Personne. Pas d’auto-stoppeur. Auto-stoppeuse ? tout faussé ; exemple :

    « Je vous prends à bord. Sinon vous feriez de mauvaises rencontres » - elle, dubitative.

    Variante : « Je n’avais pas vu que vous étiez une femme - au revoir  - (un soir je descendais le cours de l’Intendance, suivant une silhouette à longs cheveux blonds – merde une femme – je l’ai sorti ainsi devant elle après l’avoir doublée – son rengorgement digne m’occupe encore. Je dis :

    « Les auto-stoppeuses méprisent ceux qui les acceptent, car elle sont bien décidées à ne rien accepter » - un médecin peu soigner un désargenté, mais à celle qui peut payer, qui ne veut rien donner, il doit refuser ». Le cul des femmes est leur monnaie. Délire. Évaluer les villes en fonction des capacités bordelières. Limoges. Ou la main seule, comme elles font toutes. Cosi fan tutte. « Hôtel du Commerce et des Voyageurs » à Thiviers, pas de putes, les cloches au matin, l’ « impasse de Tombouctou ».

     

    * * * * * * * *

     

    Plaisir simple glisser dans l’ombre à petite vitesse, sans autre pensée que roues et jeux de bielles. Trajet somnambule. Branches. Ne pas aimer. Rester naturel. Ce dix juillet 1976, joué de l’harmonium à Oradour-sur-Vayres. Transporté l’enregistrement ers le nord, aux environs de Béthune parmi les chaumes, sur fond d’autoroute au soleil couché ; entre les arbres au ras de l’horizon, ultime éclat du ciel formant soucoupe, très effilée.

    Notre-Dame de… :

    « Je vous demande de vivre en état de perpétuelle exaltation. D’aimer, de trouver toutes mes actions extraordinaires, sans prétention de contrepartie. Que ce vœu soit exaucé ».

    Notre-Dame de la Perpétuelle Exaltation…

    *

    Oradour-sur-Glane n’est signalé que 10km à l’avance.

    Le guide pleure dans sa casquette : « Dans toute l’histoire de l’humanité... » - cherche bien, guide : cathédrale d’Urfa, Noël 1895 : mille deux cents Kurdes…

    Inscription sur un volet (photographie d’époque) : Fünfzig Mann – invariable, pour « cinquante hommes de troupe » ; il est donc inexact d’écrire que les bourreaux, dans leur mauvaise conscience, ont oublié de former le pluriel Männer. Apprenez l’allemand. Je ne défends aucune barbarie, je dis : « apprenez l’allemand ».

    Je me sens mal à l’aise. Mon corps se voûte. Mes coins de bouche s’abaissent. J’entends : « C’en est un, regarde, c’est un Allemand. »

    Soleil trop lumineux, trop propre. C’est les vacances. Les ressuscités se promènent. « Recueillez-vous » - « Recueillez-vous ». Au cimetière, je fais les calculs : morts d’Avant, morts d’Après.

    Quatre-vingt dix ans après sa naissance :

    MANIERAS dit SIMON né à Oradour le 10-7-1877

    époux de Marie Gautier, Léonie Baudif

    Ancien conseiller municipal d’O./Glane

    Ancien garde-chasse et pêche, régisseur pendant vingt ans, assermenté

    A reçu trois actes de probité pour avoir trouvé de fortes sommes.

    À l’âge de 67 ans a pris un engagement dans la milice patriotique comme caporal.

    Il a été bon père et bon époux, a su garder l’estime de tous, passant priez pour nous,

    au revoir à tous et merci, c’est Maniéras dit Simon qui vous cause.

    « Milice » ?

    À part les enfants vivants, je vois parfois de belles têtes d’idiots. Les photos des morts rongées par le temps finissent par ressembler à des crânes.

    Au mémorial souterrain, je me laisse émouvoir par les encriers de l’école. Ici, une résonance particulière donne aux voix le ton d’une prière ou d’un gémissement. Je sens les pieds, la sueur (des autres…).

    Des Noirs pètent.

    *

    Bellac. Panneaux « Paris ». Pauvres cons. (Près de Créon (Gironde) cet autre panneau « Espagne ! Pyrénées ! »)

    Celui qui a institué les congés payés aurait dû les assortir d’une interdiction de partir en vacances.

    Je fais du tourisme.

    Je t’en foutrais du bonheur pour tous.

    Du tourisme…

    Non mais.

    *

    Visage crispé.

    Les gens se paient ma tête.

    Se foutent de ma gueule.

    C’est plus commode.

    J’ai cinquante ans d’âme.

    ...Arrivée à Bellac.

    Je ne prie pas à la Collégiale. Je ne veux prier que moi. Bellac ressemble à ses prospectus. Même la libraire se fout de ma gueule. Même quand je souris. Plus loin :

    « Mon Dieu, que fait votre main dans ma culotte ?

    - Ça te changera de la tienne.

    *

    Tous les petits chemins possèdent une personnalité, une Belle au Bois qui n’attendait que vos pieds – comme à Monmadalès – sentier détrempé.

    J’écrase un papillon.

    Occidental au torse halé que je croise, qui te pousse, qui te force ? ...des moules et pis des frites et du vin de Moselle… nous habitons plus haut, les Belges sont des ventres d’égotisme, grand-maman de mon père – du belge dans mon sang.

    *

    Sur bande magnétique, je prends des poses. J’imagine que je parle, qu’on m’interroge, avec mon accent belge, je me récoute encore, enfant je me croyais coupable outre mesure et demandais pardon le soir à mes parents à travers le mur, ils me l’accordaient, dans une gêne extrême.

    Bien fait.

    Mon père :

    « La paix ! Je veux la paix. »

    Le canal de l’Édipe est bordé de bouleaux bien droits. Recherche d’un hôtel. Mon physique se dégrade de kilomètre en kilomètre. Ils ne m’accepteront plus. Demain, à Milly, se recueillir sur la dalle de Jean Cocteau. Son âme jadis m’a parlé, par le pinceau du phare à Cap-Ferrat, voici dix ans.

    Nom de Dieu dix ans.

    Nom de Dieu vingt ans.

    Il se prend des poses. Il demande ses routes. Les vieux croient qu’on se moque d’eux. Bien maîtriser ses expressions. Ses sourires sont mielleux car il se met à la portée des incultes. Cependant ne pas effrayer les gens simples.

    .La conscience de sa culture est la pire des incultures.

    Croisant un automobiliste, il fait blublublubb en tournant ses deux pouces sur les tempes.

    Conne de pucelle qui se branle sur sa selle à vélo.

    Les vieux entre deux cuites, les filles entre deux branles et un clocher casqué comme un archer godon, deux meurtrières aux yeux très rapprochés à la racine : St-Georges-des-Landes.

    Au bal d’Argenton-sur-Creuse

    J’ai rencontré un’ femme soûle

    Je l’ai fort bien consoûlée

    Lui ai fait la charité

    J’approche des frontières du Berry : je retiens mon souffle.

    Myope au point de klaxonner au milieu de la route une merde,pour la faire envoler.

    Voici la frontière entre 87 et Indre. Mon cœur bat. Instant dédié à tous ceux qui passent la frontière grecque en disant passe-moi le saucisson. Et cette haine passionnée des jeunes filles. Elle le font toutes. Au moins quatre fois par semaine,

    « Douze » rectifie-t-elle.

     

    Onze juillet 2023 Nouveau Style – ARGENTON-SUR-CREUSE / PRÈS PUISEAUX

     

    L’ennui sédimenté. Même en voyage. L’imprévu catalogué. Dès le matin. Parfois l’hôtel parfois la belle étoile : quelle aventure ! à l’hôtel on peut lire le soir.

    La route est républicaine.

    La route est égalitaire.

    Le cloporte aussi a le droit de voyager.

    Sur sa route il rencontre son infinité d’humains.

    Il jalouse les femmes qui ne baisent guère ou pas. Il engueule les hommes si ternes, stupides et sans espoir – vitres remontées.

    La route est un long ruban

    Qui défile qui défile

    Et se perd à l’infini

    Loin des villes loin des villes francis lemarque

    Et en forêt de Châteauroux PROPRIÉTÉ PRIVÉE de dessert vengeance vengeance

    une route où rien ne passe où rien ne se passe entre les haies, marcher marchons sans nous mouvoir sur le tapis roulant station Les Halles Plaine de Krasnodarsk puis une ferme au bout d’un champ d’éteules terre d’une pièce comme au Nord, qui monte, monte

    Demi-tour ALLÉE PRIVÉE

    Un papillon se bourre aux senteurs de foin

    Des prunelles me sèchent la bouche siccativo-buccales

    Je n’irai pas dans ton allée

    Qui mieux que moi respecte la loi

    Au moindre aboi de chien tu trembles

    Si un jour fusil au poing un assassines

    L’HUMILIATION SURTOUT L’HUMILIATION

    Fait-divers j’épargne sous mon pied le scarabée je fais parler le Châtelain

    Mon ami je vous ai engagé garde-chasse

    Gardez que nul ne pénètre céans

    Nous nous verrons pour instructions à prime sonnée

    Que ce soit tout

    Nous prendrons les distances ne pas oublier:Toute pensée qui vagabonde est un instant de travaillais

    La route rebondit sur ce toit barrant l’horizonjeune homme doré court en short, il est souple je double une foison de Mobylettes et si c’était mon frère nous transpirerions ensemble, comment, Monsieur de Montherlant était-on jeune en VINGT-QUATRE en TRENTE soyons sérieux cela ne se peut pas vous êtes tous devenus vieux je resterai jeune je n’ai jamais été jeunesse Voici des ombres Voici des oiseaux Tout paysage en état d’imminence (une route, une tête, toujours il doit s’y passer quelque chose – il ne s’y passe jamais rien – les souvenirs un jour monteront à l’assaut avec leur densité de choses je crée dans mon futur passé je croise un hobereau à tête noire rasée.

    Parfois seulement la rambarde s’incurve, départ de sentier, Propriété Privée plus on en tue plus il en pousse Que de promiscuité Châteauroux Arrivée Ville Fleurie

     

    X

     

    Bientôt le voyage n’agira plus. Terrible maladie de tête vide quand on ne lit plus, la faim, les fourmis.

    « Privé » - « Privé » - « Chasse » - « Chiens » - « Gibier »

    Je lis sur le dos le ciel entre les branches. Ikor est un auteur naïf. Le petit bois miteux. Les orties brûlées de sécheresse.

    « L’herbe dans le sous-bois ressemble à du fumier »

    (Hugo)

    (« ...mais où le promeneur cherche en vain le purin »

    Jour après jour je m’allonge, et c’est un baume, un chaos gris, des chips, le champ de maïs. Ne croyez pas les physiciens nous employons le tout de nos cerveaux pourquoi sinon tant de crétins pour un génie ? n’est-on que ce que l’on vous dit de faire merde les vaches ont trouvé le chocolat mais j’ai toujours de quoi lire ! écrire mais rien ne vaut le petit bureau

    Horrible révélation

    Voir un homme taper à la machine torse nu sur un sentier d’orties sèches, ça choque.

    Je tape à la machine.

    Je m’attache à la pine.

     

    X

     

    Bourges.

    Éviter J. à tout prix. Remonter par Mehun. Tout désert comme prévu.

    L’accueil manquerait de sincérité. De part et d’autre. J. - tu n’as pas compris – va te faire foutre.

    Je ne voulais pas dire ça. Excuse-moi.

    La radio joue une musique orientale. Je passe au pied du pylône d’Allouis – émetteur national de France Inter.

    Il avait tout compris, J. Nous étions tout trois dans l’auberge à Neuvy, lui, moi, Noémi. J. n’aurait pas dit non. Il avait mis tant de temps à répondre. C’étaient de longues étendues de forêts, de bruyères pouilleuses.

    Aujourd’hui en Sologne. Landes, déserts de terre blanche, sable entre Sud et Nord, nous étions trois sans nous parler, au « Bœuf Couronné ».

    Le volant cuit.

    Les papillons se viandent ou rebondissent. Adieu J. Pas une fois. Pas aujourd’hui.

    Si tu vas là-bas – vers le Nord…

    Un mot, jadis, dans la boîte aux lettres, sans réponse. En février jadis encore des photos sous la pluie. Noémi les a détruites. Persuadez-moi que je suis libre. Je dormirai seul, dans ma voiture – pas d’hôtelier – pas de cuisine.

    Chez moi c’est la même poussière – provisoire – depuis des années. Chez toi : tout est neuf.

     

    * * * * * * *

     

    Je retrouverai ma maison. Je mourrai. Ma belle-mère conservera les trois étages. Il me viendra un fils, un petit-fils, gendarme et colonel. Par la vitre une peau de banane.

    En déterrant jadis une mésange pourrissante, j’avais cru que les mouches avaient tué trois vieillards en un mois, aujourd’hui je vois, en Sologne, un peloton de cyclistes au dos nu, vertèbres arquées, luisantes, bloquées sous la peau.

    Quand j’ai pincé ma joue, cheveux sur le front, sortant la lève inférieure, j’ai suscité le rire des joueurs de ballon. Aubigny-sur-Nère : Son camping. Sa piscine chauffée. Son commerce – quelle honte… quelle honte… un lapereau aplati sur l’asphalte un bain de soleil à plat ventre – irrémédiable mort – mon père au bordel

    Sully-sur-Loire 10km mes pas sur tes pas

    Je me suis attardé à la fête foraine.

    La mauvaise humeur de mon père, son aigreur, son plaisir confisqué :

    « Vois-tu le bar Sully ?

    Je demande s’il y est déjà allé. Il répond mollement que non. En 70, le Sully existe encore.

     

    Je franchis pour la première fois la frontière de la Nièvre ! sur la Loire j’écrirais un poème – étrange d’aimer un fleuve – de s’élargir aux dimensions de l’eau – afin de l’étreindre, d’une rive à l’autre – immergé à fond de Loire.

    Traverser, longer, remonter, redescendre – de bouche en source

    La Loire est presque sèche, avec des bancs de sable triste, passant le pont les parapets la masquent tout entière et soudain – le peuplement change. Tout devient sérieux. Ça sent Paris. Je sens Paris d’ici comme un aimant. Cent kilomètres. Classe difficile. Je vous emmerde. Le prof rigole gras. Sort de son sac un gros rouleau de papier cul. Torchez-vous, mon amie, torchez-vous. Compensation bien mitonnée, en boucle. Ne jamais s’engager. Ma petite cuisine de vie bien au point à présent.

     

    Bouzy-la-Forêt.

    Personnalité perdue. Poteries. Villas. Lotissements, agences. Parfum de banlieue. Les vaches ne sont plus des vraies. Plus de vraie campagne – passé Sully, foin du Berry. Parlons de sexe. Lily en portait un à la place du cerveau. Mes cheveux sur mon front dessinent un sexe. L’androgynat est une maladie. Ses deux sexes sont atrophiés. On ne sait jamais. C’est une légende. Seul à seul je m’imagine femme. Nous allons fouiller tout cela. Fin de semaine. Circulation forte Provine-Paris. Une vache. Une buse qui part à la verticale. Je n’arrive plus à passer pour pédé. Paysage engagé – direction capitale – au sens de Sartre.

    Il va se passer quelque chose.

    Il ne se passe rien.

    Paris 34km. Paris 33. La Brie.

    Mon zob au milieu des blés.

     

    Troisième jour – TOURY / GUIGNICOURT

     

    Je me suis installé en pleins champs, pour voir venir. C’est précisément – je l’ai appris plus tard – ce qu’il ne faut pas faire. Le soleil n’est pas levé. Le ciel blanchit, le corps, de biais pendant la nuit, se dévrille. On peut donc dormir au milieu des champs dans sa voiture. J’entends les alouettes. Petit matin grande nature. Kein Mensch. Rien à voir avec le camping. Je mène une vie de cloporte. L’exaltation est mon seul recours.

     

    Ma vie de cloporte

    J’ai hâte de retrouver mes élèves. L’école est tout pour moi disait mon père. Ils sont la mesure de ma vie. Nulle hâte en revanche de reprendre ma vie conjugale. Mes élèves sont ma seule évasion, mon imprévu, mon aventure. Mais stagner jusqu’à la mort. Obligé.

    Changer d’élèves tous les ans.

     

    Séquence « exaltation »

    Nu. Chaleur. 5h1/2 du matin. Bâille et marche. Enregistreur, Fotoapparat, les oreilles et les yeux. Les alouettes toutes proches. Se diriger vers un buisson lointain en forme de chat, queue comprise, le grand ciel protège, rien n’arrive sous ce ciel.

    En forêt, si.

    Plus tard : appris le risque du vide.

    Vie consciente (« Sommet. Sommet. »

    Le chant ivre des alouettes. Ébriaque. Légion Sacrée de César. Légion gauloise. Iô, Triump’hé !Je suis seul à entendre crier. Cris de joie, entrecoupés, rires. Il règne une odeur de paille et de puberté, je suis nu, le froid maintenant se gagne, le buisson-chat devient drakkar – vue de drakkar arrière.

    Péguy non pas Péguy.

    À cette heure-là dans les lits combien de filles solitaires. La branlette de l’aube. Leur plaisir tiu ensemble entendu, un seul cri, une seule gigantesque cataracte. Je crie. Seul. Des gnomes sous les feuilles de betteraves. Je parle spontanément, puis je répète pour le micro. Deux photos de l’aube. Deuxième bande magnétique.

    Risible, moi ?

    Le soleil se lève sournoisement, sans cymbales, le vent tout juste chaud vient d’orient, porte les cris préhistoriques des alouettes. Cristal d’encens. L’onanisme fascinant des femmes. Pouce et index, la paume appliquée.

    Visions fausses. Visions vraies. Exhibez-vous.

    Angoisse que vous puissiez – sans témoin – sans garant – sans permission – je vous forcerais à pécher – nous nous purifierons – je vous rassurerais avec condescendance.

    ...l’accouderait sur la rambarde. Montrerait le liséré du slip sous le plissé blanc. Chercherait la phrase d’approche – ne te… ne te… - en capitales sur le rouleau de la machine

    JE VEUX VOIR UNE JEUNE FILLE SE MASTURBER

    Fait. Joui dedans. Rachetée. Normale. Comparution des préjugés. Les filles n’avouent pas. Plutôt la solitude à mort. Plutôt que de tenter le moindre geste. Vers nous. Vers tous.

    Toutes sous vitre, seules, autour, dans une vaste pièce à coussins, toutes les mains de toutes les manières et mêmes souffles. Même âge, mêmes cuisses aux méplats moirés. Cris sourds, vifs clapotis de muqueuses, accélération des phalanges, les hommes seuls éprouvent la honte, les femmes en plénitude, en innocence.

    Les hommes tachent.

    Les femmes s’évaporent.

    l’homme ridicule

    la femme à l‘apogée

    l’éjaculation comme on crache

    Griefs passés de saison. Panurge se vengeant de la dame de Paris a toujours fait ma délectation. Beauvoir : les femmes veulent attirer cela les flatte puis les mortifie d’où leurs provocations d’où leurs reculades mais trop de bonnes raisons trop de logiques Sur le ciment frais des toilettes je trace à la clé LES FEMMES NE PENSENT QU’À (…) -

    nous faire croire à l’amour ?

    Et de quel amour s’agit-il lorsque tu glapis, de l’autre côté du mur Chambre 1 de Civray la serveuse se branle lâche un feulement velu de basse bestiale – qui aimais-tu donc ?

    Femmes paraît-il tout comme nous, croyant les fables des Jésuites – ce Belge faraud qui me dit au volant « je la rejoignis la nuit dans sa chambre » - Bien peu d’élus Bien davantage qui se tirent la chair croupissante – aussi je ne prends jamais de femmes avec moi.

    Ou bien je la boude.

    Ou bien tiendrais ce discours Vous n’êtes pas bavard dirait-elle Vous penseriez répondrait-on que je vous drague.

    Les hommes ne pensent u’à ça ? Les hommes, en vérité ?

    X

    Le Belge et moi roulons dans la nuit tombante. Fantastique trouée, plaine jaune et silence. Un ivrogne à l’arrière chargé à Thiviers allait répétant

    Une femme sur mes genoux

    Me récitait des mots doux.

    Elle me prend par la queue

    Je lui dis « Pour moi très peu »

    Je lui donne trente francs

    Et la laisse comme deux ronds de flan…

    Je n’allais tout de même pas… poursuit l’ivrogne, indigné.

     

    X

     

    Villages trapus. Riches et graves. Dans le Midi, tape-à-l’œil, rupin factice. Par chez moi les bourgs sont gras depuis longtemps. Ils ont le goût, la suffisance, le poids. Secrets, réservés, difficiles. C’est mon pays. C’est la même plaine. Mes inspirations s’amplifient.

    Roi ne puis

    Prince ne daigne

    Je suis le Sire de Coucy

    Lu sur une tombe : KACZMARKZYK ;

    Premier bon vieux nom polonais.

    J’entre à Milly le douze juillet 1976, à huit heures moins le quart.

    Visite de Fontainebleau très froid, grand oppressement de ma fatigue. Le guide imbécile m’assomme, « glaces de St-Gobain, fauteuils de Boulle », pas un mots sur les évènements, salle après salle « Ici naquit Louis XIII » unique émotion.

    Les silhouettes raides dans les glaces. Une démarche raide, tête en arrière, adaptée au château, et non pas penchée, marrie, coupable.

    La dernière des gentilhommières périgourdines émeut plus que ces granderies.

    Trop de buis dans les allées, trop de panonceaux. Trop de villes.

    Melun.

    J’aimerais un petit village – une départementale m’éloigne des banlieues, jusqu’à Vaux-le-Vicomte, accompagné d’un concert Grand Siècle en radio de bord, je me suis agenouillé dans le salon où fut donné L’école des maris. J’avais bien pris garde que nul ne me vît. Exhibitionnisme envers soi-même. J’ai longuement regardé dans les yeux la Duchesse d’Orléans née de Bavière, femme du frère inverti du Roi. Et le bourdon reprit ses droits jusqu’à Provins.

    Rouler une heure d’affilée.

    Se rapprocher de son pays.

    Trois incidents pénibles ne figurent pas sur la bande magnétique.

     

    Premier incident

    Prenant de l’essence à proximité de mon lieu de naissance, (Mézy-Moulins, chez Boudin), je remercie le pompiste de m’avoir servi. Il me gratifie d’un Tu peux ! sur un ton de mépris absolument inimaginable. Sartre dirait que je ne peux m’en prendre qu’à moi-même j’emmerde Sartre.

     

    Deuxième incident

    Je me promène sur une petite route, à la rencontre d’un petit groupe d’enfants. L’un d’eux se détache pour me crier CON ! En plein visage. « Vous avez-vu ? Je lui ai dit ! Je lui ai dit ! » Sartre dirait que je ne peux m’en prendre – je conchie Sartre.

     

    Troisième incident

    Je me fais encore insulter par un débile mental qui mène ses trois vaches.

    C’EST UN CON dit-il en me voyant prendre une photographie de l’église.

    Allons ! Je suis bien revenu au pays.

    Inutile de répliquer. Et dangereux. Tout le village viendrait me postillonner sa vinasse à la gueule.

    Maison natale au lieu-dit Moulins très précisément. « Tout près du château d’eau » - mais encore…

    Est-il indispensable de préciser que je n’ai pas la moindre envie de demander le moindre renseignement que ce soit.

     

    Mes retrouvailles avec Buzancy, dans le Soissonnais, où j’avais six ans – où j’ai reconnu, à la lettre, charnellement reconnu l’œil-de-bœuf au pignon de l’école, ne figurent pas davantage sur la bande magnétique. Même les Cahier Bleus de Troyes ont refusé mon texte.

     

    X

    Pour le village de Q., j’ai acheté une cassette neuve. Je me sis fait rouler par le marchand, qui clignait de l’œil vers son fils tu vois comment on roule un con ?

    Mon pays vous dis-je. Sartre, ta gueule.

    Vous ne connaissez pas le village de Q. Même l’initiale est modifiée. Et moi je joue avec le feu. Mon père a vécu là. Humiliés et offensés.

    J’ai vécu enfant ces humiliations-là.

    Faubourg St-Crépin. Ma main sur le grillage. Un gosse me crie T’as pas bientôt fini connard ? Quatre ans. À cet endroit j’ai inventé le roi Michel II : au départ du pont sur l’Aisne juste reconstruit. Je m’imaginais plongeant sous la glace afin de sauver mon ami. Voici la ferme où jene sais quelle bonne femme s’est précipitée vers moi, haineuse et furibarde, pour m’empêcher de voir une vache mettre bas : C’est pas un spectacle pour toi !

    La bave aux lèvres.

    Je ne devais m’en prendre qu’à moi-même.

    Au faubourg St-Roger vivait Hélène Grain.

    Je faisais cette route à tandem avec mon père. Je vouais ma journée au Saint-Esprit.

    1. est vite arrivé.

    Rien dans ce nouveau lotissement pimpant ne rappelle ce bled où les conseillers municipaux entraient en zigzaguant à la mairie ; Soissons s’agrandit.

     
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    C O L L I G N O N 1

    A R T I C L E S

    É D I T I O N S D U T I R O I R

    Semper clausus

    LES ÉGRÉGORES - LE MAÎTRE DU JOUIR

     

     

    Remarquable contrepied conceptuel dans l'utilisation du matériau théâtral : les Ègrégores, dans Le maître du jouir, représenté pour Sigma en fac de Lettres à Talence, se sont livrés à une démonstration particulièrement convaincante de leur capacité à inverser leur projet scénique.

    Alors que dans Jules César de Shakespeare ils avaient servi avec générosité un texte aussi luxuriant dans sa problématique explicative que dans son foisonnement poétique, La Maison du jouir (c'était celle de Gauguin aux Marquises) met en scène une dramaturgie d'où la phrase et le mot ont été aussi délibérément éliminé que dans le cinéma muet.

    Vêtu d'un improbable costume de marin-explorateur fin de siècle à la Francis Garnier, le protagoniste, rompu à la pratique des arts martiaux, construit dans son espace une relation au corps particuiièrement expressive, dans un effarement permanent. Or cet espace est celui d'une Asie fantasmée, avec ses femmes européennes ou indigènes aux faces resserrées dans des bas de soie remaquillés, son étincelant dragon au corps intérieur hérissé de perches, ses béquillards clopinant qui défilent devant la providentielle pharmacie de campagne de l'Homme Blanc – ses marionnettes géantes ou phalliques.

    Qu'il s'agisse ou non de Victor Segalen importe peu, dans la mesure où nous autres Longs-Nez reconnaissons nos fascinations pour l'incompréhensible Asie, nos attirantes frayeurs : l'Asie est une femme qui s'offre et se refuse, une pelote griffue qui s'agrippe et qu'on viole, entre fumerie d'opium et cimetière au sol trop vert, trop fluo, et ineffablement spongieux.

    Nous assistons de l'intérieur, de notre intérieur, au déploiement inévitable et envahissant de notre quincaillerie sexuelle occidentale, sans pouvoir échapper à nos délicieuses terreurs, hétéro- ou homosexuelles, imbibés que nous sommes par les délices du pays de Chine tout autant que pollueurs par le fait même de nos imaginaires projetés comme un venin délétère.

    Ce qui constitue l'originalité de ce spectacle consiste en un remarquable travail d'expression

    LES ÉGRÉGORES - LE MAÎTRE DU JOUIR 2

     

     

     

     

    corporelle, à un niveau qui s'apparente à la chorégraphie : ce que l'on appelle "construire un masque", ou une "figure" : chacun maîtrise un répertoire à la fois précis et variable à l 'infini à partir de schémas soigneusement caractérisés.

    Utilisation parfaitement pertinente aussi dans le décor des couleurs flashantes – enfin omniprésence inséparable, consusbstantielle, d'une bande musicale et parlée transportant l'auditeur dans une Asie refantasmée jusque par l'oreille – La maison du jouir présentée par la troupe des Égrégores a su démontrer dans l'irrévérencieuse continuité de son inspiration la capacité de surprendre et de captiver un auditoire, qui exprima in fine sa très vive reconnaissance.

    HARDT VANDEKEEN PARA-CONSPUATION 2043 3

     

     

     

     

    Conspuation : beau titre. L'hiatus en [üa] figure si bien le mouvement des lèvres pouor "sputer", pour mollarder, que l'on se prend à regretter la bonne vieille langue des huées : "Cons-puez Tar-dieu ! Cons-puez Tar-dieu !" - dans Les Thibault, je suppose ?

    Beau titre. Mais ensu-ite, bien des choses se gâtent ou s'approfondissent. Les maux sont bien vus, les causes à mon sens mal dégagées.

    Qu'il soit bien vrai que la littérature se meure est à démontrer : la chose se dit depuis qu'il y a des littératures, et Voltaire et Goncourt s'en sont plaints à leur tour et à leur époque ; cependant j'y inclinerais davantage, considérant l'abandon de la lecture, qui n'est pas, comme les commentateurs en chipotent, un phénomène de mode, mais de masse, et sans qu'il soir besoin d'attendre sur x décennies les données de Dieu sait quelle extrapolation statisticienne...

    Rappelont tout de même que Diderot tirait à 700 exemplaires dans un pays d'illettrés... Moi aussi j'ai crue morte la littérature, tant que je n'étais pas publié ; à présent que je le suis, elle me semble se porter beaucoup mieux. Quoique...

    Le fléchissement des mœurs littéraires (et non de la quantité des publications) semble procéder, comme dit Christophe Manon, d'un excès de commentaires ; la littérature étouffe sous la glose. Mais il ne s'agit là que d'un phénomène universitaire ! Quel texte n'a pas été, dès l'origine, glosé ? J'aimerais bien qu'on me glosât... Tout crève plutôt de ce que le critique est aussi, pour sa part, un littérateur – ce qui ne serait encore que moindre mal, si ne venait se greffer là-dessus un jeu de renvois d'ascenseurs...

    Ce qui semble bien plus grave, déjà relevé par Loyen dans La littérature latine tardive, c'est que désormais des professeurs écrivent pour des étudiants et vice-versa, reconstituant le cercle infernal non seulement de la basse latinité, mais de toute la littérature en latin du Moyen Âge. Nous sommes un futur Moyen Âge. Ne l'oublions jamais.

    Le drame est que le peuple, par essence, ne saurait s'intéresser à la littérature. Et qu'il n'existe pas de bon vieux temps – sauf peut-être dans l'Athènes classique. Que celui qui a des yeux, lise, et après nous le Déluge.

    Qu'il nous soit permis pour finir de soigneusement distinguer, chez BHL et chez Sollers, ce qui ressortit au masque médiatique et ce qui relève de la littérature. Que BHL fasse le clown à Sarajevo n'enlève rien à l'excellence de son style oral – Les derniers jours de Baudelaire, sauf le chapitre trois, où la patte du nègre est bien visible, forme un pénible contraste avec les embrouillaminis de je

    HARDT VANDEKEEN PARA-CONSPUATION 2043 4

     

     

     

     

    ne sais quoi "à visage humain" et de la Défense des intellectuels. Bizarre, non ? Même observation chez Sollers, bien qu'il crache dans la soupe, c'est-à-dire sur les femmes – quelle platitude... Il n'aurait plus manqué que Duras, pour parfaire la trilogie des Cibles Obligées. Mais ces trois-là ôtés, qui reste-t-il ?

    Car s'il fallait vraiment taper sur les masques médiatiques de Breton, de Sartre ou de Malraux,une bibliothèque n'y suffirait pas...

    C'est tout pour aujourd'hui, Manon, Yann Houry, mais nous aurions tant de choses à nous dire... Poursuivons au marteau-piqueur, pas toujours au même endroit, mais hardi, bicepsons, bicepsons...

    ÉCRIRE ET ÉDITER Février-Mars 2049 LE SINGE VERT , BRÛLE LES PLANCHES 5

     

    Monsieur Grybouxe,

    Vous me demandez à quel titre vous recevez le Singe vert. Air connu. Je pourrais vous répondre que c'est comme ça, publicitaire. Mais ici vous êtes personnellement visé, mon cher. Vous êtes en effet auteur dramatique. Et franchement, regardez-moi bien dans les yeux, sans rougir : vous ne vous sentez pas un peu, un tantinet gêné, juste un peu à peine, de lire parmi la foule en délire la belle banderole du Théâtre Bordel, l'affiche de la saison de l'année ?

     

    * * *

     

    "Euripide, Claudel, Grybouxe- Corneille et Beckett" ? Ça ne vous choque pas quelque part ? Vous pouvez toujours mettre un pied devant l'autre, avec vos chevilles enflées jusqu'aux couilles ? "M.Grybouxe, hauteur dramatique". Moi non plus, certes ! , je ne me prends pas pour de la Scheiße, mais franchement, là j'aurais ressenti comme une insulte. Qui pourrait penser que je m'estimasse suffisamment niais, sufisamment retors, suffisamment pucelle, pour tolérer que mon nom figurât LÀ, en si prestigieuse compagnie ? Ou alors (car j'ai ma bonne dose d'hypocrisie moi aussi) en petits caractères en bas à droite, pour que ça se détache mieux, que ça fasse bien ressortir mon ignominie minuscule ?

    Et que ça se permet en plus de faire une petite conférence modestissime sur "Grybouxe réunira ses amis et ceux qui l'apprécient sans le connaître, son œuvre et son – attention ne pétez pas s'il vous plaît – son UNIVERS ? Et moi alors, je n'en ai pas un non plus peut-être d'Univers avec mes 30 volumes dans le placard ? Et ça laisse répandre sur son nom qu'"il est la modestie et la gentillesse incarnées " ? Et cet autre qui laisse imprimer dans sa préface qu'il est modeste ? Mais j'ai

    le sens du ridicule Môssieu, j'ai la dignité de mon ridicule, moi, et si quelque thuriféraire poisseux venait à préfacer Mon Œuvre en faisant allusion à ma modestie, je l'attaquerais en diffamation (si j'avais le pognon) mais je ne tolérerais pas qu'un ami me foute le pavé de l'ours à la gueule ( - C'est quoi, le pavé de l'ours ? - Ta gueule, va faire du rap).

    Et que je t'intrigue dans le torchon local, et que je te dégomme une interview dans Bordel-Chieronde, et que cet autre encore fasse sa conférence (encore) sur le thème de l'exclusion et de l'exil, parce que le mot exclusion figure à la page 44 et que tout écrivain vit métaphoriquement en exil... Je vous le répète, il n'y a que les intrigants, que dis-je, les adaptés en société, les gens

    normaux, les gens comme tout le monde qui se font éditer et connaître. Il vendraient des frites ou des capotes en argile (en glaise, waf waf !) que ce serait idem.

     

    ÉCRIRE ET ÉDITER Février-Mars 2049 LE SINGE VERT , BRÛLE LES PLANCHES 6

     

     

     

    * * *

     

    Mort aux faibles, on vous dit. Bien sûr que j'aimerais aussi faire des ronds de jambe sans me casser la gueule, ou bien simplement civilisé en Société, le beurre et l'argent du beurre, mais la logique je l'emmerde, dès que je l'ouvre c'est pour dire une connerie, on me l'dit depuis tout petit ! (remarquez, certains ont l'air con sans même ouvrir la bouche...).

    Marius, le grand général romain ( - C'est qui, ce con ? - Ta gueule, va faire du reggae) n'ayant pu se faire accepter par la noblesse se tourna vers le côté populaire. Le Singe Vert pareil. Putain tu viens encore de fausser la glace...

     

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    ÉCRIRE ET ÉDITER Août – Septembre 2049 LE SINGE VERT ET LE BON DIEU PASSE 7

     

     

     

    Pour faire une bonne dame patronesse... chantait Jacques Brel. Et pour faire un bon écrivain à succès, que faut-il ? Caleçon les bons ingrédients ? Je vais vous le dire : il faut être Dieu. Carrément, c'est-à-dire comme chacun sait (il me le disait encore l'autre jour) le point d'intersection où les contraires se résolvent, s'annulent.

    Tout à la fois être superbon et superdégueulasse. Non pas travailler avec acharnement dans son coin, comme essayent de nous le faire croire tous ceux qui veulent engluer les éternels puceaux que nous sommes – "Dix conseils pour éditer", c'est de qui cette rubrique à la con ? Ni "avoir de la chance", ce qui est une explication de mes couilles (le Singe Vert, c'est comme Bigard : c'est pas drôle mais le seul procédé comique consiste à se demander quand est-ce qu'il va enfin lâcher ses couilles ; à ce moment-là toutes les mémés rigolent et c'est parti) du style pourquoi le pavot fait-il dormir – parce qu'il a une vertu dormitive... voilà ce qu'on enseignait en faculté au Moyen Âge, lecteur : la vertu dormitive du pavot – beau titre, d'ailleurs...

     

    X

     

    Non. Il faut pour réussir aimer les gens, passionnément, se fendre en épanchements (ça c'est du Joseph Prudhomme), larmoyer sur l'extraordinaire nature humaine, aimer la vie, les femmes, les cacahuètes et remercier Dieu tous les jours d'exister, le cœur sur la main et la main dans le portefeuille. Et puis constituer autour de soi une petite camarilla. Dire toujours du bien de soi, comme le conseillait Marcel Achard, parce qu'après ça vous revient et qu'on ne sait plus de qui c'est parti.

    Et un petit peu de La Bruyère tant qu'on y est : "Le talent, la vertu, le mérite ? Bah ! soyez d'une coterie." On peut la fabriquer soi-même avec plusieurs spécialistes d'ascenseur. Signature à Paris (le pied-à-terre à Paris est ri-gou-reu-se-ment indispensable) : Oh bonjour Michtroume, comment ça boume ? J'ai lu ta fable, c'est formidable ! Salut Dubreuil, j'ai lu ton recueil, c'est formideuil ! Ave Troudük, j'au lu ton truc, c'est majuscule ! - à grand renfort de moulinets de bras.

    Et par derrière, mon vieux, il faut coucher utile, politiquer utile, se faire des relations utiles ET sincères, perversion suprême exactement semblable à celle des putes qui se mélangent tellement les pinceaux, les pauvres, qu'elles s'imaginent être aimées à proportion de l'argent qu'elles reçoivent...

    Et balancer impitoyablement les gêneurs, les anciennes connaissances, bien leur faire

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    ÉCRIRE ET ÉDITER Août – Septembre 2049 LE SINGE VERT ET LE BON DIEU PASSE 8

     

     

     

    comprendre qu'un tel "ne correspond plus à l'esprit de la boîte", mais sans lui dire pourquoi surtout, de sorte qu'il se ronge bien jusqu'à l'os d'autocritique, façon Inquisition, façon Staline : mais qu'est-ce que j'ai bien pu foutre ? Bref, tu dois être un parfait ami de l'homme, à t'embuer lesyeux devant la moindre salade de fruits jolie-jolie-jolie, "une si merveilleuse sensibilité humaine !" et, EN MÊME TEMPS, le plus sincèrement, le plus innocemment, le plus inconsciemment du monde, être le plus parfait des salauds froids.

    C'est pourquoi, en vérité, je vous le dis, pour devenir écrivain (peintre, musicien) à succès, il faut retenir et résoudre à la fois en soi tous les contradictoires, c'est-à-dire être marqué du Signe de Dieu, du Signe Prédestiné de la Gloire de Dieu, ÊTRE Dieu. Sous ce signe tu vaincras. Amen.

     

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    ÉCRIRE ET ÉDITER AVRIL-MAI 2050 “LE SINGE VERT FAIT SON NUMÉRO” 9

     

     

     

    Il était une fois une petite revue ridicule, banale et inutile (c’est fou ce qu’on peut encourager les nouveaux talents) qui aurait bien voulu obtenir son ISSN (International Standard Serial Number) comme tout le monde, comme les grandes. Facile, pensa le dirlo-rédac-chef : puisque c’est obligatoire ! Il demanda donc conseil à un directeur de revue, bien connaisseur, bien docte, qui lui dit doctement qu’[il] ne l‘aura[it] jamais,son ISSN, parce que (moue condescendante, air de s’en foutre, suggestion de s’en foutre également pour soi, tout cela a si peu d’importance, les grands hommes vont chier comme tout le monde) la no

    uvelle revue coûtait zéro balle donc valait peau de balle, traitant de conneries sans rapport avec l’actualité – par exemple les Phâmes, l’Enseignement, le Moyen-Orient, thèmes ringards qui comme chacun sait n’ont aucun, mais alors absolument aucun rapport avec ladite actualité – alors que la Khommission d’Hâttribution n’est-ce pas se montrait très, très, très sévère pour accorder ladite immatriculation.

     

    * * * * *

     

    Moi, impressionné, je gambergeais, me disant qu’il était tout de même bizarre qu’un numéro obligatoire fût si difficile à obtenir ; mon interlocuteur m’exhibait donc TRÈS, TRÈS négligemment des papiers TRÈS, TRÈS sérieux, avec une en-tête sur plusieurs lignes bien bien serrées, pour montrer que lui, n’est-ce pas, Directeur d’une Revue Très Sérieuse (DRTS) n’avait pas obtenu son numéro, de telle sorte que moi, avec ma feuille de chou minable (« mais qui veux-tu que ça intéresse, Toi parlant de Toi, ppfff... »), je ne pouvais tout de même pas envisager d’avoir l’immonde toupet de prétendre à une distinction si abracadabrantesquement honorifique.

    Jusqu’à ce que je consultasse l’Excellent ouvrage de Jean-Jacques (pas Rousseau, l’autre) appelé La Revue mode d’emploi, qui m’apprit que le numéro était effectivement attribué au-to-ma-ti-que-ment, quel que fût son tirage, son intérêt et surtout – ah!surtout ! - l’Hinvestissement Phynancier du Kréateur (je suis lourd, mais je vous emmerde). De fait, en écrivant directement à la Bibliothèque Nationale, tedeguenezdéguévoudougoubiendinguin, j’ai obtenu enfin, au n°49, mon ISSN, de haute lutte par retour du courrier, après avoir croupi quatre ans dans l’illégalité la plus ordurière. Comment se fait-ce comme on dit au club ? Eh bien tout simplement parce que mon interlocuteur m’avait parlé de CPPAP rue St-Dominique, me faisant confondre l’un avec l’autre, pour que je ne reçusse pas l’estampillage.

    Nous appellerons cela de la rétention d’information, ni plus ni moins que dans ces entreprises à la mords-moi l’nœud fustigées par *** - au demeurant le meilleur ami du monde, on s’est encore fait une bouffe dernièrement.

    Ce que je ne suis jamais arrivé à savoir, en revanche, c’est la raison pour laquelle Ma revue (tombons le masque) doit obligatoirement fournir 2 (deux) exemplaires à Môssieur le Procureur de la République et 1 (un) à la Préfecture – avec sec rappel à l’ordre si je m’abstiens – tandis que la Revue de l’Autre n’a jamais eu besoin de ça, pfff… Sans doute y a-t-il d’un côté des revues qui savent se débrouiller, et de l’autre les revues qui ne savent pas se débrouiller – du moins sans le Calcre - « tous des cons ». Mais ça fait longtemps que la France est le pays du « deux poids deux mesures ».

    Le Singe Vert, ISSN : 1638-2625, et toc.

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    ÉCRIRE ET ÉDITER JUIN-SEPT. 2003« LE SINGE VERT A SES TÊTES DE TURC » 12

     

     

     

    Traduttore, traditore. Il n’y a pas que les traducteurs pour être des traîtres, comme le dit ce proverbe italien aussi connu qu’intraduisible. Mais aussi les éditeurs (tenez, l’Atelier du Loup, rue du Général Mollard à Luxembourg – bien sûr j’ai tout transformé, eh, pelure!) ici visés en la personne de Mme Vrai-T’as-Faux - « qui se sent morveux qu’il se mouche » (j’adore les vieux proverbes). Vous me direz que les tuiles, je les collectionne. Parfaitement. Tête de con, c’est tout un art, c’est pas tout le monde qui peut se le permettre.

    N’oubliez jamais, éternels blackboulés, que les Aûûûtres, vous savez, ceux dont tous les médias vous disent le plus grand bien – jusqu’à l’excellent Cyrulnik (hélas!) qui vient vendre sa soupe à Tout le monde en parle – les Aûûûtres savent vous jurer leurs grands dieux que vous affabulez. Le parano, c’est toujours vous. Con, baratineur, ridicule… Et aussitôt après, sans s’embarrasser de la contradiction, les Aûûûtres vous avisent que c’est vous (la victime) qui avez tout fait pour que ça arrive, et que franchement, hein, vous avez le plus grand tort de vous plaindre. Mais les Aûûûtres sont des cons. Les éditeurs de textes étrangers en l’occurrence (devise de la môme Vrai-T’as-Faux).

    *

    Bon j’explique. Je confie un texte sur Tchipitoglou Mamatiki (c’est une poétesse turque – eh oui, le Singe Vert, quelque temps résident au bord du Bosphore, a appris le turc). Son nom signifie « confiture dans le vagin », c’est dire le niveau lyrique et loukoum des textes. Je l’ai connue personnellement mais pas bibliquement (y a des limites). Nous échangeâmes six ans (six ans!) de correspondance de retour d’exil (quoique pour moi l’exil fût plutôt de rentrer en France), durant lesquels elle me conseillait sur telle nuance, nous discutions tel sous-entendu, telle ineffable subtilité. Et pas question de traduire « une mer de blé » même de mot à mot, à cause du mot merde si souvent ouï de mes oreilles incrédules place Saint-Sulpice (et en anaphore par-dessus le marché : «Mer de ceci, mer de cela... »).

    Le français est une langue délicate, bande de cuistres sorbonnicoles. Traduire un poème, Grosbœufs, c’est impossible.

     

     

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    ÉCRIRE ET ÉDITER Décembre-Janvier 2051 PRÉFÈRE LE SPLEEN À L'IDÉAL 6

     

     

     

    Il n'y a pas (y a-t-il ?) de sottes lectures ? Le cadre professionnel d'une constante remise à jour – la lecture perpétuelle étant à l 'enseignement (mon métier defainéant) ce que la barre est à la danse – m'amène à découvrir un texte de Sartre sur Baudelaire. Un peu tard "dira quelque sage cervelle" (La Fontaine) mais "la chair est triste, hélas ! Et j[e n]'ai [pas] lu tous les livres".

    J'en profite, tirant tous azimuts, pour clore la gueule à ce ponte qui me prédisait les pires remords sur mon lit d'agonie pour ne m'être occupé, ma vie dupont, que du passé, alors que SKISFÈMAINTENANT a tellement plus d'importance...

    Le passé n'est pas mort... Et j'en apprends bien plus sur le monde actuel en relisant mes vieilles bibles sur la Chute du Monde Romain qu'en oyant les dépêches de FoxTV.

    Bref : Sartre sur Baudelaire, ça te concerne encore, et pour toujours, si tu n'es pas dans le casting de Nice People. Sartre, comme d'hab, se gargarise de sa petite philosophie pour classes de terminales selon laquelle chacun de nous est exactement libre et responsable de son destin : "Nous chercherions en vain une circonstance dont [Baudelaire] ne soit pleinement et lucidement responsable."

    Sur l'excellence poétique, pas un mot. D'ailleurs Flaubert lui aussi n'était qu'un sale bourgeois profiteur qui n'a pu écrire ses petites merdes démodées qu'en se faisant entretenir par sa nièce. Ho Mais ! C'est futé, Jean-Paul, c'est de goche, et sans accent circonflexe. C'est toujours le vieil air ranci, des gauchistes les plus besancenotto-puceautiers aux vieux droitiers les plus goitreux : c'est la faute à çui qui se plaint, c'est la faute à la victime. C'est la faute à Bauelaire si sa mère s'est remariée illico, syphilitique, opiomane (pas tant que ça) ; tourmenté, torturé, bafoué par les bourgeois, spleenétique, et traîné dans la boue pour immoralité (la même année que Flaubert, pour sa Bovary ; encore un qui l'avait fait exprès, pour se faire plaindre). Tout fait pour.

    Sa faute onvous dit, entièremetn sa faute ! Si les juifs etc., ils l'ont bien cherché ! Et allez donc ! "Il a (Baudelaire) refusé l'expérience, rien n'est venu du dehors le changer et il n'a rien appris" – vas-y mon pote !

     

    Parce que d'après Sartre et les sartrillons, votre expérience vous forme, tas de cons ! Vous recevez un choc C, vous devez avoir une réaction R, et plus vite que ça ! Ta femme te trompe, donc tu ne l'aimes plus ! Tu te goures, donc tu laisses tomber ! Évident !

    Enfin ! C'est quand même pas sorcier d'être libre ! Gros malin : "[l]a vérité [que] le choix libre de l’homme fait de soi-même s’identifie absolument avec ce qu’on appelle sa destinée” ! Par-dessus bord Œdipe, par-dessus bord, l’ambiguïté, par-dessus bord, l’impuissance, par-dessus bord, la différence des tempéraments ! Il faut réagir, c’est jeune, c’est obligatoire, c’est moderne, c’est tendance.

    Ça ne t’est jamais arrivé d’être paralysé, pauvre péteux, de savoir très exactement ce que tu aurais dû faire. “Je vois où est le bien, et je ne peux pas m’empêcher de faire le mal”, je ne me souviens plus si c’est Diderot qui l’aurait piqué à saint Augustin, le fils de sainte Monique, trois qui la tiennent, pour devenir un homme libre. Devenir Jean-Paul Sartre par exemple, et tout à fait par hasard ! Sartre a donc démasqué ce planqué de Baudelaire ! Alleluiah ! Il a piétiné son cadavre pour le faire entrer dans son petit cercueil à ses petites mesures philosophiques du Havre à lui, dans son lit de Procuste ! - t’occupe, va faire du rap…

    Baudelaire n’a pas su évoluer, ah le con ! Ben, si vous en connaissez beaucoup, des cons comme Baudelaire, vous m’en remettrez une tonne, je suis preneur.

    COLLIGNON ARTICLES

    ÉCRIRE ET ÉDITER FÉVRIER-MARS 2051 LE SINGE VERT SE BROUILLE L’ÉCOUTE 8

     

     

     

    Pour se promouvoir coco, il ne faut rien négliger : la radio, justement. Tu repères une émission littéraire et tu lui envoies un CD de derrière les fagots, où tu réponds aux questions de ta gentille dadame qu’est ta copine mais que tu vouvoies pour faire sérieux. C’est moi que j’ai recevu le disque, avec le petit laïus introducteur sur « les petits jeunes qu’il faut pousser ». Déjà moi, c’est les vieux que je promeus. Courageux mais pas téméraire, je parle de Molière et du Corps de Roland.

    Imaginons un instant avoir les archives filmées d’un Céline ou d’un Proust interviewés jeunes : mais c’est fini ce temps-là mon pote ! Des Proust et des Céline y en a des paquets, ils encombrent les quais de gare de province. On fait le pari que certains d’entre eux entreront plus tard dans le panthéon des grands écrivains – ce serait dans le pantalon, encore… Mais y en a plus de grands écrivains, et ceux que tu me présentes, plus ils sont raplapla et comme tout le monde, plus ils s’en vantent !

    Et que je te découvre à l’audition une de ces petites paires de prétentieux, tout péteux tout modestes, l’air d’avoir déjà à trente ans passés passé sa courte existence devant les micros, et que je te disserte sur « mon œuvre », et que je m’étale avec énormité : Ma vie ce n’est pas d’écrire ; je mène une vie comme tout le monde, il faut sortir, voir des gens, c’est ça qui l’emporte sur écrire. Cette rage qu’ils ont tous, les homos comme les originaux, d’être à tout pris « comme tout le monde », au cas où la supériorité ferait de l’ombre à Monsieur Dugloupf.

     

    Si c’est pour être comme tout le monde, je ne vois pas la nécessité d’écrire. Attends, autre perle : si je devais souffrir pour écrire, je cesserais d’écrire. Youkaïdi haïdi haïda. C’est aui ces guignols ? Je les ai écoutés tous les deux : parole, ils ont la même voix, les mêmes intonations de premiers de la classe, mêmes protestations de modestie et de conformisme.

    Déjà et d’une ils ont édité chez Galligrasseuil, chez Flammedefion ou chez Juju. Quant tu en es arrivé là, tu peux te reposer, il paraît que non, en tout cas ce n’est pas moi qui vais promouvoir ces intrigants de salon. Tous ceux qui savent vivre, aimer, converser, se trouver à 30 piges un copain cinéaste pour reprendre leurs écrits, je les emmerde.

    Ils aiment leurs éditeurs qui leur dit ce qui correspond à eux-mêmes et ce qui n’y correspond pas, c’est du sous-sartrisme ma parole, les autres vous connaissent mieux que vous-mêmes ; je n’ai jamais pu suivre le quart du huitième du moindre conseil, souple comme un verre de lampe, trop peur de me renier, il faut que ça vienne de moi-même autrement va te faire keuneu, je ne comprends COLLIGNON ARTICLES

    ÉCRIRE ET ÉDITER FÉVRIER-MARS 2051 LE SINGE VERT SE BROUILLE L’ÉCOUTE 9

     

     

     

    pas comment on peut obéir à des injonctions, même amicales, venant d’un éditeur avec une calculette à budget à la place du cervelet.

    Me casser la gueule soit, mais de haut. Et puis je n’aime pas ce qui bouge, ce qui est jeune, ce qui est vivant. Je n’aime que les vieux, les déjà morts, la poussière, et la petite couronne de gloire là-haut dans les cieux. Ridicule. Prétentieux. Original. Narcisse et répulsif. Tant mieux. Moi je ne trouve jamais quoi leur dire aux autres. Au bout de dix minutes je regarde ma montre, c’est quand que tu dégages ?

     

    Le pire c’est qu’ils écrivent bien, qu’ils parlent bien, ces petits gonzes interchangeables et propres sur eux, sûreté de soi, lucidité, maturité, compétence, c’est quoi ces zozos ? Ces préformatés ? Qui ont appris « leur métier »? Alors écrivain c’est un métier comme un autre ? Et les complexés ils font quoi eux ? Ils prennent du Prozac ? Du Viagra ? Quoi les petits nouveaux ? Toujours jeunes et déjà quinqua ? Toutes les cartes en main alors ? Y en a même un qui chante ! Avec une copine qui joue de la guitare! Voulez-vous me cacher cet amour de la vie, avec son bout de queue qui dépasse ?

    Allez les petits jeunes, et bonne galère quand même ! Agagah…

     

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    ÉCRIRE ET ÉDITER Février-Mars-Avril 2052 JUSTICE PARTOUT, JUSTICE NULLE PART 9

     

     

     

    C'est facile je vous jure de couler n'importe qui sous n'importe quel prétexte : un prof, un sauvageon, une petite entreprise fraîche et joyeuse. Vous faites valoir que les réunions se font par téléphone, vous montez en épingle les rapports tronqués avec bénéfices quasi nuls, alors que vous savez pertinemment (c'est l'éditeur lui-même qui vous le jubile) que la boîboite sort trois books par mois ; et que vous avez placé une brique dans le capital pouor que ça vous rapporte paraît-il au prorata des bénefs, pour vous ça fera zéro zloty zéro groszy fautilovski vous l'envelopper ?

    ...Sans oublier que le pauvre éditeur vachement à plaindre vous a soigneusement niqué la diffusion sans oublier de promouvoir celle des autres sans un centime de droits d'auteurs (les sept cents premiers exemplaires pour que dalle vous connaissez la chanson) TOUT EN s'offrant des voyages professionnels à Paris ou Verdun "payés par la maison" – je ne suis jamais arrivé à piger comment on peut être à la fois personnellement fauché avec une société prospère yop'là boum – faut croire qu'il y a d'étranges phénomènes de porosité tout de même, malgré les HURLEMENTS vertueux des gestionnaires – tiens t'en v'là du pognon miraculeusement surgi pour les stands au Salon du livre, pour loger les écrivains à l'hôtel – les droits d'auteur que dalle et peau de balle on t'a dit t'es sourdingue ? C'est tout de même un peu fort et si je peu me permettre – un brin mystérieux.

    Je vais t'en couler des boîtes moi, par paquets de dis. Là-dessus interviendra un baveux (avocat...) qui vous démontrera que non seument vous n'y connaissez rien, mais que vous avez eu tort de poser la question,

     

    COLLIGNON ARTICLES "CRÈVE, LANGUE FRANÇAISE, CRÈVE"

    date imprécise, début 2052

     

     

     

    Plus moyen de lire une copie de seconde sans être assailli de fautes énormes : c'est long ou on c'est le plus battu ("là où l'on c'est", traduction), pygane pour pyjama. Ma dernière (vous n'allez pas me croire) c'est "ils est" pour "ils sont", parole d'honneur, dans le contexte ce ne pouvait être que "ils sont", même plus l'orthographe ou la grammaire, carrément la destructuration, même plus de la conjugaison, mais de l'esprit, de la pensée. J'exagère, j'invente. Toutes proportions gardées, on refusait de croire les rescapés des camps, "allez voir un psychiatre" disaient les médecins, je connais tous vos trucs par cœur, braves couillons.

     

    Alors nous aussi, on se tait, on n'ose plus vous les dire à l'antenne ces perles-là, parce que ça faitmarrer tout le monde, et nous passons pour des vieux cons, des Professeurs Nimbus qui marchent dans la merde parce qu'ils oublient de regarder le trottoir, vous savez, là où se passe "la vraie vie". De toute façon dès qu'on sexe-prime vous pensez bien c'est un journalisse qui iintervient, qui interrompt très vite, hilare, il est au courant lui le journalisse, il a tout compris le journalisse, il va tout vous espliqué le journalisse, il fait la pluie et le beau temps, il se croit à la foire au cancre. Ha ha les prof toujours aussi cons,

     

     

     

     

     

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  • ARKHANGELSK

    C O L L I G N O N

     

    Arkhangelsk

     

    POINTS DE REPÈRES

     

    Bergerac, 29 avril 2019

    Siège d'Arkhangelsk. Tout le Sud est contre nous, dans le jardin du fond, jadis, Condé-sur-Aisne. De même encore l'année suivante à Pasly, sur l'escabeau d'une salle de classe encore déserte. Je gagne mon galon de lieutenant grâce aux tirs de ma pulvériseuse. Un char d'assaut qui d'un coup de rayon laser réduit en poudre nos plus intrépides adversaires.

    Les cultures s'étendent en surface, sans obstacles. Parfois subsiste le paysage d'autrefois : la route de Nouvion aux Étouvelles. La vie des humains se déroule sous terre. Tout s'achète et se vend par distributeurs, jusqu'aux salons complets, jusqu'aux automobiles. Nos entrepôts sont enterrés. Les seules toilettes sont dans la cour d'école. Notre logement n'en a pas. Je chie dans un seau. Je veux être confiseur. Quand je me suis lavé le cul je lance au mur une balle élastique et la rattrape au vol, je joue contre moi-même.

    À cette occasion, fasciné par un souvenir de stock-car macérien, nous imaginons une automobile-soucoupe voir Vinci, que nous baptisons ventoréacs. Dans les chiottes duThillot j'imagine un voyage en haute montagne : l'altitude augmente, la température baisse. Les chiottes toujours dans mes rêves. Le plus souvent très sales. Aucun psy ne m'en a délivré. Dans celles de Condé j'invente un personnage plus grand que mon père, 2,10 m, colorié sur une grande feuille, en plus petit... Il n'a pas su résoudre la perspective : les chaussures prolongent la jambe, si bien que Rolstrand se voit juché sur des cothurnes étroitement lacés. Il s'appelle Rolstrand.

    Roland, comme mon père, plus R, S, T, de façon à rester prononçables. La grande manie de Rolstrand, consiste à faire respecter une exactitude scrupuleuse. Quiconque se met en retard d'une minute se fait engueuler. Plus tard, je hurle de me faire torcher, le frère et la sœur Lanton écoutent, graves comme des papes, le viol qui se perpètre. Ma mère gueule comme une hystérique, son fils ne doit pas porter de slips sales. C'est une bonne ménagère. Tandis que l'enfant gît dans sa chambre (virage de cuti), il convoque en esprit ses parents, les convainc d'embarquer sur son vaisseau spatial : son pays s'appelle Charabie, où l'on parle charabia. Plus tard ce sera Vulcain. Plus sérieux. Dès qu'ils ont non sans mal accepté, la nourriture manque au rêve : plus rien à montrer, l'essentiel est de prouver que ma planète existe, qu'un Père Noël viendra me délivrer, sur une de ces hirondelles qui en ce temps-là pullulaient.

    Un jour le ciel contient un aqueduc orange de nuages ou de traces de réacteurs : il descend vers moi, ma délivrance est proche, je danse et ils seront punis. Puis je m'aperçois que j'imagine. Se procurer Amadou et Coconut globe-trotters. Le jour de la séparation papa chimpanzé tire stoïquement sur sa bouffarde, maman pleure dans un torchon à carreaux. Un roman que j'ébauche est une fugue avec mon père : je fuis ma mère, il fuit sa femme. Nous partons de Nice, où je n'ai pas mis les pieds, et vivons de chasse dans l'arrière-pays, droit au nord.

    Je tire à l'arc sans grand succès. Cette fiction se heurte aux réalités - du réalisme. J'invente une ville Charleminvin. Son nom vient d'un roi qui se fait réveiller ; à telle heure moins vingt le serviteur crie dans l'escalier "Charles ! moins vingt !" - l'enfance est conne. Précisement des cartes. Bégaiement des noms : Bébébut, Zézébut, l'un remplacé par l'autre,et les vrais tas de sable au bord de la route se peuplent de lutins, connaissance avec Bibi-Fricotin.

     

    En colonie de vacances (les jolies...) sévit une vague de chaleur. Tous les deux jours pendant la sieste un colon raconte des histoires de cul. Les autres se branlent sous le drap je me fais virer dans un réduit tout blanc je parle tout seul le gros André me dit de la fermer j'peux pas dormir merde !

    Mohon Carlepont bataille de Sans-Franska-le-LacVictoire ! Victoire ! Le Sud enfin reflue -

     

    Les années passent et dans mon impatience durent quinze jours : 4007 commence aux vacances de Pâques et s'achève à Quasimodo. Le réajustement du temps par piqûre dans le bulbe rachidien.

    Plus tard, les chiottes fraîches de l'école embaument le ciment. Je coïte et cohabite dans le sexe d'Uocquige : celui qui baise sa mère et qui reçoit les coups de queue dans sa poche utérine. Uocquige est un nom zinon : "uo", c'est un mot à l'envers, pour "ou". Le cou, "el uoc" ; le bijou, "el uojib". Jamais je n'ai pu redécouvrir, quelles que fussent les contorsions que j'infligeasse à ce nom, un étymon véritable. Ma mère s'appelait Simone. Il faut tout édulcorer : s donne z, m donne n. En Zinonie, passée une vaste étendue maritime, la langue maternelle se parle à l'envers. Le drapeau d'Arkhangelsk sera aussi édulcoré : bleu-blanc-rouge égale vert-jaune-mauve. Édulcoré mais cruel. Fier-Cloporte joue aux cartes en comptant sans cesse : As, deux, trois, jusqu'au roi. Chaque fois que la carte retournée coïncide avec la carte prononcée à haute voix, elle est éliminée. Chaque carte a fait l'objet d'une liste alphabétique, dans l'ordre hiérarchique descendant : cœur, carreau, trèfle, pique. Ensuite existe un système de grâces. L'une d'elle consiste en une nuit avec une femme.

     

     

    Plus tard plus tard à Nouvion la salle à manger j'invente les Escargots Volants qui tombent du ciel et vous aspirent à travers leur ventre fendu, j'imagine la Grande Débauche où les filles présentes à chaque mètre s'ouvrent le sexe et se cambrent pour être baisées. Satiété - dégoût : inenvisageables.

     

    Les Waseleï et les Grozyino

    La scène se passe chez les Doffémont. Les parents m'ont laissé là. Ou chez les Fourneau. Ça me reviendra. J'écoute tous les jeudis Les vacances du jeudi. Je vous parle d'un temps... De l'autre côté du verre dépoli...

    Vive les vacances, les vacances du jeudi

    En ce jour de chance

    Chantons chantons vive jeudi

    Nous aimons l'histoire, la géographie,

    Les mathématiques,

    Mais on chante aussi ...(CODA)

    Je ne comprends presque rien à l'émission, sauf les questions à Monsieur Champagne. "Quelle est la date de la mort de Louis XV ?" Le brave animateur fait semblant de bien réfléchir. Il donne la réponse : 1715 ! Oui, répond le petit tout émerveillé.

    Bravo bravo, Monsieur Champagne,

    Vous êtes digne d'enseigner (bis) (ou, s'il n'a rien su répondre : "Allons allons... Vous êtes indigne...", etc.)

    En plein milieu de cette émission intervient un feuilleton. Sous forme de western. On parle vite, on tire des coups de pistoler, les Indiens font wou wou wou, les femmes font "ah mon Dieu mon Dieu mon Dieu", et ça galope à tire larigo ("deux moitiés de noix de coco vide frottées l'une contre l'autre" – mais je ne comprends rien. J'ai 8 ou 9 ans. Les histoires de covboi ou d'Indien ne m'intéressent pas encore, mais j'ai retenu l'indicatif en anglais -

    American ballad

    Il ni-aï no ouï shi waï

    Il ni-aï no ouï tchi-kim fouoè

    Il ni-aï no ouï ki waseleî – groïno

    Il ni-aï wade spring frominngo...

     

    Un jour, je retrouverai l'air, les paroles, grâce au moteur de recherche. Je me chantais ça. Ensuite, chaque groupe de syllabe a représenté une famille dominante : les Ilniaï, les Nohouï, les Shiwaï... Derniers en date : les Fapeuli et les Lèvepied. J'avais passé l'après-midi avec Jean Nohain, dans une salle des fêtes parisienne où tout le monde chantait, bien habillé.

    C'est ainsi que la civilisation s'accélérait, de 1450 à 1550, chez l'oncle Jean, à Mohon, qui fait à présent partie de Charleville-Mézières. Si j'avais poussé mille mètres de plus sous la pluie, sur mes pieds en compote, j'aurais pu revoir ce perron d'immeuble où je rejoignais Évelyne Ferry, 10 ans. Moi aussi j'avais 10 ans. Que vouliez-vous me dire ?

    Même les notes jetées çà et là ne me suffisent plus. Les jalons sont bien plantés, mais à quoi renvoient-ils ?

     

    "Land- l'Ami-du-Fou ": chambre de location, sous Bussang, au Thillot. Il pleut sans cesse. Impossible de mettre le nez dehors. Dans une cour s'amusent les enfants inconnus. L'un d'eux, grand bâtard famélique, désigne deux splendide Pékinois géants, ou biern Chow-Chow. Le grand débile répète "Pas chienchiens, ça pas chienchiens".Personne ne l'écoute. Qui écoute un fou. Moi je l'écoute, je ferais volontiers commerce avec lui. Mes parents me tirent en arrière : "Ne va pas avec lui...Ne parle pas avec lui... - Pourquoi ? - Parce que, c'est comme ça." Mes parents ont tout fait pour moi : "Ton steak tous les jours !" L'auberge du cheval blanc au Châtelet.

    Tout ce qu'il leur était possible de me donner, ile me l'ont donné.

    Il a cartographié tout son pays, sa planète entière. Il s'inspirait des cartes magiques, au temps où les livres d'histoire, de géographie, présentaient une science à l'ancienne, où rien ne venait pourrir le texte (plus tard, Fier-Cloporte lisait que les Américains brillaient par leur conformisme, alors que le beau pays de Staline permettait l 'épanouissement de toutes les personnalités. Nous fûmes aveugles jusqu'à vingt ans. Certains le restèrent. Où passe la frontière entre moi et l'autre ?)

    Création d'Abaca, "pays juif" : mon Dieu, j'ignorais encore l'existence de l'État d'Israël. Elle ne vint à ma connaissance qu'en 2010 nouvelle ère, en examinant un petit fascicule illustré, retraçant l'histoire de ce territoire héroïque. Pourquoi rattacher cela aux salles de bain sans s, "pour le bain" et non "pour les bains", ô ignares ? Parce que le père de Fier-Cloporte avait menacé de lui "couper la bite" ? Parce que sa mère prenait la première eau du bain, lui-même la deuxième au milieu des parfums féminins douteux qu'il identifia bien plus tard, et son père la troisième eau, la plus sombre et la plus sale ? Une salle de bain... tout un luxe...

    Les avalanches d'Océ : comment pouvaient-elles se produire sur un sol absolument plat. Il était une fois ce pays, dont le nom m'échappe, semblable au Groënland : toutes les cartes ne sont que la réutilisation du même matériel géographique, la réinterprétation de pays existants, le calque d'un héros de roman sur le héros d'un autre roman... Il fallait donc imaginer une neige aussi friable qu'un trou sur la plage, recouvert aussitôt qu'un pan s'éboule : un mort par asphyxie, un. Ou bien, des secousses sismiques horizontales, bloquant dans leur neige ceux qui s'étaient dérangés, les sots ! pour déblayer devant leur porte. En ces temps d'écriture, Fier-Cloporte jouissait encore d'une merveilleuse mémoire.

    Il pouvait retrouver, entre deux recoins, tel endroit précis de la cour d'école, côté nord, où ce pays étrange et glacé avait surgi. Puis un autre, exactement semblable, même forme, même latitude, mais avec des montagnes : pour qu'il puisse y avoir des avalanches, pour que le réalisme fût respecté. Il n'y a plus de projets. Il n'y a que des surplombs qui s'effondrent sur nous par travail de sape. "N'entre pas dans notre ligne éditoriale". Plus tardif encore : la Crudélitastie, pays des Crudélitastes. On sent le latiniste. "Ces gens-là" se déplaçaient en motos, gueulant leur slogan "À feu et à sang ! À feu et à sang !" sur l'air de taïaut taïaut taïaut ! et nul n'en réchappait, tant Fier-Cloporte avait accumulé de haine puérile.

    Les Crudlitastes crucifiaient. Faisaient bouffer leurs victimes toutes vives aux fourmis. Hans-Peter Vaïzeu m'écoutait, la bouche écarquillée, la tête ronde d'un Pierrot blond qui vient de se faire enculer. Il disait : "Quelle imagination ! Quelle imagination Fier-Cloporte !" La mort en eut pour lui : employé de chemin de fer, il périt dans le tunnel de Verzy en 2024 nouvelle ère : vous savez, cet endroit toujours en tunnel, à l'entrée duquel figure une plaque illisible et commémorative, juste au moment où le train se met à accélérer... Sa sœur s'en tira sur un fauteuil roulant, et ne put jamais se marier. En même compagnie que ce jeune futur mort, dont il tâtait les couilles à l'entrée du cimetière, Fier-Cloporte prolongeait sa guerre interminable, s'intitulant "Régent", pour un roi qui ne viendrait jamais.

    Fier-Cloporte avait 14 ans. Il ne croyait plus ce qu'il pensait. L'année suivante, "à l'ombre du Bou Kornine", il jouerait pour la dernière fois, en vrai, comme un enfant. Ce camarade-là, lui aussi, était mort, lentement, à l'asile des fous, Hautes-Alpes. Nos vies sont pleines de morts, tout le monde sait cela.

     

    X

     

    Le propre des légendes est de répéter les épisodes, de transformer les variantes en séquences temporelles ; tout se suit dans le temps, afin que toutes les variantes du récit aient leur droit de cité. Y compris dans le domaine géographique : "l'écriture de la terre", la cartographie. Car les vents et les mines ne sont pas de la géographie, mais de l'ennuyeuse physique, de l'ennuyeuse géologie. Donc, Océ/Kito. Arkhangelsk/ Arkingo. Grondard/Grondy. Trois villes qui s'appellent Lé : Lé-sur-Stif, Lé-les-Mines. Trois fleuves en Sibérie : l'Obi, l'Iénisseï, la Léna. Trois fleuves rectilignes sur ma carte, trois deltas. Le troisième "Lé" reviendra plus tard.

    Guignicourt. Le plus petit des trois. Le "sur-Aisne". Celui de la chambre et de la salle à manger. Celui où nous aurons l'honneur de revenir. Ne correspond pas à notre ligne éditoriale. Un carnage. C'était au bled de Slip. En bordure d'Isserwiller, qui l'a bouffé depuis. Au sommet des prairies trônaient de petites falaises trapues, les creuttes, où César avait combattu. Et d'en bas, de tout en bas, du haut de son mètre 58, Fier-Cloporte manœuvrait sa petite pulvériseuse, qui réduisait le monde entier, la chair humaine entière, en poudre – en épargnant les matériaux : tout l'humain, rien que l'humain. Cette tactique pressentie fut réalisée, plus tard.

    Puis les humanistes s'en mêlèrent, et l'invention fut suspendue. Heureusement qu'on les a, les humanistes.

    Conquête d'Arkhangelsk et de Land. Il faut "-lsk" en bout de mot. Dès l'enfance je sais que ce nom restera boiteux. Par l'unique désir de se démarquer. En rétablissant le nom russe, "Arkhangelsk", j'ai l'impression de racheter toute ma faute d'orthographe de jadis. Faute volontaire et normative. D'autre part : a-t-onjamais pu conquérir Land-l'Ami-du-Fou, dans sa ceinture de lacs ? Réservoir des armées du Sud, du Soleil et du Père ? Les seuls traumatismes sont-ils fondateurs ? Ne peut-on écrire que dans la fêlure ? "Interdit aux Normaux", c'est bien cela ?

    La création de Choffi et de Prûlé : "ça chauffe", "ça brûle", "Choffi" deviendra "Djunggo", coïncidence avec la Chine, et "Prulé", "Prÿ-lê", avec le fameux y grec norvégien, si imprononçable au non autochtone. Voici un iceberg qui passe, saute dessus, escalade-le, plantes-y le piolet. C'est au point qu'à ce train, les terres seront plus abondantes en hémisphère sud que nord.

    Te souviens-tu du long espace des grillages à St-Crépin, patron de Soissons et des Cordonniers ? L'enfant veut trop ressembler aux adultes. Il se fait traiter de connard, de l'autre côté du grillage, par un connard de cinq ans. Il imagine la dynastie des Drapeaux, c'est le nom de famille. "Michel 1er Drapeau, 3926-4002. Aucune originalité. Juste des transpositions laides. Puis venait le pont, juste reconstruit. Je revenais à pied, furax et contracté, jusque chez moi : 5 ou 6 kilomètres ? Pourquoi tant de confusions avant que je ne décidasse l'emploi de mes carnets ? Qui m'a fait inventer les lutins ? Je le sais : la certitude absolue que rien ne changerait jamais, que je ne verrais ni la terre ni la lune, et que cette prison ne saurait s'agrandir que par une dilatation des cellules, des tas de sable.

    Il y avait des lutins, esprits malfaisants de légendes, grimpant sur le sable, nichés dans les anfractuosités de briques ou de meulières, l'Aisne en produit des deux, lutins qui terrorisaient Brigitte G. Elle pleurait comme une fille appelez l'ambulance ! disais-je, les filles ça pleure, ça crie, ça se banle en internat par batteries de six, puis on les admire, puis on ne les revoit plus, plus rien, que des abandonnées, des pincements de cœurs et de queues tels qu'on n'en verra plus.

    L'émotion prime la physiologie. Condé-sur-Aisne. Condé-les-Loups,où tout le monde s'était dénoncé mutuellement à la Gestapo, à la Milice, Lacombe Lucien. Des noms oubliés. Résultants de codes perdus trois tours à gauche, sixième lettre... "Opriytut", "prille tütt"; "Dutembourg" – Luxembourg à quoi bon ? Seule aventure l'enfance démolitrice comme tous, comme tous, ô Beaucéant. Aboudepètedanslenez, con comme Dorothée. Premières cartes grossièrement tracées au dos du jeu de construction. Ponsard me pétait dans le nez. Son trou du cul était couleur des minuscules follicules des culs d'artichauts, violet-mauve pointu.

    Ce serait de me battre avec une batterie entière, une boxe entière mais :refusé. Plus au nord, falaises plus raides, concerts de batterie, moi au centre tous les amis plein-la-gueule, ami tom-tom, ami caisse-claire, il suffit de, "y'a qu'à", pour finir tu toubillonneras en hurlant, tapant jusqu'aux crises mortelles, méningites et valvules qui sautent. Mes paents n'ont pas voulu. Haine du cercueil précoce. Dans la cuisine ma mère me lave jusqu'aux premiers poils. Fallait pas maman fallait pas. Me nettoyer tout seul par-dessous le cul avec sanglots, retour d'enterrement et correspondant écœuré en allemand, il fallait donc que je crapahutasse, wir gehen in die Stadt. Des classements de classes jusqu'à Tanger, après abandon officiel de tout ça, de toute cette cage mécanique arithmétique, juste un calque du monde adulte, rien de moi, rien de mon cru, en est-il ainsi pour tous ?

    Listes de nom propres, notes, classements, ordres alphabétiques, noms impossibles à

    jeux-de-motter, Pavogrivist chez nous pas de veaux grévistes impossile à trouver. Je me souviens de mes contorsions folles sur le palier, où j'offrais ma gorge pantelante au Père qui remontait du rez-de-chaussée. Je gueulais :"Vous voulez l'envoyer là !" - au cimetière, derri-ère le jardin de la mère Dufour. Tous les mélodrames sont ignobles. Tanger, rue Balzac. Une activité cérébrale forcenée, juste avant de mourir, puis le feu d'artifice s'éteint, électroencéphalogramme plat, mort.

    Autrefois j'étais chef de guerre. Mes aides de camp se suivaient par ordre alphabétique. Ils devaient mourir vite, pour le renouvellement. Abajernard, Abampouquoi, Abancroube, Abaobi. Dans la cave, mon ami Marcel me cognait sur la tête, à m'en donner le vertige. Et nous faisions des piqûres d'eau dans les gros sacs gonflés de patates. Regarde cette terre brûlée où l'on s'est battu. Où l'on s'est crevé les yeux. Seuls les noms ont changé. Je les ai tous trahis. Nous ordonnons que la ville de Polnareff soit rasée jusqu'au sol, pour cause de modernisme.

     

    ²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²

     

    Bataille de Ste-Françoise-le-Lac (redressement, victoire) à Carlepont (Oise).

    Aile gauche : Gal McIntosh - 27e corps d'armée, 12 000 hommes ; Gal McGovern, 28e corps,

    retraite anticipée, massacres du gué St-Michel

    (29-5) et d'Arnouville-la-Petite

    Armée de Khangellet

    (troupes auxiliaires)

    18 000 hommes

    GalMcDonald VIIe corps, Ve corps, IVe corps

    VILLE DE POLNAREFF

    (Gal Palon)

    Gal McDougal

    Batterie d'Arnec

    Bombardement du 27 - 5

     

    Entrevue du 25-5 à "Général-Ennemi"

    Incursions paysannes

    (sous le patronage de saint Joseph)

    x St-André

    Maro-la-Villar x Galouville x

    Pétiville x

     

    - reddition à Khangellet le 31 – 5

    -massacres de Macintosh le 1er – 6

    - McDonald et Mqcintosh rasent la ville à l'exception de la bibliothèque et du centre

    historique (?)

     

    2018 08 19 3h45 - 4h30

     

    Fascination de mots...

    Polissement de syllabes et phonèmes

    radieux comme Émancar,

    flûtés comme H¨wüist

     

    Il était un plateau baptisé : "Gihi" – nomination de seconde main, épigone venu après

    Invention riche aussitôt effacée remplacée

    (sur un indicatif en anglais Ilniaÿ, Nohouÿ, Chiwaï, Tchickhimfrey, Waseleÿ, Waziyno)

    Sapin ministre de la justice

    - le Gihi était jaune – de blé, ou désert, mais jaune, relief "200 à 500m.", d'un beau safran clair. Un dessèchement, des soleils verticaux tombant droit sur l'horizontal du plateau – genoux fléchis sur la poussière jaune, impalpable, sable ou froment.

    Mais passé le rebord, serpentante et vertigineuse perspective, la Tranchée Fertile, où se succédaient à se toucher les bourgs le long de l'eau nourricière sans renoncer le moins du monde à leur individualité comme des ganglions de canal lymphatique. Trois champs mitoyens séparaient Vulras de Vriluin, Vriluib d'Aboncourt, ainsi de suite au long du Gihi (champs et prés) sans que nul propoteur (nécessairement) véreux ne se fût avisé de souder sacrilègement deux ou plus de ces Communes, d'autant plus jalouses de leur autonomie, de leur folklore, d'un déplacement d'accent, d'une certaine cuisine, voire d'une façon particulière de se fleurir, d'accueillir l'étranger aventuré sur ce plateau, non moins hasardement descendu vers les oasis – qu'elles se pressaient flanc à flanc de part et d'autres des graviers méandreux du Gihi.

    Et pour que la symétrie, loi infuse et qui ne devait se rencontrer qu'en traçant les cartes, ne perdît pas ses droits et continuât à régir, avec de subtils accommodements décrispants, la cartographie arkhangélique, il existaitégalement à l'est un autre plateau, l'Oghona, prononcé avec l'accent sur le premier "o", tandis qu'un son vélaire, sonore et doux comme un gamma contemporain, voilait le "g".

    Et plateaux de rivaliser de records de chaud l'été, de froid l'hiver.

    C'était en 2001nouveau style. Mes parents m'avaient expédié à Belleu, toponyme inventé par un rustaud chasseur sachant sinon chasser du moins à peine aboyer en meute – en Colonie de Vacances. Idyllique période, où nous devrons biennous étendre... Sieste... Irrémédiable – irrévocable – et de façon non moins irrévocable, tous les deux jours, un quart d'heure environ avant la Lecture du Moniteur, ces jours-là seulement, Locquignon – quel nom grand Dieu ! - se faisait chasser du dortoir, et assigné à clef dans une petite pièce nue d'un seul lit.

    La chaleur était torride.

    Je parlais à haute voix, commentais la température : "Plateau de Gihi, 25°, 30, 35°" - parfois une petite rémission, magnanimement concédée – le climat change vite ici vous savez – alors surgissait dans la lucarne l'ignoble tronche bouffie, en brosse, du moniteur André – "surgie de nulle part" – Tais-toi ! Mais tais-toi donc ! - grognon et endormi.

    Gros plein de soupe.

    Alors je m'allongeais entre mes quatre murs blanc crème – et je poursuivais, à voix basse, interminablement, mes entretiens sur la chaleur...

    J'aimais aussi une petite fille, dans le monde interdit – tête anguleuse, membres d'allumette, comme brisés – insecte gracieux disloqué. Toutes tes petites camarades, tous les garçons, se moquaient de toi. J'imaginais des entretiens de consolation. D'instinct j'aimais les disgraciés. Le temps de l'enfance me sépare encore de la mort.

     

    *

    À moi. L'histoire d'une de mes folies.

    Haine des femmes. Construction descriptive intitulée : "Les bourdons". Les hommes y sont ces insectes inutiles décimés par les abeilles aus premiers froids.

    J'ai rêvé sur Théople.

    Terminé avec femme, enfant, foyer.

    C'est ainsi que j'ai visité ma vie.

     

    *

     

    Classé sur deux colonnes mes lieux d'habitation, de retour – ceux où mon âme revenait sans cesse, lieux fondateurs auxquels je croyais :

    - chambre de Condé-sur-Aisne

    - village de Nouvion-le-Vineux

    - chambre des Cœuillots en 65

    - Libos, Tours surtout – Belvès.

    Et force m'était d'inclure à cettte liste l'obligatoire, le mortifère Bordeaus.

    À BORDEAUX se rattachaient des lieux minables : "dans Bordeaux", représentant la matérialité de toutes les rues de la ville – et l'atroce Jardin Public (où la résonance même de l'air se trouve étouffée, comme aux Enfers grecs – lumière difuse où passent éternellement des ombres rongées du regret d'en haut) – figures géométriques – ce que les vieillards appellent réussites ou crapettes ; monsieur, madame Tout-le-Monde – les "personnes fondues" rôdant aux limbes de la création écrite.

    Ici je me retrouve dans cet état de petite boule qui tourne avant le big-bang qui ne vient jamais le bing-bang de la rage éternellement repoussé...

    Avant Bordeaux j'avais vécu, ma vue avait été nette, explicative – à présent j'attends de crever ou de vivre. Comme tout le monde (y a-t-il une vie avant la mort et ce genre de chose) – mais dans les années 75 nous pouvions encore tracer la carte d'avant CHINON illuminée par Jehan de Tours, Deutschland und Drogen, Clermont-des-Morts – je remontais à l'infini.

     

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  • L'ANTICASANOVA

    C O L L I G N O N (FIER-CLOPORTE)

     

    L'ANTICASANOVA

    Longtemps j'ai détesté les femmes. Je ne me couchais pas de bonne heure, et je lançais de longs jets de sperme entre les draps en maudissant père et mère. Les femmes fuyaient toutes à mon approche. Tout le contraire des plats froids de Philippe S., qui les tombe toutes, et sarcastise sur leur « chiennerie » et leurs « collages » ; pas question pour moi de cracher dans la soupe, vu que j'en ai eu si peu. Je traiterai donc de ce que je ne connais pas, ou si peu.

    Quant aux rabâchages sur l'infériorité, la supériorité ou non de la couille sur l'ovaire ou vice versa, de leur égalité, complémentarité ou autres ; sur la question de savoir si la femme occupe bien dans la vie sociale ou professionnelle la place qu'elle mérite ; sur l'emploi, les salaires, les responsabilités administratives, directoriales ou politiques, je m'en contrefous : y aurait-il 52 % de femmes aux postes-clés, les choses n'en iraient probablement ni mieux ni pis - ni plus mâle.

    Rien de tout cela.

    Mon propos, c’est le comportement amoureux, ET sexuel. Pas très nouveau tout ça. Bien sûr que les femmes m’ont déçu. À la niche, le psy ! couché… « Ouais, euh, t’es pas le seul... » - ta gueule. Par les hommes aussi. Vous ne vous imaginez tout de même pas que je vais vous pondre du neuf et de l’objectif – et quoi encore… éviter le sexisme tant qu’on y est, le vulgaire, l’odieux… oui que j’oserais ! évidemment ! Ce n’est pas aujourd’hui que les gens vont me croire ! De toute façon plus moyen d’être fanatique maintenant. Plus moyen de dire quoi que ce soit sans se faire traiter de con (pourquoi pas de bites ?) Les fana font pitié aujourd’hui. Ridicules.

    Mais avec la vérité, on ne va jamais bien loin. Bien sûr que si je baisais j’aimerais mieux les femmes. Seulement, je vais vous dire un grand secret : si j’aimais mieux les femmes, je les baiserais. Il est évident, il est lapalissique, il est tautologique, que je deviendrais amoureux, féminise même, des queues j’aurais conquis un nombre de femmes assez con scie des râbles pour me sentir sûr de moi en tant que porte-couilles – mais àpartir de quel nombre de femmes ou de couilles peut-on se sentir sûr de soi comme un sanglier des Ardennes ? Je vois d’ici moutonner à l’infini (tu me chatouilles) le troupeau de culs-terreux bardés jusque dans le cul de « parallèles qualité/quantité », « hêtre ou pas hêtre » (Gotlib) – mais je me les suis déjà faits tout seul, ces trucs-là ! J’ai lu l’Abreuvoir (la Beauvoir, Boris Vian) et son Deuxième Sexe (sous l’homo plate). Adoncques les psy débarquent avec leurs pincettes et leurs grosses pelleteuses : en avant pour la mère castratrice et phallique (au moins), une homosexualité la tante, et tout un arsenal à faire spermer papa Siegmund dans sa barbe. Et voilà pourquoi vote fille est muette. Par ma barbe, nous avons d’habiles gens, et qui se paient le luxe d’avoir raison.

    Mais ça ne m’arrange pas. Pas du tout. Ça ne m’explique pas pourquoi les femmes me font chier (stade anal!), pourquoi je les fais chier (tant qu’à être dans la merde…). Ce qui veut dire qu’il me faudra me coltiner mon livre tout seul, dans l’indifférence générale. En route pour le calvaire : prêcher le vrai, en sachant que c’est faux. Plusieurs émollients s’offrent-t-à moi :

    a) la synthèse dite « à l’eau tiède » : les deux sexes dos à dos ou « l’infranchissable différence si enrichissante » (cf. « Les garçons et les filles » dans le Journal de Mickey »)

    b) « Le mieux » (dira quelque sage cervelle – j’adore cette incise de La Fontaine) « serait que des femmes intervinssent, et pourquoi pas la vôtre » (car je suis marié ne vous en déplaise) « qui vous donnerai(en)t la réplique » (sauce Platon ? non merci), « en dramatisant le discours, mais sans dramatiser n’est-ce pas » - pourquoi ne pas écrire l’histoire d’un couple tant que vous y êtes, le mien par hasard – pour des champions de l’originalité, vous vous posez là…

    c), le plus énorme : « J’ai découvert un manuscrit... » - jouer sur le velours de la 3e personne, avec la mauvaise foi du narrateur – bof…

    Non. Je parle en mon nom.

    Sans croire un mot de ce que je dis

    Devant l’autel des lettres - La main sur la braguette - je déclare ici ma sincérité « des larmes coulent ».

    ...En garde , je baisse la visière... X

     

    Ce n’est pas une visière, c’est toute une armure. Surtout qu’on ne me reconnaisse pas – l’Anticasanova, ça se cache. Irrésistible.

    ...Alors comme ça, les femmes me détestent. Ou l’inverse. Les deux mon adjudant. Des preuves !

    D’abord, de simples constatations : ma vie passée vaudra attestation et justification. Vous voilà fixés : qui n’est pas pour moi, est contre moi. Ma rancœur, ou rien. Il aura bien fallu vingt ans pour me permettre de reconstituer l’objectivité des comportements et préparer le terrain du deuil psychanalytique : sous la pellicule, la lave à 400°.

    Trois périodes sont à distinguer dans le processus moil’nœud d’éducation pardon de démolition sentimentale. Sans remonter au-delà des pubertés (où les enfants, tant garçons que filles, m’auront rejeté, nous auront rejetés, vous auront rejetés, une belle, une magnifique inadaptation sociale originelle, dont la misogynie ultérieure ne sera qu’un montage en épingle, nous distinguerons la période tangéroise, à dispositif contraignant (1958-1962, soit de 14 à 18 ans) – dite aussi Quatorze-Dix-Huit, la période mussidanaise à dispositif libéral (1962-1966 jusqu’aux noces), et la période bordelaise, à dispositif carcéral, qui nous mène, en première rédaction, début 87. Toujours est-il que peu après mes 14 ans, je débarque à Tanger dans les bagages de mes parents. Lycée mixte, donc décontracté, filles libres à gogo, moi bloqué comme un moine. Mais sans le savoir.

    Tout de même, j’ai bien envie d’y goûter, aux filles. Bien mal m’en prend, ou je m’y prends bien mal.

    ...Lecteurs, et trices (pour les filles, le cas est tout à fait différent ; rien ne ressemble moins à une adolescence de fille qu’une adolescence de garçon) – vous avez tous, ou la plupart, tenu votre journal intime. Il ne vous serait jamais venu à l’idée, par exemple, de le laisser traîner. Moi, si. Avec la mention DÉFENSE D’OUVRIR, autrement dit « prière d’ouvrir ». Ma mère a répondu à mes attentes au-delà de toute espérance. Lisant que j’avais touché le genou de la voisine d’en face, âgée de 13ans, avec l’intention bien arrêtée de ne pas m’arrêter là, ma mère exprima bruyamment le désir de montrer ces insanités au médecin de famille « pour [m]e faire soigner ».

    Lorsque ladite voisine est revenue me visiter, elle s’est fait jeter dehors par un père déchaîné. Je me suis rabattu sur une gosse de trois ans. La fille des voisins de palier. Ni exhibition, ni pénétration. Mais quand même. Lorsqu'ils étaient absents, je consultais leur dictionnaire médical, en me branlant sur les croquis médicaux. Rien ne vaut le vif. Merci chers parents. Pour elle et pour moi. Vous aussi, vous avez cru en papa-maman ? "A ton âge, on n'est pas amoureux ! on travaille !" et aussi : "...ça rend fou !" ...ou folle...

    ...Les filles aussi... dit la rumeur... surtout les filles... Alors je m'accoudais au balcon, Anne-Betty s'accoudait au balcon, je lui voyais le cordon du slip sous la jupe vichy, et je tournais ma langue dans la bouche, "tu sais que tu ne devrais pas te... te... on ne pourrait pas le faire ensemble ? " Cela devait m'ouvrir son coeur et sa culotte. Je ne l'ai jamais dit. Sûr que j'ai raté quelque chose. "Et que ferez-vous, le jour où une jeune fille... vous serez impuissant, mon garçon, impuissant !" Merci, Docteur.

    Ce qu'on a besoin d'amour, à 15 ans, ce n'est pas croyable. On idéalise, on diabolise. Celia, Celia shits - la plus belle fille du monde va aux chiottes.

    Choeur des cons disciples :

    "Fringue-toi mieux !

    "Pas d'histoires drôles !

    "Pour draguer, y a qu'à... y a qu'à...

    "...et envoie chier tes vieux !...

    ...Il fallait vraiment que je sois con comme un tonneau pour ne pas avoir baisé comme un chef avec tous ces super-conseils ! seulement, mes rires de malade, mes clavicules au niveau des oreilles et ma gueule de catastrophe naturelle, qui est-ce qui allait me les réparer ?

    Écoutez celle-là (c'est pas vous qui trinquez, vous pouvez rigoler) : un pote sapé aux cheveux plaqués me glisse dans la poche un petit mot d'amour pas mal ficelé, pour une fille que je dois rencontrer. Moi je me pavane chez les Yappi (ce nom-là ou un autre), avec ma lettre en poche. Tous les autres sont au courant et se regardent avec apitoiement. Moi je paradais au baby-foot avant le rendez-vous. Et vous me disiez tous N’y va pas j’y suis allé. Ma môme était là, splendide, mûre, blonde, au courant de tout, « dans le jeu ». Avec bonté, avec sincérité, fallait le dépuceler ce grand niais, tu vas rire, elle m’a baratiné sur le trottoir, moi je courais à toute vitesse, de plus en plus vite !

    J’avais peur. Vous ne pouvez pas comprendre.

    Je haletais Est-ce que tu es une bonne élève bonne élève bonne élève

    sinon mon père voudra jamais je galopais les couilles en dedans elle a lâché prise on a son honneur vous ne trouvez pas ça drôle Au suivant Au suivant :

    J’entre chez ma copine Sarah parfaitement j’avais une copine mais on se touchait pas faut pas déconner On devait réviser le bac. Je trouve Sarah au lit habillée affalée bras ballants cheveux ballants qu’est-ce que tu aurais fait ?

    « Facile mon con je l’aurais redressée – nos deux bouches » e tutti quanti – Non. Non.

    Écoute Écoute – j’ai pensé ELLE EST ENDORMIE curieux non comme position ? -...elle est évanouie elle est morte je vais appeler quelqu’un alors elle s’est redressée

    Tu dormais ?

    - Non.

    - Pourquoi cette position ?

    Pas de réponse les mecs t’es con aussi c’était évident évident quoi tas de cons ça veut dire quoi « évident » ?

    Moi je m’étais forgé une théorie tout seul pour expliquer que les femmes n’avaient pas de désir, ne sentaient rien ne pensaient pas à ces choses-là.Vingt ans vingt ans durant je suis passé à côté des signaux sans les voir, énormes les signaux il paraît, la faute aux femmes la faute aux Autres mais oui j’étais pédé mais oui c’était ça l’évidence tu as gagné une boîte de jeux et ce jour-là, Sarah et moi, nous nous sommes assis côte à côte, j’ai voulu effleurer le petit doigt elle l’a retiré vite vite ha très très vite offusquée QU’EST-CE QUE JE DISAIS qu’est-ce que je disais les hommes tous des cochons JE VEUX REVIVRE JE VEUX REVIVRE Chapitre Relief de l’Asie Centrale Everest 8847m ma pine 0,5cm bon Dieu si t’as pas rigolé c’est que tu es coincé branleur de mes deux.

    De toute façon avec ces Juives Hispano-Marocaines il faut faire attention disait ma mère on ne se méfie jamais assez ils sont capables de te la faire épouser sous le revolver.

    T’as raison la vieille je vais avoir l’œil.

    * * * * * * * * *

     

    Retour en France Périgord exactement 1962, fin d’un monde. Des filles des flirts partout au bord de l’Isle sous les buissons alors moi voyant ça jedizamamaman devant la mère Gauty qui l’a redit partout ça va être facile ici elles sont pas surveillées comme là-bas t’as vu ta gueule non mais t’avais vu ta gueule d’enfariné d’enflé de client de putes ? …Quand tu t’es présenté dans le Groupe « ber-nard » avec le n entre les dents le sourire con et les « r » dans la gorge tu les as repérés les autres qui pouffaient tandis que celle qui semblait être le chef les calmait de la main, tout le monde s’est mêlé sauf un. Au jeu de la vérité, avec qui aimerais-tu sortir ? - Avec Eustache !

    J’étais abasourdi. Une fille voulait de moi ! Je me suis éloigné, j’ai demandé à trois ou quatre « garçons » que je connaissais à peine « ...comment on fait ? » - Débrouille-toi ! » - au fait, croyez-vous que la fille en question se soit hasardée à faire un GESTE envers moi je dis bien UN geste ? - Ah mais non mon pote, elle en a déjà fait beaucoup, c’est à ton tour, t’as rien compris, tu parles d’un con…

    ...Pourquoi m’avez-vous renfoncé dans mon ridicule ? autre sujet - pourquoi vous êtes-vous foutus de moi parce que j’avais un biclou trop petit sans me dire simplement « tu as un biclou trop petit » ? pourquoi vous êtes-vous payé ma gueule parce que je levais les pieds en rentrant la tête sans me dire « tu lèves les pieds et tu rentres la tête » ? Il a fallu que je me surprenne dans une vitrine pour m’en rende compte. Pourquoi en surboum – un Teppaz et deux planches dans un garage - toutes les filles ont-elles trouvé des genoux pour s’assoir sauf les miens ? Oui, c’est rigolo, oui c’est ridicule. Mais pourquoi toutes ces humiliations, ah que je souffre, ah qué yé souis malhéré mon Dié mon Dié !

    C’est alors que j’ai commencé à hhhaïr – tremblez… Quand on m’a traité de prétentieux, d’intel-lectuel (réflexion faite, je l’étais) - de pédé, d’impuissant… la Haine ! la Haine !... tu ne peux pas juger, c’est trop dur pour toi… la haine du pas-comme-tout-le-monde contre les comme-tout-le-monde – Baisers volés j’ai connu ça. Mis à part que chez Truffaut le couillon trouve quelqu’un pour le tirer de là, moi aussi, mais j’aime râler.

    Vi-queue-time desfemems, de la paralysie des femmes sans voir la mienne – quand les bras sont tout raides et le reste tout mou – toi en face, l’autre, tu es un baiseur un vrai, tu fais partie des 2 % que les femmes se repassent entre elles au nom de la liberté sexuelle – non pas toi t’as vu ta gueule ? (rires) ...dégage, baiseur… ici c’est un taré qui te parle, un Rescapé du Périgord. Et j’ai fini par la trouver, l’âme sœur : une fille de flic, avec plein de boutons sur la gueule. Et ces mêmes fleurtouillards qui me chambraient à cause de ma solitude se sont empressés de se payer ma gueule parce qu’on me voyait, cette fois, avec une fille oui mais la plus moche. On touche le fond. Pas le con.

    Mais je me foutais bien d’eux à présent. J’étais accepté. Nous passions à trois des après-midi chez sa mère, au grand dam de mes parents : une Fille de Flic ! Et si je lui racontais que mon père n’avait pas été résistant pendant la guerre, plutôt de l’autre côté ? Et si je faisais un enfant ? Eh bien non : je suis resté très exactement 32 jours, je dis bien trente-deux, sans branlette ! (rires) mon record absolu. Pour la fille, je ne garantis rien. Puis, hélas ! elle a cru que je me moquais d’elle, que je prenais « de [m]es grands airs » (j’en prenais), que j’ «étalais mon instruction » (j’étalais). « À la rentrée tu connaîtras une étudiante et tu m’oublieras » - exactement Maggie : en octobre 10, j’ai rencontré ma femme…

    *

    Mes vieux étaient loin. J’habitais Cité Universitaire, je me payais le bordel tous les 11 jours (on tient ses comptes), je tournais autour d’une étudiante ravagée de branlette comme moi, détraquée jusqu’au trognon comme moi, que je ne devais baiser que le 15 février 02, sans compter six mois de liaison homo (rien ne vous sera épargné) (rires). Un jour j‘ai bu un cognac cul-sec pour oser embrasser ma Future – sur la joue.

    Et à présent Mesdames et Messieurs, Meine Samen und Spermien (lacht) place au délire. Car, « les paranoïaques ont toujours raison » (Anne-Marie M.)

    Chapitre Un : Pourquoi les femmes ne veulent-elles pas coucher avec moi ? (mouchoirs!)

     

    X

     

    Argument n° 1 : Je ne t’aime pas

     

    Parenthèse (cet ouvrage manque de plan) : je dois définir ce ridicule dont je me pare.

    La notion de ridicule participe du passionnel.

    Tout individu traitant de sa passion devient par là même ridicule.

    Et c’est pourquoi (deuxième parenthèse) toute femme qui crie en jouissant excite le mâle par le ridicule qu’elle déploie.

    Il faut châtrer les mâles, afin de les préserver du ridicule de l’excitation.

    ...La femme prétend donc ne pas désirer l’homme si l’amour est absent. Mais elle crie pour jouir (par feinte ? par ordre?) et se ridiculise, disent les connards.

    Seul l’amour lui ouvre les portes du ridicule, alors ressenti comme un don.

    Suivez-moi bien, c’est de plus en plus con.

    Nous en revenons donc à l‘éternel rabâchage : les femmes croient encore dur comme pine (hi ! hi!) que seul l’amour peut déculpabiliser l’acte. Si elles ne devaient baiser qu’amoureuses, la chose ne se produirait pas souvent !

     

    Deuxième hypocrisie

    Lorsqu’elles se branlent, de qui sont-elles amoureuses ? (chœur des vierges indignées : « Ah! mais ce n’est pas du tout la même chose!) - ben si, quoi d’autre ?

     

    Troisième attaque

    « Si je couche avec toi sans t’aimer, tu en souffriras » - variante : « je transpose chez les hommes mes subtilités névrotiques ». Le mâle, sexe dominateur (re-hi ! re-hi!) ne nous sentons pas coupables de faire l’amour. Nous n’avons pas besoin d’un voile. Nous avons séparé depuis longtemps l’Église et l’État, l’Amour et le Zob.

    En revanche, contrairement aux femmes, nous souffrons de l’obligation de nous masturber. Par famine. Car la honte se répartit différemment selon les sexes. Merci de tout cœur, ô Femmes, pour mes branlettes. Pour vous, c’est du sublime, c’est de l’éthéré, chaque tour de doigt vous fait pousser des ailes. Pour nous, c’est sale. Vous m’avez en effet dispensé d’une grande souffrance en vous refusant comme vous l’avez fait. BOUOUOUOUH !!!

    Merci aussi, de tout cœur, pour ma souillure homosexuelle. Une femme est gouine sans même y penser, « On se rend des services entre filles. Qu’est-ce que vous allez penser ? ah ces hommes : ils voient le vice partout ».

    Merci de m’avoir éviter une grande souffrance. Amen.

    Merci enfin pour ma fréquentation des putes. Je n’avais qu’à me branler, voir plus haut.

    Onanisme, pédérastie, putasserie : ça fait tout de même un sacré tiercé d’échecs et de souffrances – croyez-vous donc, ô Modèles de Modestie, qu’il m’importât à ce point d’être aimé de Vous ?

     

    X

     

    Argument n°2 : J’en aime un autre.

    ...Rien ne le prouve. Si d’autre part cet homme profite autant que moi de vos faveurs, car l’amour ne suffit pas pour accéder à Votre Cul, Huitième Merveille du Monde. EN EFFET :

    ...il paraît hautement invraisemblable que le femme, s’estimant si haut, et si comblée par son auto-érotisme, puisse éprouver le besoin d’un amour quelconque ENFERMEZ-LE CE MEC C’EST INTOLÉRABLE (blagadeuballes : « Dieu et mon droit », devise de l’Angleterre. Devise de la Femme : « Moi et mon doigt ».

    Une femme qui dit « J’en aime un autre » veut signifier par-là qu’elle se soumet à une habitude sexuelle. Jamais, ou si peu, elle n’aura franchi le cap du premier homme. Un peu comme si l’on devait s’arrêter au premier livre, au premier film, au premier slip – achevez-le, voyez comme il souffre). Vient-il seulement à l’esprit de ces créatures qu’on puisse aimer deux êtres à la fois, ou une multitude d’êtres ? mais nous traiterons de cela plus tard.

    Voici le moment venu en effet d’aborder le Troisième, dernier et capital Argument de ces pimprenelles (c’est l’un des charmes de l’écriture, ô lectrices, que ce mélange suave des raisonnements les plus subtils et des insultes les plus offensantes ) (ou l’inverse ?) - une seule formule, si délicatement féminine, à prononcer de préférence avec l’accent d’Agen ou de Carcassonne :

    OUAH PUTAING CE QU’IL EST CONG ÇUI-LÀ.

    Sans réplique. Ça vous en bouche un coing. Cette acuité du jugement. Voilà qui est chiadé. Nous tombons en effet droit sur le seul argument : JE SUIS con. Il n’y a plus d’hommes ni de femmes. Il n’y a plus que le Hideux, le Répugnant Rracisme à l’adresse, tenez-vous bien, d’une seule personne : Moa. L’Auteur – on donne à Cet Autre, pas un autre, celui-à, çui-là, l’air con, puis on se moque de son air con. Exactement le coup du Noir qui cire les godasses.

    Pas de pitié pour l’Air Con. Ça te tombe dessus, c’est écrit : l’Air Con. À la trappe. L’air con, ça au moins, c’est un critère. Quel jugement les femmes ! Putain l’intuition je te dis pas ! Juif, arabe, tombé dedans quand t’étais petit. Les femmes (pardon : DES femmes, il paraît qu’il faut dire DES FEMMES) ont raison de se foutre de toi, mais toi, tu as raison – de tirer ta Kalach et de tirer ? non… - mais de gueuler.

     

    X

    X X

     

    ...À présent, l’auteur – est prié d’être objectif, de présenter son mea culpa – j’ai déconné, j’ai agressé, j’ai larmoyé : excusez-moi d’exister.

    Petit a, de fumier :

    Je suis grossier. Tombé dedans tout petit. Oncle Serge : « Répète : Trou du cul ».Je répète. Ça le fait rire ce con. J’ai trois ans. Paix à son âme. À huit ans je me soûlais d’ordures avec Lucien. Là où jene pige pas c’est quand les potes se font interdire de me fréquenter par les parents : « Il est grossier ». Des gosses qui n’avaient que ça à la bouche. « On ne joue pas avec toi, t’es trop grossier » C’est l’histoire du Gabonais qui ne parle pas au Malien parce qu’il est trop noir. Qui est fou ? En vacances, je trouve un groupe. « J’ai un secret. - Lequel ? - Vous ne le saurez pas . » Je finis par me faire coincer sous une tôle et tabasser : « Alors ce secret ? - Je suis grossier. - C’est tout ? - ils m’ont tous laissé tomber à la seconde.

    Pas grossier, con. Nuance.

    On me présente à 13 ans à une fille de 13 ans. Eh bien, dites-vous quelque chose ! - Euh… vous savez, je suis grossier. - C’est tout ce que tu trouves à lui dire ? » - côté connerie j’avais sans doute de qui tenir. Les filles ont peur des mots,pas des choses. Comme il est dit dans l’introuvable Manuel de savoir-vivre à l‘usage des demoiselles : « Dites : « Elle est très sentimentale ». Ne dites pas : « Elle se branle à mort ». « Faites-la rire, c’est gagné » - mon cul ! On s’agglutinait : « Une autre, allez, une autre » - on me disait un mot, j’en disais une bien bonne. J’avais une cour de garçons. Tant que j’en avais dans le sac ça rigolait, de plus en plus mécanique, de plus en plus mou.

    Puis je me retrouvais seul, comme un égoutier. Les autres se poliçaient, ils draguaient (successfully) des filles sans poils ni doigts. Moi je ramenais tout à moi. « Moi aussi » me semblait le meilleur moyen de montrer mon empathie moi aussi je suis comme vous moi aussi ça m’est arrivé les autres voyaient cela autrement – non, je n’étais pas le point de rencontre de toutes les trajectoires humaines. En moi se confrontaient toutes leurs souffrances, de façon tellement plus nette, plus aboutie – eux l’accident, moi l’essence. Pas d’étonnant que le Christ se soit fait tant d’ennemis. « Tous les péchés du monde ». Je vous demande un peu.

    Quand je me suis vu ainsi rejeté, je me suis plaint. Et je me suis fait engueuler de me plaindre. Et comme j’étais amoureux de B. qui se branlait à mort- elles étaient deux – passons – et je ne trouvais rien de mieux que de la suivre en chantant Si tu ne veux pas / De mon amour / Adieu Bonjour / Ma mie – Quatuor de Paris – habile, n’est-ce pas ? Je le faisais exprès pour être repoussé. Les juifs ont tout fait pour se faire cramer. Les communistes ont tout fait pour être pinochés – ça ne vous passe pas, de vous plaindre, savez-vous, le goût de se faire plaindre. Ayant lu dans un livre – on n’apprend rien, dans les livres, tous les cancres vous le diront – que le héros  « avait cet air malheureux qui plaît tant aux femmes », je tirais en pleine rue des gueules sinistres, la bouche en fer à cheval, ce qui les faisait bien rire.

    Au téléphone je demandais pardon, je m’aplatissais, je larmoyais bien fort à travers la vitre du téléphone. Pagnol rapporte ses ridicules d’enfant. Avec un extraordinaire attendrissement. Il a « dépassé », lui. Moi, non. Tout le monde n’est pas Marcel Pagnol.

    ...À 18 ans, à 38 ans, à présent même, il s’en tenait à l’approche « merlan frit » : de grands yeux langoureux d’asthmatique. Les femmes assurément s’y montrent sensibles, pourvu seulement que le soupirant contrôle son sphincter buccal) mais ne croyez pas que l’une ou  l’autre fasse le premier pas. La femme est une moule : un animal fixe, à sang froid. Quand le séducteur a joué le beau ténébreux, celle d’en face attend qu’il se décide enfin, l’animal, qu’il « adresse la parole » ; qu’il prenne la main : elle a lu les mêmes livres que lui. Ayant passé vingt ans à peaufiner les yeux e le sourire, il peut espérer d’avoir maîtrisé l’essentiel vers les années 80. Ne peux-tu pas être naturel, tout simplement ? - Mon naturel fait fuir. - Tu te fais des idées. - Ta gueule.

    Un tel préambule mène presque inévitablement à l’agressivité. Que fais-tu quand tu aimes une femme ? - Je l’engueule de ne pas m’aimer. L’idée regorge de bon sens… Les filles en ce temps-là s’appelaient Monique. C’est extraordinaire quand on y pense. Monique m’aimait bien. Je me serais cru déshonoré de ne pas lui déclarer tout de go que les femmes n’avaient pas de désir, qu’elles étaient toutes lesbiennes : « As-tu déjà vu le sexe d’une femme ? - Oui. - Tu vois bien... » Inutile par conséquent de solliciter « une fille » qui de toute façon « ne voudrait jamais », alors que tous les bordels de France et de Navarre me tendaient les bras,etc. Jamais je n’ai rencontré aucune jeune fille plus désireuse de me convaincre de ma sottise, ni plus tendre dans son expression.

    Elle fut abandonnée à tel petit porc au nez retroussé, puéril, ridicule, qui la poursuivait de ses assiduités. Elle nous a fuis tous les deux et court encore, dans ces plans fixes laissés tout soudain suspendus par le temps. Une toute petite observation cependant : jamais – jamais ! - Monique donc n’avait cherché ne fût-ce qu’à demi à m’effleurer, j’entends physiquement. Une vraie femme…

    Vers la même époque, je me suis égaré dans un bal de village en exhibant un couteau à cran d’arrêt : « Tu l’as vu celui-là ? » Je me suis fait jeter avec mes potes, le bruit en courut je crois jusqu’en gendarmerie. Ne pas oublier ma gifle donnée en pleine rue, l’étudiante traitée de « machine à gosses » et le sigle « ABLF » (« À Bas Les Femmes ») à l’encre sur la main. Ensuite, j’appris que « je faisais peur ». Sans doute étais-je le lièvre, et les femmes, les grenouilles.

     

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    Tout cela pourrait s’écrire à la troisième personne. Mais c’est la première qui m’importe. Je ne m’épargne guère. À votre tour à présent.

    Il n’y a qu’à leur parler

    J’ai parlé. Des conversations, autant qu’il en est possible, philosophie, sociologie, sentiments et sexe, que dis-je, surtout de sexe. Ma langue fut souvent mon seul organe sexuel.

    Fais-les rire.

    Je les ai fait rire. Avec du sexe. Dans les films, ça marche. Cléo de cinq à sept : un bidasse raconte des sottises à Cléo, elle rit. Une heure plus tard, on se retrouve dans son lit. Moi aussi : dans le mien, en train de me branler. « Femme qui rit... » - eh bien, c’est femme qui rit.

    Touche-les

    Réponses enregistrées : « Écoute… je suis un peu gênée… je ne suis pas venue au cinéma pour ça… » « Ce que je cherche, c’est un camarade… une amitié… ce n’est pas le genre de rapport que... » - ad libitum. Les lèvres qui se dérobent, la joue qui se détourne, l’épaule qui fuit, la main qui fond – le genou qui s’écarte (un seul genou) – tenez, fantasmons : « Un mec, un vrai, c’est celui qui drague une fille dans la rue, et se retrouve une heure plus tard... » (voir plus haut).

    - Oui.

    - Prends ça dans ta gueule » - il lui décharge son 7,35 dans le ventre, parce que le ventre ou la gueule, c’est la même chose. Le tireur s’effondre à son tour : « J’ai tué » qu’il répète à genoux « j’ai tué », il n’en revient pas, il tend la nuque et personne ne l’achève, les flics le relèvent et lui parlent comme à un malade – vous avez l’heure j’ai tué vous habitez chez vos parents j’ai tué c’est à vous tout ça ? - ceux qui siffElaient les filles en groupe je leur dis vous ne voyez pas que vous passez pour des cons ils se sont arrêtés aussitôt.

    Fantasme

    Fuir au Maroc. Se faire passer pour Chleuh à cause des yeux, se faire tringler, casser des gueules pour se venger. « Maintenant tu me procures une pute. - Y’en a pas. - Paie-moi une pute «  fin du fantasme.

     

    ...la drague disparaît. Si tu abordes une femme tu passes pour un détraqué. Marie ouvre son parapluie d’un coup sec devant un type qui lui demande l’heure – genre Félicité devant le taureau ça va pas non ? dégage ! Essayez voir, jeune permissionnaire, d’aborder, poliment, une femme dans la rue – redégage.

    Les femmes essaient de « draguer désagréable » pléonasme – très comique les mecs qui paniquent - « draguer sensible » ? - non – jamais essayé… Juste interdire « drastiquement » toute drague d’hommes (entre femmes, no problem ). Comprenez bien : une femme dragueuse d’hommes avouerait par-là même que ma foi oui, elles pensent à « ces choses-là », et chacun sait la répulsion des femmes pour tout acte sexuel hors mariage (ou hors collage : elles ont fini par admettre le collage – quel progrès!) - et Phâmes de se plaindre : « On ne nous regarde plus ! On ne fait plus attention à nous ! « ils » baissent les yeux ! » - oui, et autre chose aussi. Pas fous. Quand on sait qu’aborder une femme récolte neuf fois sur dix la gueulante ou la main sur la tronche, aux sourires caustiques, on reste sur son strapontin de métro, on serre les fesse et on ne bouge plus.

    Ou bien, la panique vous lâche dessus un gros moellon de mimiques ridicules, j’ai déjà donné merci – merde, pour s’adresser aux femmes faudra bientôt trois ans de cours Simon. Ou des prothèses, un masque blanc, au hasard – les femmes ne se font plus « importuner », tout le monde s’emmerde, on a – ga- gné.

    « Et vous seriez contents, vous les hommes, de vous faire draguer ?

    Chœur des mâles : Oui.

    Laissons- leur la parole. Car les femmes draguent. Elles sont très fermes là-dessus : si si, elles draguent. Et elles baisent quand elles veulent. Dialogue :

    « Ce type n’est pas possible – tu as remarqué le rentre dedans que je lui ai fait ?

    - Raconte…

    - Il n’a pas pu ne pas se rendre compte ! Enfin ! Il était à l’autre bout du bar, et je me refaisais tout le maquillage en lui tournant le dos, mais il a bien dû remarquer mes mouvements de cils, tout de même ! » C’est faux, mais plus vrai que le  vrai. Juste pour montrer. Les femmes « draguent », c’est vrai. Mais si subtilement, si délicatement, avec tellement de « féminité » [sic] qu’elles sont bien les seules à s’en rendre compte. Çà pour vous sourire, elles vous sourient. Ma bouchère sourit. Ma boulangère sourit. Ce qui ne signifie pas qu’on va illico troncher sur les baguettes ou les os de gigot de l’arrière-boutique.

    «  Mais comment donc, Burrougues, tu n’arrives pas à distinguer le sourire de ta bouchère du sourire « qui en veut » ?

    - Ben non.

    - Ben voyons, c’est évident !

    - Ben voyons, pas du tout. »

    ...c’est ma femme qui m’a appris : « Quand elles battent des cils comme ça, tu vois, ce genre de regard » - pour une fois qu’une femme trahit ! Cependant : les femmes sourient. C’est certain. Au passage. Dans la rue. Très vite. Au bras d’un autre homme. Quand il n’y a pas de risque. Et souvenez-vous : on ne touche pas. On se frotte une bonne perle le soir, voire deux. Mais on ne touche pas à un homme quelle horreur !

    Alors, vous, bonne poire, vous répondez au sourire, vous engagez la conversation : « Mais pas du tout monsieur, qu’est-ce que vous allez imaginer, je suis avec mon mari ! (attends, j’explique au lecteur, là, parce qu’il s’y perd un peu : il n’a jamais connu tout ça ; tu accumules toutes les expériences maso possibles pour te donner des raisons de ne pas aborder les femmes : tu serais effrayé de la réussite.)

    C’est ç’laaa, ouiiii.

    Merci Catherine de Toulouse, qui m’as demandé de te raccompagner chez toi à 2h du mat, et qui ne m’as pas laissé monter,mais qui m’as couvert de baisers après que j’ai dit « Bon je pars », si bien que je ne pouvais pas me dédire sans passer pour un con.

    Merci Christine M., qui aurait bien voulu me sauter, mais qui s’est confiée à ma femme qui me l’a révélé un an plus tard, je ne t’ai pas inventée non plus.

    Merci Françoise L., assise à côté de moi sur le canapé cuisse à cuisse sans oser te toucher ; puis quand je me suis décidé (« Il ne faut pas brusquer les femmes ! »), tu m’as rendu le baiser, puis tu t’es écartée parce que je ne te désirais pas assez, qu’on n’avait plus le temps, je ne t’ai pas inventée.

    Merci Nicole, qui as renvoyé tout le monde pour me garder seul, qui m’as fait coucher à l’autre bout de la chambre, et qui n’a pas réagi d’un millimètre quand je suis venu à tâtons te baiser la paupière, pour me virer comme un malpropre le lendemain matin, « cette promiscuité est malsaine », je ne t’ai pas inventée.

    Merci Annick, à poil sur le lit en train de te rendre compte que « non, là, vraiment, c’était trop loin non non je ne veux plus pas maintenant mais cette fois, ce n’était pas moi, tu es tombée sur un homme, un vrai, qui t’a flanqué une baffe en te demandant si tu te foutais du monde, je vais t’apprendre à respecter un homme, et tu y es passée, je ne t’ai peut-être pas inventée, mais j’ai entendu dire, et les hommes se vantent souvent.

    Parler aux femmes, les faire rire, laisser traîner ses mains : à d’autres. Draguer gentiment dans la rue ?à d’autres – mais si tu ne dragues pas, on ne viendra pas te chercher. Et en admettant que tu obtiennes un bout de doigt, il te sera retiré, pour se foutre avec les neuf autres là où tu penses.

    Elle pensera peut-être à toi…

    *

     

    ...À votre tour les mecs… Pas de raison. Qu’est-ce qu’il y a de plus con qu’une femme ? ...un homme.

    Un homme, ça plastronne, ça les tringle toutes… mais quand on délie les langues, on s’aperçoit – comme c’est curieux ! que ces messieurs se départissent de la fameuse solidarité masculine et se tirent dans les pattes comme de véritables clientes de coiffeuse. Ce qui peut laisser sceptiques sur les prouesses des Bites-en-Barres.

    À 42 ans, les hommes ne parlent plus de cul : le rouleau compresseur de la vie les a bien rattrapés derrière les oreilles. Mais entre jeunes, c’est le festival d’arpente-bites. Libre à eux. Mais les voici qui dirigent vers moi leurs grands chevaux. Et je la leur joue Parsifal : je cherche des renseignements : comment faire pour être un homme, aussi beau que vous, séducteurs, ravageurs de croupes. Alors les chevaucheurs rigolent entre eux. Grassement. Ils s’exhibent leurs prouesses, leurs tringlages, se renvoient l’ascenseur, se la passent à la brosse à reluire, avec le coup d’œil supérieur au minable à pied dans le crottin : « Mais c’est facile mon vieux ! ...Tu te débrouilles ! » - leurs rires… surtout leurs rires…

    J’ai envie de tuer.

    Les plus calmes :

    « Mais bien sûr, que je tombe toutes les filles que je veux (bouffée de pipe). Ce n’est pas un problème (bouffée de pipe). Il suffit de savoir s’y prendre. De nos jours les femmes sont libérées. Elles ne pensent qu’à ça, comme nous. Tu n’as qu’à demander. »

    Mon désir de saccage devient frénétique.

    Cette fille de banquier qui déclamait : « Moi j’ai dépassé le problème de l’argent: j’en ai – je le dépense. »

    Ils disent : « Tu devrais te tourner vers d’autres questions maintenant. Tu n’as plus seize ans tout de même. » D’une femme : « Il est un âge où il faut savoir se fixer. Finies les petites aventures à droite à gauche. » L’ennui c’est que ne suis pas une femme, moi. Il ne me suffit pas d’ouvrir les cuisses. « Mais nous voulons choisir ! » ...Parce que vous vous imaginez, mesdames, que nous choisissons, nous,  les hommes ? …on est trop content de prendre ce qui traîne ! ...Et dire qu’il m’a fallu lire dans je ne sais plus quelle enquête bidon cette réponse de je ne sais quelle bite à pattes : « La baise, maintenant, ce n’est plus un problème ! »

     

     

     
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  • ADIEU TOUTES LES FEMMES

     

     
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    C O L L I G N O N

    A d i e u t o u t e s l e s f e m m e s

     

    (Mivath et le maçon)

     

     

     

    Lorsqu'il revient du travail, tout le monde se gare. C'est salissant un maçon. Le bob sur son crâne n'est plus qu'un bloc de yaourt. Il tient les bras loin du corps, se gratte sans conviction les pieds au paillasson. Prénom : Georges. Des cheveux noirs en frange sur le front, une fine moustache érotique. Taille : assez petit. Pas seulement maçon, mais à toutes mains : finitions (plâtres, carrelages ; branchements, raccords de mortier). Il peint aussi sur toile, sur les murs, des marines qui arrondissent les fins de mois. Radio X-Y lui propose, en haut de la pente, un coulage de semelle : une plaque de 10 sur 10 pour supporter, pour isoler du sol une construction métallique.

    Radio Kiss doublera sa surface. Georges bosse mollement : la paye au forfait n'encourage pas précisément la rapidité d'exécution. Dans le grincement obsédant de la bétonnière, Georges observe tout, appuyé sur son manche de pelle. Il a bien calé la machine sur le sol, entre les touffes d'herbe, les taches de paille de fer ; tous les débris des vieux chantiers d'avant, durites au butyle et fragments de câbles. Georges se voit mal passer sa vie là-dedans, mais il faut bien qu'il s'y fasse. Il voit défiler tous les jours les animateurs qui passent et repassent le seuil métallique vert bouteille surélevé des studios, dans un bungalow vaguement aménagé.

    Parmi les défilants, Georges voit :

    - un curé en veston

    - un imam sunnite

    - un imam chiite

    - un rabbin, un pasteur

    - une Portugaise sans accent, beau cul

    - un Italien, cul moyen, quinquagénaire et la tête en arrière.

    Il voit encore :

    - une blonde nommée "Lise", d'abord revêche, experte en informatique.

    - toutes sortes d'invités des deux sexes, qui se croient tenus d'adopter au micro (il les écoute sur son transistor) un ton fade qui dénote l'amateur, celui qui veut passer pour professionnel ; souvent, appuyé sur sa pelle, Georges change de longueur d'ondes.

    La personnalité la plus marquante, c'est un grand maigre au ventre proéminent, à cheveux longs très démodés ; il porte le verbe haut, se tient courbé sur son abdomen, odieux à l'antenne.

    Il s'ouvre au maçon de son désir de l'interviewer à l'antenne. Avant que Georges ait pu décliner son invitation, le grand homme poursuit son boniment, se cause à lui-même et se coupe au

    milieu de ses phrases. Georges entre à sa suite dans le bungalow que tout le monde appelle "le bureau" : le samedi, l'affluence est plus grande, chacun va et vient, et se sert : l'agrafeuse, le marqueur, le compact. Georges pianote, consulte les annonces de cœur, dont la première page montre un cœur qui bat :

    JFMIVATHCHCORRESPTTSRÉG

    Mivath ? ...c'est hongrois ?

     

    Il note l'adresse, met en veille, et file. Le blond maigre ventru l'a oublié, il courtise l'équipe, tient absolument à passer un jour ou l'autre, ô gloire ! à l'antenne. Georges empoigne sa pelle. Il gâche comme il peut. L'argent n'arrive guère.

    Il espère que Mivath, la Hongroise ! lui adressera des lettres sous enveloppes parfumées, molletonnées. Roses. Georges revient chez lui, se change, gagne la table. Sa toile cirée est encombrée de pieuseries : vierge luminescente, images dans le missel, napperons "Sacré-Coeur" 30cm ; un coquillage en grotte, trois signets à la croix de Malte. En face de lui, un curé de St-Leu-St-Gilles. A droite du prêtre, soeur Latanie, sans coiffe, mais non moins convaincue de l'existence de Dieu. C'est son foyer. Ce couple l'a recueilli. La morale est stricte. Autour de lui, sans garantie, un peuple d'images pieuses punaisées, un Christ, légèrement décalé au-dessus du réchaud.

    Georges à 30 ans bientôt possède une chambre personnelle et sobre. Il n'a rien à cacher. Il révèle aux deux adeptes son intention d'établir une correspondance suivie avec Mivath, hongroise. Ou islandaise. On peut se tromper. Il s'aperçoit aux tics du curé que c'était son tour de Benedicite. Il bredouille et mange. Le repas est silencieux sauf un grésillement de transistor, le Père Dubreuil se branche ainsi sur l'univers et repasse les mots qu'il vient d'entendre. Puis Georges dans sa chambre forme un numéro de Minitel, Médium Interactif. Une voix chaude et artificielle, de femme s'efforçant d'être aimable. Aigre, en habits de politesse. Georges se dit : "Ce n'est pas une jeune fille". Elle a pourtant 17 ans. Le contact sera pris, régulièrement, dans une cabine téléphonique aux cornières métalliques.

    Georges-Xavier tente d’intéresser, avec humour, son interlocutrice à la composition du CIMENT. Elle s’en fout. Tseth Mivath, c’est son nom, confie ceci :

    - ce qu’elle lit

    - ce qu’elle voit au cinéma.

    Georges-Xavier en apprend beaucoup. Il dit :

    « Quand je lis, j’oublie tout ».

    C’est un ouvrier qui lit.

    À l’autre bout du fil, Tseth Mivath s’étonne. « Si je lui demandais de gâcher du ciment, pense G.X, je lui dirais moi aussi : C’EST FACILE ! »

     

    Dans cette vois métallique du téléphone, le maçon croit déceler « un désir qui n’ose pas dire son nom », l’expression lui vient d’un roman-photo. Il lit d’autres choses que des romans-photos.

     

    Mivath se présente au terminus du 25, dernière à descendre, empêtrée dans ses mollets, avec de grandes lunettes noires. Rejette ses cheveux roux sur ses épaules et se tord le pied. Pas beaucoup. Georges est en veste de ville, sans plâtre sur lui. Il faut cesser d’avoir des préjugés. Mivath écrase sans les finir ses mégots-filtres pleins de rouge. Couple gauche. « Confuse, dit-elle, je suis confuse ». Georges ne désire pas son visage, grêlé, bistre clair. Elle se trompe dans les génériques. Peut-être ces rediffusions télévisées à caractères minuscules. OÙ VONT TOUS CES OISEAUX qui passent dans le ciel par bandes.

     

    « Père Dubreuil, Sœur Tatiana » IIIe siècle « je vous présente Mivath ».

     

    * * * * * * * * *

    - Cher Monsieur,

    J’ai bien lu votre article sur l’art de la fresque. Vous y exposez de belles thèses (…)

    « Mais, pourquoi écrivez-vous ? (...) » - MIVATH.

     

    - Cher Georges,

    (…) Comprenez-vous le latin ? ...que vous êtes cultivé ! Quelle est l’opinion de vos parents sur moi ? (ils ont pensé… que vous vous poudrez trop).

     

    Je vais vous dire, chère M., ce qui m’a amené à la maçonnerie…

     

    Georges se loue à des chefs de chantier pour travail au noir. Le mortier, c’est gris. Le ciment, c’est clair. En général. Georges s’écorche les mains, les doigts, la peau autour des ongles. Chère Mivath. Ici il pleut. Je regarde la télévision. Il suffit d’attendre un an ou deux.

    ...Pour rédiger, péniblement, ses lettres, Georges pose son doigt sur chaque phrase de Mivath. Il y fait correspondre une des siennes. Parfois les idées lui viennent pour deux ou trois lignes. Il passe alors un nombre équivalent de phrases, puis reprend ses comptes, son manège. C’est un peu décousu tout ça. - Ta gueule. Cher Georges, Vos lettres présentent un aspect coq-à-l’âne charmant. Ma première visite vous fit-elle bonne impression ? Cela se renouvellera dès que vous le souhaitez.

     

    Ils sont allés se promener à la campagne. Ils ont suivi un sentier sous les bois, puis se sont couchés sans se toucher dans une prairie. Il lui a demandé si un jour elle se marierait. Elle a répondu Mon chat me tient compagnie tandis que je rédige ces lignes. (« Il me tient chaud depuis l’enfance et se fait vieux. Je l’appelais FIFOU ».) Le chat semble énorme, mais ce n’est qu’une boule de poils soyeux. Probablement un croisé d’angora.

     

    Georges fait part de sa tristesse permanente :

    « Sœur Tatiana fait régner pendant les repas des silences mortels.

    « Peut-être qu’ils prient.

    «  Moi je sais pas à quoi penser quand je MÂCHE.

     

    « Envoie-moi de tes poèmes. Mon courrier n’est pas ouvert.

     

    Chers vous et votre Sœur…

     

    Mivath fait parvenir des textes « d’inspiration chrétienne ». Des niaiseries, un début de roman où le monde et ceux qui le peuplent semblent affligés d’une fâcheuse transparence. Une ombre de pédé suinte à travers un rideau, disparaît, nu, de face, de profil, devant une femme raide,

    scrutatrice, lamentatrice – rien d’ironique dans ce que je dis – brumes, tentures – action nulle et riche vocabulaire. Mivath déménage. L’homme écrit :

    « Je te dis ce que je désire : des yeux, ta chevelure, la courbe du crâne » (« courbure occipitale) « et quand tu m’as envahi jusqu’aux bras ton doigt seul sur ma peau – je m’exprime mal, trop tôt ».

     

    Extrait

    « Jean-Claude fit tourner un verre entre ses doigts. Sous son profil évanescent et pâle nul au bar n’eût su dire où il pensait [sic] Il portait un jabot de dentelle anglaise et but, inclinant son nez droit d’albâtre au fond d’un verre opalescent d’argent ».

     

    Mivath

    ...Qu’avez-vous lu ces dernières semaines ? Hemingway, Dos Passos, Steinbeck – voilà des hommes.

     

    Je suis l’homme. Je place brique sur brique. Mes mains se crevassent. Le mortier me mord les ongles et le patron m’engueule quand tu sauras te servir d’un fil à plomb, fils de boucher !

    Je lis un quart d’heure, avant de me coucher.

    - Cher ami, ne me dites pas que vous vous abaissez à des lectures pornographiques… »

    - de quoi je me mêle -

    « ...je suis une fille très délicate, qui n’ai pas encore « franchi le pas », qui ne couche pas avec le premier venu, si séduisant, si convaincant... »

     

    Georges affiche une brutalité athée sans nuances

    « Jésus c’est un barbu fade et sans âge »

     

    « ...Cher Monsieur,  Monsieur Georges : Votre lettre témoigne d’une profonde ignorance et m’a beaucoup peinée (…) vous ne savez rien de Jésus…

    - Vous non plus » lui dit-il sur un banc public

    ils se voyaient, mais parcimonieusement

    - Vous parlez de Jésus comme d’une vieille chaussette » (et in petto : ça lui passera)

     

    Lettre du 26 j…

    « Très chère Mivath , La religion pour moi se résume à Trois Commandements :

    PAS DE SEXE - PAS DE SEXE - PAS DE SEXE

     

    ...seigneur seigneur aidez mon frère Georges à se maintenir dans Votre voie, à ne pas sortir du (…)

     

    « Bientôt je ne pourrai plus parler de moi »,dit Georges.

    Son tuteur curé, la gouvernante Tatiana martyrisée en 226 n’interviennent absolument pas. Sacrilège ou non ? ils n’en disent rien. Lettres ouvertes, ou non ? pas un mot. Ils les lisaient sans doute. Le prêtre et sa Bonne avaient décidé en des temps très anciens de laisser leur garçon adoptif adopter tel système qu’il jugerait bon, car le doigt de Dieu mène où il lui plaît.

    Il y eut une autre visite.

    Les deux profonds croyants restaient neutres et repassaient les hors-d’œuvre.

    Ils bouffent trop, pensa Mivath.

     

    X

     

    X X

    Le studio de RADIO X -Y est résolument sombre, la porte blindée, le tapis du couloir, nécessairement, brosse. Aux plafonds – du bureau, - des studios – de la réserve (à disques et à clés USB) - des néons qui grésillent et sautent, sautent, sous les fonds convexes très impressionnants.

    À l’autre extrémité de ce bâtiment de fer, les pins persans et l’asile, à meurtrières comme partout.

    La porte de secours est condamnée. L’éclairage insuffisant donne aux animateurs nocturnes une sensation de bien-être.

    À gauche en entrant le bureau séparé du couloir par une longue vitre ; il s’ouvre avec une clef plate particulièrement compliquée. Georges ne peut pas y pénétrer.

    À droite : une autre vitre longue elle aussi à 1,20m du sol monte le technicien de dos ; plus une autre plein cadrage avec les invités à table, à chacun son micro, nous disons donc, au fond du couloir à droite le STUDIO II inoccupé, au fond à gauche (après c’est fini) la Réserve à disques 45t vinyles classés par date en baquets de bois (classement inepte). On entre on voit un frigo vide et qui fonctionne, et alors, tout à fait derrière ; une porte intérieure vitrée opaque avec des écrans des claviers d’époque- un oubli L’ÉMETTEUR tout au fond à droite.

     

    Tout s’anime une fois par semaine quand la porte blindée reste ouverte, le bureau ouvert avec sa secrétaire et un Autre Curé ouvrier celui-ci qui reçoit

    - des juifs

    - des musulmans chiites et sunnites

    et des rockers qui vont et viennent avec des microsillons 18cm.

    Voilà Georges le cimentier le maçon promu animateur les mardis soir.

    L’émission s’appelle Quand j’entends un rock j’les ai tous entendus.

     

    * * * * * * * * *

     

    Ainsi donc à Radio X Y – on agrandit.

    ...et pour cela on coule une dalle de béton…

    «Je crois » dit Georges (qui prend de l’assurance) « que le Patron a la folie des grandeurs ».

    Mais pour gâcher, étaler, polir le béton, il est payé. La bétonnière tourne quand les fenêtres sont fermées. Georges fait traîner les choses, le patron fait traîner la paye. Et vice-versa. Mais les émissions de Georges, ouvrier, sont très appréciées.

     

    Révélations

    Georges ne connaît pas de métier particulier.

    Il a étudié pour s’instruire, insuffisamment pour instruire les autres.

    Il a joué de la basse, suffisamment pour soutenir « Les Floors », pas assez pour fonder son groupe à soi. Il a suivi des stages de maçonnerie chez Da Fonso : le Maître lui montrait où placer les mains, la truelle et l’auge. Expliquait le pourquoi et le comment d’une bétonnière.

    Georges anime de bonnes émissions, dites littéraires.

    Ses mains sont craquelées. Il use beaucoup de pommade.

     

    La station X Y domine la ville des Réaux (26 000 h., immigrés, ouvriers, ignares et fiers de l’être. On trouve en ville, pourtant, un libraire plein de morgue. Certains surnomment Les Réaux « Tunis-sur-Seine ». On bronze beaucoup près de l’Asile de Fous, en haut de la pente. En bas, une médiathèque disproportionnée, de brique rouge, a suscité les commentaires de l’Opposition :

    - « n’eût-on pas mieux agi en dépensant tout cet argent pour la réfection des trottoirs, pour nos vieux ? »

    Il a fallu interdire la médiathèque aux jeunes Nord-Africains d’origines diverses, qui la prenaient pour une ère de jeu.

    Georges ne méprise pas le peuple, mais évite soigneusement tout contact avec le peuple.

    À radio X Y il se fait appeler « Xavier ».

     

    Programme

    À base de rock, de rap et de reggae ; qui expriment la révolte.

    Yougoslaves, Portugais, bénéficient d’émissions partiellement en leurs langues. En revanche aucune place n’est cédée aux arabes, ni prose ni musique. « Ensemble » est la devise de Radio X Y, soutenue par la municipalité.

    Gräce aux infos régionales, nul n’ignore les travaux d’adduction d’eau dans un rayon de 12km (trois lieues).

    Georges (« Xavier ») méprise en secret toute entreprise collective . Tout ce qui n’est pas solitaire.

     

    Rappel

    Les samedi matin, la porte d’entrée reste ouverte en permanence ; un ancien prêtre ouvrier, toujours dans les ordres, anime des rencontres écuméniques, et parle de la faim dans le monde. Chacun s’exprime posément, bien en face du micro, de ce ton morne et détaché qui semble naturel mais reflète bien l’esprit troupeautier : ne pas se faire remarquer. Ne pas sortir du lot. Prouver qu’on n’est pas supérieur aux autres, qu’on ne s’exprime pas mieux qu’eux. « Eueuecuménique » : faire les mêmes fautes qu’eux.

    D’où un ânonnement perpétuel, un manque de passion proprement exténuant, des silences, des bafouillements que personne – démocratie ! - ne s’autorise à interrompre.

    Pas de musique de fond.

    Georges (« Xavier ») dit toujours le plus grand bien de ces personnes-là. Il ne médit jamais de personne.

     

    L’émission littéraire de Georges (« Xavier »), où se produit parfois le libraire des Réaux, Monsieur Pleindemorgue, vient parfois présenter ses ventes en vitrine. C’est atroce.

    Lui, « Xavier », critique les livres qu’il veut. Des anciens. Aux auteurs souvent morts. Pas de vagues.

    Il a composé des feuilletons, qu’il lit à l’antenne. Il les censure, car il faut bien ménager les curés – il y a donc deux curés dans la vie de Xavier : voilà bien de l‘abondance. Il aime bien ces gens d’Église, qui l’ont toujours intrigué. Il en place volontiers dans ses feuilletons.

     

    « Xavier » prend ses 45 tours dans l’ordre de parution, pièce du fond bacs de gauche. C’est une émission dans l’émission. Il appelle ça La merde comme chez soi. Les curés préfèrent le caca-prout au sexe.

     

    * * * * * * * * *

     

    Au presbytère ville basse, Georges occupe une grande pièce du premier. Tout enfant il avait aménagé un angle en « coin chapelle » : petit autel, crucifix et sainte Vierge. Puis il se dit :

    « La comédie a assez duré ».

    Il descendit le tout à la cave, sous les bénédictions mentales du curé. Cependant il conserve certains rites en mémoire de sa mère décédée : il compte les livres de ses rayonnages, laissés là par le jeune frère du prêtre mort lui aussi, s’arrête au 47e et le lit tout entier. Et ainsi de suite. Tous les quatre jours, après le shampoing. En effet, pendant son service militaire, son crâne tout ras restait humide. Vingt minutes de séchoir, vingt minutes de lecture. Le séchoir a disparu, l’habitude est restée.

    La maison du curé cache un grand nombre d’ouvrages : étagères, recoins, placard à chaussures. Georges-Xavier déteste l’ordre. Le bureau du curé est dans les ordres : tout reste sombre, sobre, impeccable. Xavier-Georges (c’est le même) a lu de la page 1 jusqu’au bout une quantité de bouquins pieux. Il est imbattable sur les schismes des Ve / VIe siècles (nestorianisme, arianisme). Dans sa chambre il ne tolère l’intrusion de nulle main étrangère. Il dessine les cartes de ses pays, les parsème de fleuves et de villages, dont il répertorie les noms sur un registre séparé. Il donne à la Croix-Rouge, à Médecins sans Frontières et aux Orphelins d’Auteuil. Sur un coin de sa table il empile des textes d’émissions radiophoniques ; cette invasion s’étend peu à peu au reste de la cure : l’ecclésiastique a reporté sur lui ses affections paternelles, bien que Xavier ne soit pas noir. Le père Dubreuil, lui, est noir, et s’appelle Bruno (1030-1101). Il s’exprime rarement, s’abîme des après-midi dans son rôle de prêtre, et ses lectures. Il n’a cure d’écuménisme. Il se soucie peu des misères du monde. Il n’a pas de grand dessein apparent. Il dit ses messes et célèbre des baptêmes. Ces derniers se font de plus en plus rares.

    Les mariages aussi. Lui ne s’en soucie guère. Il ne fréquente personne, pas même d’autres prêtres. Il ira au paradis, mais il n’y a nul reproche à lui faire. Il est très exactement l’opposé de celui qui anime, tous les mardis sur Radio X – Y, l’émission « T.D.H. »

     

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    L’émission de Xavier passe les mardis soir. Quelle corvée de les préparer ! Il attend la veille. Ôte d’abord de son sac les disques diffusés, puis, sur un verso vierge, trace au stylo le schéma de son émission : deux 45T., la Critique ; deux 45T, Feuilleton, etc. Jusqu’à la fin du Temps Imparti. Il sélectionne ses disques selon une méthode inadéquate. Soient chez lui des rangées de disques parallèles, par ordre alphabétique. Au bout des rangées, il recommence. Les mêmes disques repassent dans un délai de quatorze mois environ. Ce sont là des disques personnels classiques de préférence : la radio, pauvre et populo, n’en possède pas.

    Quand le schéma est achevé, sur la feuille froissée, le plus fastidieux reste à faire : intégralement rédiger le Texte Critique. Xavier choisit parmi ses dernières lectures. Il écrit au fil de la plume et le plus rapidement possible.

    C’est un maçon de raccroc.

    « Mivath, je te trompe, dit-il, je te trompe... »

    Puis il corne les pages de 47 en 47 (...94, 141, 188, 235...) déterminant les extraits à lire à l’antenne.

    Une conclusion hâtive achève l’ensemble.

    « Tout texte écrit en vaut bien un autre ».

    Certains ouvrages lui sont adressés par l’Association des Auteurs ; ils sont copieusement rossés.

     

    Ce soir il a couvert d’éloges l’œuvre et la personne de Maurice, éditeur décrépit publiant ses souvenirs. Il rend hommage à son honnêteté, le félicitant « d ‘avoir traversé en tous sens le marécage éditorial » ( thème éculé) « sans s’être sali les mains » ; « d’avoir mis au jour tant et tant de talents, de les avoir imposés aux inerties mercantiles » (thèmes éculés) è « d’avoir gardé le cœur pur ». Puis insensiblement, toujours avec respect, il propose quelques boulets rouges enveloppés de feuilles de vigne :

    « Pourquoi s’indigner qu’un auteur de Province, loin de tout, n’accorde son amitié à son éditeur que le temps d’une publication ?

    « ...pourquoi désespérer l’écrivain isolé – par l’exposition de  tant de magouilles sincères, l’évocation des froissements de tant de marchands de pommes de terre ? »

    ET TOC.

    L’auteur-éditeur s’en fout.

     

    Le propre feuilleton de Xavier-Georges bénéficie d’une promotion sur les ondes. Sujet :

    deux enfants jouent avec lrut sexe dans les buissons d’une commune appelée Montserrat, en Lot-et-Garonne. Des deux côtés dudit buisson, l’instituteur et le curé s’astiquent.

    « Le scandale tuera le cœur de ces enfants » ;

     

    Xavier-Georges lit, en soignant ses intonations. Il ne résume jamais les épisodes précédents. Il boit du whisky lorsque le micro est coupé. Cela n’améliore pas sa qualité de voix. Il prend de l’Aotzalmik – Prétéourian pour s’empêcher de boire.

     

    X

     

    « Monsieur,

    « J’écoute avec attention votre émission sur *** » - lire « Trois-Étoiles ».

    « Vous me semblez un présentateur intéressant, complexe. Le micro, seul interlocuteur : n’est-ce pas frustrant ,

    « Je suis une jeune fille de dix-sept ans, très sage, qui vit chez ses parents et prépare le bac. Mon nom est MIVATH.

     

    Georges, ou Xavier :

    « Elle joue à quoi, là ? »

     

    La lettre dit encore :

    « ...le cachet de la poste a dû vous apprendre que j’habite (...) » - de ch’val ? - « craignant de vous déranger si je vous téléphone en direct – mais surtout – l’art de la lettre se perd.

    « Même Papa préfère téléphoner de la Chine (je suis moi-même parfaitement européenne).

     

    Plus loin :

    « Nous ne devons pas nous voir, ni chercher à nous connaître autrement, désormais. »

    - Un mot de trop » observe Xavier.

    « C’est ma façon à moi, jeune fille moderne, d’être romantique. Vous ne m’en voulez pas ? » - l’émission de Xavier-Georges permet à Mivath la découverte de nouveaux auteurs ; moins ennuyeuse qu’un cours, « grâce à votre présentation amusante et si instructive . Maurice me semblait un Vieux Monsieur pétri de bourgeoisie ; vous avez révélé son honnêteté, son audace, ; jusque dans l’âge avancé. »

     

    ...Maurice avait combattu l’ignorance, la nonchalance et la cupidité. « Quel exemple d’énergie pour les jeunes ! Comme j’aurais aimé le connaître ! Mais qui sait ? » Xavier : C’est le plombier.

     

    Cependant, il semble à Mivah que Xavier-G. s’exagère les turpitude de l’édition.

    « Vous devriez voir les choses de façon plus positive ».

    « Soyez plutôt maçon, si c’est votre talent ». Xavier répète avec emphase : ça le fait marrer, le coup du maçon.

     

    « ...Je vous écris de mon bureau, sous la lampe, au premier étage ; près de la fenêtre, dont je n’ai pas baisse le store. L’ombre de ma têt se perd dans les feuillages (ne cherchez pas à repérer mon domicile, vous en avez beaucoup de semblables) ».

    « Autour de moi règnent des étagères surchargées. Priorité bien sûr aux œuvres du programme ; toutefois je me permets quelques entorses contemporaines.

    «  Que pensez-vous de Marguerite Duras ? j’ai lu Les petits chevaux de Tarquinia, L’amant, et surtout La maladie de la mort. Vous qui êtes un homme, dites-moi si l’imaginaire érotique masculin se présente toujours de façon aussi morbide ? »

    Mords-moi le bide, dit-il.

     

    - Pourquoi ne parlez-vous jamais de Marguerite Duras à la radio ? »

     

    Elle va très souvent aussi voir des films. « Êtes-vous attiré par les films érotiques ? Préférez vous Bergman ou Fellini ? Et Tarkovski ? que pensez-vous de Tarkovski ? »

    Elle, c’est une inconditionnelle de Truffaut.

    Elle espère ne pas avoir importuné Xavier par ses bavardages et lui souhaite de bien continuer ses émissions. Aura-t-elle une réponse ?

    « Votre amie, peut-être,

    MIVATH

    - Quel drôle de nom, se dit Georges-Xavier.

     

    *

     

    En fin d’émission, il lui faut remballer très vite. En effet, la radio ne dispose que d’un seul studio. Les animateurs de l’émission suivante, bien entendu consacrée au Rock’nnn Roll, piétinent dans son dos ou commencent à installer leurs disques et cassettes par-dessus son épaule. Il bourre tout dans un sac, replace les 45 tours dans leurs baquets. « Poursuivi par les facilités d’une musique grossière qu’on prend soin de faire tonitruer » (lettre du 25 novembre), il pousse la sortie blindée. Dans son dos claquent les verrous magnétiques.

    Il redescend la colline en voiture et en pleine ébriété. Pour conserver du bruit entre ses oreilles, il a branché du rock à fond. La suspension couine son agonie. Parfois il s’arrête, pour glisser dans les boîtes les « prières d’insérer ». Les immigrés yougoslaves seront très surpris.

    Il se gare définitivement, marche à pied dans la nuit froide, en balançant son sac boursouflé de zique. Le vent s’est chargé de pluie, les veines, d’alcool. Autour de lui des rues heureuses, où passent les rumeurs télévisées. Plus personne n’écoute de radios à cette heure-ci.

    Passé la porte du presbytère, il retrouvera ceux qu’il aime. « On croirait qu’ici, tout le monde veille un malade. Un cadavre. ». Impression saisissante : d’un seul coup, ne plus rien entendre. Des lumières faibles, un escalier craquant. Perdu chez lui sous le halo d’un abat-jour, le curé Dubreuil s’est plongé dans un ouvrage sévère, qui lui arrache des rires étouffés.

    Le jeune et le vieux ne se saluent pas. Xavier-Georges sent sa gorge qui se prend et les tympans bruissants. Il passe en cuisine où l’attend un repas standard trop copieux – poisson fenouil et carottes vichy. « J ‘ironise » écrit-il. Sœur Tatiana se présente de dos, en long sarrau gris évasé sur le cul. Elle attend des compliments et ressert le plat. Elle dit invariablement qu’elle a « bien écouté l’émission », que la partie critique était « convaincante », « servie par une diction impeccable ». Elle émet des réserves sur la « crudité » du feuilleton et les « tics d’intonation ».

    - J’en parlerai à Mivath » se dit-il.

    *

     

    Parfois, c ‘est la fête : le curé a permis qu’on ouvre la télé. Xavier-G. apporte un morceau de fromage et un yaourt. En général c’est une femme qui a eu des malheurs. Xavier-G. pendant ce temps pense à ce qu’il veut. À quoi penses-tu ?

    Aux rats le cou tendu vers la télé ou la cuiller à soupe. Aux vieux et aux morpions, à lui. Mais la plupart des temps règne le silence. Le silence du soir, épais, sans trace d’une présence de Dieu. Xavier-Georges mort n’entendra rien de plus. Est-ce qu’après la mort j’entendrai de la musique ?

    Pas même une toux. Pas même une page qu’on tourne.

    Parfois Bach, Haendel, Haydn. Moins que la télé. Il a essayé, réussi, dormi. Apprécié la belle musique. Le maçon se lève tôt, les chantiers s’éloignent.

    Xavier-G. n’aime pas rentrer de Radio X-Y.

     

    *

    « Chère Mivath, Kedvesh Mivath !

    J’attends toujours huit jours pour te répondre. Il ne faut pas céder aux coups de tête.

    Révolution de palais chez X-Y : nous avons réélu le C.A. de Notre Radio Associative.

    À ma droite Jérémy J., gros plein de bière, grossier, factotum.

    À ma gauche Petit Péteux, mince, italien, banquier. Veut faire viril. Président cassant. Toujours à tripoter son coupe-papier. »

    Comment peut-elle se passionner pour mes conneries.

    « Chaque membre du Bureau doit renouveler sa candidature par écrit.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

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    Notes de L.P.

     

     

    Tous les commentaires que je fais sont en rapport avec ce que je connais de ta personnalité, j'outrepasse donc la fiction pour traquer l'auteur même. Ne prends rien pour un reproche, mes commentaires sont tout-à-fait spontanés et bienveillants, comme un œil extérieur souhaitant te délivrer de certaines manies.

     

     

     

    Seul à ma table avec les fourmis.

     

    Tous les éveillés font semblant de dormir. Sensation de danger comme hier, au sommet de la tour de Najac. La peur provient de ce fait : chacun peut se lever sur la pointe des pieds, pour lire par-dessus mon épaule.

    La peur provient de moi : je laisserais traîner ce que j'écris, eux, le liraient. Retenez ceci : quoi que vous fassiez, il y a toujours quelqu'un qui lit par-dessus votre épaule. J'aime

     

    Hier mon père et moi sommes allés au château de Najac. Mon père me suit, partout. C'est lui, par-dessus l'épaule. Il m'a conduit jusque très tard aux cabinets.

    Une queue sort d'un arbre, un jet de merde tombe : mammifère ou oiseau ? Cette nuit je fus réveillé par une sorte de glapissement.

    C'est un écureuil.

    Est-ce que les écureuils crient ?

    J'avais cru jusqu'ici que c'était le cri du renard. Ainsi, pendant les nuits de Pasly, entendais-je le renard et le rossignol. Puis j'appris que c'était celui de la mésange. Mais le renard, c'était ...?

    Partout des frémissements : dernières poursuites, derniers massacres entre les branches. La mort la plus fréquente chez les animaux est de se sentir englouti, déchiré vivant. Tout sera bientôt englouti par la grosse vulgarité humaine.

    Mme Schmoll est grise, grosse et vulgaire. Mon père fréquente cette femme. Ma vie sexuelle est bien plus secrète. (ça c'est de la fiction !)

     

    Au sommet du château de Najac, le corps engagé dans les créneaux, je faisais le tour de mon vertige, j'aime

    le sol semblait se relever vers moi comme l'angle d'un tapis vert, je pensais qu'un peu de courage

    aurait suffi pour sauter dans le vide. Tout serait fini.

    Non accompli.

    À ce moment la voix de Frau Schmoll me parla de réincarnation.

    C'est la première fois que j'écris à la main depuis si longtemps.

    ...La pente du village est raide. Nous avons acheté du beurre. J'obsevais une petite fille plate et pathétique. Longiligne et visiblement couvée. Qui nous fixait. Le soir elle écrirait dans son carnet : des adultes laids et puissants. (si exact !)

    Rien ne ressemble en moi aux choses que livrent les écrivains dans leurs interviews : ils se sont tous donné les mots... le mot

    Et autre chose encore : le jour de ma mort, sur mon lit de mort, si tant est qu'il y a un lit, les couces feuilles de mon Œuvre ne bruiront pas à mes oreilles pour m'emmener, sur leurs ailes, dans l'Éternité. métaphore ! Ah la métaphore filée, qui plus est, n'en abuses-tu pas, comme dirait... ? Ça fait cliché mais ça me plaît.

    Alors je note. Qu'il fait frais. Que les oiseaux très isolés font entendre leurs divers cris. Que la grand-route passe au fond très loin vers Montauban.

    Nous sommes au cœur du Ça.

    Das Es. Essen. Mon père va me contraindre à manger. Il engloutit des kilos de petits-déjeuners. Celui-ci durera trois quarts d'heure. Puis viendront d'autres châteaux.

     

    ...Qu'est-ce que j'apporte aux autres, – est-ce une vraie question ? - et que les autres n'ont pas ? Cette lueur d'été infâme, ces siestes vautrées dans la demeure, cette décomposition d'où je me suis à l'instant relevé, vous les avez vécues, également.

    oui, mais nous ne les avons pas écrites, ni décrites, donc, réponse à la question, tu nous apportes ta belle écriture.

    Les journaux éternels sont peuplés d'êtres imaginaires. J'y reviendrai.

    Frau Schmoll va et vient seule dans la maison fraîche, la vaisselle tinte sur l'évier de pierre, nous avons mangé trop de fromage, il faudra digérer, payer tout cela. Il n'y a plus que mon père qui dort. Il est très difficile à réveiller en début d'après-midi.

    Réendossons la vie. Que la vase vous envahisse, que l'action vous mène, mon Dieu, n'y a-t-il donc que la mort dans la vie ? Excellente

    Le soleil chauffe. La première des politesses serait que je sorte de ma chambre.

     

    *********** ****************** ****

     

    Mon père joue de l'orgue. S'il se contentait de se distraire ! hélas, il se prend pour un génie. Méconnu, ce ne serait pas si grave. Hélas encore, il se prend pour un génie à venir. A soixante-douze ans, mon père attend toujours son avenir. Il s'imagine encore en capacité d'atteindre, à force de persévérance et de progrès, un stade supérieur qui tarde à venir. Qui lui est dû ; par le nombre des années.

    Une garantie.

    Or il existe aussi des vieillards cons.

     

    xxxxxxxxxx

     

    Plusieurs ainsi Pitt s'offrent à nous. Ce ne peut être une date : tout verserait dans le réalisme, où chacun s'empresserait ou craindrait de se reconnaître. Où moi-même...

    L'un de ces commencements consistait à reprendre les propos de Connolly, disant en substance que tout romancier doit être un homme d'acquiescement, tandis que l'homme divisé s'épanouissait dans le journal ou le dialogue.

    Une troisième introduction implique une réflexion sur l'inévitable permanence des personnages secondaires ou (plutôt) épisodiques. Mais où Claude Mauriac, Gide ou Nin évoquent Miller, Allégret, Cocteau, nos pas ne croiseront que des Fritz et des Zimmermann. Ceci me semble une digression et présente un décalage, on veut poursuivre avec toi dans la fiction (ou pseudo-fiction).

    Henri-Frédéric Amiel me fascine. Son oeuvre figurait parmi les usuels de la Bibliothèque de Bordeaux, alors qu'il ne voyagea pas, et borna le cercle de ses connaissances à quelques amis aussi obscurs que lui.

    Voyez comment la démarche de l'auteur diffère ici infernalement de toutes celles de tous les autres écrivants : quel autre, au mépris de toutes les lois de genre, ne cesse de s'interroger sur l'effet de son écriture ? non pas dans la postérité, mais dans le moment même ? distanciation de l'auteur avec lui-même, qui nous rapproche de lui.

    l'artiste s'interroge toujours.

     

    Ce narcissisme escargotier le mène droit aux gémonies - en latin scalae Gemoniae : escalier, dans la Rome impériale, où les corps des suppliciés étaient exposés avant d'être jetés au Tibre. J'inscris ce mot sur mes tablettes. Mon père fait ses ablutions dans le cabinet de toilette attenant. Il s'est levé tard, ce qu'ordinairement je ne puis supporter - je le houspille, et la matinée se passe dans l'aigreur ; au lit, il ne dort pas : ressassant ses souvenirs, parfois les yeux grands ouverts au-dessus de la ligne du drap. j'aime

    Il perd son temps. Il ne doit pas ruminer ainsi. La rumination ranime le goût de sa jeunesse, justifiant la totalité de son passé - tiens, ça me rappelle une personne que je connais bien !

     

    Nous verrons. A son âge.Mais le temps qu'il repose ainsi : je ne peux ni sortir ni me promener. Même si je ne me serais jamais promené on a le droit de dire ça ? Ah oui, c'est ce fameux "même si" où je me trompe sans cesse...

    Le temps qu'il repose, je lis sur un banc de bois raide, engourdi par le ronflement du réfrigérateur. Je marche autour de la table pour me dégourdir. La machine est sur mes genoux, moi maintenant sur la chaise cannée, coincé dans le coin d'un buffet près de la prise de jus faute de rallonge. Est-ce que je joue bien. Je me souviens d'un dessin féroce illustrant, jusque chez les plus grands, la manie du journal intime : j'avais envie de prendre un bain froid lisait-on à l'envers d'un rouleau manuscrit. Mais cet auteur n'avait pas d'humour. Ai-je de l’humour ? Douteux. Oui il est douteux.

    Je scinde ma vie en heures et minutes. Même en congé. Inspiration ou pas. Inactif jamais.Les enfants immatures appliquent les préceptes appris, que les pères ne respectent pas. Plongé pour le moment, le mien, dans un traité d’échecs. Trop fort pour moi. Il m’entraînera bientôt dans une promenade au soleil, d’où je reviens la tête tournante. Choisit-on la vie de son père ? Mon emploi du temps s’étale à qui veut le lire : chaque jour, à chaque page, ce sont des insignifiances. Le reste de ma vie repose en maints tiroirs, attendant le camouflage. J’aime. Si je parlais de mon père il faudrait un voile de plus. Certains disent que je manque de maturité, exact. À l’âge où je suis parvenu, je ne vais tout de même pas m’emmerder à acquérir des forces que les autres maîtrisent déjà.

    Ils me distanceront toujours, c’est pourquoi ils tentent de m’attirer sur leur terrain. Mais dans les contrées méconnues de la soumission, je conserve une avance irrattrapable. Quand il mourra je m’arrangerai pour disparaître. Il atteindra bien les 90 ce qui ne me fera pas loin de 70. Les hommes vivent vieux dans ma famille. C’est aussi la mienne. Soixante-dix me suffiront. Je me souvient très bien de son père.Il n’écrivait pas, il ne calculait pas. Le dernier homme décidé. Hier je suis allé consulter Sergueï Ibrahimovitch. Il m’a dit « Vous avez un cancer ! » Ce vieux crétin. Il riait aux larmes. Il me palpait le foie, le sigmoïde, et si je piaulais, il riait. « Vous devrez faire une échographie ».

    Puis une échographie. Puis une cœlioscopie. Moi qui veux rester en surface. Comme si je n’avais pas assez souffert. Mon père;lui, n’a toujours rien. Je guette : rien, rien. Il y a pourtant ce signe qui ne trompe pas : ce besoin de se lever toujours plus tôt. Il en est à cinq heures et demie. Si encore il se tenait tranquille. Mais non. Il tourne, il gyrovague. Remue des bols, s’asperge, claque les volets. On change les rôles : je suis le malade – foie, pancréas, ce qui nettoie vite son homme. Cette idée aussi d’annoncer aux hommes leurs cancers en riant ! J’espère que la douleur ne viendra pas trop vite. Je dois apprendre à ne plus me moquer de ceux qui ne savent plus parler que de leur maladie. J’ai autrefois lu avec intérêt les trois premiers récits de cancéreux publiés par Sélection du Readers’ Digest. Puis systématiquement sauté tout ce qui s’intitulait « Derniers mois d’une vie épanouie » ou »La peur vaincue par la prière ». Tu es limite superstitieux.

    Mon père en ce moment dort, après une nuit agitée. Je pense devenir plus sobre, à mesure des progrès de la maladie. Ce qui m’exaspère dans tous ces récits de vaillants cancéreux, ou sclérosés en plaque, c’est cette exaltation de la volonté. Mais c’est Dieu qui veut, à travers toi. Je leur montrerais un malade qui gémit : les Héros démoralisent les lutteurs moyens, les mourants de base – à moins, à moins ! que le courage, l’héroïsme ne pousse en soi, ne se développe – que parallèlement à la maladie, à la douleur – donc : où est le mérite ? Pourquoi bombent-ils le torse, tous ces Moribonds Héroïques ? Ce sont de simples témoins et il faut du courage pour affronter une maladie gave.

     

    *

     

    Hier encore, Mme Schmoll est venue avec sa grande amie, 1m75, osseuse, nommée Dubec. Schmoll et Dubec ne couchent pas ensemble. Enfin, pas forcément : le même lit dans un refuge de montagne, par exemple ; elles avaient rangé leurs tibias par paires et s’étaient endormis du lourd et sain sommeil des randonneuses. Nous leur avons emprunté une somme considérable. Mon père et moi faisons bourse commune, ce qui est insolite en somme. Je n’ai jamais su ni pu ni voulu m’occuper d’argent, bien que Papa parfois m’entraîne dans des spéculations qui n’appartiennent qu’à lui – heureusement mes livres se vendent. Ces dames donc nous visitent assez souvent, afin de récupérer leurs sous.

    Mais comme il ne faut pas y faire allusion, que nous évitons tous le sujet, l’atmosphère finit par d’imprégner d’une odeur de fiente. Nous parlions justement d’elles ce soir-là, souhaitant leur mort à haute voix. Ces salopes étaient passées par le petit couloir externe, sans le moindre bruit de pas sur la neige tassée. Elles se sont montrées ce soir-là d’une affabilité exceptionnelle.

     

    *

     

    Il n’y a pas de femme dans ma vie. Bénie soit la prostitution Ah non ! N’en déplaise aux féministes, la femme n’éprouve pas le besoin de réaliser ses pulsions : la masturbation lui suffit amplement qu’est-ce que tu en sais ? Elle se branle à satiété. Qui a déjà vu une femme « en manque » ? Moi. Aucun intérêt à la masturbation. Mon père me donne tout l’argent que je veux, moyennant force leçons de morale. Il m’en écrit même. J’en ai trouvé dans ses documents personnels, à mon grand amusement et profond dégoût.

    Nous étions donc reçus par un couple à qui nous avions prêté des sommes considérables ; ils ont pu s’offrir un chalet à tempérament. À présent ils se plaignent : nous avons séjourné dans ce chalet pendant leur absence ; j’ai salopé leur gazinière et leurs cabinets. C’est faux. Ils ont trouvé un prétexte de rupture.

    Ils m’ont prêté un livre de Böll : Le silence de l’ange. Le livre se passe pendant la guerre. Où est le mérite ? Cela semble bien mal traduit : j’entends l’allemand sous le français.

    Pourquoi mon père s’obstine-t-il à vivre avec moi ? Il est valide, il a de l’argent. Si je voulais - supposition – trouver une femme, supporterait-elle que je vive avec mon père ?

    Bénie soit la prostitution.

    D’autres pique-assiette sont venus dîner. Il y avait l’homme, la femme et la petite fille. Nous avons sorti la somme exigée. La petite fille était si mignonne, et savait si bien le breton ! Nous avons acheté leur camionnette aménagée. Voilà ce que c’est de savoir bricoler : il y a une gazinière, et un réfrigérateur fonctionnant, ce qui m’a fait rire, au gaz. Et si je me mettais au breton ? Parce que la petite fille est mignonne ?

    Nous dépensons de façon effrayante.

    Ma maîtresse a téléphoné. Voilà, je jette le masque : en plus des putes, j’ai une maîtresse. Mariée. Pas d’histoires. Elle a un fils, reconnu par le mari. Je veux bien croire qu’il est de moi. Prétentieux.

    « Vivien ne pourra pas partir en vacances cette année, tu pourrais pas allonger quelques billets ?

    Non, chère Viviane, tu resteras avec ton fils, cet été encore, dans ton pouilleux ménage, en compagnie de ton chômedu de mari. Je m’achète des camions, moi, je prête à des amis pour qu’ils s’achètent des chalets près d’Annemasse.

    Encore un drôle de corps que ce mari : un nommé Roland, ramassé à la sortie de je ne sais quelle prison. Il purgeait six mois pour je ne sais quelle tentative de cambriolage ; et l’amnistie l’a fait sortir. Viviane s’en est entichée, juste avant de me connaître, et s’est trouvée enceinte de deux hommes à la fois. J’aime.

    Je vois si peu ce petit bonhomme que je ne saurais dire où va sa ressemblance. À sa mère, je crois, ce qui ne facilite rien. Pourquoi savoir, et qu’y a-t-il donc à savoir… c’est très vrai.

    Quand il vient, je dois l’arracher à tous mes bouquins. Il les ouvre, les compulse, les étripe. Impossible de lui apprendre à lire : il se met au-dessus des pages ouvertes, et remue les lèvres avec une imitation parfaite. C’est beau.

    Mon père me raconte l’histoire de ce camarade de classe qui n’a pas ouvert la bouche de toute une année, et que tous se préparaient à faire redoubler, mais qui, le dernier jour, alors que le maître lui présente en désespoir de cause et par acquit de conscience le livre de lecture, se met à déclamer très fort devant l’auditoire stupéfait la totalité du volume sans la moindre hésitation.

    Il a fallu lui arracher le livre des mains.

    Mon Vivien doit être jeté tout habillé dans la piscine pour profiter des amusements sains des enfants de son âge. Il coule, il remonte à la surface en pleurant :

    « Mon livre ! Mon livre ! »

    ...Une piscine en caoutchouc, démontable, d’un mètre dix de profondeur. Nous n’avons pas les moyens de faire creuser une piscine, et nous ne les aurons jamais. Si seulement je gagnais au loto ! Bénie soit la machine à traitement de textes : mes jets de vie, mes lancers de foutre, se perdent à tout jamais enfouis dans les vagins rincés des putes, ou se conservent dans les mémoires. Ah!on dépasse le stade du liquide qui se transformerait, se cristalliserait en souvenir ! Tu as dû être tendre, même avec les putes.

    Mais le temps passe, et je vois à travers le verre dépoli mon père qui s’affaire du côté de la cabane à outils. Je dois aller voir. Rien de plus pénible que mon père quans il s’imagine que toutes les corvées lui retombent dessus :

    « Bertrand ! Viens m’aider ! »

    Quand il crie, sa figure devient toute rouge, et c’est ridicule. Je ne veux pas que mon père devienne ridicule. C’est beau.

    La Schmoll est toujours là. Elle se fait accompagner d’un jeune homme fluet, qui bricole, qui monte des étagères en sifflotant. Pendant ce temps la Schmoll s’envoie des bières sans alcool, au goût de serpillière, sous son gros bonnet B. de cheveux gris. Elle trompe mon père qui n’en saura jamais rien.

    Lui-même s’exhibe dans une académie où l’on ne crache pas sur les vieillards : depuis que Vinci a croqué un ventre de vieux à la sanguine, chacun veut son Neptune ou son Mentor.

    Il est évident que je refuse obstinément de regarder ces croquis. Après le départ de la Schmoll et de son Bourre-Cul, tout émoustillé, il a sauté sur le téléphone pour prendre rendez-vous. Dans ce genre d’académie, il n’y a que des hommes. Pas étonnant, c’est une race à part ! Voir un vieux nu satisfait chez eux le complexe des enfants de Noé : quelle joie sombre de voir la déchéance du Père…

    Mon Dieu ce dimanche n’en finit pas, cet horaire d’été distend les après-midis à s’en décrocher les mâchoires. Du temps du Magloire, j’étais toujours pressé pour une signature, … ou que sais-je ? Un jet de sperme ? Mon père vient de me réquisitionner. Après son coup de téléphone, il s’est mis en tête de s’attaquer à son ménage, comme si en vérité c’était lui qui recevait un modèle. J’ai dû marcher sur ses traces, de pièce en pièce, le secondant pour toutes les menues corvées qu’il appelle « le ménage » : essuyer une table, ramasser un crayon, passer 4m² à l’aspirateur (sans achever la pièce) – c’est la réalité, n’est-ce pâs N

    Je commentais, suspendais à mon tour une chemise ou rangeais des chaussettes qui traînaient… Le voilà satisfait pour deux semaines… Ah ! Du temps où je tutoyais BHL un fantasme ! où j’offrais des pots à Rinaldi, où je gardais la petite fille à Cartano, jamais je n’aurais passé un dimanche aussi commun !

    J’ai voulu renoncer à la gloire.

    Je n’imaginais pas tomber aussi bas.

    Mieux encore : j’avais fait connaissance d’artistes de bas étage – de ces troupes d’étudiants qui prétendent, les prétentieux ! Ils ont raison de l’être, c’est l’apanage de la jeunesse – reconstituer les bases du théâtre ! ah les cons ! en autodidactes ! ...et les théories, les théories ?

    ...des « jeunes sympathiques » - un peu pique-assiette – mais - passionnés.

    Je me revois, ne sachant pas que j’allais réussir, pas plus qu’eux… sous prétexte que son père ne se sent pas bien… tu décommanderas tout le monde pour le pot-au-feu… qui mijote déjà… le premier interprète qui se décommande… malade à travers père… alors qu’en réalité :

    C’EST LUI QUI VEUT REGARDER CHÉRI CHÉRIES à la télévision !…

    (« devant un parterre de 250 femmes, douze hommes font étalage de leurs charmes au cours d’une succession d’épreuves, deux d’entre eux sont éliminés à chaque tout, dernière épreuve : strip-tease »)

    Nous mangeons du pot-au-feu pendant une semaine.

    Mon amour aucune ligne ne t’a échappé.

    Le prof refait surface. Tel le caïman implacable tapi au fond de la vase

    et déboulant comme un forcené au moment le plus incongru

    ...Ce ne sont pas des personnages éphémères : tous les Grands Hommes nous entretiennent de leurs innombrables connaissances – l’index du Temps immobile de Claude M. est proprement effrayant, monstrueux en fait on passe du pot-au-feu et du strip-tease (qui est en soi un pot-au-feu) - à la Digression de prof (qui nuit à la limpidité de l’histoire) plus loin étalage de culture qui n’apporte rien plus loin « il couve en fait de sombres histoires de cul Lettres Persanes ! - je suis jeune encore, et vaniteux – VRAI – n’ayant vécu jusqu’ici que de mes charmes : la bite ou le livre alors je préfère le livre même du temps où j’écrivais des articles de journaux les petites stagiaires et les mouches se bousculaient autour de ma braguette – à présent je me suis retiré – coitus interruptus - « La mort dans votre œuvre » - « La mer dans Poe » - et qui couchent dès la troisième question – et même, même :

    JE ME SUIS FAIT REFUSER PAR SUD OUEST…

    Papa me traite encore en grand jeune homme à surveiller.Il s’en contrefout mais il me plaît d’imaginer (avec sa Frau Schmoll) qu’il m’épie, qu’il me tétanise/

    Je claque mon fric et mon sperme dans les bordels si bien qu’en fin de moi il ne me reste plus que de quoi me branler, sans même pouvoir inviter mes amis pour la collective – les hommes, au moins, me seront restés fidèles.

    Alors que Fritta, poétesse bien connue, me ramenait du bas de la côte dans sa deux chevaux, elle me parla de son voyage en Grèce :

    « Nous étions très jeunes, et nous partions pour les vendanges à Chio. Et nous nous disions « Il faudra faire attention aux Grecs, on les dit très entreprenants ! »

    J’avais explosé. C’étaient bien là des réactions de gonzesses, de se demander comment surtout NE PAS baiser ; comment pouvait-on à ce point s’attacher à ses chères et confortables branlettes.

    Fritta était bien emmerdée. Elle finit par prétendre que d’autres jeunes filles s’étaient exclamées « Chouette, des Grecs, on va en profiter ».

    Mais ça manquait de conviction.

    En marge les propos convenus des femmes qui « n’aiment pas les machos et les queutards », « pourquoi devrait-on avoir envie de abiser avec le premier connard venu » et autres crétineries qui montrent bien la larguer du fossé. Mesdames, il existe des hommes délicats qui aimeraient faire l’amour délicatement. Désirer une femme ne signifie pas être un queutard fort en gueule – révoltant, non ?

    ...Sacré nom il a fallu qu’elle y passe, et quinze jours plus tard je l’ai baisée, je l’ai sodomisée, je la lui ai mise dans la gueule et je l’ai fait pleurer quand je l’ai quittée, merde alors, justice !

    ...Une attaque à la Miller ? Mais c’est un fantasme. Tu es plus tendre que tu ne l’imagines, et tu reproduis le schéma des gros virils débiles, mais tu ne seras jamais à leur image (heureusement) !

    ...Il n’empêche que dans l’immédiat, je suis bien embarrassé pour offrir un bon repas aux « Comédiens de la Bible ». Frau Schmoll a beau me rapporter des poireaux et des carottes, elle a beau se proposer pour faire la cuisine elle-même :

    « Je serai absente pour le repas, et votre père aussi ! »

    ...ce n’est pas la sensation d’indépendance que j’avais recherchée en revenant vivre avec Papa.

    Il est d’ailleurs significatif – de quoi, je l’ignore – que les premiers mots prêtés par moi à Frau Schmoll dans ce scénario tardif - quelle incongruité d’amorcer un journal à 50 ans passés ! - que ces mots soient « je serai absente ». Elle ne parvient jamais à s’extraire de mon père. Lui aussi adore les interminables adieux. Quelle chance !

    C’est toujours, d’une seconde à l’autre : « Je m’en vais ». Mais entre eux deux, cela dure des quarts d’heure. S’ils habitaient à faible distance l’un de l’autre, ils se raccompagneraient sans cesse, comme moi petit avec mon copain Claude. Ou les héros du Diable au corps. J’ai voulu coucher avec une éditrice. Truc de PROF. Problème récurrent:la baise. J’ai entendu un beau sermon sur la nécessité de ne pas « mélanger les genres ». Out !

    Le sang-froid des femmes en matière de sexe m’a toujours épouvanté. Elles ne ressentent donc rien ? Nul ne peut rien prévoir. Je suis tombé amoureux c’est possible ? Je m’étais bien promis de ne plus me couvrir de ce ridicule.

    On n’aime point, Seigneur, si l’on ne veut aimer – cependant : quoique (de préférence) sans issue, un tel sentiment me rapprochera de ces créatures banales – tu considères donc qu’il est banal d’aimer – masculines et grises, qui hantent les romancicules de Galuchard and Sohn.

    Je peux toujours espérer que d’aujourd’hui à son prochain épanchement, tout se dissipera.

    Il s’agit d’une femme.

    Je tiens à le préciser. Oui, c’est bien de préciser,car le doute pourrait subsister.

    Nous nous sommes rencontrés à « La Pédale de l’Entre-Deux-Mers ». C’est un club cycliste, car je m’ennuie tant – récurrent ! - que tout m’est bon.

    Seul l’amour m’offrira la dégradation - ? - la plus profonde, combinant la plus extrême exaltation et le démocratisme universel du meilleur aloi. Je compte bien d’ailleurs sur mon lassant narcissisme pour me délivrer – de l’amour ? - donc, nous roulions à vélo (« Un soir,t’en souviens-tu, nous roulions en silence ») et parvenus au sommet d’une côte, je sentis nos cœurs battre à l’unisson – non. Ce n’est pas cela.

    Je m’exprime si maladroitement.

    Mon père s’est absenté. Cette femme est venue chez moi. Je suis heureux quand elle parle, quand elle se tait, quand elle se met au travail : confectionner des centaines de cocottes en papier contenant un message :

    PAIX EN BOSNIE – PAIX DANS LE PACIFIQUE

    Mais ce bruit de pliage plonge dans une extase dont j’ai grande honte. Quant à la paix, pour qui ne rêve que de sauter avec la planète entière…

    Les messages sont rédigés en quatorze langues. Dernière en date : le roumain. Il va falloir que j’achète une méthode de Roumain – encore !

    Retarder le plus possible le passage à l’horrible Acte – récurrent et lassant - , quoique les privations ces derniers temps m’amènent des visions de vulves géantes posées sur les visages – Tu ne parleras plus de cette manière le jour où tu aimeras vraiment, mais a priori, ce n’est pas gagné – sur les virages (ma conduite est mal assurée), sur tous les paysages, de ville ou de forêt.

    Phantasme ? Renoncer au vedettariat est une épreuve aux embûches imprévisibles. Un avantage mortifiant pourtant : tandis que je pédalais, une paire de lunettes noires a suffi à éteindre la curiosité de tous les spectateurs. À vrai dire, quand je les ai ôtées, ils n’y ont vu que du feu. La déformation du visage, sans doute : fatigue et sueur.

    Mathilde n’a pas sourcillé quand je lui ai révélé ma véritable identité : elle ne lit pas d’auteurs français. Lirait-elle des Roumains ? se renseigner. « La Bosnie », disais-je : enfin des bombardements sur les positions serbes. Voilà ce que je devrais dire si je briguais une traduction en américain. Cent francs seulement la Méthode Assimil de roumain. Je me souviens d’une nommée Carole, attachée de presse : vierge à 31 ans, vivant chez son père, sortant des énormités sur les tziganes et me recommandant de lui écrire sous pseudo féminin pour ménager la jalousie de son géniteur…

    ...Combien de branlettes féminines par 24h ? ...je deviens obsédé. C’est exact. Je n’ose l’imaginer. Je suis certain qu’elle est pure. Quelle connerie la pureté ! Je crois que ton problème vient de ton profond égocentrisme.

    Le vélo lui suffit.

    À moi non. Je ne te comprendrai jamais.

    Nous avons emprunté des chemins innommables, semant le peloton. Nous aurons un blâme de Club. C’était un dédale de hautes fougères, d’où nos têtes dépassaient à peine. Le sol n’était plus qu’un aiguillage d’ornières défoncé. La moindre pluie transforme en bourbier les landes de Bussac. Ce n’étaient plus les coteaux d’Entre-Deux-Mers !

    Nous rayonnons sur 100km autour de B. Le plus difficile : les côtes bien sûr, et la promiscuité : devoir parler à quelqu'un, s’assoir sans choisir près de n’importe qui à l’étape, sous les branchages, pour ingurgiter d’atroces sandwiches au ketchup fortifiant…

    Nos trouvons là une quantité industrielle de femmes seules ou de gouines Récurrent ! Tu commences à t’enliser dans tes propres démons, et l’histoire se délite. qui tentent en vain d’entrer en conversation avec moi ; suis-je un « camarade » si flatteur ? Avec lequel ces dames se sentent en confiance, à égalité c’est important pour toi ? - ou suis-je… comment disent-elles, déjà ? ... « dragué » ? (« draguer » un homme, pour une femme, c’est lui adresser la parole…) Je suis sûr qu’il existe à ce comportement une logique cachée.

    Mathilde est la seule à ne pas puer des aisselles à l’étape. Je parviens toujours à me faufiler, à la rattraper, à m’isoler, à parler. Nous nous asseyons, nous devisons à l’ombre, et arrivons parmi les derniers, en ménageant un savant décalage. Les autres retardataires sont toutes des femmes. Y a-t-il vraiment une telle proportion de lesbiennes ? Suis-je grotesque ? Tu n’es pas grotesque, tu ne te poses pas les bonnes questions.

    Quand elle aura fini de plier ses cocottes, Mathilde se mettra aux petits clowns en copeaux, ou bien aux coquillages collés, ou encore, au contreplaqué représentant la Sainte Vierge sur fond de rochers en lentilles. Serait-elle conne ? Ou simplement idéaliste ?

    Mon Dieu faites que ne partage pas ma vie avec cette conne. Fût-ce pour échapper à mon père. Le drame est qu’en fait, il m’est devenu impossible de composer une ligne en fiction. Je tremble qu’une équipe de France Culture me déniche et m’accable de questions sur mes personnages, mes intrigues – parole, j’ai tout oublié.

    Aujourd’hui donc, j’aime Mathilde. Premier versement fait aux Amis de la Pédale d’Entre-Deux. Un peu de Sport, un peu d’Amour, ça va.

    J’essaierai de tirer mon coup avant la fin de la période de cotisation. Toujours le but visé en fait ! mais masqué par des parades hypocrites. Ensuite je retrouverai mon orgue, bien délaissé depuis quelque temps. Et tout ira mieux, elle sera moins con Mathilde quand elle aura enfin baisé, car comment pourrait-elle se refuser à un homme aussi irrésistible ?

     

    * Je m’explique : toutes mes annotations peuvent te sembler bien agressives. Il est vrai que j’écris sans détours, car dans toutes ces pages se concentrent tes problèmes qui semblent insolubles. Je n’aimerais rien faire d’autre que de t’aider et te mettre le nez sur tes « incohérences ».

    Les femmes existent, pas seulement pour satisfaire TES APPÉTITS, mais pour elles-mêmes, pour d’autres hommes aussi, et tu n’as pas le droit d’être frustré de ces choix !

    ...La Maîtresse de Papa nous a invités, lui et moi : une journée dans son appartement de femme seule. Seizième étage. Le temps pour elle d’un saut en Roumanie – un week-end, un avion, un pays - visite d’un orphelinat, quatre mille pour l’avion, quatre mille pour l’orphelinat. Mais quelle joie de franchir l’un contre l’autre en ascenseur les seize étages qui mènent au balcon ! C’est sain, enfin. Car l’essentiel, chez Madame Mère, c’est le balcon. Il est garni de fleurs en pot, dont les tiges retombantes masquent les pieds de l’admirateur qui s’avance. C’est beau, car on revient dans la « fiction ». Elle vient à votre rencontre « Le vol est annulé ! » pour préciser les noms, français et latins, de chaque « fille » en pot, c’est ainsi qu’elle les nomme.

    Je peux enfin ouvrir la porte-fenêtre et me pencher sans subir de récriminations apeurées. Papa me rappelle, apparemment pour entendre les noms de toutes les plantes aux tiges retombantes : je descends m’esquiver jusqu’au rez-de-chaussée . Il pleut. Je me promène avec mon appareil photographique. Les habitants se sont accoutumés à se voir mitraillés : Mohammed, Midou, Mosché, qui ne se droguent pas et me prennent pour un fou. Je me suis fait passer pour fou dès la première fois. Ils m’ont dit : «Qu’est-ce que tu fabriques avec cet appareil ? J’ai répondu en roulant des yeux : grouîîîîk ! Depuis, mes trois balèzes haussent les épaules, ouvrent mon boîtier vide, et me livrent à mes clichés ; parfois ils ne vérifient rien.

     

    C’est le jour des bonnes prises. Aujourd’hui il pleut. Mon appareil est chargé, mais je n’ai pas envie de grosses lippes et de gands nez. J’ai préféré aspirer les fines gouttelettes qui tombent entre les tours. C’est beau. Mes sujets me font signe abrités sous les porches ; ils se sont abrités, engoncés dans leurs blousons journée foutue. Moi, nez en l’air, avalant l’eau du ciel sale. J’accentue ma folie en roulant des yeux. C’est un peu fatigant mais je m’y suis habitué. Ils me demandent parfois de descendre avec eux dans les caves. Mais je refuse comme une fille – ce n’est pas tant de la drogue que je me méfie, mais de la sodomie. On retombe dans tes obsessions. L’indépendance que me procure cette comédie est proprement incroyable : un jour j’aperçois un kéké d’ailleurs qui frime sur sa petit cylindre ; ils le coursent sur leurs vieilles bécanes et ils le forcent à repartir avec la roue voilée ; moi, ils me laissent prendre des photos que je pourrais aussi bien communiquer au poste du coin. Tendance à la délation ? Contrairement aux ragots, l’air est très pur entre les tours.

    Le ciel touche les terrasses, les nuages pissent de l’eau, je respire à pleins poumons, je frappe de loin en loin une boîte à conserve, sans plus, pour ne pas les exciter  c’est beau ils détestent le bruit et le rap. Ensuite j’ai rejoint mon père au seizième. Il finissait d’arroser les plantes, à l’abri de la pluie.Il a rangé l’arrosoir vert et s’est lavé les mains. Puis il s’est plongé dans l’Encyclopédie du Désert : il adore les paysages désertiques, il en reproduit sur papier Canson RAS c’est très bon. Le voici qui trace une ligne. C’est l’horizon. Il nous dit : « Au-dessus, c’est le ciel ; en dessous, le sable ».

     

     

     

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