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André Maurois

 

Maurois serait passé de mode. La Terre promise, j'en ignore encore tout. La composition en remonte à 1945 ancien style, soit 1992. Une petite fille de 6 ans récite ses prières, mais on ne consent pas à lui expliquer « le fruit de vos entrailles », « qui ne regarde pas les petites filles ». En revanche, la nourrice lui chante le roi Renaud, qui revient de guerre « avec ses tripes dans ses mains ». La fillette imagine des choses sales et sanglantes, devant symboliser plus tard les horreurs de la naissance. Voilà du gâchis, tel qu'il s'opérait encore entre les deux guerres, ou avant la première. Nous observons deux facilité dont les Maurois n'avaient pas conscience : d'une part, la surreprésentation du milieu très bourgeois, où l'on se vouvoyait de parents à enfants et réciproquement.

 

Cette surreprésentation régnait déjà au XIXe siècle, farci de faux barons et de marquises d'opérettes, sans omettre princes ni princesses, encombrant tous nos classiques. Nous pourrions de nos jours les remplacer par des profs et des journalistes, voire des écrivains, fortement concurrencés tous par les pégreleux, vagabonds et toxicos de tous ordres. Le second cliché, dont hélas personne encore ne s'avise, consiste à conférer aux enfants ou ados des rôles essentiels, comme s'il n'y avait que la formation indélébile du futur adulte qui méritât qu'on s'y attarde. De fait, nous avons raison. : il faut au romancier un personnage déchargé de tout travail mécanique ou aliénant, comme un rentier, ou une adolescente en proie aux tourments, nourrie par ses parents.

 

 

L'entrée du musée, depuis l'intérieur.JPG

La concurrence vient, ces derniers temps, des hommes mûrs et des vieillards (après le remarquable précédent du Nœud de vipères ; nous a beaucoup frappé aussi Antonio Lobos Antunes. Mais chez Maurois, nous aurons, très traditionnellement (nous sortons de la dernière guerre) une fillette de six ans disions-nous, qui ne sera ni martyrisée ni attouchée. « Le dimanche, Claire était réveillée par les cloches dont le bruit joyeux montait du village ». Vie douce et teinte d'ecclésiastisme, où les fores spirituelles faisaient encore douce autorité. Vie aristocratique ou grande bourgeoise, dominant le village de sa gentilhommière. Existence traditionnelle, où pourront s'épanouir les méandres usés des amours douloureuses, ou accomplies.

 

Pour l'instant, l'enfant se réjouit de la bonne lumière, des attentions de la bonne et du devoir de la messe. Puis viendra le curé. « En ouvrant les yeux elle voyait sur une chaise, près de son lit, sa robe de velours qu'avait préparée Léontine. » Très prévisible, très féminin ; la bonne porte un prénom de bonne, qui figurait déjà dans mon premier livre de lecture. « Sous les fenêtres, sur le gravier de l'allée, on entendait piétiner les chevaux qu'attelait le vieux Larnaudie, jardinier la semaine, cocher le dimanche. » Milieu riche, mais modeste... Nous avons droit aux voluptés de l'âge tendre, supposé perméable à toutes les sensations, voir Enfance de Sarraute. Lointain écho ici du narrateur de Proust, lorsqu'il s'éveille au-dessus des flots de Cabourg. Confirmation du rang social élevé : la possession de chevaux qui ne soient pas de labour, mais nécessitent l'emploi d'un cocher ; la présence, donc, d'un second domestique, mais avec domestique : ne porte-t-il pas deux casquettes ? Il ne s'agit pas d'une très grande bourgeoisie, mais de possédants sans prétention, n'ayant que ce qu'il faut en domesticité pour soutenir son rang ; plus tard, radins, ou victimes de la crise, disons, de 1929.

 

Personnel stylé, respectueux. Il porte des identités de peuple, Léontine, qui coiffait une petite fille dans mon premier livre de lecture, et Larnaudie, qui fleure bon son Sud-Ouest mauriacien. Nous ne serons pas dépaysé, malgré notre méconnaissance évidente de ce milieu, si souvent mis en scène. Passons au petit déjeuner, sans parents ? « Dès que sa fille avait eu six ans, la Comtesse Forgeaud avait décidé de l'emmener à la grand-messe. » Noblesse d'Empire, sans particule, gagnée près des forges, du moins dans le patronyme. La Comtesse sera hautaine, attirera l'admiration, plus tard la haine de sa fille, et toutes les culpabilités qui immanquablement s'en suivent.

 

La fillette fera l'apprentissage ainsi non seulement de Dieu, qu'il faut prier chaque soir même sans en tout comprendre, mais de la distinction, des habits à mettre ou à ne pas mettre, des personnes du monde à saluer, des manants à considérer dans la plus pontifiante condescendance. Qu'elle ne s'avise pas, vers les 16 ans, de s'amouracher de l'un d'entre eux, à moins qu'il ne soit fils de propriétaire foncier ! « C'est beaucoup trop tôt ! » avait dit le colonel. Elle s'ennuiera et se tiendra mal. » Comtesse et colonel, on pouvait tomber plus mal, on pouvait aussi tomber mieux, ces deux figures sociales ne laissant guère augurer d'une expansivité phénoménale : Monsieur paraîtra en uniforme, Madame en grande toilette, aussi lassante à l'avance que des poupées d'Europe centrale ou de Sicile.

 

Il faut se tenir bien, respecter le code : on n'apprend jamais trop tôt. Mais nous gagerons qu'à deux ou trois naïvetés près, notre Claire qui est aux cieux ne commettra pas d'infraction, recevra de bons compliments bourrus de son père, qui si cela se trouve n'aura pu venir à la messe, retenu par quelque devoir de propriétaire ou de militaire planqué. « Le colonel se trompait, comme il lui arrivait presque toujours » (ces deux mots-là, nous les avions anticipés) « lorsqu'il essayait de prévoir les actions des êtres humains . » Rien de mieux en effet que les colonels pour jouer les têtes de Turc, engoncés dans leur raideur militaire, leur offuscation professionnelle, enfin leur masculinité pataude. Nous nous demanderons tout de même par quelle faveur ils auront pu devenir colonels, car il faut tout de même s'y connaître en psychologie vis-à-vis du soldat ou de l'officier, qui sont des humains, seuls, ou en collectivité nécessairement efficace.

 

Et puis, tout père aime sa fille, au-delà de ses manières bourrues. André Maurois nous avait déjà présenté Les silences du colonel Bramble, qui n'auront pas marqué l'auteur de ces lignes. « Claire avait aimé les cérémonies de l'Eglise. » Tout devait l'y prédisposer ; d'ailleurs les enfants ne sont-ils pas sensibles à tout cérémonial ? Rappelez-vous les étourdissements de Péguy à regarder, âgé de sept ans, les petits élèves gagner leurs cours en rangs bien réguliers, chantant une douce mélodie où ne manquaient que les flûtes de Sparte ? Imaginons que Claire, au lieu de s'éprendre d'un riche manant, se sente plus tard (ou très tôt) attirée par la vie religieuse, comme le titre de « Terre Promise » pourrait l'induire ? et pour cela renonce aux terres bien labourables qu'un jeune parti agréé par ses pères pourrait souhaiter pour l'agrandissement de son domaine ?

 

Que de rebondissements en perspective ! « Son appétit de gloire avait été satisfait par le banc réservé au premier rang, par le prie-Dieu de velours rouge, par les plaques de cuivre : COLONEL COMTE FORGEAUD. » Çà, déchaînons-nous : il n'est pas question de laisser perdre la perche qu'on nous tend, et notre talent, lui non plus, ne se hausse pas non plus au-dessus des dispositions communes. La petite Claire a déjà bien conscience de sa position sociale : rien ne pourrit plus les petites filles que les respects de ses domestiques. Sa robe d'autre part s'associera très bien au velours de son prie-Dieu. Pour se présenter à la table divine, d'autre part, il faut avoir sa place réservée, « sur la terre comme au ciel »: les manants se contentent de bancs anonymes. « COMTE COLONEL » est en majuscules, dans le texte et dans le cuivre.

 

Cela sonne excellemment. La gloire de mon père, mais sans humour ni Provence. « Si elle tournait la tête, elle voyait à gauche un vitrail qui représentait l'Annonciation ; à droite, un vitrail de la Fuite en Egypte. » L'église de Combray fait des émules, et même un âne pour la Fuite. Ces épisodes attirent la majuscule, tant ils présentent des vérités du dogme ; le premier appartient aux féeries, le second aux légendes. Hérode était déjà mort à la naissance du Christ, ce que les prêtres se gardent bien de préciser. Il est vrai que le Christ est né en 6 avant lui-même... Comment d'autre part ce personnage eût-il été assez fou pour déclencher un tel Massacre des Innocents, alors que les Romains auraient vite fait enfermer ce possédé pire que les empereurs à venir... Les femmes sont donc à gauche de la nef, ce qui signifie à la droite du Seigneur...

 

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