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Les Métamorphoses d'Ovide

 

Il est très difficile de parler d'un ouvrage antique. Je voudrais pourtant ce soir vous persuader d'acheter, et de lire, Les métamorphoses d'Ovide – l'auteur de L'art d'aimer, constamment renouvelé en "Poche". Nous avons en main le tome II dans la collection des Belles-Lettres : français à gauche, latin à droite, en vers. Il contient les livres VI à X inclus. Qu'est-ce qu'une métamorphose ? c'est la transformation d'un être humain en quelque chose qu'il n'a généralement pas souhaité, arbre, fleur ou animal. Il s'agit donc souvent d'une punition envoyée par les dieux ; à des humains qui se sont considérés comme excessivement supérieurs, qui ont fait preuve de ce que les Grecs appellent hybris, les dieux réservent un sort inférieur. Le jugement de Pâris.JPG

 

Parfois la métamorphose fut souhaitée : les plus connues sont celles d'Hercule, enlevé tout vivant de son bûcher jusqu'aux cieux ; de Galatée, statue transformée en femme par l'amour que lui porte son sculpteur Pygmalion ; de Philémon et Baucis, vieillards éternisés en deux arbres voisins. Mais au-delà de cette  LE JUGEMENT DE PÂRIS PEINTURE D'ANNE JALEVSKI signification morale, à laquelle Ovide ne croit pas beaucoup, nous apercevons matière à riche méditation philosophique d'une part, surréaliste de l'autre. Philosophique: l'humain n'est pas seul, il est mangé de tous côtés, par le divin qui lui pèse dessus et intervient dans sa vie, par l'animal et le végétal qui le pressent d'en bas comme une éponge où il est assis, où une simple pression des dieux peut le renfoncer.

 

Surréaliste par cette conception même que je viens d'énoncer : on pense aux collages de Max Ernst où des humains à têtes d'aigle s'entredévorent. La dimension animale de l'humain traverse toute la pensée de siècle en siècle ; dieux égyptiens à tête de chacal ou d'ibis, démons inépuisables de l'iconographie médiévale (voir les marges d'un antiphonaire). Quoi de plus inutile en effet, de plus insolent qu'une bête ? ...cette grossière contrefaçon, cette étincelle de vie si absurdement renfermée dans une forme malcommode – animal on est mal – tandis que le corps de l'homme seul est digne de recevoir la vie ! Pourquoi ce gaspillage de la part du Créateur ? Pourquoi tant de formes diverses, de races, de formes d'adaptation ?

 

Telle est sans doute l'explication du prétendu instinct de chasse de l'humain : au nom du sentiment de supériorité, d'unicité, supprimer tout ce qui n'est point homme. Le supprimer rageusement, car enfin nous n'en sommes pas sûrs : dans le reflet des yeux de bêtes existe la vie même, notre vie. Tuer l'animal c'est tuer l'animé. Les dieux nous parlent par ces yeux, ouverts sur la vie mystérieuse, insondables, de ces créatures ignorant leur mort à venir, usurpant un bonheur qui nous était dû, grâce à notre intelligence. Chez les animaux nous pouvons voir à la fois notre punition, le mauvais karma, et notre promotion, notre repos et apaisement, notre remise de la condition humaine. Un mélange de respect, de crainte et de répulsion. Rien de cela chez Ovide, léger dévideur de vers apparemment, bien incapable de sentir ce que nous avons exposé, mais qu'en savons-nous : il enchaîne historiettes sur historiettes, dans une langue facile et limpide, offrant sans plus de prétention un catalogue de tout ce que l'on peut trouver dans sa civilisation. Sans doute a-t-il voulu nous édifier, nous incitant à respecter les dieux, leurs préceptes, leurs caprices. Mais il délaie, aussi, pour le plaisir d'écrire. Car nous savons comment tout cela se terminera. Les métamorphoses ici racontées se voient traiter en longueurs fort diverses.

 

Voici par exemple la naissance des Myrmidons, fourmis transformées en hommes (schéma inversé) afin de repeupler un pays dévasté par la peste :

 

"Tant que le mal parut être de ceux qui tiennent à la nature humaine, et qu'on ignora la funeste cause d'un si grand fléau, on le combattit avec les ressources de l'art médical ; mais le désastre surpassait tous les secours ; ils ne pouvaient en triompher. D'abord, le ciel fit peser sur la terre un épais brouillard et des nuages où il enferma une chaleur accablante ; quatre fois la lune, réunissant ses cornes, remplit son disque de lumière, quatre fois, décroissante, elle défit le tissu de son disque rempli, et, pendant ce temps, le souffle de l'Auster ne cessa d'entretenir, partout, une chaleur mortelle. Il est constant que les sources et les bassins furent infestés de la contagion, que des milliers de serpents se répandirent à travers les campagnes incultes, et souillèrent les cours d'eau de leur venin.

 

"Ce furent les chiens, les oiseaux, les moutons, les bœufs, les animaux sauvages qui, en succombant par monceaux, révélèrent les premiers la puissance de cette maladie subite. Le malheureux laboureur s'étonne de voir ses taureaux vigoureux s'affaisser au milieu de leur travail et se coucher dans le sillon inachevé ; les bêtes à laine poussent des bêlements de souffrance, leur toison tombe toute seule et leur corps dépérit. Le coursier naguère ardent, illustré par ses victoires dans l'arène, devient indigne de ses palmes : oubliant ses anciens honneurs, il gémit devant son râtelier, en attendant qu'il meure dans la torpeur. Le sanglier ne se souvient plus de ses fureurs, la biche ne se fie plus à sa vitesse, les ours ont cessé d'attaquer les grands troupeaux. Tout languit ; dans les forêts, dans les champs, sur les routes, sont étendus des cadavres hideux qui infectent les airs de leur odeur. Chose extraordinaire, ni les chiens ni les oiseaux de proie, ni les loups au poil gris, ne les ont touchés ; ils tombent d'eux-mêmes en poussière, décomposés, et ils exhalent des miasmes funestes, qui portent au loin la contagion. Le fléau étend ses ravages, plus redoutables encore, aux malheureux cultivateurs, et il établit son empire dans l'enceinte de cette grande ville." Sur quoi une note nous avertit charitablement qu' "il y a dans tout ce passage une imitation évidente des morceaux fameux où Thucydide (...) et Lucrèce (...) avaient décrit la peste d'Athènes en -430. voir aussi Les Géorgiques de Virgile. Reprenons :

 

"D'abord les entrailles sont dévorées par une flamme secrète, que révèlent la rougeur de la peau et la chaleur brûlante de l'haleine ; la langue est rugueuse et enflée ; la bouche desséchée s'ouvre aux vents attiédis et n'aspire entre les lèvres béantes qu'un air pestilentiel. Les malades ne peuvent souffrir ni couverture, ni vêtement, mais ils n'appliquent contre terre leur poitrine insensible; et leur corps, au lieu d'être rafraîchi par le sol, communique au sol sa chaleur." Et ainsi de suite. Nous voyons qu'il peut s'agir de tout autre chose que de métamorphoses. Ainsi du combat d'Achéloüs et d'Hercule :

 

"Pourvu que je l'emporte en combattant, libre à toi de vaincre par la parole" ; et il marche sur moi d'un air farouche. Après le langage hautain que j'avais tenu, j'eus honte de reculer ; je rejetai loin de moi ma robe verte, je tendis mes bras et, m'étant mis en garde, les poignets courbés devant ma poitrine, je me préparai à la lutte. Lui, il ramassait dans le creux de ses mains de la poussière qu'il me jette sur le corps ; à son tour il jaunit sous le sable fauve dont je le couvre" – ici, une note précise : "Lorsque deux lutteurs allaient s'attaquer, chacun d'eux jetait du sable sur le corps de l'adversaire pour pouvoir le saisir plus facilement, précaution d'autant plus nécessaire qu'auparavant ils s'étaient tous les deux frottés d'huile de la tête aux pieds. Mais ici ils n'ont pas pris le temps de lubrifier leurs membres comme des athlètes de profession."

 

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