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Mystères de la Bêtise

 Nous atteignons là aux mystères du plus et du moins, de l'être et du néant – si nous faisons abstraction du caractère comique et ridicule de nos deux bourgeois badigeonnés, voire gorgés d'instruction. La bêtise aurait ainsi à voir avec le mal, ou pour mieux dire le non-être : et qui ne voit pas sa propre bêtise est plus bête encore que ceux qu'il dénonce. N'oublions pas toutefois que selon Nietzsche Quiconque se méprise se sait toujours un peu gré de ce mépris. Que « je sais que je ne sais rien, mais cela je le sais » ce qui est faux, car nous ne savons pas si nous savons ou si nous ne savons pas. Gardons-nous de l'orgueil, gardons-nous du mépris, gardons-nous du désespoir. Ça fait un sacré numéro de funambule.

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 STATUE DU DOCTEUR CHAMMARD, MAIRE A TULLE JUSQU'A 1919, BIENFAITEUR DE TOUS

 

C'est cela aussi, être philosophe, être un homme, et pour faire plaisir aux connes « être une femme », ce qui est rigoureusement la même chose. Lisons ce texte, de Mme Herschberg-Pierrot en collaboration avec Jacques Neefs : «

 

« La prolifération, l'encombrement et la pesanteur, ainsi que sa persistance qui est comme une provocation (« ils ont si bonne santé ! ») sont bien les traits de la bêtise qui accable, et que Flaubert donne à Bouvard et Pécuchet, en ce moment du roma, la « faculté » de percevoir. Ce sont également ces traits que le roman Bouvard et Pécuchet tout entier attaque, avec une subtile violence : » car ces hommes instruits et qui souffrent au lieu de se résigner, c'est Flaubert lui-même et dédoublé. « C'est que, ajoute encore la lettre : « Ce n'est pas comme dans la vie ordinaire, où ils finissent par vous rendre féroce » (de Flaubert à son oncle Parain du 6 octobre 1850 », retenu qu'il était en quarantaine au large de Rhodes). « Nous sommes très exactement en ce lieu, » poursuivent les auteurs de ce chapitre, « de la « faculté pitoyable », celle de « voir la bêtise et de ne plus la tolérer », » coincés sur un bateau pendant 40 jours par une administration qui craint Dieu sait quelle épidémie, « et où semble s'alimenter la férocité du livre » à venir « de Flaubert, livre de vengeance et de colère, on l'a dit. Voir la participation de Jacques Neefs, « Colères de Flaubert », dans Colères d'écrivains, sous la direction de Martine Boyer-Weinmann de Bout de Mainmatin de Bonheure de Corvée de Chiottes, et Jean-Pierre Martin, Nantes, Editions » (comme cet ouvrage d'ailleurs) Cécile Defaut, 2009 », mais attention, pages 141-164 seulement, je vous entends d'ici renverser tous vos meubles pour vous y précipiter dans l'urgence la plus diarrhéique. Bref ! « La réponse à George Sand citée plus haut » qui aime bien la bêtise parce qu'elle serait un reflet de l'innocence enfantine « est de ce point de vue tout à fait caractéristique : la bêtise ne s'apprivoise pas, ce n'est pas un petit animal qu'on aime ans un coin : elle est massive, pétrifiée et pétrifiante, » (essayez de discuter avec un raciste, juste pour voir : il admettra qu'il a tort, mais il ne pourra pas s'empêcher de reprendre son discours exactement au même point qu'avant, comme un perroquet qui aurait avalé une moulinette) – elle est « insupportable, et nécessite un traitement spécifique « Pour situer celle-ci, le roman décline différentes sortes de bêtises, et dessine une sorte d'échelle qui va des bêtises à la bêtise.

 

« Il y a « les bêtises », celles que l'on dit, celles que l'on fait.

 

On se souvient du projet pour ainsi dire originaire de Flauberrt, à l'âge de 10 ans, dans sa lettre programme à Ernest Chevalier :

 

Si tu veux nous associers pour écrire moi, j'écrirai des comédie et toi tu édriras tes rêves, et comme il y a une dame qui vient chez papa et qui nous contes toujours des bêtises je les écrirai » - ce qui date d'avant le 1er janvier 1931, Flaubert n'a en fait que 8 ans...

 

« Les bêtises dites sont des sources inépuisables de récit. Dites ou écrites, entendues, relevées ou imprimées, elles composent la foule des textes en attente dans les dossiers préparatoires des deux derniers chapitres de Bouvard et Pécuchet, - c'est-à dire les dossiers de « documents divers » appelés « de la Copie » (...), dont le Dictionnaire des idées reçues est un arrangement ironique. »

 

« Les « bêtises » proférées sont également une manière de façonner la réalité, de réunir dans le discours séduction et irréel, dans la légèreté des conduites langagières, paroles qui « ne sont aps sérieuses », affirmations flottantes auxquelles on ne peut pas croire vraiment, comme dans cet échange entre Gorgu et Mélie :

 

- « Elle est gentille, hein ? » dit le menuisier, pendant qu'elle apportait des verres. « Si on ne jurerait pas une demoiselle, costumée en paysanne ! et rude à l'ouvrage, pourtant ! - Pauvre petit cœur, va ! quand je serai riche, je t'épouserai ! »

 

- « Vous dites toujours des bêtises, monsieur Gorgu » répondit-elle d'une voix douce, sur un accent traînard. »

 

« On est là encore dans une relation relativement inoffensive de la bêtise et de l'ironie, celle des échanges sociaux verbalisés.

 

« Les bêtises comme actes désordonnés sont d'une autre importance. Ce sont les « bêtises » qu'ils font que reproche Germaine à ses deux maîtres, lors de l'expérimentation que ceux-ci tentent sur un chien :

 

Germaine poussa des cris en le voyant tout ensanglanté, avec des ficelles autour des pattes.

 

Ses maîtres qui le poursuivaient entrèrent au même moment. Il fit un bond et disparut.

 

La vieille servante les apostropha.

 

- « C'est encore une de vos bêtises, j'en suis sûre ! - Et ma cuisine, elle est propre ! Ça le rendra peut-être enragé ! On en fourre en prison qui ne vous valent pas ! » (chapitre III encore une fois).

 

Nous sommes dans un registre qui a un aspect enfantin. Il est remarquable que Germaine, socle du bon sens, relève les activités des deux bonshommes comme des « lubies », ou des actions insensées, et réprimande ceux-ci pour une conduite d'enfants terribles, qui risquent de devenir des sortes de délinquants : « On en fourre en prison qui ne vous valent pas ! » A cet épisode fera écho, avec une cruauté terrible mais presque naïve, l'épisode du chapitre X où l'enfant Victor, « mauvais sujet », jette le chat dans de l'eau bouillante.

 

« La bêtise, celle qui se concrétise dans les paroles, dans les actions et même dans les choses, est celle qui peut être singulièrement désignée par un jugement, par une brève mention qui rabat la chose jugée sur son incohérence ou sa grotesque prétention. L'exemple du mot de Madame Bordin lors de la visite du « jardin pittoresque », pris dans un geste, dans le mouvement d'un accroc, murmuré mais audible, est particulièrement percutant en ce sens. C'est l'une des beautés comiques de ce roman, que de faire naître comme au passage, en de très brèves séquences, la teneur des jugements, de leur dimension psychologique et de leurs effets que l'on pourrait appeler « affectifs », en tournant toujours autour de ce qui peut être « bêtise ». Ici il s'agit du goût esthétique :

 

Mme Bordin recommença le détail de ses cornichons, promit une seconde recette pour les prunes à l'eau-de-vie – et fit encore trois tours dans la grande allée. En passant près du tilleul le bas de sa robe s'accrocha ; et ils l'entendirent qui murmurait : - « Mon Dieu ! quelle bêtise que cet arbre ! » (ch. II)

 

Cette « bêtise »-là est particulièrement intéressante, celle du goût stupide, et Flaubert sait la déployer dans chacune de ses œuvres, dès Madame Bovary avec, par exemple, l'irrépressible pulsion des symétries qui semble répandue partout, dans la vitrine de Homais comme sur la cheminée de la chambre d'Emma.

 

Mais le tourbillon de la bêtise affecte aussi bien le jugement de goût lui-même, sans point d'arrêt :

 

Quel aplomb ! Quel entêtement ! Quelle improbité ! Des outrages à des chefs-d'œuvres, des révérences faites à des platitudes – et les âneries de ceux qui passent pour savants et la bêtise des autres que l'on proclame spirituels !

 

C'est peut-être au public qu'il faut s'en rapporter ?

 

Mais des œuvres applaudies parfois leur déplaisaient, et dans les sifflées quelque chose leur agréait. (ch. V)

 

« Bêtise du jugement contre bêtise des choses jugées, le livre de Flaubert crée le battement comique de leur oscillation commune, de leur reflet à l'infini.

 

« Il en est de même dans toute l'échelle des connaissances, des savoirs, des propositions, jusqu'aux niveaux plus amples de conceptualisation :

 

Bouvard l'épia – et l'ayant arrêté, dit qu'il voulait lui soumettre un point curieux d'anthropologie.

 

- « Croyez-vous que le genre humain descende des poissons ?

 

- « Quelle bêtise ! »

 

- « Plutôt des singes, n'est-ce pas ? »

 

- « Directement, c'est impossible ! » (III)

 

La bêtise singulière, « une bêtise », est d'abord une conception erronée, reposant sur une absurdité de raisonnement, et contredite par une impossibilité. On est assurément à un niveau épistémique plus élaboré, » - je me renseigne : « relevant de la connaissance » - « qui passe très vite dans la vivacité comique du dialogue, mais qui est pourtant soigneusement « logique » : logique de l'assurance et logique de l'erreur, de l'idée « scientifique » reçue et de l'autorité savante, ensemble entrelacés dans la prose.

 

Les bêtises savantes sont assurément les plus complexes et sont celles que le travail du roman encyclopédique traite avec le plus grand soin. Ce sont celles, par exemple, d'une science périmée, ou fausse science, dont on a prouvé la fausseté :

 

 

 

Le docteur, un après-midi, vint s'y faire couper les cheveux. En s'asseyant dans le fauteuil, il aperçut, reflétés par la glace, les deux phrénologues, qui promenaient leurs doigts sur des caboches d'enfants.

 

- « Vous en êtes à ces bêtises-là ? » dit-il.

 

«  - Pourquoi, bêtises ? »

 

 

 

Quittons-là ces exemples inoffensifs et pédamment universitaire, et gardons-nous de conclure, car Flaubert disait « la bêtise consiste à vouloir conclure ». Et n'oubliez pas que celui qui prend les autres pour des imbéciles et qui de plus veut les réformer est encore plus bête que les autres. Mais citons cette conclusion de Herschberg-Pierrot et Jacques Neefs, sans savoir duquel des deux : « A partir du moment où je ne trouve plus assez de mots pour dissimuler ma propre bêtise et ma propre ignorance, je vous présente mon renoncement, en espérant malgré tout qu'il vous a mis en appétit. »

 

 

 

 

 

 

Commentaires

  • Que pensez-vous de ça ? Flaubert en était aussi !!!

    https://www.youtube.com/watch?t=341&v=TM2jAyhsd0c

    Cela m'étonnerait beaucoup... J'ai lu *énormément* d'ouvrages sur Flaubert et je n'ai jamais *rien* trouvé qui prouverait qu'il ait été initié.

    Franc-maçon de naissance ? Parce que son père l'était ? Faut pas exagérer... Le père de Bloy était maçon et lui ne l'était pas du tout...

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