Proullaud296

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  • Hispaniolades

    C O L L I G N O N

     

    H I S P A N I O L A D E S

    Éditions de la Merde en tube

    Collection de mes Deux

    Plein de fleufleurs dans la chanchambre b.JPG

    Cette année-là, en plein été, tandis que pèse sur les abdomens l'implacable potée des bâfreries et autres tablées caniculaires, je décide de fuir : España por favor. Plutôt crever de chaud que de connerie humaine. Plein sud, tracer, foncer, la Grande Lande et la Chalosse entre eux et moi, mais avec moi tout seul, mes rites à moi et ma liturgie, tout calculé, tout chronométré. Prochaine à droite à 300 mètres et ne plus revenir : la France a le réseau routier le plus dense d'Europe, en Espagne on en verra plus que des autopistas et des drailles à moutons, caminos nacionales y de ovejas. C’est un pays de contrastes : tout ou rien. Arrêt en sortie de G., sale village, pas de panneaux, y a que moi de beau, des toits partout, des soues à porcs abandonnées qui puent, y a que moi de propre, y a que moi d’intelligent.

    Je tourne le dos à l’église Napoléon III Véritable, au volant je crie et chante et rate de peu le cul d’une bétaillère qui me tourne sous le nez à angle droit, et je me fous de ma propre gueule.

     

     

  • L'HISTOIRE D'AMOUR

     

     

     

     

    BERNARD COLLIGNON

     

    L'HISTOIRE D'AMOUR

     

     

     

     

     

     

    Qu'est-ce que l'amour, et qu'est-ce qu'une histoire ?

     

    Elle demande un jour pourquoi je n'ai jamais su écrire une belle histoire d'amour ; mes seules allusions : sarcasmes, burlesque ou péchéà vrai dire, l'amour hors sujet. Déjà tout enfant je ne puis entendre une chanson d'amour sans la trouver ridicule, déplacée. N'estimant rien de plus niais que les amoureux,qui s'bécotent sur les bancs publics, bancs publics, bancs publics- cette chanson-là, je l'adore. Je la chante volontiers sans bien comprendre. Aux représentations de Sylvie Nerval j'objecte qu'il m'est impossible d'écrire une telle histoire d'amour. C'est ma nature.

    Dans les tableaux qu'elle peint, le spectateur lambda regrette les sujets plaisants, les fleurs, les chats et les enfants ; il voit des nus chlorotiques, hagards et (circonstance aggravante) masculins, errant de nuit parmi les ruines. Sylvie revient à la charge : lire sous ma plume une belle histoire, même rebattue, difficile pour cela même, et qui ne soit pas, précise-t-elle, entre hommesje ne mentionne pourtant nulle part, que je sache, de passage à l'acte.

    J'ai soixante ans cette année ; ma mère jadis faisait observer que fêtant son 20è ou 40è anniversaire on entrait dans sa 21è ou 41è année - mort dans sa 60è année disaient les vieux tombeaux qui ne la dépassaient guère. Pratiquer moins désormais l'acte d'amour me donne-t-il le droit d'en parler ? ... sans vouloir toutefois rivaliser avec Roland Barthes (Fragments d'un discours amoureux) ou Stendhal (De l'Amour), ou bien Denis de Rougemont (L'Amour et l'Occident) - ce dernier surclassant définitivement tout exégète par son assimilation de la mort à l'orgasme suprême, qui est jouissance de la fusion ; le monde lui voue une admiration, une reconnaissance universelles.

     

     

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    De la tiédeur

     

    Curieusement les sentiments que nous nous portons l'un à l'autre Sylvie Nerval et moi en cette année 66 (de Gaulle regnante) ne se manifestent que par nos défiances, tant nous sommes inadéquats à la vie commune, le mariage, que nous venons de perpétrer ; Sylvie réclame de rester seule une heure avant que je la rejoigne au lit, pour jouir à l'aise ; la violence de ma réaction la dissuade ; mais comme elle n'a jamais connu d'autre homme avant moi, elle obtient que je la confie deux défonceurs asiatiques, tandis que je me fais plumer (sans passage au plumard) par deux entraîneuses suédoises. Sylvie Nerval est ensuite revenue me rapporter, au petit matin, comment cela s'était passé : mal. Puis nous achevons notre séjour nuptial au-dessus de l'église russe de Nice ;

     

    hantons le Centre Hightower de Cannes, fréquentons Michel, danseur à l'Opéra, mort en 93 sans nous faire avertir. Michel accepte de se faire tirer le portrait, sur un balcon dominant la mer. Il dit “Vous ne ressemblez pas aux amoureux ; jamais un baiser dans le cou, jamais un mot gentil, toujours des piques.” Je ne me rappelle plus comment nous vivions cela. Crevant de malsaine honte mais épris sans doute - quarante années passées en compagnie par pure névrose ? simplicité – naïveté! - de la psychanalyse ! Force nous est d'appeler cela “amour”, car nos parents sont morts, bien morts ; je revois cet angle sombre du Jardin Public, ce banc sous l'arbre d'où l'intense circulation du Cours de Verdun tout proche dissuade les flâneurs.

    Paradigme des scènes de ménage. De ce qui revient à elle, à moi. Je suis un homme, c'est marqué sur ma fiche d'Etat-civil ; donc c'est à moi de raison garder, de former ma femme, et de ne pas donner dans les chiffons rouges - or il n'en est aucun où je ne me

    point rué ; même devant témoins. Mais pourquoi vouloir aussi, et de façon obstinée, me traîner à l'encontre de ma volonté explicitement exprimée. Le féminisme, sans doute : l'homme doit céder. Deuxième cause de scène : se voir soudain repris, tout à trac, brutalement, comme lait sur le feu, pour un mot décrété de travers, une plaisanterie prétendue de trop d'un coup, telle attitude parfaitement involontaire - ne pas lui avoir laissé placer un mot de toute une soirée par exemple ; avoir désobligé négligemment telle ou telle connaissance dont je me contrefous – bref c'est toute une typologie de la scène de ménage qui serait à établir. Est-il vraiment indispensable de préciser que tout s'achève immanquablement par ma défaite. Je cède aux criailleries : c'est ma foi bien vrai

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    que je suis un homme. Pas tapette, non, ni lopette, mais lavette (homme mou, veule, sans énergie). Ce n'est que ces jours-ci que je me suis avisé de la jouissance que j'éprouvais à céder : volupté de l'apaisement ; d'avoir fait le bonheur de l'autre, de m'être sacrifié fût-ce au prix de mes propres moelles et de ma dignité.

    En dépit de notre constant état de gêne matérielle, je savais cependant que là, juste au-dessus de ma belle-mère, se vivaient nos plus belles années, d'amour, de rêve et d'inefficacité – connaissance confuse toutefois, plombée par d'obsédantes interrogations : savoir si je n'étais-je pas plutôt en train de tout gâcher. Ce n'est que trente ans plus tard que je puis parler d'un certain accomplissement ; prétendre (à juste titre ? je ne le saurai jamais) n'avoir jamais été autant maître du monde, aussi bien qu'au faîte exact de la plus totale impuissance... Mes déplorations, mes doutes et mes angoisses, ne peuvent pas, ne pourront jamais se flanquer à la poubelle, comme ça, hop, par la grâce et le hasard divins d'une tardive et tarabiscotée prise de conscience.

    Il est étrange qu'on puisse ainsi s'accomplir tout en se prenant pour une merde onze années durant. Je me souviens très bien, moi, qu'il n'y avait-il strictement aucun moyen d'obtenir la moindre concession de la part de Sylvie Nerval, qui décidait de tout, de rigoureusement tout. Facile de se moquer à celui qui n'est pas dans la merde jusqu'au cou. L'autorité sur sa femme était pour moi le comble de la déchéance machiste, le dernier degré de ce que l'on peut imaginer de plus méprisable. Je fonctionnais, nous fonctionnions ainsi. J'ai bousillé mon couple et mon propre respect au nom d'une idéologie qui a mené à cette ignoble guerre des sexes à présent déchaînée, où la moindre érection non désirée sera bientôt passible des tribunaux.

    Pour ne parler que du point de vue financier, je me souviens parfaitement du départ de cette étroite dépendance ; il s'agissait (et j'en fus désolé, pressentant que la toute première défection préfigurant toutes les d'autres) (j'escomptais donc une totale absence de scènes pour notre vie conjugale)d'une statuette de cornaline rouge représentant Çiva sur un pied, inscrit dans la circonférence des mondes : quatre-vingts huit francs, une somme en 1966. Je dus capituler :Mon père nous dépannera. Imparable. Je m'étais pourtant bien marié, que je susse, pour affirmer notre indépendance ; non pour passer d'une famille à l'autre.

    Encore eût-il fallu que mon épouse, pour cette indépendance, se mît au travail, j'entends le vrai travail, celui qui fait chier, mais qui permet de manger. Quarante ans plus tard, nous payons encore cette pétition de principe d'un autre âge (“une femme ne doit point travailler”)(“[elle]affirme COLLIGNON L’HISTOIRE D’AMOUR 4

     

     

     

    qu'elle n'est pas du tout féministe, elle dit qu'elle veut des enfants, un mari qui puisse lui permettre de ne pas travailler) (Filles de mai, Le Bord de l'Eau 2004) - voilà qui à la lettre me répugne. De ma femme et de moi j'étais bien en effet le plus féministe.

    Mon médecin de beau-père, lui, avait interdit à sa femme de chercher du travail :De quoi aurais-je l'air ?D'un pauvre, Docteur, d'un pauvre... Ma retraite à présent suffit tout juste à vivre dans la gêne - “comment”, s'emporte-t-on; “avec tout ce que vous gagnez ?- l'argent est un sujet tabou en France, non pas tant en raison de l'envie qu'on se porte les uns aux autres en ce charmant pays, mais de cette propension des Français a toujours se croire autorisé aux commentaires, les plus méprisants possible. mortifiants ; que dis-je, il se fera un devoir de vous expliquer ce que vous devriez faire.

    Les Français sont imbattables en effet pour gérer le budget des autres. Surtout quand l'autre est un fonctionnaire. Je ne suis pas un démerdard, moi. J'ai-eu-ma-paye-à-la-fin-du-mois. Je n'ai jamais su comment gagner le moindre centime de plus que ma paye. Partant j'eusse eu bien besoin d'une épouse qui travaillât, parfaitement.L'amour s'éteintdit à peu près Balzacdans le livre de compte du ménage.Il dit aussiLa vie des gens sans moyens n'est qu'un long refus dans un long délire. Nous ne pouvons donc envisager d'acheter ni la moitié de cette statuette, ni même le modèle au-dessous. “Mon père payera”.

    Nous ne pouvons pas davantage habiter “à demi” hors de la maison héréditaire : “Et le loyer ?”. Imparable, bis. Ma femme ne peut tout de même s'abaisser à travailler pour payer un loyer, alors que le gîte nous est offert. Quel bourreau je serais. La femme est victime, alors même qu'elle vous victimise, justement par la raison même qu'elle vous victimise : souvenons-nous, toutes proportions gardées, de ces braves SS traumatisés par l'éprouvant métier d'expédier une balle dans la nuque des juifs. A la limite de la dépression nerveuse. Le pire en effet, quand je me fais anéantir, c'est que je proteste.

    Au lieu de sourire. Et c'est parce que je râle comme un putois que je suis agressif. Bien sûr il y a eu des rémissions, du bonheur : jeunesse, amour, exaltation. Illusion que les choses finiraient bien par s'arranger” . Il ne s'agit pas ici de “se plaindre”, comme disent les je-sais-tout, les psychologues de salon, ceux qui viennent insolemment vous corner sous le nez leurs avis et commentaires sans que vous leur ayez surtout rien demandé (et j'en connais ! mon Dieu ce que j'en connais !) - mais d'expliquer – pas même : d'exposer. De raconter. De faire mon petit numéro. Mon petit intéressant. C'est tout.

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    X

    Evelyne, à dix ans, fut mon premier amour. Blonde et pâle. Comme nous discutions à petit bruit sur le perron, à trois ou quatre, elle s'est tournée vers moi pour me tendre un coquillage de la taille d'un ongle : “Tiens, je ne t'ai encore jamais rien donné. Je répondis que si ; qu'elle m'avait déjà beaucoup donné. Ce fut la seule fois que j'eus de l'à propos avec une fille. Nous nous sommes promenés main dans la main derrière l'immeuble. Je me souviens – cela n'est-il pas étrange – d'avoir convenu avec elle, en cas de mariage, que je commanderais les jours pairs, et elle les jours impairs. “Tu auras l'avantage, grâce aux mois de 31 jours.” Cela nous faisait rire.

    Cela se passait chez mon oncle, qui m'hébergeait pour les vacances. Il écrivit sur-le-champ à mes parents que “c'[était] une honte”, qu' “à dix ans [leur] fils a[vait] déjà une poule. Il m'inventait des exercices d'algèbre – voilà bien pour aimer les maths ! - afin de m'empêcher de rejoindre Evelyne, et je répétais à mi-voix en pissant dans la cuvette de H.L.M. (un luxe à l'époque) : “Je t'aime, et rien ne pourra nous séparer”, juste pour m'en souvenir plus tard. Retors, non ?

    Et je m'en souviens encore. Tonton m'a dit : “Elle est cloche, ton Evelyne ; attends que Marion revienne de colonie, tu verras !” Une petite brune en effet, piquante, jamais à court de répartie, qui se savait déjà admirée, et qui commençait à se foutre de ma gueule ; je suis retourné auprès de ma blonde. Je n'ai plus revu personne, vous pensez. Curieux tout de même. Qui va commander dans le ménage. Que ç'ait été là ma première préoccupation. Ce qui fait surtout enrager, d'après Roland Barthes, c'est quand l'être aimé prétend devoir obéir à d'autres, alors qu'il ne vous obéit pas à vous, qu'il ne tient pas compte de votre souffrance à vous, qui valez donc moins que l'autre.

    J'ai vérifié à maintes reprises en effet que la façon la plus efficace, la plus cloue-le-bec, de se soumettre un partenaire récalcitrant est de se prétendre soi-même ligoté, garrotté, par un engagement, de préférence professionnel, une promesse antérieure, auprès d'une autre personne, qu'il importe bien plus de ne pas vexer que vous - est-ce ainsi vraiment que l'on aime ? auprès d'une belle-mère par exemple, bien efficace ; je la hais à mort ; puis lorsqu'elle est morte, la pauvre - rien n'est arrangé. Dix ans de perdus. Et toujours la faute des autres. La personne aimée se réclamera toujours de sa propre soumission, del'impossibilité de faire autrement, pour vous soumettre à ce que vous détestez le plus. Je connais un couple de cons, dont l'épouse a su convaincre le mari de fréquenter sa sœur elle) (il faut suivre).

    Depuis plus de quarante ans (c'est irrémédiable désormais) le Mari Con (en espagnol : maricón ) se trouve contraint de fréquenter la belle-sœur, chef-d'œuvre de ternitude dépourvue de toute conversation dépassant les liens de famille, et le beauf, boursouflé de machisme, de racisme et d'homophobie - antichômeurs, antifonctionnaires, rien ne manque à la panoplie. ...Quarante ans à se cogner ces spécimens d'humanité de remplissage et leur tribu, à tâcher de ne pas entendre les conversations de réveillon (quarante réveillons !) sur la flemme respective des Viets et des Bédouins - je n'invente rien.

    Déménager ? Rompre ? avec des gens si sots que le refus de l'un entraînerait nécessairement l'éloignement offusqué de l'autre ? et que ferait-il, ce fameux mari, d'une épouse dépressive, qui l'agoniserait de reproches muets à longueur de semaines, jusqu'à sombrer dans une de ces dépressions que l'on se fait à soi-même, et qui trouve toujours une brochette d'éminents psychiatres pour la confirmer ? Autant gagner quelques années de soins intensifs, et accepter, de guerre lasse, que dis-je, avant même la déclaration d'une de ces guerre le plus malade est immanquablement vainqueur du couple, d'habiter désormais à 1500 mètres de distance du couple honniqui n'est pas si mal, voyons ! voyons ! à la longue ! C'était bien la peine d'en faire toute une histoire ! - les invitations se sont raréfiées, le mari y a mis le holà.

    Mais le drame, voyez-vous, c'est que notre héros a fini par se sentir à l'aise en compagnie de son ennemi, en vertu du proverbeà force de se faire enculer, on y prend goût, mais pis encore, par des affinités secrètes. C'est pourquoi, ayant toujours devant les yeux cet exemple édifiant, notre homme a toujours à cœur, bec et ongle, de ne jamais reprocher à quiconque sa faiblesse de caractère ; on est mou, comme noir, juif, asiatique. Si ma femme est attaquée la nuit, que je me sente tout soudain supposer) tout paralysé, sans aucune possibilité physique de casser la gueule à l'agresseur - quel tribunal, je vous le demande, osera me condamner pour non-assistance à personne en danger ? (réponse hélas : tous.) Je souhaite par conséquent ne jamais être dans une situation je devrais faire preuve de sang-froid, de virilité, voire de simple esprit de décision. J'éprouve toujours la plus véhémente rancœur à l'égard de ces juges qui du haut de leur bite en barre condamnent timorés et trouillards - et qu'auraient donc fait, ces lâches ?Il faut prendre sur soi. Connards - commencez donc par cesser de fumer.Ce que j'ai fait. Et de boire. Never explain, never complain. Ne pas se plaindre, ne pas se justifier - belle devise ! Mais si moi, moi j'ai toujours fait l'un et l'autre, avec passion. avec conviction ? Je suis un con, c'est cela ? Sans rémission ? Les autres, les maudits autres, qui me disaient :Tu mets l'accessoire avant l'essentiel.Il ne faut pas tenir compte des autrespontifient les sages autoproclamés, individualistes comme tous les fameux Tout-le-Monde et gros pleins de couilles, ceux qui vont répétant tout ce qui traîne dans les livres de moralesoit ! soit ! mais s'il se trouve qu'ils vous cherchent, les autres ? ...qu'ils viennent d'eux-mêmes vous glapir dans le nezsans que vous leur ayez demandé quoi que ce soit - que non, vraiment, vous ne faites pas ce qu'il faut pour leur plaire, et ceci, et cela, et que vous êtes un véritable scandale public ? tous ces petits Zorro de quartier, ces Salomon de chef-lieu de canton ! ...faudra-t-il vraiment les envoyer chier sans relâche, vivre en permanence dans la polémique et l'engueulade ?

    Les Autres. Les encensés Autres. Les sacrosaints Autres. “Comment se faire des amis” : rendez-vous compte, il y a même des ouvrages pour cela ! Dire que le rapport au conjoint représente une application particulière du rapport avec l'autre ! Hélas ! Céder pour être aimé ! ...Qu'est-il d'ailleurs besoin d'être aimé. Incommensurable faiblesse, ignoble défaite, révoltante prédestination - en être réduit à réclamer des amis, des amours, comme un chien qui lèche sa gamelle vide, qui pourlèche la main qui le bat ? J'ai cédé sur tout. J'ai fréquenté des blaireaux, et j'y ai pris goût (quarante ans de batailles tout de même) ; crêché d'avril 68 à juillet 78 au-dessus de chez ma belle-mère précisément parce que je n'offrais pas, pour Sylvie, ou de quelque nom qu'il vous plaira de la nommer, les garanties suffisantes de l'amour. Je prenais donc les autres à témoin. J'ai toujours pris les autres à témoin. C'est pour cela qu'ils venaient toujours me baver leur avis en pleine gueule.

    Seulement voilà : tes malheurs conjugaux... tout le monde s'en fout. Tout juste si tu rencontres, une fois tous les dix ans, une femelle compatissante qui t'arracherait, ô combien volontiers ! à cet enfer de servitude conjugale - à condition que tu passes, bien entendu, sous sa domination à elle. La chose est évidente, elle va de soi ! tout est de la faute d'Eve. Je soupçonne même les premiers rédacteurs de la Genèse de n'avoir inventé la femme que pour enfin rejeter sur elle toutes ces funestes responsabilités qui nous tuent depuis le fond des âges. Et les Autres de répéter :Tu confonds l'accessoire avec l'essentiel- c'était déjà beaucoup, qu'ils me fournissent cette indication ; puisqu'ils s'en foutaient - fallait-il mon Dieu que je les bassinasse...

    Sylvie Nerval m'a dit récemment :Tu me reproches d'avoir façonné ta viemais c'est que tu ne m'as jamais rien proposé d'autre. Rien de plus exact. Ce qu'a prédit Jean-Flin s'est révélé faux : je ne suis pas devenu pédé ; mais par une absolue dépréciation de ma personne, sans imaginer un seul instant qu'une imagination de moi pût avoir la moindre valeur ou légitimité, je me suis mis, de mon propre chef, sous la coupe, sous le joug bien-aimé d'une femme, la mienne. Assurément, ce que je proposais, dans un premier temps, n'était rien : déménager sans trêve, voyager, changer de femme, traîner les putes après la sodomie, et boire.

    Vous voyez bien que j'en avais un, de programme. C'est mon cousin qui l'a rempli : gaspillage de ses deux pensions à pinter, fumer, régaler des clodos finalement trop soûls pour assister à son enterrement à 57 ans : cancer de l'œsophage. Mon grief essentiel ? l'immobilisme. Un immobilisme féroce. A ne jamais avoir coupé le cordon ombilical. Se retrouver dans la même ville, dans les mêmes rues qu'à dix-neuf ans. A se demander vraiment à quoi ça sert d'avoir vécu. Puis qu'on est toujours là. Puisqu'on en est toujours là. Ma mère donnait toujours le signal du départ :Je ne veux pas rester dans une maison je mourrai.

    Sylvie Nerval a toujours eu beau jeu de prétexter que je voulais imiter ma mère, ce qui prouvait mon manque de maturité. Je lui rétorquaisTu nous forces à demeurer juste au-dessus de ta mère à toi.Une fois par jour ; en dix ans, 3560 fois. Ping, pong. Ping, pong. Renvoi d'arguments, d'ascenseurs. Efficacité néant. Douze ans de banlieue, même barre, même appartement. Dix à Mérignac, banlieue, cette fois bordelaise. En attendant plus. Rien n'y a fait de représenter l'horrible, la funèbre, la gluante et engloutissante chose que ce sera de se sentir vieillir et décrépir dans ces mêmes espaces étroits déjà nous nous heurtons : rien ne nous décollera plus.

    Il faut vivre comme tu penses, mon fils, ou tu finiras par penser comme tu vis. Rien qui se vérifie plus épouvantablement que cet aphorisme rebattu (Rudyard Kipling ? Francis Jammes?). Je me suis trois fois trahi. Ces bassesses je me suis vautré constituaient d'ailleurs, jadis ! - les aliments indispensables de mon énergie à tromper ma femme.Après tout ce qu'elle m'a fait ?pensais-je, et j'enfonçais ma queue. ...Si j'avais tout accepté tout de suite ? Si je n'avais pas lutté ? (puisque c'était pour rien...) (je m'évadais par l'excellence de mon œuvre, sans rire !) - si j'avais cédé sur tout - n'en aurais-je pas tiré malgré tout quelque bénéfice ? Tout m'eût-il été accordé, et plus encore ? ...en compensation à ma soumission, à mon amour extrême ?

    J'en doute - à voir ce qui se passe lorsqu'on renonce – partout - toujours... mais ... alors... c'est que j'ai bien agi. Protestant, ergotant, souffrant sans cesse. Fût-ce puérilement. Sinon je n'eusse été que l'ombre de la reine ! ce sont plutôt les femmes, paraît-il, qui souffrent de cela... Il m'a fallu bagarrer ferme afin d'arracher quelques bribes de libertés, au pluriel. Jour après jour, minute après minute de mon emploi du temps... Domicile imposé... Profession toujours considérée avec la plus totale indifférence... Eventualité d'un emploi pour elle repoussée avec la plus extrême indignation, d'année en année - toujours un obstacle, toujours une incompatibilité, toujours une impossibilité sur-le-champ exploitée – c'est trop dur ! disait-elleben et nous, alors ? protestèrent un jour mes collègues féminines.

    ...Celui qui travaille, c'est l'homme. Difficile pour moi, aujourd'hui encore, de prendre mes distances envers cette question, si simple à résoudre pour autrui, qui me hantera jusqu'au bout. Mes griefs sont intacts. A ce moment même où j'écris mon Histoire d'amour. Combien de fois, excédé par mes geignardises, les autres tous en chœur ne m'ont-ils pas crié de rompre ! ...Moi j'ai cédé. A quoi bon traîner après soi une femme récalcitrante, à quoi cela sert-il d'être unis, si c'est pour vivre dans un perpétuel climat de revendications, de récriminations, d'hostilité, pour la simple raison qu'il convient de se conformer à “ce que doit être un couple”, chapitre tant, paragraphe tant... Mon histoire d'amour est la seule à traiter. Peut-être que j'ai honte d'avoir été heureux de cette façon. Ou malheureux. Pourriez-vous répéter la question. Rien obtenu. Adapté. La faculté d'adaptation est-elle une liberté ? ...le comble de la liberté- pardon : de l'intelligence, d'après les zoologues... Il m'est donc tout à fait loisible d'imaginer que c'est en raison de mon exceptionnelle intelligence que je me suis le mieux adapté en milieu défavorable... Si ça peut me faire plaisir... J'ignore si nous nous aimons. Si nous aurions été à la hauteur de nos vies rêvées.

    Sylvie Nerval m'a fasciné. Ma mythologie portait qu'il fallait se prosterner devant la Femme ; ce n'est pas, semble-t-il, ce qu'elles attendent. Je pensais, moi, qu'il fallait conquérir une femme. Comme une forteresse. C'était dans les livres. Ça devait marcher. Au lieu de me faire valoir, de frimer, je les suppliais. Ce qu'il ne faut jamais faire (« supplie-t-on des montagnes ? »). Finalement on ne sait rien du tout, de ce qu'il faut faire.

    Je tombe amoureux sans bouger, sans procédé, sur simple photo. L'une d'elle représente deux jumelles l'une près de l'autre les yeux baissés, ineffable communion récusant d'emblée toute connotation sexuelle. Sans nul besoin de se toucher pour jouir ensemble, d'être. La deuxième photographie renvoie au masculin : cinq jeunes gens très élégamment mis, mannequins professionnels dont l'homosexualité se déduit aisément ; mouvements suspendus, comme d'une conjuration, regards francs, trop clairs ou par-dessous. Offre et dérobade, attirance et réserve.

    Les tiendrais-tu, les battrais-tu, qu'ils ne révèleraient pas leur secret, dont ils sont inconscients. Ou dépourvus. Le troisième cliché montre un Noir vêtu d'un complet gris classique, d'un chic où je ne saurais prétendre ; sa braguette entrouverte laisse passer un sexe au repos d'un satiné prolongeant, incarnant charnellement la douceur du tissu dont il est issu, organiquement désirable - à condition expresse que ces trois photos désignées ne se meuvent pas, ne parlent pas. Que tout demeure figé dans la bouche de l'œil , en éternité qui ne fond pas.

    C'est de photos, de représentations, que je tombe amoureux, petitement, imperceptiblement, par suspension de l'œil et du souffle, à portée de mes mains et hors de ma vie (grain chaud, glacé, de la pellicule). Mais rares sont les plus belles filles du monde qui sitôt qu'elles ouvrent la bouche ne profèrent immédiatement quelque irrémédiable rebuffade ; que l'image s'anime, s'épaississe de mots, de sueurs, de gestes, elle sort à jamais de nos bras . Je trouve aussi très doux de fixer dans le rétroviseur les traits des conductrices qui me suivent, s'arrêtent au feu juste dans mon sillage, se parlant à elles seules pâles et glabres comme un cul sans se croire observées malgré nos convergences de regards au fond de mon miroir.

    Je leur dis je vous aime sans tourner si peu que ce soit la tête, afin que mon âge ou mes adorations ne révèlent rien de mon ridicule. Je peux enfin fixer la première qui passe et pour éviter le si automatique qu'est-ce qu'y m'veut c'connard de la femme moderne - mon procédé consiste à ravaler, à l'intérieur de ma paupière sur fond de muqueuse ardente (capote interne des se projettent les persistances rétiniennes) trois secondes de vision si je maintiens les yeux fermés, éphémère image d'amour entraperçu. Je m'arrête alors prenant garde de n'être point heurté, murmure à ma vision des mots tendres, lui proposant des pratiques précises, juste avant qu'elle s'efface. ¨Plaisir de puceau, je sais. Dans ces fugitives fixations subsiste ainsi que sur photo l'en deçà de l'émoi, premier pincement de cœur éternel.

     

    X

     

    Ce mois dernier soixantième année de mon âge enfin s'est découverte à moi - révoltante particularité (désespérante caractéristique) de ces apocalypses de la vieillesse, d'intervenir toujours aux temps précis où ils deviennent inopérants – la clef de l'obsédante compulsion dont je suis victime : il faut nécessairement qu'une femme prétendant m'attirer (elle n'en peut mais) souffre, soit en difficulté, mélancolique, languissante – dolente – au plus éloigné possible de ces copines actives, musclées, halées, “battantes”, que je ne puis admirer ni aimer en aucune façon.

    Il me faut chez elles des virtualités d'attendrissements,d'apitoiements sur elle et sur moi - jusqu'au beaux désespoirs, aux larmes à l'aspect du néantjuste effleurés. Que me font à moi ces beautés rayonnantes ? qu'importe en effet à ces femmes que je les aime ou non ? si c'est elle qui m'aime, sans que j'y réponde supposer), n'aura-t-elle pas tout loisir de se consoler ? Qui plaindra ces femmes éclatantes ? Nous n'avons pas appris encore à aimer une femme semblable, un copain avec des nichons comme dit le comique. Il m'en faut une à compléter, qui me complète. Construite comme moi autour d'une faille.

    A consoler, à protéger - protéger : voilà le grand mot lâché, fécond en sarcasmes :Nous n'avons pas besoin d'être protégées !ouRetourne chez ta mère !- mais une femme que je caresse et que je berce. Compatissants tous deux, aux premiers et seconds degrés, même si tout paraît frelaté, sans que nul autre le sache. Que nous retrouvions joie et santé l'un par l'autre. Il est assez désarçonnant de constater que nous avons Sylvie Nerval et moi suivi ces excellents préceptes de la façon la plus involontairement perverse qui soit, puisque jadis (nous comptons désormais par dizaines d'années) pour peu que l'un d'entre nous fût triste, l'autre brillait, et réciproquement : jamais nous n'étions d'humeur égale ; Sylvie Nerval étant joyeuse et près d'agir, je ne manquais jamais de lui représenter tous les obstacles jusqu'à ce qu'elle se fût assombrie, pour offrir à nouveau ma culpabilité. Dilapider ainsi dans ces manèges tant d'années communes, gâcher si sottement, si vainement, nos énergiesainsi soustraites à la véritable action de la vie véritable extérieurequelle énigme ! ...nous aurions donc préféré parcourir, piétiner en rond ce vieux manège ? Je devrais bien désespérer de cette prise de conscience si tardive. C'est donc cela qu'on appellesagesse. Apprendre enfin ce qu'il eût fallu faire (pour dominer [c'est un exemple] sans l'être ? car la douleur de l'autre te domine. Autre découverte de ce dernier mois : ne jamais désirer la femme désirée. La regarder simplement dans les yeux. Avec la plus totale indifférence (et ce que l'on feint devient si vite ce que l'on est). Comme si tu n'avais pas de femme devant toi, que non, décidément, la différence sexuelle, tu ne la voyais pas - une femme ! qu'est-ce donc ? - rien ne délecte plus la femme de n'être considérée que pour leurs charmes d'espritpas même : une fois dévêtues de leurs caractéristiques sexuelles ; une bonne fois évacué le sexe. Cette chiennerie, dit la fille Gaudu dans le Bonheur des Dames. La bonne camaraderie. Soutiens sans faillir le regard franc de la vierge : tu vois, là, c'est l'amitié qui s'installe.

    Pour moi c'en restait là. Quant à pouvoir un jour montrer son désir, dévoiler sa vulnérabilité, sans courbettes de chien savant, ou battu – quelle paire de manches ! ...il paraît que cela se peut. Je l'ai lu dans les livres. Vu au cinéma. Le peu que je sais, c'est que les femmes apprécient beaucoup le naturel en effet – tant qu'il ne s'agit pas de sexe. Telle est mon expérience. (Et comme le double jeu des femmes n'a jamais manifesté le moindre signe d'essoufflement, il est non moins évident que la moindre lueur d'hésitation ou de doute au fond de votre œil vous vaudra les sarcasmes les plus vils – passons) - je ne puis en vérité me résoudre à ces nouveaux usages égalitaires, de regarder d'abord une femme dans les yeux “comme un pote”.

    Ce marchepied d'égalité n'est pas moins ardu à franchir en définitive que les codes ancestraux de pudeur, d'atermoiements, voire de bigoterie. Que celle que j'aime puisse me retenir sur la pente des petits abîmes. Femme-nounours, petite fille, juste le petit chagrin, gonflable et dégonflable à volonté. Sylvie m'est tombée dans les bras pleurant sur elle-même, et j'ai fait de même. Victoire ! Défaite ! Consolation mutuelle. Persuasion de la femme désirée (dont on désire l'amour) sur la base malsaine de sa faiblesse. Pitié réciproque dont on dit tant de mal, qui paraît-il rabaisse qui l'éprouve et qui la reçoit.

    Puis jouer le consolateur afin de récolter le fruit. Faire à son tour la victime, profondément lésée par une protection si coûteuse. De ce double système de bascule entre protecteur et obligé déduire un double système de culpabilités mutuelles. Indissoluble et sans recours. Une femme plaintive et consolatrice à qui j'aie pu me plaindre, tels furent notre pain béni et nos abandons (rouler dans la boue, jouir de la boue). Malsainement hululer de concert, s'engloutir dans nos trous ; ainsi jouissent les enfants insuffisamment consolés. Dont la mère fut la plus à plaindre de toutes soit chez sa propre mère la plus grande obscénité. Alternons par conséquent l'admiration, la protection, la soumission - l'attendrissement sur les sots gâchis, le plaisir des doubles faiblesses et des éternels inaccomplissements. Or nous avons bien lu, distinctement, chez Goncourt, que la conscience de sa supériorité jointe à l'attendrissement que l'on éprouve face à l'injustice ouvre une voie royale à la folie. S'ensuivent en effet de lancinantes lamentations, renforcées car mutuelles, sur soi, sur l'autre, la première injustice ou folie consistant bien sûr en cette liaison que nous avons eue avec celle, ou celui, qui ne saurait s'approcher de la perfection. D'où tentation pérenne de désigner l'autre ou soi-même à l'accusation de bouc émissaire. La promiscuité, le fusionnisme, aiguisant chaque trait.

     

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    Corollaire

     

    Une telle disposition du couple s'apparente à l'adoration de la femme-enfant ou plus précisément du double-enfant. Rien de plus exaspérantd'autant plus attachant, d'autant plus ligotant - que ces agaceries, sautes d'humeurs, fantasqueries, rien de plus fascinant que ces narcissismes croisés, ces échos toujours malvenus.

     

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    Fascination, suite

    . Une blonde n'ayant pour couvrir son intimité sur la plage d'étang qu'un tissu effilé sans relief sur un sexe pressenti lisse et glabre générant sur moi qui lui fais face une fascination bridée par ce trop plein d'humains, sa vulve à trois largeurs de mains de moi, le mari à deux pas lisant sur le sable et l'enfant gambadant par diable passé, sans qu'il fût un instant possible qu'elle ne m'eût point vu - absolue suspension du souffle et du sentiment, la pétrification devant le videsachant que s'étend sous ce mince pont de coton blanc un sexe véritable exactement configuré. J'avais retrouvé ce vertige et ce jeu de dupes autre exemple ? Ce con à feuille d'or si volontiers conçu plaqué magnétisant le regard de cet autre assis près de moi (le même) qui perdit si souvent contenance s'il la regardait ; sous tant d'afféteries, d'innocence et raffinement mêlés, la vitalité même de l'homme se dissolvant, naufrageant sous les yeux de cette autre femme qui l'accompagne muette égarée réprobatrice au sein d' ivrognes et d'aveugles, avec la volupté cuisante du réprouvé.

    Mon ami fusillé du regard et d'une moue, indécelable à nul autre que lui - certaines figurines féminines ainsi, sous leur feuille d'or, trouveraient-elles matière à jouir sans y toucher de tant de sang et de semence puisés dans la candeur grossière de l'homme ; l'amour que j'ai voué à Sylvie Nerval se justifierait alors, dans sa forme la plus archaïque, par cette adoration courtoise de la femme que cette dernière à présent feindrait de rejeter comme fardeau, paralysie, ligotage, aliénationsachant ce que recèle une telle malsaine adoration).

     

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    L'androgyne essentiel est d'abord un enfant, volontiers nomméla créature, avec tout ce que ce terme évoque de réprobation au tournant des deux derniers siècles : réchappé d'une catastrophe guerrière, poursuivi jusque dans son exil, l'enfant-prêtre se prostitue ; recueilli par un vieux musicien qui s'éprend de lui, l'Androgyne se livre à des surenchère de comportements incompréhensibles ou capricieux - ce résumé fragmentairetendancieux - échoue volontairement à rendre un tel monde. S'avise-t-on en revanche que tant d'agissements, tant de manèges peuvent s'entendre d'une très jeune fille, qui écrit, ce si grand mythe s'évanouirait, s'y substituant hélas une irritation d'adulte lecteur contre une gosse tête-à-claques (l'amour ainsi décrit devant dès lors se définir comme enfantin, puéril, immature) (ou céleste). Aussi l'accès le plus direct à ces contrées reste la peinture, Sylvie excelle ; ce filtre assurément moins explicite adoucit les précisions des inlassables retrouvailles et autres aventures d'Ayrton dit l'Androgyne et de son double ténébreux R. aux cheveux d'encre...

    Sur ce terrain donc se joue une fois de plus l'increvable problématique de l'ascendant (de l'Un sur l'Autre,qui d'Elle ou de moi), problématique réductrice, fâcheuse, pitoyable. Triviale. Pathétique. Dont mes amours ultérieures se trouvèrent irrémédiablement perverties (pages après pages noircies sur mon martyre marital - inépuisables doléances, larmes, enfantillages). Rameutage de griefs éculés, incommensurables déplorations : d'avoir fréquenter tant d'amis qui n'étaient pas les miens (qui se fussent à coup sûr avérés ivrognes et putassiers) (mais je n'aurais pas eu d'amis). Pas un seul. Tandis qu'elle m'a tiré par exemple d'une humiliation publique imminente, devant cette grappe humaine un jour agglutinée place de l'Horloge (Avignon) psalmodiant (des beaux, des déguisés, des zalapaj) quatre notes répétitives dans un mantra rigolo, que je voulais diriger, pauvre con, au passage, guider vers une belle impro polyphonique de mon cru - qu'est-ce qu'il se croit celui-là ? d'où y sort ce con ? - en vérité, je l'avais échappé belle ; Sylvie m'entraîna juste avant la cata, je lui infligeai une scène épouvantable : elle me brimait, elle me coupait du monde - ce gadin, cette gamelle, ce râteau que je me serais pris ! c'est à l'échelle de toute ma vie qu'elle m'a sauvé de ma connerie, de mon inadaptation foncière à la relation humaine.

    Et si ma femme ne m'eût pas instinctivement pris de court, à chaque fois, des années durant... si je n'avais pas cédé, sans cesse, en braillant, parce que je reprenais à mon propre compte ce maudit schéma crétin élaboré par les propagandistes – d'une femme nécessairement piétinée, avilie par le mâle - si une telle ineptie ne se fût imposée à ma timidité invalidante, arrogante, c'est moi qui l'aurais soumise, au contraire, à ma propre loi. Je me suis posé en victime du féminisme : et si j'avais simplement cédé au bon sens ? Si j'avais tout bêtement reconnu que l'essentiel est de suivre la raison, peu importe qui des deux ait raison ?

    Nous appellerions cela tout bonnement la lucidité. Celle de Louis XIII se reconnaissant tributaire des excellentes raisons de Richelieu. Ce qui ne veut pas dire que le roi se laissait mener. C'eût été tout l'un, ou tout l'autre : j'aurais imposé mes spectacles de merde, imposé mes amis de merde comme j'en avais tant connu, d'incessants déménagements, ma tyrannie domestique. Ne pas se désoler donc d'avoir aimé, cédé. Elever ses pensées. Considérer à quel point la question de connaître le chef s'apparente à la place du moi dans le couple, ou parmi les hommes (voire dans le sein de Dieu ? ) Il faut êtredisait Talleyrandaigle ou serpent” – dévorant ou dévoré ? ...par honte, incapacité - illégitimité du premier - je me suis jeté à la soumission, dévoré par la perte, par ma dévoration faisant ma perte ; dévotion, révolte et trouble.

    On ne résiste pas à Dieu, fusionnel, exclusif comme il est ; mais la femme ne nous étant nullement supérieure - le seul - l'unique moyen de ne pas céder à la dévoration sera de célébrer sa propre volonté, sa propre adhésion – comme tant d'autres femmes se le sont vu imposer par tant de curés, pasteurs et notaires à travers siècles : “Je cède, je me fais aimer, je règne” - à présent soyons clair : Edipe s'étant vu barrer la voie rebroussa chemin, vit une femme en larmes et l'admira. Question : Sylvie Nerval s'en montra-t-elle au moins reconnaissante ? peut-on parler de son bonheur ?

    ...Oui, à supposer que l'adorateur, le sacrifié, s'acquitte sans mot dire de cette abnégation (que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite). Or tout se passe au contraire comme si je devais rendre des comptes à quelque Instance ( Laïos ? Jocaste ?) au profond de moi : cédant certes, mais toujours, toujours à contrecœur (j'ai toujours vécu à contrecœur). Si un sacrifice vous pèse, dit Romain Rolland (Jean-Christophe), ne le faites pas, vous n'en êtes point digne. Je t'emmerde, Romain Rolland. Je voudrais bien t'y voir. Comme si on le faisait exprès. Comme si l'on faisait exprès quoi que ce soit.

    ...Grommelant, regrettant – Léon Bloy, parlant de Dieu, affirme que l'analyse psychologique prit un jour hélas le relais de l'adoration, de la fusion – que l'analyse absorbe en son propre nombril. Pas un sacrifice en effet, pas une attention dont je ne me sois empressé de faire payer tout le poids. Pas une faveur qui ne fût lestée d'une plainte gâtant, moisissant tout. Tel Christian V., expéditeur polaire, détruit tout son mérite, exhalant dans les termes les plus orduriers, à chaque plan filmé, toute sa rancœur contre les obstacles d'une entreprise que personne ne lui avait demandée.

    Il entre dans ces abnégations trop de rabaissements. Sous le sucre et l'encens tant de fiel embusqué. Chevalier servant, souffrant pour sa Dame, renonçant à ses volontés propres (existent-elles ?) - prétendant que ce n'est rien, me dépouillant à grand bruit de tout désir alors précisément que cette fois c'est l'autre qui cède à ma détresse... Si malgré moi je remporte la victoire dans mon champ de ruines, d'un coup je n'en fais plus de cas, n'en tiens plus compte, et je replaide en sens inverse, vers mon martyre.Après tout... Je trouve autant de plaisir à l'inverse de mon désir.Les dépressions sombra Sylvie Nerval furent provoquéessans être le moins du monde atténuées. Chacun rivalisant d'abaissement, tyrannisant l'autre de l'obscénité de sa faiblesse. Nul ne s'est retiré du jeu. Ces décennies de prison me font hurler de rage.

    Exemple : rien de moi sur les murs ; me contenter de la pièce la plus malcommode (une heure de lumière par jour) - comment l'amour peut-il s'accommoder à tant de petitesses ; à supposer même qu'il suffise d'invoquer mes goûts artistiques nuls... Puce à l'oreille : l'indignation d'un couple de visiteurs : “On dirait” s'exclamèrent-ils “que Bernard n'habite pas ici ; aucune trace de sa présence nulle part”. Autre et bien plus profonde, sinistre, funèbre sonnerie d'alarme, cet oncle – raisonnant sur la présence, à proximité, d'un Lycée, suggérant donc avec satisfaction qu'il me suffirait d'obtenir cette nomination à cinquante mètres de chez moi, pépère, pour le restant de ma carrière ; j'ai grogné qu'il ne m'aurait plus manqué qu'une laisse : “boulot-gamelle-boulot”.

    Le tonton n'y revint plus, mais j'avais senti mes cheveux se dresser sur ma tête. Il ne me restait plus de toute façon, en ce temps-là (renoncement, admiration) qu'un infime noyau d'honneur avant extinction finale. Ne voir que ridicule dans ces hurlements de détresse témoigne d'une méprisable férocité. On meurt sous les coups d'épingle, tas de cons. Dix années pleines de telles minuscules avanies ne sauraient en aucun cas se compenser, quoi qu'en déblatèrent les psys et autres pontes, par les prétendus avantages qu'y trouveraient à foison, paraît-il, les opprimés, qu'on aurait bien tort de plaindre, puisqu'il paraît que la pitié, tas d'enculés, avilit...

    Il faut tout de même bien balancer cette grosse claque dans la gueule que jamais, au grand jamais, ces prétendus avantages, ces mirifiques “compensations”, n'effleurent le moins du monde la conscience de celui qui souffre. C'est bien beau, l'inconscient. Mais sensoriellement, ça n'existe pas. Ce qui est pourri est pourri, ce qui est foutu est foutu. C'est replâtrage et replâtrage, à tour de bras ! Les femmes de l'émir, ses chameaux, ses chiens, se laissent mener. Et certes, assurément, je n'en disconviens pas, j'ai découvert, aux hasards poétiques de la soumission, tant de merveilles - que l'Initiative, la Volonté, la Force et autres hideuses idoles ne m'eussent jamais obtenues ! il se développe en effet, il se fortifie au fil de la passivité un tel sens poétique, un à vau-l'eau, un voluptueux abandon semblable à celui du Roi Arthur, lequel tout roi qu'il fût descendait tout communément, tout couramment, à la rivière “pour voir s'il n'était point survenu quelque adventure” ; alors au fil du fleuve se présentait immanquablement telle barque pontée où repose le corps d'une pucelle, et c'est l'incipit – in- ssi – pitt, blats bâtards, quand on veut faire son latiniste, on se renseigne - de la quête du Graal !

    Au lieu donc sottement de me gendarmer comme eussent fait tant de ceux qui savent si bien ce qu'ils veulent et ne découvrent que ce qu'ils ont décidé de découvrir, et encore, après coup, je suis descendu où il plaisait à Sylvie N. de m'emmener, c'est-à-dire sur place. Guidée qu'elle fut plus, à mon sens, par fantaisie que par sa décision, alors que ma pente sans doute ne m'eût entraîné que vers ma propre catastrophe. Les rares fois où elle me céda, je me fâchai fort, lui reprochant la moindre réserve de sa part, tandis que j'acquiesçais, moi, toujours, et par grincheuse courtoisie. Il m'a toujours paru qu'elle savait mieux que moi ce qui me grandissait, me nourrissait : découverte comme je l'ai dit du ballet, que je pensais disparu, de la peinture à l'huile, que je pensais engloutie - de quoi m'eût servi en revanche de connaître avec elle les joies rustaudes du stock-car ou de l'ivrognerie populaire ?

    Si la femme cède, se rend à mes raisons, ma jouissance s'en trouve annulée de ce fait même ; Simone de Beauvoir évoque à merveille ces faux débats où l'époux, l'homme, veut qu'on lui cède, mais non sans avoir longuement résisté : la femme doit feindre l'opinion contraire, pour lui fournir l'occasion d'une victoire, qui ne s'entend pas sans quelque lutte... A l'inverse exact je cédais, moi l'homme, mais non sans m'être défendu, sachant que c'était en vain, jouissant de ma capitulation annoncée (quoique je me contrefoutisse d'augmenter son supposé plaisir). Voilà pourquoi j'estime qu'il n'est pas vrai, peut-être, que les femmes du temps jadis n'aient jamais pu connaître, disent-elles, que le plus profond malheur, et la victimarisation des femmes, vous comprenez que tout le monde a fini par en avoir plein le cul.

    Or de tout cela, Docteur F., j'étais inconscient, et peut-il exister des choses sans qu'on les ait personnellement, consciemment vécues ? J'étais dans mon esprit celui qui apaise, le grand réconciliateur, à la façon des femmes de jadis. Mais j'y mis tant d'aigreur, comme certaines d'ailleurs, que Sylvie Nerval ne pouvait que conserver, cristalliser au sein même de sa victoire (qui n'était pas vécue comme telle, puisqu'à son sens il s'agissait d'un dû, résultant d'un raisonnement, d'un comportement logiques, affectivement neutres) cette culpabilité qui gâte toute chose, et fut cause assurément de tant de mollesses dépressives dont je n'ai cessé de lui faire grief, en étant moi-même la cause.

    Puis-je ajouter cependant que ce perpétuel découragement ne fut pas moins la cause de ma désenvie de vivre. Ainsi la femme cède à l'homme et le sape dans toutes ses énergies, par son sacrifice exhibé. Et réciproquement. On en jouit semble-t-il dans son inconscient. Autrement dit on n'en jouit pas. Je puis assurément me rebâtir tout mon passé, sans rien omettre des preuves, mais ce qui fut souffert fut bel et bien souffert. Sans vouloir jouer les victimes... Mes voyages se sont bornés aux capacités de mon porte-monnaie,mon petit salaire de peigne-cul, comme me le rappelait obligeamment une correspondante. Libre aux doubleurs de Cap Horn d'estimer sans sel mes découvertes creusoises ou berrichonnes. Me limite aussi dans le temps l'abandon je m'imagine que sombre, sombre parfois réellemement Sylvie Nerval trop longtemps seule. Je pourrais prolonger ces quatre à six jours qui me sont accordés, étirer ce fil à ma patte ; mais il me plaît sans doute de m'imaginer attendu, indispensable.

    J'obéis du moins à des rites ; rouler un certain nombre de minutes et visiter, marcher, que je me trouve, quel que soit le manque de pittoresque ; je me détourne souvent pour un château. Mais je peux également foncer tout droit vers le sud / sans presque [m'] arrêter, Cordoue le matin, Séville l'après-midi, ce qui est scandaleusement insuffisant, mais permet de parler au retour ; Sylvie Nerval en voyage flâne dès le premier jour, découvrant ou redécouvrant maints et maints situscules et sitouillets sans envergure. Son plaisir (si je lui lâche la bride, si je me laisse mener !) consiste à replacer ses pas sans cesse dans les siens : nostalgies du petit espace mais plus encoredésirs,envies,besoins, mots enfantins, d'une exaspérante innocence - mes désirs à moi se trouvant toujours à l'exacte intersection des désirs inverses, aussi bien que de leur absence ; obéir à Sylvie Nerval serait donc obéir à la vie et m'y abreuver, alors de moi-même je prévois tout, j'endigue toutquoique mon voyage tienne aussi bien de celui du père Perrichon : découvrir ! ne fût-ce qu'un gros bourg, pourvu que je n'y aie jamais mis les pieds.

     

     

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    Nous éprouvons tous deux une sacro-sainte horreur pour tout le matériel, encore qu'elle peignede sa main, ce qui me semble parfaitement incongru, hors-norme, exception confirmant la règle comme disent tous les racistes ; nous aimerions Sylvie et moi n'être que tout idées, tout art. Nous n'aurons véritablement vécu en effet que par et sous les impressions d'un film, d'un livre, d'une musique ou d'une danse. Ajoutons pour Sylvie Nerval ce monde cérébral révélé plus haut - le réel ? il se sera toujours refusé à nous, à moins que ce ne soit l'inverse. Nous ne saurons supporter le moindre refus ; nous nous détournons alors, préférant nous faire rouler, le déplorant aussi, conscients de notre infériorité sans remède dans les choses inférieuresquand les œuvres d'esprit jamais ne nous auront déçus.

    ...Ainsi nous haïssons le bricolage. Grande passion de l'homme de peu. Est-il je vous le demande quoi que ce soit de plus vulgaire et de plus bas de gamme que la béatitude infiniment creuse du bricolo qui vous tanne avec sonportail installé soi-mêmeou son rafistolage automobile maison. A tous ceux qui m'objectent, les yeux injectés de haine et de bonne conscience, que je suis tout de même bien content de les trouver pour me tirer d'embarraas, je réponds que je suis bien content assurément d'aller chier tous les jours, mais que je n'en inviterais pas pour autant ma merde à table. Il faut à mon sens posséder l'âme vide et vile de la populace résolument réfractaire à toute spéculation intellectuelle pour s'abaisser à se souiller les mains par quelque manipulation que ce soit, de bricolage... peindre sur toile assurément (voir plus haut) débouche sur l'éternel ; déboucher les chiottes : non. Je sais, Dieu sait si on me le répète, que la main est intelligente. Mais nul ne m'en pourra jamais convaincre. Un sillon, une chaussure, n'égaleront jamais en intention (je ne parle pas de la réalisation) l'Œuvre d'Art, consacrée par l'éternité des Divins Préjugés. Il existe, si arbitraire qu'elle soit peut-être, une hiérarchie des valeurs que nous respecterons toujours Sylvie Nerval et moi, quelles que soient les violences des propagandes égalitaristes.

    Nous tordons le cou aux démagogues alléguant l'égalité du boulanger et de Mozart ; pour des milliers de boulangers, quelque compétents, quelque vertueux (voilà bien la répugnante faille de raisonnement) qu'ils puissent être, il n'existe et n'existera qu'un seul Mozart. Ajoutez à cet intolérable fascisme (n'est-ce pas !) qui est le nôtre une farouche défense des valeurs passées, mais aussi, de façon douillette sans doute et parfaitement incohérente, l'attachement aux grandioses adoucissements de la condition humaine : le progrès matériel justement, permis par les techniciens, les bricolos, les “hommes matériels” si vilipendés au paragraphe précédent. Plus encore de notre part un viscéral cramponnement à l'Athéisme, à la Liberté Sexuelle, qui nous semblent découler non pas de la démocratie, mais directement de la sainte et laïque raison bourgeoise et cultivée. Ce n'est pas en effet pour avoir souscrit aux suffrages de quelques bouseux incultes que nous avons conquis toutes ces belles choses, comme les découvertes médicales, mais en luttant de toutes nos forces, justement, contre leurs préjugés et leurs hargneuses sottises.

    Le peuple est méchant, écrivait Voltaire ; mais il est encore plus sot. Ce sont les études qui forment l'élite, et par là-même l'arrachent au peuple et à son étouffante connerie. Soyez bien assuré que si l'on redonnait la parole au peuple, son premier soin serait de rétablir peine de mort, torture en public et persécution des pédés. Il brûlerait, ou laisserait périr les musées, le peuple, il se livrerait au fanatisme. En admettant tant que vous voudrez que cela soit faux - il n'en est pas moins vrai, regrettable ou non, que la sainte horreur du populo est l'un des plus fermes ciments de notre union ; nous ne fréquentons point cette engeance renégate de l'âme et de la raison. Aristocrates des buissons, nous ne méritons point de vivre assurément, selon la doxa du jour ; c'est ainsi que Monsieur des Esseintes exigeait de son personnel d'avoir achevé les travaux de jardin avant onze heures, afin qu'il pût jouir des allées de buis parfaitement râtissées sans risquer d'entr'apercevoir le moindre fragment de bleu de travail... S'il est en effet quelque individu avec qui pour ma part je sois rigoureusement incapable d'échanger une parole, ce sont bien les gens du peuple, juste capables, sitôt qu'on leur laisse ouvrir la gueule, de proférer des horreurs sur les arabes, les juifs et les fonctionnaires (aux dernières nouvelles c'est nous, Sylvie Nerval et moi, qui sommes les fascistes).

    ...Nous aimons pourtant bien jouer à la belote (alexandrin).Second degré? Nous possédons huit ou neuf jeux de cartes, très originaux (A présent je tombe de sommeil et j'ai bu de la bière, et tant d'ostentation de seigneurie me fatigue, moi qui ne suis qu'un con. Quand je me suis réveillé, une profonde tristesse m'a étreint de marchandises. J'ai trop haï et méprisé dans les lignes précédentes.) Je voudrais cependant ajouter qu'il existe un autre jeu appelé Trivial Pursuit, qui signifieDivertissement banal,populaire, formé de questions et réponses sur cartes réversibles.

    L'une des formules de ce jeu concernant l'histoire de l'art, nous y jouons parfois avec nos meilleurs amis, dépourvus pourtant de ce qui s'appelleinstruction bourgeoise(bellecontradiction, preuve par neuf de mauvaise foi : nous ne pensons pas ce que nous pensons). Si le premier, autodidacte, fait jouer ses rouages déductifs, nous souffrons profondément de voir l'autre se faire répéter les questions, travestissant son ignorance en anxiété, prenant son temps pour permettre à son partenaire amoureux de lui souffler la réponse (c'est bien plus plaisant entre initiés, Sylvie Nerval et moi, à armes égales) ; dirai-je que cette amie tient absolument à nous entraîner dans l'orbe crasseux de Dieu sait quelles épaves quil s'agit de repêcher dans je ne sais quelleassociation; or en dépit de toute l'affection que nous éprouvons pour elle à titre privé, nous refusons et refuserons toujours de toutes nos forces de participer à quelques activités que ce soient pour ces semi-clochards et déglingués divers extirpés tout dégoulinants de leurs caniveaux ; j'ai suffisamment trimé toute ma vie à tenter de m'élever au-dessus du vulgaire, et à hisser au-dessus du ruisseau tant d'innombrables fils et filles de blaireaux incultes (pléonasme, parfaitement, pléonasme) pour refuser d'envisager le moindre refrottement à cette engeance, à ce tissu conjonctif, à cette humanité de remplissage qui vous dégoûterait bientôt de l'humanité. Jusqu'à ce que ma propre fille ne réintroduisît hélas dans ma famille des individus de cette race d'ignorants fiers de l'être, j'avais été jusqu'à l'aveuglement de penser qu'enfin, ouf, ils n'existaient plushélas !...

    Le troisième jeu est celui des échecs, où je parviens toujours par étourderie à me faire écraser non sans en concevoir quelque dépit - les échecs sont une activité d'homme responsable. Je ne les aime pas beaucoup. Tels sont les jeux qui entretiennent l'amour. Je m'efforce d'y multiplier les plaisants propos – outre les annonces, commentaires de capotes ou de carrés d'as – ainsi le dernier jeu de cartes (nous en avons dix) s'appelle-t-il “Reptiles et Batraciens du monde ; ce sont chaque fois des récriements de part et d'autre sur la beauté des reproductions - car ces jeux signalent un certain ennui, une faillite de communication, et je ne les refuse jamais, sachant que Sylvie m'est reconnaissante de mes saillies - en bon français de prolo : on joue ensemble pour se raconter enfin des conneries.

    Qu'est-ce que vous croyez. J'en ai ma claque de cette honnêteté intellectuelle et de cette logique sans cesse réclamées. Toujours se justifier. C'est pénible à la fin. Nous préservons donc à tout jamais, Sylvie Nerval et moi, notre adolescence. Les mêmes histoires drôles depuis plus de 35 ans. Un bon vieux stock d'allusions, de discours rebattus, parfois lassants, entretenant notre amitié, et notre lamentable auto-apitoiement - ça va les sartriens ? ...heureux ? Pensant à tant de couples enfouis sous les tombes, j'aimerais savoir de combien d'éclats de rires ne résonneraient pas les allées s'il leur était donné à tous de ressusciter, sous forme de bons vivants comme ils furent tous. Mêmes enthousiasmes, mêmes exaspérations, mêmes raisonnements. Même indécrottable prétention. Eût-il fallu, pour plaire, que j'animasse tant soit peu notre duo, que je le parasse des atours narratifs ? Voici encore, justement, l'un de nos ciments les plus solides : nous avons estimé, notre vie durant, Sylvie et moi, inébranlablement, que de la prime enfance à ce jour ce sont les autres, dans leur ensemble et séparément, un par un, qui nous ont fait obstacle, entravant nos inestimables dons naturels avec la plus bornée, la plus féroce intransigeance.

    Mépris d'autrui à Notre Egard, dénégation d'emblée de nos talents, dédains de nos airs poétaillons. Nous avons toujours cultivé les cuisants souvenirs de chacune de nos humiliations : ainsi de ces raclures de noix de coco cédées à moitié prix par une marchande ambulante :Tu ne vois pas que c'est des miteux?s'était-elle exclamée à la cantonade - mais bien évidemment que c'était notre faute, y avait qu'à, fallait juste, naturellement que nous aurions gueuler, prendre des airs moins consvoici bien encore un solide lien de notre union, une véritable corde à nœuds : l'air con.

    ...Changer de tronche - ne pas se laisser faire – soupçonnez-vous seulement, sartriens de mes deux, qu'il y faut une de ces lucidité, un de ces sangs-froids ; une étude approfondie dont quelques-uns seulement ne parviennent à tirer profit, à l'extrême rigueur, juste au seuil de la décrépitude ? suite à je ne sais quel lent processus de rationalisation, de déduction – bien plutôt par à-coups rigoureusement imprévisibles ? ...tant il est vrai que l'intelligence n'est rien... Ma foi non que vous n'en savez rien, vous n'en concevez pas le plus petit soupçon d'idée, bande d'épais.

     

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    Nous avons usé peu de lits : ...trois, quatre... douze peut-être ? sans compter les hôtels. Nous avons toujours vécu l'un sur l'autre. La chose était fréquente au siècle dernier (toujours, pour moi, le XIXe). Certaines années nous chevillaient trois cent soixante-cinq journées, mille quatre-vingt quinze même une fois trois ans tout entiers faute d'argent (quatre-vngt cinq, six, sept) d'un effrayant corps à corps. faute d'argent. Sylvie Nerval contestant tout cela n'y saura rien changer – sachant pertinemment en mon âme et conscience que le 15 08 85, ayant eu le front d'accomplir un modeste pélerinage sur une tombe de Bigorre, je fus taxé à mon retour d'ignoble cruauté pour abandon de grande malade.

    Trois années, dis-je, l'éventualité du moindre voyage, visant tant soit peu à dénouer ne fût-ce que thérapeutiquement le lien fusionnel, s'est vu âprement et triomphalement contestée. Même à présent gagne l'arthrose, je sais qu'il me serait impossible de me livrer à quelque escapade que ce fût au-delà d'un nombre de jours toujours trop courts : le fil à la patte. C'est ainsi que si souvent s'achève (j'y reviens) l'histoire d'un amour : en règlement de comptes. Combien d'écrivains dont je soupèse à l'édition les pesants manuscrits ne se sont-ils pas ainsi consacrés à tant d'inepties ?

    Tant de sincérité, tant de poignance, tant de tics aussi, tant d'impardonnable amateurisme postés à l'éditeur ! la littérature est parfaite ou n'est rien. Nos exhaustitivités constituent le plus gros bataillon de l'ennui. On se fait chier à vous lire, mes pauvres choux. Vous vous imaginez sans doute que le moindre méandre, le plus infime diverticule intestinal de vos tourments importe au lecteurvictime. Or il se trouve que chacun de nous possède, justement, et à foison, à volonté, au détail près jusqu'à la nausée, de semblables révélations et rebuts d'hôpitaux. Ainsi cette effrayante continuité des nuits de couple évoquée dans Cette Nuit-là, mille observations merveilleuses, et cette certitude lente que dans le noir, rejoignant le corps ténébreux de l'épouse, je gagne la couche et la nuit infinies enveloppant la vie du premier à mon dernier souffle (musique).

    Cela ne m'effraie pas. D'aucuns prétendent que les draps conjugaux sont déjà ceux du tombeau; et qu'il n'est si parfaite épouse qui en préserve. Juliette, nous serions seuls dans nos cercueils, séparés par les planches, sur la même étagère. Imaginons seulement la délicatesse à bien placer, judicieusement, sans la moindre superposition, sans le plus minime empiétement susceptible d'engendrer courbatures, écrasements, ni friction, ankylose, fourmisni obstruction de sang - les abattis de chacun dans une seule et même couche, jamais les lits matrimoniaux ne doublant exactement les mesures humaines : il est toujours en effet tenu compte des chevauchements ; comment faisaient-ils donc à Montaillou, village occitan, tous ces bergers de grande transhumance, pour s'empiler à cinq ou six par couche dans leurs bories pyrénéennes, sans même imaginer qu'on pût se sodomiser à couilles rabattues ?

    L'innocence de ces temps-là... Assurément l'on était loin de nos fétides imaginations ; c'est même une des plus insolubles énigmes : comment faisaient-ils donc tous pour ne point songer à mal, pour que rien, fût-ce le plus mince soupçon, la moindre velléité d'érection, ne pût se glisser ? quelles pouvaient bien être leurs associations d'idées ? D'autre part, c'est-à-dire de façon diamétralement opposée, comment donc leurs membres, dépourvus de tout attrait, de toute charge érotique fût-elle infinitésimale, ne se révélaient-ils pas enfin non plus pour ce qu'ils étaient, des appendices cruraux velus ou glabres, osseux ou adipeux, crasseux jusqu'aux croûtes, écrasant et broyant jusqu'à la folie tout espace vital, toute tentative de sommeil ?

    ...Les lits jumeaux ? pure abomination, pour laquelle on eût dût réclamer les plus rigoureuses sanctions pénales. Ne pouvant donc non plus, si épineux qu'on se sente l'un et l'autre au moment de se mettre au lit, nous fuir sans cesse, sauf à nous retrouver en équilibre de profil sur les rebords du matelas, force est de nous résoudre à la promiscuité de la chair, lard et tibias mêlés. Nos bergers ariégeois de treize cent douze étaient sans doute plus proches de la chair collective, de la viande animale indistincte ; mais nous, couple occidental fin vingtième, sommes bien forcés de nous encastrer, dans les affres, puis dans les délices (tout de même) de l'emmêle-pattes.

    Mais qu'il est dur de jouir du simple sommeil, fonction première après tout du lit. (Je crains de trouver un jour, au réveil, ma partenaire morte, raide, et qu'il faille rompre les os pour nous dégager de l'étreinte ; la cocotte de Félix Faure vécut au soir du 18 novembre 1899 cet atroce délire hystérique - horreur ! terreur !) je reprends : autant j'aime trouver au creux de mon ventre l'empreinte et la pression intime des fesses, autant je regrette de n'avoir aucun corps pesant sur le dos pour m'en recouvrir. Une telle irremplaçable sensation ne peut m'être donnée que par un homme (ici placer un sarcasme). Nous aimons cependant, homme et femme, nous endormir à l'intérieur l'un de l'autre.

    Quelques mots sur l'éjaculation précoce. Quatre-vingts pour cent des hommes de trente

    souffriraient de ce trouble. A vrai dire ils n'en souffrent pas. Rien de plus satisfaisant pour l'homme que cette giclaison précipitée. La chose en soi ne m'a jamais autrement tourmenté lorsque j'allais aux putes. Tout au plus l'orgasme ratait-il de temps en temps : la pute avait bougé un poil de trop, ou j'avais mal pris la corde dans le virage - mais après tout, il arrive aussi bien de rater sa branlette. Aux regrets de n'avoir pas joui s'additionne alors, avec les putes, celui du pognon. ...Perte sèche... Mais à se retenir sans cesse modelé sur l'infinie lenteur d'une femme (bien plus rapide quand elle est seule) (décidément, on gêne) l'homme peut aussi bien tout manquer. On pense donner du plaisir en se privant du sien. Résultat : des deux... Ce sont les femmes une fois de plus qui ont le mieux résolu tout cela : quatre mille ans de bonnes branlettes bien solidement torchées en témoignent. L'amant qui veut baiser en paix s'adonnera donc passionnément au broute-minet, qui permet la plupart du temps de se débarrasser de la jouissance féminine pour mieux s'expédier ensuite.

    Attention : certaines réclament du rab. Vaginal. Désolé. Je ne suis pas coureur de fond. Fourreur de con, soit. Ce que je veux dire en tout cas, et transmettre sans relâche jusqu'à la limite des terres habitables, c'est que la psychiatrie, j'entends la consultation psychiatrique, si répétitivement et si indéfiniment qu'on y fasse appel, a surabondamment démontré son absolue, sa rhédibitoire impuissance. Peut-être notre civilisation ne peut-elle mourir qu'avec le dernier psychanalyste. Les psychiatres ne peuvent rien. Surtout les envahissants comportementalistes, qui sont à la psychanalyse ce que les boulangeries industrielles sont au four à bois.

    Que nous disent-ils en effet ? Il faut prendre sur soi. J'ai eu maintes fois recours aux services des psys, quelles que fussent leurs tendances, obédiences, mouvances. Et sans doute certains patients éprouvent-ils le besoin d'être accompagnés. En cours de vie, en fin de vie. Mais pour ce qui est du sexe, ils sont nuls. Même pas mauvais : sans pertinence, im-pertinents, inopérants. C'est ainsi que pour le dire abruptement le manque de désir ne provient pas nécessairemen, par exemple, d'unepulsion homosexuelle. Les psychiatres femelles en particulier tiennent absolument à voir en chacun de nous un homosexuel, fût-ce refoulé ; elles en gloussent derrière leurs bureaux.

    A soixante ans de toute façon, d'un seul coup, tout ce qui est sexuel opère un véritable bond en arrière, passant de la première à la dix-septième place du boxon-office...

     

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    Naguère (sinistres années soixante !) il était inenvisageable de baiser hors mariage ou putes. Nous nous sommes donc trouvés, Sylvie Nerval et moi, non par miraculeux décret du sort (parce que c'était elle... parce que c'était moi) mais par impossibilité de trouver qui que ce fût d'autre.L'acte sexuel paraît-il (dit ma psy)(paraît-ilest de moi) est quelque chose de simple et vous en avez fait du compliqué....Ineffables sexologues ! Inestimables praticiens !vos gueules. Considérez plutôt je vous prie l'extraordinaire apaisement, par le mariage, de toujours avoir quelqu'un sous la main ! juste tendre le bras dans le lit, à côté de soi ! ...pour trouver là, transpirant ou gelant sous les mêmes draps, un corps de femme qui enfin, enfin ! consente - du moins, allongés sur la même couche, dans une même superposition de membres, est-il dur de résister longtemps aux caresses, étreintes, suggestions - même les femmes ! c'est dire...

    Saint Paul a dit mieux vaut pécher dans le mariage que brûler dans l'abstinence. Et il fallut si longtemps avant d'éprouver la moindre monotonie dans la couche conjugale, que je n'en ai pour ma part jamais souffert, chacun de nos actes toujours si différent du précédent, sans livres, ni manuels - j'aimerais pourtant, une fois, pénétrer dans ces boîtes exiguës de Reykjavik l'on est paraît-il contraint de se frotter pour danser ou juste se mouvoiront-ils prévu des boîtes à vieux ? (Confer ces chiottes de collège en 85 s'entassaient ces demoiselles de troisième à dix ou douze pour se branler mutuellement dans le plus pur anonymat collecti - à quel point il est merveilleux d'être fille - et dire qu'il faut crever - je sais comme vous tous que l'amour augmente la jouissance

    faites pas chier).

    Mais à se regardervoyez-vous - dans les yeux pour la stimulation, outre le rire (je te tiens, tu me tiens...) survient une telle tension que l'on se sent immédiatement confronté à cette atroce impossibilité de se fondre, de part et d'autre cet imperméable épiderme, ce que seul apaiserait (dit-on) le meurtre mutuel (suicide Heinrich Kleist / Henriette Vogel 1811). Et puis l'amoureux craint que tout ne subsiste, ne s'imprime dans notre extase sur nos gueules égarées livrées aux railleries, car il faut bien sortir de la chambre fût-ce au bout de trois jours de baise.

    Contemplant l'autre jour debout dans ma baignoire ce bide inexercé dont je prévoyais jadis l'épanchement, l'effondrement, je surprends aujourd'hui , comme un écoulement de mauvais plomb, ce manchon, ce fût de graisse autour de ma taille. J'envisageais abstraitement, vers mes trente ans, une insensible et harmonieuse déchéance, épousant les abdominales langueurs de quelque adipeuse odalisque ; je devais désormais en rabattre à coups de bourrelets. Aujourd'hui Sylvie pousse la porte avant de s'habiller. Nous ne regardons plus nos nudités si surprenantes jadis en l'hôtel clandestin de certaines perspectives arrière m'avaient transporté, comme la découverte d'un sexe inconnu. Lorsque je passe à poil dans la cuisine, je redeviens risible, inoffensif, aimé : mon sexe dérisoire n'a jamais blessé. Cela fait bien longtemps aussi que je n'ai vu le sexe de Sylvie Nerval.

     

     

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    D'une différente appréciable d'aperception

     

     

    Il me fallut attendre les trois-quarts de ma vie pour savoir que j'avais nui à ma partenaire au moins autant qu'elle ne m'avait fait ; les premières semaines de notre vie commune à peine écoulées qu'elle suppliait ma mère - impuissante - de faire cesser mes râleries. (Apparente digression) je me souviens qu'à la pizzeria (rue Monge) c'était moi qui soumettais ma partenaire (une autre) à la destruction : émettant d'abord ses vœux de longs voyages (Inde, Chine, Japon) elle trouvait contradiction (C'est nul !), puis me confiant son sincère projet d'initiation à l'art photographique -inutiledécrétais-je, et lorsqu'elle se demanda enfin s'il ne serait pas mieux pour elle de poursuivre ses étudesle plus loin qu'il serait possible, je me mis à ricaner.

    Alors elle éclata :Quoi que je dise - tu me charries ?Rien de plus vrai. Que tout fût piétiné. Il le fallait. Quelle que fût la femme. A plus forte raison Sylvie Nerval femme quotidienne auprès de moi dans un perpétuel dénigrement. C'est récemment que se découvrit à elle, infiniment trop tard., ce mécanisme que j'imposais, ces sarcasmes, trente-cinq ans, toujours sur le sujet comment me débarrasser de cette mauvaise femme que j'ai ? Pourquoi, d'où provenaient mes craintes, et qu'attendais-je de tous ces autres ? Aidez-moi, aidez-moi - qui n'en pouvaient mais... En son absence, en sa présence, je déversais sur elle mes satires,mes grimaces, évoquant ses travers, les avanies et humiliations de tout ordre dont elle m'eût abreuvé, n'ayant de cesse que je ne me fusse attiré par ces manèges tant de plaintes et de conseils inapplicables.

    Mais d'autres auditeurs, à vrai dire les plus nombreux, tant l'espèce humaine se voit

    moins pourvue de sottise qu'on le croit, me renvoyaient avec une lassitude embarrassée à mes “contradictions”, refusant mes dérobades. Je ne voyais pas, moi, où il y avait “dérobades” ou “contradictions”. Et en dépit d'innombrables expériences - j'attends toujours des autres qu'ils me dictent ma conduite ; leur réclame des solutions pour mieux les leur jeter à la gueule. Et s'aviseraient-ils de m'arracher Sylvie Nerval ma conquête, je les en empêcherais. Les autres ont tort, tort, tort.

    Mes parents furent mes premiers autres – eux-mêmes disant pis que pendre des autres. Je les ai calomniés à mon tour auprès des autres. Mes parents : stade infranchissable. C'est de ce palais des glaces de haines que j'ai affublé Sylvie N., toutes les femmes - vous verrez : c'est très commode. Il faut que les autres me contemplent, me jugent. Telle est leur Fonction. Leur seule adoration, leur adulation, seules admises, afin de pouvoir en outre me parer de modestie. Objectif : les autres ne sont pas mes parents, Sylvie N. pas ma mère. Le risque : passer inaperçu. Pour l'instant : les autres s'écartent de moi, c'est sainement.

    J'exige un traitement cruel, que j'obtenais jadis. Pourquoi les autres autres refusent-ils de m'obéir ? je forçais des classes entières à jouer mon jeu, par le charme mortel du ridicule. Me conspuer à l'instant précis ils y pensent, avant même qu'ils n'y pensentprendre l'initiative - vaincre. Dans mon métier j'y suis parvenu. Uniquement dans une salle de classe. D'où ma rancune à l'égard de tous ceux, parents, épouse, qui me refusent, les sots, la victoire. Je découvre aujourd'hui le dénominateur commun. Youpii ! Chercher encore. Si vraiment le jeu en vaut la chandelle.

    C'est Sylvie N. qui court les risques ; arrivé le premier à V., je m'empresse d'informer chacun de sa prétenduse hystérie :elle déchire mes livres par jalousie-je ne veux pas, déclare le proviseur, de cette fille-là dans mon établissement- dix ans plus tard je vois que ces déchirures proviennent de l'excessive compression des livres sur les rayonnages, c'est moi qui les provoque en les tirant trop violemment.Je ne sais pasme dit-once que vous avez tous les deux, si c'est un jeu ou quoi, mais quand vous êtes ensemble- suspension de phrase, j'ai toujours ignoré ce que ON voulait à toute force laisser en suspens, en sous-entendu, bourré de rancunepropos à rapprocher de l'attitude de ce Zorro de salon qui refusa de me revoir, tant ma façon de traiter une femme (la mienne) l'avait positivement outrésans qu'il fût intervenu, bien entendu.

    Renvoi donc, ping-pong perpétuel de l'autre à l'autre par-dessus ma tête, ma femme en pâture aux autres et les autres à moi-même, et voilà sur quels échafaudages, nul ne trouvant grâce à

    nos yeux, brinqueballent nos misérables vies... Un absent toutefois dans cette jonglerie : moi. C'est donc ainsi que j'ai perpétué dans ma vie dite conjugale toutes ces encombrures du passé, désastreuses frivolités qui m'épouvanteront bientôt, devant l'abîme des années englouties. Je n'absoudrai jamais la vie, je ne pardonnerai jamais, ni de m'en être avisé qu'infiniment trop tard...

     

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    Impossible en effet de reconsidérer ces quarante dernières années sans que je m'y mêle,sans que je m'y heurte à Sylvie Nerval. Mes brefs voyages eux-mêmes, ou mes fuites, se sont toujours définis et déterminés en fonction d'elle et de ses disponibilités, fixant la durée du congé de cafard accordé par elle. Et jusque dans les moindres détails. En 1967, alors que tout Paris se met à bruire de manifestations en faveur d'Israël, j'attends Sylvie Nerval qu'il m'a fallu accompagner à la Piscine Molitor, n'ayant obtenu que la faveur de ne pas m'y baignermoi-même. Le vent résonne dans les arbres, pas un soufle de l'émotion universelle ne me parvient.

    L'année suivante, je manifeste avec mes camarades étudiants. Pas un ne m'aurait accordé un regard si je me fusse écarté tant soit peu du Krédo Revolüzionär. Je l'ignorais alors, mais j'aurais bien aimé, tout de même, un petit os d'histoire à ronger, du moins quelque jour à venir, dans un petit recoin de mes souvenirs. Refus. C'est encore elle, Sylvie Nerval, qui me fait regagner mes pénates et le rang à heure fixe, afin de voir danser Noureïev, qui ne dansa pas ce soir-là.

    Même chose en 86 contre la loi Devacquet, même chose en 2002 contre Le Pen.

    Note : Mon but ici, mon devoir, est de me persuader ainsi que chacun de vous que nous n'avons ni perdu notre temps ni vécu en vain. J'offre ma vie. Jamais je n'aurai pu vivre sans les autres, réels ou fantasmés, récusés ou sollicités. Jamais je naurai pu rompre avec Sylvie Nerval. Tel doit être, je me le rappelle, le point de départ de toute ma réflexion. Je m'adresse à tous les humains qui en dépit de leurs résolutions ne sont jamais parvenus à rompre.

     

    Sylvie Nerval ne vit ni dans le temps ni dans l'histoire ni dans l'immédiat ; mais dans une histoire interne, qui désormais irrémédiablement, définitivement, l'a envahie. Et cependant ces extraordinaires, visionnaires, irrattrapables Années Soixante-Dix ; les modes flamboyantes, les affleurements d'une libération sexuelle jamais aboutie, j'ai vécu tout cela, toutes ces aspirations d'encens, ces magnifiques échecs, toute l'histoire du monde, je l'ai vécue, du moins cotoyée, avec elle, Sylvie Nerval. Pantins mous en marge de l'Histoire, flairant les plats que d'autres .engouffraienten broyant les os, nous avons nous aussi participé à l'immense éruption. En spectateurs, certes, en petits-bourgeois indignes comme ne manquaient jamais de nous le rappeler tous ceux qui profitaient de l'Idéal des Communautés pour nous soutirer notre petit blé, mais tout de même : nous étions le nez sur l'Epoque, tout plein d'odeurs; nous avions un pied dedans, et de ça, personne n'a jamais guéri, sauf 90% decyniques, que j'emmerde. Pour Sylvie Nerval, c'était enfin l'accomplissement de son monde intérieur, seul véritable, seul digne d'émerger à la surface du mon

    Si je dis délivrez-moi d'elle, ils me regardent tous et se mettent à rire. (L'Avare). L'Histoire, celle des autres, la nôtre, nous a ligotés l'un à l'autre, nous pouvons bien nous rejeter la faute à l'infini (revenir sur ce monde intérieur de Sylvie Nerval).

     

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    Nous avons tous deux subi les mêmes échecs, les mêmes humiliations, les mêmes attentes devant les grilles closes. (Exemple, dès la première année que nous avons vécue ensemble : ce criminel Directeur des Beaux-Arts de Tours, l'incompétence criminelle de sa recommandation à Sylvie Nerval :Vous allez vous ennuyer : nos élèves ne dépassent pas 17 ans.Elle en avait 22. Ce n'est qu'en 1975, huit ans plus tard, qu'elle a été admise à Bordeaux, par dérogation. Criminel. Salopard. Sadique. Sous-merde. Toute une vie gâchée. Deux vies. .Vous auriez fait ci, vous auriez fait ça : vous n'auriez rien fait du tout. Cest moi qui écris, c'est moi qui insulte.

    Jamais nous ne nous sommes séparés. “Scier nos chaînes”, comme vous dites, c'eût été retrouver , de l'autre côté, tous ces paquets de mâles vulgaires au lit, de gonzesses inquisitrices et crampons, tous et toutes dépourvus du moindre vernis cérébral, de la moindre folie. Toutes et tous exclusifs, exigeant tout sans restriction, conformistes jusqu'à la moëlle comme tout révolutionnaire qui se respecte, ayant bien su depuis virer de bord. J'aimerais, j'aimerais encore à vingt-cinq ans de distance pouvoir péter la gueule de cet Egyptien qui s'est permis, le pignouf, de faire éclater Sylvie Nerval en sanglots en plein café, au vu et au su de tout le monde, avec supplications

    J'en souffre encore comme d'un affront personnel. Vous auriez fait ci, vous auriez fait ça. Vos gueules. C'est en raison de cette fidélité.que je n'ai jamais pu évoluer Baudelaire non plus n'a su évoluer, ce dont l'a blâmé M. Sartre, Professeur de philosophie au Lycée du Havre. Et ce que nous remarquons encore, Sylvie Nerval, chez les Autres, les Connards, c'est l'inimaginable,l'immonde et répugnante cruauté avec lesquels ils rompent, se déchiquètent l'un de l'autre, sans la moindre ni la plus élémentaire pitié, la moindre notion de la plus minime humanité, fût-ce du simple respect de soi-même. Au nom de l'illusoire grandeur et bouffissure du Destin Amoureux, et de sa mystique et ignoble irresponsabilité Je suis amoureux j'ai tous les droits ; je piétine, je conchie. Mort à l'aimé. Répudiation en pleine déprime, risque de suicide inclus ; virage de mec sous prétexte qu'il a trouvé son petit rythme de baise quotidienne - veinarde ! - et qu'il se croit chez lui et autres, et maints autres.

    On n'a pas le droit, pas le droit de faire du mal, pas le droit de rompre. Tant d'atrocités qui ravalent l'humain au niveau de la courtilière ou de la mante religieuse. Je ne voulais, moi, confier ma femme qu'à des successeur dûment approuvés, j'allais dire éprouvés avant elle. Voilà ce qu'est l'amour. Ne pas faire souffrir, ne jamais infliger la plus légère souffrance. Tu ne tueras point. Tu ne mourras point. Plutôt mille fois ne rompre avec rien, rien du tout, traînant avec moi tous mes petits sacs de saletés, pour assimiler, comprendre enfin, digérer, ruminer, incorporer. Revivre sans fin.

    Au rebours exact de ce que vont prêchi-prêchant tous ces ravaudeurs de morale à deux balles, “savoir tourner la page”, “dépasser son passé, autrement il vous saute à la gueule”, que j'ai entendus toute ma vie. Tous ces moralistes. Tous ces étouffoirs, avec leurs formules inapplicables. J'ai conservé, absorbé, stratifié, j'immobilise, j'étouffe le temps et ma vie, momifiant, pétrifiant tout vivant, tordant le cou aux lieux commun et autres petits ragoûts de bonheur précuit.Constance, renaissance, éternité.

     

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    Tout mon emploi du temps se règle en fonction de Sylvie. Qu'elle se lève, je suis déjà debout depuis une heure. Deux heures c'est mieux. Je me suis assis aux chiottes (je ne conserve pas tout). J'ai entr'ouvert les volets, lu, regardé deux minutes la chaîne suivante de télévision, ouvert un peu plus les volets, me suis lavé. Fait chauffer le thé, dit les quelques mots qui réveillent sans brusquerie, ouvert en grand. Auparavant, j'aurai jeté l'œil sur l'Agenda pour prendre note des corvées, projets, visites et spectacles depuis longtemps prévues - sans que cela puisse me mettre à l'abri d'exaspérantes surprises - je coule mon temps autour du sien comme un bras sur une taille ; hors de moi, en revanche, si peu qu'elle s'accorde de vivre sans tenir compte de mes propres obligations, passages à l'antenne, cocktails à venir. Je ne sais pourquoi j'ai mis si longtemps à vivre enfin heureux à ses côtés, à moins que ne me transperce un jour l'épouvantable évidence (mais je le sais déjà) que l'on met toute une vie à transformer des inconvénients en avantages, des tortures en douceurs... J'ai pensé, assurément, qu'il était honteux de paraître amoureux, afin de m'imaginer disponible à toutes les destinées, à toutes les femmes qui passent. J'ai dit à Sylvie Nerval Tu as modifié toute ma vie.

    Mais qu'ai-je proposé d'autre ? Bordel, soûlographies, flippers ? Que pouvais-je vivre d'autre ? “On peut transformer sa propre vie, encore faut-il en avoir la volonté” : de telles assertions, fusssent-elles signées Alice Miller, me font hurler de rire.

     

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    Dire à présent combien nous sommes l'un et l'autre engagés sur les voies de la mort.A cette heure que je suis engagédit Montaignedans les avenues de la vieillesseau commencement de ses Essais. Certains sentent venir la mort de loin. Il s'est toujours cultivé en moi un sentiment de mort. L'une de mes amies ayant appris par voie de presse l'accident mortel de son amant (le second qu'elle perdait) me consulta : le curé n'avait pu lui répondre - mais est-il ? monsieur le curé, est-il ?je fus trouvé le plus qualifié vu magrande connaissance(dit-elle) de la mort.

    Comment pouvais-je bien connaître la mort ?... Ce fut à d'autres que Juliette (elle s'appelait Juliette) confia sa déception. De mes propos convenus. L'accès à la mort ne m'est pas plus ouvert qu'à quiconque. L'absurdité de la vie assurément. Comme aux autres. Cette irrémédiable dépréciation de l'être humain pour moi, cette misanthropie par dégoût d'un être, l'homme, instantanément déclassé par la mort, voire plus bas que les reptiles qui ne savent pas qu'ils vont mourir (mais les lézards détalent sous mes pas dans l'allée de mon jardin) peut-être cela, en dernière analyse, m'appartient-il en propre, peut-être...

    Il s'est produit un énorme, un double décrochement : le premier de 50 à 55 ans, une subite reculade, cette débandade de tout ce qui naguère formait la trame de mon paysage mental, une déroute de toutes préoccupations sexuelles, de tout ce qui faisait je le crains la pierre de touche de mes jugements sur autrui. Le second décrochement, plus sournois, c'est ce vieillissement, cette résignation et non pas sagesse (je dénonce cette imposture) consistant à tout considérer désormais à

    travers le filtre crasseux de sa disparition prochaine. Je ne me suis jamais proposé, tout au long de ma vie, quelque projet que ce fût, j'entends concret, susceptible d'excéder une semaine. “Mon avenir”, aimais-je à répéter, “c'est la semaine prochaine” (c'est de la pose : j'ai tenu dix ans et plus pour l'agrégation, sans compter mon obstination à écrire ; mais ce sont là sans doute des projets trop lointains, à trop long terme, dont la réalisation se dilue dans l'écoulement hebdomadaire des années) (tout le monde s'en fout, au fait).

    ...Nous nous levons, nous couchons, nous recouchons l'après-midi. Nous fuyons comme la peste tout effort physique. Je bascule sur le bassin pour me relever de mon canapé de télévision, et je m'appuie sur les bras pour me hisser debout), nous n'envisageons plus jamais, tant nous fûmes échaudés, de pouvoir jamais vaincre, ou obtenir quoi que ce soit, autrement que par hasard, autrement dit jamais. Et surtout, surtout ! nous ne voulons plus entendre parler de volonté. Pour avoir vu tant d'obstinés se casser les dents et toute la gueule sur les aspérités de la vie ; subi tous ces connards d'humains si ravis, si transportés au comble de la joie, de faire obstacle aux moindres réalisations, de tout le poids pyramidal de leurs petites hiérarchies, nous ne croyons plus à la volonté.

    Nous ne voulons plus nous secouer. “Mais enfin je ne sais pas, moi !” - justement : tu ne sais pas, et tu la fermes. Laisse-nous vieillir, laisse-nous enfoncer. Ne nous rebats plus les oreilles de tous tes fameux petits vieux pleins de vie et tout pétillants comme une cohorte de nains de jardin qui s'enculent : ils ont été toute leur vie tout pétillants. Je ne vois pas où est leur mérite. Ils se sont agité le bocal toute leur vie, et ils continuent à s'agiter le bocal. Comme des mécaniques. Comme des chiens qui s'enfilent et qui ne peuvent plus s'arrêter. Nous sommes lourds, nous sommes lents, comme engoncés dans nos rêves mouvants. Bienvenue à tous.

     

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    ...Si on parlait du chat ? Les propos de chachat à sa mémère partagent les témoins auriculaires, contraints et sarcastiques, en railleurs, et en (plus rares) admirateurs. C'est très bien d'aimer un chat. Nous avons acquis Hermine par le caprice d'une ancienne maîtresse, j'entends maîtresse de chat. “Prenez-la si vous y tenez”. Une pauvre chatte sauvage, toujours réfugiée sur ou sous les meubles, se voyant reprocher à la fois de fuir et de s'offrir. Epineuse. Nous avons emmené

    chez nous, précieusement, religieusement, de banlieue à banlieue, une splendide Sacrée de Birmanie de six mois ; nous l'avons promenée sur l'épaule, lui présentant tous les endroit de l'appartement. Nous l'avons dorlotée à un point inimaginable. Je l'ai malaxée en tous sens, passionnément aimée et dépendante, comme nous le sommes. Parler d'Hermine dans l'histoire de notre amour, c'est reconnaître combien elle a fourni à point nommé le dérivatif à toutes mésententes, exigeant de sortir au moindre alourdissement de l'atmosphère, ou sujet de conversation permettant de renouer par quelques phrases sur la nourriture ou la litière à renouveler.

    Elle mourut faute de soins, d'incessants vomissements pour lesquels Sylvie Nerval m'empêcha de consulter le vétérinaire, trop cher. Nous finîmes trop tard par débourser cette somme apparemment considérable ; nul jamais dit le médecin ne lui avait confié d'animal si faible. Intestins obturé Hermine ne prenait plus même d'eau. Elle n'eût résisté ni à l'anesthésie ni à l'opération. Elle est morte la nuit les yeux grand ouverts. J'ai enterré son corps raidi : douze ans de bonheur dans un sac en plastique, mes mollets battus par ce corps raidi. J'ai creusé sa petite fosse dans le jardin tandis qu'on inhumait partout, à la suite du tsunami, des milliers d'humains.

    Vous ne confiez cela à personne ; qu'est-ce qu'un chat ? Et je regrette sa présence dans notre appartement, comme un petit fantôme vivant la nuit, se glissant parfois l'hiver dans le lit, entre nos pieds, comme de son vivant. Ceux qui l'ont remplacée ne l'ont pas remplacée. Je n'oublierai jamais Hermine, 1992-2004.

     

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    L'enfant qui rapproche: user de la plus extrême circonspection. Anaïs Nín, dans son Journal, ne cite jamais son époux, ce qui me la rend difficilement fréquentable. Ce sont pourtant ses scrupules que je ne puis m'empêcher d'observer à l'égard de mon propre enfant ; si je meurs demain, qui me lira ? ... J'ignore si le fait d'avoir eu un enfant nous a rapprochés. Un enfant n'est pas fait pour ça. Il semble plutôt que ma propre fille ait toujours estimé que Sylvie et moi n'étions pas faits l'un pour l'autre, et qu'elle eût supporté, voire souhaité un divorce toujours possible début 80. Il est difficile de juger de la force d'inertie, lorsqu'on est à la fois juge et partie. D'où la nécessité,une autre fois” – autant dire jamaisdu cadre fictionnel.

     

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    Amoureux de toutes celles que je vois, dans la rue, dans les transports. Au coup d'œil instinctif du mâle vers le bas-ventre si justement dénoncé succède la montée vers le regard de la femme, le miroir de l'âme dit-on, devant lequel se pose à moi la question sans fin de connaître mon sort, si celle-ci, ou telle autre, m'eût choisi... Dévoration, déploration. Adoration systématique. Cessons donc une fois nos sottises féministes d'aliénation” et de “victimes”, “forcément victimes” - assumons l'abîme de la Femme Preuve et Garantie du monde. Femme qui définit. Me détermine. Prisonniers que nous sommes de la minute et du mètre carré, qui briserait ces cercueils de verre où nous vivons ? aucune assurément - du moins ce miroitement de la multiplication des femmes, en ces hôtels dont je rêve la nuit, où le gérant d'étage en étage me poursuit pour que je le paye. Femmes des rues et des hôtels, femmes des transports en commun,serrures n'ouvrant que sur l'impasse des générations et non sur quelque ciel ventral où l'on pourrait enfin vivre sans souffle ni besoins... Mon ami B. me dit : laquelle choisis-tu ? je répondis “Je ne choisirai pas”, j'ai dit “Je n'aurai pas le choix ni le droit du refus, une femme qui m'aime et me comprend, désirs inclus, qui me sourirait pour autre chose que mes ridicules (die Nudel, terrible court-métrage échoue le beau ténébreux, visage barré d'une longue nouille au point que l'élue de son cœur s'enfuit hors champ pour éclater de rire) “qui verrait mon trouble autrement qu'une offense à dénoncer d'urgence” disais-je “si éminemment exceptionnelle que je l'absorberais de toutes mes lèvres” “Faudrait-il” ajoutais-je “que je choisisse en vérité ?” - comparaison : dans la merde jusqu'au cou, supposées six ou sept perches tendues vers toi de couleurs différentes - quelle serait ta couleur préférée ?

    Je saisis la première à se tendre. Et merde au petit malin qui me parle de symboles phalliques. ...Mais il te faut de nos jours, camarade ! baisser les yeux. Eteindre l'étincelle, enthousiaste ou panique ; il n'est pas un exemple, pas le moindre à ma connaisssance, où j'aie tant soit peu regardé une femme inconnue sans illico récolter ce grognement, ce rictus, cette moue méprisante. Que vous me croyiez ou non. “Le mâle propose, la femelle dispose”, dit Boris Cyrulnik, quelle que soit l'espèce”). Je ne puis dire “Toi, avance ; non, pas toi, toi, tu dégages. Toi, là, oui, tu viens.” Les hommes rêvent de cela.

    Les cons ! Recalés. Parfois ils violent. Parfois ils vont aux putes. Peur et misère. Combien nous sommes là aux antipodes des jurisprudences, des entretiens de citoyens-trottoirs, des

    phrases qui se transmettent psittacisquement sur les Femmes et les Hommes “bénéficiaires de la Liberté” - telle est la vérit vraie : naguère la femme croisait l'homme en songeant Je te fais donc bander, pauvre type ; et à présent il s'en faut de bien peu qu'elle se mette à gueuler Qu'est-ce qu'il me veut ce connard ?

     

     

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    Voici huit jours, pas davantage, à 59 ans bien sonnés, j'ai enfin compris le Code de la Séduction. Avant tout et surtout ne jamais faire apparence qu'il y ait ne fût-ce que le plus léger soupçon de désir de séduction, la moindre once de désir voire de conscience d'une quelconque différence sexuelle. La jouer purs camarades, sans la moindre, la plus microscopique éventualité de rapports sentimentaux. Juste des bidasses, des pensionnaires torse nu au petit matin devant le robinet d'eau froide du terrain de camping l'on s'asperge en chantant. Pas même la moindre diférence sexuelle, pas même la moindre appartenance à quelque sexe que ce soit.

    Ça leur plaît beaucoup, ça, aux femmes : plus de bites, plus de couilles, plus de poils, petites lèvres, grandes lèvres, tout ça, plus rien du tout, enfin débarrassés, la camaraderie, die Kameradenschaft. Hommes et femmes autant de morceaux de viande pure, sympa, qui se regardent droit dans leurs yeux de viande, sans faille ni défaillance, ni le moindre frémissement dans la paupière, le plus minuscule tressaillement de l'iris ou du fin fond de la pupille. Alors on se parle, d'une voix franche et claire, bien comme il faut, comme au camp de scouts, dans l'estime réciproque et soigneusement aseptisée.

    Et c'est seulement, seulement quand la femme vous a bien torché, vous a bien châtré à fond de toute mauvaise pensée, de tout embryon de désir, quand elle s'est bien une fois assurée de l'absence totale de toute tentation d'effleurement, de tout infléchissement, de toute flexibilité des lèvres ou de la voix, de tout battement intempestif des paupières, après la mise en œuvre interne et invisible de toute une batterie de considérations indécelables, lorsqu'enfin la femme a décrété dans quelque repli obscur de sa conscience d'éternelle (et encensée) victime qu' avec celui-là au moins il ne peut rien m'arriver, qu'elle condescend, du haut de sa sublime pureté, à laisser entrapercevoir, peut-être, à l'extrême limite de l'extrême rigueur, à faire entendre à quart de mot qu' éventuellement, en fonction de vos incommensurables mérites d'incomparable eunucité, il pourrait être envisageable de considérer qu'une différence anatomique existerait peut-être après tout quelque part entre vous, et que cette indéfinissable chose-la mènerait très éventuellement à l'un de ces innombrables stades intermédiaires à peine moins angélisés que l'on pourrait qualifier d'approches du désir ; de la bête ; de l'ignoble bhhhhîîîîtttthhe. Eussè-je su cela plus tôt, infiniment plus tôt, du temps de mes florissants dix-huit ou vingt ans, j'aurais eu le plaisir de voir ces anges trois fois frottés au pur savon d'amande douce et ravagé de branlettes se rapprocher de moi pour m'effleurer, me susurrer à l'oreille j'ai envie de toi et pour finir me saisir le manche à plein poing.

    Mais je suis un grand romantique. J'ai compris les femmes exactement comme Saül a vu Dieu sur le chemin de Damas, d'un coup, d'un coup de grâce : tout compris à présent que je suis trop vieux, que ça ne risque plus de me servir à quoi que ce soit, qu'il ne me reste plus la moindre bribe d'éventuabilité que cela puisse me servir en quelque occasion que ce soit, maitenant que je suis terne, moche, flasque, désabusé, définitivement rongé par une flemme magistrale, impériale, papale. Comme quoi il est bien utile d'acquérir enfin vieillesse et maturité. Quant à mon épouse proprement dite, juste essayer un peu voir de la priver de sexe pendant plus de huit jours, et fondront sur moi d'inépuisables avalanches d'aigreurs, de râleries et de pure et simple tronche ; vite, au gland, à la langue !

     

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    Que me disent les autres, les autres hommes, mes Frères en couilles ? ...Je n'ai jamais l'impression qu'ils pouvaient ne pas me mentir, les autres, les mecs. D'ailleurs c'est un tort d'employer le pluriel. Il n'y a jamais, il n'y a jamais eu qu'un seul homme, qui me dise vraiment la vérité, la réalité, de ce qu'il vit en sa véritable expérience sexuelle. C'est un ami. Mais nos ne coucherions jamais ensembl, n'en déplaise aux psychanalystes de salon. Psychanalystes femmes, bien entendu. ,

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    Il est particulièrement rebattu de s'extasier sur l'extraordinaire énigme du corps féminin pour un homme, disons pour l'homme que je suis, car que sais-je des autres bâtards de porte-couilles dont je suis censé faire partie. Le moins curieux n'est pas d'ailleurs que pour les femmes aussi, c'est leur propre corps qui demeure une énigme à elles-mêmes. Et le nôtre ? Ignoré. Nous sommes banals. Nos corps, nos genitalia, ignobles ou dérisoires, ne valent pas la peine de la moindre considération ni du moindre regard. Du moindre respect. Du moindre mystère. Comment vit-on avec un creux ? Ce n'est pas un creux. Ces seins qui ballent ou menacent de baller. Comment ne pas sombrer dans le plus pathétique grotesque en parlant de cela, en écrivant sur cela. Comment fait-on pour marcher, courir, se sentir femme. Parvient-on à oublier son sexe, ou bien tout est-il fait, incessamment, pour vous le rappeler, vous avertir que vous êtes en danger, une proie, toujours plus ou moins exposée au viol ou du moins aux regards, aux sales érections ?

    Peut-on se sentir en sécurité quelque part ? Seule dans son lit ? Même là menacée, à la merci de sa propre et menaçante physiologie ? Terre parallèle dérivant éternellement à quelques encâblures, dans ma rue, mon bus, la maison que j'occupe. M'interroger avec tous, Otto W. suicidé à Vienne, Villiers de l'Isle-Adam, Lautréamont, le Christ, élucubrateurs scientifiques ou prophètes, sur la femme peut-être bien issue d'une autre race, d'une autre physiologie, d'une autre espèce totalement, radicalement différente, d'une autre planète, méditant toute une nuit sur les hauteurs dominant les campements des hommes avant de descendre les circonvenir et les séduire, ayant inversé à leur profit le rapport entre les Anges et les filles de Seth qu'ils devaient couvrir, longtemps après la Chute - en vérité, c'est nous qui nous unissons, en inversion totale et très exactement symétrique, aux innombrables filles des anges.

    Qui rigolent bien en se branlant avec des bras en bielles de locomotives. Parce que c'est raide, un avant-bras de femme qui se branle, ça je peux vous le garantir, et régulier, et mécanique, et bien frénétique sur la fin, juste avant le bon gros orgasme. Ah je t'en foutrais moi de la “dignité de la femme”...pauvres cons... Bien sûr, bien sûr, depuis Simone de Beauvoir, ce qui ne nous rajeunit pas, nous savons tous et toutes que la femme n'a nul besoin d'une telle idéalisation, ni d'un tel rabaissement à la plus pure bestialité, mais qu'elle voudrait tout simplement, loin de toutes ces légendes, qu'on lui foute la paix.

    Voir plus haut. L'égalité. La camaraderie. Pas de sexe. Mais comment voulez-vous que le sexe fonctionne avec toute cette suppression de fantasmes pas propres et attentatoires à la pureté qu'on veut, suppression que les femmes, je maintiens, que les femmes veulent nous imposer ? Pour les remplacer par quoi ? Par de douces caresses impalpables qui ne mèneraient je ne sais pas moi peut-être que dans un ou deux pour cent des cas à une très très éventuelle, dangereuse et aliénante pénétration, nullement nécessaire en tout cas ni indispensable au plaisir féminin, comme elles ne cessent de nous le rappeler ? On se la coupe et on se greffe un clito, il faut le dire, franchement, bien en face, et qu'on n'en parle plus. Qu'est-ce qu'elles doivent rigoler, les lectrices, s'il en reste, qu'est-ce qu'elles doivent les trouver niaises, et dépassées, et ringardes, mes angoisses... Et les hommes donc, les vrais, qu'est-ce qu'ils doivent se foutre de ma gueule... Mon hymne à l'amour, ce long, subtil et sincère travail de réflexion, bien oubliée, délaissée, fourvoyée dans ce dépotoir, cette décharge à ciel ouvert, ce déballage, ce débagoulage par tombereaux entiers de la litanie la plus rebattue, la plus triviale et la plus vulgaire ?

    Dans ce qu'ils appellent, les autres, là, en face, hommes et femmes, pour bien humilier, pour bien nier l'angoisse, ma Mmmmmisogynie. Tas de cons mes frères.

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    Sylvie Nerval et moi nous attendrissons sur nous-mêmes. Nous ne pourrions plus nous regarder en face, car nous perdrions toute dignité, ne pourrions plus revenir à la vie courante, il faut vivre. Et nous ne pourrions plus nous regarder sans haine peut-être, ou sans besoin de dissolution l'un dans l'autre, prélude au meurtre ou au double suicide. Nous ne sommes plus, n'avons jamais été armés pour ce genre d'émotions, à supposer qu'on le soit jamais. Nous fuyons l'orgasme des yeux, du cœur, des exaltations menant à la fusion corporelle, par les organes, au-delà des organes, celui d'où l'on ne revient plus (il existe pourtant paraît-il des pratiques tantriques, mais il me fut confié à quel point cela pouvait devenir gymnastique, dans la recherche d'un niveau commun) ; pleurerions-nous ? la volupté des larmes dégrade-t-elle quiconque s'y adonne ?

    Nous nous détruirions. Félicitons les sexologues d'avoir remis tout cela en place.

     

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    L'homme n'est que l'hôte de son propre corps. Il tire sur sa bite pour la détacher. Il se demande ce que c'est que ce disgracieux appendice. La femme est son propre corps. Le jugeât-elle dépourvu d'attraits, elle est ce corps, jusqu'en ses derniers pores. La toute extrémité de la courbe de fesse d'une femme est encore cette femme, en entier. Je me sens en revanche, moi homme hélas, comme un petit pois de cervelle, brimbalé au centre de mon crâne, tout au sommet de mon corps, dominant de loin, en-dessous (gauche comme les chenilles sous la tourelle d'un char d'assaut), mu pesamment, poussif et laid, inopérant, mon corps. Qui m'obéit mal. Qui se flanque partout, dans les cartons à terre, tournant sous les chambranles qu'il heurte. Qui doit pisser, chier à intervalles tyranniques. Dont je ne puis sortir. Déjà me surplombe la vague recourbée, mes pieds déjà baignés, je roulerai dans l'hébétude, corps souillé de limon qu'on repêche au sommet des aréquiers. C'est pourquoi le cul, le balancement du cul d'une femme, sa plénitude et sa sincérité, lorsque nous l'aimons, représente en réalité, en sa totalité, le monde et Dieu.

    Je ne sais plus qui a écrit :La beauté des femmes est une des preuves de l'existence deDieu.Or notre inconduite envers elles les a rendues à notre égard hélas murées, farouchement scellées dans leur puritanisme bête, dans leur pusillanimité masturbatoire. Nous sommes accusés pêle-mêle - de bassesse, de viandardisme. Est-il en vérité indispensable de mépriser le désir de l'homme ainsi que tout désormais y invite ? est mon histoire d'Amour ?

     

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    L'expérience féminine est si souvent décrite, analysée, que l'on pourrait croire la cause entendue. Et cela fait si longtemps que je n'ai plus voulu m'informer. Que je suppose, que nous supposons que la femme jouit par tout le ventre, que cela remonte sous les épaules, dans les salières sous les clavicules, dans les bras qu'elle ramollit? Jusqu'au sommet du crâne. Radotage que tout cela. Jouissance égale dissection. Une fiction. Qui édite la fiction ? Je suis hors sujet. Profondément, désespérément hors-sujet.

     

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    Hommes si certains d'eux-mêmes. Femmes, ne débouchant que sur elles-mêmes, dans un immense creux de vanité, d'incessantes querelles, de labyrinthes de petitesses l'homme a tort. Ou bien le vide,juste la vie. Nous revenons l'un vers l'autre, Sylvie Nerval et moi, irrémédiablement incapables de nous dissimuler quoi que ce fût de nos piètres aventures. Tous et toutes ayant déçu. Nous serinant tous invariablement que nousavionsdéjàun partenaire- la virginité serait donc obligatoire ? ...incommensurable, effrayante stéréotypade des Autres ! désespérante équivalence de tout autre à tout autre ! (ne craignez rien ; ce sont des bribes qui me reviennent) - revenant au même ! Inanité desséchante, de toute recherche... Celles qu'on n'a pas eues... Absence de désirs. Affolement rétrospectif.. Ce que j'aurais faire. Une paralysie. Pas seulement pour les femmes. Pour tout. Logique. Existe-t-il en moi cette capacité. Qui pour peu que je l'eusse cultivée eût mis à mes pieds, eût littéralement subjugué (toutes ces) tous ces maroufles que je courtisaiscar il n'est rien qu'ils désirent plus profondément que d'être dominés.La foule est femme.

    Paralysé. Sachant précisément vingt ans plus tard ce que j'aurais osé. Pressentant aussi que pour peu que je m'y fusse hasardé, tout eût semblé contraint, forcé, violent ; ridicule. Celle qui me fourra sa langue tout entière dans la bouche et l'en ôta je ne la désirais pas disait-elle qu'en savait-elle ? (une des plus puissantes sensations gustativesde ma vie). La véritable jouissance est passive. Perdre la tête, lancer grotesquement mes fringues en haletant aux quatre coins de la pièce - sauf les chaussettes - comme on voit dans les films - ce serait donc cela, le désir ? ces souffles, ces saccades, ces convulsions avant même que l'acte n'intervienne ?

    S'humilier ? ...Celles qu'on n'a pas eues... Telle qui me fit tenir de si près ce collier trop étroit pour examiner sa médaille, était-ce pour l'embrasser doucement sans rompre le collier d'or fin ? Telle collée debout contre moi devais-je l'effleurer par-dessus son nuancier d'encres ? M'eût-elle repoussé en hurlant ? devais-je murmurer “je vous aime beaucoup madame Catherine ?” - toutes les deux s'appelaient Catherine. Nadine dans mon dos, à me frôler, pour chercher des indications imaginaires dans un dossier : je voyais de près les mailles filées de son tricot de laine, le désir ne montait pas, une vague odeur de suint, de corps humain – quel sang-froid, quelle présence d'esprit ne faut-il pas toujours, en toutes circonstances !

    Véra m'accueillant sur son lit en milieu de journée, penchée de côté les yeux clos bras ballants, j'attends sans approcher, j'attendrais encore si elle ne s'était redressée, rectifiant ses cheveux Tu dormais ? “ - Non dit-elle (improbable en effet dans une position si peu propice). Tu étais malade ? Tu avais un malaise ? - Non. - Alors pourquoi ? - Comme ça. Jamais une femme ne dira J'avais envie que tu m'embrasses. Jamais. C'est à l'homme à deviner cela. Ce n'est pas marrant d'être un homme. Mesdames. Vingt années, pour me rendre compte de son intention, vingt années pour repasser le film dans ma tête.

    La morale de l'histoire, c'est MORT AUX CONS. C'est tout. Ça ne va pas plus loin. MORT AUX CONS. La veille encore, sur la table où nous révisions le bac, j'avais effleuré son petit

    doigt, qu'elle m'avait retiré en poussant un petit cri de vierge effarouchée. Mort aux connes aussi tant qu'à faire. Serait-ce trop demander qu'un strict minimum de cohérence. Quand ma prof de philo m'a reçu en juin, 8 mois avant sa mort, toute négligée dans sa robe de chambre inondée de parfum, accourant vers moi en criant mon nom ; qu'elle m'a fait asseoir près d'elle sur son divan, je n'ai pas davantage imaginé qu'elle pût me désirer. Vingt ans plus tard, repassant en mon esprit cette scène, aucun doute n'et plus permis.

    Je pensais en toute bonne foi qu'il était impensable que les femmes, à plus forte raison les profs de philo, puissent se conformer, descendre, s'avilir au désir de l'homme et de cette chose si répugnante au bas du ventre appelée bite. Et je le pense encore. Et c'est déjà le moment de mourir, et sans savoir ? qu'est-ce que l'espoir à soixante ans et demi ? dites-moi ce que j'aurais dû faire de telle nouvelle collègue, affolée, qui me collait partout, que je n'avais qu'à enlacer ? De Mme Roux, qui fit tout un trajet en voiture, sa tête sur mon épaule 40 km durant ? Quelles que fussent les circonstances, glacé, paralysé, pétrifié !

    Quelle honte pour moi de faire le mauvais geste, le moindre geste ! Qu'elle ait pu se raviser, se foutre de moi, me dire “Ce n'était que de la camaraderie, qu'est-ce que tu es allé t'imaginer ?” Quelle marche à suivre ? Arrêter la voiture et baiser sur un bas-côté ? Fixer un rendez-vous, laissant bien en vue sur mon visage l'anxiété qu'on me refusât ? La moindre remise dans le temps n'eût-elle pas entraîné, immanquablement, un cruel ravisement de la femme, une reprise de conscience et de dignité ? ...Quel désir de moi ? On en reviendrait ! On me referait vite fait le coup de l'amitié !

    Vite, se ruer sur ces lèvres offertes, sur ce cul tendu, avant que tout cela ne change d'avis, vite, au risque de faire mal, au risque du ridicule, au risque d'entendre “Pas ici, pas maintenant, pas comme ça” ! Et pas un mode d'emploi à portée de main, pas un fascicule de procédure à feuilleter vite fait, un doigt tournant les pages ! Le désir féminin cesse d'un coup, à la moindre intonation malhabile, au moindre geste raté ou ridicule. Confirmez-moi, je vous en supplie, que les femmes désirent lentement, longuement, qu'elles laissent à l'homme le temps de ne pas se précipter comme un dément à l'assaut d'une fortif ?

    C'est vrai ? Vous ne changez pas d'avis d'une seconde à l'autre ? ...cela se produit paraît-il lorsque l'homme à peine introduit dans l'appartement demande sont les toilettes... Ne tremblez pas comme cela, me disait Marguerite lorsque je la serrais sous l'arche du pont, à Mussidan. Elle me vouvoyait : j'avais 18 ans, elle n'en avait que quinze ; je ne l'aurais jamais touchée au-dessous de la ceinture. Plus tard Suzanne et Marie-Do, pissant sous la douche – comme j'aurais monté le long de cette jambe passant nue par-dessus moi. Me rendant compte enfin pourune fois – suis-je sot ! – de l'immense possibilité qui m'était offerte : “je dois rester, leur ai-je dit, huit jours sans rapports, vu la chtouille que je me suis prise” - qui se souciait de cela - elles s'en sont enchaîné bien d'autres, de chtouilles, c'étaient des filles sans moralité.

    Comme on dit. Sans compter tant d'autres qui s'imaginaient me draguer, à l'aide sans doute de ces fameux signes imperceptibles, de ce code indécis, ambigus, toujours déniables ! j'avais une multitude d'élèves. Je les aimais toutes. L'une d'elle blonde et myopenous rangions après le cours chacun notre sac de part et d'autre du bureau - me dit soudain :Si je tombais enceinte, vous seriez bien emmerdé.J'ai répondu qu'il fallait se faire confiance mutuellement,qu'autrement, la vie serait invivable.Ma psy m'a dit (j'avais des élèves, j'avais une psy)c'était une avance.Croyez-vous, Madame la psy ?

    N'y aurait-il pas plutôt que les femmes pour interpréter, déchiffrer, décrypter, ces signaux unilatéraux qu'elles adressent – disent-elles ! - aux hommes ? Savez-vous que les pédophiles, là-bas en prison, se voient imposer des cours de reconnaissance sexuelle? Leur enseignant l'art indubitable de déceler le désir d'une femme ? afin d'éviter toute récidive ? N'est-ce pas le comble du scandale, qu'ils aient, ces gens-là, les pédophiles, ce privilège inouï de se voir révéler tous les arcanes ? “évidents” je suppose ? Au point qu'il soit jugé sans nécessité, voire ultraridicule, d'en conférer la connaissance à tous ? A moi ?

    Hors sujet vous dis-je, hors sujet. Je devais parler de cet amour, le mien, en particulier, voici bien longtemps que mon sang-froid m'a quitté - mes élèves n'étaient que des filles, rien que des filles ; fascinantes par la prodigieuse quantité de branlettes cachées sous tant de visages angéliques (les petits mecs m'indifféraient, me répugnaient ; l'onanisme des filles est l'apprentissage de leur corps, en toute connaissance ; les garçons n'expriment que l'impossibilité absolue de faire autrement ; exaltation chez elles, basses frustrations chez eux, chez moi ; la seule façon d'être mâle est la brutalité ; je refuse.) .

    J'étais amoureux de toutes. Je les imaginais jambes ouvertes, doigt vigoureux. Les manuels d'éductaion sexuelleà l'usage des fillesmentionnent quecertainesdécouvrentle plaisir solitaire- toutes, oui ! Une grande rouquine, rassemblant autour d'elle ses amies, leur mimait du doigt la branlette, comme un grand secret ; elle s'entendit répliquer, par une grande liane au cou interminablemais nous faisons toutes ça !Amoureux d'au moins une fille par classe, une toutes les trois ou quatre semaines - Socrate aimant les garçons : le vieux con ! inimaginable faute de goût ! aimer d'amour ce sexe naviguant du hideux au dérisoire ! ...au grotesque ! cette colonne brutale, ces couilles sans grâce ! ce sperme salissant, diluateur de merde en diarrhée, gerçant le dessus des mains quand il sèche !

    J'ai appris à mes filles ce qu'était l'érotisme pédagogique. Elles m'écoutaient, goûtant tout de l'intérieur, tandis qu'un ami de seize ans, me disait, des lueurs dans les yeux :On le sait que vous nous aimez !- un garçon pourtant. Imaginiez-vous seulement, jeunes filles, que pour chacune d'entre vous j'imaginais une vie totale d'amour ? Un cycle d'amour. Théophile Gautier renouvelait tous les cinq ses amours, jetant toute une existence dans un seul lustre. Je l'admirais. Pourtant je vilipende encore, je vitupère les pignoufs des deux sexes divorçant si impudemment dès leurs trois premières années de mariage, se privant des inestimables étapes des dix, vingt, trente ans, de tant d'innombrables aspects différents d'un seul être, que la lente et sacrée maturation du temps leur eût révélés, préférant, les sots ! reprendre sans cesse les vagissements stériles des rudiments d'amour, tels ceux qui empilent, entassant les langues étrangères sans jamais en maîtriser aucune.

    Les féconds marécages de la maturité, de la vieillesse avec un seul et même être, ne sont jamais sondés. La mort ensemble ne sera jamais affrontée.

     

    X

     

    Chacun de nous, Sylvie Nerval et moi, s'est donc estimé rejeté par l'autre sexe. L'homme pour Sylvie est le père qui traverse sa chambre de nuit pour remonter de son cabinet de consultation, et lui palpe le ventre en arguant de sa qualité de médecin. J'éprouve à l'instant la nostalgie de cet appartement si clair et si bruyant où nous avons vécu si longtemps, si jeunes que c'en est effrayant. J'ai conservé cette femme, tant il me semblait de la plus haute improbabilié, voire grotesque et cruelle imagination, qu'une autre personne de sexe féminin pût éprouver la moindre velléité de s'intéresser à moi.

    C'était Sylvie Nerval ou les affres mornes de la prostitution, de la pédérastie inacceptée, de la tentative minable de viol. J'ai toujours en tête l'obsédant destin de mon cousin et parrain, Hugues dit Tom : touchant double pension, claquant son fric dans la boisson, la clope, arrosant tous les pochards et clochards de Cusset, pour finir entre des pyramides de mégots, d'un cancer de l'œsophage, tandis que ses amis cuvaient leur vin le jour des obsèques, nul ne s'y présenta. J'aurais fini là, j'ai échappé à ça. Je ne pense pas que j'aurais vécu autre chose. Rien de ce qui m'est advenu n'est à regretter, n'aurait pu se produire autrement. Je suis resté fidèle à la confiscation de mon destin.

    C'est pourquoi je repousse comme la pire des impostures, comme la peste, ces exortations, ces injonctions des bien-portants à la “découverte de soi”, à la “fidélité à soi-même”. Je sais ce que c'était. La camisole et la bouteille. Merci bien. Ce n'est en général que lorsqu'ils ont perdu leur femme que les hommes s'aperçoivent qu'ils l'ont aimée ; j'espère en avoir pris conscience longtemps auparavant. Dans cette tromperie je veux vivre et mourir.

     

    X

     

    C'est ainsi que nous naviguons indissolublement liés, comme deux navires de conserve. Nous savons quand nous mourrons. à dix ans près. Sylvie fume et ne maigrit pas. On ne déménage pas après le décès d'un proche, on ne devient pas fou. La maison devient hantée, le corps de l'autre occupe chaque point de l'espace, on croit ne pas le supporter, puis tout s'estompe, à ce qu'on dit. L'enfant revient, dans le meilleur des cas vous soigne, et vous demeurez là entre vos souvenirs de larmes et vos fauteuils dont l'un restera vide. Je tends parfois l'oreille la nuit à la recherche des rumeurs pouvant me rappeler ces frôlements nocturnes de mon chat mort.

    Cela fera au survivant le même effet. Les chats nous voient comme autant de grands chats supérieurs. Puissions-nous disparaître comme eux.

     

     

     

    BERNARD COLLIGNON

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    L'HISTOIRE D'AMOUR

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    BERNARD COLLIGNON L'HISTOIRE D'AMOUR 2

     

     

     

    Qu'est-ce que l'amour, et qu'est-ce qu'une histoire ?

     

    Elle demande un jour pourquoi je n'ai jamais su écrire une belle histoire d'amour ; mes seules allusions : sarcasmes, burlesque ou péchéà vrai dire, l'amour hors sujet. Déjà tout enfant je ne puis entendre une chanson d'amour sans la trouver ridicule, déplacée. N'estimant rien de plus niais que les amoureux,qui s'bécotent sur les bancs publics, bancs publics, bancs publics- cette chanson-là, je l'adore. Je la chante volontiers sans bien comprendre. Aux représentations de Sylvie Nerval j'objecte qu'il m'est impossible d'écrire une telle histoire d'amour. C'est ma nature.

    Dans les tableaux qu'elle peint, le spectateur lambda regrette les sujets plaisants, les fleurs, les chats et les enfants ; il voit des nus chlorotiques, hagards et (circonstance aggravante) masculins, errant de nuit parmi les ruines. Sylvie revient à la charge : lire sous ma plume une belle histoire, même rebattue, difficile pour cela même, et qui ne soit pas, précise-t-elle, entre hommesje ne mentionne pourtant nulle part, que je sache, de passage à l'acte.

    J'ai soixante ans cette année ; ma mère jadis faisait observer que fêtant son 20è ou 40è anniversaire on entrait dans sa 21è ou 41è année - mort dans sa 60è année disaient les vieux tombeaux qui ne la dépassaient guère. Pratiquer moins désormais l'acte d'amour me donne-t-il le droit d'en parler ? ... sans vouloir toutefois rivaliser avec Roland Barthes (Fragments d'un discours amoureux) ou Stendhal (De l'Amour), ou bien Denis de Rougemont (L'Amour et l'Occident) - ce dernier surclassant définitivement tout exégète par son assimilation de la mort à l'orgasme suprême, qui est jouissance de la fusion ; le monde lui voue une admiration, une reconnaissance universelles.

     

    De la tiédeur

     

    Curieusement les sentiments que nous nous portons l'un à l'autre Sylvie Nerval et moi en cette année 66 (de Gaulle regnante) ne se manifestent que par nos défiances, tant nous sommes inadéquats à la vie commune, le mariage, que nous venons de perpétrer ; Sylvie réclame de rester seule une heure avant que je la rejoigne au lit, pour jouir à l'aise ; la violence de ma réaction la dissuade ; mais comme elle n'a jamais connu d'autre homme avant moi, elle obtient que je la confie deux défonceurs asiatiques, tandis que je me fais plumer (sans passage au plumard) par deux entraîneuses suédoises. Sylvie Nerval est ensuite revenue me rapporter, au petit matin, comment cela s'était passé : mal. Puis nous achevons notre séjour nuptial au-dessus de l'église russe de Nice ;

     

    hantons le Centre Hightower de Cannes, fréquentons Michel, danseur à l'Opéra, mort en 93 sans nous faire avertir. Michel accepte de se faire tirer le portrait, sur un balcon dominant la mer. Il dit “Vous ne ressemblez pas aux amoureux ; jamais un baiser dans le cou, jamais un mot gentil, toujours des piques.” Je ne me rappelle plus comment nous vivions cela. Crevant de malsaine honte mais épris sans doute - quarante années passées en compagnie par pure névrose ? simplicité – naïveté! - de la psychanalyse ! Force nous est d'appeler cela “amour”, car nos parents sont morts, bien morts ; je revois cet angle sombre du Jardin Public, ce banc sous l'arbre d'où l'intense circulation du Cours de Verdun tout proche dissuade les flâneurs.

    Paradigme des scènes de ménage. De ce qui revient à elle, à moi. Je suis un homme, c'est marqué sur ma fiche d'Etat-civil ; donc c'est à moi de raison garder, de former ma femme, et de ne pas donner dans les chiffons rouges - or il n'en est aucun où je ne me

    point rué ; même devant témoins. Mais pourquoi vouloir aussi, et de façon obstinée, me traîner à l'encontre de ma volonté explicitement exprimée. Le féminisme, sans doute : l'homme doit céder. Deuxième cause de scène : se voir soudain repris, tout à trac, brutalement, comme lait sur le feu, pour un mot décrété de travers, une plaisanterie prétendue de trop d'un coup, telle attitude parfaitement involontaire - ne pas lui avoir laissé placer un mot de toute une soirée par exemple ; avoir désobligé négligemment telle ou telle connaissance dont je me contrefous – bref c'est toute une typologie de la scène de ménage qui serait à établir. Est-il vraiment indispensable de préciser que tout s'achève immanquablement par ma défaite. Je cède aux criailleries : c'est ma foi bien vrai que je suis un homme. Pas tapette, non, ni lopette, mais lavette (homme mou, veule, sans énergie). Ce n'est que ces jours-ci que je me suis avisé de la jouissance que j'éprouvais à céder : volupté de l'apaisement ; d'avoir fait le bonheur de l'autre, de m'être sacrifié fût-ce au prix de mes propres moelles et de ma dignité.

    En dépit de notre constant état de gêne matérielle, je savais cependant que là, juste au-dessus de ma belle-mère, se vivaient nos plus belles années, d'amour, de rêve et d'inefficacité – connaissance confuse toutefois, plombée par d'obsédantes interrogations : savoir si je n'étais-je pas plutôt en train de tout gâcher. Ce n'est que trente ans plus tard que je puis parler d'un certain accomplissement ; prétendre (à juste titre ? je ne le saurai jamais) n'avoir jamais été autant maître du monde, aussi bien qu'au faîte exact de la plus totale impuissance... Mes déplorations, mes doutes et mes angoisses, ne peuvent pas, ne pourront jamais se flanquer à la poubelle, comme ça, hop, par la grâce et le hasard divins d'une tardive et tarabiscotée prise de conscience.

    Il est étrange qu'on puisse ainsi s'accomplir tout en se prenant pour une merde onze années durant. Je me souviens très bien, moi, qu'il n'y avait-il strictement aucun moyen d'obtenir la moindre concession de la part de Sylvie Nerval, qui décidait de tout, de rigoureusement tout. Facile de se moquer à celui qui n'est pas dans la merde jusqu'au cou. L'autorité sur sa femme était pour moi le comble de la déchéance machiste, le dernier degré de ce que l'on peut imaginer de plus méprisable. Je fonctionnais, nous fonctionnions ainsi. J'ai bousillé mon couple et mon propre respect au nom d'une idéologie qui a mené à cette ignoble guerre des sexes à présent déchaînée, où la moindre érection non désirée sera bientôt passible des tribunaux.

    Pour ne parler que du point de vue financier, je me souviens parfaitement du départ de cette étroite dépendance ; il s'agissait (et j'en fus désolé, pressentant que la toute première défection préfigurant toutes les d'autres) (j'escomptais donc une totale absence de scènes pour notre vie conjugale)d'une statuette de cornaline rouge représentant Çiva sur un pied, inscrit dans la circonférence des mondes : quatre-vingts huit francs, une somme en 1966. Je dus capituler :Mon père nous dépannera. Imparable. Je m'étais pourtant bien marié, que je susse, pour affirmer notre indépendance ; non pour passer d'une famille à l'autre.

    Encore eût-il fallu que mon épouse, pour cette indépendance, se mît au travail, j'entends le vrai travail, celui qui fait chier, mais qui permet de manger. Quarante ans plus tard, nous payons encore cette pétition de principe d'un autre âge (“une femme ne doit point travailler”)(“[elle]affirme qu'elle n'est pas du tout féministe, elle dit qu'elle veut des enfants, un mari qui puisse lui permettre de ne pas travailler) (Filles de mai, Le Bord de l'Eau 2004) - voilà qui à la lettre me répugne. De ma femme et de moi j'étais bien en effet le plus féministe.

    Mon médecin de beau-père, lui, avait interdit à sa femme de chercher du travail :De quoi aurais-je l'air ?D'un pauvre, Docteur, d'un pauvre... Ma retraite à présent suffit tout juste à vivre dans la gêne - “comment”, s'emporte-t-on; “avec tout ce que vous gagnez ?- l'argent est un sujet tabou en France, non pas tant en raison de l'envie qu'on se porte les uns aux autres en ce charmant pays, mais de cette propension des Français a toujours se croire autorisé aux commentaires, les plus méprisants possible. mortifiants ; que dis-je, il se fera un devoir de vous expliquer ce que vous devriez faire.

    Les Français sont imbattables en effet pour gérer le budget des autres. Surtout quand l'autre est un fonctionnaire. Je ne suis pas un démerdard, moi. J'ai-eu-ma-paye-à-la-fin-du-mois. Je n'ai jamais su comment gagner le moindre centime de plus que ma paye. Partant j'eusse eu bien besoin d'une épouse qui travaillât, parfaitement.L'amour s'éteintdit à peu près Balzacdans le livre de compte du ménage.Il dit aussiLa vie des gens sans moyens n'est qu'un long refus dans un long délire. Nous ne pouvons donc envisager d'acheter ni la moitié de cette statuette, ni même le modèle au-dessous. “Mon père payera”.

    Nous ne pouvons pas davantage habiter “à demi” hors de la maison héréditaire : “Et le loyer ?”. Imparable, bis. Ma femme ne peut tout de même s'abaisser à travailler pour payer un loyer, alors que le gîte nous est offert. Quel bourreau je serais. La femme est victime, alors même qu'elle vous victimise, justement par la raison même qu'elle vous victimise : souvenons-nous, toutes proportions gardées, de ces braves SS traumatisés par l'éprouvant métier d'expédier une balle dans la nuque des juifs. A la limite de la dépression nerveuse. Le pire en effet, quand je me fais anéantir, c'est que je proteste.

    Au lieu de sourire. Et c'est parce que je râle comme un putois que je suis agressif. Bien sûr il y a eu des rémissions, du bonheur : jeunesse, amour, exaltation. Illusion que les choses finiraient bien par s'arranger” . Il ne s'agit pas ici de “se plaindre”, comme disent les je-sais-tout, les psychologues de salon, ceux qui viennent insolemment vous corner sous le nez leurs avis et commentaires sans que vous leur ayez surtout rien demandé (et j'en connais ! mon Dieu ce que j'en connais !) - mais d'expliquer – pas même : d'exposer. De raconter. De faire mon petit numéro. Mon petit intéressant. C'est tout.

     

    X

    Evelyne, à dix ans, fut mon premier amour. Blonde et pâle. Comme nous discutions à petit bruit sur le perron, à trois ou quatre, elle s'est tournée vers moi pour me tendre un coquillage de la taille d'un ongle : “Tiens, je ne t'ai encore jamais rien donné. Je répondis que si ; qu'elle m'avait déjà beaucoup donné. Ce fut la seule fois que j'eus de l'à propos avec une fille. Nous nous sommes promenés main dans la main derrière l'immeuble. Je me souviens – cela n'est-il pas étrange – d'avoir convenu avec elle, en cas de mariage, que je commanderais les jours pairs, et elle les jours impairs. “Tu auras l'avantage, grâce aux mois de 31 jours.” Cela nous faisait rire.

    Cela se passait chez mon oncle, qui m'hébergeait pour les vacances. Il écrivit sur-le-champ à mes parents que “c'[était] une honte”, qu' “à dix ans [leur] fils a[vait] déjà une poule. Il m'inventait des exercices d'algèbre – voilà bien pour aimer les maths ! - afin de m'empêcher de rejoindre Evelyne, et je répétais à mi-voix en pissant dans la cuvette de H.L.M. (un luxe à l'époque) : “Je t'aime, et rien ne pourra nous séparer”, juste pour m'en souvenir plus tard. Retors, non ?

    Et je m'en souviens encore. Tonton m'a dit : “Elle est cloche, ton Evelyne ; attends que Marion revienne de colonie, tu verras !” Une petite brune en effet, piquante, jamais à court de répartie, qui se savait déjà admirée, et qui commençait à se foutre de ma gueule ; je suis retourné auprès de ma blonde. Je n'ai plus revu personne, vous pensez. Curieux tout de même. Qui va commander dans le ménage. Que ç'ait été là ma première préoccupation. Ce qui fait surtout enrager, d'après Roland Barthes, c'est quand l'être aimé prétend devoir obéir à d'autres, alors qu'il ne vous obéit pas à vous, qu'il ne tient pas compte de votre souffrance à vous, qui valez donc moins que l'autre.

    J'ai vérifié à maintes reprises en effet que la façon la plus efficace, la plus cloue-le-bec, de se soumettre un partenaire récalcitrant est de se prétendre soi-même ligoté, garrotté, par un engagement, de préférence professionnel, une promesse antérieure, auprès d'une autre personne, qu'il importe bien plus de ne pas vexer que vous - est-ce ainsi vraiment que l'on aime ? auprès d'une belle-mère par exemple, bien efficace ; je la hais à mort ; puis lorsqu'elle est morte, la pauvre - rien n'est arrangé. Dix ans de perdus. Et toujours la faute des autres. La personne aimée se réclamera toujours de sa propre soumission, del'impossibilité de faire autrement, pour vous soumettre à ce que vous détestez le plus. Je connais un couple de cons, dont l'épouse a su convaincre le mari de fréquenter sa sœur elle) (il faut suivre).

    Depuis plus de quarante ans (c'est irrémédiable désormais) le Mari Con (en espagnol : maricón ) se trouve contraint de fréquenter la belle-sœur, chef-d'œuvre de ternitude dépourvue de toute conversation dépassant les liens de famille, et le beauf, boursouflé de machisme, de racisme et d'homophobie - antichômeurs, antifonctionnaires, rien ne manque à la panoplie. ...Quarante ans à se cogner ces spécimens d'humanité de remplissage et leur tribu, à tâcher de ne pas entendre les conversations de réveillon (quarante réveillons !) sur la flemme respective des Viets et des Bédouins - je n'invente rien.

    Déménager ? Rompre ? avec des gens si sots que le refus de l'un entraînerait nécessairement l'éloignement offusqué de l'autre ? et que ferait-il, ce fameux mari, d'une épouse dépressive, qui l'agoniserait de reproches muets à longueur de semaines, jusqu'à sombrer dans une de ces dépressions que l'on se fait à soi-même, et qui trouve toujours une brochette d'éminents psychiatres pour la confirmer ? Autant gagner quelques années de soins intensifs, et accepter, de guerre lasse, que dis-je, avant même la déclaration d'une de ces guerre le plus malade est immanquablement vainqueur du couple, d'habiter désormais à 1500 mètres de distance du couple honniqui n'est pas si mal, voyons ! voyons ! à la longue ! C'était bien la peine d'en faire toute une histoire ! - les invitations se sont raréfiées, le mari y a mis le holà.

    Mais le drame, voyez-vous, c'est que notre héros a fini par se sentir à l'aise en compagnie de son ennemi, en vertu du proverbeà force de se faire enculer, on y prend goût, mais pis encore, par des affinités secrètes. C'est pourquoi, ayant toujours devant les yeux cet exemple édifiant, notre homme a toujours à cœur, bec et ongle, de ne jamais reprocher à quiconque sa faiblesse de caractère ; on est mou, comme noir, juif, asiatique. Si ma femme est attaquée la nuit, que je me sente tout soudain supposer) tout paralysé, sans aucune possibilité physique de casser la gueule à l'agresseur - quel tribunal, je vous le demande, osera me condamner pour non-assistance à personne en danger ? (réponse hélas : tous.) Je souhaite par conséquent ne jamais être dans une situation je devrais faire preuve de sang-froid, de virilité, voire de simple esprit de décision. J'éprouve toujours la plus véhémente rancœur à l'égard de ces juges qui du haut de leur bite en barre condamnent timorés et trouillards - et qu'auraient donc fait, ces lâches ?Il faut prendre sur soi. Connards - commencez donc par cesser de fumer.Ce que j'ai fait. Et de boire. Never explain, never complain. Ne pas se plaindre, ne pas se justifier - belle devise ! Mais si moi, moi j'ai toujours fait l'un et l'autre, avec passion. avec conviction ? Je suis un con, c'est cela ? Sans rémission ? Les autres, les maudits autres, qui me disaient :Tu mets l'accessoire avant l'essentiel.Il ne faut pas tenir compte des autrespontifient les sages autoproclamés, individualistes comme tous les fameux Tout-le-Monde et gros pleins de couilles, ceux qui vont répétant tout ce qui traîne dans les livres de moralesoit ! soit ! mais s'il se trouve qu'ils vous cherchent, les autres ? ...qu'ils viennent d'eux-mêmes vous glapir dans le nezsans que vous leur ayez demandé quoi que ce soit - que non, vraiment, vous ne faites pas ce qu'il faut pour leur plaire, et ceci, et cela, et que vous êtes un véritable scandale public ? tous ces petits Zorro de quartier, ces Salomon de chef-lieu de canton ! ...faudra-t-il vraiment les envoyer chier sans relâche, vivre en permanence dans la polémique et l'engueulade ?

    Les Autres. Les encensés Autres. Les sacrosaints Autres. “Comment se faire des amis” : rendez-vous compte, il y a même des ouvrages pour cela ! Dire que le rapport au conjoint représente une application particulière du rapport avec l'autre ! Hélas ! Céder pour être aimé ! ...Qu'est-il d'ailleurs besoin d'être aimé. Incommensurable faiblesse, ignoble défaite, révoltante prédestination - en être réduit à réclamer des amis, des amours, comme un chien qui lèche sa gamelle vide, qui pourlèche la main qui le bat ? J'ai cédé sur tout. J'ai fréquenté des blaireaux, et j'y ai pris goût (quarante ans de batailles tout de même) ; crêché d'avril 68 à juillet 78 au-dessus de chez ma belle-mère précisément parce que je n'offrais pas, pour Sylvie, ou de quelque nom qu'il vous plaira de la nommer, les garanties suffisantes de l'amour. Je prenais donc les autres à témoin. J'ai toujours pris les autres à témoin. C'est pour cela qu'ils venaient toujours me baver leur avis en pleine gueule.

    Seulement voilà : tes malheurs conjugaux... tout le monde s'en fout. Tout juste si tu rencontres, une fois tous les dix ans, une femelle compatissante qui t'arracherait, ô combien volontiers ! à cet enfer de servitude conjugale - à condition que tu passes, bien entendu, sous sa domination à elle. La chose est évidente, elle va de soi ! tout est de la faute d'Eve. Je soupçonne même les premiers rédacteurs de la Genèse de n'avoir inventé la femme que pour enfin rejeter sur elle toutes ces funestes responsabilités qui nous tuent depuis le fond des âges. Et les Autres de répéter :Tu confonds l'accessoire avec l'essentiel- c'était déjà beaucoup, qu'ils me fournissent cette indication ; puisqu'ils s'en foutaient - fallait-il mon Dieu que je les bassinasse...

    Sylvie Nerval m'a dit récemment :Tu me reproches d'avoir façonné ta viemais c'est que tu ne m'as jamais rien proposé d'autre. Rien de plus exact. Ce qu'a prédit Jean-Flin s'est révélé faux : je ne suis pas devenu pédé ; mais par une absolue dépréciation de ma personne, sans imaginer un seul instant qu'une imagination de moi pût avoir la moindre valeur ou légitimité, je me suis mis, de mon propre chef, sous la coupe, sous le joug bien-aimé d'une femme, la mienne. Assurément, ce que je proposais, dans un premier temps, n'était rien : déménager sans trêve, voyager, changer de femme, traîner les putes après la sodomie, et boire.

    Vous voyez bien que j'en avais un, de programme. C'est mon cousin qui l'a rempli : gaspillage de ses deux pensions à pinter, fumer, régaler des clodos finalement trop soûls pour assister à son enterrement à 57 ans : cancer de l'œsophage. Mon grief essentiel ? l'immobilisme. Un immobilisme féroce. A ne jamais avoir coupé le cordon ombilical. Se retrouver dans la même ville, dans les mêmes rues qu'à dix-neuf ans. A se demander vraiment à quoi ça sert d'avoir vécu. Puis qu'on est toujours là. Puisqu'on en est toujours là. Ma mère donnait toujours le signal du départ :Je ne veux pas rester dans une maison je mourrai.

    Sylvie Nerval a toujours eu beau jeu de prétexter que je voulais imiter ma mère, ce qui prouvait mon manque de maturité. Je lui rétorquaisTu nous forces à demeurer juste au-dessus de ta mère à toi.Une fois par jour ; en dix ans, 3560 fois. Ping, pong. Ping, pong. Renvoi d'arguments, d'ascenseurs. Efficacité néant. Douze ans de banlieue, même barre, même appartement. Dix à Mérignac, banlieue, cette fois bordelaise. En attendant plus. Rien n'y a fait de représenter l'horrible, la funèbre, la gluante et engloutissante chose que ce sera de se sentir vieillir et décrépir dans ces mêmes espaces étroits déjà nous nous heurtons : rien ne nous décollera plus.

    Il faut vivre comme tu penses, mon fils, ou tu finiras par penser comme tu vis. Rien qui se vérifie plus épouvantablement que cet aphorisme rebattu (Rudyard Kipling ? Francis Jammes?). Je me suis trois fois trahi. Ces bassesses je me suis vautré constituaient d'ailleurs, jadis ! - les aliments indispensables de mon énergie à tromper ma femme.Après tout ce qu'elle m'a fait ?pensais-je, et j'enfonçais ma queue. ...Si j'avais tout accepté tout de suite ? Si je n'avais pas lutté ? (puisque c'était pour rien...) (je m'évadais par l'excellence de mon œuvre, sans rire !) - si j'avais cédé sur tout - n'en aurais-je pas tiré malgré tout quelque bénéfice ? Tout m'eût-il été accordé, et plus encore ? ...en compensation à ma soumission, à mon amour extrême ?

    J'en doute - à voir ce qui se passe lorsqu'on renonce – partout - toujours... mais ... alors... c'est que j'ai bien agi. Protestant, ergotant, souffrant sans cesse. Fût-ce puérilement. Sinon je n'eusse été que l'ombre de la reine ! ce sont plutôt les femmes, paraît-il, qui souffrent de cela... Il m'a fallu bagarrer ferme afin d'arracher quelques bribes de libertés, au pluriel. Jour après jour, minute après minute de mon emploi du temps... Domicile imposé... Profession toujours considérée avec la plus totale indifférence... Eventualité d'un emploi pour elle repoussée avec la plus extrême indignation, d'année en année - toujours un obstacle, toujours une incompatibilité, toujours une impossibilité sur-le-champ exploitée – c'est trop dur ! disait-elleben et nous, alors ? protestèrent un jour mes collègues féminines.

    ...Celui qui travaille, c'est l'homme. Difficile pour moi, aujourd'hui encore, de prendre mes distances envers cette question, si simple à résoudre pour autrui, qui me hantera jusqu'au bout. Mes griefs sont intacts. A ce moment même où j'écris mon Histoire d'amour. Combien de fois, excédé par mes geignardises, les autres tous en chœur ne m'ont-ils pas crié de rompre ! ...Moi j'ai cédé. A quoi bon traîner après soi une femme récalcitrante, à quoi cela sert-il d'être unis, si c'est pour vivre dans un perpétuel climat de revendications, de récriminations, d'hostilité, pour la simple raison qu'il convient de se conformer à “ce que doit être un couple”, chapitre tant, paragraphe tant... Mon histoire d'amour est la seule à traiter. Peut-être que j'ai honte d'avoir été heureux de cette façon. Ou malheureux. Pourriez-vous répéter la question. Rien obtenu. Adapté. La faculté d'adaptation est-elle une liberté ? ...le comble de la liberté- pardon : de l'intelligence, d'après les zoologues... Il m'est donc tout à fait loisible d'imaginer que c'est en raison de mon exceptionnelle intelligence que je me suis le mieux adapté en milieu défavorable... Si ça peut me faire plaisir... J'ignore si nous nous aimons. Si nous aurions été à la hauteur de nos vies rêvées.

    Sylvie Nerval m'a fasciné. Ma mythologie portait qu'il fallait se prosterner devant la Femme ; ce n'est pas, semble-t-il, ce qu'elles attendent. Je pensais, moi, qu'il fallait conquérir une femme. Comme une forteresse. C'était dans les livres. Ça devait marcher. Au lieu de me faire valoir, de frimer, je les suppliais. Ce qu'il ne faut jamais faire (« supplie-t-on des montagnes ? »). Finalement on ne sait rien du tout, de ce qu'il faut faire.

    Je tombe amoureux sans bouger, sans procédé, sur simple photo. L'une d'elle représente deux jumelles l'une près de l'autre les yeux baissés, ineffable communion récusant d'emblée toute connotation sexuelle. Sans nul besoin de se toucher pour jouir ensemble, d'être. La deuxième photographie renvoie au masculin : cinq jeunes gens très élégamment mis, mannequins professionnels dont l'homosexualité se déduit aisément ; mouvements suspendus, comme d'une conjuration, regards francs, trop clairs ou par-dessous. Offre et dérobade, attirance et réserve.

    Les tiendrais-tu, les battrais-tu, qu'ils ne révèleraient pas leur secret, dont ils sont inconscients. Ou dépourvus. Le troisième cliché montre un Noir vêtu d'un complet gris classique, d'un chic où je ne saurais prétendre ; sa braguette entrouverte laisse passer un sexe au repos d'un satiné prolongeant, incarnant charnellement la douceur du tissu dont il est issu, organiquement désirable - à condition expresse que ces trois photos désignées ne se meuvent pas, ne parlent pas. Que tout demeure figé dans la bouche de l'œil , en éternité qui ne fond pas.

    C'est de photos, de représentations, que je tombe amoureux, petitement, imperceptiblement, par suspension de l'œil et du souffle, à portée de mes mains et hors de ma vie (grain chaud, glacé, de la pellicule). Mais rares sont les plus belles filles du monde qui sitôt qu'elles ouvrent la bouche ne profèrent immédiatement quelque irrémédiable rebuffade ; que l'image s'anime, s'épaississe de mots, de sueurs, de gestes, elle sort à jamais de nos bras . Je trouve aussi très doux de fixer dans le rétroviseur les traits des conductrices qui me suivent, s'arrêtent au feu juste dans mon sillage, se parlant à elles seules pâles et glabres comme un cul sans se croire observées malgré nos convergences de regards au fond de mon miroir.

    Je leur dis je vous aime sans tourner si peu que ce soit la tête, afin que mon âge ou mes adorations ne révèlent rien de mon ridicule. Je peux enfin fixer la première qui passe et pour éviter le si automatique qu'est-ce qu'y m'veut c'connard de la femme moderne - mon procédé consiste à ravaler, à l'intérieur de ma paupière sur fond de muqueuse ardente (capote interne des se projettent les persistances rétiniennes) trois secondes de vision si je maintiens les yeux fermés, éphémère image d'amour entraperçu. Je m'arrête alors prenant garde de n'être point heurté, murmure à ma vision des mots tendres, lui proposant des pratiques précises, juste avant qu'elle s'efface. ¨Plaisir de puceau, je sais. Dans ces fugitives fixations subsiste ainsi que sur photo l'en deçà de l'émoi, premier pincement de cœur éternel.

     

    X

     

    Ce mois dernier soixantième année de mon âge enfin s'est découverte à moi - révoltante particularité (désespérante caractéristique) de ces apocalypses de la vieillesse, d'intervenir toujours aux temps précis où ils deviennent inopérants – la clef de l'obsédante compulsion dont je suis victime : il faut nécessairement qu'une femme prétendant m'attirer (elle n'en peut mais) souffre, soit en difficulté, mélancolique, languissante – dolente – au plus éloigné possible de ces copines actives, musclées, halées, “battantes”, que je ne puis admirer ni aimer en aucune façon.

    Il me faut chez elles des virtualités d'attendrissements,d'apitoiements sur elle et sur moi - jusqu'au beaux désespoirs, aux larmes à l'aspect du néantjuste effleurés. Que me font à moi ces beautés rayonnantes ? qu'importe en effet à ces femmes que je les aime ou non ? si c'est elle qui m'aime, sans que j'y réponde supposer), n'aura-t-elle pas tout loisir de se consoler ? Qui plaindra ces femmes éclatantes ? Nous n'avons pas appris encore à aimer une femme semblable, un copain avec des nichons comme dit le comique. Il m'en faut une à compléter, qui me complète. Construite comme moi autour d'une faille.

    A consoler, à protéger - protéger : voilà le grand mot lâché, fécond en sarcasmes :Nous n'avons pas besoin d'être protégées !ouRetourne chez ta mère !- mais une femme que je caresse et que je berce. Compatissants tous deux, aux premiers et seconds degrés, même si tout paraît frelaté, sans que nul autre le sache. Que nous retrouvions joie et santé l'un par l'autre. Il est assez désarçonnant de constater que nous avons Sylvie Nerval et moi suivi ces excellents préceptes de la façon la plus involontairement perverse qui soit, puisque jadis (nous comptons désormais par dizaines d'années) pour peu que l'un d'entre nous fût triste, l'autre brillait, et réciproquement : jamais nous n'étions d'humeur égale ; Sylvie Nerval étant joyeuse et près d'agir, je ne manquais jamais de lui représenter tous les obstacles jusqu'à ce qu'elle se fût assombrie, pour offrir à nouveau ma culpabilité. Dilapider ainsi dans ces manèges tant d'années communes, gâcher si sottement, si vainement, nos énergiesainsi soustraites à la véritable action de la vie véritable extérieurequelle énigme ! ...nous aurions donc préféré parcourir, piétiner en rond ce vieux manège ? Je devrais bien désespérer de cette prise de conscience si tardive. C'est donc cela qu'on appellesagesse. Apprendre enfin ce qu'il eût fallu faire (pour dominer [c'est un exemple] sans l'être ? car la douleur de l'autre te domine. Autre découverte de ce dernier mois : ne jamais désirer la femme désirée. La regarder simplement dans les yeux. Avec la plus totale indifférence (et ce que l'on feint devient si vite ce que l'on est). Comme si tu n'avais pas de femme devant toi, que non, décidément, la différence sexuelle, tu ne la voyais pas - une femme ! qu'est-ce donc ? - rien ne délecte plus la femme de n'être considérée que pour leurs charmes d'espritpas même : une fois dévêtues de leurs caractéristiques sexuelles ; une bonne fois évacué le sexe. Cette chiennerie, dit la fille Gaudu dans le Bonheur des Dames. La bonne camaraderie. Soutiens sans faillir le regard franc de la vierge : tu vois, là, c'est l'amitié qui s'installe.

    Pour moi c'en restait là. Quant à pouvoir un jour montrer son désir, dévoiler sa vulnérabilité, sans courbettes de chien savant, ou battu – quelle paire de manches ! ...il paraît que cela se peut. Je l'ai lu dans les livres. Vu au cinéma. Le peu que je sais, c'est que les femmes apprécient beaucoup le naturel en effet – tant qu'il ne s'agit pas de sexe. Telle est mon expérience. (Et comme le double jeu des femmes n'a jamais manifesté le moindre signe d'essoufflement, il est non moins évident que la moindre lueur d'hésitation ou de doute au fond de votre œil vous vaudra les sarcasmes les plus vils – passons) - je ne puis en vérité me résoudre à ces nouveaux usages égalitaires, de regarder d'abord une femme dans les yeux “comme un pote”.

    Ce marchepied d'égalité n'est pas moins ardu à franchir en définitive que les codes ancestraux de pudeur, d'atermoiements, voire de bigoterie. Que celle que j'aime puisse me retenir sur la pente des petits abîmes. Femme-nounours, petite fille, juste le petit chagrin, gonflable et dégonflable à volonté. Sylvie m'est tombée dans les bras pleurant sur elle-même, et j'ai fait de même. Victoire ! Défaite ! Consolation mutuelle. Persuasion de la femme désirée (dont on désire l'amour) sur la base malsaine de sa faiblesse. Pitié réciproque dont on dit tant de mal, qui paraît-il rabaisse qui l'éprouve et qui la reçoit.

    Puis jouer le consolateur afin de récolter le fruit. Faire à son tour la victime, profondément lésée par une protection si coûteuse. De ce double système de bascule entre protecteur et obligé déduire un double système de culpabilités mutuelles. Indissoluble et sans recours. Une femme plaintive et consolatrice à qui j'aie pu me plaindre, tels furent notre pain béni et nos abandons (rouler dans la boue, jouir de la boue). Malsainement hululer de concert, s'engloutir dans nos trous ; ainsi jouissent les enfants insuffisamment consolés. Dont la mère fut la plus à plaindre de toutes soit chez sa propre mère la plus grande obscénité. Alternons par conséquent l'admiration, la protection, la soumission - l'attendrissement sur les sots gâchis, le plaisir des doubles faiblesses et des éternels inaccomplissements. Or nous avons bien lu, distinctement, chez Goncourt, que la conscience de sa supériorité jointe à l'attendrissement que l'on éprouve face à l'injustice ouvre une voie royale à la folie. S'ensuivent en effet de lancinantes lamentations, renforcées car mutuelles, sur soi, sur l'autre, la première injustice ou folie consistant bien sûr en cette liaison que nous avons eue avec celle, ou celui, qui ne saurait s'approcher de la perfection. D'où tentation pérenne de désigner l'autre ou soi-même à l'accusation de bouc émissaire. La promiscuité, le fusionnisme, aiguisant chaque trait.

     

    X

     

    Corollaire

     

    Une telle disposition du couple s'apparente à l'adoration de la femme-enfant ou plus précisément du double-enfant. Rien de plus exaspérantd'autant plus attachant, d'autant plus ligotant - que ces agaceries, sautes d'humeurs, fantasqueries, rien de plus fascinant que ces narcissismes croisés, ces échos toujours malvenus.

     

    X

    Fascination, suite

    . Une blonde n'ayant pour couvrir son intimité sur la plage d'étang qu'un tissu effilé sans relief sur un sexe pressenti lisse et glabre générant sur moi qui lui fais face une fascination bridée par ce trop plein d'humains, sa vulve à trois largeurs de mains de moi, le mari à deux pas lisant sur le sable et l'enfant gambadant par diable passé, sans qu'il fût un instant possible qu'elle ne m'eût point vu - absolue suspension du souffle et du sentiment, la pétrification devant le videsachant que s'étend sous ce mince pont de coton blanc un sexe véritable exactement configuré. J'avais retrouvé ce vertige et ce jeu de dupes autre exemple ? Ce con à feuille d'or si volontiers conçu plaqué magnétisant le regard de cet autre assis près de moi (le même) qui perdit si souvent contenance s'il la regardait ; sous tant d'afféteries, d'innocence et raffinement mêlés, la vitalité même de l'homme se dissolvant, naufrageant sous les yeux de cette autre femme qui l'accompagne muette égarée réprobatrice au sein d' ivrognes et d'aveugles, avec la volupté cuisante du réprouvé.

    Mon ami fusillé du regard et d'une moue, indécelable à nul autre que lui - certaines figurines féminines ainsi, sous leur feuille d'or, trouveraient-elles matière à jouir sans y toucher de tant de sang et de semence puisés dans la candeur grossière de l'homme ; l'amour que j'ai voué à Sylvie Nerval se justifierait alors, dans sa forme la plus archaïque, par cette adoration courtoise de la femme que cette dernière à présent feindrait de rejeter comme fardeau, paralysie, ligotage, aliénationsachant ce que recèle une telle malsaine adoration).

     

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    L'androgyne essentiel est d'abord un enfant, volontiers nomméla créature, avec tout ce que ce terme évoque de réprobation au tournant des deux derniers siècles : réchappé d'une catastrophe guerrière, poursuivi jusque dans son exil, l'enfant-prêtre se prostitue ; recueilli par un vieux musicien qui s'éprend de lui, l'Androgyne se livre à des surenchère de comportements incompréhensibles ou capricieux - ce résumé fragmentairetendancieux - échoue volontairement à rendre un tel monde. S'avise-t-on en revanche que tant d'agissements, tant de manèges peuvent s'entendre d'une très jeune fille, qui écrit, ce si grand mythe s'évanouirait, s'y substituant hélas une irritation d'adulte lecteur contre une gosse tête-à-claques (l'amour ainsi décrit devant dès lors se définir comme enfantin, puéril, immature) (ou céleste). Aussi l'accès le plus direct à ces contrées reste la peinture, Sylvie excelle ; ce filtre assurément moins explicite adoucit les précisions des inlassables retrouvailles et autres aventures d'Ayrton dit l'Androgyne et de son double ténébreux R. aux cheveux d'encre...

    Sur ce terrain donc se joue une fois de plus l'increvable problématique de l'ascendant (de l'Un sur l'Autre,qui d'Elle ou de moi), problématique réductrice, fâcheuse, pitoyable. Triviale. Pathétique. Dont mes amours ultérieures se trouvèrent irrémédiablement perverties (pages après pages noircies sur mon martyre marital - inépuisables doléances, larmes, enfantillages). Rameutage de griefs éculés, incommensurables déplorations : d'avoir fréquenter tant d'amis qui n'étaient pas les miens (qui se fussent à coup sûr avérés ivrognes et putassiers) (mais je n'aurais pas eu d'amis). Pas un seul. Tandis qu'elle m'a tiré par exemple d'une humiliation publique imminente, devant cette grappe humaine un jour agglutinée place de l'Horloge (Avignon) psalmodiant (des beaux, des déguisés, des zalapaj) quatre notes répétitives dans un mantra rigolo, que je voulais diriger, pauvre con, au passage, guider vers une belle impro polyphonique de mon cru - qu'est-ce qu'il se croit celui-là ? d'où y sort ce con ? - en vérité, je l'avais échappé belle ; Sylvie m'entraîna juste avant la cata, je lui infligeai une scène épouvantable : elle me brimait, elle me coupait du monde - ce gadin, cette gamelle, ce râteau que je me serais pris ! c'est à l'échelle de toute ma vie qu'elle m'a sauvé de ma connerie, de mon inadaptation foncière à la relation humaine.

    Et si ma femme ne m'eût pas instinctivement pris de court, à chaque fois, des années durant... si je n'avais pas cédé, sans cesse, en braillant, parce que je reprenais à mon propre compte ce maudit schéma crétin élaboré par les propagandistes – d'une femme nécessairement piétinée, avilie par le mâle - si une telle ineptie ne se fût imposée à ma timidité invalidante, arrogante, c'est moi qui l'aurais soumise, au contraire, à ma propre loi. Je me suis posé en victime du féminisme : et si j'avais simplement cédé au bon sens ? Si j'avais tout bêtement reconnu que l'essentiel est de suivre la raison, peu importe qui des deux ait raison ?

    Nous appellerions cela tout bonnement la lucidité. Celle de Louis XIII se reconnaissant tributaire des excellentes raisons de Richelieu. Ce qui ne veut pas dire que le roi se laissait mener. C'eût été tout l'un, ou tout l'autre : j'aurais imposé mes spectacles de merde, imposé mes amis de merde comme j'en avais tant connu, d'incessants déménagements, ma tyrannie domestique. Ne pas se désoler donc d'avoir aimé, cédé. Elever ses pensées. Considérer à quel point la question de connaître le chef s'apparente à la place du moi dans le couple, ou parmi les hommes (voire dans le sein de Dieu ? ) Il faut êtredisait Talleyrandaigle ou serpent” – dévorant ou dévoré ? ...par honte, incapacité - illégitimité du premier - je me suis jeté à la soumission, dévoré par la perte, par ma dévoration faisant ma perte ; dévotion, révolte et trouble.

    On ne résiste pas à Dieu, fusionnel, exclusif comme il est ; mais la femme ne nous étant nullement supérieure - le seul - l'unique moyen de ne pas céder à la dévoration sera de célébrer sa propre volonté, sa propre adhésion – comme tant d'autres femmes se le sont vu imposer par tant de curés, pasteurs et notaires à travers siècles : “Je cède, je me fais aimer, je règne” - à présent soyons clair : Edipe s'étant vu barrer la voie rebroussa chemin, vit une femme en larmes et l'admira. Question : Sylvie Nerval s'en montra-t-elle au moins reconnaissante ? peut-on parler de son bonheur ?

    ...Oui, à supposer que l'adorateur, le sacrifié, s'acquitte sans mot dire de cette abnégation (que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite). Or tout se passe au contraire comme si je devais rendre des comptes à quelque Instance ( Laïos ? Jocaste ?) au profond de moi : cédant certes, mais toujours, toujours à contrecœur (j'ai toujours vécu à contrecœur). Si un sacrifice vous pèse, dit Romain Rolland (Jean-Christophe), ne le faites pas, vous n'en êtes point digne. Je t'emmerde, Romain Rolland. Je voudrais bien t'y voir. Comme si on le faisait exprès. Comme si l'on faisait exprès quoi que ce soit.

    ...Grommelant, regrettant – Léon Bloy, parlant de Dieu, affirme que l'analyse psychologique prit un jour hélas le relais de l'adoration, de la fusion – que l'analyse absorbe en son propre nombril. Pas un sacrifice en effet, pas une attention dont je ne me sois empressé de faire payer tout le poids. Pas une faveur qui ne fût lestée d'une plainte gâtant, moisissant tout. Tel Christian V., expéditeur polaire, détruit tout son mérite, exhalant dans les termes les plus orduriers, à chaque plan filmé, toute sa rancœur contre les obstacles d'une entreprise que personne ne lui avait demandée.

    Il entre dans ces abnégations trop de rabaissements. Sous le sucre et l'encens tant de fiel embusqué. Chevalier servant, souffrant pour sa Dame, renonçant à ses volontés propres (existent-elles ?) - prétendant que ce n'est rien, me dépouillant à grand bruit de tout désir alors précisément que cette fois c'est l'autre qui cède à ma détresse... Si malgré moi je remporte la victoire dans mon champ de ruines, d'un coup je n'en fais plus de cas, n'en tiens plus compte, et je replaide en sens inverse, vers mon martyre.Après tout... Je trouve autant de plaisir à l'inverse de mon désir.Les dépressions sombra Sylvie Nerval furent provoquéessans être le moins du monde atténuées. Chacun rivalisant d'abaissement, tyrannisant l'autre de l'obscénité de sa faiblesse. Nul ne s'est retiré du jeu. Ces décennies de prison me font hurler de rage.

    Exemple : rien de moi sur les murs ; me contenter de la pièce la plus malcommode (une heure de lumière par jour) - comment l'amour peut-il s'accommoder à tant de petitesses ; à supposer même qu'il suffise d'invoquer mes goûts artistiques nuls... Puce à l'oreille : l'indignation d'un couple de visiteurs : “On dirait” s'exclamèrent-ils “que Bernard n'habite pas ici ; aucune trace de sa présence nulle part”. Autre et bien plus profonde, sinistre, funèbre sonnerie d'alarme, cet oncle – raisonnant sur la présence, à proximité, d'un Lycée, suggérant donc avec satisfaction qu'il me suffirait d'obtenir cette nomination à cinquante mètres de chez moi, pépère, pour le restant de ma carrière ; j'ai grogné qu'il ne m'aurait plus manqué qu'une laisse : “boulot-gamelle-boulot”.

    Le tonton n'y revint plus, mais j'avais senti mes cheveux se dresser sur ma tête. Il ne me restait plus de toute façon, en ce temps-là (renoncement, admiration) qu'un infime noyau d'honneur avant extinction finale. Ne voir que ridicule dans ces hurlements de détresse témoigne d'une méprisable férocité. On meurt sous les coups d'épingle, tas de cons. Dix années pleines de telles minuscules avanies ne sauraient en aucun cas se compenser, quoi qu'en déblatèrent les psys et autres pontes, par les prétendus avantages qu'y trouveraient à foison, paraît-il, les opprimés, qu'on aurait bien tort de plaindre, puisqu'il paraît que la pitié, tas d'enculés, avilit...

    Il faut tout de même bien balancer cette grosse claque dans la gueule que jamais, au grand jamais, ces prétendus avantages, ces mirifiques “compensations”, n'effleurent le moins du monde la conscience de celui qui souffre. C'est bien beau, l'inconscient. Mais sensoriellement, ça n'existe pas. Ce qui est pourri est pourri, ce qui est foutu est foutu. C'est replâtrage et replâtrage, à tour de bras ! Les femmes de l'émir, ses chameaux, ses chiens, se laissent mener. Et certes, assurément, je n'en disconviens pas, j'ai découvert, aux hasards poétiques de la soumission, tant de merveilles - que l'Initiative, la Volonté, la Force et autres hideuses idoles ne m'eussent jamais obtenues ! il se développe en effet, il se fortifie au fil de la passivité un tel sens poétique, un à vau-l'eau, un voluptueux abandon semblable à celui du Roi Arthur, lequel tout roi qu'il fût descendait tout communément, tout couramment, à la rivière “pour voir s'il n'était point survenu quelque adventure” ; alors au fil du fleuve se présentait immanquablement telle barque pontée où repose le corps d'une pucelle, et c'est l'incipit – in- ssi – pitt, blats bâtards, quand on veut faire son latiniste, on se renseigne - de la quête du Graal !

    Au lieu donc sottement de me gendarmer comme eussent fait tant de ceux qui savent si bien ce qu'ils veulent et ne découvrent que ce qu'ils ont décidé de découvrir, et encore, après coup, je suis descendu où il plaisait à Sylvie N. de m'emmener, c'est-à-dire sur place. Guidée qu'elle fut plus, à mon sens, par fantaisie que par sa décision, alors que ma pente sans doute ne m'eût entraîné que vers ma propre catastrophe. Les rares fois où elle me céda, je me fâchai fort, lui reprochant la moindre réserve de sa part, tandis que j'acquiesçais, moi, toujours, et par grincheuse courtoisie. Il m'a toujours paru qu'elle savait mieux que moi ce qui me grandissait, me nourrissait : découverte comme je l'ai dit du ballet, que je pensais disparu, de la peinture à l'huile, que je pensais engloutie - de quoi m'eût servi en revanche de connaître avec elle les joies rustaudes du stock-car ou de l'ivrognerie populaire ?

    Si la femme cède, se rend à mes raisons, ma jouissance s'en trouve annulée de ce fait même ; Simone de Beauvoir évoque à merveille ces faux débats où l'époux, l'homme, veut qu'on lui cède, mais non sans avoir longuement résisté : la femme doit feindre l'opinion contraire, pour lui fournir l'occasion d'une victoire, qui ne s'entend pas sans quelque lutte... A l'inverse exact je cédais, moi l'homme, mais non sans m'être défendu, sachant que c'était en vain, jouissant de ma capitulation annoncée (quoique je me contrefoutisse d'augmenter son supposé plaisir). Voilà pourquoi j'estime qu'il n'est pas vrai, peut-être, que les femmes du temps jadis n'aient jamais pu connaître, disent-elles, que le plus profond malheur, et la victimarisation des femmes, vous comprenez que tout le monde a fini par en avoir plein le cul.

    Or de tout cela, Docteur F., j'étais inconscient, et peut-il exister des choses sans qu'on les ait personnellement, consciemment vécues ? J'étais dans mon esprit celui qui apaise, le grand réconciliateur, à la façon des femmes de jadis. Mais j'y mis tant d'aigreur, comme certaines d'ailleurs, que Sylvie Nerval ne pouvait que conserver, cristalliser au sein même de sa victoire (qui n'était pas vécue comme telle, puisqu'à son sens il s'agissait d'un dû, résultant d'un raisonnement, d'un comportement logiques, affectivement neutres) cette culpabilité qui gâte toute chose, et fut cause assurément de tant de mollesses dépressives dont je n'ai cessé de lui faire grief, en étant moi-même la cause.

    Puis-je ajouter cependant que ce perpétuel découragement ne fut pas moins la cause de ma désenvie de vivre. Ainsi la femme cède à l'homme et le sape dans toutes ses énergies, par son sacrifice exhibé. Et réciproquement. On en jouit semble-t-il dans son inconscient. Autrement dit on n'en jouit pas. Je puis assurément me rebâtir tout mon passé, sans rien omettre des preuves, mais ce qui fut souffert fut bel et bien souffert. Sans vouloir jouer les victimes... Mes voyages se sont bornés aux capacités de mon porte-monnaie,mon petit salaire de peigne-cul, comme me le rappelait obligeamment une correspondante. Libre aux doubleurs de Cap Horn d'estimer sans sel mes découvertes creusoises ou berrichonnes. Me limite aussi dans le temps l'abandon je m'imagine que sombre, sombre parfois réellemement Sylvie Nerval trop longtemps seule. Je pourrais prolonger ces quatre à six jours qui me sont accordés, étirer ce fil à ma patte ; mais il me plaît sans doute de m'imaginer attendu, indispensable.

    J'obéis du moins à des rites ; rouler un certain nombre de minutes et visiter, marcher, que je me trouve, quel que soit le manque de pittoresque ; je me détourne souvent pour un château. Mais je peux également foncer tout droit vers le sud / sans presque [m'] arrêter, Cordoue le matin, Séville l'après-midi, ce qui est scandaleusement insuffisant, mais permet de parler au retour ; Sylvie Nerval en voyage flâne dès le premier jour, découvrant ou redécouvrant maints et maints situscules et sitouillets sans envergure. Son plaisir (si je lui lâche la bride, si je me laisse mener !) consiste à replacer ses pas sans cesse dans les siens : nostalgies du petit espace mais plus encoredésirs,envies,besoins, mots enfantins, d'une exaspérante innocence - mes désirs à moi se trouvant toujours à l'exacte intersection des désirs inverses, aussi bien que de leur absence ; obéir à Sylvie Nerval serait donc obéir à la vie et m'y abreuver, alors de moi-même je prévois tout, j'endigue toutquoique mon voyage tienne aussi bien de celui du père Perrichon : découvrir ! ne fût-ce qu'un gros bourg, pourvu que je n'y aie jamais mis les pieds.

     

     

    X

     

    Nous éprouvons tous deux une sacro-sainte horreur pour tout le matériel, encore qu'elle peignede sa main, ce qui me semble parfaitement incongru, hors-norme, exception confirmant la règle comme disent tous les racistes ; nous aimerions Sylvie et moi n'être que tout idées, tout art. Nous n'aurons véritablement vécu en effet que par et sous les impressions d'un film, d'un livre, d'une musique ou d'une danse. Ajoutons pour Sylvie Nerval ce monde cérébral révélé plus haut - le réel ? il se sera toujours refusé à nous, à moins que ce ne soit l'inverse. Nous ne saurons supporter le moindre refus ; nous nous détournons alors, préférant nous faire rouler, le déplorant aussi, conscients de notre infériorité sans remède dans les choses inférieuresquand les œuvres d'esprit jamais ne nous auront déçus.

    ...Ainsi nous haïssons le bricolage. Grande passion de l'homme de peu. Est-il je vous le demande quoi que ce soit de plus vulgaire et de plus bas de gamme que la béatitude infiniment creuse du bricolo qui vous tanne avec sonportail installé soi-mêmeou son rafistolage automobile maison. A tous ceux qui m'objectent, les yeux injectés de haine et de bonne conscience, que je suis tout de même bien content de les trouver pour me tirer d'embarraas, je réponds que je suis bien content assurément d'aller chier tous les jours, mais que je n'en inviterais pas pour autant ma merde à table. Il faut à mon sens posséder l'âme vide et vile de la populace résolument réfractaire à toute spéculation intellectuelle pour s'abaisser à se souiller les mains par quelque manipulation que ce soit, de bricolage... peindre sur toile assurément (voir plus haut) débouche sur l'éternel ; déboucher les chiottes : non. Je sais, Dieu sait si on me le répète, que la main est intelligente. Mais nul ne m'en pourra jamais convaincre. Un sillon, une chaussure, n'égaleront jamais en intention (je ne parle pas de la réalisation) l'Œuvre d'Art, consacrée par l'éternité des Divins Préjugés. Il existe, si arbitraire qu'elle soit peut-être, une hiérarchie des valeurs que nous respecterons toujours Sylvie Nerval et moi, quelles que soient les violences des propagandes égalitaristes.

    Nous tordons le cou aux démagogues alléguant l'égalité du boulanger et de Mozart ; pour des milliers de boulangers, quelque compétents, quelque vertueux (voilà bien la répugnante faille de raisonnement) qu'ils puissent être, il n'existe et n'existera qu'un seul Mozart. Ajoutez à cet intolérable fascisme (n'est-ce pas !) qui est le nôtre une farouche défense des valeurs passées, mais aussi, de façon douillette sans doute et parfaitement incohérente, l'attachement aux grandioses adoucissements de la condition humaine : le progrès matériel justement, permis par les techniciens, les bricolos, les “hommes matériels” si vilipendés au paragraphe précédent. Plus encore de notre part un viscéral cramponnement à l'Athéisme, à la Liberté Sexuelle, qui nous semblent découler non pas de la

  • L'HISTOIRE D'AMOUR

  • Gardien stagiaire

     

    C O L L I G N O N

     

     

     

     

    G A R D I E N S T A G I A I R E

     

     

     

    ÉDITIONS DU TIROIR

     

    Semper clausus

    COLLECTION DES AUTEURS DE MERDE

    À Enki Bilal, auteur de «Bunker Palace Hotel »

    Radôme : (de »radar » et « dôme » : Voûte transparente à énergie électromagnétique, destiné à protéger une antenne de télécommunication contre les intempéries   

    Ruelle périgourdine b.JPG

     

     

    Le radôme fut construit pour protéger l’une des premières antennes de télécommunications par satellite. La première liaison fut effectuée le 9 juin 1961. Inutile aujourd’hui de recourir à cette énorme sphère blanche : des antennes paraboliques sont implantées sur le plateau d’Hermès où je vis. Mais le radôme a subsisté ; nous l’avons adopté malgré nos résistances. Il est à lui tout seul un paysage, on y projette des éruptions, des cosmologies. Son globe contiendrait l’Arc de Triomphe. On vend des chocolats-radômes, tout blancs, dans les pâtisseries. Au début, c’est vrai : la population protestait. À présent le pénitencier fait vivre toute la lande d’Arbor, et les confiseries à la gnôle, à la crème ou creuses, consolident les soldes sans éclat des gardes.

    Plus loin au-delà des clôtures du lac de barrage (ça n’a aucun rapport), le soleil est glacé sur les rocs, sur une permanente criaillerie d’oiseaux prédateurs. En fin de journée ça devient intenable. Le STAGIAIRE a grimpé le sentier à peine distinct dans l’herbe, et voit peser sur ses yeux la sphère en surplomb, immaculée, carcérale, du radôme – non plus capteur d’infini mais signe et repère fermé. Œuf clos bombant ses casemates, guettes et loges de garde – tandis qu’en contrebas parmi les buissons plats se disséminent les préfabriqués des classes à racheter – de tout un peu – ici d’un coup se suppriment les perspectives : l’homme a rejoint son poste et ses congénères à plates semelles dans le neige rase.

    Mains dans les poches, en bonnets noirs et cache-cols. Ils graillonnent, se raclent la gorge ou toussent avec ou sans gnôle, gras, sec ou caverneux. Nouveau venu juste émergé du brouillard d’accès j’ignore encore ma tâche mais sûr d’y parvenir. C’est une belle et noble contrée, de granit, d’habitants fiers dit la notice (maquis décimé, combats d’Hercos exécution de Louis Méhu 12 juin 44, mitraillage de St-Drou erreur d’épuration toute une noce massacrée ni documents ni preuves Monsieur le Président tout en ordre besséder ola enndaksi la Centrale est bien pleine et les gardiens aussi, pas spécialement au chocolat-liqueur.

  • Fragments


    B E R N A R D

     

     

     

    C O L L I G N O N

    F R A G M E N T S

    17 05 2019

    Pourquoi “Pas d'enfants” ? ...d'autres en ont eu, sans être morts...

    ---> refus d'assimilation au père

    ---> refus du statut d'enfant

    ---> refus de devoir s'intéresser à quelqu'un d'autre

    Le fric n'est qu'un prétexte.

     

    _____________

     

    ______________

     

    Idées de sujets avec des classes...

    Voir pourquoi ça ne marche pas...

    Préliminaire : Babette M. ; la mère qui surveille Instaurer une Dictature du Parti Intellectuel, pour édifier l'humanité (Gogol) : élever "l'homme et ses œuvres à la hauteur d'une religion" - ce qui ne serait qu'un bandeau sur les yeux.

    Il y a des idées auxquelles je crois - hélas.

    COLLIGNON FRAGMENTS 2

     

     

     

     

    L'élitisme des âmes ne peut s'épanouir que' sur le fumier de la friction des corps - croyais-je. Elitisme, certes, mais refus de toute prédestination. Force, mais refus de la force subie.

    Le doute, le clown et le narcisse : Pamiers, 1er juin 1974.

    Le narcissisme s'incarnera dans un seul homme. Les réflexions démolitrices, en un autre. Seul l'homme dans ses rapports avec l'homme. L'anecdote est le support à la philosophie : Le Diable et le Bon Dieu.

    En ce temps-là le jeune homme imagina - sans rire ! de travailler deux heures par jour.

     

    Fragment de nouvelle

    "Il se dressa sur ses pieds :

    - Je suis Abraham Ronsard ! et le tronc d'arbre s'abattit.

    "Sa femme Albertine lui apporta en plein air une marmite, très lourde, dont elle avait enveloppé d'un linge les anses brûlantes :

    - Cesse de brailler. Tu as fendu toutes les poutres de notre maison.

    "Il pleura bruyamment, car c'était une fermette à poutres apparentes. Martine lui versa l'épais breuvage aux poireaux :

    - Avale ça ; tu es fatigué.

    "J'ai achevé ta mère. Tu trouveras des morceaux de cerveau dans la soupe.

    "Jean-Pierre, alias Abraham Ronsard, recracha sa cuillerée. Puis, haussant les épaules, il termina son assiette.

    Martine, assise sur le tronc abattu, le regardait faire. Puis elle tira de sa poche un miroir de vieil argent orné de deux sirènes ; Jean-Pierre caressa la pointe de leurs seins [caetera desunt]"

     

    En gros caractères : MANGER L'ARTICHAUT D'URGENCE !

     

    Il paraît, comme ça, que je suis fait pour écrire. C'est O'Letermsen qui me l'a dit.

    - Tu es si beau, lui disais-je, si beau, que si j'étais pédé je te sauterais aux couilles.

    - Génial, gloussait-il , génial. Then he added :

    "J'agrandirai tes cartes géographiques. Je les reproduirais sur soie. Je te trouverais un imprimeur ; ce serait de l'imagination pure. Tu donnerais des conférences.

    Première carte : Arkhangelt. Epaisse, limoneuse.

    Mes armées ont sillonné ce royaume, envahi par les Troupes Innombrables du Sud.

    COLLIGNON FRAGMENTS 4

     

     

     

     

    J'avais inventé d'autres pays ; de sanglants combats en avaient eu raison, à Ste-Françoise-le-Lac ; c'était ma cousine, son sexe et la bataille. Une arme était particulièrement terrible: visé, dans un groupe de trois, je restais seul indemne, et mes deux gardes, morts. Le trente août 1973, j'écris : "Je ne mérite pas d'être sauvé, je chie sur les Rédempteurs. Demandé, et il vous sera accordé ; tendez la main, et vous serez hissés. Que ma haine éclate comme une précieuse grenade au ventre de toutes les" - ce qui n'est pas nouveau.

    "Souillons, soyons grands ensuite" - qu'est-ce à dire ?

    Je cite :

    "Quand les délicates, en se voulant torcher, s'apercevront dans leurs doigts vernissés que j'ai déjà embrené leur papier, elles reposeront le rouleau et s'en iront, effarées, cul merdeux, en écartant les fesses."

    Plus loin :

    "Travail sur soi, travail impitoyable, seuls les très grands y sont parvenus. - Un éditeur ! - Ah chien, tu veux ta pâtée...

    "Je hais les bons chiens, qui me font du bien, qui me cernent, larme à l'œil, répétant, dictant ce que je dois faire, ce qui est bon pour moi."

     

    "Moussu curé ! moussu curé ! moi pas fai'e mal, moi ju'é !" Mais le missionnaire pressa sur la détente, et quand le Noir fut mort, il encula sa femme et promena sa courte bite vérolée sous sa soutane en cloche.

    Je ne veux pas que tu penches ta grosse tête crayeuse sur mes écrits, et que les larmes ravagent ta grosse face de cul. Tu ignores la valeur d'Amour de tout cela.

     

    Chronique

    "Tous les hommes furent alignés, la queue sur une planche. Alors, une par une, à la hache, les queues furent tranchées. On en fit des quenelles.

    "Toutes les femmes furent alignées, cuisses ouvertes. Et d'un coup de truelle, tous les cons furent bouchés au ciment frais, et les femmes hurlèrent éternellement avec cet épieu fiché en elles."

     

    Et qu'on ne vienne pas me parler de recherche systématique de l'outrance ! Ces gens-là ne respectent rien.

    - Et c'est pour ça qu'on te paye ?

    Ma mère, ne te retourne pas dans ton cercueil ; ça fait de la poussière, et ça pue.

     

    Quand j'aurai dépassé ce stade, quand j'aurai fini de jouer avec mes excréments, je pourrai m'essuyer les doigts et écrire, puis j'entrerai à l'Académie Française.

    "Et dans 50 000 000 d'années, la Terre, avec tous ses systèmes philosophiques, ne sera plus qu'un grain éteint, et ce sera comme si rien n'avait existé."

    Jean ROSTAND

     

    Je crois en un seul Dieu, créé pour faire chier le monde.

     

     

     

    (16 octobre 2020 ?)

    Certains personnages de Dostoïevski griffonnent, ou rédigent posément, quelques phrases insignifiantes, qu'ils font lire à leur femme, et confient ensuite à la postérité dans de grands cartons verts d'administration. Se repaissant de pipes et de rêves.

    Pendant que d'autres volent dans les plumes de la littérature, eux passent leur vie à se créer une méthode, sélectionnent leurs thèmes, un par page, comme des grains par sachets, composent des fiches ; s'enquièrent de tel point, lisent tel ouvrage primordial - lisent surtout, ce qui dispense d'écrire - poussent même le scrupule jusqu'à indiquer la musique particulière, l'atmosphère qu'ils désirent autour d'eux pour telle ou telle écriture.

    Tantôt une méthode, tantôt l'autre. Ils s'obstinent longtemps, surtout s'ils la sentent inadaptée.

    La pipe se fume, et l'inspiration ne se hausse guère au-dessus du talent. Et de peaufiner leurs thèses.

     

    Pendant ce temps, des gigolos nouent d'innombrables connaissances. Les miens habitent loin de Paris. Ils ne paraissent pas. Ils écrivent à longueur d'heures, qu'ils ont glanées au travers de leurs besognes. Ils écrivent qu'ils ont envie d'écrire, qu'ils ne savent pas écrire. Proust, Du Bellay - furent des seigneurs.

    Une deuxième pipe succède à la première. L'esprit demeure vide. L'auteur retourne à ses briques. Il vit une époque noire, chargée d'oubli futur. Il sait qu'en période de décadence, les auteurs perdent le souffle : l'épopée, le roman-fleuve, se perdent...

    Et voici le moment crucial : sortir de soi. C'est un courant d'air, que je supporte mal.

     

    X

     

    Es war einmal un schizophrène. Il ne voulait jamais quitter son oeuf. Il voulait écrire sans effort - au fil de la plume. Il s'indignait qu'on vînt le lui reprocher :

    - Comment écrire sans souffrir ?

    ...comment dresser son flûtiau parmi ces puissants arrachements de trombones ?

    Surgit soudain quelque révolutionnaire, ignorant tout de Proust et de Gide, et qui le fusilla pour tiédeur.

     

    x

     

    Parfums d'église. Chaque heure mûrit et crève ; l'absence de souffrance se fait cruellement sentir. Une araignée étire ses pattes. La pensée file en musique, les comparaisons s'enfilent comme des perles, comme des doryphores qui cheminent, comme, comme...

    Laisse couler le fleuve des automobiles où tourne une sirène, le soleil baisse et va t'atteindre derrière la vitre. Une vieille ouvre son sac, objet vague, les humains fuient, reste, isolée, la moleskine.

     

    Ici s'ouvre le journal du fou, 22-12- 2020

    Aqui se abre el diario del loco.

    Rien ne sera plus concentré que le journal du fou. Nichts wird usw. Le texte en sera pédant, souvent diffus.

    "Le comble du cabotinage est de ne rien laisser paraître de soi."

    FLAUBERT

     

    Ce travail nécessitera une documentation aussi poussée, aussi sévère, que celle de Bouvard et Pécuchet. Il y prolifèrera autant de redondances, autant de répétitions que dans l'oeuvre de Bienaimé Péguy. Partitions musicales, portées tibétaines, cartes géographiques, "et l'on parlera plus des couleurs et dees formes de l'oeuvre, que de l'oeuvre elle-même."

    Nul ne doit pouvoir dire :

    - Houynhnhnh ! ceci est bon ; j'en ferai fructifier."

    Il n'y aura pas de plan ("Es wird" usw.)

     

    X

     

    Le futur est le temps des dieux, le temps-Dieu.

    "Il est le temps qui exprime qu'une action se fera ou ne se fera pas dans l'avenir ; il exprime ce qui sera (ou ne sera pas) (verbes d'état), sans restriction."

    Ceci encore :

    "Obsédé du besoin de faire coïncider la durée de sa création avec celle de l'élan créateur (coïncidence exaltante

    qu' "on peu nommer l'inspiration") - le fou ne se sent ni atteint ni tourmenté par la suite de la citation ("il [Tchaïkovski] est d'autre part tourmenté par les exigences de la création formelle" J. J. Northmann).

    "Petite musiquette au jour le jour - serinette - non, tu ne seras pas" (Antoine Bourdivier).

    Problème : "raidissement" mène à "trop connu" ; "besoin de nouveau" mène, par d'autres voies, à "trop connu" - les histrions sont fatigués - et puis, l'interdit :

    "Deux amoureux se regardent à travers la vitre du train. Qui ne démarre toujours pas. Or, ils se sont tout dit. Ils se font des grimaces embarrassées de chaque côté de la vitre" - ça, on peut le dire. "Les roues du train comme le bruit de la mer" - ça oui, ça surtout on peut. Ca sent bon. Cendrars, Jules Verne, Michel Strogoff. Références. "Ce qu'il y a de bien" ("de merveilleux") c'est de se sentir en train de penser sans savoir à quoi ; sans besoin de cerveau. "Ce gros viscère chaud"

    MAIS :

     

    : interdit !

    et :

     

    : interdit !

    Conclusion, sans rapport avec ce qui précède.

    Il faut écrire par but précis.

    IL FAUT FUIR LE STYLE DES QU'IL SE MANIFESTE

    Fuir, dès qu'il se manifeste, le style.

     

    FUIR LE STYLE DES QU'IL S'APPROCHE.

    Et non pas : "...FUIR, DES QU'IL S'APPROCHE, LE STYLE."

    Mes lecteurs - rectifieront d'eux-mêmes.

    Le livre d'Henry-François REY "Les Pianos mécaniques" m'aura du moins appris comment ne pas écrire. Opposer, de Rabelais :

    "Or cy trouverent des mots gelés ensemble, et syllabes aincy agglutinées, comme hin, hin, brededin, brededac, bou, bou, bou, trac, trac..."

    De moi in "Monségur [sic] 47"

    "Ça ne devrait pas s'appeler "cimetière" ; ça sonne trop clair, comme un clairon ; il faudrait plutôt le bruit de la terre qui glisse - fss... fss... - quelque chose comme "fossouère"..."

    ...Toujours d'Henry-François Rey :

    "Il but son café à petits coups

    " son whisky d'un grand trait" - prière : my friend,

    Débarrasse-toi de tous ces verres "qu'on tourne entre ses doigts", de tous ces cafés et cigarettes - quand je compose je me les touche, je me court-circuite. Pas de déperdition.

    "C'est là que, tout seul dans le vent, je récite "Hamlet"... Un très bon exercice. Notez bien que je tiens Shakespeare pour un idiot et "Hamlet" pour une pièce infantile. Mais cet infantilisme est comme une purge ; tout de suite après son ingestion, la rigueur vous paraît plus rigoureuse. Nous arrivons."

    Ca fait bien, de prendre Shakespeare pour un idiot. "Vous êtes un vieux croûton : aimer Shakespeare !

    - Ah mais non ! je le "tiens pour" un idiot.

    - Vous êtes un ignare : mépriser (to despite) Shakespeare !

    - Ah, mais non. Je maintiens que son infantilisme purge : d'une certaine façon donc, paradoxale, je rejoins votre admiration. Je l'estime, mais pas comme tout le monde."

    (Enfant = con = génie = con = pureté = nature, tou sles clichés sont au rendez-vous, l'idiot est le plus sage de tous, etc... - êtes-vous allé déjà faire un tour dans la tête de l'idiot du village ?)

    Quant à la "rigueur" qui devient "plus rigoureuse", c'est ce qui s'appelle le comparatif interne : la vie devient plus vivante, la profondeur devient plus profonde... t'en chies des pages...

    Mon cul devient plus enculé.

    Le fin du fin, après les points de suspension - le "coup de menton" - "nous arrivons".

    Brisons là.

    Gardons nos profondeurs.

    Cela s'appelle "poser un jalon".

    Vient ensuite le croquis du village vu de haut : "Vous avez vu un village sous la pluie - décrivez - au soleil - un couple qui baise - décrivez - " poursuivre sur ce ton - secouer le livre comme un vieux sac de patates poussiéreuses qu'il est, cependant, dès deux cents pages avant la fin, une irrésistible, une incoercible envie de poursuivre.

    X

    Se peut-il qu'un si grand cerveau - le mien - reste en friche.

     

     

    Un repas, et c'en est fini de la raison. Une digestion. Un somnolent dimanche de janvier. Le cerveau n'est plus qu'une masse croupissante et molle. J'envie en vérité le baron de Saint-Pastoux. Oui, je me souviens encore de cet homme-là. Seul, noble et fier, embousé de vignes et de meutes. Ses mains de vigneron noircies par le gel et les intempéries.

    Moi : impuissant devant les barres de fer qui retombent en cage autour de moi. J'entends dans l'escalier : "On va promener Thérèse" - lève-toi, enfant, aube sulfureuse, aube crépusculaire de la vie... Vois-tu, il faudrait, accoudé sur un nuage, contempler, agitée sous soi, la troupe estimable des hommes, jetant par intervalles vers le ciel des yeux humides d'allégresse et de reconnaissance, mon beau Peuple... L'univers peuplé de mes semblables. Je ne pourrai jamais admettre les autres.

    Les Extérieurs. Vous savez, "vous".

    Je deviendrais Adulte.

    C'est-à-dire petit, humble, terrorisé ! Zola, Zola lui-même, se relevait la nuit en bonnet et chemise. Sa femme le trouvait pieds nus sur le pavé :

    - Que fais-tu là ?

    - J'ai peur de la mort.

    Quelle œuvre alors faut-il offrir à l'humanité ? Combien en a-t-elle englouti, en est-elle plus avancée... Je dois former l'humanité à mon image. On sait ce qu'il en est advenu de Dieu qui n'a pas su tenir compte qu'il n'était pas seul au monde. L'homme est bon, voilà ce qu'il a envie d'entendre ? Incompréhensible, sournois, un morceau de mémoire ? c'est-à-dire bien peu.

    Toi, l'ermite, ce n'est pas fatigant d'avoir toujours raison ? quelle honte d'avoir trouvé sa voie, de se nourrir de figues et de riz dans son écuelle ! Demain matin, je dépends d'une voiture étrangère pour me rendre à mon travail.

    Cette voiture a un conducteur.

    Ce conducteur, il faut lui parler.

    Eh bien, Nietzsche, que ferais-tu ?

    Toi le critique je t'emmerde.

    Tu dissimulerais, dis-tu ? Tu te dédoublerais ? un moi à la Montherlant par exemple, un moi que le moindre coup d'épée, que le moindre fait vrai tronçonne ? ce serait donc ça, la vérité ? ou bien - suivre le Moi Génial, et pour peu qu'on exagère - on a très vite exagéré, avec ces gens-là - la prison, le Coupe-Cou ? allons nienietzsche, tu divagues : les autres existent.

    Il n'y a pas d'essence.

    En mon âme Sartre et Nietzsche se livrent un combat sans merci. D'où vient ce manque viscéral qui m'étreint les jours de vide ? quand ma langue se colle, quand face à mes Disciples rien ne sort de ma bouche, que des conventions. Dieu, quel besoin d'être écouté ! Monsieur à quoi sert-il de vous répondre puisqu'on sait bien que vous vous en foutez ?

    Les voilà qui chantent, les voilà qui se taisent aussi, qui se replient sur soi-même.

    Plus loin encore : voici que mes égaux, ceux qu'après m'être débarrassé de tous les autres je tolère dans min intimité - les Mahler, les Sibelius, les Proust - voici qu'il m'abandonnent, vos quoque ! Bruckner l'ange se heurte aux voûtes du ciel, heurte son Hammerschlag aux murs de son destin, Mahler plante son pic de plus en plus haut sur les cimes escarpées !

    ...Tandis que je m'essouffle à le suivre.

    Même toi, Nietzsche.

    Même toi je ne puis te suivre.

     

     

    X

     

    A moins que par grâce tu ne te sois contredit. Tu ne nous aies tendu la main. Franchisseur de monts. Dans l'amour seul tu rejoins les embraseurs de haine. Radeaux de Méduse. Mangez-vous les uns les autres. Navires qui se dérobent, fraternité. Chanter l'amour devant des murs bien hérissés de verre. Si l'on prêche l'amour tout en faisant la haine, pourquoi ne pas prêcher la haine etc. Combien Sade en a-t-il converti ? À la douceur : 0,5% ; au sadisme 0,75. N'ayant pas lu Sade : 98. Intéresser quelques personnes pour vingt ans, ou trente : j'accepte le marché. Pour cela parler de l'homme : amour et guerre, gloire et beau, les membres et la bouche – inévitable. Soit. Porte-voix du siècle ?

    JAMAIS. « On ne t'a pas attendu pour... » - certains, si, m'attendent. M'attendent moi. Mes trésors mes décharges. Pas la moindre action. Des obstinations de monastère. Ce soir Complies. BIENFAISANTE CLÔTURE. Que d'autres s'efforcent au niveau supérieur. Bah-houts. Au dehors. Plus de contraducteurs que les grains de sable du rivage. Sables mouvants effondrés dans la mer. Déjà le corps... les humeurs de ce corps comme des marées... flux et reflux de toute foi... car si tu croyait réellement au Nihil, au Rien, tu te tuerais, ou tu massacrerais. Les gens sincères ont du sang jusqu'aux coudes. Tu es vierge. Magda Goebbels tue ses six enfants et se fait justice. Se fait justice. Non pas démence mais lucidité. Nos ennemis ne sont pas si nombreux.

    Est-ce là ton action ? Page écrite à trente ans comme à seize.

    X

     

    Exercice d'amour. L'amour dans l'exercice. De sa fonction. Petites pages de papier au fond des poches. Une résolution par jour. Sois un bon fils. Ton père qui t'aime. Recette n'est pas facilité. Avec la consolation de l'humanité entière au fond de l'entonnoir ainsi que toi. La majorité ne se trompe jamais. Totalité du bien. Foi. Cécité. Aimer celui-ci lundi. Cet autre jour ma Mère et cet autre un enfant. Une heure à chacun réservée. Je t'apporte mes bonnes pensées (Mon Dieu) « Deus aliquis », qu'on ne peut préciser. Qu'une majorité soit toujours avec toi. Ou passe-toi de ta majorité. Juste ces sentiments que tu refuses – une Foi se fabrique – une mauvaise foi – c'est ainsi que Roland épousa la belle Aude Je me retoucherai je serai malhonnête

    VALE

     

     

    21 01 06

    Autant je ne crois pas à l'art autant je crois au bien.

    Mais l'art veut Être.

    Pourquoi Chabrier derrière Debussy, Debussy après Wagner ? ...véritablement moins doués ? Moins riches ? Gide, Proust, Eluard, ont-ils jamais tenu le manche d'un outil ou le bout de craie du prof ? Le dévouement est à ma portée ; pas le génie. Juste par pauvreté ?

     

    21 01 27

    Les longs après-midi d'hiver à la dérive

    Ridicule, épargne-moi

    Longs bouleaux sous les nuages gris

    Instinct – Méfiance

    Le don du premier pas, le second doit se re-créer

     

    Je voudrais qu'on me foute la paix

    (malgré cette) Incapacité foncière à faire

    à dire j'aime tu es ma présence mais j'attendrais en vain ton secours tu n'inspirerais pas

    le bras créateur - étant toi-même brume et limbes -

    - est maintenant script-girl dans une compagnie cinématographique

    Roger qui voulut hâter l'avènement de la Justice Universelle est devenu greffier chez un juge de paix rouergat (médiateur).

    Plaignez, plaignez. Il n'en restera rien. Ne croire qu'au sommeil. Comment guérir de ses limites ? de la médiocrité (déchirement, forage) (tourbillon de clavecin ?) (le trou s'approfondit). Cahiers de Va léry. Impropres à la consommation. Les écarts de l'esprit dans la Compensation. Ovations. Prostitution finale Ne m'acclamez pas tant. Le rideau quotidien. L'envie même du vertige qui disparaît (lorsque le sol ondule à la verticale du créneau) Il faudrait s'effrayer. Pas de pudeur ; scruter. Scruter. Masturbation sans bandaison ne vaut rien. Souvenirs d'ineffables tendresses. Caractères minuscules comme intimidés. "Le poème n'est pas fait de ces mots que je cloue sur le papier, mais du blanc que je laisse entre les lignes".

    Vous m'en direz tant.

     

    2021 02 14

    Histoire du fou, suite

    Enfermé dans une pièce sans fenêtres tendue d'épais voilages. Milliers de livres et de disques sur les murs Voyez toutes mes œuvres. Appelez-moi Maître et Seigneur. Je me passe du monde.

    Mahler, Nerval, Rembrandt.

    Compose aussi en son propre nom. Tous les jours un nouveau pseudonyme. Recopie de pleins passages et les signe. Sur ses disques, hurle et chante avec l'orchestre. Aucune amélioration n'est possible. Tion n'est possible. Tion n'est possible. Heureux. Ecarte sa femme et sa fille. Tous les soirs entre en agitation juste avant ses calmants. Il deviendra fou quand il le voudra. Aussi peut-il jouer le prophète. La négation de la métaphysique porte un coup mortel à la psychanalyse.

     

    2021 09 12

    Pouvoir dans un état présent être à la fois tous les états passés. Puis seulement pourvoir à l'avenir. L'instituteur du monde. J'ai tout en tête. L'enfant a raison. L'enfant nie ce qui domine, parents, puissances supérieures. Je nie l'économie. Le ligotage. Dupe assurément, se vantant d'être dupe. Se glorifiant. Reflétant le temps en un seul foyer. Souhaiter l'avenir identique au passé. Renouer la corde. Plusieurs personnages superposés obligatoires. Le Dictateur protègera l'Errant, ladoubera dans son unicité. Douleurs et palpations.

     

     

    2021 09 19

    Lire et s'exprimer chez Nathan. Un grand disparu : Chateaubriand. Cézanne en couverture : bouffée d'enthousiasme. Etouffement par excès d'oxygène. Hernandez Patrice. Né le 10 mars 1961. Arveyres. Six textes pour trois heures. La classe voisine chante les réponses à travers la porte.

     

    2021 9 27

    J'ai peur. Pensées comme les cendres sur la pelle. Père flânait souvent parmi ses livres, parcourant deux ou trois pages, aigri, songeur, j'aurais aimé nier l'hérédité. Ou confirmer tous les déterminismes (et dans le premier cas les autres vous tuaient, dans le second je me couche et je meurs) – leçons passées, leçons à venir, intéresser, gagner tant d'humains ? Je m'apitoie. Formation insuffisante. Juste un humain. Parmi eux. À divertir. Texte de Jean-Christophe insuffisamment préparé. Première fois sur le piano. Relire. Noter. Pourquoi faire des exposés ? Parce que, Mademoiselle, nous devons employer le temps, notre temps, sans bien savoir, tel est le fond de sa pensée – mais s'il se trompait – sans ce regard droit – sans ces décisions qu'ils prennent - bandeau sur les paupières – les enfants galopaient sourdement sur les paliers – la Bête allait revivre.

    Les cours seront donnés, je me serai appuyé sur les murs, j'aurai frotté mes doigts pour les défourmiller, je l'aurai dit à tous pour que tous m'aiment, au jour même de l'Extrême-Onction. Deux pages de Schneider – lequel ? faisons-leur faire connaissance – avec leurs têtes de cons sur le beau livre – que voulez-vous, j'étais subversif. Après l'éternelle dictée, chacun se relisait, livrant son

    $corps en silence et son attitude – pénétrer sous ces fronts, sous ces chevelures – les regards brûlants de ma Polonaise – mouvements du poignet de celui-là – les doigts en cône au-dessus du stylo, main vivement redressée vers l'extérieur. Arcs de cercle tracés vif et court, modelé de pensée; Oui c'est bien ainsi qu'il faut le dire, et leurs lèvres serrées. Dubrocas me fixe au-delà de moi, semble me prier à voix basse, exhibe l'intensité de sa réflexion. Si je la fixe à mon tour c'est elle qui baisse les yeux.

    Futurs hommes ayant un jour prise sur le monde, femmes agissant peu, travaillées de pensées, de scrupules, qui me ressemblent. Elles ne me quitteront jamais. Les garçons un jour deviendront angulaires et mathématiques : "Problème – Solution". Nous ne pourrons plus nous comprendre. L'ébauche attache plus que le tableau. Des garçons j'excepte C. : timide et myope, délicatesse de chat, sous sa casquette de poil brun. Que d'écueils le guettent. Pourrait toujours donner un Serge, sans plus pouvoir se tirer de sa trajectoire – comme ces personnages qui parvenus au bord d'une falaise courent encore dans le vide, avant de baisser les yeux et de s'écraser. Un enfant passe dans le couloir : "Papa !

    - Gibert, on vous appelle, dis-je à haute voix. Gros rires forcés. Il ne restait plus que lui à charrier. Je n'aime pas les garçons. Vulgaires, ternes, semblables.

     

    X

     

    Un chandelier sur la cheminée, que la poussière recouvre. Je passe un doigt sur la bobèche de vieux bronze. Microcosmes retenus dans les cannelures. L'exercice reste au ban de la connaissance. L'âme des objets m'indiffère : âme fière, à 7 branches, hautaine. La date de naissance est celle de l'achat, de l'entrée en famille. D'un côté du poussoir de la boîte d'allumettes, « Vauquier », un nom, de l'autre, un autre nom plat, couple qui s'ignore. Un jour la boîte se vide, se brise, morte à deux mois. Comme pour les femmes d'un harem, il faut alterner leur usage, établir un roulement d'assiettes et de bols : les frais lavés s'empilent au-dessus vers la surface d'utilisation. Ainsi des draps, chemises, serviettes.

    L'élégance joue peu, le confort plus souvent : s'il fait froid, ...mais l'ordre, la succession mécanique suppriment l'hésitation, par quoi sont introduits dans les rapports de l'homme à ses objets quelques éléments de tendresse. J'écris. La passion est parole. L'écriture engourdit : miroir calme. L'enregistrement, sur bande magnétique, glace.

     

    X

     

    X X

     

    Si le château de Montaner présente la forme d'une bague « dont le donjon fait le chaton », il faudrait que les habitants du château s'y conduisissent conformément à la désignation des parties de l'original. On ne parlerait d'aile droite ou gauche que si le château est en forme d'aigle. Dire, par exemple : « Ma chambre est dans les serres. » On porterait un aigle, ou une bague, au doigt, au cœur, en écusson. Il faudrait se recueillir à heures fixes, sur le symbole figuré au sol. Le signe aurait valeur de totem. Chacun y conformerait son âme et ses actes. Comme les scouts.

     

    X

     

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    Vivre se perdre afin de retrouver les hommes. Eluard.

    ...L'homme aux charmantes niaiseries. Question prégnante : Eluard n'est-il devenu célèbre que pour avoir été fils de banquier ? Quelle proportion de fils de banquier parfaitement crétins ? ...devenus garçons bouchers ? Pourquoi ne piédestalise-t-on que les Grands ? Qui atteignit jamais le fond de la pensée d'Eluard ? L'imitation de Jésus-Christ dort au fond de mon placard. Je propage la Vérité. Je distille, je tartine le lieu commun. Je vis, je me perds, je parle aux hommes : Beauvoir, Sartre, Wilhelm Reich. Mes 3e auront 40 ans vers l'an 2000. Ils riront bien.

     

    2022 – 01 – 14

    1. - Dans l'univers des faits," (ici interruption parfaitement stérilisante) "les méchants ne sont pas punis, ni les bons récompensés. Le succès est réservé aux forts, l'échec aux faibles. Et c'est tout.

    Portrati de Dorian Gray

     

    Imaginons qu'il faille disserter. Ce serait cocasse. Cela ne donnerait rien de bon. Tout reviendrait à la question Suis-je faible ? Suis-je fort ? Et si l'on conclut bravement qu'on est mi-fort mi-faible, on glissera bientôt, invariablement à la conclusion que nous sommes tous faibles, bien faibles, pliant devant tous et toutes choses (bourges occidentaux ? ce qui reste à démontrer) pour juste une fois conformer sa vie à ce que l'on croit ses idées.

     

    X

     

    Monsieur,

    Nous avons bien reçu votre catalogue d'aphorismes. Malheureusement, leur forme négligée n'est pas faite pour racheter leur manque d'originalité.

    Veuillez croire, Monsieur...

     

    Réfléchir sur la pertinence de la notion d'originalité.

     

    X

     

    1318.- Vivre se perdre afin de retrouver les hommes.

    ELUARD

    Quel optimisme – avoir noté de l'Eluard ! L'homme aux "charmantes niaiseries", comme le stigmatise Ma Brillante Dissertation de la troisième série ! "N'est-il célèbre que pour être le fils du banquier Grindel ?" Se reporter bien sûr à la cohorte de fils de financiers parfaitement crétins. Devenus comme il se doit garçons bouchers. Pascal des Lieux Communs. Le plus grand des Ordinaires. Les Hommes ne piédestalisent que les grands ; autrement, vous comprenez...

    De même au fond de mon placard dort L'imitation de Jésus-Christ. Je crois qu'il serait temps d'envisager la composition de Thèses – en séries, en Système. Vivre se perde afin de retrouver les hommes – et leurs paroles...

     

     

    16 – 01 – 2022, etc

     

    X

     

    Musique : Stockhausen. Magma, écouté chez les autres, est insignifiant ; chez moi, sublime.. La voix de gorge que je prends ; mêmes notes, mêmes effets. La composition "pour soi" n'est jamais que faute de mieux. Me rappeler Sarreméjean qui m'avait débranché l'orgue électrique : il n'y a pas de limite à la médiocrité.

    J'ai reçu mon élève particulière. C'est une femme de bientôt quarante ans, sèche, en bleu, puritaine - “ascétisme”, dit-elle ; intransigeant. Dans un moment de confiance, il y a lontemps, elle m'a confié que l'acte sexuel, quand elle doit s'y résoudre, n'est qu'un besoin naturel. Depuis ce jour, je la hais, je suis fasciné, obsédé par ses pratiques onanistes - en gros plan - le visage, surtout le visage ; tous ses instants d'inattention attribués sans hésiter à ses rêves doigtés. Elle ne pense qu'à moi, à deux doigts de moi. Fais-le, fais-le pour moi je t'en supplie. Mais si par mégarde, dans le feu des explications, Mollen se laissait aller à la passion de la grammaire, il affleurait de ses doigts, de sa main prématurément parcheminée, ou le frémissement indistinct d'une épaule, un frémissement intérieur, une contraction terminale.

    Ils se congédiaient sans savoir que dire, comblant l'instant où elle se rajustait dans son manteau par des propos anodins et contraints. Parfois, elle amenait sa fille au cours. Une petite de quatre ans, sanglée dans de longs imper bleu marine, le nez déjà pincé, le teint déjà jaune, les yeux craintifs. Il lui donnait à feuilleter des images qu'elle feuilletait d'une main morne. De temps en temps elle se levait, venait vers sa mère enlisée dans le marais des ablatifs absolus, et répétait mécaniquement quand est-ce qu'on s'en va ?

     

    Seize degrés au milieu du salon. Pour aider le monde à surmonter ce que l'on commençait à nommer, pour les 50 années à venir, "la crise économique", il s'était promis de n'allumer que juste au-dessous de 15. Le tissu mince de son pantalon lui plaquait les cuisses comme un linge humide. Dehors se déchaînait le flux atroce de la circulation. Parfois les vitres tremblaient.

     

    X

     

    2022 01 28

    Sa femme à présent parcourait les lettres de sa maîtresse. Ils s'en gaussaient ensemble. Parfois, resté seul, il se sent parcouru d'un frisson glacé, comme un couteau de glace dans son cœur.

     

    22 02 02

    Nouvelles errances

    "Bureau de Placement pour Homosexuel(le)s"

    Vaste salle de bureau des Postes. Guichets sur un comptoir unique, séparés par des tringles verticales portant des néons. Tous les employés sourient. Jabel est souriant. Inquiet. Ce sont les premiers pas qu'il fait.. Il se souvient qu'il ne doit, ici, sourire aux femmes qu'en camarade. Ce jour-là, les préjugés sont respectés : toutes laides, ou quelconques. Il retient au fond des yeux ses lueurs lubriques et possessives, restes de son ancienne vie. Aux guichet règnent les files d'attente, mais nul ne s'impatiente – à bien regarder, les femmes sont nettement majoritaires. Des files de filles. Derrière lui, progressivement, l'espace se transforme en cantine grouillante. Il est étrange en vérité de voir les plats s'acheminer à bouts de bras au-dessus des néons de guichets. Il n'y a pas d'autre accès pour eux. Maintenant c'est le tour de Jabel : un employé lui tend un imprimé en dessous d'une choucroute, il faut remplir un questionnaire et le remettre au guichet suivant, le 16. Le guichetier continue de sourire dans l'odeur de cuisine, cela leur fait du bien à tous les deux.

    Jabel s'isole, remplit son formulaire, il ne parle à personne. Quel soulagement de ne plus se croire tenu, pour peu qu'on aperçoive une femme, de lui faire des avances, flirt et baise gymnastique. Il pensait que c'étaient plutôt les femmes qui éprouvaient cela. Au-dessus de certains guichets, sous la barre du néon, des écriteaux précisent que si l'on décroche un engagement, il ne faut pas "compter séduire le personnel". Et aussi : "Au cas où vous seriez refusé, ne vous suicidez pas" – une main a rajouté "ici". Or juste à côté de lui, tandis qu'il achève d'écrire, un petit ange mortuaire lève une tête ironique et boudeuse : "Suicide ? - As-tu donné ton véritable nom ? - Vousotocars pourrez changer plus tard. Mais ici, on donne son vrai nom."

    La fille lui désigne, au guichet, un homme qui tend quelque chose au guichetier : une carte officielle d'identité. Par-dessus l'épaule de l'homme on voit luire un crâne chauve d'employé, surmonté d'un grand plat de saucisses. "Et en plus, je suis juive" - "en plus" ? il comprend soudain et se tait. La fille lui montre une carte où s'étale un nom polonais comme Wdažnievski. Jabel déchire son formulaire : il a triché. "Vous êtes ashkénaze" dit-elle. Jabel ne dément pas je ne la reverrai jamais tous deux s'assoient à la même table, en s'éloignant un peu. Face à eux, un couple hétéro vient d'achever son repas : ils se tiennent pas le bras, assis, rêvassant. L'homme dit Vous vous plairez ici, j'en suis sûr.

    - Mais ici, reprend l'autre, c'est transitoire ? Ou bien, y a-t-il hôtel, dortoir ? Est-ce qu'on ne finit pas toujours par se faire chasser, pour échouer – précisément – ici ? Je suppose même que les gérants – se refilent nos noms...

    - Le personnel garde le sourire. Il ne vous forcera pas la main. Tous ici comprennent votre cas. Vous n'avez pas encore franchi le pas.

    - ...de la délinquance ?

    - ...ou depuis si longtemps que c'est à refaire.

    - ...vous nous suggérez de retomber dans le délit ?

    - Vous serez à nouveau conquis, par leur gentillesse, par toutes leurs manières. Il règne parmi nous une extrême compréhension. Jubel, par exemple, n'a aucun problème à se faire accepter. Il s'apprivoise. Un jour il franchira le pas."

    Il a regagné sa voiture, stationnée près du parapet. Il froisse sans y penser, au fond de sa poche, l'adresse qu'on lui a donnée. La rue passe sous un porche, puis d'un coup descend en spirale, et lui aussi, d'un coup, s'arrête et tire le frein à main : la chaussée, par-dessous, ne repose sur rien, rien d'autre que de frêles étais de métal, comme un toboggan – ce qui veut dire qu'à l'aller, sans y prendre garde, il a roulé sur l'abîme. Et de part et d'autre, en grands demi-cercles, toute la cité s'étageait en terrasses. Et sous lui, en contrebas, d'autres étagements de toits plats, roses, percés çà et là de bouquets de cyprès. À coup sûr, pas Florence. Le ciel d'après-midi est devenu clair et bleu. Il traversa au ralenti tout un quartier de parcs abandonnés, de murs à demi éboulés.

    Sur un long terrassement à pente douce l'attendaient les Koniev, accompagnés de son épouse Elisabeth. "Laisse ta voiture, monte avec nous !" s'écriaient-ils toutes portes ouvertes, "il reste une place !" Mais il secouait la tête, sans se dérider, tandis qu'Elisabeth, sans insister, l'avait rejoint. Ils roulaient à présent tous deux dans les interminables faubourgs, et le couple Koniev tourbillonnait sans fin dans sa tête. Il avait sa femme à côté de lui, sans plus penser à elle qu'à une annexe humaine. Une ombre, que ses yeux intérieurs traversaient. Ivan Koniev, sa stupidité joyeuse, ses moustachettes, ses lorgnons de ferraille ; Archipova et son chignon noir, son rire édenté. Collants, collés l'un à l'autre, fidèles et fiers de l'être on en reparlera dans dix ans – il regarda sa femme de côté, perdue dans ses songes elle aussi.

    Ils longent de hautes grilles de cimetière, lourde, garnie de ferronneries sans grâce, enchaînés à deux énormes piliers d'entrée ; passé le faubourg de Grave Vecchie, c'est à nouveau la pleine ville, puis une autre, aux accès défendus par un immense embouteillage : carrefours à angles morts, feux rouges à mi-longueurs d'autocars. Ils s'arrêtent pour prier, dans un hangar eclésiastique où l'encens combat misérablement les gaz d'échappement. Derrière eux un homme. Puis deux, puis un autre couple. Le jeune curé les pousse à chanter : "C'est de la merde, chante pas ça." Un coup d'oeil en arrière : des costumes fripés, des gueules de pauvres, une répétition de patronage.

    Une petite fille toute seule, qui à peine arrivée s'impatiente. Et le curé. Qui reprend tout. Qui exige l'immobilité totale, quitte à tour reprendre du début. La gamine en blanc s'agite et rigole, le curé pété de dignité se retient de rire. Pour finir la fillette victorieuse se met à courir à travers la salle, personne ne la rattrape. Nous sommes toujours le 2 février, 2022, le jour où je suis tombé amoureux d'Anne Bettendorf, masturbée chronique. Les filles n'ont pas besoin des garçons. Ni pour jouir, ni pour chier. Mais l'immortalité, je l'aurai. Quand il n'y aura plus de hiérarchie, que la mienne, quand tout le monde vomira sa salade sur mes pieds.

    Le monde ne sera plus rien face à moi. J'aurai démontré le néant du monde, je me dresserai sur ses ruines. Cela se peut. Physiquement. Un mur calciné par exemple. J'explique : tu deviens comme tous les autres, puis tu les détruis tous. Légitime, non ? Comme un père. Tu rates ta vie comme un père, puis te le renie (le ratage, et le père - caïd et victime - et là, tu t'embrouilles grave). Et le 3 du mois, tu vois ton public, tu te touches, tu te salues pour te reconnaître. Plus loin c'est interdit (serrer des mains dans la rue, te dépasser, te respecter) - liberté de t'écrire, tu te postes ta lettre et tu l'ouvres avec impatience, tu souffles sur tes lignes Petit ange dors / Ou je vais mourir on n'existe que par le regard d'autrui ne détourne pas tes yeux distraits si tu prends pitié de toi sois maudit.

    Aux bons soins des éditions Jeanne, Beauvais. Je vous ferai classe pour vous distraire. Je serai ridicule pour vous. Tous punis sans motifs ("Qui me punit, et de quoi ?") Mars. La terre sous mon poids, pas celle du paysan (sa puissance et ses composants - pas de science, pas d'instincts, juste ces racines sous moi). Le souffle neuf de la nature, lecture d'Esther au bord du fossé, Tarn-et-Garonne, Clermont-Ferrand. tout voir entre l'écrit et ce que je lis, sans sujet à gérer - à cela, rien de pénible. Amour sacré de tous les musées. Le 4 mars entrée à Nérigean ; il s'agit bien d'enfance ! ...il s'agit de mythologie. En dix leçons, Le Grand Meaulnes. Mon père. D'autres rêves. Tout ce qui, autour de mon père, formait le halo de ce qu'il aurait voulu être. Et j'arriverais juste pour la rentrée des classes... Qu'ils étaient minuscules ! mon père avit régné sur ces tribus de pygmées, dans un hameaui comme celui-ci. Il y faisait froid et venteux, comme aujourd'hui.. ------------------------------------------------

    Carmensac

    La notion de terroir se nourrit au croisement de l'artificiel et du réel. Il y faut, pour le créer, un apport de soi. Je voudrais partager les propos de cez paysans, roulant voiture. Renouer connaissance avec ces gens simples de mon enfance.

     

    Citon

    Regarde. C'est extraordinaire. Tant de petites aventures. Mes seules petites aventures à moi. Saine aigreur des vents de couchant. Au loin le grondement fiévreux de l'autoroute.

     

    2022 03 04

    Ici trop d'entièreté. C'est effrayant. Tant de pages pour savoir pourquoi j'écris, pourquoi nous écrivons tous. Tant de naïvetés, de fleur de peau. Ce souci comédien de plaire, de considérer toujours l'effet sur le public, Ecrire, ce qui n'est rien, mais jusqu'à penser en fonction en fonction de cela. S'obséder sourdement sur des facteurs de productivité, à l'instar d'un haut-fourneau, fonte grise ou fer pur, pourvu que le laitier s'écoule. Tant de pages ou de kilos par jour, et la certitude d'avoir fait tout ce qu'il faut pour coller ses pages dans un manuel consultable, dans le missel séculaire des textes.

    Rien n'est moins assuré. Sartre voulait très tôt se voir lu dans le Manuel de Lanson, ancêtre du Lagarde et Michard. J'étais rassuré. Plus encore par la vie sans risque, bourgeoise, que j'imaginais : pas même le risque d'une vie bohème. Sartre, par ses moeurs, est resté un bourgeois. Il n'a jamais renié son appartenance à la race d'élité qui se perpétue, vents ou marées, par tous les livres à travers les siècles ; notion de décadence égale ...? Je me relis (à tort) pour vérifier que tout cohère...Bien sûr, nous sommes situés, historiquement. Déjà la multitude de mes interlocuteurs m'effraye. Sartre m'a enseigné à écrire pour tous, aussi bien pour le Vietnamien que pouir le péone.

    Apprenons à chacun, sur la planète, à s'y reconnaître. Pourtant, bienfaiteur de l'humanité, c'est bien dépassé. En quoi le Tintoret, par exemple, l'a-t-il servie ? Que d'inconnus dans le dictionnaire... même parmi ceux qu'on a représentés... Trois quarts d'heure après, je découvre la solution : accepter qu'il n'y en ait jamais. En vérité, c'est là écrire comme à seize ans... "Toujours, creuser, en position douloureuse..." Vanité, enfance. Questionnement sans cesse, sur la vanité de se faire éditer, sur ce fameux approfondissement que l'écriture serait impuissante à réaliser... Sans oublier les relations humaines...

    6 mars 2022, au soir : un adolescent fourbu de rabâchage, traînant déjà 30 ans d'existence, confie aux papiers l'écoute d'une Marche funèbre et triomphale de Berlioz. "Extraordinaire". "Fatigue noble" écrit-il. Pas celle du pue-la-sueur, mais celle de l'amateur, de l'homme qui "étudie ses sensations", qui marcherait "à l'infini à la traîne de [s]es cercueils". Militaire, il "aimait défiler", il ne le fit qu'une fois. Au pas. "J'aime m'agenouiller". Nul tyran n'a songé à faire défiler sur ses genoux. Seul le Christ, et ce qui se targue de divinité. Ces funérailles impliquent une profonde pitié pour lé héros tombé (Siegfried,...) - une grande pitié pour soi-même...

    Mourir en héros... Héros de quoi d'ailleurs... Mourir à la Chateaubriand. Mon siècle, c'est le XIXe. Je serai le Réac Superbe. Je le glorifierai. Ayons le courage d'être facho. Prométhée Enchaîné, sinistre Sirène enclouée, j'avertis ; éloignez-vous de mes parages : je suis privé du droit d'être libre. Soyez-le, du moins. J'expie. J'expie avec douceur des fautes imaginées, qui n'en sont cependant pas moins réelles. Démoniaque, j'aime les robots, d'admire l'uniforme. Ô splendides robots esthètes, ne tuez pas. On ne s'échappe pas. Sic sum, neque aliter. Je crois en l'âme, en Dieu et en l'Eternité personnifiée, vive Péguy (Heureux ceux qui sont morts...)

    7 mars 2022

    Fossés remplis d'eau, d'herbes et de reflets.

    Ligne droite allongée au long des barbelés, au pied des saules.

    S'abstraire des bruits du bitume.

    Retrouver, par-delà les haies d'osier,

    Les prés peignés par les crues.

    A deux pas du tumulte, des hommes qui vont quelque part, se trouve toujours un chemin qui tourne virage dangereux texte garé de travers

    et toujours s'efforcer de penser, d'écrire à tout jamais même en dessous, pour indispensablement d'autres encore - conscience - égale - paralysie - si c'est absent : débride la plaie.

    Plaine de lignes intégrant vignes câbles et clôtures

    Bruit de l'avion recouvrant comme la pelle sur la tombe l'aboi âpre et propriétaire du Chien et par dessus ma tête au-devant de moi le grésillement des 735 KV si je courais très vite il y aurait cet angle nécessaire et calculable où l'arc me frapperait en plein - terrible ignorance - rebrousser chemin - quand je reviens au véhicule hermétique et chauffé, sensation d'un foyer retrouvé.

    9 mars 2022

    Qu'est-ce que la pensée. Qu'est-ce que l'écriture. A trente ans comme à seize. Où la direction s'estompe.

     

     

    ACTIVITES PRO le glorieux

    2011 Réussis le concours d'entrée aux IPES, propédeutique et

    deux certificats de licence.

     

    2012 Maître auxiliaire à N.

     

    2013 Surveillant à St-Léon

     

    2014 Etudiant à Tours

     

    2015 A Rennes 1er poste d'enseignement. Pédagogie encore brouillonne mais nettement libertaire

     

     

    ACT. LITTERAIRES

    Tenue d'un journal, essais de réflexions éparses sur Hitler.

    Réfection des « Grenouilles » d'Aristophane.

    DESTIN

    ETUDE DU MILIEU

    Riche activité sexuelle : prostituées accueillantes, elles, au moins ; homosexualité passive. Commence illico un traitement psy.

    Peur panique des élèves.

     

    Mariage.

    Découverte de la férocité bornée de tout supérieur hiérarchique, quel qu'il soit.

     

    Découverte de la lâcheté dépressive du conjoint ; de l'amour possible d'une autre (M.B.)

    Découverte de la révolution, incompréhension totale d'icelle, enthousiasme non moins total.

    Découverte de la saloperie inhérente de tout sup. hiérarchique, indistinctement.

    (2011 – 2036)

    PROBLEMATIQUE

    ET PERSPECTIVES

    DIALECTIQUES

    Veux devenir écrivain – mais n'écris pas.

    Amitié avec un groupe d'étudiants : Cremoux, Dardennet, Fourchade.

    Année d'alcoolisme et de bonheur. Camaraderie féminine toujours en abondance.

    Découverte du milieu cannois de la danse.

    Découverte de l'amour de tête masculin, de la camaraderie masculine.

    Naissance d'une vocation de voyageur amateur d'hôtels.

    Désir de solitude

     

    2014 Maître auxiliaire à L.

    Cours sur Les 3 messes basses, apprécié (applaudi). Cours sur Le Cid, inénarrable. Sauvetage de Frei, fille de 16 ans balancée en 6e.

     

    2017 Tintélian. Fantaisie appréciée en classe. Cours : sur les causes de la guerre 70, lectures du Sous-préfet aux champs, Tristan et Iseut, Zorbec le Gras, applaudis.

     

    2018 Beauvoisy. Cours appréciés. Les 3 messes basses encore applaudies. Pontivy. Que des garçons. Ambiance détestable.

    ACT. LITTERAIRES

    Monségur 47, 1e version (il y en aura 6) – toutes refusées.

    Toujours Monségur 47.

    Lecture du Rivage des Syrtes.

     

    ETUDE DU MILIEU

    Découverte du sinistre des cimetières, des promenades avec le Père.

    Confirmation du caractère salopard inhérent à toute fonction de supérieur hiérarchique.

    PROBLEMATIQUE

    ET PERSPECTIVES

    DIALECTIQUES

     

    Connaissance avec O'Storpe, seul chevelu.

    ACTIVITES PRO

    2019 CPR à Rennes

    Cours sérieux, super-

    visés hélas par des

    conseillers pédagogiques.

     

    2020 GAMBRIAC

    Grand succès : cours

    de 2h à 90 élèves sur la

    musique : je commence

    par Sylvie Vartan et je

    remonte le temps ;

    2h après, 90 élèves

    écoutent religieusement

    du Bach...

    2019 VARIGNAC

    Inéresse toute une classe à « Horace » de Corneille. Considéré par certains (Pauty !) comme « le meilleur prof de tout l'établissement »...

    ACT. LITTERAIRES

     

    Le chemin des Parfaits, 1e version (avril)

    Le test, 1e version 28 12

    Les quêteurs de beauté,

    sept. 73, 1è version

    Jehan de Tours, 1e version.

    Le ch. des Pfts, 2e v. (03)

    Ventadour, 1e v. (22 05)

    Jehan de Tours, 2e v.

    (amour de tête homosexuel)

    Le bûcher d'Elissa, 12 09 2022, 1e version.

    ETUDE DU MILIEU

     

    Deux filles stagiaires;

    Sentéral et Polissé. Mais

    je suis réservé.

    Je méprise ouvertement mes collègues sans m'en

    rendre compte... Ils me le renvoient...

    Amoureux fou de toute ma classe de 3e A, presque uniquement des

    filles.

     

    PROBLEMATIQUE

    ET PERSPECTIVES

    DIALECTIQUES

     

    NAISSANCE DE

    LILI 24 02

    15 05 2017 13h35/13h45

    Près d'une femme. Trouble agréable et fauchant.

    Ne sais que dire : tout idiot ou convenu à mon goût.

     

    Rêve : lapin mangé

    : victime compissée de filles (en intraveineuses)

    Masochisme – dispersion du moi, vivant dans chaque parcelle de l'ostie.

    ! Avec Marie-José renversée sur les poubelles de Condé

    ! Les poils roux. La goutte d'urine.

    ! Clotilde contre le mur du puits.

    L'instituteur sanguinaire pompe le sang de la carotide. Extases sur le lino du palier.

     

    Mon enfance, c'est surtout Louvetière et St-Lyson. La petite chapelle au grenier, autel, dessins (par moi) du chemin de croix.

    Je bande en lisant les récits d'écorchements assyriens, d'écrasement par éléphant, etc.

    Ecueil : que ça devienne du Michel Leiris.

    Tous ces souvenirs sont banals.

    Ma mère nue et sans poils, immaculée.

    Le père, sexe coincé entre les jambes.

    Quand il... à côté de moi dans le lit à Guimbreville.

    Raconter le voyage ? ---> Echec : voyage en 2016 dans les Pyrénées, le traversin que ma mère veut intercaler entre lui et moi.

    Lourdes. Les vieux. La mère qui clopine. La procession.

    Gavarnie. Volupté du renoncement culpabilisant de ma mère.

    @ J'assume le masochisme-sadisme de chaque membre du couple.

    Complicité moi-mon père : lac de Gaube, rucher de Pasly.

    Le rucher

    critiques de ma mère

    l' « homme-aux-abeilles »

    petit bois, lié aux « creuttes » d'arrière, les accidents.

    Le pique-nique familial...

    @ Quand j'y repense, tout n'est pas si sombre.

    Je me suis complu à ne me souvenir que du désagréable.

    Explorations de Pasly solitaire, en parlant seul. Les creuttes visibles.

    La pulvériseuse.

    Le monde imaginaire, à lier à mes souvenirs.

    Charabia, - biens, bœufs, boisx [sic] =, etc...

    « Gratter à la binette » les escaliers de Buzancy.

    L'œil-de-bœuf, les élèves en rangs qui s'éloignent. La cour semblait immense.

    ÷ Je me vois toujours gai, pas plus insupportable qu'un autre, très marqué par la promiscuité, simplement.

    Désolidarisation de celui qui s'est cru persécuté

    mais n'oublions pas que mes chocs subis ont été réels.

    Mes souvenirs, à la file, mais creusés, isolés en épisodes finis, sans exagérer, ne pas faire un recueil pour Eurêka...

    Ces sujets m'intéressent, mais il me les faut terminer (lapsus freudien ?) - DO miner.

    Antécédents : Le grand Meaulnes, etc., Pagnol.

    Orgueil : rentrer dans un cadre littéraire commun aux autres.

     

     

    Je ne veux faire l'attendri que les jours où je le serai sinon j'aimerais être aigre et sanglant.

    Comment utiliser tous ces matériaux ?

    THEMES

    Titre global de l'œuvre : « La mécanique compensatoire »

    Thèmes entrevus :

    promenades seul avec le Père (à Tanger, interruption)

    (quelques-unes après le mariage) – Escapades. Mon père m'adorait,

    comme une prolongation de lui. Il pouvait sans honte s'aimer

    en moi.

     

     

    I – Promenades mémorables

    1. a) avec le Père

     

    Vers les ruches, en jouant au “si c'était”, aux métiers (20 questions)

    Transposer le Père en grand frère, plutôt.

    1. b) seul

    Mes deux étapes obligatoires : église (= interdits sexuels, sermons du Père) et cimetière ---> mère,

    obsédée par la mort, }

    ou plutôt le Temps } pour apaiser ma culpabilité de la quitter.

    Le voyage était pour retrouver mon père, et ma mère...

     

    II Mes cimetières

    Liés à mes souvenirs de Carlepont.

    (penser au cimetière de ce village, “familles Jamais-Renié”, “Despoires-Gâtey”), cauchemar de la tombe qui crève la terre et se fend.

    Je dessinais des cimetières à Carlepont.

    Ma cousine, 12 ans, se masturbant pendant que j'enfonçais mes doigts...

    (j'étais alors attiré par le vagin, et pas du tout par le clitoris, “petit bout de chair”.)

    J'aimerais revivre ça, mais avec conscience, et non pas mon ignorance d'alors.

    ---> Françoise confirmée en Bernadette de Nantes

    (qui peut faire l'objet d'une nouvelle) (voir le résumé)

    surtout bannir le réalisme-souvenir

    | Je masque pour intéresser, non pas que je veuille cacher, puisqu'au contraire : exhibitionniste, mais pour ne pas parler de moi.

    Il faut que les autres puissent se retrouver à travers mon individu.


    Faire même du porno si ça peut me défouler.

    Ex : cours d'anatomie sur Bernadette avec le dico médical à côté.

    ----> C'est alors que je me suis mis à surestimer le clitoris (découvert cela) { . Révélation d'un certain androgynisme de la femme

    { ---> Peur du clitoris-pénis ? du Père ?

    en tout cas : ça coïncide avec les interdictions furibondes qui ont pesé sur mon flirt avec Babette N. (qui, lui, s'amorçait normalement, comme pour n'importe quel garçon de 14 ans)/

    Ici j'arrête de vouloir penser.

     

    04 06 2019 Rêveries d'avenir

    Wi-Fou-Wo, succès.

    D'où vient ce goût des femmes mûres ?

    J'ai plus (ou autant) besoin de protéger que de l'être.

    Amour resté en bouton pour ma mère, ne demandant qu'à s'épanouir pour une autre ?

    N.B. Désir plutôt de se blottir, de cunnilingus... ---> Honorer le pénis de la mère, se concilier ses grâces.

     

    Ma mère était mon père, mon père était mon frère.

    Désir en tout cas de sécurité : une femme mûre ne m'en fera pas voir comme une jeune fille.

    Une délation est à craindre.

     

    Imaginer une conversation entre moi et Bernadette, qui aurait 18-20 ans, seuls, comme j'aimerais, où nous rappellerions ces moments : “Suis-je encore un salaud pour toi (vous) ?”

    J'aurais encore du désir pour elle ; mais les scènes érotiques avec la Bernadette de 20 ans seraient imaginées. A la fin, une ellipse comme : “Elle dégrafa son soutien-gorge...”

    Rappeler des épisodes par la conversation.

    Promenade avec mon père = faire l'amour avec mon père.

    Fellation : emmagasiner sa force

    m'humilier d'en avoir douté parce que je me sens coupable

    1. mon “viol” de Claude, de Cyrille.

    Me rappeler comme j'étais, pâmé, pensant à cet instituteur-vampire.

    Je ne trouvais pas mon père assez sévère, assez puissant, tant ma mère l'avait diminué ; peur de l'orage, des éclairs (il tonne en ce moment, justement).

    Le désir que mes parents meurent : commun avec l'humanité...

    J'aime me faire peur avec des histoires de mort.

    Devenu plus lucide – avec d'autres femmes, je verrai…

     

    Relations homosexuelles, culpabilisantes, pour “rattraper”. Je pliais exagérément, à 16 ans, sous mon père ; en réalité, j'aurais (peut-être ?) pu faire ce que j'avais voulu, car il n'avait pas d'autorité réelle.

    Voilà pourquoi j'ai passé sans cesse des examens, m'abstenant de toute aventure. Voilà d'où viendrait ma paralysie avec les filles.

    Je jouis mieux quand je me répète : “Tu fais ce que la société attend de toi.”

     

    Ce n'est pas la fille qui me fait peur ; c'est une main qui me retient de l'intérieur. Si je surmontais cette “crampe”, il me semble qu'une vague d'indifférence molle me submergerait ---> interdit surmonté ---> castration effective.

    Il faudrait qu'alors je pense “Merde papa”, et que j'avance le bras...

    Apprendre à l'autre la masturbation ou la voir pratiquer ---> désir de partager avec l'autre (sexe) la culpabilité de l'onanisme.

    Quand je la vois faire, je lui dis d'arrêter, par peur qu'elle devienne idiote - ! ? -

    Désir de manger l'autre (penser aux phantasmes où je me voyais mangé). Je me précipite avec la bouche (léger dégoût, style “faut y aller” - en diminution maintenant) pour éviter un contact avec le sexe.

    C'est une conjuration.

    Entrave posée au développement sexuel ordinaire.

    Régression à la sexualité infantile.

    Paralysie : je dois réellement me forcer. Véritable panique. Je sens, de plus, que cette panique, un accès de raison, me ferait dire : “Et puis non, n'y allons pas.”

    Avec E., je n'ai jamais eu cette paralysie, même au début. 6 06 2019

    Conception de la vie – Conception de la littérature

    La vie comme un don – La littérature comme un don.

    “Soyez parfaits comme votre père céleste est parfait”

    Le présent. Le présent éternel. Je suis le soleil qui réchauffe ses enfants.

    Le sage n'a pas besoin des autres. Il trouve en soi l'atma, le brahma, sa force.

     

    Editions : sans arrêt

     

    Je lis Arnaud Desjardins.

    Renoncer me fait frémir. J'ai besoin que ce soit très progressif.

    Balancer mon carnet vert ? Peut-être un jour, en emménageant, facile.

     

    A Elias Fels ? en cours de réintégration dans un vaste cycle.

    Je souhaite : liberté – extension indéfinie de l'ego. Pour cela, détruire l'ego afin de s'en faire un nouveau.

    Réussir d'abord, renoncer ensuite.

    Pourquoi est-ce que je veux écrire ? Réaction de défense contre l'engourdissement qui me gagne. Servir. Prendre la résolution de brûler ces papiers.

    Voyez ce que vous pouvez attendre en fonction de ce que vous pouvez donner”.

    Une femme supporte un mari brutal.”. “Accepter sa destinée, car c'est toujours celle qui vous convenait le mieux” - au fond, je n'ai aucune idée de révolte. Mais je voudrais bien ne pas tourner à la passivité. Préjugé : quand on Est, on ne pense plus à rien. Or j'aime la diversité, le tumulte de mes pensées. Ce que je veux ? la Liberté, qu'on me foute la paix.

    Servir : ça c'est facile ; renoncer à mon moi, à mes tics...

    C'est normal au début. Quand quelqu'un meurt, je crie “Liberté !” même si ça n'a aucun rapport. Je veux ça, et aussi 1) laisser un nom 2) baiser 3) du fric. Comme tout le monde. Mais avant que je renonce, je voudrais un tout petit peu.

    Echec professionnel : impensable ; ma profession est de servir, justement.

    Mais autre obstacle :

    il faut parler à ces femmes avant de les toucher.

    Problème des relations humaines

    - de la conversation.

    Progrès fictivement constatés : - je sais marcher (plier le genou, mes pas moins grands)

    j'ai moins peur des élèves

    je sais répondre à n'importe qui sur n'importe quoi, reprendre sur le dernier sujet abordé.

    A faire : - parler le premier (et pas uniquement avec les yeux)

    - pousser la conversation jusque sur le terrain physique

    ne pas être frappé d'impuissance ou de brutalité au dernier moment.

    Et je peux très bien écrire pour servir.

    arrière-pensée : ainsi mon moi sera satisfait par la gloire.

    Il faudrait plutôt savoir : par quoi puis-je le mieux servir ?

    Ecrire n'est pas si mal.

    Vouloir baiser “pour servir” par exemple... Après laisser tomber, mais d'abord...

    Ecrire : expression du moi, ex-pression, ensuite, débarras. Ne pas avoir peur – toutes les tendances sadiques, etc : cela me libèrera – mais cela risque d'entraîner d'autres vers les mauvaises voies.

    Fric : peut-être ce dont je me passerais le plus aisément (rester du moins dans mes limites actuelles ; mais si je n'avais pas une femme...)

    Ma femme est à sa manière l'instrument de la volonté de Dieu. Tout se brouille un peu.

     

    Il faut un maître... encore un psychiatre ?

    Le problème le plus intéressant pour moi (j'y reviens toujours) : la création littéraire.

    Avant baiser. Car c'est ma justification. Mon ego en a besoin.

    Il doit s'en purifier, au moins.

     

    Plus tard

     

    Voilà. Il paraît que je suis fait pour écrire. C'est O'Storpe qui l'a dit. Et O'Storpe, c'est quelque chose (intercaler le passage sur lui) – un double, mais distingué, britannique et tout, futur raté comme moi – conjurons ! conjurons ! Comme je lui disais hier : “Patrick, tu es tellement beau, que si j'avais le courage d'être pédé” (suivez-bien mon intonation je vous prie) “je te sauterais aux couilles ! - Génial...” (Il ricanait) … Génial...” Flatté, gloussant. “Je t'agrandis tes cartes géographiques, je te les reproduis sur soie, je te trouve un imprimeur, c'est l'imagination pure”... “Tu ferais des conférences.” ...Que je me souvienne seulement que je suis un mortel, un artiste mortel. Un Victor Hugo mortel. Faites que je digresse moins. Faites que... Faites que...

    “C'est l'enfance qui va resurgir devant vous bonnes gens, un pays qui sort de l'eau, tout plat, tout géométrique, sous forme de carte. Géographie à plat. Ce ne sont pas des souvenirs que je vais raconter avec la pointe d'assaisonnement à l'ail façon Pagnol. C'est du sérieux. C'est le plus sérieux. “

    Première carte. Arkhangelt. Epaisse comme un limon. Molle comme un berceau. Mes armées sillonèrent ce royaume, déchiré, attaqué par une mondiale Coalition – venue du Sud, du Soleil, du Père ? J'avais inventé d'autres pays plus au sud, “au Sud du Sud” ; mais de sanglantes batailles avaient eu raison d'eux tous (à Ste-Françoise-le-Lac) – là, je vous l'accorde : Françoise, c'est ma cousine, qui m'a si l'on peut dire dépucelé ; le lac, symbole sexuel évident ; la bataille des culpabilités – nous tournions autour des tonneaux debout, sous les gouttières : “Dis Aline, on les recommencera nos cochonneries ? - Tais-toi, si tu veux qu'on puisse les refaire !”

    ...Les escargots volants, la pulvériseuse, le char... Tout cela s'expliquera. Il y avait – il était une fois une arme, terrible, très efficace, mais aussi, très imprécise. Visait-on un groupe, celui du milieu s'abattait, les deux autres restaient indemnes. Mais je vous expliquerai plus tard ce qu'était la pulvériseuse.

     

    VRAC 30 08 2020

     

    On met du temps à devenir jeune (Picasso)

     

    N'ouvre pas si tôt tes remugles entrecuissiers : je ne mérite pas d'être sauvé. Je chie sur tous les Rédempteurs. Sauvetage obligatoire. Demandez et il vous sera accordé. Tendez la main on vous hissera. Trois fois.

     

    Ah, ce n'est pas moi qui écris ; ah, ce n'est pas moi ; vous allez voir, petits merdeux superficiels.

     

    Défoulons-nous d'abord. Souillons. Soyons grands ensuite. « Et on te couronne pour ça ? » Ma mère, ma con de mère, confinée dans son « Bonnes Soirées » confite au Guy Lux... Ne te retourne pas dans ton cercueil, ça fait de la poussière, et ça pue... (...bis...)

    L'addition s'allonge ! quel compte à régler ! quelle horreur !

     

    Tu t'es laissé avoir par le sommeil et la facilité.

    Sois puant.

     

    Le chien, ma fille, le chien, ma femme, et mes parents larmoyants suppliants à l'arrière-plan : déterrez-moi tout ça ! déchampignonnez-le moi ! Et pourtant c'est vivant... mais ça pue comme une grille d'égout, où passent, dans les eaux de vaisselle, les immondices streptocoqués. Je déteste tout le monde sauf moi ? Mon mépris de moi n'est pas sincère. Je ne me sens même pas dégueulasse – parce que je mens. Il existe une autre vérité – merde aux lénifiants.

    Dans 15 jours, j'y verrai plus clair.

     

    2020/2021 ?

     

    La haine, d'abord : le fruit de la haine, l'amour.

     

    Si tu crois être immortel, prends garde, tu es un con. Si tu crois que tu écris, tu es un con. Si du haut de ton heure matinale, tel jour, tu te vois, tu te considères en train d'écrire, tu es un con. Car rien de tout cela ne pèsera plus qu'un nuage de poussière au jour du Jugement. Amen.

     

    La radio gueule, et Thérèse est dedans. Les chansonnettes pour Thérèse. Je hais ceux qui me font du bien, en me cernant, en me dictant de leurs faces enlarmées ce que je dois faire.

     

    Tu ignores que faire le Mal sauve plus que faire le Bien, car le Bien est identique, et le Mal multiple. Malheur à qui s'abandonne en chemin !

    Car ce que je dénie, et conchie, c'est ce que j'aime. Malheur aux cons catéchumènes qui en sont restés aux préjugés d'antan !

     

    16 – 10 – 2020

    J'aime surtout rêver. Une douce lumière d'après-midi joue sur mes pages. Douce également la musique. Éviter l'élégie.

    Tantôt d'une méthode, tantôt d'une autre. Ils s'obstinent longtemps, même et surtout si c'est inadapté, si c'est inefficace. La pipe s'ils en ont se fume, l'inspiration traîne, parfois jusqu'au talent. Et de reprendre sans cesse, de récrire en mieux. A d'autres, qu'ils ignorent, d'assiéger les maisons de passe à livres, de nouer d'appréciables connaissances, ce que les miens ne savent pas faire. De se faire publier. Mais ceux que j'aime ne sont pas de ceux-là. Ils n'osent habiter nulle capitale, ils n'oseraient paraître. Et c'est à longueur d'heures qu'ils écrivent, glanées parmi leurs emplois du temps besogneux, nourris de ce qu'ils ne peuvent, ne savent écrire.

    Je songe à Marcel Proust qui raconte en trois tomes comment il s'est enfin décidé à composer ; à Joachim Du Bellay, qui explique tout au long sa manière d'être inspiré. Mais Joachim fut seigneur, et Marcel riche. Ceux dont je parle se consolent en se penchant sur eux, sur leurs liasses provinciales d'impuissants sympathiques dont les rêves alimenteront quelques jeunes suiveurs. D'autres pipes, la lumière s'intensifie, l'esprit s'émousse, l'auteur s'arrête, retourne à ses briques, à ses copies, touche à ses limites, dans une époque aussi noire qu'une autre. Il sait qu'aux temps constants de décadence chacun perd. Il admet difficilement qu'une seule page suffise. S'il savait qu'il la referait, il songerait à l'humanité. Voici pour finir le moment crucial. Fini de baguenauder de la quéquette. Il faut s'attaquer à un sujet, sortir de soi. Un courant d'air qu'ils supportent mal.

     

     

    X

     

    Il était une fois un schizophrène (bis). Il exerçait le doux métier de professeur et lassait tout un chacun de ses nombrileries. Il voulait ne jamais quitter l'œuf. Écrire sans effort, au fil de la plume. Et s'indignait qu'on vînt le lui reprocher. Comment écrire sans souffrir ? Comment oser dresser son flûtiau parmi les grands arrachés des puissants trombones ? Cependant ne va pas succomber au piège de la méthode. Noter successivement n'est pas l'unique salut. Libre à toi de penser qu'un peu de publicité, qu'un peu d'admiration habituelle, transformerait tes manuscrits en belles pages au programme. Souviens-toi de la page sur Céline, parce qu'il faut bien décemment, parler de lui ; mais trois pages pour les « poèmes unanimistes » de Jules Romains, normalien, de l'Académie Française ; ainsi se retrouve-t-on étiqueté dans la vaste armoire à confitures de l'Histoire.

    Survient soudain le Révolutionnaire, ignorant tout de Proust et de Gide, et qui te fusille pour tiédeur. X

    Parfum d'église - Orgue de Haendel

    Chaque heure mûrit et se gâte. Le fiel du temps perdu. L'absence de souffrance se fait cruellement sentir. Le pain amer de la réflexion se révèle indispensable. Jamais pourtant le niveau de mon soc ne s'abaissera au-dessous de la croûte terrestre. Le soc fixe l'éphémère. L'ennui se déguise en rêve, la musique en pensée -

    30 10 2020

    Dépayse-moi. Dans le temps et dans l'espace. Laisse couler devant moi le fleuve d'acier où surnage et tourne une sirène bleue. Verse-moi les rythmes et hache mon rêve, et le soleil qui baisse baisse derrière la vitre et va m'atteindre. Une vieille solitaire à sa table sphinx banal ouvre son sac répugnant, chairs supposées molles et moleskine empestée, comment deux êtres qui s'aiment peuvent-ils se retrouver, petites ailes errantes, tonne, juke-box, mâche ta laine de verre. Ombres passantes ouvrant la porte dont les reflets sans me trouver me cherchent, la musique de joie tout étrangère, à travers des dix et quinze ans, à travers les crachouillis d'un transistor tout contre mon oreille.

    Buffet de gare lieu d'avortements de rêves répugnants sitôt qu'approchés, peines d'autrui aux parfums d'asticots dans votre main, moment présent soleil verre acier musique -

    Suspendu aux projets d'autrui, ne suis-je pas coupable de devancer autrui, d'imposer à l'autre mes projets confus. Force de la double vie, impuissance face aux barres de fer qui tombent en cage. Le massacre par le silence. Convoquer l'amitié ou la répudier quand on le veut. Je serais sûr de trouver quelque chose, si j'étais seul. Idéal classique : la coïncidence de la pensée et de la forme ; la recherche de l'Eternel humain par l'étude de soi seul. « Le vieillard s'intéresse à son nombril ; le jeune, au monde. Le monde gît au nombril des vieillard. Lao-Tseu. Lève-toi descendance, aube crépusculaire.

     

    X

     

    Cinq heures et quart (je pensais autrefois que c'était 10 minutes, et 15 minutes, un quart). Je pense en Jérémie à la vitesse de la pensée (la plainte donne des ailes). Nous regarderions depuis notre trône avec un sourire béat l'estimable troupeau des humains qui feuilletteraient notre livre. Le livre unique que notre rêve rêva d'écrire. Un jour tout sera langue morte, lettre morte. Version de potaches à venir. Jetant parfois vers le ciel de longs regards humides d'allégresse et de reconnaissance. Tout l'univers sera peuplé de nos semblables. Comme ils doivent être heureux, les rédacteurs de la Bible, sur leur petit nuage chauffant.

    Mais pour offrir à l'Homme un ouvrage à sa mesure, il faut lui demander ce qu'il préfère. Il paraît que c'est à reconnaître l'autre que l'on devient adulte ! Comme on doit se sentir humble, terrorisé ! Cette terreur qui rôde en cercles... Notre cerveau l'aura captée comme une source d'énergie ; bénéfique et logique. Les autres me font plus peur que la mort. Que pourrions-nous leur offrir - qu'ils n'aient déjà dévoré ? en sont-ils plus avancés ? Forger l'humanité à son image – Dieu lui-même n'a pas assez tenu compte qu'il n'était pas seul au monde. La vérité n'est pas belle à regarder. C'est Jean Rostand qui le dit...

    A l'hôtel nous avons jeté Cioran dans la corbeille. Ce sont des suées d'angoisses – l'humain dévore tous ses livres. Même s'ils la flattent. Immense est l'Himalaya des clichés, profonds les ravins humanistes – vue de l'esprit, petit morceau des mémoires – vous, là, l'ermite ! sur le vrai chemin, vraiment ? les figues et le riz dans la gamelle ? quelle honte aussi longtemps que ce n'est pas nous... Le Mont des Pleins d'Allant se tient en face, percé de carrières à ciel ouvert mais moins que l'autre. Ici tu méprises quiconque n'est pas toi. Demain matin nous dépendrons d'un véhicule pour nous rendre à nos lieux de travail. Nous devrons parler au conducteur – Nietzsche, que ferais-tu ? nous faut-il donc dissimuler ? nager dans ses brumes – que le moindre coup d'épée tranche en tronçons. Et le moi de chair est le seul agissant – le sceptre d'Aladin retourne dans sa lampe et ferme sa gueule encombrante. Quiconque le suivra sur ses chemins de liberté, ce Moi génial, affrontera les cris et les larmes des abandonnés, jusqu'à l'incarcération, jusqu'à la décollation. Nietzsche divague.

    Souffrance viscérale des angoisses vides : ce que vous faites d'elles ? cette furie de se taire, ce silence d'autrui ? Silence des disciples qui n'écoutent plus, pourquoi répondre disaient-ils si vous vous en foutez ? Le conducteur chantonne une rengaine entre ses dents, la femme que j'aime est terrassée par le mutisme.

     

    23 mars 2024

    Se peut-il que le vin m'abêtisse à ce point ?

    "Rafles nouées au cœur des forêts mortes" - excellent, gratuit, hors du monde, à chier.

    Se peut-il que vous hantent seules les fesses en gouttes d'huile d'une basketteuse.

    "Tonner contre l'injustice" (Flaubert ?) mais l'injustice est loin et le ventre bien lourd. Le mal que j'ai à simplement me faire.

    Trop de monde et je suis en situation. Je le découvre juste. La route gèle. Ce sera dur demain. Un ami écrit à son ami. Cela fera de la littérature.

    Corps, corps sans fin qui montent l'escalier. Ces fesses, ces rires. Qui atteindre ? Verrou tiré. Nous n'atteindrons que nous-mêmes. Nous ne violerons que nous.

    L'alcool tisse un voile plus fort. L'alcool renforce le voile réticent. Femmes, reconnaissance et gloire il sort de tout cela une invincible immaturité, inébranlable barrière. Ni communication ni connaissance. Pensées cousues dans le manteau malade du Non-Être. Je dessinais mon arbre jusqu'aux lisières de la feuille, l'arbre ne s'arrêtait jamais, sans autres je ne suis rien. Jean que j'aime pour la frime, Jean pour le décor. D'autres modèleront le nez dans cette forme informe. Ils parleront plus fort que nous. Une heure pour la frime, une heure pour soi : raisonnable ?

    Quand le temps presse et que la vie est douce. J'envisageais déjà ce que je veux bien faire : garnir les boîtes aux lettres. M'envoyer à tous vents. Semeur perclus aux graines trop pesantes. Jamais les corbeaux ne veulent ni n'obtiennent de réponses. Pensées dissoutes. Circulation sous les fenêtres. Rires des basketteuses sur la rue gelée. Lecteur hochant la tête avec componction. Ni art ni littérature. Ici n'attendre nulles fondations, jalons, espoirs. Ni langue. Je pleure et je ricane. Ce sont là nos médailles. Aujourd'hui posthume. Plan bien net et emploi du temps.

    L'autocar est reparti avec ses basketteuses. Après quelques chansons innocemment paillardes, elles s'assoupiront. Un autre jour elles danseraient, les hanches à craquer les falzars, J'aimerais être l'une d'entre elles, ou l'un d'entre n'importe qui. Que je sache en quoi je ressemble, ou diffère. Je ne suis pas gauchiste, ni collectiviste, je veux juste être regardé, juste être (mon odeur s'évanouira, ainsi que notre obscénité) - faites que nous comprenions tous un jour.

    29 avril 2022

     

    Je ne parle bien que de moi. Arielle portraiture à l'atelier une jeune femme. Je reste seul pour garder Giulia. Tout y passerait, du coq à l'âne, en une interminable récapitulation. Un document paraît-il. Qui n'intéresserait personne. Renoncer à écrire est si dur ! C'est là que se situe la dignité. Les pages s'allongeraient à l'infini. Comme un long chemin creux défoncé par les tracteurs. Je sentis alors une bouffée pince-cœur de mes amours de 18 ans. Je voulais combler mes étapes. C'était mon noviciat. Maggy s'asseyait volontiers sous un arbre, « pour rêver à son ombre ». Nous nos promenions loin de tous, de prairie en fourré, et toujours chastement.

    Même je me souviens qu'elle refusait de desserrer les dents pour nous embrasser. Ma langue butait contre ses incisives. Je n'ai jamais rien osé de plus que la serrer tout habillée dans l'herbe contre moi. C'est elle, et non mon père seulement, que je cherche dans les odeurs d'herbe foulée, dans les brindilles que je tourne entre mes dents. Les promenades avec mon père datent de plus loin. Et ce frémissement de la résurrection que j'ai senti dans le chemin, c'éait Maggy qui me l'avait donné, le souvenir de Maggy, et non celui de mon père. Tout cela n'intéresse que moi. Qui peut le dire. Qui relit ces interminables confessions enfouies dans les commodes de famille. Combien de vies de femmes, en particulier.

    Je suis une femme. Ou bien, une quinquagénaire. « Tu parles comme à 50 ans » Qui a bien pu me donner cette âme défleurie… Qui m'a placé dans l'âme cette plainte perpétuelle,Cet apitoiement sans relâche. Sans avoir pu connaître Henri Miller ni Charon. J'ai serré la main de Béjart sur les marches du Grand Théâtre de Bordeaux. Nous avons frôlé le grand monde Arielle et moi. Nous avions 22 ans. Puis les névroses ont exigé leur tribut. Celle d'Arielle, et la mienne. Ainsi donc cette femme, ce modèle est venue. Elle s'est poliment penchée sur le petit lit où reposait dans la pénombre l'ombre de Sonia. Je suis seul à présent dans le foutoir intitulé « salon », parmi le feutrement intermittent des voitures, et du frottement de mes chaussettes sur le radiateur éteint.

    Ariel est descendue chercher le transistor : le tourne-disque a grillé. Vie délibérément choisie, médiocre choisie. Médiocre universel, œuvre géniale. Le parfum terne que chacun souhaite. Humains enfouis, humains à plaindre. Somnolents, bâillant. Si je tenais le marteau-piqueur, je n'écrirais pas. Qu'est-ce qu'un « personnage » ? est-ce que je me ressens ? Niveau gratte-peau. Pleurez, doux alcyons, pleurez – à mon commandement : ouin-in-in-in – j'entends là-haut des airs d'opéra, un chien à quelques rues… Je ne m'appartiens pas – le passé m'appartient. Ce n'est pas moi, empaqueté. Ma mémoire. Je suis responsable. Moment délicieux. Vérifier la fermeture de la porte – pas d'idées nouvelles. En plein été je porte un pull léger.

     

    X

     

     

    22 04 30

    Prendre la plume assombrit. Je viens de lire un court chapitre sur le donjon de Bassoues dans le Gers. Il me semble sentir encore les chaleurs des étés, les bourdonnements des insectes. L'herbe odorante. Autres fadaises. Sensations désormais sans communication. Brume et désuétude.

     

    22 05 20 salle 11

    La salle froide et sans germes. Pieds d'enfants ammoniaqués, d'avant-hier. Carte géologique aux rouges et bleus crus-chauds. Simple espace où viendront se caser les rêves multiples et agrandissants.

     

    22 06 07

    Jean-Paul Lascassier aligne des mots. « L'écrivain déteste les mots » : titre ? Qui demande nos histoires ? nos ennuis ? L'extase de la puissance ! disaient-ils ! D'où vient le mal rongeur de Jean-Paul ? de son corps ? il faut bien manger, bien dormir. Ô légions étrangères si épanouies ! Les tourments qu'on écrit seront-ils nécessairement les plus légers ? C'est pour que l'on dise plus tard pauvre de lui – qu'il a souffert…

     

    22 08 10

    Très vite comme on se soûle. Que j'écrive. Journal d'Anaïs Nin. Qui vit ce qu'elle rêve au moment même. En telle compagnie. J'ai mon Miller, j'ai mon Artaud. Je vis dans la dissimulation. Elle ne souhaitait pas qu'on lise. Quinze mille pages. Pas avant trente ans. En être encore à me laisser guider par le dernier à parler fort. Je voudrais tout récrire. Plus encore à mon écoute, à mes envies – chemin de perdition.

     

    22 08 11

    June ignore ce qu'est la sincérité, vit dans le reflet des autres. Oui, j'ai joué. Après avoir lu je récris, désormais je signe – errances épuisantes au milieu de la ville. À grandes enjambées entre les bassins à flot – pavés, rails interminables serpentants et cisaillés venus des murs d'usine et disparaissant – préférer le discours d'un hindou à tout voyage en Inde – survivre plutôt en personnage qu'en homme « et j'ai horreur de ce qu'écrit Henry, ce qui nous fait rester en alerte, pour enregistrer » - ce sans quoi nous n'existerions pas – d'où vient ce qui nous éveille ? « ...et nous joignons nos mains » - ces gestes impossibles entre hommes -la main d'O'Letermsen pendant derrière le fauteuil et mon cul tandis qu'il conduisait de l'autre Tu es si beau que si j'étais pédé je te … - Génial, répétait-il, génial ; pourquoi n,'écris-tu pas ? tu as peur... » « June n'atteint pas le même centre sexuel de l'être que l'homme. Cela, elle ne le touche pas. Qu'émeut-elle donc en moi ? » - tout fixer à mesure, citation 2101 – profiter du matin, coincé ente l'éveil imminent de l'enfant et l'envie physiologique de pisser.

    Toujours l'obsession du Jugement. L'odieuse adolescente obsession de la postérité (ce n'est pas le texte primitif ; ce n'est jamais le texte primitif). Je vivrai en 52, en 62, et je serai lu. Moi qui me relis, je crève de gêne June est une personnalité développée jusqu'à ses extrêmes limites. J'admirais ce « savoir-blesser » qu'elle avait, qu'elle n'a plus à présent que nos dents sont tombées je suis prête disait-elle à m'y faire sacrifier. Critique des mots et des jours disparus. Ma petite se réveille dans le vacarme des autobus. Quand trouverons-nous enfin ce qui nous faut à la campagne. June magnifie tous ceux qu'elle voit, en fait-elle autant de nous dès qu'elle cesse de nous voir, dois-je le croire ? (Le Prince vit encore. Ô ciel, puis-je le crère ? - Il arrive, Princesse, et tout couvert de glaire)tant de chaleur, tant d'influence et d'importance accordée à des gens sans emploi et qui peut-être ne sont que des sots…

    Je ne pourrais me passionner ainsi que pour les personnages d'un roman.

     

     

    22 08 2112

    Je pourrais admirer June. Nous en parlons Arielle et moi.

    Elles se sont brouillées pour des raisons obscures.

    Mal présentées de l'une, et rejetées de l'autre.

    Nous en parlons aussi, Arielle se calme. Il n'existe pas tant de personnalités exceptionnelle. Seule existe une vision universelle de l'exceptionnel. Tout génie parfois s'oublie dans le banal, tout citoyen banal peut dévoiler en lui, soudainement, un puits sans fond, comme une fillette creusant toute nue un trou de sable sur la plage révèle d'un seul coup son vagin béant jusqu'au col de l'utérus. Ceux qui m'auront marqué au front : June, Lazare, Gourribs les dernières années. O'Letermsen. Arielle serait scandalisée de ces noms que je rapproche. Les deux premiers pour elle sont des traîtres, qui nous ont promis leur amitié puis se sont mêlés de nos affaires.

    O'Letermsen trouve grâce, après qu'elle a cru en son mépris – bonne intuition de sa partLe troisième ici nommé nous semble superficiel, brouillon et, pour tout dire, vulgaire. Il la repousse, il m'attire. Cet homme, ce serait moi, si j'avais mal tourné. Ainsi critiquais-je « le monde avec désinvolture ». Déjà en ces temps-là nous ne voyions plus personne. Le trio strictement familial nous accapare. Ne viennent plus que les anciens amis d'Arielle, qu'elle apprécie à proportion qu'ils m'indiffèrent. Nommons-les Guissou et Christine. Ils ne me plaisent pas. Pourquoi ne divorçons-nous pas. Pourquoi suis-je si peu fidèle à ceux qui m'ont marqué. Ne cherche pas à leur plaire. Assurément, ma bien-aimée. Mais s'ils viennent, comment leur faire mauvais visage ? (« Je n'ai rien contre ta liberté d'opinion, mais je me passerai bien de l'entendre »). Et quand Arielle veut aller chez eux, comment me dispenser de faire le taxi ?

    Puis-je décemment rester au volant comme un larbin tandis que Madame rend visite ? Exaspérante Anaïs Nin, exaspérante Arielle. Ces deux noms désignent l'arrière-petit-fils (ninn) et le lion de Dieu. « À maintes reprises je suis entré dans le réalisme et l'ai trouvé aride, limité. À maintes reprises je suis retourné à la poésie ». C'est à moi que la poésie semble limitée, le réalisme, inépuisable. Bory me fascine. Parler davantage équivaudrait à une dissertation ()

     

    22 08 15

    Tenir l'instant sous la pointe du stylo. Quinze août, vacuité. Un chat blanc sur le toit vitré. Une radio lointaine. Ce matin j'ai fermé la fenêtre - « ...sous aucun prétexte ! » - pas de grand-mère – prétexte de l'Agrégation pour s'enfermer et flâner d'esprit. Une mouche, la rue. Les yeux les lunettes se brouillent. La poitrine s'approfondit. Ce matin la bestiole nous a réveillés à 7h. Si je laissais ma tête errer, ce serait le sommeil. Je lis L'Énéide.

     

    22 08 18

    Ces textes sont retouchés. Stylisés. Ils ne peuvent prétendre à l'historicité, ni au document. Ce serait bien. Mais faux. En ce temps-là Mes parents vivaient. Capitaliser les Je, Me, Moi, Mon. Puisqu'ils sont l'objet de reproches. Faire chier. Parents si faibles, aux yeux ridés. À présent Mes égaux. « Ne tiens pas compte de ce que nous avons dit hier soir ». Pourtant quel feu roulant, incohérent, de névrosés. J'aurais pu les engueuler. Tous les arguments sont spécieux. Jeanne et M. (qui était-ce?) se disputant un personnage extraordinaire, moi-même appelé autrement. Baiser goulu à « ma petite gouine ». Les deux autres estiment la scène inconvenante « car on dirait plutôt deux femmes » - lesquelles ?

     

    22 08 22

    Impressions médiocres de digestion indéfiniment prolongée. Table en plein air, débarrassée, carreaux bleus et blancs. Du vent. Les beuglements saisissants de Chaliapine et ses coups de mâchoires. Les paroles d'une jeune fille en pantalon rouge suivie des yeux jusqu'au tournant de l'allée. Ma fille allongée sur la couverture, la tête appuyée sur un coussin vert. Le bonheur et l'ennui. Les chats de Georges Benoît qui bondissent dans l'herbe. Sonia qui les hèle à petits cris aigus. Debout, puis se rallonge et ramène sur elle la couverture. La jeune fille revient portant un plateau d'aluminium. Joli balancement imperceptible de ses hanches de vierge – ridicule. Sonia me regarde écrire. Le ciel s'est ouvert. Promenade merveilleuse avec Sonia. Mais il est fastidieux et difficile de rêver par écrit à l'évènement récent. » Il nous fallait de l'extraordinaire… « Elle me tenait la main et courait en me regardant au risque de trébucher.

    Je lui parlais sans cesse, lui montrant les fleurs et les arbres. Elle a longuement regardé un cheval qui passait, traînant à pas comptés une charrette. Ensuite il a fallu porter ma petite fille. « Dans moins de 16 ans, devenue majeure, elle se séparerait de moi. » Mauvais pronostic. « Cette faculté des casaniers de s'attacher au détail, au fixe changeant. Ainsi les gravillons des bords de route, vaste écroulement de blocs où peinent les fourmis.

    « Il ne peut écrire qu'en s'excitant lui-même à la haine ». Anaïs Nin, Journal 1932 (June Miller à propos de Henry Miller). « À noter » - comment peut-on se passionner pour les êtres à ce point ? Anaïs Nin se fait le témoin d'un couple. Faut-il imiter Anaïs Nin ? « ...je me sens tout à fait humaine, parce que mon angoisse veut les posséder, tous les deux ». Même situation en 2014 entre T. et Mireille. Jamais je n'ai pu établir de véritable contact avec T. Deux Américains scrutés par une Américaine parviennent à toucher, lorsqu'en particulier Miller observe que June est devenue compréhensive : « Tout est venu trop tard»… les efforts de June vers le normal, qui sont venus trop tard, pour replâtrer notre amour, notre union – nouvelle habitation, voyager, élever S. - mais il manque l'étincelle « Je vois » (qui parle?) « tout cela venir trop tard, j'ai passé mon chemin. Et je dois maintenant, à coup sûr, vivre avec elle, pour un temps, un triste et beau mensonge » (Henry Miller?) (jusqu'à « vivre avec elle », le reste se rapportant plutôt à notre seconde rencontre en 2012 n.s. où elle s'était montrée prête à moi pour me conserver faute de mieux. 

    Anaïs devient pour finir le miroir des surmoi, nul ne voulant quitter la belle image de soi en elle… Arielle serait mon miroir ? Douteux. « June, qui au fond n'a pas de force, ne peut la prouver que par sa puissance destructrice ». J'écris, je me réapproprie. Carnet de citations : c'est ainsi que Montaigne a commencé – qu'importe ce que je fais, c'est ce que je suis qui importe. Juste l'opposé de Sartre. Plus loin encore : l'idée de ce que je suis. L'autre peut bien avoir l'idée qu'il veut. Arielle ne me lit plus. J'écris à l'aveuglette. « Elle a épuisé ses sentiments, elle en a trop joué ; il est vide de toute émotion. » « Écrire est une vie plus vraie que la vraie vie » - ou celle des Anciens aux Enfers : lumière terne, personnages ombreux…

    Ce que j'aime chez Anaïs, c'est qu'elle écrit son journal non pour soi, mais pour ses amis, à qui elle s'exhibe – est-ce que je l'intéresse encore ? Est-ce que tout reste à dire ? Tout surpris d'apprendre que je ne l'intéresse plus guère physiquement – jr croyais, moi, que « du moment que j'étais là, que je bandais » (qui parle ici?) la chose allait de soi. Je suis donc moi aussi un objet érotique, un objet d'amour ? Chaleur, par l'émotion de se sentir désormais vulnérable, par ces pages qu'elle va lire. Tout reste à dire, en dépit des semblants. Ce serait véritablement angoissant de penser pour de bon n'être plus aimé. Cela vous ferait presque respecter l'autre, et chercher à le conquérir. Ce soir je regarde Arielle comme une femme à conquérir, avec inquiétude. Je déteste recopier ceci après plus de quarante années. Sa présence comme sujet est obsédante. Cela sera passionnant, et pour une fois un risque de la connaître.

    23 08 2022

    Sur les châteaux : ce qui m'attire vers eux, ce sera la force, les puissantes assises aussi solides que des jambes écartées.

     

    X

     

    Anaïs Nin again, exaspérante disais-je et fascinante par sa féminité, par sa docilité à se conformer à l'injonction « sois femme », son empressement à sauver eux qui ne le lui demandent pas, ou pis encore, qui le lui demandent – et surtout son refus du laid, son goût « artiste », ce que je prenais pour la « distinction » d'Arielle et que j'ai réussi à défaire, comme un nœud. Henry ne pouvait plus avoir pitié de June. Cette rage qu'ont les femmes de vouloir être aimées – cette rage les pousse à tomber malades. Cela provoque en moi de la répulsion.

    « Je me révolte » (dit-elle ? - ' « contre la sagesse, la sublimation » - qu'apporte la psychanalyse ?

     

    26 août 2022 (quinze ans juste avant la mort de mon père) -

    Sonia joue avec des filles plus âgées, au charme infini déjà. En l'an 22 déjà, je prétends devoir âtre jaloux dès le premier flirt. J'avais «appris » cela, ce serait une quasi-  « obligation ». On ne devrait jamais rien lire, disais-je, afin d'avoir vraiment ses sensations à soi. Ces réactions « apprises » plus que « naturelles » ne se sont pas manifestées du tout comme prévu. Je la promenais au Jardin Public. À la glissoire : « Dépêche-toi ». Au manège : « Ça ne marche pas ». Aux balançoires : « C'est fermé » .

     

    X

     

    Je pensais : « L'artiste », avais-je lu dans les manuels, « retrouve une unité dans le disparate ». Pour moi je ne le souhaite pas. Je ne veux pas « détenir » la clef du monde ? « L'unité, c'est toi-même » Ah ben évidemment. Vu comme ça… Anaïs Nin écrit : « Tout est moi, parce que j'ai rejeté toutes les conventions, l'opinion du monde et toutes ses lois ». Mais le monde que nous avons souhaité est celui du prêche, à mi-chemin de la réalité et de son exclusion. Influencer sans se risquer. Conseiller sans agir. Je suis trop faible voyez-vous, je me laisserais avoir.

    (Observer. Flâner. Sentir.)

     

     

    ICI S'INSÈRE UN CURIEUX FRAGMENT, NON DATÉ, portant les numéros de pages « 15 » et « 16 ».

    Anne Jalevski annote ces réflexions, indiquant une « page 158 » à laquelle se référerait le texte.

     

    « Disons que je la » (?) traite quand même <comme une femme> , comme ma première image (ma mère) de la femme, alors que je me transforme pour plaire à toutes les autres femmes. Il faudrait que j'ose me montrer désagréable avec les autres femmes et ce serait à bon escient, bien sûr, quitte à perdre la « possibilité » d'être accepté d'elles.

    Le patient hait le médecin parce qu'il rouvre la blessure et il se hait lui-même de se laisser toucher : cette citation, reportée au moteur de recherche Google, si décrié par les humanistes DE MON CUL, a levé le mystère : il s'agit du MOI DIVISÉ de Ronald Laing, le plus pur génie de la psychiatrie. Il meurt d'une crise cardiaque pendant un match de tennis à Saint-Tropez en 1989. Et ceci vient encore du moteur de recherche si couvert de fange par la gauche, qui est devenue l'incarnation même des sorbonagres et sorbonicoles torpillés par François Rabelais.

    « Je voudrais bien laisser tout cela, dormir en effet, dans l'appréhension de la crise du « retour d'âge », 47 ans.

    Cf. p. 149 (bas) : Haïr sans être coupable. Le patient est effrayé par ses propres problèmes car ce sont eux qui l'ont détruit.

    | Avec un ψχ femme, j'aurais davantage l'impression de me mesurer à quelqu'un de ma taille, alors

    |qu'un homme n'est pas à la hauteur.

    J'aimerais, exact, être violé par le médecin : qu'il me choque serait salutaire (cela prouverait (?) que je ne lui serais pas indifférent – du moins, professionnellement.

    ÉVITER QUE QUOI QUE CE SOIT VOUS PÉNÈTRE

    (on peut détruire le médecin, ou être détruit)

    ø Mon « moi » social est hélas bel et bien, en partie, moi.

    Les créatures que je rencontre dans Ce macchabée disait sont de faux oi. Accentuer la banalité Guy Luxienne de Michel Parmentier.

    « Je suis prisonnière, mais pas seule ».

    « Il pourrait être aussi terrible de voir de quoi j'ai l'air. Parce que, alors, je pourrais constater que je suis comme les autres gens d'ici.

    | J'ai encore peur d'abandonner la caverne, malgré ses horreurs, car c'est seulement là | | que je me sens capable de conserver un certain sens de mon identité (exact)|

    « Oui, je veux retrouver la caverne.

    Là, je sais où je suis ».

    Il faudrait pouvoir se souvenir, ou savoir, que sa mère vous a aimé lorsqu'on était tout petit. Tu parles !

    Schizophrénie = différence à préserver ( ? ? ? )

    Se sentir l'enfant du psychiatre : ???

    Mon désir de retraite en effet peut être assimilé à un désir de clinique… « Là, on me laissait tranquille.

    R | « Le monde continuait, à l'extérieur, mais j'avais un monde à l'intérieur de moi, que ||personne ne pouvait atteindre et déranger »

    Oui, mais j'interprète cela sinon comme un progrès, du moins comme une étape vers lui.

    Et ailleurs qu'à la clinique, |au cloître,| qu'aurions-nous, en effet ? À moins de risquer, de lutter…

    Gueuler contre mes parents ou attendre leur mort ?

    Plutôt laisser le statu quo que révéler de plus en plus ses fissures. Aussi bien mon père s'est-il aperçu de tout. Ma mère fait semblant de ne rien savoir. « Les médecins n'ont essayé que d'arranger les choses entre mes parents et moi. C'était sans espoir. »

    Je n'aspire pas à avoir « de nouveaux parents ». Ou alors, à croire enfin en un idéal. Anne, par ses personnages, se serait-elle recréé d'autres parents ?

    Noter : on guérit d'abord semble-t-il en calquant la vision du médecin : je n'existais que parce que vous vouliez que je le fasse.

    Avoir une personnalité relève de l'hybris prométhéenne. Et de l'hybridité.

    ROCHER >>>> insensible |

    AIGLE >>>>>> dévorateur |

    = MÈRE

    L'AIGLE DÉVORATEUR DES ENTRAILLES

    = INVERSE DE L'ALLAITEMENT

    (ce qu'on a empêché Anne de faire)

    AIMER QUELQU'UN = LUI ÊTRE IDENTIQUE

    Exact en ce qui me concerne

    Faim d'amour = faim de bouffe = enlaidissement

    >>> confirmation du manque de mérite de l'amour… (A. écrit : ah non)

     

    X X X X

     

    Schizophrénie = du moi / et du non-moi.

    >>> ÉMOTION = RISQUE DE TUER OU D'ÊTRE TUÉ

    Je ne sens la douleur des autres que comme une mise en accusation (ma mère toujours malade)

    (Anne ajoute : exact ) >>> « Je crois que je me serais tué plutôt

    Heureusement, je n'ai pas eu de désir de non-vie. que de faire du mal à quelqu'un d'autre ».

     

    1. 158 Le spectre du jardin sauvage

     

    Julie, « schizophrène chronique, typiquement « 'inaccessible' »

    Essaie de devenir une personne réelle, ce qu'elle ne se sent pas être.

    « UN ENFANT A ÉTÉ ASSASSINÉ »

     

    FIN des propos de Ronald Laing

    30 08 2022

    L'homme à l'échiquier parvient à Londres. Il sauve un homme qui se noie. Il se rend à la soupe populaire et rencontre des gueux, dignes de Dickens. Il dîne avec Chateaubriand exilé. C'est plat, c'est con. J'écris parce que ça se fait. Mieux vaut être mauvais écrivain que bon maçon. Faute de mieux, sur le vide, comme à seize ans, quand j'en ai 30. Il m'est agréable de prolonger cet état précédant le réveil, ces demi-songes. Agréable et nocif. Le refus de voir clair. Mauvaise interprétation de Rank : s'adapter à son monde signifie s'accepter, ne tenter aucun effort : ??? Otto Rank parle de la culpabilité du non-créateur : j'ai peur, si je m'arrête, de ne pas justement me sentir coupable.

    Et comme je désire conserver ma culpabilité, pour ne pas me sentir banal, je maintiens artificiellement mon besoin de créer. Ce qui est retourner le serpent sur sa queue. Mon snobisme exige ma culpabilité je parle de toi, connard.

    Si je suis débordé je me plains de manquer de temps, mais sitôt que j'en ai, je rêvasse. Comme mon père ? Il faut et il ne faut pas que je lui ressemble ? Je ne serais pas venu sur terre pour recommencer la vie de mon père ? ...avec de gros accès de rage impuissante.

    La pitié que je porte à mon père est un reflet de celle que je voudrais qu'il éprouve à mon égard.

     

    X

     

    Arielle conserve tout. Le moindre bout de papier, le moindre sachet d'emballage. Elle range tout le fatras des documents accumulés depuis des années (en prévision d'une année scolaire ? d'un déménagement ?). Elle consulte des listes de prénoms. Se rapporte sans cesse à son monde intérieur. Je crois à la réalité objective de la vie. Quel idiot.

     

    X

     

    De ma névrose j'aurai fait tout un monde. Chacun fait de ses faiblesses une force, de sa timidité une réserve. Je rêve. Sur Douaumont. Éprouver des émotions me fait sortir de moi, ce devrait être le contraire, éprouver des émotions permet de me justifier. Le vrai moi est négatif, l'émotion me concrétise en m'extériorisant, en m'exilant de moi. Il faut reconnaître le peu que je suis, mon peu. J'en suis à imaginer mon rôle devant un psychiatre. Je leur dédie ces lignes. Savoir qu'à mon âge, et pour toujours, je suis resté et resterai influençable – mais ma parole ! C'est qu'il attend d'aller se coucher ce con ! et il fait du remplissage ! il joue au cerveau brumeux ! ...quand son grand rêve est de créer une grande œuvre d'imagination.

    Au choix : répudier l'imagination, transformer cette répudiation en système, en volonté ; ou bien, plus grotesque, rester à l'affût de toute idée qui passe, le papier le crayon. Envoyer ces extraits à toute espèce de gens.

    J'invente vraiment des trucs idiots. Si je me coupais la droite avec du verre brisé, en plein milieu de la nuit, je le lèverais en vitesse avec le sang qui gicle. Giulia se réveillerait, il faudrait tirer le médecin de son profond sommeil, il me poserait des points de suture, défense d'agiter la main pendant quinze jours, et je m'exercerais férocement sur le piano pour me rééduquer. Au lieu de culpabiliser sur la branlette, je me dirais que je ferais mieux d'écrire, Otto Rank au lieu de Freud. Ne pas pouvoir rendre ce que Dieu m'a donné, en ajoutant ma création aux siennes. Cette interprétation suscite mon agrément. Si c'est impublié, Dieu (soit : la Nature) m'en accorde tout bénéfice.

    Progrès : c'est de reconquérir l'envie. Et on se battait à grands coups de morts. J'en-Parlerai-À-Mon-Psychiatre. Sans milieu d'action je me sens châtré, c'est l'action qui châtre ô connard. Parle-moi encore, et de moi. Est-ce que tu as besoin de moi en ce moment ? - Je fais une pause. Je suis fatiguée. Toute la journée j'ai rangé. Trouver reclasser dessins documents. Submersion du moi par le moi. À 18 ans ils étaient roi de France, à 30 ils avaient conquis le monde.

     

    31 08 2022 ESSAI Un homme cela me contrarie qu'il ait un physique parce que je m'attacherais à un homme.je craindrais qu'il ressemble à mon Père. S'il ressemble à Helmut Berger tout est foutu je l'aime. J'écrivais cela à 30 ans mes personnages ont besoin d'un physique flou dans ma vie le physique était tout l'enfant croit que la laideur est méchanceté l'adulte veut l'amour de toutes les femmes belles au risque de tomber amoureux fou de toutes et l'amour, Chateanbriand, l'amour est encombrant. Je ne peux me mettre ailleurs que dans la peau d'un adolescent prolongé à expérience limitée ne sachant pas à quoi ressemble un couloir d'aéroport ce ne sont pas des corridors mais des halls des halls à n'en plus finir de succession bien entendu je serais riche pour qu'il arrive quelque chose il n'y a qu'aux riches que les choses arrivent les pauvres doivent les chercher et la vie leur dit NON NON NON.

    Nous voyagerions dans le temps et l’espace « à travers les siècles » voici une idée : un moine de Macrobe transcrivant tout le passé une fausse vie [ Cassiodore meilleur encore avec le centre culturel conservatoire du Vivarium acheter tout de suite tout Cassiodore bénie l'époque où rien n'est plus à faire rien de plus urgent que le livre ou l'épée lire ou tuer si simple tout simple mon homme serait à la fois Sidoine et Fels, Elias, musicien des Lumières. Sidoine fait l'objet le sujet d'un Zohar Livre des Splendeurs en cours pour le cours de ma vie cours toujours Les changements d'époque doivent être insensibles impossible techniquement par manque de travail manque d'assiduité le beurre je veux le beurre mon héros veut se jeter d'un pont l'autre homme le retient les voici liés d'une profonde et indéfectible amitié qui n'a rien d'homosexuel par pitié je vous en supplie qu'il n'y ait pas d'homosexualité dans mon livre je vous supplie qu'il n'y ait pas l'ombre d'un pédé parmi nous mais le manuscrit dit ceci : il lui présente sa femme Scène suivante Ils couchent Scène suivante c'est le sauveteur qui veut se tuer Viens dit le premier Je vais te présenter à ma femme et tous deux se mettent à rire (que veut dire « ils » ? en français le pluriel masculin peut aussi bien inclure une femme).

    Je tiens mon sujet. Les voici tous les deux sur une péniCHe jusqu'à ce qu'ils n'aient plus d'essence. Décrire longuement la vie ainsi menée. Ils ont bien sûr laissé les femmes. Ils vivent en troubadours. Chantent dans les châteaux en ruines. Se livrent à des chapardages. Dépouillent même un flic. Séduisent, ou tentent de séduire une ou deux filles en route. L'argent s'épuise. L'un d'eux mendie à la porte d'une église (messe ultrarupine). Salles de jeu de casino. Du réalisme. Surtout pa d'humour. Peut-être que l'un d'eux obtient un emploi, puis l'abandonne. Larcins dans les librairies, échanges de livres.

    Quant aux deux femmes, elles ont aménagé un château somptueux, et en chassent les hommes, qui voudraient revenir, à coups de fusil. Puis ils reviennent, et l'une d'elle part avec un des hommes. Sur la route, ils sont pris par une calèche vers Strasbourg. Nous ne sommes donc pas à notre époque. J'inventerais un bal costumé. Quand ils ressortent de là, ils s'aperçoivent que c'est la rue tout entière qui est devenue un bal costumé.

    Suite, à deux compagnons :

    Disposer une planche entre les motos et jouer aux échecs. Sans rouler, puis en roulant. Attrapent un chat, le tuent, renoncent à le manger pour le jeter sous les roues d'un camion. Finissent par s'emparer d'un camion. Un type était ficelé à l'arrière, veut s'envoyer la femme (devenue) accompagnatrice : « Merci excusez-moi ça faisait si longtemps » - se la joue désinvolte hygiénique. « Où allez-vous ? - M'est égal. Disons Santa Cruz. Je dors en me ligotant. C'est un truc. Un jour j'en ferai un numéro. Prenez-moi 6 cageots de fruits, ramassez-moi ces bidons de lait au bord de la route Prenez en passagers ces enfants, ces ouvriers qui attendent. » Ce service les impatiente.

    Le camionneur les fait descendre. Ils assaillent un train. Dans un compartiment ils font bombance avec le contenu du camion. Halte dans un cimetière. À l'opéra du lieu, jouent les fantômes en se répondant en écho. Repérés par un imprésario qui les engage (Laurel et Hardy, Bibi Fricotin, Tintin) (Bouvard et Pécuchet : Pécuvart et Bouchet). Ils envoient des lettres à n'importe qui. Mon texte serait parfois dans ma langue, doublée à la deuxième ligne en prononciation figurée. Ils parlent et fument toute la nuit, se promènent en ville à l'aube, en compagnie d'une fille qu'ils ne touchent pas, car l'érection continue est une chose très tonifiante.

    Se font dire une messe pour eux seuls dans une minuscule église, où se trouve sur un lutrin une bible illustrée magnifique. Assomment à la fin le curé. « Dieu vous le rendra ! » leur crie-t-il, menaçant. Ils abandonnent cependant la Bible sur le seuil, mais en trouvent une autre pareille sur le seuil d'une autre église, et finalement, une pierre se détache et tombe sur cette deuxième bible, endommagée : « Devons-nous nous séparer ? » Les mains dans les mains évoquant leurs souvenirs et foutent le feu partout partout dans un bistrot mais n’osent pas faire l’amour et se lancent dans une longue longue fuite à mort le premier qui tombe sera tué – qui es-tu ? crois-tu que ce soit de tout faire ensemble, amour pipi action caca – qui permet de mieux se connaître et pourtant tu connais chaque pli de mon corps.Ils s’accusent l’un l’autre de la plus noire ingratitude et tâchent de se poignarder pendant leur sommeil et s’ils veillent se fixent en soufflant Quand crèveras-tu oui quand ?

    Le médecin. Les voici consultants chez le médecin. Salle d’attente comble de reniflards. Déjà une heure. Un jour et deux heures. De quoi manger – Merci. Pour chier c’est dans les coins. Dans son cabinet le toubib manie la sonde et le clystère. Intervertit les greffes de sexes. Décrire si possible l’opération. Je peux en mourir. S’ils sont deux l’enterrement compte un cercueil double à paroi coulissante. Ne reste qu’un seul corps et trois métatarses. L’huissier prend la route avec son clerc. Ils ont rejoint d’autres ménages sodomites. Un congrès se tient au cœur de la Double (Dordogne). En rêve ils escaladent une dune et tombent enculés dans la mer. Alors le jusant rejoint le soleil.

    Alors leurs âmes jointes giclent jusqu’au zénith enfin presque.

    Dès le premier septembre 22 revient le double ou Doppelgänger des Contes et Légendes. Parler à son Double. Dialoguer avec son Double. Qu’ils disent. Ils n’ont donc jamais transpiré. Sué jusqu’à puer. Je ne veux pas rencontrer ça. Plutôt – plutôt, oui, écrire. Ce sera un roman sur la mort. Présence merveilleuse dans son corps. Tout se dévoile. Reflux du zénith jusqu’aux profondeurs du cul. Le cul est un sexe. Que plus rien ne soit engendré. Mon double me dirait ce qu’il faut faire, donnerait une Objectivité à ma Faute.

    Je trouve. Eurisko. Vrisko – Hey Baby - est-ce que tu veux – être mon amie Johnny 1963

    (arranger) dans un bistrot une fausse dispute en fausse langue étrangère

     

    3 septembre 2022

    Toutes mes pensées sont sérieuses. Uniques. Ne pas en laisser échapper une. Je me cogne au Double. Ich musz meinen Doppelgänger verlieren, erst einige Tage, um mich wiederzufingen. Et tous mes hommes porteront ses traits. Mon Double ne doit pas me ressembler. Ne doit pas devenir mon idéal d’amour. Un sexe nouveau, non pas un obscur assouvissement. Beaucoup de déchets quelques perles. Obsession de la mort du père et du journal qu’il tient nécessairement. Je n’ai jamais eu de modèle.

     

     

    8 septembre 2022

    Je ne pense rien du Vietnam ni des séismes de Turquie. Ce qui s’appelle s’en foutre. Seul j’importe. Ce qu’il faut choisir. Ce qu’il faut lire. Écrire de phrases auxquelles on ne croit pas. Desséchées dès qu’elles sortent de soi. Des douleurs de pensées. Pensée écrite, pensée caillée -

    Monsieur,

    Ce que vous écrivez tient du meilleur et du pire, on ne sent, on ne voit pas ce que vous êtes, ce que vous voulez démontrer C.Q.V.V.D. sans que vous sachiez rien ni dont vous auriez peur -

    ne vous justifiez pas je ne suis pas justifié par mes œuvres greffées comme un cancer et ses métastases écrire me rase

    Bienheureux les béats - le vide du morveux.

    De retour de voyage, nous pensions naïvement après cette razzia elles fleuriront de plus belle, nos idées ! Hélas. Les aûtres Écrivains ne sont pas de cette espèce, de mon espèce, Artaud est confus, le chat énorme, étouffe. Jeu avec des socquettes. Le chat m’a griffé. Arielle reviendra. Je ne peux vivre sans elle, sans ordres, euphorie terrible, visions néant. Revenir au stade carnet. Julie couché se repose dans le bruit de la rue. Lecture encore du « Théâtre de Bali » d’Antonin A. C’est une succession de notes répétitives. Mantra confus, éclatant. Rien de classique. Chez Artaud. Forcément. Noter ce que je fais ce qui reste à faire. Afin que je puisse croire ne pas avoir vécu en vain.

    Arielle éprouve elle aussi cette angoisse. Ces après-midi passées dans le salon parmi le vacarme de la circulation. Je suis un génie. Un petit névrosé. Même pas un petit parano. Que j’écrive, que j’écrie. Leçon du structuralisme de Bourniquel. Mais oui mon vieux on à compris. À côté de Moravia tu peux te rhabiller. Une espèce de vie végétative, sans passé ni autre activité que ménage et pouponnage. Un prof qui joue Guignol ou La fatigue à ses élèves et corrige les copies. Arielle croira que j’ai travaillé. Non, j’ai mollassonné. Me suis remis aux « Petites Vieilles » - Carré de Dames. Inadéquation totale entre ces deux torchonneries : cette œuvre et mon esprit. De la pensée. Et encore. Indisposition physique, mauvaises conditions de travail ? Facile…

     

     

     

     

     

     

     

     

    Visite chez Darqué, toujours ce volet de boîte à lettres qui pivote pour vérifier le visage (pas trop crispé, pas trop malade?) - une grosse Portugaise veloutée pain d’épices au carnet de rendez-vous - « permettez » ... Erreur de téléphone mais c’est tout à fait normal une anxiété désamorcée. Rendez-vous rapide.

    Détour par Saint-Ferdinand. Abbé Dagens de permanence après 18h. Église fourre-tout. Une vieille et son pain pour la prière. Encore des croyants, comment peut-on. Vitraux et relents de vieux pieds tous les pieds de fidèles Françoise à Carlepont. Repas rapide Arielle si tendre et trois heures de cours, de métier, 3 leçons 3 merdes monumentales et les mêmes vannes que l’an dernier rit-on d’elles ou de moi les deux mon adjudant. Julie braille et je sombre dans l’exaspération. Horrible irrésolution, métier détesté virant à la ridicule noria et gosse tuante. Démerdez-vous dit le docteur. Démerde-toi. Tes yeux déjà se ferment. .

    18 09 2022

    Ne rien laisser de soi. Retard mental. Jusqu’à satiété, jusqu’à profonde conviction. Le monde prend une dimension nouvelle. La vie n’est que les mots. Remâcher mes jours par les mots – à n’ouvrir qu’après ma mort car l’utilisation ne s’en impose pas ne m’en impose pas Question : Henry Miller écrivait-il à la vanvole, sans retouches ? Il relisait tout, travaillait tout, bossait des seize heures par jour. Les constantes ne changent pas. Ils sont tous pareils. Tous pareils. À l’exact opposé de ce con qui joue. Chasser l’effet, c’est rechercher l’effet. S’écouter parler. Se lire écrire. Personne ne répond. Considérer mon propre regard comme une bénédiction, et comment vont-ils comprendre, au hasard Balthazar au hasard Blanchard – écoute, écoute : quand on a de la personnalité on peut écrire ce que l’on veut ré-ca-pi-tu-lons : discipline et tant pis s’il n’y a pas de suite « une heure par soirée ça devrait aller » même ça même ça je n’en veux plus jene veux plus l’entendre PAPA FAIT 600 BORNES EN AUTO SANS ESCALE ;

    Surtout pas de clin d’œil

    Dès le matin ce regard qui ronge, cet œil qui colle à la peau ce mal de tête ce mal d’agir c’est l’irrésolution Chef c’est l’irrésolution qui me bat là dans la tête et la tempe. Je me revois me dandiner avec mon panier de linge sale j’y va-t-il à la lingerie j’y va-t-il pas, et le corps, suit-il, ce Suisse, les yeux, tout qui tourne, mon pauauvre corps usé avant l’âge qui ressuscitera ce corps de gloire assez.

     

    X

    29 09 2022 18h 35 - 45

    Mélancolie crépusculaire. La feuille sur le volant j’attends à l’arrêt interdit, les voitures me frôlent dans une hargne indifférente. Leçons de danse. Un panneau blanc désigne à l ‘attention des pauvres femmes qui sonnent là, qui se garent vite en dépit de l’interdiction puis s’engouffrent en ramenant sur les seins les pans de leur châle. Des parapluies font la roue au carrefour. Un beau jeune homme aux jeans moulants s’avance dans le rétro puis disparaît de dos. Ciel gris. Feu rouge, orange, vert. La femme ressort tenant à la main sa petite fille. Une 4L, un Solex, un parapluie, des essuie-glace. Un cycliste vient sur moi, me contourne, les yeux déformés sous ses sourcils froncés. Une voiture borgne, un clignotant. Les phares sur la chaussée humide jusque sous la voiture qui précède.

    Deux femmes en bleu. Mélancolie. Cessation.

     

    2 10 2022

    Quand les mots à dire ne passent pas par les mots, mais par les nerfs à vif, les cris, les bras explosants. Une sorte de danse ou d’éclaboussure. Le poing qui cogne et le gémissement qui écorche la gorge, le coup et l’étreinte, du dehors au dedans. L’intérieur est l’ennemi. Celui qui me lit ne trouve rien du monde. Juste moi et lui, entre nous ce trousseau de clés rongées de rouille, monument rongé qui s’élève à la Conscience. L’évènement n’est rien. Plus vide que le miroir que je lui tends. Arielle plongée dans les revues de nus masculins, virils travestis, Speak-Easy Bar. Nous y étions allés trois fois. La Grande Eugène, depuis, s’est tuée ? ...fausse rumeur. Dans ma vie tout est spectacle.

    « Et rien n’arrive, rien ne se passe ; autant rester les bras croisés » (Émile Zola, jeune).

     

    2022, 7 novembre

    Fausse agitation. Vraie agitation. Maladresses. Témoignage direct. Petit garçon. Peur du vide administratif, du monde ouvert comme un gouffre. Le fer roule sous mes oreilles (la rue). Volonté en charpie. Facilités : attention ! Obscurités : attention ! Célébrité : le temps n’est plus. Mérobaude (connu de 363 à 383). Salvien (405-451). Gouffres relatifs. Bien sûr, que je pense au public. Comment non ? C’est pour lui que j’écris. C’est à lui que je veux plaire. L’édition serait mon garant. L’édition mettrait fin à toute critique. Question : les romanciers sont-ils communicatifs ? réponse : oui. Impossible de créer des personnages si l’on n’est pas communicatif. AVENIR : RÉSERVÉ AUX GRANDES GUEULES ; suivent des considérations sur le manque de force.

     

    Enfant

    « Que vous êtes enfant ! » dit-elle. Je tourne aussitôt les talons - il a pris ça mal ! il a pris ça mal ! 

    Cacher la suite e rester droit.

    Il faut « assumer son enfance – qu’est-ce à dire ? ...Assumer ses rêves ? pourquoi tu t’arrêtes ?

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Contes et élucubrations

    COLLIGNON

    CONTES ET ÉLUCUBRATIONS

    Nouvelles (quelle horreur !)

    poignard,meurtre,lumières

     

    Éditions du Tiroir

    Semper clausus

     

    COLLIGNON CONTES ET ÉLUCUBRATIONS

    LÉGITIME DÉFENSE 2

     

     

     

    La rue s'allonge droit comme un couloir entre deux rangées de poteaux électriques. De là- haut tombe tous les trente mètres un cône de lumière. Il est minuit.

    Je reviens à pied du cinéma.

    La rue est déserte.

    Dernier poteau d'ici cent mètres.

    Puis le noir : quartier neuf.

    Avant-dernier poteau. Je regarde dans mon dos la longue enfilade des petits points brillants, qui s'enfoncent, qui s'enfoncent. Le dernier luit au ras de l'horizon.

    Un autre point mouvant, vers moi. C'est une bicyclette. Mon ombre se déplace d'arrière en avant, la bicyclette s'éloigne, voici le dernier poteau dont l'ampoule tremblote – comme si l'électricité en bout de ligne s'était essoufflée, à courir si loin.

    Voici le noir.

    Le lent dégradé de la lumière sur l'asphalte.

    Je ne dois ni ralentir, ni courir.

    La route tourne. Lune nouvelle. Plus d'autre lueur que les étoiles.

    Tu bouges t'es mort.

    J'ai sursauté. Il croit que je veux l'attaquer. Je mords sa main, il m'empoigne, je frappe, je frappe, sa mâchoire sonne, il tombe, j'ai frappé, il perd connaissance, je cogne des mains, des genoux, des pieds, le sang coule à mes mains.

    J'ai ramassé son revolver et envoyé dans le noir une balle, deux balles, trois, des volets claquent, les fenêres envoient leurs lumières, du sang coule vers mes pieds.

    Je me suis mis à courir, parce que personne ne m'aurait cru, je suis allé dans la prairie obscure afin d'y jeter l'arme. J'entendais :

    " Il est mort ?

    - Un médecin !

    - Il est parti par-là !

    J'ai parcouru un large demi-cercle dans la prairie, je suis rentré chez moi pour me barricader.

    Je suis resté assis.. Mes mains et le haut de mon corps sont agités de tremblements.

    J'ai bu. Je me suis passé de l'eau sur le visage, et je crois bien que j'ai pleuré.

    COLLIGNON CONTES ET ÉLUCUBRATIONS

    LÉGITIME DÉFENSE 3

     

     

     

    J'entendais tout un remue-ménage. À soixante mètres de chez moi. Personne ne m'a vu. Toutes lumières éteintes en parfaite sécurité. J'ai revu la scène et ses détails. Je me suis aperçu de ma volupté : des coups d'abord instinctifs, puis une violence, une lucidité de plus en plus fortes, puis j'avais tiré au hasard sur ce corps déjà mort, le revolver se cabrait dans ma main. Premier coup sur la temps déjà mortel.

    Qui était-ce ?

    Une sombre envie à présent qui me ronge. Mais je ne pourrai pas me renier. Je bois.

    Je ne peux pas m'endormir.

    Je n'aurais pas dû fuir. Si je n'en avais pas dit plus qu'il ne fallait, j'aurais été acquité. Il s'esst jeté sur moi, etc. Un fou que j'avais tué. On m'aurait remercié. Ivresse du boxeur qui assomme.

    Je m'endormis très tard sur ces pensées.

    Le lendemain j'ai repris la bicyclette, couteau dans la poche. J'ai préféré le couteau au revolver, parce qu'il est silencieux, mais aussi parce qu'il ne permet plus au corps de se déchaîner. J'aurais même préféré les poings – mais le couteau permet des raffinements. Le soir, toujours pas de lune, le temps est beau, dix heures ont sonné. Je me suis mis dans un fossé, le vélo caché sous les herbes, à douze kilomètres de chez moi. Derrière moi se dressent les ruines inquiétantes d'un lotissement en construction.

    J'ai déjà crevé les ampoules à coups de pierre. L'endroit est bien choisi : bientôt, c'est la sortie du cinéma. Un groupe qui rit et parle fort :

    "Ah ah ! qu'il lui dit comme ça...

    - Tiens, il fait noir.

    - ...et l'autre y répondait...

    - Alors il me met la main sur...

    - ...la mise en scène !...

    - ...je lui dis : ne vous gênez pas !..."

    Le groupe s'éloigne et le bruit de leurs pas. Une ombre attardée suit à vingt mètres. Mon cœur bat, l'homme graillonne, se fouille les poches, je serre mon couteau, vais-je faiblir au dernier instant, je suis un lâche – non, si ?

    Ma gorge est sèche.

    COLLIGNON CONTES ET ÉLUCUBRATIONS

    LÉGITIME DÉFENSE 4

     

     

     

    La sueur pique mes poignets. Il m'a dépassé, je me sens mou comme une chiffe, je sanglote presque, je suis soulagé, comme si j'avais laissé un homme se noyer.

    J'ai envie de pisser.

    Le lendemain soir j'y suis retourné, après avoir bu un demi-litre de vin. Je me suis tapi dans le fossé, les ampoules n'ont pas encore été remplacées. Le vin diffuse en moi. Bandé à bloc et sur le point de me briser d'un coup.

    Et je vis, comme la veille, une ombre qui marchait, d'un pas hésitant. Le :même homme que la veille. Je l'ai frappé la première fois sur la tempe gauche, et j'ai retourné le couteau dans la plaie, pour sortir les esquilles. Puis desserrant les lèvres avec la lame, je l'ai enfoncée dans la gorge, la main dans la bave. J'ai retiré la lame. D'un coup circulaire, j'ai arraché un œil, puis l'autre, que j'ai mis dans ma poche.

    J'ai enfin frappé la poitrine, ouvrant le corsage maculé pour voir à quoi ressemblait un sein de vieille femme. Et j'ai plongé ma lame dans ce sein. J'eus envie d'ouvrir le ventre, mais l'odeur m'aurait incommodé. Je me contentai, à grandes secousses, de lui ouvrir les bras dans le sens de la longueur, et pour finir, j'ai pris le corps exsangue à bout de bras au-dessus de ma tête, pour le projeter sur un tas de parpaings.

    J'étais ivre de vin et de sang. Je ruisselais de sueur, et de sang. Dans ma bouche stagnait un goût (de sang). J'ai enfourché mon vélo, j'ai filé.

    L'air me fouetta, me grisa. La dynamo ronronnait sur le pneumatique. Je supportais une fatigue légère. Je vis une forme blanche, sur le bas-côté. J'ai frappé la jeune femme à la volée, dans le dos. J'ai ressenti à l'avance, dans le bras, la secousse du coup.

    Je freine. Qu'elle est belle. Ses lèvres sont entrouvertes. Je descends l'allonger sur l'herbe. Le sang poisse mes doigts. La lumière des étoiles dessine son nez finemant arqué, ses joues creuses. Je pose ma main sur sa poitrine, son cœur bat.

    Je l'ai prise à bras le corps, j'ai serré très fort, je l'ai embrassée longuement. La police m'a retrouvé au matin, profondément endormi.

    Je suis en prison. J'aime cette femme, qui n'a pas compris. Personne n'a compris. Les psychiatres m'estiment pleinement responsable au moment des faits. Tous croient que je suis un monstre :j'étais simplement en légitime défense.

    COLLIGNON CONTES ET ÉLUCUBRATIONS 5

    LES FAIBLES

     

     

     

    Grand cocktail du prix G. Fumée des cigarettes, atmosphère onctueuse. Henri de Sannes savoure son triomphe. À une extrémité du bar, quelques femmes se sont rassemblées autour du brillant Louis d'Eyraud, parfaitement ivre. Il repose entièrement sur sa jambe droite. Sa voix est forte, ses yeux courent d'un visage à l'autre. Toutes le contemplent.

    À l'autre bout dubar un remous se produit, les hommes trébuchant protègent leur verre, les regards fusillent Michel Magnet qui tente de percer la foule en direction du beau d'Eyraud.

    Louis s'aperçut qu'on ne l'écoutait plus. Il reconnut Michel et planta là ses admiratrices.

    "Ta femme !

    - Nicolettina ?

    - Elle part.

    - Avec Jakubovitch ?"

    Les deux hommes sortent précipitamment.

    "Ils sont devant chez toi. Ils surveillent le déménagement.

    - Bordel de merde !

    - Non, c'est moi qui conduis."

    La Ferrari dévale l'avenue Hersch.

    Michel donne de nouveaux détails.

    Quand ils sont arrivée en tromhe devant le pavillon, Jakubovitch et Nicolettina fuyaient précisément sur la route d'Amiens.

    "Remontez-moi tous ces meubles ! Je suis le mari !

    Les ouvriers haussent les épaules et remontent les meubles.

    "Ce sont eux, dit Jakubovitch.

    - Mon Dieu !"

    Nicolettina se serra contre son ravisseur. Les poursuiveurs, à leurs trousses, dérapèrent. Louis d'Eyraud jura. Il engueula son camarade, puis se reprocha de ne pas avoir surveillé son épouse. Michel se laissa insulter, accéléra :

    "Je prends un raccourci.3

    La Ferrari cahote et débouche juste en travers, à cent mètres des fugitifs. Les deux véhicules s'évitèrent en hurlant.

    COLLIGNON CONTES ET ÉLUCUBRATIONS 6

    LES FAIBLES

     

     

     

    "Jacques, ne le frappe pas.

    - Ta gueule.

    - Tu ne l'aimes pas ! h urle d'Eyraud.

    Il pense : Si je ne casse pas la gueule à cet homme, elle me méprisera.

    L'homme trompé frappa son maître en pleine poitrine, sans entrain. L'autre riposte, d'Eyraud d'arrête de taper. Il traite son adversaire de lâche :

    "Tu n'as aucun mérite à me cogner ! Nicole, je t'aime !"

    Nicole est rentrée se jeter sur les coussins et s'est mise à pleurer.

    ...Michel Magnet hésite.

    Enfin, les deux couples se séparent. Suivons Jakubovitch et Nicolettina, que nous appelleront, pour plus de commodité, Jacques et Nicole.

    Jacques se laisse absorber par la volupté de la conduite automobile. Nicole reconstitue les premiers mois de son mariage : elle avait toujours raison. Louis d'Eyraud ne cessait d'abdiquer, en s'excusant. Elle se rendait à d'innombrables réunions de dames. Ces dernières parlaient de leur mari et les félicitaient en leur absence. Parfois Louis d'Eyraud avait fait les frais , financièrement parlant, de leurs réussite.

    Nicole applaudissait à ces revers de fortune. Elle les apprenait avant que son mari ne l'en eût informée. Tous et toutes le volaient. Louis d'Eyraud, en toute lucidité, se laissait emprunter sans réclamer (...)