Donne-moi la gloire
J'aime bien Simone de Bavoir quand elle explique à quel point ses souvenirs seraient d'un intérêt nul si elle n'avait pas rencontré l'attention et la considération de tous les milieux littéraires... Il est dit-elle primordial, dans mon cas, d'apprendre ce qui dans mon enfance ou mon adolescence a pu contribuer à former ma pensée actuelle. Ô modestie, ô jésuitisme ! Quant à toi, pauvre plouc, nullement remarqué par quelque milieu que ce soit, n'ait pas même l'espoir d'attirer l'intérêt de quiconque, n'écris rien, ne publie rien, tu es tellement nul qu'il serait en vérité fort dommage et dommageable que d'autres pussent soupçonner ton existence... Merdeux donneurs de leçons...
Le pis est qu'ils ne s'en rendent même pas compte ; ils estiment qu'en effet il existe une hiérarchie, au sommet de laquelle ils se placent sans malaise, et qu'il faut leur rendre hommage par une attention déférente comme un canal. "Qui veut connaître les souvenirs de M. Vérité ?" Ce dernier fonda donc l'Association des Auteurs Autoédités, l'A.A.A., de nécessité, de salubrité publiques. Je guette avec trop d'attention la dégradation de mes capacités, le moment où je ne pourrai plus écrire de façon cohérente, ce que vivait Lévi-Strauss à cent ans. Les raisonnements de cet homme témoignent d'ailleurs d'une prodigieuse capacité de raisonnement, de subsumation, de classification.
Oui, je suis inférieur à Lévi-Strauss, je le dis en rigolant, inférieur à Duby, inférieur à Dumézil, inférieur à Markale (quoique...), j'en passe. Julien Gracq me ratatine, Chateaubriand m'envoie dans les cordes, Rabelais m'écrabouille. Mais qu'un Nabe, qu'un Tartempion qu'une Angot, prétendent me disputer le pompon, je m'insurge. Ma révérence ne va qu'aux cimetières, à Duras, à Yourcenar, aux travailleurs forcenés de quinze et seize heures d'affilée. Des fossoyeurs bien respectueux, des préposés à l'entretien des tombes, il en faut, Jean-Paul, je te jure. Il faut de tout pour faire un monde, il me faut moi. Ma vie n'intéresse personne, mais il se trouve qu'elle m'emplit et me passionne, moi.
Petit Papa Noël, envoie-moi la gloire et un gode, envoie-moi surtout la bonne humeur au moment de la mort, que je meure en me frottant les mains pleines de projets. Que je sois content de moi, que je sourie. Qu'il y ait de l'excellent musique symphonique. Seigneur, descends du ciel sur ton petit âne roussin, recueille-moi dans ta hotte, fous moi un bonnet sur la tronche, et des caramels de la gueule au cul. Mène-moi près de ton oreille, et que la vie future soit simplement semblable à celle-ci, mais sans inconvénients, avec tous les triomphes. Que j'aie une bonne mère, un père qui m'apprend le bien et le mal, une petite sœur que je tripote sans rien dire, des résultats encore plus exceptionnels, une confiance en moi hors pair, des connaissances à foison, des collaborateurs tous géniaux, des éditeurs enthousiastes, des femmes à foison, du pognon, des voyages, une santé à toute épreuve, et délivre-nous du mal. Que j'éprouve tout, que rien ne demeure, que mon âme progresse en ligne harmonieuse, que je puisse dire comme un vulgaire directeur "J'ai fait tout ce que j'ai voulu faire, sans jamais contrevenir à l'honnêteté, en suivant mon chemin, sans me soucier du qu'en dira-t-on, et réconcilié avec tous mes ennemis qui enfin ont appris ma valeur."
Et qu'il y ait quelque chose après la mort, une atmosphère, une vague musique, une vague conscience personnelle, au moins pour les génies, je vous en supplie s'il vous plaît Seigneur, Amen.