Traduttore, Traditore
COLLIGNON TRADITORE
notes de Katy Nitkine
Tous les commentaires que je fais sont en rapport avec ce que je connais de ta personnalité, j'outrepasse donc la fiction pour traquer l'auteur même. Ne prends rien pour un reproche, mes commentaires sont tout-à-fait spontanés et bienveillants, comme un œil extérieur souhaitant te délivrer de certaines manies.
Seul à ma table avec les fourmis.
Tous les éveillés font semblant de dormir. Sensation de danger comme hier, au sommet de la tour de Najac. La peur provient de ce fait : chacun peut se lever sur la pointe des pieds, pour lire par-dessus mon épaule. CETTE OEUVRE EST D'UN SCULPTEUR DONT J'IGNORE LE NOM; qu'il se manifeste pour les droits. Merci.
La peur provient de moi : je laisserais traîner ce que j'écris, eux, le liraient. Retenez ceci : quoi que vous fassiez, il y a toujours quelqu'un qui lit par-dessus votre épaule. J'aime
Hier mon père et moi sommes allés au château de Najac. Mon père me suit, partout. C'est lui, par-dessus l'épaule. Il m'a conduit jusque très tard aux cabinets.
Une queue sort d'un arbre, un jet de merde tombe : mammifère ou oiseau ? Cette nuit je fus réveillé par une sorte de glapissement.
C'est un écureuil.
Est-ce que les écureuils crient ?
J'avais cru jusqu'ici que c'était le cri du renard. Ainsi, pendant les nuits de Pasly, entendais-je le renard et le rossignol. Puis j'appris que c'était celui de la mésange. Mais le renard, c'était ...?
Partout des frémissements : dernières poursuites, derniers massacres entre les branches. La mort la plus fréquente chez les animaux est de se sentir englouti, déchiré vivant. Tout sera bientôt englouti par la grosse vulgarité humaine.
Mme Schmoll est grise, grosse et vulgaire. Mon père fréquente cette femme. Ma vie sexuelle est bien plus secrète. (ça c'est de la fiction !)
Au sommet du château de Najac, le corps engagé dans les créneaux, je faisais le tour de mon vertige, j'aime
le sol semblait se relever vers moi comme l'angle d'un tapis vert, je pensais qu'un peu de courage
aurait suffi pour sauter dans le vide. Tout serait fini.
Non accompli.
À ce moment la voix de Frau Schmoll me parla de réincarnation.
C'est la première fois que j'écris à la main depuis si longtemps.
...La pente du village est raide. Nous avons acheté du beurre. J'obsevais une petite fille plate et pathétique. Longiligne et visiblement couvée. Qui nous fixait. Le soir elle écrirait dans son carnet : des adultes laids et puissants. (si exact !)
Rien ne ressemble en moi aux choses que livrent les écrivains dans leurs interviews : ils se sont tous donné les mots... le mot
Et autre chose encore : le jour de ma mort, sur mon lit de mort, si tant est qu'il y a un lit, les couces feuilles de mon Œuvre ne bruiront pas à mes oreilles pour m'emmener, sur leurs ailes, dans l'Éternité. métaphore ! Ah la métaphore filée, qui plus est, n'en abuses-tu pas, comme dirait... ? Ça fait cliché mais ça me plaît.
Alors je note. Qu'il fait frais. Que les oiseaux très isolés font entendre leurs divers cris. Que la grand-route passe au fond très loin vers Montauban.
Nous sommes au cœur du Ça.
Das Es. Essen. Mon père va me contraindre à manger. Il engloutit des kilos de petits-déjeuners. Celui-ci durera trois quarts d'heure. Puis viendront d'autres châteaux.
...Qu'est-ce que j'apporte aux autres, – est-ce une vraie question ? - et que les autres n'ont pas ? Cette lueur d'été infâme, ces siestes vautrées dans la demeure, cette décomposition d'où je me suis à l'instant relevé, vous les avez vécues, également.
oui, mais nous ne les avons pas écrites, ni décrites, donc, réponse à la question, tu nous apportes ta belle écriture.
Les journaux éternels sont peuplés d'êtres imaginaires. J'y reviendrai.
Frau Schmoll va et vient seule dans la maison fraîche, la vaisselle tinte sur l'évier de pierre, nous avons mangé trop de fromage, il faudra digérer, payer tout cela. Il n'y a plus que mon père qui dort. Il est très difficile à réveiller en début d'après-midi.
Réendossons la vie. Que la vase vous envahisse, que l'action vous mène, mon Dieu, n'y a-t-il donc que la mort dans la vie ? Excellente
Le soleil chauffe. La première des politesses serait que je sorte de ma chambre.
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Mon père joue de l'orgue. S'il se contentait de se distraire ! hélas, il se prend pour un génie. Méconnu, ce ne serait pas si grave. Hélas encore, il se prend pour un génie à venir. A soixante-douze ans, mon père attend toujours son avenir. Il s'imagine encore en capacité d'atteindre, à force de persévérance et de progrès, un stade supérieur qui tarde à venir. Qui lui est dû ; par le nombre des années.
Une garantie.
Or il existe aussi des vieillards cons.
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Plusieurs ainsi Pitt s'offrent à nous. Ce ne peut être une date : tout verserait dans le réalisme, où chacun s'empresserait ou craindrait de se reconnaître. Où moi-même...
L'un de ces commencements consistait à reprendre les propos de Connolly, disant en substance que tout romancier doit être un homme d'acquiescement, tandis que l'homme divisé s'épanouissait dans le journal ou le dialogue.
Une troisième introduction implique une réflexion sur l'inévitable permanence des personnages secondaires ou (plutôt) épisodiques. Mais où Claude Mauriac, Gide ou Nin évoquent Miller, Allégret, Cocteau, nos pas ne croiseront que des Fritz et des Zimmermann. Ceci me semble une digression et présente un décalage, on veut poursuivre avec toi dans la fiction (ou pseudo-fiction).
Henri-Frédéric Amiel me fascine. Son oeuvre figurait parmi les usuels de la Bibliothèque de Bordeaux, alors qu'il ne voyagea pas, et borna le cercle de ses connaissances à quelques amis aussi obscurs que lui.
Voyez comment la démarche de l'auteur diffère ici infernalement de toutes celles de tous les autres écrivants : quel autre, au mépris de toutes les lois de genre, ne cesse de s'interroger sur l'effet de son écriture ? non pas dans la postérité, mais dans le moment même ? distanciation de l'auteur avec lui-même, qui nous ====> rapproche de lui.
l'artiste s'interroge toujours.
Ce narcissisme escargotier le mène droit aux gémonies - en latin scalae Gemoniae : escalier, dans la Rome impériale, où les corps des suppliciés étaient exposés avant d'être jetés au Tibre. J'inscris ce mot sur mes tablettes. Mon père fait ses ablutions dans le cabinet de toilette attenant. Il s'est levé tard, ce qu'ordinairement je ne puis supporter - je le houspille, et la matinée se passe dans l'aigreur ; au lit, il ne dort pas : ressassant ses souvenirs, parfois les yeux grands ouverts au-dessus de la ligne du drap. j'aime
Il perd son temps. Il ne doit pas ruminer ainsi. La rumination ranime le goût de sa jeunesse, justifiant la totalité de son passé - tiens, ça me rappelle une personne que je connais bien !
Nous verrons. A son âge.Mais le temps qu'il repose ainsi : je ne peux ni sortir ni me promener. Même si je ne me serais jamais promené on a le droit de dire ça ? Ah oui, c'est ce fameux "même si" où je me trompe sans cesse...
Le temps qu'il repose, je lis sur un banc de bois raide, engourdi par le ronflement du réfrigérateur. Je marche autour de la table pour me dégourdir. La machine est sur mes genoux, moi maintenant sur la chaise cannée, coincé dans le coin d'un buffet près de la prise de jus faute de rallonge. Est-ce que je joue bien. Je me souviens d'un dessin féroce illustrant, jusque chez les plus grands, la manie du journal intime : j'avais envie de prendre un bain froid lisait-on à l'envers d'un rouleau manuscrit. Mais cet auteur n'avait pas d'humour. Ai-je de l’humour ? Douteux. Oui il est douteux.
Je scinde ma vie en heures et minutes. Même en congé. Inspiration ou pas. Inactif jamais.Les enfants immatures appliquent les préceptes appris, que les pères ne respectent pas. Plongé pour le moment, le mien, dans un traité d’échecs. Trop fort pour moi. Il m’entraînera bientôt dans une promenade au soleil, d’où je reviens la tête tournante. Choisit-on la vie de son père ? Mon emploi du temps s’étale à qui veut le lire : chaque jour, à chaque page, ce sont des insignifiances. Le reste de ma vie repose en maints tiroirs, attendant le camouflage. J’aime. Si je parlais de mon père il faudrait un voile de plus. Certains disent que je manque de maturité, exact. À l’âge où je suis parvenu, je ne vais tout de même pas m’emmerder à acquérir des forces que les autres maîtrisent déjà.
Ils me distanceront toujours, c’est pourquoi ils tentent de m’attirer sur leur terrain. Mais dans les contrées méconnues de la soumission, je conserve une avance irrattrapable. Quand il mourra je m’arrangerai pour disparaître. Il atteindra bien les 90 ce qui ne me fera pas loin de 70. Les hommes vivent vieux dans ma famille. C’est aussi la mienne. Soixante-dix me suffiront. Je me souvient très bien de son père.Il n’écrivait pas, il ne calculait pas. Le dernier homme décidé. Hier je suis allé consulter Sergueï Ibrahimovitch. Il m’a dit « Vous avez un cancer ! » Ce vieux crétin. Il riait aux larmes. Il me palpait le foie, le sigmoïde, et si je piaulais, il riait. « Vous devrez faire une échographie ».
Puis une échographie. Puis une cœlioscopie. Moi qui veux rester en surface. Comme si je n’avais pas assez souffert. Mon père;lui, n’a toujours rien. Je guette : rien, rien. Il y a pourtant ce signe qui ne trompe pas : ce besoin de se lever toujours plus tôt. Il en est à cinq heures et demie. Si encore il se tenait tranquille. Mais non. Il tourne, il gyrovague. Remue des bols, s’asperge, claque les volets. On change les rôles : je suis le malade – foie, pancréas, ce qui nettoie vite son homme. Cette idée aussi d’annoncer aux hommes leurs cancers en riant ! J’espère que la douleur ne viendra pas trop vite. Je dois apprendre à ne plus me moquer de ceux qui ne savent plus parler que de leur maladie.