Proullaud296

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Tryphéra et ces dames

« Tryphéra ! Tryphéra ! »
    Et une jeune courtisane d'aspect joyeux bouscula quelques passants pour rejoindre une amie entevue.
    « Tryphéra ! es-tu invitée ?
- Où cela, Séso ?
- Chez Bacchis.
- Pas encore. Elle donne un dîner ?
- Un dîner ? Un banquet, ma chère. Elle affranchit sa plus belle esclave, Aphrodisia, le second jour de la fête.
- Enfin ! elle a fini par s'apercevoir qu'on ne venait plus chez elle que pour sa servante.
- Je crois qu'elle n'a rien vu. C'est une fantaisie du vieux Chérès, l'armateur du quai. Il a voulu acheter la fille dix mines ; Bacchis a refusé. Vingt mines, elle a refusé encore.
- Elle est folle.
- Que veux-tu ? c'était son ambition d'avoir une esclave libérée. D'ailleurs, elle a eu raison de marchander. Chérès donnera trente-cinq mines, et, pour ce prix-là, la fille s'affranchit.
- Trente-cinq mines ? Trois mille cinq cents drachmes ? Trois mille cinq cents drachmes pour une négresse ?
- Elle est fille de blanc.
- Mais sa mère est noire.
- Bacchis a déclaré qu'elle ne la donnerait pas à meilleur marché, et le vieux Chérès est si amoureux qu'il a consenti.
- Est-il invité, lui, au moins ?
- Non ! Aphrodisia sera servie au banquet comme dernier plat, après les fruits. Chacun y goûtera selon son gré, et c'est le lendemain seulement qu'on doit la livrer à Chérès ; mais j'ai peur qu'elle ne soit fatiguée...
- Ne la plains pas ! Avec lui elle aura le temps de se remettre. Je le connais, Séso. Je l'ai regardé dormir. »
    « Elles rirent ensemble de Chérès. Puis elles se complimentèrent.

    « Tu as une jolie robe, dit Séso. C'est chez toi que tu l'as fait broder ? »
Conversation frivole et très proutt ma chère, rappelant ce prétendu bon mot : « La femme est une créature charmante qui s'habille, qui babille et qui se déshabille ». Les putes à l'époque étaient toutes volontaire, et trouvaient cela rigolo comme un jeu, où les deux sexes avaient leurs armes. L'amour, le cul et le fric formaient un vigoureux cocktail détonnant. Vrai, ou faux comme du Pierre Louÿs ? 
       
     "La robe de Tryphéra était une mince étoffe glauque entièrement brochée d'iris à larges fleurs. Une escarboucle montée d'or la plissait en fuseau sur l'épaule gauche ; la robe retombait en écharpe, entre les deux seins, en laissant nu le côté droit du corps jusqu'à la ceinture de métal ; une fente étroite qui s'entrouvrait et se refermait à chaque pas révélait seule la blancheur de la jambe.*
    "Séso !" dit une autre voix, Séso et Tryphéra, venez, si vous ne savez que faire. Je vais au mur Céramique pour y chercher mon nom écrit.
- Mousarion ! d'où viens-tu, ma petite ?
- Du phare. Il n'y a personne là-bas.- Qu'est-ce que tu dis ? Il n'y a qu'à pêcher, tellement c'est plein.
- Pas de turbots pour moi. Aussi je vais au mur. Venez."
    Les jeunes filles de ce temps-là comptaient les victoires par paquets de weps, mais pas n'importe lesquelles. Nous vérifierons avec elles si elles sont bien cotées en bourses, sur ce fameux mur.

    "En chemin, Séso raconta de nouveau le projet de banquet chez Bacchis.
    "Ah ! chez Bacchis ! sécria Mousarion. Tu te rappelles le dernier dîner, Tryphéra : tout ce qu'on a dit de Chrysis ?
- Il ne faut pas le répéter. Séso est son amie."
    Mousarion se mordit les lèvres ; mais déjà Séso s'inquiétait :
    "Quoi ? du'est-ce qu'on a dit ?  
- Oh ! des méchancetés.
- On peut parler, déclara Séso. Nous ne la valons pas, à nous trois. Le jour où elle voudra quitter son quartier pour se montrer à Brouchion, je connais de nos amants qui ne nous verront plus.
- Oh ! Oh !
- Certainement. Je ferais des folies pour cette femme-là. Il n'y en a pas de plus belle ici, croyez-le. "

    "Les trois jeunes filles étaient arrivées devant le mur Céramique. D'un bout à l'autre de l'immense paroi blanche, des inscriptions se succédaient, écrites en noir. Quant un amant désirait se présenter à une courtisane, il lui suffisait d'écrire leurs deux noms avec le prix qu'il proposait ; si l'homme et l'argent étaient reconnus dignes, la femme restait debout sous  l'affiche en attendant que l'amateur revînt."
    Vous voyez ! Tout était simple, pur, propre, friqué ! On se tirait dans l'allégresse comme à la foire ! Et sur ce terreau de frivolités papotantes va se lever la belle Chrysis, 20 ans tout juste, qui vient de décider qu'elle devait enfin connaître une magnifique, une majuscule histoire d'amour divin, avec exaltation sans fin et bouquet final... Cette Aphrodite, de Pierre Louÿs, est encore lisible, exploitant tous les clichés possibles de la relation homme-femme et de ses tourments reproductibles à l'infini, jusqu'à la chute, putain de société.

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