Proullaud296

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Juin nonante-huit

2045 06 23
    Au kilomètre, il faut réagir au quart de tour. Je me suis demandé si j'allais retrouver les vieux compagnons d'Anne au petit restaurant. Eh bien j'ai eu raison d'y aller. Ce sont des spécimens d'humanité qui pourraient me réconcilier avec celle-ci, voire avec les hommes. Il sont entre 40 et 70 ans, ce sont des vieux cons, mais anti-Le Pen, anticléricaux, la vieille goche sans accent circonflexe donc "o" ouvert, je me demande bien ce qu'ils peuvent encore leur apprendre au cours préparatoire, j'ai même entendu un présentateur parler du "cri du pon" - Léon ! Léon ! Les cons !
    Nous avons parlé de tout à bâtons rompus, l'un d'eux, André, est maigre avec des plis dans le cou, il était secrétaire à la fac de lettres cours Pasteur, à présent,  très vaguement, il me semble que je me souviens de lui. Un autre à côté de lui est appelé Sancho Pança, il porte une belle barbe poivre et sel. Il extirpe de sa bagnole de vieux bouquins de 1923, des catalogues en charpie, il prête un album sur les "Nabis" pour les vacances.
  

Le foutoir du musicien.JPG

  Il habite un petit village dans l'Aveyron , non loin de Séverac-le-Château. Peut-être irons-nous le voir. Avec Annie, dans les Cévennes, ce sera dur, car elle ne supporte pas la chaleur, et sur les plateaux là-bas ça canonne.  Le maire de Comprenac est un gros porc du Front National.
    Je dis à mes élèves (ça, c'est ma scie ; un peu comme "A l'EPS de Mézières" de mon père) : "Apprenez par coeur ces vers, vous vous les réciterez quand vous serez emprisonnés pour délit d'opinion." Je leur dis aussi : "Je vous donne à tous vingt ans pour vous foutre sur la gueule." Je crois malheureusement qu'après moi, ou quand je serai bien vieux, trop vieux pour réagir - mais je ne crois pas que je pourrai fermer ma gueule - ce sera la guerre civile, et qu'un Franco quelconque règnera sur la France.
    Bref, on n'a pas fini de rigoler, encore que j'espère me tromper. La France jusqu'ici a résisté aux assauts des boulangismes, mais elle n'a jamais encore subi sa période de fascisme. L'Espagne, l'Italie, l'Allemagne, ont vu ce qu'il leur en a coûté, elles ne sont pas prêtes à recommencer. Mais la France n'y a jamais tâté, et on ne croit que la merde où on a le nez.
    En fait mon rêve, ce qui représenterait le mieux le phénomène que j'ai été - dans le sens de manifestation de l'humain - seraient les écrits éventuels d'un élève, qui rassemblerait tous ceux qui m'ont connu, et en ferait un livre, pourquoi pas une encyclopédie n'ayons pas peur de nous gonfler les chevilles, et je serais aussi connu que Jésus ou Socrate, que ça.
    F.P. me dit d'un ton amusé : "Mais dans le fond tu aimerais être prophète !" Eh bien oui, man, je crois en des tas de choses, et ce sont mes idées que j'aimerais voir répandues, sous un autre nom toutefois que "Champognon", ce nom de cocher de fiacre ou de garçon boucher, comme disait Philippe- encore un disparu sous la poussière de la vie. Bien la peine de faire la grande folle.
    Les gens que j'ai vus à ce café m'ont tous semblé parfaitement sympathiques, excepté le timide en face de moi, mais j'ai horreur des timides, en fait j'ai horreur des moindres différences avec moi-même, et après cela je viens parler de fascisme. Jean-Paul T. lit mon "Omma", et gueule contre les cléricaux (bien que sa femme dirige un établissement professionnel plus ou moins catholique) et contre les racistes.
    Il avait une maison à louer près d'Aiguillon. Réflexions dans le coin : "Ne laissez pas cette maison occupée par des Arabes, au moins." Il a répondu "Je m'en fous, vous y mettez des Martiens si vous voulez, je veux simplement que ce soient des locataires qui paient régulièrement et qui ne me salopent pas la baraque." A présent il a une maison impeccable, et c'est un organisme qui lui paie le loyer, parce qu'ils sont trop fauchés pour toujours pouvoir payer régulièrement.
    Il est fils d'Italiens, et dans le temps les Ritals n'étaient pas bien vus ; l'argument des gens du coin c'était que ces étrangers-là arrivaient sans le sou, et qu'ensuite ils se payaient cinq maisons ; et les indigènes de dire : "Vous voyez, quand ils sont arrivés ils n'avaient rien, et maintenant ils ont de l'argent. Il ne faut pas demander s'ils ont été malhonnêtes." Au lieu de les en complimenter, ils leur en faisaient grief.    
    Qui veut noyer son chien l'accuse de la rage ; j'ai ajouté que mes parents ne pouvaient pas blairer non plus les Polaks, mais au moins je crois qu'ils ne me l'ont pas trop montré. Nous avons aussi commenté les quinze ans pris par l'assassin du Comorien, ce qui est jugé trop peu. Moi je connais quelqu'un, ai-je dit, au bout de la rue pas loin  - tu veux les initiales ? - qui prétend que c'est le Comorien qui n'avait qu'à ne pas venir en France.
    Ou ne pas y naître, peut-être ?
    A l'instant je suis interrompu par Annie qui tient à ce que je vienne admirer des croquis qu'elle a faits elle-même. Il m'est difficile d'en juger, tellement tout le monde dans ce groupe est susceptible de réaliser quelque chose de fort et de personnel. Nous sommes allés chercher un album à Villenave-d'Ornon, comprenant les noms de tous ceux qui ont quelque renom en Aquitaine. Mais si l'on pense qu'il doit y avoir le même genre d'album dans la région de Lyon et un autre près d'Orléans, on se rend compte que les artistes qui y figurent ne représentent pas grand-chose.
    Annie a carillonné comme une malade, du coup -c'est plausible - la tenancière est venue devant nous les yeux baissés en train de s'adresser muflement à son portable, et n'a daigné lever les yeux vers nous qu'après avoir pris congé en bonne et due forme de son interlocuteur. On reste dans sa hutte, Madame, pour achever sa communication. Si ce n'avait pas été pour ma femme, j'aurais tourné le dos en pétant et je serais encore en train de courir. Nous avons bien tout examiné, malgré les piaffements internes de la gonzesse qui était revenue exprès et visiblement soucieuse de se retremper  au plus vite le cul dans le Bassin (d'Arcachon, eh, Ducon).
    Nous avons vu un chat aussi, que j'ai saisi une seconde par son bassin à lui, mais qui se retournait hargneusement, aussi je l'ai lâché. Je me serais bien promené, mais il faisait trop chaud, et me revoilà à parler de chat, quand che n'est pas cha ch'est diffichile bref, la feuille où figure le nom d'Annie comporte une faute d'impression, "bienvaillant" pour "bienveillant", il faut que ça tombe sur elle.
    En tout cas, à voir comment on la néglige, comme les autres d'ailleurs car ce ne doit pas être la seule coquille de l'album, on voit que l'artiste n'est pas grand-chose. Cependant s'il faut absolument être optimiste, je dirai qu'un jour, quelqu'un vient vous chercher dans votre cul-de-basse-fosse. Puissè-je être un jour connu ne fût-ce que comme Desforêts ! ce dernier d'ailleurs insupportable d'illisibilité, sans ponctuation forte, ne sachant de quoi il parle, aussi exaspérant qu'Henry James ("Le dessin dans le tapis"), dont on se demande toujours de quoi il peut bien traiter à force d'incises et de litotes. Je disais donc à Michel en face de moi, ancien instituteur, que si l'on ne fait pas partie d'un groupe, d'une mafia (on lui dit qu'il a l'air italien...), il est inutile de vouloir percer.
    Il en était de même pour Jean-Jacques Rousseau, qui a dû subir des avanies pour faire connaître sa musique à Paris, à cause d'une bonne femme qui tout simplement n'aimait pas les Genevois... Bon, je resterai obscur, mais jusqu'au bout je continuerai à y croire. A présent je dois me préparer à corriger quelques copies de bac, le sujet porte sur Calderon "La vie est un songe", je lis de ces conneries, visiblement les élèves ne s'attendaient pas au sujet, avaient peut-être fait l'impasse, et ce qui est amusant ou navrant, en tout cas méprisable, ce sont les circonvolutions par lesquelles tous essaient de ne pas trop faire voir qu'ils n'ont strictement, mais alors strictement rien à dire sur le sujet.
    On m'annonce que tel personnage "est important", que "le titre n'a pas été mis là par hasard", et que "certainement l'auteur a voulu dire quelque chose en le choisissant", cela à la fin d'un paragraphe où les idées creuses tournent en rond. J'ai parlé aussi bac avec ce Michel, en précisant que les candidats étaient "cultivés comme des pieds de chaise", ce qui est une expression que j'aime bien.
    Quant à ma fille, elle se cultive en ce moment grâce à la musique classique, la voilà qui se met à écouter des émissions d'Arte sur la musique classique, les soirs à dix-neuf heures trente, "Maestro". Et Georges est bien obligé de suivre, leur fils se met lui aussi à déplorer que la fête de la musique ne mette presque pas en relief la musique classique, au profit exclusif de "la musique de neuneu", suprême insulte.
    Culture vaincra.

Commentaires

  • Un canon, c'est fait pour canonner. Un fusil, pour fusiller. Une mitrailleuse, pour mitrailler. Et un tank...

Les commentaires sont fermés.