Un salon du livre
Ils ont tous deux l'air con, comme on est en photo. Lui surpris en pleine moue, plein joufflu, les petits yeux vrillés sous les verres. Elle, chevaline, jumentaire, avec un beau couvage de regard, une tendresse. Très rousse et lui très foncé, pas encore sa fausse tignasse à la Nosferatu d'aujourd'hui. La photo date de dix ans. Il a plus vieilli qu'elle. Derrière eux des tables allongées garnies de livres, nous sommes à Dieu sait quel obscur salon du livre, « près de Z.» : Munster ? Ribeauvillé ? Les tables drapées de rouge, des piles de livres dont on voit les tranches blanches, et d'obscurs exposants, anonymes, plus petits, d'obscurs visiteurs, de dos, de face, on voit mal.
Reprenons. Format paysage. Lumière : intérieure, sombre, une croisée au fond bien blanche, une autre à demi vue sur le mur qui revient. Couleurs : tables rouge lie-de-vin, tranches de livres blanches, veston blanc de Lazarus, chevelure rousse de Blandine toujours jeune. Formes : parallèles obliques (quatre, pour deux tables très allongées, servant de comptoirs). Or les deux personnages sont de face, assis, coupés au nombril, mains coupées sauf un pouce (de Lazarus) tenant un verre. A droite de Blandine sur le cliché, Kilt, ouvrage interdit désormais (le dessin par ma femme en couverture). Que dit Lazarus ? Il joue au naïf, il doit proférer une énormité comique, pince-sans-rire. Son veston est blanc, il porte un badge, au-dessus du badge la pochette montre un haut de carnet, un stylo. Débordant sur le veston, une chemise noire échancrée henrilévyque. Visage trop gras. Moue lubrique ou stupide. Chevelure en chou-fleur, bien fournie, débordant sur le front. Le mot qu'il prononce comprend un « u ». Les yeux sont dans le vague. Blandine, au contraire de lui, porte le blanc par-dessous, le noir par-dessus. Elle est moins décolletée que lui. Les revers du col, très long, sont noirs.
En fait ce sont eux qui sont noirs, la veste est violette. Elle est tournée vers Lazarus, de trois quarts. Son rire est franc, premier degré. Elle trouve vraiment drôle ce qu'on dit. Sa peau est orangée, reflète sa chevelure, abondamment bouclée, roux vénitien. Ils s'entendent bien. Je lis même dans ses yeux tendresse et admiration. Voilà. C'est un couple que j'aime bien. J'imagine les propos, le rire de cheval, une ambiance feutrée malgré tout, des propos de salon de livres. A droite donc, debout sur un petit présentoir, ce livre érotique homosexuel qu'un patron de boîte a fait interdire.
A gauche de la photo (à droite de Lazarus et dans son dos), un trois-quarts dans la même direction que celui de Blandine : un exposant quelconque, lisse, en chemise à carreaux sans goût, avec une veste unie rouge sur le dossier, contrastant avec l'épaule de Lazarus, rembourrée dans ce modèle.
De l'autre côté de la tête de Lazarus semble sortir de sa chevelure un exposant accroupi peut-être, la tête lunettée au niveau de sa pile de livres, une boule lui aussi de cheveux noirs. Un petit profil de bougnat ou de carlin, tout ramassé. Au-dessus de cette insignifiance humaine, au-delà d'une table allongée, une silhouette noire portant une chevelure de blonde, un peu plus loin le long des mêmes tréteaux une femme orange se préparant à ouvrir un volume long et plat comme un Atlas, trois autres anonymats à peine incarnés, un exposant, deux visiteurs, mais pourquoi m'étendre sur tant d'humains.
Je vois aussi beaucoup de piles de livres, hautes de deux ou trois exemplaires, il n'y a pas besoin de plus. Pourquoi fait-on des salons du livre ? XXX61 11 17XXX
Commentaires
Fausse tignasse à la Nosferatu ? Nosferatu est chauve, non ?
Pourquoi des salons du livre ? Ben, pour les vendre, pardi... Tricatel a gagné. "On peut toujours en écouler quelques boîtes supplémentaires."
Les belges ne disent pas salon, mais foire du livre... Ce qui en dit long sur leur idée du livre...
Ah excellent, la "foire", excellent... Pour les enfoirés, naturellement.