Proullaud296

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Gretel dans la nuit

 

A 23h, Gretel se promène. Son quartier présente des terrains vagues, mal fermés de palissades. Les grues dardent leurs antennes clignotantes. C'est un coupe-gorge. Si le Vieux savait ça, il se réjouirait en dedans. Il hausserait son épaule valide. Gretel clopine entre les fondations béantes. Au coin des rues tracées les rôdeurs se concertent. Mais Gretel traîne un gros cabas gris, bourré de pelotes et de légumes T'aurais plus d'emmerdes que de blé Gretel sourit, flattée. Au bout d'une palissade anonyme et d'une place s'étire une enseigne rouge sous quinze étages de béton vide ; pendant près d'une heure elle guette la fermeture. Taxi-Club. Jusqu'à ses pieds le néon diffuse ses braises.

 

  1. Sur les pavés froids passent les ombres fantastiques des buveurs. À minuit l'enseigne s'éteint, le grésillement du néon renvoie au plus épuisant silence, tandis que revient le grondement de la ville; Devant la porte sombre un homme remue les poubelles et les roule au fond de la place, dans un recoin d'où tombent les lumières, plus loin, en en bas. Il tombe dans sa poche un trousseau comme un gémissement d'acier. S'il fait tout à fait noir je demande des nouvelles du fils. L'ombre navigue en vacillant à travers les pavés, portant de près un laid complet de confection, le sourire vide. Un gros ours en peluche qui se dandine. Pardon monsieur je vous aborde en pleine rue n'allez pas penser - vous voyez comme je suis habillée parce que dès qu'une femme aborde un homme tout de suite on va s'imaginer il s'arrêteet la cherche des yeux sans cesser de sourire d'habitude je sors en cloche, un vieux manteau marron la voilette, le long des murs en vieille souris personne ne m'embête c'est bête les hommes dit l'inconnu juste aujourd'hui dit-elle je suis sorti en catogan – de velours orné de serre-tête – et ça suffit – vous voyez ce type là-bas qui traverse il voulait coucher avec moi c'est terrible à mon âge elle demande quand elle sera enfin débarrassée de cette chiennerie je l'ai remballé il a insisté "mon vieux t'as l'air con" je lui dis, je serais un homme ça me vexerait mais lui non il continuait – ne partez pas tout de suite l'homme en ours regarde indulgent le bandeau en oreilles de Mickey et les yeux charbonnés sur trois bons centimètres Les hommes dit-il c'est tous des cochons avec l'accent du Nord Tenez reprend Gretel jeudi dernier je monte en stop - je ne le fais plus c'est trop risqué – à peine cent mètres et tout de suite la main sur la cuisse, je suis redescendue Merde je lui ai dit Merde comme ça je sais pas moi je serais un homme l'Ours émet entre les dents un sifflement vus comprenez ce que je veux dire elle a vu tout de suite qu'il n'était pas comme les autres car au fond les hommes n'est-ce pas n'ont pas de chance avec les femmes jamais ils ne sont sûrs de bien tomber "vous allez vers les filles et toc vous êtes refusés – moi je vous le dis – quand je vois des jeunes filles faire les coquettes – j'ai envie de leur envoyer des tartes."Personnellement, la Gretel se voit en homme : attaquer "mais dès que l'homme a fait le moindre mouvement vers une femme elles vous font marcher c'est fini mais ajoute-t-elle si vous restez là dans votre coin tranquilles sans bouger – moi je suis spychologue c'est de la spychologie ça monsieur – je n'ai pas fait d'études mais j'ai beaucoup lu – je sais bien comment elles font les femmes allez et puis les hommes aussi c'est le manège éternel – si vous restez sans bouger vous êtes sûrs que la femme ira vers vous sinon c'est les femmes qui choisissent et ça c'est vrai dans le fond elles auront toujours l'avantage -

  2. - C'est vrai." Fait un pas de côté "Mon fils mon fils" fait Gretel en posant la main sur son avant-bras Plaît-il ? - Vous connaissez mon fils Denis, Denis Fitsel - ...il ne travaille plus ici" fait l'homme en rejetant la tête elle lâche son bras Attendez, attendez j'ai quelque chose – si vous pouviez luir remettre – Je ne sais pas où il habite" – elle fouille nerveusement dans son cabas, genou levé "juste un petit message" une pomme de terre germée roule au sol. Le gérant n'a sur lui ni stylo ni papier "Gretel, vous l'avez bien connu tout de même – "La Ficelle" ? Ça va faire trois mois qu'il est parti. - Vous avez l'air si aimable, si – compatissant" – l'homme -ours rit silencieusement, découvrant ses dents sous la lumière jaune.

  3. Peint sur le mur.JPG

    Gretel a trouvé un bout de crayon "vous avez de ses nouvelles ?" Sur la face de l'ours retombe le masque noble, vide et professionnel du barman. "Il est à Paris je crois. - A Paris ? - Ou Marseille je ne sais plus." Il fait trois pas elle le suit. Elle dit qu'elle aurait aimé voyager. "J'étais stewart, madame, sur les lignes libanaises – J'aurais voulu vor la Bulgarie, la Roumanie... - De beaux pays, de beaux pays." Il marche plus vite. Elle propose la bonne aventure. "Je vais m'installer à mon compte. À Nevers. Avec Denis. - Denis ? - Sifakis, un Grec, un ami." Elle tire de sa poche une poignée de bons de réduction "c'est pour lui" dit-elle en baissant la voix", "ça peut servir vous savez" Donnez. Il les fourre dans sa poche
  4. Une étiquette rouge lui échappe dans le caniveau. Gretel la ramasse, l'essuie sur sa jupe et presse le pas J'habite juste à côté, prochaine à droite – Moi je tourne à gauche, vous voyez. - Excusez-moi monsieur je vous aborde comme ça en pleine nuit n'allez pas vous imaginer" le gérant n'imagine rien, fait dix pas et se retourne, Gretel s'est arrêtée ils se regardent et s'éloignent l'un de l'autre. Gretel a bousculé sa porte, s'essuie les yeux et trébuche en se déchaussant sur le paillasson ; Soupov tourne la tête.

 

Commentaires

  • "Les pommes de terre" ou "les patates" furent le sujet favori d'un excellent peintre dont je ne me rappelle plus le nom, Richard quelque chose ; un nom si composite que j'avais surnommé son possesseur de "Mohammed von Dupont". Tâchez de me le retrouver. Je crois qu'il y avait du "Lopez", dedans...

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